2015 TSSTC 13
Date : 2015-07-09
Dossier : 2013-22
Entre :
H and R Transport Ltd., appelante
Indexé sous : H and R Transport Ltd.
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par une agente de santé et de sécurité.
Décision : L’instruction est confirmée.
Décision rendue par : M. Douglas Malanka, Agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelante : Me Patrick D. Kirwin, avocat, Kirwin LLP
Référence : 2015 TSSTC 13
MOTIFS DE DÉCISION
[1] La présente décision concerne un appel interjeté par H and R Transport Ltd. (H and R Transport ou l'« employeur ») en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le « Code ») à l'encontre d'une instruction émise par Mme Kim Mordaunt, agente de santé et de sécurité (l'« agente de SST ») au Programme du travail d'Emploi et Développement social Canada. L'instruction remise à H and R Transport cite deux contraventions au Code, comme suit :
DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)
Le 18 mars 2013, l'agente de SST soussignée a mené une enquête dans le lieu de travail exploité par H and R Transport Limited, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, situé au 1, Maritime Ontario Blvd., Brampton (Ontario) L6S 6G4, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de H & R Transport Limited.
Ladite agente de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes du Code canadien du travail, partie II, ont été enfreintes :
No / No : 1
Alinéa 125(1)q) - Partie II du Code canadien du travail;
Alinéa 19.6(1)a) Error 2029 suit :
L'employeur offre à chaque employé une formation en matière de santé et de sécurité qui porte notamment sur les éléments suivants :
(a) le programme de prévention mis en oeuvre aux termes de la présente partie pour prévenir les risques à l’égard de l’employé, notamment la méthode de recensement et d’évaluation des risques et les mesures de prévention qui ont été prises par l’employeur;
L'employeur a omis d'offrir une formation sur le programme de prévention des risques.
No / No : 2
Alinéa 125(1)q) - Partie II du Code canadien du travail;
Alinéa 19.6(1)d) - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, comme suit :
L'employeur offre à chaque employé une formation en matière de santé et de sécurité qui porte notamment sur les éléments suivants :
d) les dispositions de la Loi et du présent règlement
L'employeur a omis d'offrir une formation sur les dispositions de la loi et du règlement.
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à ces contraventions au plus tard le 12 avril 2013.
De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, dans les délais précisés par l’agente de santé et de sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
Émise à North York, ce 18e jour de mars 2013.
[Signé]
Kim Mordaunt
Agente de santé et de sécurité
(...)
À : H & R TRANSPORT LIMITED
3601, 2nd Avenue North
Lethbridge (Alberta) T1H 5K7
Contexte
[2] Le matin du 30 janvier 2013, M. Adnan Ghani, un camionneur chez H and R Transport, est arrivé chez E & E McLaughlin Enterprises (E & E) pour y faire une livraison. M. Ghani est allé dans leur bureau afin de présenter les documents relatifs au chargement et afin d'obtenir un coupe-boulons pour desceller les portes de son véhicule. M. Levi Robinson, réceptionnaire d'E & E, est sorti et a remis un coupe-boulons à M. Ghani et est retourné dans l'installation pour ouvrir les portes du quai de chargement à côté de M. Ghani afin de recevoir un chargement de M. Gary Porter, camionneur chez Grand River Enterprises. Après avoir descellé la porte de sa remorque, M. Ghani a entendu la porte du quai à côté de lui s'ouvrir et il est passé par la porte du quai pour remettre le coupe-boulons à M. Robinson. M. Ghani n'a pas vu que la remorque conduite par M. Gary Porter reculait vers la porte du quai et M. Porter n'était pas conscient de la présence de M. Ghani. M. Ghani a été écrasé deux fois entre la remorque et le quai alors que M. Porter a d'abord reculé vers le quai puis s'est avancé et a reculé à nouveau pour replacer sa remorque. M. Ghani a été transporté à l'hôpital, où il est décédé le jour suivant, soit le 31 janvier 2013.
[3] Kylie Banks, constable de la Police provinciale de l'Ontario (PPO) et Kelly Sebastian, inspecteur de la santé et de la sécurité au travail du ministère du Travail (MT) de l'Ontario, ont mené une enquête sur l'accident le 30 janvier 2013 en présumant que H and R Transport était assujettie aux lois provinciales.
