2015 TSSTC 15

Date: 2015-08-27
Dossiers nos : 2011-38 et 2012-22

Entre :

Francisco Diaz Delgado, Meng Liang et Hadin Blaize, Appellants

et

Air Canada, intimée

Indexé sous : Diaz Delgado et al. c. Air Canada

Matter: Appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre de décisions rendues par une agente de santé et de sécurité

Décision : Les décisions d’absence de danger sont confirmées.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour les appelants : Me James Robbins, Cavalluzzo Shilton McIntyre & Cornish s.e.n.c.r.l.

Pour l’intimée : Me Rhonda R. Shirreff, Heenan Blaikie s.e.n.c.r.l.

Référence : 2015 TSSTC 15

MOTIFS DE DÉCISION

Ces affaires concernent des appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le « Code ») par des employés d’Air Canada de décisions d’absence de danger rendues conformément au paragraphe 129(4) du Code par Mary Pollock et Rochelle Blain, agentes de santé et de sécurité (agentes de SST), les 26 mars 2012 et 18 juillet 2011, à la suite de leur enquête sur les refus de travailler de Delgado, Liang et Blaize, les employés appelants d’Air Canada. Comme les preuves documentaires et les témoignages se recoupent, ces deux appels ont été entendus avec deux autres appels interjetés en vertu du paragraphe 146(1) du Code par l’employeur Air Canada, concernant des instructions émises conformément au paragraphe 145(1) du Code les 4 novembre et 23 décembre 2011 par Mary Pollock, agente de SST, à la suite de son enquête sur les refus de travailler des employés d’Air Canada dénommés Claudia Martinez et Jerome LaPorte (les « appels d’Air Canada »). Les circonstances de ces derniers appels sont très semblables à celles des appels visés par la présente décision. Une décision séparée sera rendue relativement aux appels d’Air Canada.

Contexte

[2] Les parties avaient d’abord indiqué qu’elles souhaitaient appeler un grand nombre de témoins, en plus de trois témoins experts. Toutefois, au début de l’audition et après discussion avec le soussigné, les parties ont convenu de présenter des exposés conjoints des faits dans toutes les affaires, évitant ainsi d’avoir à appeler tous ces témoins. Ces exposés ont été classés comme des pièces. Les longs exposés conjoints des faits décrivent en détail les circonstances de chaque affaire, font abondamment référence aux rapports des agentes de SST et sont, pour cette raison, très souvent cités ci-dessous.

Francisco Diaz Delgado et Meng Liang

[3] Pendant toute la période pertinente, Francisco Diaz Delgado, Yan-Yee Yip, Marie-Claude Lemieux, Nadia Cabrera-Griffin, Meng Liang, Jessica Bondy et Megumi Martin étaient des agents de bord à l’emploi d’Air Canada et faisaient partie de l’unité de négociation des agents de bord représentée par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Le 23 juin 2011, M. Diaz Delgado était directeur de service à bord du vol AC239 en provenance d’Edmonton à destination de Vancouver sur un avion Fin 415, auquel étaient également affectés les agentes de bord Yip et Lemieux. M. Diaz Delgado a noté dans son rapport de vol que, pendant les 15 premières minutes dudit vol et avant l’atterrissage, on avait senti une odeur de « fromage bleu  » dans la cabine, odeur qu’il a décrite dans son Enregistrement d’un refus de travailler comme une odeur de « vieilles chaussettes  » ou de « sac de sport malodorant  ». Le rapport de l’agente de SST indique qu’à la suite de l’étape Edmonton/Vancouver, M. Diaz Delgado et les agentes de bord Yip et Lemieux étaient affectés à l’étape Edmonton/Vancouver (AC1162) à bord du même avion (le Fin 415). Tous les trois ont exercé leur droit de refuser de travailler prévu par la loi à bord de ce vol sur ledit avion, en se disant inquiets de la sécurité de l’avion et de leur propre sécurité en raison de l’odeur présente dans la cabine à l’étape de vol Edmonton/Vancouver précédente.

[4] Dans son formulaire Enregistrement d’un refus de travailler, M. Diaz Delgado a également noté que les inscriptions dans le carnet de bord cabine du Fin 415 indiquaient qu’on avait déjà constaté une odeur dans la cabine, notamment les18 et 19 juin. Informée du refus, la gestionnaire du personnel de cabine, Chelsea Bardock, s’est entretenue avec le capitaine, Henri Asselin, et la maintenance en ligne du Fin 415 concernant les préoccupations des membres de l’équipage. Dans son témoignage fait le 5 juillet 2011, le capitaine Asselin a déclaré que l’odeur, qui lui avait paru, du poste de pilotage, légère, discrète et brève, avait duré deux minutes au moment du démarrage réacteur et environ huit minutes pendant l’approche et l’atterrissage à l’étape Edmonton/Vancouver.

[5] Il semblerait également, selon un rapport conjoint de l’employeur et du comité en milieu de travail et selon le formulaire de refus de travail (le sommaire d’AC), que le capitaine Asselin ait indiqué que l’avion (le Fin 415) pouvait voler en toute sécurité de Vancouver à Toronto et que la même odeur notée à l’étape précédente serait aussi perceptible pendant le décollage et l’atterrissage à bord du vol Vancouver/Toronto. Une déclaration séparée du capitaine Asselin, celle-là datée du 4 juillet 2011, indiquait qu'à bord du vol Vancouver/Toronto sur le Fin 415, des odeurs légères et discrètes provenant du poste de pilotage avaient été présentes environ deux minutes au démarrage réacteur et dix minutes à l’approche, et que la maintenance d’Air Canada avait jugé que l’avion était en bon état de service et de navigabilité et qu’il pouvait voler en toute sécurité de Vancouver à Toronto.

[6] Il semblerait, à la lecture du rapport conjoint de l’employeur et du comité en milieu de travail, que la maintenance croyait que l’odeur dans la cabine provenait de la présence d’huile quelque part dans le circuit d’air, sans savoir exactement où. Bien que la directrice de l’équipage Bardock ait expliqué à l’équipage que l’exploitation du Fin 415 de Vancouver à Toronto ne présentait aucun danger, comme l’en avait informé le capitaine Asselin et la maintenance, ils ont exprimé leur désaccord et maintenu leur refus de travailler. Après avoir été informés du maintien du refus de travailler, les membres du comité en milieu de travail sont montés à bord de l’avion. Le rapport d’AC et du comité en milieu de travail indique que plusieurs autres agents de bord qui étaient affectés à l’étape de vol Vancouver/Toronto ont également choisi de refuser de travailler après avoir été informés des raisons du refus de travailler des membres de l’équipage.

[7] Le directeur de service de l’équipage de remplacement, Meng Liang, et les agentes de bord J. Bondy et M. Martin ont par la suite été affectés au vol 1162 à destination de Toronto et étaient là lorsque M. Diaz Delgado a expliqué à la directrice de l’équipage Bardock et aux membres du comité en milieu de travail la raison du refus et l’historique de l’avion (le Fin 415) étayé dans le journal de bord des défauts de la cabine. C’est alors que le directeur de service Liang a refusé de travailler, tout comme les autres membres de l’équipage de remplacement. Le formulaire Enregistrement du refus de travailler de M. Liang indique qu’il a choisi de refuser de travailler [traduction] « après avoir été informé par l’équipage précédent qu’une étrange odeur forte et d’origine inconnue avait été constatée à bord du même avion à l’étape Edmonton/Vancouver; les mécaniciens n’avaient pas été en mesure de trouver la source et la raison de l’odeur.  »

[8] Le chef de l’équipe de maintenance, R. McKellar, a fait le témoignage suivant :

  • [Traduction] La maintenance pensait que l’odeur sur le Fin 415 pendant le vol Edmonton/Vancouver provenait de la présence d’huile dans le circuit pneumatique et avait communiqué avec le contrôle des opérations de maintenance (MOC) pour connaître l’historique de cette odeur;
  • La maintenance était au courant du problème, et la gestion de la flotte avait demandé un temps d’arrêt à Toronto pour obtenir plus d’information;
  • Ni les moteurs ni le groupe auxiliaire de bord (APU) du Fin 415 n’affichaient de consommation élevée d’huile.
  • De plus, selon le rapport du comité en milieu de travail et le formulaire de refus, M. McKellar aurait ajouté que :
    • quelques gouttes d’huile suffisaient pour produire une odeur;
    • la source de l’huile pouvait être une bavure, une tache, des gouttes ou un palier;
    • une vérification de maintenance du Fin 415 à Vancouver a révélé qu’il n’y avait ni quantité excessive d’huile ni consommation d’huile élevée dans les moteurs ou l’APU et que la consommation d’huile était normale;
    • il n’y a pas de liste minimale d’équipements (LME) pour la qualité de l’air;
    • l’avion était sécuritaire.

[9] Selon ces deux mêmes documents, le capitaine Asselin du Fin 415 a expliqué aux membres de l’équipage qui persistaient à refuser de travailler que l’odeur serait présente pendant 10 à 15 minutes seulement au décollage et à l’atterrissage; certains membres de l’équipage (Lemieux, Bondy et Martin) ont alors choisi de rester, tandis que MM. Diaz Delgado et Liang et d’autres (Yip et Cabrera-Griffin) ont maintenu leur refus de travailler à bord du vol AC1162 sur le Fin 415, tout en précisant qu’elles étaient prêtes à faire des tâches qui n’exigeaient pas leur présence sur le Fin 415, après quoi on a informé l’agente de SST Blain du maintien des refus.

[10] Les rapports de maintenance d’Air Canada pour la période du 18 au 26 juin 2011 et le rapport de l’agente de SST indiquent les « anomalies techniques  » et les interventions de maintenance suivantes pendant cette période sur le Fin 415 :

  • 18 juin 2011 - À la descente à 10 000 pieds, on a signalé une odeur dans la classe J qui semblait provenir de l’ECS (une « odeur de moisi provenant de l’office  »). On a remplacé deux filtres avant à Toronto le 19 juin 2011, après quoi l’avion a été jugé en bon état de service.
  • 19 juin 2011 - On a signalé une mauvaise odeur à la descente. La maintenance a fait tourner les groupes de conditionnement d’air pendant une demi-heure sans réussir à détecter d’odeur désagréable à bord de l’avion.
  • 19 juin 2011 - Concernant les deux éléments précédents, le journal indique que les passagers ont senti une forte odeur « de vieille chaussette/de pieds  » et de « sac de sport malodorant  » environ dix minutes avant l’atterrissage, et que les passagers des classes J/C étaient incommodés. La maintenance a indiqué qu’elle avait fait tourner l’APU avec le prélèvement d’air et les groupes de conditionnement d’air, mais qu’elle n’avait pas réussi à détecter d’odeur.
  • 20 juin 2011 - On a demandé une mesure de maintenance après les deux incidents mentionnés ci-dessus, mesure qui a été reportée à Toronto le même jour. Le journal de la maintenance fait référence à une inspection de l’APU et des conduits à l’aide d'une lumière noire.
  • 22 juin 2011 - On a signalé une « odeur de vieilles chaussettes  » qui semblait provenir du ECS. La maintenance a noté l’incident ainsi qu’une « anomalie technique  » en cours. Le rapport de l’agente de SST indique une entrée de journal ce jour-là comme quoi la maintenance avait trouvé une fuite provenant du compartiment hydraulique jaune, remplacé la vanne d’arrêt principale jaune et effectué une détection de fuites. La maintenance a précisé que de l’huile s’était sans doute écoulée de la roue de la quille du logement de train dans le fuselage et dans l’entrée de l’APU.
  • 23 juin 2011 - On a signalé une « odeur de vieilles chaussettes  » provenant du ECS pendant les 15 premières et les 15 dernières minutes de vol, et les entrées du journal de la maintenance indiquent que le problème a été reporté le même jour à Edmonton.

