2015 TSSTC 11
Date: 2015-06-25
Dossiers : 2012-40, 2012-43, 2012-44
Entre :
La Société canadienne des postes, Appelante
et
Pierre Gatien et al., Intimés
et
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, intervenant
Indexé sous : La Société canadienne des postes v. Gatien et al
Affaire : Appels interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre de trois instructions émises par deux agentes de santé et de sécurité.
Décision : Les instructions sont annulées.
Décision rendue par : M. Olivier Bellavigna-Ladoux, Agent d’appel
Langue de la décision : Français et Anglais
Pour l’appelante : Mme Caroline Richard, Avocate, Bird Richard
Pour l’intimé : M. Pierre Gatien (pour lui-même)
Pour l’intervenant : M. David Bloom, Avocat, Cavalluzzo Shilton McIntyre & Cornish LLP
Référence : 2015 TSSTC 11
MOTIFS DE DÉCISION
[1] Il s’agit de trois appels déposés par la Société canadienne des postes (Poste Canada) (le premier le 12 juin 2012 et les autres le 3 juillet 2012), à l’encontre de trois instructions de danger émises le 8 juin 2012, le 29 juin 2012 et le 10 juillet 2012 par les agentes de santé et de sécurité (« agentes de SST ») Jessica Tran et Marie-France Carrier, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.
Contexte
[2] Cette affaire origine du refus de travailler exercé par sept facteurs et factrices ruraux et suburbains (« FFRS ») dans les régions de St-Lazare et Vaudreuil-Dorion en juin et juillet 2012. M. Gérald Desgroseilliers, M. Léonard Smith, Mme Katherine Riley, Mme Bélinda Hubert, M. Pierre Gatien, Mme Guylaine Bissonnette et Mme Lise-St-Marseille ont exercé leur droit de refuser de travailler, en l’instance, de livrer du courrier à certaines boîtes aux lettres rurales (« BLR ») en se fondant sur les préoccupations suivantes :
- La présence d’une ligne simple continue interdisant le dépassement selon le Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2 (« CSR »);
- L’emplacement des BLR à une distance de moins de 5.25 mètres de la limite de l’accotement;
- L’interdiction d’arrêter dans une zone de limite de vitesse de 70 km/h selon le CSR;
- Les conditions météorologiques;
- La présence de camions, véhicules automobiles, cyclistes et piétons à proximité des BLR.
[3] Selon le rapport des agentes de SST Jessica Tran et Marie-France Carrier, les FFRS ont invoqué comme motif pour refuser d’exécuter leurs tâches, le fait de devoir effecteur la livraison du courrier aux BLR alors que leurs véhicules empiètent sur la chaussée, ce qui oblige les autres conducteurs venant dans le même sens à les contourner. Les FFRS se font dépasser malgré la présence d’une ligne axiale centrale continue qui interdit les dépassements.
[4] Les deux agentes de SST ont procédé à une enquête aux trois lieux de travail en question et sont arrivées à la même conclusion. Elles ont conclu à l’existence d’un danger puisque l’employeur ne s’est pas acquitté de toutes ses obligations en matière de contrôle et d’élimination du risque de collision. Selon les agentes de SST, certaines BLR pourraient être déplacées à un autre endroit pour permettre aux véhicules des FFRS de se positionner hors chaussée. Dans le cas où il n’est pas possible de faire déplacer ces BLR, le mode de livraison devrait être changé. Les agentes de SST ont de plus conclu que l’exception prévue à l’alinéa 128(2)b) ne s’appliquait pas puisque selon elles, le danger ne constitue pas une condition normale d’emploi.
[5] Elles ont donc émis trois instructions similaires à l’employeur en vertu de l’alinéa 145 (2)a). L’instruction émise le 29 juin 2012 se lit ainsi :
DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE
L’ALINÉA 145(2)a)
[…]
Ladite agente de santé et sécurité estime que la livraison du courrier aux boites aux lettres rurales sur des routes à 50 km/h et plus à circulation à double sens (2 voies) où il y a une ligne axiale centrale simple continue et où l’accotement (ou la non présence de l’accotement) ne permet pas au véhicule du facteur de dégager complètement la route constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :
Le fait d’immobiliser le véhicule du facteur sur la chaussée de manière à entraver (gêner) la circulation des véhicules circulant dans le même sens, augmente le risque de fausses manœuvres des automobilistes qui contournent le véhicule du facteur en traversant la ligne axiale centrale continue. Lors d’une autre enquête réalisée le 25 mai 2012, un véhicule de type standard était en arrêt entravant la voie de circulation sur la route St-Louis pour se mettre en position de livraison. Un véhicule de type de Ford F150 a fait un manœuvre de dépassement pendant qu’un véhicule d’Hydro-Québec venait en sens inverse. Le véhicule d’Hydro-Québec a freiné brusquement en crissant les pneus pour finir par aller sur l’accotement pour éviter le véhicule de type Ford F150 à la hauteur du véhicule de Poste Canada. De plus, un incident semblable est survenu sur la route St- Féréol le 17 mai 2012 pendant l’enquête de l’employeur. Le fait que les automobilistes doivent traverser la ligne axiale centrale continue pour contourner le véhicule de Poste Canada qui est immobilisé et entrave une partie de la chaussée constitue un danger accru de collision pour les véhicules en circulation et le véhicule de Poste Canada, pouvant entrainer des blessures graves a l’employé. Cette situation est notamment présentée sur les routes chemin St-Grégoire et chemin St-Antoine. La même situation avait été constatée les 18 et 25 mai 2012 sur les routes St-Louis, chemin de Fleuve, St-Féréol, Lotbinière et Chevrier et une instruction avait alors été émise par l’agente de SST Jessica Tran le 8 juin 2012.