[4] Kylie Banks, agente de la PPO, a interrogé M. Robinson, qui était le seul témoin de l'accident. M. Robinson a dit à l'agente Banks qu'il était en train d'ouvrir la porte du quai afin de pouvoir recevoir la remorque de M. Porter quand il a entendu M. Ghani l'appeler pour lui remettre le coupe-boulons par la porte ouverte. M. Robinson a dit qu'il a vu le camion reculer et a dit à M. Ghani de bouger de là. Toutefois, M. Ghani n'a pas bougé et le camion a reculé sur lui.
[5] M. Robinson a dit à l'agente Banks que la politique d'E & E en matière de sécurité interdisait aux employés de se rendre dans les zones de réception des marchandises lorsque des camions sont présents et que les camionneurs sont tenus de desceller leur remorque pendant qu'il surveille de l'intérieur. M. Robinson a aussi confirmé que les procédures de sécurité d'E & E exigent que les chauffeurs effectuant une livraison utilisent la porte latérale, que l'on appelle parfois la porte piétonne (man-door), pour entrer dans l'édifice.
[6] Quand il est devenu clair que H and R Transport était une entreprise assujettie aux lois fédérales, l'agente de SST Mordaunt a rencontré l'inspecteur Sebastian du MT le 4 février 2013 et a reçu les documents et les renseignements qu'il avait obtenus à l'égard de l'accident. La constable Banks de la PPO a aussi fourni à l'agente de SST Mordaunt une copie de ses notes et l'enregistrement de ses interrogatoires.
[7] L'agente de SST Mordaunt a ensuite mené sa propre enquête chez H and R Transport et obtenu des renseignements et des documents auprès de la société concernant les programmes de formation en sécurité offerts aux employés. Les documents obtenus par l'agente de SST Mordaunt sont compris dans son Rapport d'enquête de situation comportant des risques daté du 5 juillet 2013. Le rapport comporte également un « registre des activités » concernant son enquête.
[8] L'un des documents que l'agente de SST Mordaunt a obtenus était un exemplaire de la Politique de prévention des risques (PPR) de H and R Transport. L'agente de SST Mordaunt a noté dans son rapport d'enquête que la PPR de H and R Transport précise que des gilets de haute visibilité doivent être portés dans toutes les cours et à tous les quais de la société et sur tous les lieux de travail des clients. Toutefois, l'agente de SST Mordaunt a indiqué qu'il n'y avait aucune preuve que M. Ghani avait reçu une formation à propos de la PPR.
[9] L'agente de SST Mordaunt a examiné le Manuel des systèmes de gestion de la santé et de la sécurité de H and R Transport et noté que la section portant sur les règles générales (General Rules) précise que les employés doivent identifier les risques et établir des méthodes et des pratiques sécuritaires appropriées avant de commencer un travail ou une tâche. L'agente de SST Mordaunt a toutefois noté qu'il n'y avait aucune indication à l'effet que les employés sont formés pour effectuer de telles analyses du risque professionnel et établir des mesures de prévention, et qu'il n'y avait aucune preuve que M. Ghani avait reçu une formation sur le manuel.
[10] Le 18 mars 2013, l'agente de SST Mordaunt s'est entretenu avec M. Mike Weir, au contrôle des pertes, avec M. McNutt et avec M. Johnson, et M. Johnson lui a dit que H and R Transport rencontre ses employés afin de les informer des politiques en matière de santé et sécurité et qu'elle a des réunions de sécurité hebdomadaires. M. Weir a reconnu pendant cet entretien avec l'agente de SST Mordaunt qu'il y avait une rupture entre le Manuel du personnel de camionnage (Fleet Personnel Handbook) et la confirmation de sa communication aux employés. M. Johnson a toutefois confirmé que H and R Transport reçoit à l'occasion des plaintes selon lesquelles les chauffeurs ne portent pas de gilets de haute visibilité.
[11] Le 19 mars 2013, l'agente de SST s'est rendue chez H and R Transport afin d'examiner une vidéo du programme Good to Go de Loblaws portant sur les procédures applicables aux livraisons chez Loblaws. L'agente de SST Mordaunt a indiqué dans son rapport que la vidéo ne contenait aucun renseignement précis à propos de la sécurité dans une cour.