[11] Dans son rapport, l’agente de SST a noté une entrée de journal pour le 24 juin 2011, indiquant que, alors qu’elle tentait de régler un problème d’odeur, la maintenance avait constaté que la quille du logement de train était mouillée sur la partie inférieure du fuselage de l’avion vers l’entrée de l’APU et qu’elle avait lavé et séché la zone et les raccords dans la roue du logement de train d’atterrissage principal afin d’effectuer une détection de fuites, sans repérer aucune fuite.

[12] Le 26 juin 2011, le rapport de maintenance sur le Fin 415 indique notamment ce qui suit :

  • APU mouillé d’huile, détection de fuites d’huile avec lumière noire et nettoyage;
  • mise en marche de l’APU et nouvelle détection de fuites; aucune fuite détectée et absence d’huile sur l’APU;
  • absence d’huile sur le conduit d’air de l’APU;
  • première étape de décontamination effectuée;
  • remplacement des deux filtres de recirculation;
  • vérification du conduit entre la vanne de décharge de vapeur et la soupape de surpression sans détection d’huile;
  • vérification des circuits de prélèvement d’air pendant le roulement au sol à puissance élevée sans détection d’odeur notable.

[13] Après avoir enquêté sur les refus de travailler à Vancouver, l’agente de SST Blain a rendu une décision d’absence de danger concernant le vol AC1162 sur le Fin 415 de Vancouver à Toronto le 23 juin 2011. La section « Faits  » de son rapport indique ce qui suit :

  • [Traduction] Selon toute vraisemblance, la fuite hydraulique était du Skydrol LD4, dont la composition est précisée dans la fiche signalétique (FS) et qui n’est pas considérée comme une marchandise dangereuse. Si l’huile est chauffée, il faut mesurer la température et les vapeurs pour déterminer le niveau de concentration. À l’état de vapeur ou de brume, elle peut causer une irritation des yeux, de la peau et des voies respiratoires.
  • La valeur plafond pour le Skydrol LD4 selon la FS est fondée sur une exposition moyenne pondérée de huit heures par jour, 40 heures semaine. Aucune mesure n’a été prise relativement à l’odeur ou aux concentrations à bord du vol AC239 sur le Fin 415 d’Edmonton à Vancouver, et on n’a pas déterminé la durée de l’exposition.
  • Il n’y a aucun moyen de savoir si le Skydrol LD4 est le seul produit à avoir causé l’odeur. D’autres produits ou sous-produits pourraient avoir contribué à produire l’odeur, mais il est impossible de le confirmer, car aucune mesure n’a été faite, et la durée de l’exposition n’a pas été établie.
  • Un représentant du fabricant du Skydrol LD4 (Solutia) a indiqué que le « stock de base  » (les trois premières composantes énumérées dans la FS sous « composition  ») serait sans doute très irritant s’il était inhalé, mais qu’il n’y aurait pas d’effets à long terme sur la santé.
  • Les membres de l’équipage se sont uniquement plaints d’une odeur et n’ont signalé aucune maladie ni aucun symptôme découlant de odeur, que ce soit en personne, au moment de leur refus de travailler ou dans leurs déclarations écrites de refus.

Hadin Blaize

[14] Pendant toute la période pertinente, Mme Hadin Blaize était agente de bord d’Air Canada et membre de l’unité de négociation des agents de bord représentée par le SCFP et, le 4 janvier 2012, elle était affectée au vol AC119 de Toronto à Calgary sur l’Airbus A320 identifié comme le Fin 214 et devait par la suite effectuer l’étape de vol suivante (AC215) de Calgary à Vancouver. Selon le rapport de l’agente de SST, alors qu’elle travaillait à bord du vol AC119 à destination de Calgary, Mme Blaize a remarqué une odeur dans la partie arrière de l’avion qu’elle a décrit comme une « odeur de vomis/forte odeur de pieds/chaussures  », ladite odeur étant ressentie pendant le refoulement et se dissipant « quelques minutes/un instant  » après le décollage. Selon l’agente de bord Blaize, pendant le vol, « l’air/O2 était sec  » de la partie alaire jusqu’à la partie arrière de l’avion, et il « était un peu plus difficile de prendre des grandes respirations  », ce qui lui avait « peut-être donné la nausée  ».

[15] Selon le rapport de l’agente de SST Pollock, après que les portes de l’avion ont été fermées et que l’avion a été sur la piste en service, le directeur de vol du AC119 a informé Mme Blaize qu’une entrée avait été faite dans le carnet des défectuosités cabine concernant le Fin 214 vers le 28 ou 30 décembre, qui indiquait, selon son souvenir, « un problème/une inquiétude  » au sujet d’un groupe de conditionnement d’air inopérant ou d’une possible fuite d’huile. À son arrivée à Calgary, lorsque Mme Blaize a appris que le même avion, le Fin 214, allait servir pour l’étape de vol suivante (AC215) à destination de Vancouver, elle a exercé son droit de refuser de travailler parce qu’elle ne se sentait pas à l’aise et en sécurité en raison de l’odeur présente à bord du vol à destination de Calgary et du carnet des défectuosités cabine concernant le Fin 214. Mme Blaize était le seul membre du l’équipage de cabine qui avait été affecté à la liaison à l’arrivée à Calgary et qui devait faire l’étape suivante (AC215) à destination de Vancouver.

[16] Le directeur de l’équipage de cabine d’Air Canada, T. Ibbot, a été informé par le coprésident employé du comité en milieu de travail K. Allbright que Mme Blaize avait refusé de consulter un médecin à Calgary parce qu’elle n’avait plus de symptômes et, ayant été informée qu’Air Canada préférait qu’un médecin l’examine par précaution, elle avait ensuite informé l’agente de SST Pollock qu’elle avait appelé son médecin de famille vers le 5 janvier 2012, sans faire d’autres commentaires. Informé du refus de Mme Blaize, le directeur de l’équipage de cabine Ibbot a discuté avec le capitaine Brent Martel (Marterall), pilote du Fin 214 à destination de Vancouver (AC215), qui a indiqué qu’il y avait des anomalies techniques liées à l’APU et que l’APU était inopérant en raison d’une possible fuite [d’huile] dans le groupe de conditionnement d’air et que l’odeur associée à l’élimination de la fuite [d’huile] se dissiperait après le décollage. Mme Blaize a été informée par le directeur T. Ibbot qu’il n’y avait pas de fuite de carburant sur le Fin 214. Le capitaine Martel (Marterall) a également expliqué la nature des anomalies techniques à Mme Blaize, qui s’est rappelée qu’on lui ait dit que l’APU de l’avion était inopérant en raison d’une légère infiltration d’huile, qu’il pourrait y avoir une odeur au moment du refoulement et de l’atterrissage pendant environ deux minutes, que le Fin 214 était opérant, et que si des odeurs suspectes étaient remarquées à la circulation à la surface, il retournerait immédiatement au quai.

[17] Ces explications ont convaincu le directeur de l’équipage de cabine Ibbot qu’il n’y avait pas de danger, mais Mme Blaize a indiqué qu’elle maintenait son refus de travailler. On lui a ensuite remis la FS du Mobil Jet Oil II ainsi qu’une copie du message « Globe  » sur les odeurs dans la cabine. La maintenance a également fourni les renseignements suivants :

  • l’APU et le groupe de conditionnement d’air no 2 avaient été désactivés en raison de l’odeur;
  • le 3 janvier 2012, les filtres à air et les filtres à ozone avaient été remplacés, ainsi que la vanne de régulation de débit sur le groupe de conditionnement d’air no 2;
  • l’APU de l’avion devait être changé et l’appareil décontaminé à Toronto, la nuit du 4 janvier.

[18] Le contrôle de la maintenance a plus tard indiqué que les pilotes et l’équipage de l’étape de vol Calgary/Vancouver (AC215), rencontrés à leur arrivée à Vancouver, n’avaient signalé aucune odeur. Le capitaine a informé le directeur de l’équipage de cabine, Colin Murphy, qu’il n’y avait pas de problème qui pouvait, à sa connaissance, être dangereux pour l’équipage et a ajouté que la LME concernant l’APU ne devrait pas poser de problème. On a également rencontré les agentes de bord affectées au AC215 à destination de Vancouver. Les deux agentes de bord qui étaient assises à l’arrière de l’avion ont dit n’avoir rien senti. Le directeur de service et l’agente de bord assise à l’avant ont indiqué avoir détecté une légère odeur pendant la montée et la descente, mais ont ajouté qu’ils se sentaient bien. Selon l’agente de bord, cela sentait les « vieilles chaussettes  », mais un simple nettoyage de la moquette aurait peut-être suffi à dissiper l’odeur. Elle n’a eu ni mal à la tête ni mal au cœur et a ajouté que l’équipage était plus sensible parce qu’il était au courant des problèmes entourant le Fin 214.

[19] RHDCC (maintenant Emploi et Développement social Canada (EDSC))/Transports Canada a été informé du maintien du refus de travailler le 4 janvier 2012, et l’agente de SST Wylie a ouvert son enquête le jour même. Elle a plus tard (le 16 février 2012) informé Air Canada que le dossier avait été transféré à l’agente de SST Pollock, qui a terminé l’enquête le 13 mars 2012.