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145 (2)a) de la Partie II du Code canadien du travail de procéder immédiatement à la protection des personnes contre ce danger.
[…]
[6] Dans le dossier concernant le refus de Mme Bélinda Hubert, M. Gérald Desgroseilliers, Mme Katherine Riley et M. Léonard Smith, l’appelante a déposé une demande de suspension de l’instruction. Cette demande de suspension fut rejetée par l’agent d’appel dans la décision Société Canadienne des Postes c. Gérald Desgroseillers et al. et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2012 TSSTC 23.
[7] Avant la tenue de l’audience, M. David Bloom, au nom du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a déposé une demande pour obtenir le statut d’intervenant. L’appelante a appuyé la demande du STTP et les intimés ont choisi de ne pas fournir d’observations concernant la demande. Lors de la conférence préparatoire à l’audience, j’ai accordé la demande du STTP.
[8] Considérant la similitude factuelle des trois dossiers, ils ont été joints pour l’audience qui s’est tenue à Montréal du 15 au 19 juillet 2013, du 11 au 14 février 2014, ainsi que le 15 mai 2014.
[9] Suite à la réception des demandes d’appel des trois instructions, le registraire du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (« Tribunal ») avait contacté les employés ayant exercé leur droit de refus de travailler pour les informer des appels déposés par l’employeur. Initialement, quatre employés avaient indiqués vouloir participer à l’audience et s’étaient présentés à la première série de dates d’audience en juillet 2013. Peu avant la continuation de l’audience au mois de février 2014, trois des quatre employés avaient informé le Tribunal de leur désir de se désister des procédures d’appel. M. Gatien, FFRS à Vaudreuil-Dorion, est le seul des sept employés ayant choisi de présenter de courtes observations écrites.
[10] À la demande de l’agent d’appel, les deux agentes de SST, Mme Jessica Tran et Mme Marie-France Carrier sont venues témoigner à l’audience. Lors de leurs témoignages, elles ont expliqué les circonstances entourant leurs enquêtes et les motifs qui sous-tendent leurs décisions d’émettre les instructions faisant l’objet de l’appel
Question en litige
[11] La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si les trois instructions émises à l’employeur par les agentes de SST Tran et Carrier indiquant l’existence d’un danger en regard de la sécurité routière étaient fondées.
Observations des parties
A) Observations de l’appelante
[12] Lors de l'audition, l'appelante a demandé aux personnes suivantes de venir témoigner: Madame Geni Bahar, présidente de Navigats Inc. (ITrans Consulting auparavant), experte en sécurité routière ayant supervisé l'élaboration de l’Outil d'Évaluation de la Sécurité Routière (OÉSR), Monsieur Yves Bédard, Directeur national des opérations FFRS chez Poste Canada, M. Alexandru Gonta, Agent du service rural de livraison chez Poste Canada et évaluateur accrédité pour l'application de l'OÉSR (évaluation des BLR) sur les trajets de livraison postale, ainsi que M. Carl Paquet, Agent de planification à la livraison chez Poste Canada.
[13] L’appelante soutient que la livraison aux BLR ne constitue pas un danger tel que défini par le Code puisque l’employeur a élaboré et mis en œuvre l'OÉSR et d’autres mesures conjointes pour maintenir à un niveau sécuritaire les risques associés à la livraison aux BLR. Au soutien de cet argument l’appelante cite Robitaille et Via Rail Ltd., 2005 D.A.A.C.C.T. no.55, Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158, et Verville c. Canada (Service Correctionnel), 2004 CF 767.
[14] L’OÉSR est un outil qui a été développé dans le but d’évaluer la sécurité de la livraison aux BLR selon certains critères, notamment, le volume et la vitesse de la circulation, la configuration et les caractéristiques de la route et les lignes de visibilité appropriées. L’OÉSR mesure les risques associés à la livraison aux BLR, y compris le laps de temps requis pour qu’un FFRS puisse se réintégrer à la circulation après s’être arrêté sur l’accotement, les possibilités de collision ainsi que les types de collisions qui peuvent se produire dans le cas où un conducteur rencontre un véhicule de FFRS arrêté sur l’accotement avec les roues partiellement sur la rue.
[15] L’appelante explique le caractère unique et innovateur de l’OÉSR et réitère le témoignage de Mme Bahar à l’effet que l’OÉSR est un outil fondé sur le comportement des automobilistes, qui offre la meilleure méthodologie disponible afin d’évaluer un risque relatif et acceptable. L’appelante soutient que toutes les BLR au Canada ont été évaluées avec l’OÉSR.
[16] L’appelante soutient aussi que l’OÉSR a été accepté unanimement par le Tribunal comme étant un outil assurant que les risques associés à la livraison aux BLR soient réduits à un niveau minimal. D’après l’appelante, le Tribunal n’a jamais questionné le fondement scientifique ni la fiabilité de l’OÉSR. À l’appui à cette prétention, l’appelante réfère à la décision de l’agent d’appel Richard Lafrance dans D. Morrison et autres, C. McDonnell et autres et Société canadienne des postes,Décision nº: OHSTC-09-032 ; et Pamela Townsend et Grant Leblanc c. Société canadienne des postes, 2010 TSSTC 7. En outre, À l’appui de sa prétention que l’OÉSR réduit à un minimum les risques associés à la livraison aux BLR, et notamment, la possibilité qu’une collision survienne, l’appelante réfère aux décisions : Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2012 TSSTC 16 ; Société canadienne des postes, 2012 TSSTC 34 ; Société canadienne des postes et Diana Baird et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,2013 OHSTC 31.
[17] D’après l’appelante, puisque le Tribunal a de façon unanime dans plusieurs autres décisions conclut que l’OÉSR réduit à un minimum la possibilité qu’une collision survienne, l’agent d’appel ne peut se baser ni sur le CSR et ni sur les normes du Ministère des Transports du Québec (Transport Québec) pour en tirer une conclusion contraire.
