2015 TSSTC 2

Date : 2015-02-04

Dossiers : 2013-70, 2013-71, 2013-72

Entre :

Brink’s Canada Limitée, appelante (intimée dans la requête)

et

Neil La Croix, Colin Stewart et Ryan Faulds, intimés (demandeurs dans la requête)

Indexé sous : Brink’s Canada Limited c. La Croix, Stewart and Faulds

Affaire : Requête pour faire rejeter les appels.

Décision : La requête préliminaire est rejetée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me James D. Henderson, Kuretzky Vassos Henderson LLP. Me Trisha E. Gallant, Cox & Palmer

Pour les intimés : Me Ronald E. Pizzo, Pink Larkin

Référence : 2015 TSSTC 2

MOTIFS DE DÉCISION

[1]             La présente décision concerne une requête préliminaire par les intimés visant à faire rejeter les appels interjetés par Brink’s Canada Limitée (Brink’s) à l’encontre de trois instructions émises par l’agent de santé et sécurité (agent de SST) Daniel J. Roy à la conclusion de l’enquête menée par ce dernier au sujet du refus de travailler de trois employés de Brink (intimés), qui a mené à un constat de danger se lisant comme suit :

[traduction]

L’employeur n’a pas offert un milieu de travail sécuritaire lorsqu’il a supprimé un poste de garde dans le cadre du protocole proposé selon lequel un seul garde sort du véhicule. Cela obligerait le messager à agir seul pendant le chargement et le déchargement des cassettes d’argent aux différents endroits où sont situés les guichets automatiques.

[2]             Lesdits appels ont été interjetés par l’appelante en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code), qui permet à une partie qui se sent lésée par une instruction d'interjeter appel à un agent d’appel qui, à son tour, est autorisé par le paragraphe 146.1(1) du Code à mener une enquête sur les circonstances ayant donné lieu à l’instruction et sur la justification de celle-ci. Il convient de noter que selon le paragraphe 145(2) du Code, l’agent d’appel qui entend un appel « est investi des mêmes attributions — notamment en matière d’immunité — que l’agent de santé et de sécurité ».

Contexte

[3]             Le 22 décembre 2014, après une première tentative passablement écourtée d’entendre ces appels sur le fond, l’avocat des intimés a déposé auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada, et donc auprès du soussigné, un avis de requête préliminaire selon lequel, étant donné le manquement allégué de l’appelante de se conformer à un certain nombre d'obligations statutaires/réglementaires avant d’entreprendre des changements à son protocole d’approvisionnement des guichets automatiques (passant d’une équipe de trois membres, dont deux sortent du véhicule, à une équipe de deux membres dont l’un sort du véhicule), le constat de danger et les instructions qui en découlent devraient être maintenus pour ce seul motif, et ce, sans procéder sur le fond concernant le constat de danger qui sous-tend les instructions.

[4]             Les obligations statutaires/réglementaires, dont l’avocat des intimés prétend qu’elles auraient dû être respectées avant que l’appelante n’entreprenne les changements susmentionnés, étaient la création d’un comité d’orientation en matière de santé et de sécurité (article 134.1 du Code), la mise en œuvre d’un programme réglementaire de prévention des risques (alinéa 125(1)(z.03) du Code) et la consultation avec le comité local ou le comité d’orientation sur la mise en œuvre de ces changements et autres questions connexes (alinéas 125 (1)(z.03) à (z.13).

[5]             Le 23 décembre 2014, l’appelante a réagi à ladite requête en mettant en doute sa pertinence, en attirant l’attention sur le fait que la question soulevée par les appels, et donc devant le soussigné, se rapporte uniquement à l’exercice, par les employés, de leur droit de refuser de travailler parce qu’il est dangereux pour un ou plusieurs employés de travailler dans le lieu, ou parce que l’accomplissement d’une tâche aurait le même résultat pour l'employé ou les employés qui refusent ou pour tout autre employé, et non à la question de savoir si les obligations susmentionnées avaient été respectées.

[6]             Durant une téléconférence tenue le 29 décembre 2014 avec le soussigné, les parties ont convenu de fournir au soussigné des observations écrites dans les plus brefs délais, afin de ne pas entraver la procédure d’audition des appels sur le fond aux dates déjà prévues.