[20] Le Fin 214 avait été inspecté par la maintenance d’Air Canada avant le vol AC215. L’inspection portait sur les anomalies techniques liées au signalement d’odeurs dans la cabine lors de vols précédents, et l’incident suivant a été signalé entre le 28 décembre 2011 et le 4 janvier 2012 :

  • 28 décembre 2011 - Deux employés affectés au vol AC190 ont signalé une odeur dans la cabine. Le premier employé a noté une forte odeur de « vieilles chaussette moisies  ». La maintenance a fait le suivi, confirmé que les réservoirs d’huile de l’APU et des moteurs étaient pleins, mais n’a relevé aucune odeur ni historique. Selon le capitaine, l’avion avait été déglacé et la maintenance pensait que l’odeur venait du liquide dégivrant, elle n’avait trouvé aucun défaut lié à l’avion et l’avait déclaré en bon état de service. Selon le second employé, on avait senti une odeur de « vieilles chaussettes mouillées  » à l’embarquement et signalé l’incident dans le carnet. 31 décembre 2011 – La maintenance a remplacé les filtres de recirculation, attribuant la faute à une apparente fuite d’huile dans l’APU et, conformément à la LME, désactivant la vanne de décharge de l’APU. Le même jour, la maintenance a indiqué que l’APU avait besoin d’une « vérification de l’huile  » et noté que l’avion restait conforme à la LME.
  • 1er janvier 2012 - À bord du vol AC418, une « odeur de vieilles chaussettes  » dans la cabine a été signalée à la descente à peu près au même moment que l’antigivrage. La maintenance a indiqué que le problème avait été réglé le 2 janvier 2012, affirmant que la vanne de décharge de l’APU avait été désactivée et demandant à l’équipage de « rester à l’affût d’une odeur de chaussettes  ».
  • 3 janvier 2012 - On a signalé une mauvaise odeur qui a duré jusqu’après le décollage. On n’a rien senti à l’étape de la puissance nominale, mais l’odeur est réapparue sous 5 000 pieds lorsqu’on a désactivé les systèmes servant à purger l’APU. Selon la maintenance, l’APU respectait la LME, la vanne de décharge était verrouillée, le système de conditionnement d’air (ECS) avait été décontaminé, et les filtres de recirculation et d’ozone avaient été remplacés. Soulignant qu’un roulement au sol n'avait produit aucune odeur, la maintenance a indiqué qu’« il ne fallait pas utiliser le prélèvement APU jusqu’à ce que l’APU soit remplacé  ».
  • 4 janvier 2012 - Un employé affecté au vol AC464 a signalé la présence d’une brume sèche à l’arrière de l’avion au moment du décollage jusqu’au stade de puissance nominale, affirmant que cela sentait « comme si quelque chose surchauffait  » et qu’il y avait une « odeur de chaussette sales lorsque le groupe de conditionnement d’air no 2 était activé  ». Étant donné la répétition de ces anomalies techniques, la maintenance a demandé au Service de l’ingénierie de procéder à une évaluation. Le même jour à bord de l’AC119, on a signalé une « odeur de vieilles chaussettes  » dans la cabine et le poste de pilotage après le démarrage réacteur. L’odeur s’est dissipée pendant la circulation à la surface et avait complètement disparu après le décollage. À nouveau le 4 janvier 2012, cette fois à bord du vol AC215, un agent de bord (R. Del Rosario) a signalé une odeur de « vieilles chaussettes/tapis mouillé  » à l’avant de la cabine pendant la circulation à la surface et le décollage. La maintenance a fait remarquer que les préposés au nettoyage avaient été avisés de nettoyer à fond et de déodoriser la cabine.
  • 5 janvier 2012 - Le Fin 214 a été retiré du service toute la journée pour permettre le remplacement de l’APU.

[21] Selon le directeur de l’équipage Colin Murphy, la directrice de service (Mme Brigitte Forget) qui, à la suite du refus de Blaize, avait été affectée au vol AC215 le 4 janvier 2012, a signalé que, pendant l’étape de vol suivante (AC100), elle et l’équipage avaient remarqué une odeur de « pieds mouillés/malodorants  » dans la cabine. Mme Forget a fourni les détails suivants :

  • Le copilote était aux toilettes depuis un bon moment et, quand il est sort, il a dit qu’il ne se sentait pas très bien et qu’il avait vomi plusieurs fois;
  • Mme Forget et les trois agents de bord avaient remarqué une forte odeur déplaisante pendant le vol, que Mme Forget avait décrite comme une odeur de pieds mouillés/malodorants et une « odeur corporelle  » dans le poste de pilotage, bien que les pilotes semblaient maintenir une très bonne hygiène;
  • Mme Forget et l’équipage de cabine avaient eu mal à la tête et Mme Forget avait eu la nausée et s’était sentie étourdie, même s’il lui arrivait parfois d’avoir mal à la tête pendant les vols. Toutefois, à la fin du vol, elle avait un goût de « métal  » ou d’« huile  » dans la bouche. Elle n’avait pas pu dormir lorsqu’elle était arrivée à son hôtel. Elle se sentait bien maintenant, quoique fatiguée par le manque de sommeil.

Comme il est indiqué ci-dessus, l’agente de SST Pollock a rendu sa décision d’« absence de danger  » le 26 mars 2012. Son rapport d’enquête indique notamment ce qui suit :

  • Air Canada avait mis en place des processus et des procédures pour gérer les incidents liés à des odeurs en novembre 2011 et, grâce à ces processus et procédures, Air Canada était en mesure d’identifier le produit auquel Mme Blaize avait été exposée à bord du vol AC119;
  • Air Canada s’était engagée à suivre des procédures strictes d’enquête de maintenance et de dépannage pour régler les incidents liés à des odeurs;
  • L’hygiéniste industriel d’Air Canada avait mené et conclu l’enquête sur les substances dangereuses ouverte par Transports Canada le 4 novembre 2011, et les renseignements avaient été transmis au groupe en vol par GLOBE, une méthode de communication en ligne avec l’équipage de cabine;
  • Mme Blaize avait reçu une copie de la FS du Mobil Jet Oil II. Selon cette FS, le Mobil Jet Oil II ne devait pas avoir d’effets néfastes sur la santé si on l’utilisait normalement et qu’on respectait les normes d’hygiène. Le produit pouvait se décomposer à des températures élevées ou en cas de feu et provoquer une irritation ou des vapeurs nocives de monoxyde de carbone. Les symptômes d’exposition aigüe à ces produits de décomposition pouvaient comprendre des maux de tête, des nausées et une irritation des yeux, du nez et de la gorge;
  • L’hygiéniste industriel de RHDCC a confirmé que le Mobil Jet Oil n’était ni un produit contrôlé ni une substance dangereuse;
  • Il n’est pas rare que des gens réagissent à cette odeur, et certains peuvent y réagir plus que d’autres. L’odeur peut être forte pendant de courts moments, mais elle disparaît au bout de quelques minutes. Un faible seuil ne signifie pas qu’une odeur est nocive, pas plus qu’une odeur ne signifie qu’il y a un danger pour la santé;
  • Concernant la situation découlant du refus de Mme Blaize, Air Canada avait verrouillé la vanne de décharge de l’APU le 31 décembre 2011, remplacé les filtres et suivi la procédure de décontamination le 3 janvier 2011. La procédure de décontamination brûle l’huile résiduelle dans l’ECS, mais il peut subsister une mauvaise odeur à cause de la chaleur produite pendant cette procédure. Bien qu’un groupe de conditionnement d’air (no 2) ait été inopérant, le directeur du soutien technique de la maintenance d’Air Canada (E. Bérubé) et l’inspecteur des travaux de maintenance de Transports Canada ont confirmé que le fait de n’avoir qu’un groupe de conditionnement d’air inopérant ne changeait pas la qualité de l’air.

Question en litige

[22] Les présents appels contestent les conclusions des agentes de SST Pollock et Blain concernant le refus de travailler signifié par les employés appelants d’Air Canada. Selon ces conclusions, les conditions de travail entourant ces refus de travailler ne présentaient pas de danger au sens du Code pour les employés appelants. Même si l’on constate de légères variations entre les circonstances des refus, tous ont en commun, y compris ceux des agents de bord LaPorte et Martinez faisant l’objet d’une cause et d’une décision parallèles mentionnées plus haut, la présence d’une odeur décrite comme une odeur de « sac de sport mouillé et malodorant  » ou de « vieilles chaussettes  », que tous les employés ont perçue ou dont ils ont été informés.

[23] Par conséquent, en résumé, la question soulevée par les présents appels consiste à déterminer si, dans les conditions de travail décrites dans les rapports des agentes de SST et les exposés conjoints des faits déposés en preuve, cette odeur constituait ou indiquait un danger pour ces employés qui justifiait leur refus de travailler. L’ensemble de la preuve présentée dans le cadre de ces appels porte sur cette question.

Observations des parties

A) Observations des appelants

[24] Lors des conférences préalables à l’audience, les parties avaient indiqué leur intention de déposer une grande quantité de preuves documentaires et d’appeler un grand nombre de témoins pour faire valoir leur point de vue. La plupart des preuves documentaires ont été déposées au début de l’audition et au cours de celle-ci, mais les parties ont choisi de n’appeler que quatre témoins, dont trois ont été présentés comme des experts et reconnus comme tels par l’agent d’appel soussigné dans les domaines suivants.

[25] Les appelants ont fait témoigner deux experts, soit les Drs Robert Harrison et Clifford P. Weisel. Le Dr Harrison, qui est autorisé à pratiquer la médecine en Californie, est professeur clinicien de médecine à l’Université de la Californie à San Francisco et professeur invité à l’école de santé publique de l’Université de la Californie à Berkeley, en plus d’exercer les fonctions de chef du programme de santé au travail, de surveillance et d’évaluation du Département de santé publique de la Californie. Il est médecin traitant pour les services de santé au travail et pour le programme des pathogènes à diffusion hématogène à l’Université de la Californie à San Francisco et directeur du programme d’internat en santé au travail de l’Association of Occupation and Environmental Clinics. Le Dr Harrison est reconnu comme un expert en médecine du travail et en médecine interne ainsi qu’en toxicologie et en épidémiologie, bien que l’intimée Air Canada ait émis des réserves sur l’expertise du Dr Harrison en toxicologie et en épidémiologie du fait de son expérience limitée.

[26] Le seul autre témoin à l’audition a été M. David Supplee, actuellement agent financier pour le district 142 de l’Association internationale des machinistes, qui représente des mécaniciens d’avions de nombreuses compagnies aériennes, dont U.S. Airways, Hawaiian Airlines et Alaska Airlines, mais pas les mécaniciens d’Air Canada, qui sont plutôt représentés par le district 140 de ce même syndicat. M. Supplee travaillait depuis 1980 pour la U.S. Airways, où il avait exercé diverses fonctions, dont mécanicien d’avions, chef mécanicien et chef mécanicien breveté d’Airbus; à ce dernier titre, il avait fait partie de l’équipe de mise en service de la compagnie aérienne lorsqu’elle avait ajouté l’Airbus à sa flotte et avait agi comme inspecteur du contrôle de la qualité désigné pour la flotte de la compagnie, qui comprenait les Boeing 737 et 757 ainsi que les Airbus A319, 320 et 321.

[27] M. Supplee a été appelé à témoigner en réponse à la demande de précisions du soussigné concernant le fonctionnement du système de ventilation et de conditionnement d’air des Airbus A319, 320 et 321, surtout le fonctionnement du système de ventilation et des groupes de conditionnement d’air ou du groupe auxiliaire de bord (APU) des avions, bien que son témoignage ait porté aussi sur d’autres composantes du système de ventilation. Son témoignage visait au départ à fournir de l’information sur le fonctionnement de ces systèmes et équipement, mais il a également parlé en détail des diverses sources de contamination de l’air à bord des Airbus A319, 320 et 321, qui sont essentiellement les mêmes avions à fuselage étroit.