L’enquête et les conclusions des agentes de SST
[18] L’appelante souligne que les agentes de SST Tran et Carrier ont seulement visité quelques BLR situées sur les sept routes de livraison et qu’elles n’ont pris aucune mesure pour déterminer s’il y avait suffisamment de distance de visibilité pour permettre à un automobiliste rencontrant le véhicule d’un FFRS stationnée partiellement ou complètement sur la chaussée d’effectuer un dépassement sécuritaire.
[19] De plus, l’appelante soumet que les agentes de SST ont fondé leur décision de danger sur une interprétation du CSR selon laquelle les automobilistes rencontrant un véhicule de FFRS stationnée partiellement ou complètement sur la chaussée ne sont pas autorisés à dépasser le véhicule sur une route ayant une ligne axiale centrale continue. Les agentes de SST ont aussi confirmé lors de leur témoignage à l’audience que, mise à part le 1256 St-Féréol, il n’y a pas de danger pour les FFRS lorsque qu’une BLR est située sur un segment de route ayant une ligne centrale simple discontinuée puisque les automobilistes ont le droit de dépasser le véhicule de FFRS. Conséquemment, selon les deux agentes de SST, la seule différence qui existe entre les BLR qui sont jugées sécuritaires et celles qui sont jugées dangereuses est la présence ou l’absence d’une ligne médiane simple continue.
[20] L’appelante est d’avis que les deux agentes de SST ont conclu à l’existence d’un danger en se basant uniquement sur un incident qui est survenu lors de leur enquête à St- Lazare sur la route St-Louis (ci-après l’incident), et ce malgré le fait qu’il n’y a pas eu de collision. Selon l’appelante, les agentes de SST ont utilisé cet incident isolé pour statuer sur toutes les BLR sur les trajets des sept FFRS sans les avoir observés.
[21] L’appelante réfère au témoignage de M. Gonta à l’effet que lors de l'incident le dépassement était tout à fait normal et qu’il ne s’était pas senti en danger. L’appelante prétend que ce témoignage est plus crédible que celle des agentes de SST puisqu’elle n’est pas empreinte d’émotions ou de subjectivité. L’appelante précise que M. Gonta évalue depuis plusieurs années des BLR et a donc une expérience particulière concernant la circulation sur des routes rurales. Selon l’appelante, M. Gonta a une compréhension approfondie de l’OÉSR, qui est construit pour assurer un périmètre de sécurité permettant le type de dépassement qui a eu lieu sur la route St-Louis à St-Lazare.
[22] L’appelante soumet que puisque cet incident de dépassement a eu lieu sur une route ayant une ligne axiale centrale continue, les agentes de SST ont erronément conclu que le risque de collision était accru dans les zones où un dépassement est interdit. L’appelante soumet, au contraire, que la preuve empirique et scientifique démontre que la majorité des collisions sont le résultat de l’inattention des conducteurs, de la vitesse ou de manœuvres inattendus.
[23] L’appelante soumet que l’application de l’OÉSR écarte les risques associés au comportement des autres conducteurs puisqu’il tient compte de tous les risques de collision notés par les FFRS et par les agentes de SST Tran et Carrier.
Limites de vitesse et distances de visibilité
[24] Contrairement aux allégations des agentes de SST selon lesquelles l’OÉSR ne tient pas compte des automobilistes qui ne respectent pas les limites de vitesse, l’appelante soutient que l’OÉSR est fondé sur la supposition que les automobilistes rencontrant des FFRS stationnés sur la chaussée roulent à une vitesse de 90 km/h à 95 km/h, soit 40 km/h de plus que la limite de 50 km/h et 20 km/h de plus que la limite sur St-Féréol qui est de 70 km/h. L’appelante soumet qu’étant donné qu’il est improbable que des automobilistes circulent à une vitesse de 90 à 95 km/h sur des routes dont la limite de vitesse est de 50 km/h, les distances de visibilités établies par l’OÉSR sont plus grandes et le risque de collision est par conséquent minimisé.
[25] De plus, l’appelante fait valoir que l’OÉSR assure que lorsque les automobilistes choisissent de dépasser un véhicule de FFRS stationnée sur la chaussée, ils auront suffisamment de temps pour le faire sans heurter un autre véhicule.
[26] L’appelante soumet que l’OÉSR est fondé sur des distances de visibilité qui sont plus strictes que les normes du Ministère du Transport du Québec et du CSR et les agentes de SST n’auraient pas dû se fier sur ces normes provinciales. L’appelante prétend que l’opinion de Nancy Leduc de la Sureté Québec et celle de M. Pascal Lacasse, fonctionnaire du Ministère du Transport, ne devraient pas être retenues parce qu’ils n’ont aucune expertise en sécurité routière.
[27] L’appelante réfère au témoignage de Mme Bahar qui a expliqué que les délais utilisés par l’OÉSR sont plus conservateurs que ceux utilisés par le Ministère pour le marquage des routes. D’après Mme Bahar, l’OÉSR utilise la même formule que le Ministère. Cette formule est reconnue par l’Association des Transports du Canada et est appliquée partout au Canada pour établir les distances de visibilité. Mme Bahar a aussi expliqué que l’OÉSR modifie la formule du Ministère pour assurer une plus grande distance de visibilité et un plus grand temps de réaction pour les automobilistes qui rencontrent des FFRS stationnés sur la chaussée.
[28] Mme Bahar a aussi indiqué que le délai de passage que le FFRS doit attendre pour réintégrer la voie de circulation est plus conservateur que les normes du Ministère, à savoir moins de 30 secondes (25 secondes).