Observations des parties

A) Observations des intimés

[7]             Les observations écrites fournies par l’avocat des intimés à l’appui de sa requête témoignent d’une attitude quelque peu différente, puisque celui-ci demande maintenant une décision quant à savoir si le soussigné peut examiner le manquement allégué, et non encore prouvé, de Brink’s de se conformer aux obligations statutaires susmentionnées, dans le cadre de son processus de prise de décision sur les appels, autrement dit au moment de se prononcer sur le fond des appels sur les instructions de danger. En ce qui concerne les trois séries d’obligations mentionnées au paragraphe 4 ci-dessus, l’avocat allègue que Brink's n’en a respecté aucune avant de tenter de mettre en œuvre, à divers endroits dans le pays, le protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule, et il note que ces obligations n’ont pas été prises en compte dans le constat de danger délivré par l’agent de SST Roy relativement aux trois intimés. Selon l’avocat des intimés, un tel défaut de satisfaire aux obligations susmentionnées constitue un non-respect du Code. En outre, l’avocat affirme que Brink’s ne peut tenter d’utiliser les appels actuels comme un moyen pour déterminer si le protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule peut être mis en œuvre partout au Canada, puisque cela irait à l'encontre de l’intention claire du Code, soulignant aussi que le refus de travailler par l’un des intimés (La Croix) ne constitue qu’un refus de travailler parmi plusieurs autres exercés par d’autres salariés à la suite du changement de politique de Brink.

[8]             L’avocat des intimés soutient que si un agent de santé et de sécurité a, conformément à l’article 145 du Code, le pouvoir d’émettre ce qui est communément appelé des instructions de « contravention » (paragraphe 145(1) du Code) et des instructions de « danger » (paragraphe 145(2) du Code) en vue de faire cesser et/ou rectifier une telle situation, un agent d’appel, dont la compétence et le pouvoir sont prévus à l’article 146.1(1) de la loi et qui, procédant de novo, peut ainsi recevoir toute preuve présentée que les parties, qu’elle ait ou non été à la disposition de l’agent de santé et de sécurité dont les conclusions sont mises en cause, peut modifier une instruction de l’agent de santé et de sécurité afin de prévoir ce que l’agent de santé et de sécurité aurait dû ordonner. L’avocat est donc d’avis qu’en vertu de la jurisprudence, il est établi qu’un agent d’appel a le pouvoir de modifier une instruction afin d’« inclure d’autres contraventions » au Code et qu’en outre, il ne lui est pas interdit de prendre une décision en vertu du paragraphe 145(1) du Code, qui est le pouvoir d’émettre des instructions de « contravention ».

[9]             Enfin, puisque les présents appels par Brink’s peuvent être considérés comme une tentative d'obtenir l'approbation que le protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule, que l’avocat décrit comme l’approbation d’une nouvelle politique de santé et de sécurité, soit mis en œuvre partout au Canada, ou une façon de contourner le processus de consultation, l’avocat soutient que cela a été vu comme un abus de procédure et se réfère aux commentaires formulés dans une remarque incidente dans la décision Brazeau et Securicor Canada Ltd. no 04-049 rendue par l’agent d’appel Malanka dans le dernier des 227 paragraphes de sa décision, qui était précédée de commentaires voulant que les dispositions du Code sur le droit de refuser de travailler ne soient pas utilisées dans le lieu de travail pour résoudre des conflits de travail de longue date, et faisant allusion à :

[…] un manque de jugement de la part des employés qui n'ont pas signalé à l'avance et efficacement leur préoccupation à Securicor par d'autres moyens avant de refuser de travailler, […]. Plutôt que de consulter ses employés par l'entremise de son comité de santé et de sécurité pour calmer leurs inquiétudes et éviter un refus de travailler, Securicor a préféré choisir les lieux où un refus de travailler aurait le moins d'impact sur ses activités et sur ses clients. L’employeur a prématurément eu recours, et peut-être inutilement, à des agents de santé et de sécurité et à ce Bureau pour régler ce différend avec ses employés. Ce faisant, Securicor a potentiellement mis en péril la santé et la sécurité de ses employés en attendant une décision. J’estime qu'il y a eu là une attitude abusive à l'égard du Code.

