2015 TSSTC 5

Date : 2015-03-05

Dossier no : 2013-17

Entre :

Administration de l'Aéroport international Macdonald-Cartier d'Ottawa, appelante

Indexé sous : Administration de l'Aéroport international Macdonald-Cartier d'Ottawa

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l'encontre d'une instruction émise par une agente de santé et de sécurité.

Décision : L'instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Michael McDermott, agent d'appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l'appelante : Me Paul R. Lalonde, avocat, Emond Harnden s.r.l.

Référence : 2015 TSSTC 5

MOTIFS DE DÉCISION

[1]             La présente décision concerne un appel interjeté par l'Administration de l'Aéroport international Macdonald-Cartier d'Ottawa (l'« Administration ») le 21 mars 2013, en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le « Code »), à l'encontre d'une instruction émise le 22 février 2013 par Suzanne Arsenault, agente de santé et de sécurité (l'« agente de SST »).

Contexte

[2]             Le 4 janvier 2013, aux alentours de 12 h 50, Jason Cole, un employé d'Air Canada, se tenait dans l'aire de trafic à la porte d'embarquement 16 de l'Aéroport international Macdonald-Cartier d'Ottawa et remplissait des documents relatifs aux bagages chargés sur un vol à destination de Toronto, lorsqu'il a été heurté dans le dos par un chariot à bagages vide qui était remorqué, avec d'autres chariots vides attachés, à l'écart de l'aéronef. M. Cole a subi des blessures douloureuses comprenant des contusions aux parties supérieure et inférieure de la jambe gauche et des ecchymoses à la cuisse gauche et dans le bas du dos. On s'est occupé de lui sur place, et une ambulance l'a amené au campus Civic de l'hôpital d'Ottawa à 13 h 25.

[3]             Une sergente du Service de police d'Ottawa (SPO) est arrivée sur les lieux à 12 h 55 et a été rejointe une minute plus tard par un agent de police du SPO. Le temps était couvert à ce moment-là et il faisait -2 °C. Les deux agents ont constaté que la surface entourant l'aéronef était recouverte de neige damée et qu'elle était glissante. La sergente a indiqué dans son rapport que Joshua Barre, employé d'Air Canada, l'avait informée qu'il s'était plaint à son superviseur environ une heure plus tôt que les conditions sur le tarmac n'étaient pas satisfaisantes. M. Barre a montré à la sergente la note mentionnant le mauvais état de la surface sur son Blackberry qui indiquait 12 h 47 au moment où il s'est entretenu avec Steven Sexton, chef des opérations d'escale à Air Canada.

[4]             Aucun des employés d'Air Canada à proximité à ce moment-là, y compris Kevin McNeil, le conducteur du treuil qui remorquait les chariots vides, n'a vu l'incident. On a toutefois recueilli le témoignage de deux passagers à bord de l'avion qui étaient assis aux places côté hublot 14F et 17F qui se trouvent au-dessus de la soute à bagages et du transporteur à courroie, qui ont pu voir ce qui s'était passé. Le compte rendu écrit de l'occupant de la place 14F apparaît dans le Rapport général d'incident obtenu par l'agente de SST. Il indique que le témoin a vu le chariot heurter M. Cole et se lit en partie comme suit :

[traduction] Le conducteur des chariots à bagages n'a pas vu que le dernier chariot était en portefeuille et, lorsqu'il s'est éloigné, le chariot en portefeuille a coincé la chargeuse dans le transporteur en marche.

Un enregistrement vidéo de l'incident a été fait (avec une caméra de télévision en circuit fermé), et le rapport de police décrit comment la vidéo montre que le treuil tirait quatre chariots vers le transporteur à courroie dans un mouvement semi-circulaire, la boucle se terminant lorsque les chariots sont déchargés et remorqués à l'aérogare. Le rapport ajoute que le conducteur ne semblait pas aller vite, mais, comme il avançait, le quatrième chariot s'est trouvé à heurter M. Cole.