[29] L’appelante soumet de plus que le conservatisme de l’OÉSR en comparaison avec les normes du Ministère est démontré par le fait que lorsque l’OÉSR est appliqué aux BLR sur un trajet en particulier, même sur des segments de route ayant une ligne simple discontinue, des BLR doivent être déplacées puisqu’il n’y a pas suffisamment de distances de visibilité selon les critères de l’OÉSR. L’appelante soutient ainsi que l’OÉSR est la seule méthodologie qui réduit à un minimum le risque associé à la livraison aux BLR.
[30] D’après l’appelante, les agentes de SST ont erronément conclu qu’étant donné que le CSR interdit le dépassement au Québec que l’on soit en présence d’une ligne médiane continue simple ou double, l’OÉSR devrait traiter ces deux types de marquage de la même façon et également exiger le déplacement automatique des BLR situés sur des routes où l’on retrouve une ligne médiane continue simple. Par contre, l’appelante soumet que, selon la norme de marquage du Ministère, la ligne simple est utilisée dans les secteurs où la voie de circulation est moins de 6m alors que la ligne double continue est une norme appliquée partout au Canada par les concepteurs de route lorsqu’il n’y a pas suffisamment de distance de visibilité pour permettre un dépassement. À cet effet, l’appelante réfère à la page 96 du Rapport sur les fondements de l’OÉSR aux BLR, pièce E-8 qui explique ce qui suit :
Pour le scénario d’une route à 2 voies dans lequel le véhicule de l’employé FFRS est arrêté sur la route, on prend en compte la présence (ou l’absence) d’une ligne médiane double jaune et continue avant d’évaluer le volume seuil en raison du caractère limité de la distance de visibilité pour dépassement à l’endroit en question, c’est-à-dire qu’un conducteur qui rencontre le véhicule de FFRS arrêté pourrait ne pas disposer d’une distance de visibilité assez longue pour qu’il puisse le dépasser.
[31] L’appelante soutient que, contrairement à la conclusion des agentes de SST, les évaluateurs de l’OÉSR ne sont pas obligés d’appliquer les normes provinciales. Plutôt, l’appelante fait valoir que l’OÉSR s’applique de façon universelle partout au Canada puisqu’il assure suffisamment de distance de visibilité pour permettre à tout véhicule de dépasser un FFRS stationné sur la chaussée avec un faible risque de collision, et ce même lorsque le marquage sur la route interdit le dépassement.
[32] L’appelante soumet que l’OÉSR prévoit que l’emplacement d’une BLR pourrait être jugé sécuritaire malgré le fait que les FFRS doivent se stationner sur la voie de circulation si tous les critères suivants sont respectés :
- un délai de perception de 11 secondes derrière le véhicule du FFRS;
- un délai de perception de 14 secondes devant le véhicule du FFRS (correspondant au temps de dépassement);
- le nombre maximal de véhicules dans un délai de 15 minutes doit être égale ou inférieur à 40 véhicules.
[33] Lorsqu’une BLR ne satisfait pas à l’un de ces critères, son emplacement est jugé non sécuritaire et doit être modifié. Dans un tel cas, la BLR est soit déplacée à un endroit plus sécuritaire sur la route ou son emplacement est complètement éliminé. L’appelant réfère aux témoignages de M. Gonta et de M. Paquet qui ont confirmé les changements apportés et déplacements effectués de BLR sur les trajets des 7 FFRS qui ont refusé de travailler.
[34] En ce qui a trait à la conclusion des agentes de SST que l’appelante ne se conformait pas aux exigences des articles 384 et 418 du CSR, l’appelante reprend le témoignage de M. Bédard, à l’effet que le Québec est la seule province dont les règlements de la route interdisent l’arrêt sur les routes dont la vitesse maximale est moins de 80 km/h. Donc avant mai 2008, si une BLR était située sur une route ayant une limite de vitesse de 70 km/h ou plus, elle était automatiquement déplacée. Par contre, lors du développement de l’OÉSR, M. Bédard avait contacté le Ministère pour demander une exemption à cette obligation uniquement à l’égard des FFRS en cours de livraison. En réponse à cette demande, le Ministère avait confirmé que les policiers ne « remettent pas de contravention aux postiers qui immobilisent leur véhicule sur la chaussée, compte tenu qu’ils auraient une défense d’impossibilité ».
[35] L’appelante soumet que, bien que les agentes de SST n’ont pas considéré cette confirmation sur la base qu’elle ne constituait pas un avis juridique, celle-ci avait été donnée pour éviter de devoir modifier le texte du CSR. De plus, l’appelante soutient que puisque les FFRS ne s’immobilisent sur la chaussée que pour effectuer des livraisons, cette exemption est logique et raisonnable.
Conditions météorologiques
[36] Quant aux risques causés par les conditions météorologiques, l’appelante invoque l’alinéa 126(1)c) du Code qui prévoit que l’employé au travail est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre santé et sécurité. De plus, l’appelante invoque l’alinéa 126(1)g) qui précise que l’employé est tenu de signaler à son employeur tout objet ou toute circonstance qui, dans un lieu de travail, présente un risque pour sa santé ou sa sécurité ou pour celle de ses collègues de travail. L’appelante soumet qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un FFRS qui constate un tel risque le signale à son employeur y compris lorsque les BLR sont mal entretenues ou qu’un banc de neige obstrue la visibilité pour les autres conducteurs. Elle ajoute que lorsque ce risque est signalé à leur superviseur, la responsabilité d’y remédier incombe à l’employeur.
[37] L’appelante reprend le témoignage de Mme Bahar, qui affirme que l’OÉSR est fondé sur des conditions routières mouillées et que par conséquent, les conditions hivernales n’invalident pas les résultats de l’OÉSR.