B) Observations de l’appelante

[10]             Au départ, l’appelante attire l’attention sur le fait que les dernières observations des intimés n’abordent pas la question soulevée à l’origine dans leur demande de requête préliminaire. Plus précisément, ces observations n’abordent aucunement la question juridique de savoir si une contravention à certaines dispositions du Code est suffisante en soi pour provoquer le rejet de l’appel en ce qui a trait à une instruction de « danger », ou, en formulant cela autrement comme une pure question de droit, si le non-respect de certaines dispositions du Code, en d’autres termes une contravention, équivaut en soi à un danger. Selon l’appelante, les intimés ont plutôt reformulé l’enjeu pour l’axer sur le champ de compétence de l’agent d’appel et sur la question de savoir s’il peut examiner le manquement allégué de Brink’s de se conformer aux alinéas 125 (1)(z.03) à (z.13) et à l’article 134.1 du Code dans le cadre de son processus global de prise de décision dans les appels interjetés par Brink’s. En outre, l’appelante estime qu’en faisant mention d’autres refus de travailler par des employés autres que les trois employés concernés par les présents appels, les intimés ont cherché à élargir la portée de la décision qui sera rendue par le soussigné sur le tout, et ce, nonobstant le fait que le soussigné a clairement déclaré qu’il est saisi seulement des instructions spécifiques visées qui font l'objet des appels et que les conséquences de portée nationale qui peuvent en découler ne relèvent pas de sa compétence. L’appelante est donc d'avis qu’en décidant de recadrer la nature et la portée de leur requête préliminaire, les intimés ont agi à la légère et de mauvaise foi et que cela constitue un abus de procédure.

[11]             Malgré ce qui précède, l’appelante a traité de la demande initiale de requête préliminaire faite par les intimés, en soulignant que ces derniers n’ont fourni absolument aucune autorité ni aucun argument, et non plus décrit une procédure qui permettrait à l’agent d’appel de conclure que la contravention à certaines dispositions du Code pourrait, en soi, entraîner le rejet des appels à l’encontre des instructions de « danger ». L’appelante est d’avis que la conformité avec les dispositions énoncées dans la requête des intimés n’est pas une condition préalable obligatoire pour éviter une conclusion de « danger ». Selon la position de l’appelante, les dispositions du Code sont claires et sans équivoque et le strict respect de toutes les dispositions de la partie II du Code n’est pas une condition préalable pour que l’agent d’appel annule une instruction émise aux termes de l’alinéa 145(2)(a), ou, autrement dit, le non-respect des instructions statutaires, obligatoires ou non, ne constitue pas en soi un « danger ».

[12]             Soulignant que les intimés ont plutôt choisi de se concentrer sur des questions de procédure comme la nature des appels interjetés, la compétence de l’agent d’appel pour recevoir des preuves et émettre de nouvelles instructions concernant d’autres infractions à la législation, et la compétence de novo de ce dernier de recevoir des preuves, l’appelante soutient qu’elle ne conteste pas que l’agent d’appel agit dans une capacité de novo et que, conformément au paragraphe 145.1(2) du Code, il est investi des mêmes attributions que l’ agent de santé et de sécurité, et elle ne conteste pas non plus que l’agent d’appel a le pouvoir de modifier une instruction pour inclure des contraventions lesquelles à son avis, d’après les preuves recueillies, auraient dû être incluses par l’agent de santé et de sécurité dans les instructions visées par le pourvoi en appel. Ces questions ne sont toutefois pas celles qui sont soulevées dans la requête initiale des intimés, puisque la question fondamentale devant l’agent d’appel est celle de savoir si le travail effectué dans leurs capacités individuelles par les trois intimés sous le protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule constitue un « danger » au sens du Code. Ce qui a eu lieu entre Brink’s et le syndicat représentant les intimés n’est pas pertinent, car il s’agit de cas de refus d’employés individuels. Selon l’appelante, même si des contraventions à d’autres dispositions du Code peuvent constituer une considération pertinente pour déterminer si un danger existe, cela n’est pas déterminant, car une telle conclusion ne peut être atteinte qu’après avoir examiné l’ensemble des appels sur le fond. La formulation du paragraphe 146.1(1) du Code (« […] l’agent d’appel mène sans délai […] » (« shall » dans la version anglaise), qui énonce les pouvoirs de décision d’un agent d’appel, exige clairement qu’un agent d’appel fasse enquête sur les circonstances et la justification de l'instruction ou des instructions dont il est saisi en appel, et seulement après avoir effectué une telle enquête a-t-il le pouvoir de modifier, d’annuler ou de confirmer l'instruction ou les instructions et d’en émettre une autre ou une différente, selon ce qu’il juge indiqué.