[5]             Un inspecteur de la Section de l'identité judiciaire du SPO a été appelé sur les lieux et est arrivé à 14 h 45. Il a pris de nombreuses photos du matériel utilisé au moment de l'incident, ainsi que de l'état de la surface de l'aire de trafic à ce moment-là. Les photos ont été mises à la disposition de l'agente de SST et figurent dans le rapport de celle-ci.

[6]             On a communiqué avec le Programme du travail à RHDCC (ancienne désignation), et l'agent de SST Michael O'Donnell a été informé de l'incident. Il a à son tour demandé à l'agente de SST Arsenault de se rendre sur les lieux de l'incident. Celle-ci est arrivée sur les lieux à 15 h 08 et a commencé son enquête. Les agents du SPO lui ont fait part de leurs conclusions, et son compte rendu de l'incident et des activités de chargement des bagages est conforme à ces conclusions. L'agente de SST note que, à son arrivée, l'aire de trafic était glissante et qu'il ventait et neigeait, et elle ajoute plus loin que la zone entourant l'aéronef était recouverte de neige damée dure et d'une couche de glace, et que la surface était très glissante et que cela avait contribué à l'incident. L'agente de SST a interrogé M. Sexton et Bob Atkinson, un autre employé d'Air Canada, qui se trouvaient sur les lieux. M. McNeil avait quitté les lieux pour rendre visite à M. Cole à l'hôpital. L'agente de SST a quitté les lieux à 15 h 22.

[7]             L'agente de SST Arsenault a poursuivi son enquête pendant les semaines suivantes en effectuant des entrevues, en recueillant des témoignages et en cherchant des documents connexes. Une grande partie des renseignements qu'elle a recueillis, comme les qualifications et les dossiers de formation de MM. Cole et McNeil, le livret d'entretien et les dossiers de l'incident se rapportant aux treuils de remorquage et aux chariots à bagages, concerne davantage les instructions que l'agente de SST a émises à l'intention d'Air Canada qui ne sont pas visées par le présent appel. L'information relative à la répartition des tâches et des responsabilités entre Air Canada et l'Administration en ce qui concerne les activités de déglaçage et de déneigement et le moment où elles doivent avoir lieu est plus directement liée au présent appel. À part les brèves remarques qu'elle a faites sur les commentaires de deux membres du personnel d'autres compagnies aériennes qu'Air Canada qui ont exprimé des inquiétudes au sujet de la lenteur du déglaçage et du déneigement, l'agente de SST a surtout recueilli de l'information auprès de M. Sexton d'Air Canada et de M. Clem Poupart, directeur de l'exploitation de l'aérodrome de l'Administration.

[8]             Dans sa déclaration à l'agente de SST, M. Sexton décrit le déglaçage et le déneigement comme une procédure exigeant la coordination des transporteurs et de l'Administration. Il affirme que l'Administration appelle Air Canada pour lui indiquer lorsqu'elle est prête à commencer le déneigement et le déglaçage et qu'elle lui demande alors d'enlever tout matériel d'entretien courant de la zone stérile pour permettre l'accès. La zone stérile semble être une zone prescrite à proximité d'un aéronef qui se trouve à une porte d'embarquement, laquelle zone peut varier, comme l'a expliqué M. Sexton, selon la taille de l'aéronef qui s'y trouve à ce moment-là. Interrogé sur l'existence de problèmes liés à la procédure de déneigement et de déglaçage, M. Sexton a répondu que la question avait été abordée à maintes reprises avec l'Administration et qu'Air Canada avait envoyé des courriels exprimant des inquiétudes au sujet du déneigement et du déglaçage.

[9]             Informé par l'agente de SST des préoccupations exprimées par l'Administration sur le fait qu'Air Canada n'avait pas dégagé la zone stérile en prévision du déneigement et du déglaçage, M. Sexton a répondu que les demandes relatives au retrait du matériel étaient toujours faites à la dernière minute, en ajoutant qu'il avait demandé une meilleure coordination des activités de déneigement. De même, et répondant aussi à la question de l'agente de SST, il a convenu qu'il faudrait améliorer la communication entre les parties et mettre en place un plan proactif bien organisé pour tenir compte des horaires de vol.