[38] M. Bédard, M. Gonta et M. Paquet ont expliqué que la situation hivernale peut être résolue en appliquant la politique 1202.05 de la Société intitulée « Dangers et obstacles à la livraison » selon laquelle les FFRS ne doivent pas livrer le courrier aux BLR s’ils jugent que pour des raisons météorologiques, la livraison n’est pas possible, notamment en cas de bancs de neige créant un obstacle à la visibilité. M. Bédard a confirmé que cette politique a été expliquée aux FFRS lors des séances de formation.
[39] L’appelante souligne de plus, que d’après M. Gonta, les BLR sont évaluées par l’OÉSR dès qu’un FFRS, un membre de l’équipe de gestion ou tout autre employé de la Société en fait la demande. S’il n’est pas possible de procéder à l’évaluation en raison des conditions météorologiques, la livraison est interrompue jusqu’à ce que les BLR puissent être évaluées. Dans un tel cas, le courrier est temporairement acheminé à une boite postale individuelle ou selon toute autre option choisie par le client. L’appelante soutient ainsi qu’elle dispose de procédures pour pallier aux conditions météorologiques pour éviter que les FFRS ne soient exposés à un danger. L’appelante réfère à la décision Société canadienne des postes, 2012 TSSTC 34 dans laquelle l’Agente d’appel a reconnu que la mise en œuvre des mesures pour contrôler les conditions météorologiques fait en sorte de réduire à un minimum le risque potentiel.
Fossés et présence des véhicules et piétons sur la route
[40] En réponse à la prétention des FFRS qu’il y a présence de fossés sur leur trajet, et que par conséquent, ils sont forcés d’immobiliser leur véhicule sur la voie de circulation lors de la livraison parce qu’il n’y a pas d’accotement, l’appelante cite la décision Morrison dans laquelle l’agent d’appel a décidé que cela ne constituait pas un danger puisque la conduite du véhicule demeure sous le contrôle du FFRS, à qui il appartient de décider dans quelle mesure il peut approcher son véhicule du bord du fossé.
[41] En réponse à la prétention des FFRS qu’ils doivent partager la route avec des camions à 18 roues à St Lazare, l’appelante soumet que l’OÉSR prend en compte la présence de camions et de poids lourds sur les routes. L’appelante soumet que cette préoccupation a aussi été traitée dans la décision Morrison où l’agent d’appel a conclu que l’employeur n’exerce aucun contrôle sur une telle situation.
[42] En conclusion, l’appelante demande au tribunal d’annuler les instructions de danger et de suivre les décisions précédentes traitant des mêmes circonstances en concluant que le risque de collision est réduit à un minimum et que tout risque résiduel constitue une condition normale d’emploi conformément à l’article 128(2).
B) Observations de l’intimée
[43] M. Gatien reconnaît la qualité de l’OÉSR et admet que suite à l’évaluation des BLR, une proportion significative des BLR ont été déplacées ou éliminées sur sa route de distribution de courrier. M. Gatien soumet cependant que l’OÉSR a ses limites et ne tient pas compte, notamment de l’excès vitesse, de la mauvaise évaluation de dépassement par les automobilistes et de la conduite agressive de certains automobilistes. D’après lui, le risque non régi par l’outil est le plus menaçant.
[44] M. Gatien cite en exemple l’incident survenu à St-Lazare impliquant un camion d’Hydro-Québec qui a été causé, selon lui, par une mauvaise évaluation du temps de dépassement d’un automobiliste qui était pressé. Il ajoute que le fait que le véhicule du FFRS était partiellement sur la chaussée laissait plus d’espace pour permettre le dépassement que si le véhicule l’avait obstrué complètement.
[45] M. Gatien conclut en disant que le risque de collision doit être évalué de façon la plus pointue possible pour supprimer le risque résiduel dont l’outil OÉSR ne tient pas compte.
C) Observations de l’intervenant
[46] L’intervenant soumet que le Tribunal a, dans plusieurs autres dossiers similaires, accepté l’OÉSR comme un outil efficace et fiable pour évaluer la sécurité de la livraison aux BLR. Il cite à cet effet : Morrison et Townsend, Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2012 TSSTC 16 et Baird (précitée). De plus, l’intervenant soutient que le Tribunal a aussi accepté que l’immobilisation d’un véhicule sur la chaussée afin d’effectuer une livraison à une BLR ne constitue pas un danger au sens de l’article 122 du Code.
[47] L’intervenant soutient que la preuve soumise établit que toutes les routes où les employés ont refusé de travailler ont été évaluées par l’OESR. D’après l’intervenant, aucune preuve n’a été présentée pour mettre en doute l’exactitude de l’évaluation par l’OESR et le Tribunal n’a aucune raison valable pour rejeter la validité et la fiabilité de l’OESR.
[48] L’intervenant soumet de plus que la preuve dans ces dossiers appuie la conclusion que les agentes de SST ne connaissent pas complètement ou pas assez les détails de l’OÉSR de même que la jurisprudence du Tribunal sur le sujet, ce qui explique pourquoi elles ont erronément conclu à un danger. De plus, il souligne que les agentes de SST n’ont pas soumis de preuves scientifiques pour contredire la validité de l’outil. Selon l’intervenant, malgré leurs incompréhensions de l’OESR, elles ont conclu à l’existence d’un danger lorsque le véhicule de livraison s’immobilise sur une voie de circulation où se trouve une ligne axiale centrale continue pour effectuer une livraison à une BLR. Une conclusion qui est en grande partie basée sur l’incident qui s’est produit sur la Route St Louis, à St Lazarre ainsi que sur le Code de la sécurité routière du Québec qui interdit le dépassement sur les routes où l’on retrouve une ligne axiale centrale continue.