[13]             L’appelante étant d’avis que les intimés n’ont fourni aucun fondement pour que le soussigné accorde la réparation demandée dans la demande initiale de requête préliminaire, elle demande que la requête soit rejetée.

[14]             En ce qui concerne la perception par les intimés que Brink’s utiliserait prétendument les présents appels pour contourner le processus de consultation obligatoire en vertu du Code pour demander l’approbation d’une nouvelle politique de santé et de sécurité sous le nouveau protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule, et que cela constituerait un abus de procédure, l'appelante y oppose un déni catégorique, car elle estime que le soussigné n’est chargé que d’enquêter sur les instructions spécifiques faisant l’objet de ces trois appels en particulier. En revanche, comme l’appelante et le syndicat des Teamsters représentant les employés intimés sont actuellement en négociation, et que la mise en œuvre du protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule constitue l’un des enjeux de ladite négociation, l’appelante soutient que ce sont en fait les refus de travailler qui fondent les appels qui ont été orchestrés par les Teamsters afin de forcer une décision sur les enjeux de la négociation en se servant des processus prévus par le Code. En mettant l’accent sur la compétence de l’agent d’appel d’entendre de nouvelles preuves et d’émettre de nouvelles instructions au lieu d’aborder la question énoncée dans la demande de requête préliminaire, et en évoquant l’existence d’autres refus de travailler même si l’agent d’appel avait clairement indiqué son intention de ne traiter que les refus de travailler spécifiques de La Croix, Stewart et Faulds, l’appelante soutient que ce sont les intimés qui ont montré qu’ils avaient d’autres intentions dépassant le cadre des appels individuels en cours, à savoir le bien-fondé global du protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule, ce qui constitue un abus des procédures prévues par le Code.

[15]             On this basis, the appellant submits that in light of the conduct of the respondents in initially formulating an issue and then subsequently not even attempting to address the stated issue, choosing instead to raise and argue new issues that could have been dealt with in the course of the hearing on the merits, undue delay in the disposition of the appeals has been caused and needless additional expenses have been incurred by the appellant. It is thus the appellant’s position that the undersigned should, for these reasons, award costs against the respondent as per sections 156, 21 and 99(2) of Part I of the Code. The appellant does acknowledge that as a matter of policy, the appeals officer may be reluctant to act in this manner but suggests that the circumstances surrounding this preliminary motion are sufficient to warrant an exception to general policy objectives. In its opinion, an award of costs in the context of this specific case is necessary to deter parties from abusing the process set out in the Code by pursuing an alternative agenda and raising issues that it has no intention of answering simply to delay proceedings, thereby straining healthy labour relations and the collaborative process envisioned under Part II of the Code. Pour ce motif, l'appelante fait valoir que, compte tenu de la conduite des intimés dans la formulation initiale d'une question pour ensuite ne pas même tenter d’y répondre, préférant plutôt soulever et traiter de nouvelles questions qui auraient pu être réglées dans le cadre de l’audience sur le fond, il s’ensuit un retard injustifié dans l’examen des appels et des frais supplémentaires superflus ont été engagés par l’appelante. L’appelante est donc d’avis que le soussigné devrait, pour ces motifs, adjuger les dépens contre les intimés en vertu des articles 156, 21 et 99(2) de la partie I du Code. L’appelante reconnaît que l’agent d’appel pourrait avoir pour politique de ne pas agir de la sorte, mais elle suggère que les circonstances entourant cette requête préliminaire sont suffisantes pour justifier une exception aux objectifs de politique générale. À son avis, l’adjudication de dépens dans le cadre de cette affaire spécifique est nécessaire pour dissuader les parties d’abuser du processus énoncé dans le Code en poursuivant un autre ordre du jour et en soulevant des questions sans avoir l’intention d’y répondre tout simplement pour retarder la procédure, avec pour résultat d’envenimer les relations de travail et de compromettre le processus de collaboration envisagé en vertu de la partie II du Code.