[10]             Après avoir reçu la confirmation que la porte d'embarquement 16 était une porte d'embarquement de Rapidair, l'agente de SST a demandé des précisions sur l'affirmation de l'Administration selon laquelle elle avait demandé à Air Canada de changer de porte pendant la journée pour permettre le déneigement et le déglaçage, mais qu'aucun changement n'avait été effectué. M. Sexton a répondu que l'Administration pouvait imposer des changements de porte d'embarquement, en faisant remarquer que la porte d'embarquement 17 est aussi une porte d'embarquement de Rapidair.

[11]             Dans ses notes sur sa conversation avec M. Poupart, l'agente de SST fait référence aux conditions météorologiques qui ont nécessité un déneigement continu dès le 21 décembre, et ce, pendant toute la période des fêtes, y compris le jour de l'incident. Les notes signalent également une procédure de déneigement et de déglaçage réactive d'une porte d'embarquement à une autre et précisent que, lorsqu'un aéronef se trouve à une porte d'embarquement, le déneigement débute à environ 20 pieds de l'aéronef. Par ailleurs, des efforts sont déployés en vue d'enlever le plus de neige possible avant le démarrage à 6 h. Par la suite, l'Administration compte sur la direction des portes d'embarquement pour lui indiquer quand les aéronefs quittent les portes, afin que le personnel de l'Administration puisse tenter d'enlever le plus de neige possible. Selon M. Poupart, Air Canada est la principale responsable du fait que du matériel ait été laissé dans l'aire de trafic, ce qui a empêché le déneigement et le déglaçage.

[12]             Les notes mentionnent qu'il n'y a pas de main-d'œuvre pour déneiger à moins de 20 pieds d'un aéronef qui se trouve à une porte d'embarquement. Cette déclaration semble quelque peu ambiguë en ce que des informations recueillies par la suite et qui sont mentionnées ci-dessous indiquent que l'Administration accepte les demandes de déneigement à moins de 7,5 mètres d'un aéronef stationné à une porte d'embarquement, et que son personnel répond à ces demandes en suivant les instructions et les directives du personnel de la compagnie aérienne.

[13]             Après avoir mené son enquête, l'agente de SST a émis une instruction conformément au paragraphe 145(1) du Code. L'instruction se lit comme suit :

[traduction] DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L'EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 4 janvier 2013, l'agente de santé et sécurité au travail soussignée a effectué une inspection dans le lieu de travail exploité par l'Administration de l'Aéroport international MacDonald-Cartier d'Ottawa, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, au 1000, promenade de l'aéroport (route privée), bureau 2500, Ottawa (Ontario) K1V 9B4, ledit lieu de travail étant parfois désigné sous le nom d'Aéroport international MacDonald-Cartier d'Ottawa.

Ladite agente de santé et de sécurité est d'avis que la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été enfreinte :

Code canadien du travail, partie II, alinéa 125.(1)p)

Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève : de veiller, selon les modalités réglementaires, à ce que les employés puissent entrer dans le lieu de travail, en sortir et y demeurer en sécurité.

Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, paragraphe 2.14(1)

Les escaliers, passerelles, plans inclinés et passages extérieurs susceptibles d'être utilisés par des employés doivent être libres de toute accumulation de glace, de neige ou d'autres matières pouvant faire glisser ou trébucher les employés.

L'employeur a manqué à son obligation de s'assurer que l'aire de trafic à la porte d'embarquement 16 était libre de glace et de neige le 4 janvier 2013.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(1)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à cette contravention au plus tard le 15 mars 2013.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(1)b) de la Partie II du Code canadien du travail, de prendre, au plus tard dans le délai imparti par l'agente de santé et de sécurité, les mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Ottawa ce 22e jour de février 2013.

[Signé]

Suzanne Arsenault

Agente de santé et de sécurité

(...)