[28] Personne n’a mis en doute le témoignage de M. Supplee sur les systèmes de gestion de l’air et de ventilation des Airbus. Il a expliqué qu’il y avait des sources primaires et résiduelles de contamination de l’air à bord des Airbus. Plus précisément, l’air cabine est un amalgame d’air extérieur soufflé dans l’avion par les moteurs grâce à une technique exigeant que l’air extérieur soit purgé hors des moteurs et remis en circulation, cet air étant essentiellement le même que le premier, mais recyclé et remis en circulation après avoir été aseptisé à l’aide des filtres absolus (HEPA) qui récoltent les particules de diverses origines qui pourraient se retrouver dans l’air contaminé de la cabine. Il convient de noter que des contaminants de sources externes peuvent aussi pénétrer par l’avant des moteurs, entrer dans l’air réacteur et plus tard dans l’air de prélèvement.

[29] L’Airbus compte deux moteurs, et c’est par ces moteurs que l’air extérieur est normalement soufflé dans le système de ventilation vers la cabine. Dans certaines circonstances, l’air extérieur peut également passer par l’APU, surtout lorsque l’avion est stationnaire sur le tarmac et que les moteurs principaux ne sont pas en service. Selon M. Supplee, les moteurs et l’APU sont les principales sources de contamination de l’air cabine par le circuit de prélèvement d’air, parce que de l’huile moteur et des contaminants extérieurs peuvent entrer dans le circuit de prélèvement d’air à ces endroits.

[30] L’air extérieur qui entre dans les moteurs (ou l’APU) est comprimé par des ventilateurs, où il atteint des températures élevées, puis est expulsé de chaque moteur par deux vannes de décharge (des « robinets  ») vers les conduits de ventilation qui mènent l’air de prélèvement dans un système de « refroidissement préalable  » dans les deux groupes de conditionnement d’air de l’avion, lesquels refroidissent l’air de prélèvement chaud. Cet air passe ensuite dans une boîte de mélange où il est combiné à l’air remis en circulation, puis libéré dans la cabine. L’air remis en circulation peut passer par les filtres HEPA avant d’être mélangé à l’air de prélèvement, mais le mélange n’est pas filtré lorsqu’il est libéré dans la cabine. Les ventilateurs qui compriment l’air extérieur circulant jusqu’à l’arrière des moteurs sont montés sur un arbre commun soutenu par des paliers, qui doivent être lubrifiés. L’huile moteur est le lubrifiant utilisé, et on l’empêche de se mélanger à l’air au moyen de joints d’étanchéité (joints carbone, labyrinthe ou étanches à l’air). Ces joints d’étanchéité peuvent s’user et fuir, et dans ce cas l’huile se mélange à l’air comprimé extrêmement chaud dans les moteurs (de 210 ºC à 225 ºC), vaporisant ainsi l’huile. Les vannes de décharge par lesquelles l’air circule sont situées derrière ou « en aval  » d’un certain nombre de paliers et, donc, si un palier « en amont  » d’une vanne de décharge fuit, l’huile vaporisée entre dans le conduit menant à la cabine et peut contaminer l’air avec des produits de pyrolyse.

[31] L’APU fonctionne à peu près comme un moteur d’avion. Il a la même conception de base que les moteurs principaux d’avion, quoique à plus petite échelle, y compris une valve de prélèvement d’air qui alimente l’air dans le même ensemble de conduits d’évacuation servant à libérer l’air dans la cabine. Il est utilisé pour démarrer les moteurs d’avion en leur fournissant de l’air comprimé et envoie de l’air à la cabine et alimente les systèmes d’avion lorsque les moteurs ne tournent pas. Même si l’air comprimé de l’APU peut être légèrement plus froid que celui des moteurs principaux, il est quand même à des températures suffisantes pour vaporiser de l’huile.

[32] Comme les moteurs principaux, l’APU peut perdre de l’huile par un joint de roulement usé, entraînant la vaporisation d’huile et le transport de produits de pyrolyse par l’air comprimé soufflé dans le système de circulation d’air et entrant dans la cabine de l’avion. Dans d’autres circonstances, l’APU peut aussi servir de conduit de contamination. Cela peut arriver, par exemple, lorsque des fluides à l’extérieur de l’avion, comme du liquide dégivrant, coulent sur la partie inférieure du fuselage de l’avion et sont ingérés pendant la phase d’admission du fonctionnement de l’APU. Cela peut aussi se produire lorsqu’on met trop d’huile moteur à l’APU; l’excès d’huile s’écoule alors et pénètre dans l’APU chaud qui tourne.

[33] Outre les moteurs principaux et l’APU, la contamination d’huile dans l’air cabine peut provenir du groupe turbo-refroidisseur (ACM) ou « compresseur pour turbine  » situé dans les groupes de conditionnement d’air. La turbine est soutenue par des paliers dont les joints d’étanchéité carbone peuvent s’user et fuir, même si les températures dans l’ACM sont beaucoup plus basses que dans les moteurs ou l’APU. La même huile moteur Mobil Jet Oil II est utilisée dans les moteurs, l’APU et l’ACM.

[34] Dans son témoignage, M. Supplee a également parlé des sources résiduelles de contamination de l’air. L’huile vaporisée ou les autres contaminants qui entrent dans les conduits du système de ventilation peuvent se condenser dans certaines conditions et laisser des résidus dans le système. M. Supplee a noté que, du fait de la conception du système (l’air circule par des conduits de 3 po vers diverses valves. puis il est distribué dans la cabine par des conduits plats au-dessus du fuselage), il est difficile de repérer la source de la contamination et de corriger le problème lorsqu’il est causé par la présence de résidus dans le système de ventilation. Dans des conditions de fonctionnement normal, l’air de prélèvement du moteur no 1 circule par les conduits jusqu’au groupe de conditionnement d’air no1, du côté gauche de l’avion, et de la même façon le moteur no 2 et le groupe de conditionnement d’air no 2 alimentent le côté droit de l’avion. Dans des conditions de fonctionnement normal, le groupe de conditionnement d’air no 1 alimente le poste de pilotage, et le groupe de conditionnement d’air no 2 fait de même pour la cabine, bien que les deux puissent remplir les deux fonctions, du fait de l’intercommunication des purges d’air alimentant un groupe de conditionnement d’air à l’autre à l’aide de clapets d’intercommunication d’air. Des conduits de 3 po de diamètre vont des moteurs jusqu’au bout de l’aile à la baie de conditionnement d’air, où les groupes de conditionnement d’air sont situés, juste en avant du logement de train. De là, l’air est distribué dans l’avion par les conduits de distribution plats.

[35] L’APU génère de l’air de prélèvement qui est acheminé aux moteurs d’avion pour les démarrer. Cet air de prélèvement utilise des conduits (de 65 à 75 pieds de longueur) sous la soute à plancher pour atteindre les vannes de démarrage sur les moteurs, puis passe par les mêmes conduits pour rejoindre les groupes de conditionnement d’air utilisés par l’air de prélèvement du moteur pour assurer la ventilation lorsque l’avion est au sol. Comme il est mentionné ci-dessus, un clapet d’intercommunication d’air permet à l’air du moteur no 1 de fournir de l’air au groupe de conditionnement d’air no 2 et vice versa. On pourrait ouvrir ce clapet d’intercommunication d’air pour deux principales raisons. D’abord, si un moteur a un problème, on peut utiliser l’autre pour fournir de l’air aux deux groupes de conditionnement d’air. Ensuite, si on ne peut pas se servir de l’APU, on peut utiliser une source d’air géothermique pour démarrer le moteur no 1, lequel fournira ensuite de l’air comprimé chaud pour démarrer le moteur no 2. Du fait de cette conception, les fuites d’huile ou la contamination externe de l’un ou l’autre des moteurs ou de l’APU peuvent entraîner la formation de résidus n’importe où dans le système de conduits d’évacuation, ce qui peut provoquer la contamination de l’air cabine lorsque ces résidus sont disséminés ou pyrolysés. S’il y a une fuite réelle ou présumée, ou un problème lié à l’APU, l’ouverture du clapet d’intercommunication d’air augmentera les risques de contamination résiduelle par le système de ventilation.

[36] L’air de prélèvement chaud est refroidi au moyen d’échangeurs thermiques dans les groupes de conditionnement d’air qui sont conçus pour maximiser la surface à l’extérieur de laquelle « l’air dynamique  » (l’air froid) passe et refroidit l’air chaud à l’intérieur. Les températures dans le système de ventilation fluctuent, ce qui amène l’huile vaporisée à se condenser pour former des résidus. Cela peut arriver dans les échangeurs thermiques lorsque l’air dynamique refroidit l’air de ventilation chaud.

[37] Lorsque l’avion cesse de tourner, les températures baissent, et l’huile vaporisée se condense. L’huile peut se condenser dans les conduits, les valves et les échangeurs thermiques après divers degrés de transformation par chauffage et refroidissement. M. Supplee a dit avoir vu des vannes groupes enrobées d’huile et cuites sur de l’huile carbonisée et des échangeurs thermiques recouverts d’une substance noire semblable à du goudron et des traces d’huile. De plus, si des matières particulaires pénètrent dans la cabine, elles se déposeront sur les filtres HEPA lorsque l’air cabine sera remis en circulation. Comme des résidus de toute source peuvent se former sur l’un ou l’autre des groupes de conditionnement d’air ou des conduits d’un côté ou de l’autre de l’avion, la fermeture d’un groupe de conditionnement d’air ou des vannes de prélèvement d’air d’un moteur ou de l’APU n’empêchera pas l’air vicié d’entrer dans la cabine. Lorsque l’air de prélèvement chaud du moteur restant entre en contact avec les résidus, il peut se vaporiser et contaminer l’air cabine. M. Supplee a ajouté qu’il suffisait d’une très petite quantité d’huile – quelques gouttes – pour produire de la fumée. Une augmentation de la consommation d’huile par un moteur est un indicateur de fuite d’huile. Dans des conditions de fonctionnement normal, un moteur d’avion utilisera une à deux pintes d’huile par jour. Un palier qui fuit fera tripler ou quadrupler la consommation d’huile quotidienne.

Le Dr Clifford P. Weisel

[38] Le Dr Clifford P. Weisel, Ph.D., est professeur au Département de médecine environnementale et de médecine du travail de la Robert Wood Johnson Medical School de l’Université du New Jersey et directeur adjoint de la division des sciences de l’exposition de l’Environmental and Occupational Health Sciences Institute. Il partage son temps entre la recherche et l’enseignement des sciences de l’exposition depuis plus de 20 ans, en plus de diriger l’analyse de laboratoire de divers composés liés à la libération d’huile moteur dans l’air de prélèvement des avions. Le Dr Weisel est reconnu comme un expert en sciences de l’exposition. Il a écrit de nombreux articles évalués par les pairs sur des sujets liés aux questions soulevées dans les présentes causes.