C) Réponse

[16]             En réponse aux arguments de l’appelante sur la demande de requête, l’avocat des intimés invoque un nouvel élément en renvoyant à la notion de « condition normale de l’emploi » et en soulignant d’abord que l’appelante a affirmé, dans son avis d'appel des instructions de danger, que le danger associé au protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule constitue une telle condition normale d’emploi, et ensuite que selon la politique 905-1-IPG-070 du Programme du travail, lorsque les conditions de travail subissent un changement, ce qui peut avoir déjà été considéré comme des « conditions normales de l’emploi » devra être réévalué, car « [i]l ne peut être présumé que tout danger qui existe à la suite d’un changement demeurera une condition normale de l’emploi », validant ainsi, à son avis, la nécessité de se conformer aux obligations énoncées aux alinéas 125 (1)(z.03) à (z.13) et à l’article 134.1 qui définissent, selon l’avocat, un processus obligatoire de recueillir des informations pour analyser si un danger est une condition normale de l’emploi. Dans le même souffle, les intimés soulignent à nouveau que le soussigné, qui procède de novo, se penche sur le cas à nouveau selon la même perspective que l’agent de santé et de sécurité et peut rendre toute décision que l’agent de santé et de sécurité aurait pu délivrer, y compris des décisions afin de mettre fin à une contravention au Code.

[17]             Sur la question de l’affirmation par l’appelante que les intimés ont pour ordre du jour d’élargir les questions examinées dans cette audience, l’avocat rétorque qu’il n’en est rien, car les intimés abordent les questions mêmes qui ont été présentées à l’agent d’appel, à savoir si les risques présentés par le protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule sont une « condition normale de l’emploi », comme le prétend Brink’s, et n’ont pas l’intention de présenter une preuve ou de faire des observations sur d’autres refus par d’autres employés de Brink’s concernant ce protocole, même s’il dit que l’appelante n’a fourni aucune autorité à l’appui de sa déclaration selon laquelle [traduction] « l’agent d’appel est chargé d’enquêter sur les instructions spécifiques émises dans les appels en cause » . Pour citer les mots de l’avocat des intimés, dans les présents appels, [traduction] « la question, très clairement, est de savoir si le travail présentait un danger. Un constat de danger était-il justifié? »

[18]             Enfin, sur la question de l’adjudication des dépens contre les intimés, qui est réclamée par l’appelante, les intimés font valoir que le libellé des dispositions invoquées par l’appelante à cet égard ne confère tout bonnement aucun tel pouvoir à un agent d’appel.

Analyse

[19]             En réfléchissant à la conclusion à laquelle il faut en venir dans la présente affaire, il est important de se reporter d’abord au texte même des instructions émises par l’agent de SST Roy. Ce texte précise d’abord que [traduction] « il y a une situation qui constitue un danger pour un employé au travail » (je souligne), puis décrit cette situation comme étant que « l’employeur n’a pas offert un milieu de travail sécuritaire lorsqu’il a supprimé un poste de garde dans le cadre du protocole proposé selon lequel un seul garde sort du véhicule. Cela obligerait le messager à agir seul pendant le chargement et le déchargement des cassettes d’argent aux différents endroits où sont situés les guichets automatiques ». Un premier commentaire à la lumière de ce libellé est que l’agent de SST ne mentionne jamais que l’appelante n’aurait pas respecté l’une des obligations soulevées par les intimés dans leur demande de requête. Mais cela ne signifie pas que cette question n’est pas pertinente pour la résolution de la question soulevée par les appels ou qu’elle ne s’inscrit pas dans l’ensemble des éléments soumis à un agent d’appel dans son examen sur le fond de l’affaire en appel. Cela étant dit, on ne peut ignorer qu’il existe un principe établi de longue date dans la jurisprudence, selon lequel la simple contravention à des procédures réglementaires par un employeur ne rend pas un lieu de travail dangereux au sens du Code. En 1989, le Conseil canadien des relations de travail a justement déclaré cela dans Coulombe v. Empire Stevedoring Co. (1989), 78 di 52. [traduction] « Un danger n’existe pas forcément parce que l’employeur contrevient à une loi ou à un règlement sur la sécurité et la santé au travail, ou à une norme réglementaire sur une pièce d’équipement ». Cela a également été entériné par l’agent d’appel Malanka dans sa décision no 02-022 d’octobre 2002 dans l’affaire Don Boucher et James Stupor et Service correctionnel Canada. « Que les risques mentionnés par les agents de correction Boucher et Stupor constituent une contravention à la partie II et aux règlements afférents, cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a un danger ».