À : Administration de l'Aéroport international MacDonald-Cartier d'Ottawa

1000, promenade de l'aéroport (route privée)

Bureau 2500

Ottawa (Ontario)

K1V 9B4

Question en litige

[14]             La question que je dois trancher est celle de savoir si l'agente de SST a eu raison de conclure à une infraction et d'émettre l'instruction visée par le présent appel.

Observations de l'appelante

[15]             L'appelante explique qu'elle a deux motifs de faire appel. Premièrement, elle conteste toute violation alléguée du paragraphe 2.14(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST) et, plus particulièrement, le fait qu'il y ait eu une quelconque accumulation de glace et de neige sur les lieux de l'incident le 4 janvier 2013. Deuxièmement, et subsidiairement, elle affirme que l'Administration a fait preuve de diligence raisonnable en suivant les procédures et pratiques en vigueur en matière de déneigement et de déglaçage.

[16]             En ce qui concerne le premier motif de l'appel, l'appelante cite le texte du paragraphe du RCSST selon lequel « Les escaliers, passerelles, plans inclinés et passages extérieurs susceptibles d'être utilisés par des employés doivent être libres de toute accumulation de glace, de neige ou d'autres matières pouvant faire glisser ou trébucher les employés. » L'appelante fait ensuite valoir que, pour qu'il y ait eu violation de cette disposition, il doit y avoir eu une accumulation de glace et de neige le 4 janvier 2013. Or, le libellé de l'infraction par l'agente de SST indique plutôt que l'Administration a manqué à son obligation de s'assurer que l'aire de trafic à la porte d'embarquement 16 était libre de glace et de neige ce jour-là. L'appelante soutient que l'agente de SST a commis une erreur en appliquant des critères erronés pour déterminer la conformité au Règlement et que, ce faisant, elle a imposé une norme de perfection déraisonnable, qui n'est pas prescrite par le Règlement et qui est pratiquement impossible à atteindre lorsqu'il y a une tempête de neige ou de verglas.

[17]             En ce qui concerne le second motif de l'appel, l'appelante décrit l'étendue des activités de l'aéroport et la façon dont elle dit respecter ses obligations en matière d'entretien hivernal. Ses observations écrites décrivent un aéroport international achalandé et efficace qui a mérité des prix prestigieux récompensant la qualité du service dans la catégorie des deux à cinq millions de passagers par année. L'aéroport est ouvert 24 heures sur 24, assurant le soutien pour des vols suivant les règles visuelles aussi bien que les règles de vol aux instruments, qui utilisent ses trois pistes et ses structures et installations connexes. L'essentiel des observations porte cependant sur la nature et la mise en œuvre des plans et activités d'entretien hivernal de l'Administration, étayées par des preuves pertinentes.

[18]             L'Administration détient un certificat qui lui permet d'offrir des services aéroportuaires conformément au Règlement de l'aviation canadien, et doit respecter un certain nombre d'exigences établies par Transports Canada relativement à l'entretien hivernal. L'appelante présente le plan d'entretien hivernal de l'Administration et remet une copie du plan 2012-2013 qui était en vigueur au moment de l'incident. L'appelante indique que le plan d'entretien hivernal est préparé en consultation avec les intervenants, notamment les membres du Comité des transporteurs aériens, et qu'une rencontre se tient avant l'hiver afin de discuter du projet de plan annuel. Il semble aussi que des discussions ont lieu avant et après des événements météorologiques pour revoir les activités quotidiennes pendant l'hiver. L'appelante soutient qu'un rapport d'évaluation de la vérification produit par Transports Canada en novembre 2012 ne contenait qu'une seule conclusion défavorable, qui n'était liée ni au déneigement ni au déglaçage.