[12] Le 18 mars 2013, l'agente de SST Mordaunt a émis une instruction à l'intention de H and R Transport concernant les deux contraventions déjà notées. H and R Transport a interjeté appel de l'instruction le 12 avril 2013. Étant donné la nature des questions soulevées par cet appel, l'appel a été effectué par voie d'observations écrites.
[13] Une audience a par la suite été tenue par vidéoconférence le 9 janvier 2015, avec l'agente de SST Mordaunt et l'avocat de l'employeur, afin de recueillir le témoignage de l'agente de SST Mordaunt à propos des circonstances qui ont mené à son instruction.
Question en litige
[14] La question à trancher dans le présent appel consiste à établir si l'agente de SST Mordaunt avait raison d’émettre une instruction à l'employeur constatant une contravention à l'alinéa 125(1)q) du Code et aux alinéas 19.6(1)a) et d) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST).
Observations de l’appelante
[15] Dans ses observations, Me Kirwin, avocat de l'appelante, a confirmé que l'appelante ne conteste aucune des allégations de fait présentées aux pages 6 à 16 du Rapport d'enquête de situation comportant des risques de l'agente de SST Mordaunt, daté du 5 juillet 2013.
Contravention à l'alinéa 125(1)q) du Code et à l'alinéa 19.6(1)a) du RCSST :
[16] Me Kirwin a indiqué que l'agente de SST Mordaunt n'a pas précisé dans son rapport d'enquête les faits précis l'ayant amenée à conclure que H and R Transport contrevenait à l'alinéa 125(1)q) du Code et à l'alinéa 19.6(1)a) du RCSST, et que la preuve n'appuie pas les conclusions de l'agente de SST Mordaunt.
[17] Me Kirwin a soutenu qu'il n'y avait aucune preuve selon laquelle H and R Transport n'avait pas offert une formation à M. Ghani sur la PPR ou que la formation offerte était déficiente. Me Kirwin a aussi soutenu qu'il existe une preuve abondante à l'effet contraire et qu'on peut tout au plus conclure que l'attestation de formation signée par les employées ne visait pas particulièrement la formation à la PPR.
[18] Me Kirwin a cité plusieurs documents dans lesquels M. Ghani avait attesté par écrit avoir suivi une formation en santé et sécurité. Me Kirwin a admis que les documents ne portaient pas particulièrement sur la PPR de H and R Transport mais qu'ils renvoyaient plutôt à PPR de manière générale et à la sécurité dans une cour. Ces documents signés comprenaient les suivants :
- Certificat sur le réglage des freins à air;
- Formation sur le SIMDUT : Test de connaissances portant sur la manutention et le transport de marchandises dangereuses;
- Questionnaire sur la sécurité aux quais d'un centre de distribution;
- Essai sur route du chauffeur.
[19] Me Kirwin a cité de nombreux documents faisant partie du programme de santé et sécurité de H and R Transport se rapportant aux risques que présente le déplacement d'équipement dans une cour. Me Kirwin a ensuite avancé que l'existence de documents établit que H and R Transport a fourni des renseignements aux employés à propos de sa PPR et que la société se conformait aux obligations qui lui incombent en vertu de l'alinéa 125(1)q) du Code et de l'alinéa 19.6(1)a) du RCSST.
[20] Me Kirwin a fait référence à la signature de M. Ghani attestant qu'il avait reçu un exemplaire du Manuel destiné au personnel de camionnage (Fleet Personnel Handbook) de H and R Transport et qu'il savait qu'il devait se conformer à la totalité des politiques et procédures énoncées dans le manuel et qu'il devait garder un exemplaire du manuel, à des fins de consultation, dans le véhicule qui lui était attribué. Me Kirwin a admis que le formulaire que M. Ghani a signé ne mentionnait aucune formation à propos de la PPR, mais il a indiqué que la formation offerte renvoyait clairement à la PPR et aux mesures de sécurité à prendre dans une cour.