[20]             Une bonne compréhension de la compétence d’un agent d’appel est essentielle pour arriver à une conclusion dans cette affaire. En ma qualité d’agent d’appel, je siège pour examiner une décision ou une instruction d’un agent de santé et de sécurité, selon le cas, et selon que la conclusion tirée par ledit agent est caractérisée comme une « décision » conformément au paragraphe 129(7 ) du Code ou comme une « instruction » en vertu du paragraphe 145(1) du Code dans le cas d’une conclusion de « contravention », ou aux termes du paragraphe 145(2) du Code dans le cas d’une conclusion de « danger », comme c’est le cas ici. Le paragraphe 146.1(1) utilise un libellé précis pour indiquer les limites de ce qui est soumis à un agent d’appel. Il indique, sous forme d’obligation (« l’agent d’appel mène sans délai », « shall » dans la version anglaise), que l’agent d’appel « mène [...] une enquête [...] sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions […] et sur la justification de celles-ci » (je souligne). Cela suffit pour m’amener à dire qu’il ne relève pas de la compétence de l’agent d’appel de se saisir ou d’être saisi pour trancher sur une affaire ou une question qui n’a pas fait préalablement l’objet d’une décision de la part d’un agent de santé et de sécurité. À mon avis, le seul libellé du Code suffit pour valider la proposition selon laquelle un agent d’appel est chargé d’enquêter sur les instructions spécifiques visées par les appels précis dont il est saisi.

[21]             Cela ne signifie toutefois pas que dans l’examen de la décision ou des instructions émises à un autre échelon, l’agent d’appel ne peut pas recevoir des preuves allant au-delà de celles sur lesquelles l’agent de santé et de sécurité aura fondé sa conclusion initiale, à condition que ces preuves supplémentaires satisfassent aux exigences en matière de preuve et soient pertinentes à la question en litige, en l’occurrence si un « danger » existe ou a existé. En procédant de novo, l’agent d’appel voit d’un œil neuf ce qui a été précédemment conclu par un agent de santé et de sécurité et, ce faisant, peut recevoir des preuves qui n’auraient pas été fournies à l’agent de santé et de sécurité. Il n’y a en fait aucune limite quant à ce que ces informations supplémentaires peuvent être, sauf qu’elles doivent satisfaire sur une prépondérance des probabilités et, si la question est de savoir si un « danger » existe, qu’elles soient présentées dans le cadre de la constellation d’éléments qui serait considérés comme entraînant un « danger » au sens du Code et donc, qu’elles portent sur les mérites ou la substance de ce qui doit être déterminé par l’agent d’appel.

[22]             Dans le cadre de son examen des questions en appel, le Code confère à l’agent d’appel le pouvoir de modifier, d’annuler ou de confirmer une instruction, sans préciser si celle-ci doit viser une « contravention » (145(1)) ou un « danger » (145 (2)), et d’émettre toute instruction de « danger » qu’il juge indiquée. Il faut souligner, comme l'a fait l’avocat des intimés, qu’en jurisprudence, puisque l’agent d’appel est investi des pouvoirs d’un agent de santé et de sécurité en vertu du paragraphe 145.1(2), il ne lui est pas interdit de faire une détermination en vertu du paragraphe 145(1) du Code, ce qui signifie qu’il peut émettre de nouvelles instructions de « contravention ».