[19]             Les observations fournissent d'autres détails sur les procédures de déneigement et de déglaçage, qui montrent que l'équipe de déneigement se sépare en deux après qu'une piste a été dégagée, une moitié de l'équipe étant affectée aux voies de circulation et l'autre moitié à l'aire de trafic principale, qui comprend les portes d'embarquement. Le rythme des procédures et la taille des équipes de déneigement et des ressources affectées peuvent varier selon les conditions météorologiques. En ce qui concerne plus particulièrement l'aire de trafic, le plan d'entretien hivernal insiste sur l'utilisation d'une balayeuse mécanique, qui nettoie les allées de circulation et les lignes d'entrée jusqu'aux portes d'embarquement. Le plan note que, pour faciliter le déneigement, les transporteurs doivent retirer le matériel d'une zone de sécurité de 7,5 mètres (environ 25 pieds) entourant un aéronef, également appelée « zone stérile », et ajoute ce qui suit :

[traduction] Les équipes de déneigement de l'Administration ne doivent pas s'approcher à moins de 7,5 mètres d'un aéronef sans avoir obtenu les instructions et les directives du personnel de la compagnie aérienne.

[20]             L'appelante décrit les effectifs ainsi que le matériel et les fournitures généralement affectés au déneigement et au déglaçage dans un aéroport qui peut recevoir, en moyenne, quelque 235 cm de neige par année, en plus d'autres précipitations mixtes. En ce qui concerne plus particulièrement le jour et l'heure de l'incident, les statistiques fournies corroborent l'affirmation de l'appelante selon laquelle il y avait des périodes de chute de neige continuelle et qu'une équipe et demie de déglaçage et de déneigement était en service le soir du 3 janvier et pendant toute la journée du 4 janvier. De même, les comptes rendus de l'état de la surface des pistes de l'Administration indiquent que, pendant la période du 1er au 5 janvier 2013, des activités de déneigement ont eu lieu, y compris dans l'aire de trafic près de la porte d'embarquement 16.

[21]             L'appelante soutient qu'en plus des activités normales de déneigement et de déglaçage, les exploitants côté piste comme Air Canada peuvent faire des demandes de service particulières lorsqu'une situation exige des mesures immédiates. Ces demandes sont adressées au Centre des opérations de l'aéroport, qui coordonne les demandes avec les équipes d'entretien hivernal. L'appelante précise que, selon les procédures énoncées dans le plan d'entretien hivernal, les exploitants côté piste doivent être prêts à rencontrer les équipes de l'Administration sur les lieux visés par la demande particulière. L'Administration tient un journal de ces demandes de service, et l'appelante écrit que, le 4 janvier 2013, des transporteurs, y compris Air Canada, ont demandé une aide prioritaire pour le déneigement et le déglaçage à d'autres portes d'embarquement, mais pas à la porte d'embarquement 16.

[22]             Après avoir fait les observations ci-dessus au sujet des conditions météorologiques qui prévalaient le 4 janvier 2013, l'appelante fait valoir que, même si je devais établir qu'il y avait une accumulation de neige ce jour-là, ce qui constituerait une infraction au Règlement, l'employeur peut tout de même être jugé non coupable si l'on peut prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a exercé une diligence raisonnable pour éviter l'infraction.

Analyse

[23]             Comme je l'ai indiqué précédemment, la question que je dois trancher est celle de savoir si l'agente de SST a eu raison de conclure à une infraction de l'alinéa 125(1)p) du Code et du paragraphe 2.14(1) du RCSST et d'émettre l'instruction visée par le présent appel. Les observations de l'appelante se limitent aux observations écrites mentionnées ci-dessus, et il n'y a pas d'intimé dans cette instance. D'entrée de jeu, il est utile de citer les dispositions législatives pertinentes.

L'alinéa 125(1)p) du Code énonce ce qui suit :

125.(1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

p) de veiller, selon les modalités réglementaires, à ce que les employés puissent entrer dans le lieu de travail, en sortir et y demeurer en sécurité;

Le paragraphe 2.14(1) du RCSST énonce ce qui suit :

2.14(1) Les escaliers, passerelles, plans inclinés et passages extérieurs susceptibles d'être utilisés par des employés doivent être libres de toute accumulation de glace, de neige ou d'autres matières pouvant faire glisser ou trébucher les employés.