[21] Me Kirwin a affirmé que le fait que l'agente de SST Mordaunt se soit fiée à la déclaration de M. Weir selon laquelle il existait une « rupture » entre la formation donnée par H and R Transport au personnel du camionnage et l'attestation de formation signée par les employés était problématique étant donné que M. Weir ne parlait pas de la formation donnée aux employés à propos de la PPR et qu'il indiquait seulement que ce n'était pas toute la formation donnée qui était attestée par écrit.
[22] Me Kirwin a également indiqué que la question de la formation et de sa confirmation par les employés sont deux questions distinctes, traitées séparément à l’article 19.6 du RCSST. Me Kirwin a donc allégué que le critère de la conformité dont il est question dans le RCSST consiste à établir si les renseignements ont été donnés par l'employeur et non s'il existe une attestation écrite, faite par l'employée, selon laquelle les renseignements ont été donnés. Me Kirwin a indiqué que l'obligation qui incombe à H and R Transport en vertu de la loi et du Règlement consistait à donner des renseignements à propos de la PPR mise en œuvre par l'employeur, ce qui a été fait.
[23] Me Kirwin a indiqué que l'instruction de l'agente de SST Mordaunt devrait être annulée étant donné le manque de preuve, et a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de l'Union internationale des employés des services, Local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 R.C.S. 382 pour appuyer sa position.
Contravention à l'alinéa 125(1)q) du Code et à l'alinéa 19.6(1)d) du RCSST :
[24] Concernant la deuxième question, à savoir si H and R Transport avait omis de donner un aperçu de la loi et du Règlement, Me Kirwin m'a renvoyé au dossier de l'appel et au témoignage de l'agente de SST Mordaunt à l'audience du 9 janvier 2015. Me Kirwin a soutenu qu'il n'existe aucune mention dans le rapport d'activités de l'agente de SST Mordaunt de l'alinéa 19.6(1)d) du RCSST et qu'il n'y a aucune preuve selon laquelle l'agente de SST Mordaunt a abordé la question avec l'appelante dans le cadre de son enquête, en demandant des renseignements sur la formation ou en donnant à H and R Transport la possibilité de répondre. Me Kirwin a indiqué que H and R Transport aurait fourni les documents de formation si l'agente de SST Mordaunt en avait fait la demande.
[25] Me Kirwin a indiqué que l'instruction devrait être annulée étant donné que le rapport de l'agente de SST Mordaunt ne permet pas d'établir une contravention à l'alinéa 19.6(1)d) et qu'elle n'a pas donné à l'appelante l'occasion de présenter une preuve du contraire.
Observations complémentaires
Contravention à l'alinéa 125(1)(q) du Code et aux paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST :
[26] Après avoir reçu les observations de l'employeur, j'ai eu un entretien téléphonique avec l'avocat de l'appelante afin de demander quelques précisions ainsi que des renseignements supplémentaires. Je lui ai indiqué que, en plus des alinéas du RCSST indiqués dans l'instruction, je tiendrais compte des paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST et que, par conséquent, l'appelante avait le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve. Je l'ai également informé que l'appel prend la forme d'une audience de novo et que je peux recevoir de nouveaux éléments de preuve et en tenir compte, peu importe que ces éléments aient été vus ou pris en compte par l'agente de SST dans le cadre de son enquête. J'ai aussi informé l'avocat de l'appelante que l'agent d'appel est investi des mêmes pouvoirs que l'agent de SST en vertu du paragraphe 145.1(2) et que, par conséquent, il lui incombe, en vertu de la loi, d'enquêter sur les circonstances liées à l'appel.
[27] Me Kirwin a ensuite présenté des observations complémentaires selon lesquelles aucune partie n'a le fardeau de réfuter les allégations ou les opinions d'un agent de santé et sécurité qui ne sont pas appuyées par la preuve. À cet égard, il a cité le paragraphe 674 de l'affaire Agence Parcs Canada et Douglas Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada, décision no CAO-07-015, dans laquelle j'ai noté que le juge Dawson a indiqué, au paragraphe 25 de l'affaire Canadian Freightways Ltd. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 391, que la charge de la preuve n'incombe à aucune partie dans un appel en vertu de l'article 146.1. Me Kirwin a également fait référence au paragraphe 56 de la décision Agence des services frontaliers du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2014 TSSTC 11, dans laquelle l'agent d'appel Pierre Hamel a conclu que la tâche de l'agent d'appel est d'établir, en se fondant sur la preuve, si la décision de l'agent de santé et de sécurité était justifiée.