[39] Dans son rapport, il évalue la probabilité que des substances chimiques dangereuses aient été libérées dans l’air cabine d’un avion lorsque plusieurs membres de l’équipage de cabine ont signalé un problème de qualité de l’air lié à une odeur présente dans la cabine décrite comme une odeur de vieilles chaussettes ou de vomis. Le Dr Weisel a analysé les problèmes de qualité de l’air afin de déterminer si les mêmes problèmes de qualité de l’air pouvaient survenir à une étape de vol subséquente à bord du même avion, et expliqué ce que l’on sait de la qualité de l’air associée aux odeurs signalées par les employés qui ont refusé de travailler. Au sujet de la source d’air dans un avion, le témoin a noté que l’air frais arrive dans l’avion par l’air comprimé à température élevée qui est soufflé par les moteurs ou l’APU et qui, après avoir refroidi, est mélangé à l’air remis en circulation pour fournir la ventilation nécessaire à la cabine de l’avion. On utilise l’APU lorsqu’on a besoin de l’air de prélèvement du moteur pour assurer un rendement optimal de l’avion ou lorsque l’avion est au sol et que les moteurs sont éteints. Il a fait remarquer que, en l’espèce, les odeurs en question avaient été détectées lorsque l’APU était en marche sur chaque avion.

[40] Selon le Dr Weisel, une fuite d’huile dans l’air de prélèvement, qui pénètre ensuite dans la cabine de l’avion par le système de ventilation, est souvent associée à une odeur « de vieilles chaussettes ou de vomis  ». L’huile peut contaminer l’air de prélèvement de l’avion en cas de défaillance mécanique, le joint d’étanchéité séparant la section du compresseur d’air qui est remplie d’huile de la section qui fournit l’air de ventilation. La contamination peut également survenir si le réservoir d’huile est trop plein, si de l’huile est renversée pendant le processus de remplissage, ou si le joint d’étanchéité fuit dans des conditions passagères de température élevée et de moteur à haute puissance. Lorsque de l’huile contamine l’air de prélèvement, la température élevée de l’air peut provoquer la pyrolyse de l’huile et des composants de l’huile, et les produits de pyrolyse peuvent se mélanger à l’air qui circule dans la cabine, exposant ainsi l’équipage et les passagers aux substances chimiques dangereuses qui émanent soit de l’huile soit de sa pyrolyse.

[41] L’huile qui fuit dans l’air de prélèvement entraîne la libération, dans la cabine de l’avion, de nombreux composés potentiellement dangereux, comme des isomères du phosphate de tricrésyle (TCP), du phosphate de dibutyle et de phényle (DPP), divers hydrocarbones, qui sont des composantes de l’huile moteur ou de l’huile hydraulique, et plusieurs produits de pyrolyse comme le monoxyde de carbone, le trimétholpropane, le formaldéhyde et les acides octanoïque et décanoïque. Ces acides ont une odeur rance et peuvent sans doute être associés à une odeur de vieilles chaussettes, même si seulement quelques composés du mélange dangereux causent l’odeur. Toutefois, le Dr Weisel a fait remarquer que les publications de recherche consultées montraient qu’on disposait de peu de données sur les contaminants présents dans l’air de prélèvement du moteur dans des conditions de fonctionnement normal et perturbé, comme lorsque des situations liées à des odeurs surviennent en raison d’une fuite d’huile moteur dans l’air de prélèvement sur des vols commerciaux, parce que ces incidents surviennent assez rarement, et il faudrait donc analyser un très grand nombre de vols avec incidents pour réunir suffisamment d’échantillons d’air et de données sur la santé de l’équipage et des passagers pour déterminer si les effets sur la santé sont liés à ces incidents.

[42] Les publications de recherche consultées par le Dr Weisel l’ont mené à la conclusion qu’il faudrait une certaine concentration d’huile pyrolysée dans l’air de prélèvement pour menacer la santé des membres de l’équipage. Selon des calculs et une série d’hypothèses utilisées dans une publication de recherche,Footnote 1  on a établi que la pyrolyse de 1 g d’huile produirait des concentrations de formaldéhyde à la valeur VLE-C plafond. À ce sujet, le Dr Weisel a souligné que, même si, selon certaines hypothèses énoncées dans ladite recherche, 1 g d’huile peut être une sous-estimation de la quantité requise pour atteindre une concentration de formaldéhyde dans l’air au-dessus de la valeur VLE plafond, les taux de consommation d’huile habituels des avions commerciaux sont de l’ordre de 0,5 pinte par heure, ce qui représenterait ±470 g, et il a donc établi d’après ces estimations que les pertes d’huile dans l’air de prélèvement nécessaires pendant un vol pour produire une concentration dangereuse concordent avec ce qui pourrait arriver lors d’une fuite d’huile qui ne serait pas rapidement détectée par l’entretien courant.

[43] À titre de comparaison, le Dr Weisel a fait référence à des études qui mesurent les concentrations de TCP dans le poste de pilotage d’avions militaires au vol et au sol, donnant à penser que les concentrations auraient été plus élevées si la verrière avait été fermée. Il a cependant fait remarquer qu’aucune mesure de concentration semblable n’avait été signalée dans la documentation publiée sur les avions commerciaux. Le Dr Weisel a également fait référence à 94 échantillons d’air recueillis par Honeywell Corporation pour établir un sommaire des concentrations de composés organiques dans l’air de prélèvement dans une dissertationFootnote 2 . Il a toutefois ajouté que le document n’indiquait pas si ces échantillons avaient été recueillis lors d’une fuite d’huile ou lorsqu’une odeur était présente dans l’avion. De plus, des incidents de fuite d’huile se produisent à une fréquence moyenne de 1 % des cycles de vol.

[44] Le Dr Weisel a ainsi conclu que les concentrations moyennes fournies pour les aldéhydes, les hydrocarbures aliphatiques et aromatiques, le TCP, le monoxyde de carbone (CO) et les autres composés reflèteraient des conditions de fonctionnement normal de l’avion plutôt qu’un fonctionnement perturbé. Même si, comme on l’a mentionné plus tôt, la fréquence de ces incidents (des fuites d’huile dans l’air de prélèvement) peut varier d’un type d’avion à l’autre, le BAe 146 étant le plus sujet à ce genre de fuitesFootnote 3  , le Dr Weisel a ajouté que, selon l’étude Van Netter (2005), l’Airbus A320 avait la deuxième meilleure qualité de l’air, à 1,29 incident signalé par 1000 cycles de vol. Il a également formulé l’opinion selon laquelle, lorsqu’on constate une odeur dans un avion qui est associée à une fuite d’huile dans l’air de prélèvement qui est probablement attribuable à la détérioration d’un joint d’étanchéité ou à un autre défaut de fonctionnement du mécanisme qui sépare l’huile de l’air de prélèvement, il est probable que les problèmes de qualité de l’air persisteront à bord de l’avion jusqu’à ce qu’on ait trouvé la source de la fuite d’huile et corrigé le problème.

[45] Dans son rapport, le Dr Weisel analyse les résultats d’un vol d’essai réalisé le 3 mai 2012 pour Air Canada par une société indépendante (Golder Associates) afin d’évaluer les composés présents dans la cabine d’avion lorsqu’on utilise un APU que l’on sait avoir une fuite d’huile. Ce rapport fournit des mesures de phosphate de tri-ortho-crésyle (TOCP), de composé organique total (filtrage) et de monoxyde de carbone à trois endroits dans l’avion pendant le vol. L’APU fonctionnait pendant différents laps de temps alors que l’avion était au sol, pendant la montée et la descente et le retour au hangar.

[46] Selon le Dr Weisel, la procédure utilisée pour l’évaluation posait problème, surtout si l’objectif était de déterminer si l’APU qui fuyait laissait s’échapper des substances chimiques dangereuses. D’abord, le composé mesuré (le TOCP) n’est pas le seul produit dangereux (il y a aussi, entre autres, les isomères du TCP) à pouvoir se retrouver dans l’huile moteur. Ensuite, les échantillons d’air prélevés étaient trois fois plus importants que le volume maximal permis pour cet essai. Enfin, pendant la majeure partie du temps où les échantillons d’air ont été recueillis, on ne s’attendait pas à ce que des composés de l’APU soient produits parce que les échantillons avaient été prélevés tout au long du vol plutôt que sur les courtes périodes pendant lesquelles l’APU fonctionnait et pendant lesquelles les émissions se seraient probablement produites. Par conséquent, selon le Dr Weisel, bien que les résultats signalés à Air Canada par Golder Associates n’aient fourni aucune preuve indiquant que les concentrations de CO ou de TOCP dépassaient les normes réglementaires pendant le vol, la mesure de monoxyde de carbone pendant que l’APU était en marche donne à penser que l’APU émettait des composés qui auraient fait baisser la qualité de l’air cabine.

[47] Le Dr Weisel estime qu’on a démontré que chacun des avions où s’est produit un incident ayant mené au refus de travailler des appelants avait des problèmes de qualité de l’air associés à une fuite d’huile dans l’air de prélèvement de l’avion, cette fuite entraînant la libération d’un mélange de produits chimiques dans la cabine de l’avion, dont des produits chimiques dangereux et toxiques. Ledit mélange aurait été composé d’huile moteur et de produits de pyrolyse de l’huile inconnus. Le Dr Weisel estime que l’on pouvait vraisemblablement s’attendre à ce que l’équipage de cabine affecté à un vol subséquent à bord du même avion où l’on avait perçu l’odeur, sans que l’avion ait reçu un entretien adéquat visant à détecter et à réparer la fuite d’huile dans l’APU, les autres membres de l’équipage et les passagers soient exposés à un mélange de substances chimiques dangereuses associées à la fuite d’huile dans l’air de prélèvement de l’avion.

Le Dr Robert Harrison

[48] L’intimée a appelé le Dr Harrison à témoigner comme expert en médecine du travail et en toxicologie. Il est l’auteur d’un guide intitulé Exposure to Aircraft Bleed Air Contaminants Among Airline Workers, où il est question du risque que des composés chimiques toxiques comme les huiles à moteur pyrolysées et les fluides hydrauliques pouvant fuir dans les systèmes d’alimentation en air cabine de l’avion et du poste de pilotage aient des effets sur la santé. Le Dr Harrison a expliqué que, comme médecin et spécialiste en médecine interne, il avait consulté plus de 50 membres d’équipage de cabine exposés à une contamination de l’air de prélèvement en qualité de médecin du travail et étudié les causes de maladies professionnelles de patients en tant que médecin légiste breveté pour l’État de la Californie. À ce sujet, il a rédigé des rapports qui concluent que les patients exposés à l’air de prélèvement (présumément contaminé) ont subi des effets neurologiques, respiratoires et systémiques. Pour déterminer si l’on pouvait vraisemblablement s’attendre à ce que l’exposition à bord des avions en cause entraîne des blessures ou une maladie, il fait remarquer qu’il existe une littérature scientifique et médicale abondante qui indique que, depuis des décennies, les avionneurs et l’aviation commerciale reconnaissent le risque de contamination de l’air de multiples sources dans les avions.