[24]             Le premier motif d'appel invoqué par l'appelante repose sur la présence ou non d'une accumulation de neige et de glace. En faisant référence à la description soulignée de l'infraction dans le texte de l'instruction (voir le paragraphe 13 ci-dessus), l'appelante soutient en effet que l'absence du mot « accumulation » dans ce libellé invalide la conclusion d'infraction au paragraphe 2.14(1) du RCSST. J'ai du mal à accepter cet argument. En prenant connaissance de l'information mise à ma disposition, je note, d'après les photos fournies par le SPO, que la surface entourant les lieux de l'incident était recouverte de neige. Quant à savoir si la quantité de neige suffit pour parler d'« accumulation », c'est une question de définition. Même si je comprends que les racines étymologiques du mot « accumulation » suggèrent l'idée d'un amoncellement, je doute que l'usage courant de ce mot exige autant de précision. De plus, le texte de l'instruction cite les dispositions législatives en cause, notamment un passage du paragraphe 2.14(1) du RCSST : « libres de toute accumulation de glace, de neige ou d'autres matières pouvant faire glisser ou trébucher les employés ». Les agents de police déployés sur les lieux très peu de temps après que M. Cole ait été heurté ont indiqué qu'ils avaient constaté, en sortant de leur véhicule, que la neige damée était glissante.

[25]             De plus, il n'est pas raisonnable, à mon avis, comme le fait l'appelante, de sortir de son contexte un certain libellé souligné du texte de l'instruction, lequel doit, selon moi, être lu et compris dans son ensemble. L'ayant fait, j'en arrive à la conclusion que l'agente de SST connaissait très bien le texte législatif et que la partie soulignée du texte ne vise qu'à préciser certains détails et le lieu où elle estimait que l'infraction était survenue. Par conséquent, je n'accepte pas l'argument de l'appelante concernant la sémantique de l'instruction. Toutefois, cela ne règle pas la question de l'affirmation de l'appelante mentionnée au paragraphe 16 ci-dessus, selon laquelle l'instruction établit une norme de perfection « qui est pratiquement impossible à atteindre » Il convient d'examiner cette question dans le contexte du second argument de l'appelante.

[26]             Avant de le faire, j'estime cependant utile de revenir sur l'incident qui a amené l'agente de SST sur les lieux. L'incident s'est produit dans un lieu de travail sous le contrôle d'Air Canada, même si ce contrôle était divisé et partagé dans une certaine mesure avec l'Administration. Des employés d'Air Canada ont été directement touchés par cet incident, qui concerne aussi du matériel appartenant à la compagnie aérienne et une procédure de chargement approuvée par celle-ci. Après avoir mené une enquête approfondie sur l'incident, l'agente de SST a émis trois instructions à l'intention d'Air Canada. Deux de ces instructions se rapportaient à des infractions d'alinéas précis du paragraphe 125(1) du Code. La troisième instruction concernait une infraction de l'article 124, soit l'obligation générale de l'employeur de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. Comme la nature de l'infraction précisée dans cette dernière instruction a des conséquences sur ma décision dans le cadre du présent appel, j'estime utile de citer son libellé :

[traduction] L'employeur a manqué à son obligation de veiller à ce que l'Administration de l'Aéroport international MacDonald-Cartier d'Ottawa déneige et déglace l'aire de trafic pour assurer la sécurité de ses employés.

[27]             Dans son observation sur la diligence raisonnable, l'appelante résume les mesures prises par l'Administration pour s'acquitter de ses obligations de déneigement et de déglaçage précisées ci-dessus. Elle fait remarquer que l'Administration [traduction] « a un plan d'entretien hivernal qui respecte les normes de l'industrie » et que ce plan « a été préparé en consultation avec les intervenants afin qu'il tienne compte des besoins des compagnies aériennes et de tous les risques potentiels. » L'appelante affirme ainsi que l'Administration [traduction] « a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter l'accumulation de neige et glace » et qu'elle « a toujours fait preuve de diligence raisonnable pour se conformer au paragraphe 2.14(1) ».