[49] Le syndicat, intervenant, soumet que les agentes de SST n’ont pas fait enquête sur cet incident et par conséquent, les détails sur ce qui s’est réellement produit ne sont pas connus. L’intervenant explique qu’aucune preuve n’a été présentée concernant la vitesse à laquelle roulaient les véhicules sur la rue St-Louis, ni indiquant que les conducteurs conduisaient de façon dangereuse lors de l’incident. D’après le syndicat, aucune preuve n’a été produite démontrant qu’un accident s’est déjà produit sur cette route ou aucune autre route dans les environs. Conséquemment, l’agent d’appel ne peut pas raisonnablement se fier sur cet incident pour conclure à l’existence d’un danger.
[50] L’intervenant souligne que les opinions de Mme Leduc de la Sureté du Québec à sur le CSR et de M. Lacasse, un fonctionnaire du Ministère des Transports, sur lesquelles les deux agentes de SST se sont largement basées sont des ouï-dire puisqu’aucun d’eux n’a témoigné à l’audience. En outre, l’intervenant soumet que Mme Leduc n’est pas une personne compétente pour interpréter le CSR et donc son opinion ne devrait pas être traitée comme celle d’un expert. L’intervenant fait aussi valoir que les deux agentes de SST ont ignoré à tort les opinions d’Ann Baril, employée du Ministère des Transports, à l’effet que la livraison aux BLR nécessitant l’immobilisation des véhicules des FRS sur la route ne viole pas le CSR.
[51] Finalement, l’intervenant soumet que les conclusions des agentes de SST Tran et Carrier sont erronées et basées sur une enquête incomplète. L’agent d’appel n’a reçu aucune preuve concernant les inquiétudes de chacun des employés ayant exercé leur droit de refus puisque ceux-ci n’ont pas témoigné à l’audience. L’intervenant, soumet donc que les appels doivent être accueillis et les instructions des agentes de SST Tran et Carrier annulées puisque les deux agentes de SST n’ont pas considéré toutes les circonstances pertinentes en rendant leurs décisions de danger.
D) Réplique
[52] L’appelante souligne dans sa réplique que le STTP et M. Gatien ont reconnu la validité et la qualité de l’OÉSR. Selon l’appelante, M. Gatien est la seule partie qui allègue que l’OÉSR a des limites. Une affirmation qui n’est pas appuyée par la preuve.
[53] L’appelante réitère que l’incident de dépassement survenu à St-Lazare ne suffit pas pour conclure à un danger. L’appelante soumet qu’au contraire, cette situation démontre que lorsqu’une BLR a rempli les critères de l’OÉSR, il y a suffisamment de distance de visibilité pour permettre le dépassement sans qu’un accident ne survienne.
[54] De plus, l’appelante souligne que M. Gatien n’a présenté aucune preuve pour démontrer que les conducteurs qui dépassent les FFRS sont incapables de juger la distance de dépassement. Au contraire, selon l’appelante, la preuve de Mme Bahar démontre que les conducteurs adaptent leur conduite pour pallier à des obstacles sur la chaussée et que l’OÉSR a été conçu pour fournir une zone de sécurité accrue permettant les dépassements.
[55] L’appelante soumet que, tel que l’indique M. Gatien dans ses observations écrites, le risque associé à la livraison à des BLR situées sur des routes qui sont marquées par une ligne simple continue et où le véhicule du FFRS est immobilisé, partiellement ou complètement sur la chaussée est résiduel et faible. Ce qui a amené le Tribunal à conclure à maintes reprises que la livraison à des BLR qui rencontrent les critères de l’OESR constitue une condition normale d’emploi.
[56] Enfin, l’appelante soumet que puisque le Tribunal a statué de façon unanime que l’OÉSR réduit à un minimum le risque de collision, l’appel devrait être accueilli et les trois instructions devraient être annulées.
Analyse
[57] La question dont je suis saisi dans ce présent appel consiste à déterminer si les instructions de danger émises par les deux agentes de SST sont bien fondées. Tel que mentionné précédemment, les 3 instructions sont identiques et identifient comme étant un danger le fait d’immobiliser le véhicule du facteur sur la chaussée de manière à entraver la circulation des véhicules circulant dans le même sens. Je dois donc déterminer si le risque de collision qui en découle constitue un danger au sens du Code.
[58] Cette question a fait l’objet de plusieurs autres décisions concernant des dossiers similaires par plusieurs de mes collègues. Dans Société canadienne des postes c. Vivian et Beeton, 2014 TSSTC 6, l’agent d’appel Pierre Hamel a fait la remarque suivante :
[52] […] Un agent d’appel n’est pas lié par les décisions des autres, étant donné que l’examen mené en vertu de l’article 146.1 du Code, et la décision qui en résulte, doivent être fondés sur une analyse des circonstances de chaque cas. Cependant, la présente affaire met en évidence la valeur des précédents et l’importance de l’uniformité dans l’application du Code en présence de circonstances récurrentes avec les mêmes parties. Comme je l’ai fait observer les faits en l’espèce sont pratiquement identiques aux faits de plusieurs autres affaires antérieures, et la question en litige a déjà été tranchée par les agents d’appel du Tribunal en se fondant sur les mêmes preuves. Les parties ont le droit de s’attendre à ce que les dispositions du Code soient appliquées de manière uniforme par ceux qui les administrent, en toute connaissance de cause et en tenant dûment compte des précédents établis par les agents d’appel et les tribunaux, prévenant peut-être ainsi des appels inutiles et les coûts qui s’y rattachent pour les parties et le Tribunal.