[49] Selon le Dr Harrison, lorsque des employés sentent une odeur (on présume ici que le Dr Harrison parle d’odeurs qui sortent de l’ordinaire et qui diffèrent des odeurs habituelles dans leur lieu de travail), ils ont des raisons valables de penser qu’il y a une situation qui constitue un danger pour leur santé. Après une exposition à l’air de prélèvement et à d’autres contaminants à bord d’un avion, les membres de l’équipage de cabine peuvent avoir des symptômes aigus, comme de la toux, un essoufflement, des nausées, des douleurs thoraciques, des maux de tête, des étourdissements et de la confusion. Ces symptômes indiquent des effets toxiques aux systèmes respiratoire et nerveux central. Les examens physiques peuvent révéler une respiration sifflante ou un grésillement dans les poumons, tandis que les examens neurologiques peuvent dévoiler une dégradation de l’équilibre, de la démarche et de la coordination. Si les symptômes persistent, un examen objectif pourrait révéler une fonction pulmonaire anormale et des troubles de concentration ou de mémoire ou d’autres anomalies cognitives. Le Dr Harrison arrive donc à la conclusion que les agents de bord d’Air Canada qui ont refusé de travailler avaient des raisons valables de penser qu’ils pourraient avoir des problèmes de santé aigus ou chroniques à la suite d’une exposition aux aérocontaminants toxiques présents à bord de l’avion.

[50] Le Dr Harrison fait référence en particulier à une lettre d’information sur l’entretien d’Airbus datée du 13 mai 2004, qui fait partie des documents que l’on peut considérer pertinents déposés par Air Canada et qui est intitulée « Cabin Air Quality Troubleshooting Advice  » (guide de dépannage concernant la qualité de l’air cabine). Il fait remarquer que la lettre indique que [traduction] « de nombreuses causes possibles peuvent être à l’origine d’une odeur ou d’une fumée dans la cabine, et il est parfois difficile d’isoler rapidement la cause d’une odeur  ». Il ajoute que la liste comprend l’ingestion de liquide dégivrant par le moteur ou l’APU, la fumée d’échappement d’autres avions, la pollution, les fuites de fluides hydrauliques, les oiseaux et les résidus de la procédure de lavage du compresseur. Des fuites d’huile moteur peuvent également survenir dans le circuit de prélèvement d’air.

[51] Même si les odeurs peuvent être très utiles pour détecter la présence d’un gaz ou d’une vapeur en particulier dans l’environnement, la relation variable du seuil olfactif et de la concentration minimale qui réduirait les effets toxiques fait que l’odeur n’est pas un indicateur de toxicité fiable  ». M. Koroneos, directeur de l’hygiène industrielle, a recommandé des évaluations médicales seulement lorsqu’il y a des effets importants sur la santé après une exposition à des fumées confirmées dans l’air de prélèvement primaire. Faisant référence au même document, le Dr Harrison fait remarquer que le document de M. Koroneos résume l’effet biologique possible et l’indice de toxicité des contaminants dans l’air de prélèvement, notamment des irritants des voies respiratoires supérieures et du système nerveux central de toxicité légère à modérée, et conclut, dans une révision datée du 9 janvier 2012, que [traduction] « des effets importants sur la santé comprendraient des symptômes comme des maux de tête violents et chroniques, une désorientation et des vomissements  ». Il ajoute qu’une étude (Cranfield) citée par M. Koroneos montre qu’il y a des concentrations détectables de TOCP dans le poste de pilotage de l’avion pendant les opérations de vol de routine.

[52] Selon le Dr Harrison, n’importe quel agent de bord qui lirait ces documents d’Air Canada en arriverait à la conclusion qu’une exposition à des aérocontaminants toxiques présente un risque de blessure ou de maladie. Il souligne également que, dans chaque cas où les employés ont refusé de travailler, il y avait une preuve d’un problème mécanique à bord de l’avion et que, comme on n’a prélevé aucun échantillon d’air pendant ces incidents, ce qui aurait été en fait impossible, il est d’avis que les seuls examens mécaniques (leurs résultats) constituaient une preuve suffisante indiquant que des aérocontaminants toxiques étaient libérés dans l’air cabine et pouvaient menacer la santé, comme l’ont confirmé les FS de l’huile moteur (Mobil) et du Skydrol, selon lesquelles ces produits chimiques sont toxiques pour le système respiratoire.

[53] Concernant l’unique vol d’essai réalisé par Air Canada le 3 mai 2012 mentionné ci-dessus, le Dr Harrison estime que l’absence de TOCP à bord de ce vol ne fournit pas de preuve convaincante du risque que des aérocontaminants toxiques causent des maladies chez les employés qui ont refusé de travailler. Dans l’huile moteur, des TCP sont contenus sous forme de multiples isomères, dont l’isomère du TOCP, qui est présent en assez petite concentration. Dans ce vol d’essai, l’essai ne permettait pas d’évaluer le risque possible des TCP puisque seul l’isomère du TOCP était mesuré.

[54] En guise de conclusion, le Dr Harrison affirme avoir suivi la méthodologie acceptée dans le domaine de la médecine du travail pour déterminer que les employés en l’espèce avaient eu des raisons valables de croire qu’ils seraient exposés à des aérocontaminants toxiques susceptibles de causer des maladies, aigües et potentiellement chroniques. Dans chaque cas, la perception d’une odeur par les agents de bord était un signe qu’un aérocontaminant toxique était présent dans la cabine de l’avion. La présence de ce contaminant toxique s’expliquait probablement par une fuite d’huile moteur ou d’autres hydrocarbones volatils dans le système de ventilation de l’avion. Lorsque ces produits chimiques pénètrent dans les poumons, ils sont rapidement absorbés et peuvent endommager les voies respiratoires et le système nerveux. Il a été démontré que des agents de bord avaient eu des problèmes de santé aigus et chroniques après avoir été exposés à l’air de prélèvement, et on peut penser que les agents de bord d’Air Canada ont eu des raisons valables de croire que les expositions pourraient les rendre malades.

[55] Les appelants divisent les faits et éléments de preuve pertinents dans les présents appels en quatre catégories : A) les situations liées à des émanations; B) les odeurs signalées, qui sont associées à des contaminants; C) le danger posé par les expositions; et D) les maladies que peuvent causer les expositions.

  1. Situations liées à des émanations

[56] M. Supplee a présenté une preuve qui n’a pas été contestée selon laquelle l’huile moteur et d’autres contaminants peuvent fuir dans le système de ventilation de l’avion en cause dans les refus de travailler. Les appelants acceptent les explications de M. Supplee concernant les sources primaire et résiduelle de contamination, en particulier le fait que l’huile moteur peut fuir dans l’air cabine à partir des deux moteurs des Airbus, de l’APU et du groupe turbo-refroidisseur dans les groupes de conditionnement d’air. La contamination peut également avoir des sources externes et secondaires, qui laissent des résidus dans le système de ventilation. Les appelants retiennent également l’explication selon laquelle le clapet d’intercommunication d’air peut augmenter la contamination résiduelle dans le système de ventilation lorsqu’il est ouvert. Lorsque l’air de prélèvement chaud du moteur restant entre en contact avec les résidus, il peut se vaporiser et contaminer l’air cabine. De très petites quantités d’huile, même quelques gouttes, suffisent à produire des émanations.

[57] De plus, les appelants font valoir qu’Airbus et Air Canada font le lien entre les situations liées à des émanations et les fuites d’huile et les résidus. Selon la lettre d’information sur l’entretien fournie par Airbus à ses clients, la contamination connue comme une odeur de vieilles chaussettes peut être causée par des fuites d’huile du moteur ou de l’APU ou par un ECS contaminé. Cela coïncide avec la preuve de M. Supplee. Les appelants soutiennent que le protocole de maintenance établi par Air Canada, qui comprend l’inspection des conduits et le nettoyage des zones touchées après la réparation d’une fuite, est conforme à la preuve de M. Supplee sur les sources de contamination et la formation de résidus dans le système de ventilation après une fuite d’huile.

[58] Selon les appelants, ces situations sont attribuables à des défaillances mécaniques et à des fuites d’huile à bord de l’avion visé par les refus. Comme l’indiquent les documents et l’exposé conjoint des faits, le personnel de maintenance d’Air Canada a pris au sérieux les signalements d’émanations comme des indicateurs de problèmes mécaniques à bord des avions, et il a tenté de régler le problème. Les situations liées à des émanations à l’origine des refus de travailler de Delgado, Liang et Blaize et les mesures prises sont décrites en détail dans l’exposé conjoint des faits pour les vols AC1162 et AC215.

  1. Odeurs indiquant une contamination

[59] Les appelants soutiennent en outre qu’Airbus et Air Canada reconnaissent que des odeurs sont associées à des contaminants et à des défaillances mécaniques. Plus particulièrement, une odeur de « vieilles chaussettes  » est associée à une fuite d’huile dans le circuit de prélèvement d’air. Cela correspond à la preuve des témoins du SCFP. Selon M. Supplee, l’odeur sert à diagnostiquer des problèmes mécaniques, et une odeur de « vieilles chaussettes  » est associée à la présence d’huile. La lettre d’information sur l’entretien d’Airbus respecte cette catégorisation de l’odeur. Le Dr Weisel a expliqué dans son témoignage que l’odeur donnait une indication de la quantité de composé à l’origine de l’odeur. Le Dr Weisel a évoqué deux aspects des odeurs à cet égard : i) le seuil olfactif, qui est le point auquel on perçoit une odeur, et ii) l’intensité à laquelle l’odeur est perçue. Ces deux aspects donnent une indication de la concentration. L’odeur est utile pour déterminer les expositions parce que les techniques chimiques sont généralement comparatives, mais non absolues.

[60] En contre-interrogatoire, le Dr Weisel a indiqué que des gens sans formation pouvaient très bien fournir de l’information fiable sur une odeur, et que les gens pouvaient décrire une nouvelle odeur anormale. Le Dr Harrison a soutenu que, même si l’odeur ne devrait pas être le seul indicateur de la présence d’un risque, si des travailleurs sentent une odeur qui pourrait révéler une exposition à un produit chimique, c’est un indicateur de risque pour un spécialiste en médecine du travail. L’odeur est un avertissement, surtout lorsqu’on a des raisons de soupçonner une défaillance mécanique. Selon le Dr Harrison, on associe l’odeur à une exposition à un produit chimique lorsqu’on a éliminé les autres sources possibles.