[28] Le paragraphe 674 de la décision dans l'affaire de Parcs Canada se lit comme suit :
[674] Me Lambrecht a fait valoir qu’aucune des deux parties n’avait le fardeau de la preuve à l’égard d’une enquête menée par un agent d’appel en vertu de l’alinéa 146.1(1) du Code. À cet égard, il a mentionné la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canadian Freightways Limited et Procureur général du Canada et Western Canada Council de la Teamsters, citée ci-dessus. Madame la juge Dawson a confirmé que l’agent d’appel mène simplement une enquête sur les circonstances entourant une décision rendue ou des instructions données par un agent de santé et sécurité. Aux paragraphes 25 et 26, elle écrit :
[25] Plus récemment, dans la décision Verville et Canada (Service correctionnel), [2002] C.L.C.A.O.D. no 12, au paragraphe 15, l'agent d'appel a décrit comme suit la nature d'un appel du genre ici en cause :
Le Code permet à quiconque est « lésé » par des instructions d'interjeter appel de celles-ci à un agent d'appel (paragraphe 146(1)). L'agent d'appel mène ensuite une enquête « sommaire » sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et peut modifier, annuler ou confirmer les instructions (alinéa 146.1(1)). L'agent d'appel doit se mettre à la place de l'agent de santé et sécurité et rendre la décision que ce dernier aurait dû rendre. Un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) n'est pas un « appel » au sens technique du terme et, par conséquent, la charge de la preuve n'incombe à personne (voir H.D. Snook [...]). En se fondant sur l'article 122.1, qui prévoit que la partie II du Code a pour objet « de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi » l'agent d'appel cherche simplement à en arriver à la décision correcte au point de vue de la santé et de la sécurité.
[26] Ces arrêts faisant autorité donnent à entendre que l'audience, dans un appel d'un pouvoir discrétionnaire, est de la nature d'une nouvelle audience, l'agent d'appel devant examiner toutes les circonstances et rendre ensuite une décision.
[29] Me Kirwin m'a informé que, par conséquent, l'appelante ne souhaitait pas présenter d'autres éléments de preuve concernant le programme de formation en santé et sécurité qui, selon elle, était en place chez H and R Transport au moment où l'agente de SST a mené son enquête. L'appelante a conclu en disant qu'il n'y avait aucune preuve appuyant l'avis de l'agente de SST selon lequel il y avait eu contravention aux dispositions du Code et du RCSST.
[30] L'appelante a également réitéré que la question de l'information et la question de la confirmation qui en avait été donnée par les employés sont deux questions bien distinctes et qu'une lacune dans la procédure de confirmation ne fait pas la preuve d'une lacune dans la formation elle-même.
[31] Enfin, l'avocat de l'appelante a reconnu, dans ses observations finales, que les procédures administratives de l'appelante n'étaient pas tout à fait conformes aux paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST, mais indique qu'elles sont maintenant conformes, ce qui a été confirmé par l'agente de SST. Par conséquent, l'appelante me demande de ne pas émettre d'instruction dans laquelle seraient citées les contraventions aux paragraphes 19.6(4) et (5).
Analyse
[32] La question faisant l'objet de cet appel consiste à établir si l'agente de SST Mordaunt était justifiée d’émettre une instruction à l'employeur constatant une contravention à l'alinéa 125(1)q) du Code et aux alinéas 19.6(1)a) et d) du RCSST. Après avoir abordé la question avec l'appelante, je dois également établir si H and R Transport a contrevenu aux paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST.
[33] Premièrement, je me pencherai sur l'observation de Me Kirwin selon laquelle l'appelante n'a aucunement le fardeau et l’obligation de réfuter les allégations ou les opinions d'un agent de santé et sécurité qui ne sont pas appuyées par la preuve.