[59] J’abonde dans le même sens que mon collègue et considère qu’il est primordial d’assurer l’uniformité dans l’application du Code. La position de l’appelante dans ce dossier est la même qu’elle a prise dans les dossiers similaires concernant la sécurité routière à l’effet qu’elle a mis en place des mesures, tel que le développement de l’OÉSR, pour contrôler le risque associé à la livraison aux BLR. La preuve a révélé que l’OÉSR est un outil qui sert à évaluer si la livraison du courrier aux BLR est sécuritaire en regard du risque de collision possible. Mme Bahar, qui a été qualifiée comme experte en matière de l’OÉSR a confirmé que l’OÉSR mesure tous les risques associés à la livraison aux BLR, y compris le laps de temps requis par un FFRS pour réintégrer la circulation après s’être arrêté, et les possibilités de collision.
[60] Tel que soumis par l’appelante et l’intervenant, la validité et la fiabilité de l’OÉSR à minimiser les risques associés à la distribution de courrier par le FFRS ont été reconnues par plusieurs agents d’appel dans des dossiers analogues. Dans la première décision traitant de cette question (Morrison), l’agent d’appel s’est exprimé ainsi :
[316] Je retiens du document de l’OÉSR que pour qu’un emplacement [du BLR] réussisse l’évaluation, le conducteur du véhicule devait disposer d’une période de temps acceptable pour réagir à la position des autres véhicules et/ou gestes posés par leur conducteur. Cette exigence se justifie, compte tenu du comportement des conducteurs, du fait qu’une personne doit avoir suffisamment de temps pour réagir lorsqu’elle fait face à un autre véhicule qui converge dans la circulation ou lorsqu’elle arrive subitement à la hauteur d’un véhicule arrêté qui bloque partiellement la route. Le conducteur a besoin de ce laps de temps pour décider s’il arrêtera ou s’il évitera le véhicule en le dépassant du côté gauche. Cette décision doit être prise en tenant compte du véhicule arrêté ou qui converge, de la circulation qui s’en vient, de la vitesse de circulation, de la vitesse des autres véhicules et du nombre de véhicules sur la route.
[317] De plus, le FRS qui est assis dans son véhicule doit disposer d’assez de temps pour décider de converger dans la circulation. L’on a découvert que la période pendant laquelle une personne attendra un espace adéquat pour converger dans la circulation est limitée. Une fois cette période écoulée, la personne prend de moins en moins de temps pour revenir dans la circulation.
[318] À la lecture du document de l’OÉSR, j’estime qu’il est logique d’avoir besoin d’un certain laps de temps pour réagir à différentes conditions. Je crois que certaines personnes peuvent réagir plus rapidement que d’autres, mais je conclus que ITrans a retenu des laps de temps en tenant compte du temps de réaction moyen de nombreux conducteurs.
[319] À l’heure actuelle, la preuve révèle que les laps de temps établis par ITrans, ainsi que les autres critères utilisés pour évaluer un emplacement, sont des critères raisonnables, selon moi, pour évaluer les emplacements des BLR et pour s’assurer que le risque de collision est le plus possible atténué. Lorsqu’un emplacement réussit l’évaluation, le risque de collision dans les circonstances précédemment mentionnées est abaissé à un niveau acceptable. Je comprends toutefois que le risque de collision n’est pas complètement éliminé.
[61] Ce raisonnement fut suivi dans une série de décisions par les agents d’appel du Tribunal concernant cette même question où la même preuve documentaire et preuve d’expert ont été produites. Mes collèges s’entendent tous pour dire que l’OÉSR est une mesure appropriée pour réduire au minimum le risque de collision associé à la circulation routière lors des livraisons par les FFRS. Je note, tel qu’argumenté par l’appelante, qu’aucune preuve ne m’a été soumise pour mettre en doute la validité de l’outil. Je considère qu’une telle preuve aurait été nécessaire pour que j’arrive à une conclusion différente. Dans la décision Baird (précitée), l’agent d’appel était aussi du même avis lorsqu’il s’est exprimé ainsi :
[43] Le fait que toutes les parties conviennent que l’OÉSR, ainsi que la logique et la méthodologie qui le sous-tendent, en font le meilleur outil, ou à toute le moins l’outil le plus approprié, lorsqu’il est appliqué, pour garantir la sécurité de livraison aux BLR effectuée par véhicule automobile sur la voie publique, bien que convaincant, ne lie pas en soi le soussigné à la même conclusion, de manière générale ou à l’égard d’un itinéraire de livraison rurale en particulier, comme en l’espèce. Cependant, pour exprimer mon désaccord, j’aurais besoin d’éléments de preuves à l’appui pour en arriver à une telle conclusion divergente, plus particulièrement compte tenu des précédents de ce Tribunal, qui reconnaissent l’OÉSR comme garantissant le niveau de sécurité exigé par le Code, et où les conditions restantes à la suite d’une évaluation au moyen de l’OÉSR qui a été effectuée et est jugée satisfaisante sont considérées et acceptées comme étant des conditions normales d’emploi.
[62] Lors de leurs témoignages à l’audience, les deux agentes de SST ont avoué ne pas avoir tenu compte ni de l’OÉSR, ni de la jurisprudence du Tribunal qui en confirme la validité et l’efficacité dans la détermination du danger que pose la livraison aux BLR pour les FFRS. Elles ont plutôt, tel qu’il appert du texte de leurs instructions, grandement fondé leurs conclusions de danger sur l’incident qui s’est produit à St-Lazarre, lorsqu’un véhicule d’Hydro-Québec a failli entrer en collision avec un véhicule de FFRS. Elles se sont en outre grandement fiées sur la réglementation provinciale au Québec qui interdit, notamment le dépassement sur des routes où il y a présence d’une ligne médiane simple continue. Selon elles, les BLR sont à certains endroits, placées en violation des lois et réglementations provinciales. Par conséquent, à leurs avis, le fait de contrevenir à la réglementation provinciale fait en sorte d’augmenter le risque d’une collision entre les véhicules des automobilistes et les véhicules des FFRS.