[28]             Dans le cadre de son argument, l'appelante souligne que la défense de diligence raisonnable est expressément reconnue comme un moyen de défense au paragraphe 148(4) du Code et cite à cet égard le passage suivant : « [...] l'accusé peut se disculper en prouvant qu'il a pris les mesures nécessaires pour éviter l'infraction. » Il importe de préciser que ce renvoi législatif à la diligence raisonnable s'applique tout particulièrement lorsqu'une poursuite pour infraction est intentée, ce qui n'est pas le cas dans le présent appel.

[29]             Cela dit, je ne peux pas faire fi des affirmations de l'appelante sur l'étendue du plan d'entretien hivernal de l'Administration, un plan fait en consultation avec les compagnies aériennes, affirmations qui sont appuyées par les renseignements annexés aux observations de l'appelante. De même, le personnel et le matériel affectés aux tâches de déglaçage et de déneigement et les procédures s'y rapportent sont bien documentés, comme le sont les conditions météorologiques qui prévalaient au moment de l'incident et des blessures subies par M. Cole, qui indiquent des périodes de neige continue. Il est également évident que les opérations aériennes d'Air Canada et tout le mouvement associé autour de la porte d'embarquement 16 se poursuivaient malgré le temps qu'il faisait. Bref, il serait très difficile, voire impossible, d'appliquer de façon littérale le libellé des dispositions en cause.

[30]             Je crois également qu'il est juste de prendre en considération que l'Administration s'attendait, conformément au plan d'entretien hivernal, à recevoir une demande d'Air Canada au sujet d'une situation exigeant « des mesures immédiates ». Bien que M. Barre ait dit à la sergente du SPO qu'il s'était plaint à son superviseur environ une heure avant l'incident des conditions insatisfaisantes sur le tarmac, le Blackberry de M. Sexton avait enregistré un mauvais état de la surface à 12 h 47, soit environ trois minutes avant l'incident. De plus, les dossiers de l'Administration montrent qu'aucune demande de service prioritaire n'a été faite pour la porte d'embarquement 16 le 4 janvier 2013.

[31]             En l'occurrence, une situation existait où, à première vue, une infraction du libellé prescrit du paragraphe 2.14(1) du RCSST semble avoir été commise. Je dois cependant tenir compte du contexte pour prendre ma décision. Ce contexte comprend les conditions météorologiques qui prévalaient et la poursuite des services de vol dans l'aire de trafic à la porte d'embarquement 16, qui ont empêché les équipes de déneigement de l'Administration d'accéder à la zone sans les instructions et directives du transporteur aérien.

[32]             De plus, et comme le confirme l'instruction émise par l'agente de SST à l'intention d'Air Canada mentionnée au paragraphe 26 ci-dessus, l'Administration n'a reçu aucune demande de déneigement et de déglaçage prioritaire pour la porte d'embarquement 16. Il y a une jurisprudence sur des circonstances où l'employeur n'était pas au courant de la contravention potentielle, qui me semble pertinente dans cet appel. Je fais référence à la décision de la Cour fédérale dans la cause Westcoast Energy Inc. et le Procureur général du Canada ([1995]C.F.J. no 1584). Dans cette affaire, un agent d'appel (appelé à cette époque « agent régional de sécurité ») a établi qu'il y avait eu violation de l'alinéa 125(1)v) du Code (maintenant l'alinéa w)) et de l'article 12.1 du RCSST en arrivant à la conclusion que les employés ne portaient pas l'équipement respiratoire prescrit. Dans sa décision, le juge Cullen a conclu que l'employeur n'était pas au courant du fait que ses employés contrevenaient à la politique concernant l'équipement respiratoire et a annulé la décision de l'agent d'appel. Dans le présent cas, l'Administration n'a reçu aucune demande de service relative à une situation exigeant une intervention immédiate.

Décision

[33]             Pour les motifs énoncés plus haut et en application de l'alinéa 146.1(1)a) du Code, j'annule l'instruction émise par l'agente de SST Suzanne Arsenault le 22 février 2013.

Michael McDermott
Agent d'appel

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