[34] Comme l'a indiqué la Cour d'appel fédérale dans l'affaire de Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156 :
[28] L’appel interjeté devant l’agent d’appel est un appel de novo. Aux termes de l’article 146.2, l’agent d’appel peut convoquer des témoins et les contraindre à comparaître, recevoir sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice, et procéder, s’il le juge nécessaire, à l’examen de dossiers ou registres et à la tenue d’enquêtes. Compte tenu de ces vastes pouvoirs et de l’ajout du paragraphe 145.1(2), il n’y a aucune raison qui justifierait d’empêcher l’agent d’appel de rendre une décision en vertu du paragraphe 145(1), s’il estime qu’il y a eu contravention à la partie II du Code [...]
[35] De plus, au paragraphe 56 de la décision rendue dans l'affaire de l'Agence des services frontaliers du Canada c. l'Alliance de la Fonction publique du Canada, l'agent d'appel Pierre Hamel a écrit ce qui suit :
[56] […] Le raisonnement est le suivant : si, par une enquête défaillante ou autrement inadéquate, le droit d’une partie à présenter une preuve ou des observations a été restreint, il est probable que l’instruction serait affaiblie, puisqu’elle serait vraisemblablement fondée sur des faits incomplets ou arbitraires. Une telle défaillance dans le processus peut être corrigée par l’audience devant l’agent d’appel, qui est une nouvelle instance au cours de laquelle toutes les parties ont l’occasion de présenter une preuve et des observations.
[36] Ces décisions établissent que l'audience devant l'agent d'appel constitue une audience de novo; les parties ont ainsi l'occasion de présenter des éléments de preuve appuyant leur position. En l'espèce, l'appelante a eu amplement l'occasion de présenter des éléments de preuve afin de corroborer son affirmation selon laquelle elle se conformait, dans les faits, aux obligations qui lui incombent en vertu du Code.
[37] Dans le cas présent, je dois m'appuyer sur l'ensemble de la preuve selon laquelle H and R Transport a fourni une formation à M. Ghani sur la PPR et un aperçu du Code et du règlement y afférent et que H and R Transport a attesté par écrit la formation fournie à M. Ghani et tenu des dossiers à propos de cette formation afin de décider de confirmer, de modifier ou d'annuler l'instruction que l'agente de SST Mordaunt a émise dans la présente cause.
Contravention à l'alinéa 125(1)q) du Code et aux alinéas 19.6(1)a) et d) du RCSST :
[38] L'alinéa 125(1)q) du Code oblige chaque employeur à fournir à ses employés l'information, la formation, l'entraînement et la surveillance nécessaires afin d'assurer leur santé et leur sécurité au travail selon les modalités réglementaires. Les modalités réglementaires sont décrites à la partie XIX du RCSST (Programme de prévention des risques). L'alinéa 125(1)q) du Code se lit comme suit :
125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
q) d’offrir à chaque employé, selon les modalités réglementaires, l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité;
[39] Le paragraphe 19.1(1) du RCSST exige que chaque employeur, en consultation avec le comité d'orientation ou le comité local, selon le cas, élabore et mette en oeuvre un PPR aux fins de la prévention des risques en milieu de travail, et en contrôle l'application. L'alinéa 19.1(1)(e) of du RCSST précise que la PPR doit comporter une formation aux employés. L'alinéa 19.1(1)e) se lit comme suit :
19.1 (1) L’employeur, en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant et avec la participation du comité ou du représentant en cause, élabore et met en oeuvre un programme de prévention des risques professionnels - y compris ceux liés à l’ergonomie -, en fonction de la taille du lieu de travail et de la nature des risques qui s’y posent, et en contrôle l’application. Ce programme comporte les éléments suivants :
e) la formation des employés; […]
[40] Les alinéas 19.6(1)a) et d) du RCSST établissent que l'employeur doit offrir une formation en santé et sécurité à chaque employé concernant la PPR et un aperçu du Code et du RCSST, et que cette formation doit être conforme au RCSST. Les alinéas 19.6(1)a) et d) du RCSST se lisent comme suit :
19.6 (1) L’employeur offre à chaque employé une formation en matière de santé et de sécurité - y compris une formation en matière d’ergonomie - qui porte notamment sur les éléments suivants :
(a) le programme de prévention mis en oeuvre aux termes de la présente partie pour prévenir les risques à l’égard de l’employé, notamment la méthode de recensement et d’évaluation des risques et les mesures de prévention qui ont été prises par l’employeur;
(...)