[61] Les appelants contestent le témoignage du témoin d’Air Canada, le Dr Pleus, selon lequel l’odeur en soi n’indique ni une maladie ni une toxicité. Les agents de bord ont refusé de travailler non pas pour éviter de sentir une odeur déplaisante, mais parce que l’odeur indiquait une fuite dans l’air de prélèvement qui pouvait générer des contaminants représentant une menace pour la santé. Les appelants sont d’accord avec le commentaire du Dr Harrison, selon lequel le fait que le Dr Pleus laisse entendre que les odeurs sont irritantes, sans être un effet pathologique, revient à dire que les odeurs sont dérangeantes, mais qu’elles ne donnent aucune indication médicale. Les appelants font valoir que cela ne s’applique pas aux présentes causes, où les odeurs sont associées à des expositions à des substances comprenant du TCP, des produits de pyrolyse et des COV aux effets toxiques connus. De plus, bien que le Dr Pleus ait expliqué que certaines substances toxiques sont inodores et que d’autres peuvent être détectées à des concentrations inférieures aux seuils associés à la toxicité, il n’a pas nié, ni dans son rapport d’expert ni dans son témoignage, que l’« odeur de vieilles chaussettes  » était associée à la présence d’huile moteur ou de composés pyrolysés d’huile moteur. En fait, le Dr Pleus a affirmé avoir senti l’odeur décrite par les agents de bord une fois et que, dans ce cas, le vol avait été annulé. Les appelants soutiennent que ce cas renforce l’idée selon laquelle l’« odeur de vieilles chaussettes  » est inhabituelle et qu’elle est associée à une défaillance mécanique.

  1. Nature des expositions : substances chimiques dangereuses

[62] Les appelants font valoir que les expositions étaient sans doute de l’huile moteur et des produits pyrolysés d’huile moteur. Ces produits contiennent des composés que l’on sait causer des maladies. Pour étayer cette thèse, les appelants retiennent la preuve d’expert des Drs Weisel et Harrison.

[63] D’abord, les appelants réitèrent l’expertise du Dr Weisel et soutiennent qu’il a la compétence nécessaire pour témoigner de la nature des expositions, puisqu’il est expert en science de l’exposition, soit la science qui décrit et qui tente de comprendre le lien entre la science de l’environnement, la toxicologie et la santé publique, ou comment les contaminants entrent en contact avec les gens. C’est également un expert en exposition et en contamination de l’air de prélèvement et il étudie les produits chimiques qui résultent de la pyrolyse de l’huile moteur. La preuve du Dr Weisel concerne la nature des expositions, et il fait remarquer que les composés qui peuvent être produits par pyrolyse ont une odeur très caractéristique. Son explication de l’exposition cadre avec l’historique de maintenance de l’avion et la documentation d’Airbus et d’Air Canada sur la maintenance, qui établissent un lien entre les odeurs signalées et la contamination de l’air de prélèvement due à une fuite d’huile.

[64] Les appelants soutiennent que le Dr Weisel a présenté une preuve non contredite sur la composition de l’huile moteur, qui est composée d’environ 97 % de base et de 3 % d’additifs. Dans le cadre de ses recherches, le Dr Weisel a examiné des filtres de recirculation HEPA d’avions et a trouvé des marqueurs d’huile sur plusieurs d’entre eux. Ces marqueurs comprenaient des TCP, qui sont des produits d’addition de l’huile moteur, et des lubrifiants synthétiques au pentaérythritol. Lorsque les deux marqueurs de TCP et de base sont présents, le risque de contamination par l’huile sur le filtre est plus grand qu’en temps normal. Le Dr Weisel a témoigné en contre-interrogatoire que l’étude tendait à démontrer que le TCP et l’huile entraient dans l’air cabine, ce qui entraînait des problèmes de qualité de l’air pour lesquels les compagnies aériennes jugeaient qu’elles devaient prendre des mesures dépassant l’entretien courant.

[65] Concernant la présence d’isomères du TCP, le Dr Weisel explique qu’il s’agit de composés distincts qui ont la même formule chimique, mais une structure différente. Les isomères du TCP comprennent le TOCP, sur lequel portait le rapport du Dr Pleus, bien qu’il y en ait trois types généraux (para, méta et ortho). Le rapport d’Air Canada préparé par M. Chris Koroneos note toutefois que la majeure partie du TCP que l’on retrouve dans l’huile moteur contient moins de 0,1 % de TOCP. En se concentrant uniquement sur le TOCP, on se trouve à négliger la vaste majorité des composés de TCP auxquels les agents de bord sont exposés lors de situations liées à des émanations.

[66] Les appelants ont de nouveau cité le Dr Weisel, qui explique que la pyrolyse est le processus consistant à briser les liaisons chimiques dans une substance et à créer de nouveaux composés sous l’effet de la chaleur. La pyrolyse augmente le nombre de composés dans une substance parce que le mélange original n’est pas détruit, alors que de nouveaux composés sont ajoutés. La pyrolyse agit à la fois sur les additifs et la base. Même si la base de l’huile moteur n’est généralement pas dangereuse, la pyrolyse de la base produit de nouveaux composés qui sont irritants et cancérogènes. Certains produits de pyrolyse sont énumérés dans le rapport d’Air Canada préparé par M. Koroneos, et beaucoup sont signalés comme étant irritants pour les voies respiratoires supérieures et le système nerveux central. Les appelants soulignent qu’il faut prendre en considération les effets cumulatifs ou synergétiques des différents composés sur le corps, et pas seulement leurs effets individuels. C’est l’un des problèmes liés à une approche exclusivement toxicologique : les toxicologues étudient des composés individuels, et il y a très peu d’études toxicologiques sur les mélanges de composés.

[67] Le Dr Weisel fait aussi référence à une publication du National Research Council, qui a calculé que 1 g d’huile pyrolysée pendant une période de 15 minutes suffirait pour produire du formaldéhyde à la valeur limite d’exposition (VLE), soit le niveau d’exposition à ne pas dépasser pour protéger la santé humaine. Les appelants estiment que, si 1 % seulement de l’huile était pyrolysé, il faudrait une fuite de 100 g d’huile pour produire 1 g d’huile pyrolysée. Comme la consommation d’huile normale avoisine les 470 g par heure (une demi-pinte), la consommation de 100 g d’huile ne serait pas nécessairement remarquée par la maintenance. Un gramme d’huile pyrolysée pourrait entraîner des expositions au formaldéhyde et à d’autres composés ayant des effets néfastes sur la santé.

[68] Des études sur la qualité de l’air à bord des avions analysent les données recueillies dans des conditions de fonctionnement normal. En fait, les études sur les concentrations moyennes où l’on établit les concentrations moyennes de composés chimiques sur l’ensemble d’un vol ne donnent pas d’information sur les expositions d’une durée limitée. Les expositions de pointe dans ce cas sont importantes, parce qu’il y a plusieurs signalements d’odeurs pendant seulement certaines parties du vol, odeurs qui se dissipent par la suite. Le rapport Golder sur un vol d’essai commandé par Air Canada, que le Dr Weisel voit comme un pas dans la bonne direction, puisque la compagne a pris de véritables mesures à bord d’un avion où étaient survenues des situations liées à des émanations, ne mesurait pas les niveaux d’exposition de pointe ni les composés produits par pyrolyse autres que le monoxyde de carbone.

[69] Les appelants résument les conclusions du Dr Weisel en disant qu’il s’est produit une fuite d’huile moteur dans l’air de prélèvement, ce qui a exposé l’équipage à un mélange de produits chimiques dangereux et toxiques provenant de l’huile moteur et des produits de pyrolyse, à des concentrations qui constituent une menace pour la santé. Le Dr Weisel a expliqué qu’il était en mesure de vérifier que les concentrations de composés libérés présentaient des risques, en s’appuyant sur les cas signalés par les personnes exposées à des conditions identiques ou semblables, ainsi que sur la preuve anecdotique et celle présentée par le Dr Harrison. Le Dr Weisel a dit qu’il tenait pour acquis que les quantités d’huile qui avaient fui et de produits de pyrolyse étaient semblables à celles à bord des vols où des cas de maladie avaient été signalés, mais il a expliqué que l’hypothèse était justifiée, puisque, selon les cas signalés, aucun autre vol n’avait eu de problème, comme un atterrissage d’urgence, ce qui donne à penser que de plus grandes quantités d’huile ont fui.

  1. Les expositions causent des maladies

[70] L’avocat des appelants soutient que les expositions subies par les agents de bord causent des maladies et s’appuie en cela sur la preuve déposée par le Dr Harrison, seul expert en médecine appelé dans cette cause. Il a indiqué avoir 15 ans d’expérience clinique avec des agents de bord exposés à l’air de prélèvement. Le Dr Harrison a indiqué dans son témoignage qu’une irritation était un effet sur la santé du point de vue d’un expert en médecine. Les employés inscrits à un programme de médecine du travail seraient encouragés à signaler des symptômes comme une gorge qui pique, un nez qui coule et des yeux irrités, et le Dr Harrison établirait un diagnostic d’exposition à des produits chimiques avec irritation des voies respiratoires, un diagnostic médical habituel conforme à la classification internationale des maladies. Le Dr Harrison a ajouté que les maladies n’étaient pas nécessairement chroniques (elles peuvent être temporaires) et que les symptômes n’étaient pas nécessairement irréversibles. Cette opinion est contraire à celle de l’expert d’Air Canada, le Dr Pleus, qui s’est concentré sur les effets irréversibles sur la santé. Le Dr Harrison a maintenu qu’il n’était pas question ici de réactions à de mauvaises odeurs, mais bien de symptômes liés aux voies respiratoires et au système nerveux central. Les appelants comparent cet avis au point de vue non expert du Dr Pleus sur la maladie, selon lequel des émanations peuvent être irritantes, mais ne sont pas pathologiques.

Méthodologie

[71] Les appelants font valoir que le Dr Harrison a suivi la méthodologie habituelle de la médecine du travail, qui ne se limite pas, selon lui, à la méthodologie de la toxicologie. Les appelants affirment notamment qu’il a traité des six composantes de la méthodologie ci-dessous :

  1. Quels sont les antécédents?

[72] En l’espèce, le Dr Harrison a analysé de façon générale l’environnement, les fonctions du poste, les faits inusités, la ventilation, l’équipement de protection individuelle, la durée des expositions et les symptômes. Il a indiqué dans son témoignage que les symptômes étaient très importants pour déterminer l’existence d’un danger et de liens de causalité. Selon le Dr Harrison, les symptômes sont un indicateur fiable d’exposition. Il a ajouté que la corrélation temporelle des symptômes avec l’exposition était grande, car des symptômes aigus apparaissaient quelques minutes ou quelques heures après l’exposition, alors que des symptômes subaigus étaient retardés et apparaissaient quelques jours ou quelques semaines après l’exposition. Les symptômes chroniques sont retardés et apparaissent plusieurs mois, voire plusieurs années, après l’exposition.

  1. Y a-t-il eu exposition et, le cas échéant, quelle en a été l’intensité?

[73] Le Dr Harrison a étudié la voie d’exposition (inhalation, absorption par la peau, ingestion) et les processus en milieu de travail pouvant mener à une exposition. Pour analyser l’exposition à des produits chimiques, les spécialistes en médecine du travail étudient la quantité de produits chimiques dans l’air ou à la surface, soit à l’aide de mesures directes provenant d’analyses en laboratoire et d’un hygiéniste industriel – c’est ce qu’on appelle la méthode quantitative – soit en suivant la méthode qualitative, c.-à-d. en utilisant les données d’autres études où l’on a mesuré les mêmes lieux de travail ou des lieux semblables. Le Dr Harrison explique les nombreuses différences entre l’approche de la médecine du travail et celle de la toxicologie en ce qui concerne les expositions : il est très difficile de recréer une exposition en laboratoire, il est risqué d’exposer à nouveau un sujet, et les études sur les animaux ne sont pas nécessairement utiles pour les questions respiratoires puisque les animaux respirent différemment et n’ont pas les mêmes symptômes que les sujets humains.