[23]             Ce qui précède constitue essentiellement une répétition de ce que les parties ont présenté au soussigné, à l’exception de ce que l’avocat des intimés a formulé au départ dans sa demande initiale de requête, en date du 22 décembre 2014, à l’effet que sur la seule base des contraventions alléguées susmentionnées, qui auraient vraisemblablement été établies, le constat de danger qui fait l'objet des appels aurait pu être maintenu sans entrer dans le fond et la substance dudit constat de « danger » par l’agent de SST qui a trait aux tâches réelles des employés qui ont refusé de travailler sous le protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule. Compte tenu de cette exception, le soussigné perçoit maintenant clairement qu’il n’existe pas vraiment de différend entre les parties quant à ce que le soussigné peut envisager dans son examen de ces appels. Ainsi, par conséquent, je trouve que la demande de requête, présentée initialement par l’avocat des intimés le 22 décembre 2014, n’est pas fondée. En outre, dans l’examen effectif de ces appels par le soussigné, les parties partagent la même position selon laquelle, lorsque j’examine ces appels, et par extension les instructions de « danger », en ma capacité de novo, j’ai le pouvoir de recevoir tout élément de preuve qui est pertinent pour les présents appels.

[24]             Il est devenu apparent, au cours de mon examen des observations des deux parties, qu’il existe ou semble exister un certain degré d’acrimonie entre les parties qui peut être attribuable au fait qu’elles sont actuellement engagées dans un processus de négociation collective et que la mise en œuvre du protocole selon lequel un seul garde sort du véhicule peut être une question centrale. Dans leurs observations, chacune des deux parties a insinué que l’autre avait son propre « ordre du jour » ou tentait, par l’entremise du processus d’appel, de forcer des décisions sur les questions en jeu dans la négociation par le truchement des procédures du Code, ou de contourner le processus de consultation exigé par le Code. Outre la pertinence douteuse de ces affirmations en ce qui concerne la requête en tant que telle sous n’importe quelle forme, je tiens à souligner que même s’il est accepté en principe que les procédures telles que les présents appels ne peuvent pas et ne devraient pas être utilisées pour résoudre des conflits de travail, une requête comme celle-ci ne constitue pas le moyen approprié, s'il en est, pour résoudre de telles questions. En outre, j’avertis les parties que dans l’examen de ces appels, je ne serai pas impliqué ou transformé en pion dans la confrontation entre les deux parties sur des questions qui dépassent le champ de ce qui est pertinent dans les présents appels.

[25]             Enfin, l’appelante a évoqué la question de l’adjudication, par moi, des dépens contre les intimés à cause de ce que l'appelante considère comme un abus de procédure par les intimés qui n’ont pas abordé la question indiquée au départ, faisant valoir à la place de « nouvelles » questions qui auraient pu être traitées dans le cadre de l’audience sur le fond, ce qui a entraîné un retard injustifié dans la décision finale et des dépenses superflues pour l’appelante. J’avoue avoir été assez perturbé par la position prise par les intimés, et je suis d’accord avec l’appelante que les questions finalement soulevées par les intimés peuvent être abordées dans le cadre de l’audience sur le fond, surtout quand je tiens compte du fait que les vues finalement exprimées par les deux parties sont quasiment identiques. Toutefois, indépendamment de l’impact dilatoire effectif sur l’audience, j’estime qu’il n’est pas nécessaire pour le soussigné d’aborder la question de savoir si cela constituait un abus de procédure, et ce, pour deux raisons. Premièrement, du point de vue de la conduite de l’audience, cette instance aura donné lieu à une déclaration claire de la portée de l’audience d’appel, ce qui, en fin de compte, permettra d’éviter les objections relatives à la présentation de la preuve lorsqu’on finira par procéder sur le fond. Deuxièmement, en ce qui concerne l’adjudication effective des dépens, je partage l’avis exprimé par l’avocat des intimés que les dispositions des Parties I et II du Code invoquées par l’appelante à l’appui de sa demande ne confèrent pas au soussigné le pouvoir d’adjuger des dépens, car ce pouvoir serait limité à un membre, à savoir le président ou un vice-président du Conseil canadien des relations industrielles, selon la définition de ce Conseil au paragraphe 122(1) du Code; or le soussigné, en sa qualité d’agent d’appel, n’est pas un membre dudit Conseil.

Décision

[25]             Pour les motifs susmentionnés, la requête préliminaire présentée par les intimés le 22 décembre 2014 est rejetée.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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