(d) les dispositions de la Loi et du présent règlement.
[41] Les paragraphes 19.6(4) et (5) se lisent comme suit :
19.6 (4) Chaque fois que l’employé reçoit la formation, l’employeur et l’employé attestent par écrit que la formation a été offerte ou reçue, selon le cas.
19.6 (5) L’employeur tient, sur support papier ou informatique, un registre de la formation reçue par chaque employé et le conserve pendant les deux ans qui suivent la date à laquelle l’employé cesse d’être exposé à un risque.
[42] Pour trancher la question, il est utile de se demander ce que signifie le mot « formation ». La formation n'est pas définie dans le Règlement. Conformément au principe d'interprétation des lois, en particulier à l'article 12 de la Loi d'interprétation, je dois faire une interprétation équitable et large du mot « formation », qui est compatible avec l'objet du Code.
[43] Dans le dictionnaire Webster’s New World, le mot « formation » (education) est défini comme suit :
1. [traduction] le processus de formation et de développement des connaissances, des compétences, de l'esprit, du caractère et autres, en particulier au moyen d'une scolarisation officielle; 2. l'enseignement, l'entraînement, les connaissances, les aptitudes et autres ainsi développés […]
[44] Compte tenu de la définition ci-dessus, je suis d'avis qu'une formation sur la PPR exige plus que de soumettre tout simplement des documents à l'attention des employés. Je n'ai pas été convaincu par la déclaration de Me Kirwin, selon laquelle les copies des documents de formation dans le dossier d'appel font, en soi, la preuve que H and R Transport a formé M Ghani sur la PPR ou que H and R Transport a établi que M. Ghani a reçu la formation requise.
[45] L'article 19.6 du RCSST exige que les employés reçoivent une formation sur tous les éléments de la PPR. J'ai reçu un grand nombre de documents de H and R Transport, dont certains portent sur certains éléments de la PPR. Notamment, M Ghani a attesté par écrit qu'il avait suivi une formation sur l'ajustement des freins à air et une formation SIMDUT sur la manutention et le transport des matières dangereuses, et qu'il avait effectué un essai sur route. Toutefois, je ne vois aucune indication dans les documents que la sécurité dans les cour a été abordée dans la formation que M. Ghani a reçue. À mon avis, sans avoir reçu une formation sur tous les éléments de la PPR, ce qui comprend la sécurité dans une cour, on ne peut affirmer que l'employeur a rempli les obligations qui lui incombaient en vertu de l'alinéa 19.6(1)a).
[46] La preuve a aussi confirmé que M. Ghani avait signé une déclaration se rapportant au Manuel destiné au personnel de camionnage (Fleet Personal Handbook) de H and R Transport. Toutefois, la signature confirme seulement qu'il comprenait qu'il était tenu de garder le manuel dans le véhicule qui lui était attribué à des fins de consultation et qu'il était tenu de se conformer au manuel. À mon avis, rien ne confirme que H and R Transport a réellement formé M. Ghani sur ce manuel volumineux, qui contient 356 pages d'information. Le fait de présenter aux employés des documents de formation en indiquant que l'on doit s'y conformer, les conserver et les consulter pendant le travail, plutôt que d'offrir une formation sur le contenu du document, n'est pas conforme aux exigences de l'alinéa 19.6(1)a) du RCSST.
[47] Enfin, Me Kirwin m'a renvoyé à un document de H and R Transport intitulé « Excerpts from H & R Transport Health and Safety Management System » (Éléments tirés du système de gestion de la santé et sécurité de H & R Transport), qui porte sur l'analyse des tâches, le recensement des risques et les inspections. Ma préoccupation à cet égard est la suivante : l'obligation qui incombe à H and R Transport en vertu du Code et du RCSST, soit de former les employés sur la PPR, n'est pas remplie par le simple fait de donner aux employés l'instruction d'effectuer leur propre analyse de risque et de prendre leurs propres mesures d'atténuation du risque, en particulier quand il n'existe aucune preuve selon laquelle H and R Transport a formé ses employés sur la manière d'effectuer de telles analyses.