[63] À mon avis, il est clairement établit que l’OÉSR édicte des normes uniformes qui sont applicables au niveau national. De plus, la preuve démontre que les critères de l’OÉSR sont, dans la majorité des cas, plus stricts que les normes provinciales au Québec. Ainsi, je ne peux retenir les prétentions des deux agentes de SST à l’effet qu’un danger existe sur les routes où il y a une ligne médiane centrale continue. La preuve soumise a démontré que le risque de collision dans les situations de dépassement est minime et que de surcroît, l’OÉSR assure une distance de visibilité, qui tient compte de la limite de vitesses, pour permettre à un automobiliste de dépasser un FFRS avec un risque minime de collision.
[64] Quant à l’incident de dépassement qui semble avoir grandement influencé la décision des deux agentes de SST, je note tout d’abord que la preuve soumise est à l’effet que l’OÉSR tient compte du fait que les quatre roues du véhicule du FFRS ne se situent pas sur l’accotement. En effet, l’emplacement d’une BLR peut quand même être jugé sécuritaire si elle respecte tous les critères de l’OÉSR. Dans la décision de Townsend, aux paragraphes 166-167, l’agent d’appel adresse cet aspect de la manière suivante :
[166] En ce qui concerne la question de ne pas placer les quatre roues en dehors de la route, j’ai découvert dans l’OÉSR que dans certaines conditions, l’OÉSR accepte cette situation et permet que le véhicule soit arrêté sur la partie fréquentée de la route. J’ai découvert deux conditions dans l’OÉSR dans lesquelles il est accepté de ne pas avoir placé les quatre roues en dehors de la partie fréquentée de la route :
- Route à 2 voies :
- aucune ligne jaune pleine double au centre,
- dénombrement de moins de 40 véhicules en 15 minutes,
- aucune colline ou courbe dans l’intervalle de 11 secondes derrière le véhicule,
- aucune colline ou courbe dans l’intervalle de 14 secondes devant le véhicule,
- Route à 4 voies :
- dénombrement de moins de 80 véhicules en 15 minutes,
- aucune colline ou courbe dans l’intervalle de 11 secondes derrière le véhicule.
[167] Par conséquent, en ce qui a trait aux endroits où les véhicules des FFRS pourraient devoir être arrêtés sur la partie fréquentée de la route, s’il est établi après évaluation que tous les critères fixés par l’OÉSR sont respectés, je conclus que cette situation est tout aussi acceptable que les autres situations évaluées. En conséquence, je conclus qu’il n’est pas toujours nécessaire que les quatre roues se trouvent en dehors de la route si, compte tenu des autres circonstances dont il est question précédemment, le « danger » est une condition normale d’emploi.
[65] En ce qui concerne les préoccupations des FFRS concernant les conditions météorologiques qui viennent ajouter des risques additionnels, notamment l’accumulation de neige l’hiver pouvant créer un obstacle à la visibilité, la preuve est à l’effet que l’employeur a mis en place des procédures de travail pour pallier à ces risques. Effectivement, selon les politiques de travail de l’employeur, un FFRS ne doit pas procéder à la livraison du courrier s’il juge que la livraison n’est pas possible en raison des conditions météorologiques.
[66] Il est vrai que, tel que me l’a soumis M. Gatien, que l’OÉSR n’écarte pas complètement le risque de collision. Il y a certes, d’autres facteurs à considérer lorsqu’on parle de sécurité routière. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de l’évaluation du risque associé à la livraison de courrier par les FFRS, la preuve soumise me permet de conclure tout comme mes collègues, que l’OÉSR réduit le risque au minimum.
[67] Dans l’affaire Morrison précitée, l’agent d’appel énonce le principe selon lequel le danger relié à la sécurité routière lors des livraisons aux BLR devient une condition normale d’emploi au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code après que les BLR en question aient fait l’objet d’une évaluation OÉSR et que les emplacements des BLR qui ne rencontraient pas les critères de l’OÉSR aient été modifiés. Au paragraphe 343, l’agent d’appel explique ce qui suit :
[343] Compte tenu de ce qui précède, la seule conclusion à laquelle je peux en arriver, c’est que l’employeur, à l’heure actuelle, s’est acquitté de ses obligations et a désigné les emplacements dangereux, a corrigé ces emplacements en conséquence et a réduit le plus possible le danger.
[344] Comme l’employeur a maintenant mis en œuvre des mesures d’atténuation du danger dans la mesure raisonnablement possible, comme nous l’avons expliqué précédemment, tout danger qui peut subsister devient une condition normale d’emploi.
[68] En l’espèce, il m’a été démontré que toutes les BLRs sur les trajets des 7 FFRS ont fait l’objet d’une évaluation OÉSR et que toute les BRLs ne rencontrant pas les critères établis ont été soit relocalisées dans un endroit plus sécuritaire sur la route de livraison ou complètement éliminées.
[69] Pour toutes ses raisons, je conclus que Poste Canada a mis en œuvre l’OÉSR pour pallier au risque de collision qui existe lorsque les FFRS font la livraison du courrier aux BLR. L’efficacité de L’OÉSR à minimiser les risques m’a été démontrée, principalement au travers du témoignage expert de Madame Bahar. Ainsi, considérant le fait que toutes les BLR sur leurs trajets de livraison ont été évaluées par l’OÉSR, je conclus que le risque résiduel relié à la circulation routière pour les FFRS constitue une condition normale d’emploi en vertu de l’alinéa 128(2)b) du Code, empêchant les employés d’exercer leur droit de refuser de travailler.
Décision
[70] Pour ces motifs, les appels sont accueillis et les trois instructions émises par les agentes de SST Jessica Tran et Marie-France Carrier le 8 juin 2012, le 29 juin 2012 et le 10 juillet 2012 sont annulées.
Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel
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