[48] Me Kirwin a indiqué que le fait que l'agente de SST Mordaunt se soit fiée à la déclaration de M. Weir selon laquelle il existait une « rupture » entre la formation donnée par H and R Transport au personnel du camionnage et l'attestation de formation signée par les employés était problématique étant donné que M. Weir ne parlait pas de la formation donnée aux employés à propos de la PPR et qu'il indiquait seulement que ce n'était pas toute la formation donnée qui était attestée par écrit.
[49] Mon interprétation est que l'agente de SST Mordaunt a tenté d'obtenir les dossiers de formation de M. Ghani’s à propos de la PPR auprès de H and R Transport et que M. Weir a indiqué que les dossiers demandés ne pouvaient pas être fournis. Quoi qu'il en soit, H and R Transport a eu l'occasion, dans le cadre de l'appel, de fournir des documents attestant la formation de M. Ghani à propos de la PPR, ce qu'elle n'a pas fait. De plus, Me Kirwin a confirmé, à l'occasion d'une audience téléphonique, que H & R Transport n'était pas en mesure de fournir d'autres documents.
[50] Compte tenu de tout ce qui précède, je confirme la décision de l'agente de SST Mordaunt selon laquelle H and R Transport a violé l'alinéa 125(1)q) du Code et l'alinéa 19.6(1)a) du RCSST.
[51] Pour ce qui est de l'alinéa 19.6(1)d) du RCSST, Me Kirwin a allégué que cette contravention devrait être annulée étant donné que l'agente de SST Mordaunt n'a pas abordé la question auprès de H and R Transport dans le cadre de son enquête et qu'elle n'a pas donné à H and R Transport l'occasion de répondre à l'allégation.
[52] Bien que cela constitue une critique valable du processus d'enquête de l'agente de SST Mordaunt eu égard à l'alinéa 19.6(1)d) du RCSST, mon examen de l'instruction en vertu de l'article 146.1 du Code constitue un examen de novo et je suis investi des mêmes pouvoirs que l'agente de SST Mordaunt. À cet égard, après avoir examiné les documents fournis par l'employeur, je n'ai pas été en mesure de conclure qu'une formation sur les dispositions de la loi et du règlement a été donnée. L'appelante a eu amplement l'occasion de présenter des éléments de preuve, non seulement à l'agente de STT, mais aussi à moi pendant le processus d'appel, afin d'appuyer l'affirmation selon laquelle elle a formé M. Ghani à propos des dispositions de la loi et du règlement, ce qu'elle a choisi de ne pas faire. En l'absence d'une telle preuve appuyant l'affirmation de l'appelante, je suis forcé de conclure que H and R Transport a violé l'alinéa 19.6(1)d) également.
[53] Enfin, pour ce qui est des paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST, j'ai déjà indiqué qu’une audience a eu lieu le 9 janvier 2015, à laquelle H and R Transport a eu l'occasion de présenter des éléments de preuve ou des arguments concernant l'interprétation et l'application de ces paragraphes dans la présente cause.
[54] Me Kirwin a reconnu dans ses observations que l'article 146.1 du Code autorise l'agent d'appel à émettre les instructions que l'agent de santé et de sécurité aurait dû émettre. Me Kirwin a indiqué qu'une instruction émise en vertu des paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST était inutile étant donné le passage du temps et le fait que l'agente de SST Mordaunt a reconnu que les mesures prises par l'appelante à la suite de l'incident étaient maintenant conformes à ces dispositions.
[55] Bien que j'aie établi que H and R Transport était en contravention des paragraphes 19.6(4) et (5) du RCSST au moment de l'enquête de l'agente de SST Mordaunt, j'ai eu le plaisir d'apprendre, au moment du témoignage de celle-ci à l'audience du 9 janvier 2015, que ces lacunes avaient depuis été comblées. Même si le Code me permet de modifier l'instruction afin de tenir compte des contraventions qui existaient à l'époque, cela ne servirait à rien puisque l'employeur remplit maintenant les obligations qui lui incombent.
Décision
[56] Pour ces motifs, l'instruction émise le 18 mars 2013 par l'agente de SST Kim Mordaunt est confirmée.
Douglas Malanka
Agent d’appel
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