[74] De plus, il arrive souvent en médecine du travail qu’on ne dispose pas de toutes les données pertinentes, parce qu’aucune mesure de l’air n’a été prise au moment de l’exposition. Un fait important dans ces causes est que l’exposition à des produits chimiques est survenue dans des conditions de vol anormales, soit lors de défaillances mécaniques. Les mesures provenant d’importantes études sur la qualité de l’air dans les avions que le Dr Pleus utilise dans son expertise ne sont donc pas utiles. Le Dr Harrison ajoute qu’une absence d’exposition dans des conditions normales ne signifie pas qu’il y aura absence d’exposition lors de défaillances mécaniques.

  1. En supposant qu’il y ait eu exposition, quelle est la toxicologie intrinsèque du produit chimique?

[75] Les appelants font valoir que la toxicologie ne peut pas vraiment prédire quelles concentrations d’exposition à des produits chimiques auront des effets sur la santé, car cette science étudie le mécanisme de lésion au niveau des cellules. Selon le Dr Harrison, même s’il est généralement vrai que « le poison, c’est la dose  », il y a des exemples en toxicologie et en épidémiologie où de petites expositions ont des effets sur la santé, par exemple dans le cas des cancérogènes. La dose et la réponse sont habituellement exprimées sur une courbe dose-effet. On note cependant la variabilité de cette courbe et la variabilité chez une même personne selon la réponse individuelle. Le Dr Harrison a fait remarquer que la variabilité de la réponse était plus grande lorsque les doses étaient faibles. À des doses plus élevées, toute la population souffrirait. En ce qui concerne les valeurs limites d’exposition (VLE), le Dr Harrison laisse entendre qu’elles ne protègent peut-être pas suffisamment la santé, parce que la plupart d’entre elles n’ont pas été fixées afin d’éviter tout effet néfaste sur la santé. De nombreux produits chimiques n’ont pas de VLE, et les VLE ne tiennent pas compte des mélanges de produits chimiques et de leur effet cumulatif ou synergétique. Or, les mélanges présentent un risque d’exposition multiplié.

  1. Plausibilité biologique (le lien entre l’exposition et le résultat est-il celui auquel l'on s’attendrait?

[76] Selon le Dr Harrison, lorsqu’ils ne disposent pas de suffisamment de données, les médecins fonctionnent par analogie avec des produits chimiques de même catégorie pour lesquels ils ont des données. Comme les produits chimiques ayant une structure semblable présentent des caractéristiques semblables, la toxicologie intrinsèque d’un composé peut fournir une certaine prévisibilité sur ce qui se produirait si des produits chimiques semblables entraient dans le corps humain. Il serait également utile de comparer les symptômes, qui pourraient ne pas être les mêmes pour les insectes et les sujets humains. Les organophosphates sont utilisés comme pesticides en raison de leur effet toxique sur le système nerveux des insectes; on suppose que les effets seraient semblables sur des sujets humains exposés à ces produits. En fait, les études de populations de travailleurs ont montré que l’insecticide organophosphate avait des effets sur les nerfs longs. Ce genre de raisonnement est fondamental en médecine du travail.

  1. Diagnostic différentiel : peut-on éliminer d’autres facteurs?

[77] Les appelants font valoir que le diagnostic différentiel est un outil important en médecine du travail, car la méthodologie est conçue pour composer avec des données incomplètes. Cela permet d’éliminer les explications peu probables. En examinant les agents de bord exposés à l’air de prélèvement, le Dr Harrison a étudié ces possibilités et d’autres, comme le flux d’échappement, le liquide dégivrant, la cuisine, les odeurs de nourriture, le matériel d’office défectueux, les eaux usées des toilettes, la ventilation inadéquate, les questions relatives au travail par postes, les éléments infectieux et les explications psychosomatiques.

  1. Expérience professionnelle et médicale : évaluation du cas dans le contexte de l’expérience du médecin dans l’établissement de diagnostics et le traitement de patients, ainsi que la collecte et l’analyse de données

[78] Le Dr Harrison a expliqué qu’en médecine du travail, il y avait de nombreux exemples de situations sentinelles où la première piste critique reliant les effets toxiques était trouvée par un clinicien. La surveillance et le suivi des expositions courantes sont au cœur des programmes de médecine du travail. Il s’agit pour les employés de signaler les cas d’exposition et pour les médecins de noter les antécédents appropriés et d’établir des diagnostics. Les appelants font valoir qu’il est évident, d’après le témoignage du Dr Harrison, que la médecine du travail exige l’examen d’un grand nombre de facteurs, qui ne sont pas abordés par la toxicologie. De plus, le Dr Harrison, lui-même un expert en toxicologie, a pu formuler des commentaires sur l’application appropriée de la toxicologie aux présentes causes dans le contexte d’une approche de médecine du travail.

[79] Les appelants font valoir qu’une composante importante de la méthodologie dans le cas qui nous occupe était l’expérience clinique du Dr Harrison avec des agents de bord ayant connu des situations liées à des émanations. En se fondant en partie sur cette expérience, le Dr Harrison a pu établir un lien entre les incidents et les symptômes neurologiques. Parmi les patients que le Dr Harrison a examinés, tous les agents de bord ont vécu un incident semblable où le joint d’étanchéité de l’APU ou du moteur a fui et où des odeurs ont été signalées. Les patients présentaient divers symptômes, allant de légers à graves. Les agents de bord ont été soumis à un examen objectif. En se basant sur ce groupe, le Dr Harrison a évalué le nombre d’incidents d’exposition au cours d’une année. Il a déterminé que, selon un ratio d’une situation liée à des émanations à tous les 3 000 à 5 000 vols, les situations liées à des émanations touchaient plusieurs milliers d’agents de bord chaque année.

[80] Le Dr Harrison a évoqué la possibilité que lui et ses patients aient manqué d’objectivité, mais a jugé que ce manque d’objectivité n’était pas important. Il a fermement soutenu la conclusion selon laquelle, compte tenu des circonstances des refus de travailler, on pouvait vraisemblablement s’attendre à ce que des blessures ou une maladie surviennent. Il a conclu que l’odeur indiquait la présence d’un aérocontaminant toxique dans la cabine de l’avion, qui provenait sans doute d’une fuite d’huile moteur ou de la présence d’hydrocarbones volatils dans le système de ventilation. En réponse aux questions du Tribunal, le Dr Harrison a déclaré qu’il estimait probable à plus de 50 % qu’il y avait un contaminant chimique dans les causes qui nous occupent.

[81] Les appelants ont fait remarquer qu’Air Canada avait convenu qu’il était raisonnable de conclure à l’existence d’un danger dans les situations liées à des émanations vécues par des agents de bord. De plus, Air Canada accepte la majeure partie de la preuve présentée par les appelants. Quant à la preuve d’expert du Dr Pleus, sur laquelle Air Canada s’appuie, les appelants étaient d’avis qu’elle présentait peu d’intérêt en l’espèce, car elle ne portait que sur un seul type de composé dans l’huile, soit le TCP et son isomère, le TOCP. Le Dr Pleus n’a pas traité des produits de pyrolyse. À cet égard, les appelants estiment qu’on ne devrait pas soupeser la preuve sous forme d’opinion d’expert, car la seule preuve admissible est celle faite dans le domaine de l’expert. Le seul domaine d’expertise commun en l’espèce est la toxicologie; toutefois, selon les appelants, il n’y a pas de désaccord sur les principes toxicologiques, seulement sur leur pertinence dans les présents appels. Aucune personne qualifiée pour donner une opinion n’a contesté la preuve d’expert en médecine du Dr Harrison et la preuve en science de l’exposition du Dr Weisel.

[82] Les appelants qualifient l’expertise du Dr Pleus d’opinion de profane, parce que le Dr Pleus est un consultant et non un théoricien et parce qu’il n’a pas l’expérience pratique des Drs Weisel et Harrison dans les situations liées à des émanations à bord d’avions. Les appelants ont également fait valoir que le Dr Pleus avait démontré la volonté de formuler des opinions sortant de son domaine d’expertise. Ces opinions de profane montrent bien que l’opinion d’expert doit se limiter au domaine de l’expert, car les opinions de profane du Dr Pleus étaient généralement erronées. Plus particulièrement, le Dr Pleus a indiqué dans son témoignage que les odeurs constituaient une condition d’emploi normale, contrairement à la jurisprudence sur le sujet, notamment Rehab Rivers c. Air Canada, 2010 TSSTC 11. Ces opinions vont également à l’encontre de la preuve présentée dans les documents et les exposés conjoints des faits, selon laquelle les odeurs étaient inhabituelles et servent à diagnostiquer des défaillances mécaniques. Selon les appelants, le Dr Pleus considère que la définition de maladie exclut les problèmes médicaux qui ne sont pas permanents. Les appelants croient qu’il serait difficile de trouver un expert en médecine qui serait d’accord avec l’assertion du Dr Pleus. Comme Air Canada n’a produit aucune preuve médicale, ces théories médicales ne sont pas étayées. Les appelants soutiennent que l’intimée a apparemment l’intention de s’appuyer sur des théories médicales qu’elle crée elle-même, en évitant les commentaires médicaux pertinents à ce sujet.

[83] De plus, les appelants font remarquer que, en contre-interrogatoire, le Dr Pleus a admis les limites de son expertise et l’importance d’autres méthodologies. Le Dr Harrison, qui est toxicologue et expert en médecine, a dit que l’approche du Dr Pleus était limitée parce que celui-ci prétendait qu’aucune preuve scientifique ne démontrait une atteinte des voies respiratoires et du système nerveux sans préciser les doses des produits chimiques. Or, les appelants affirment qu’il est bien connu que les produits chimiques causent des problèmes et que les agents de bord ont les mêmes problèmes, comme en témoignent les médecins, ce qui confirme une conclusion de relation causale indépendante de la dose. Le domaine d’expertise du Dr Pleus l’influence à ne considérer que la toxicologie intrinsèque des produits chimiques.

[84] Les appelants estiment en outre que les études sur des animaux, comme l’étude chez la poule citée par le Dr Pleus, ne sont pas pertinentes parce que les effets sur la santé touchent le système nerveux central (et non les nerfs longs) et les voies respiratoires, et qu’il est impossible de mesurer des symptômes comme des maux de tête, des étourdissements ou une incapacité à se concentrer chez des sujets animaux. On ne peut pas réaliser d’évaluation des risques sans tenir compte de son objectif. De plus, les essais cliniques randomisés sont réalisés pour tester des médicaments. On n’en fait jamais en médecine du travail parce qu’il faudrait exposer un groupe d’employés à des produits chimiques potentiellement dangereux.

[85] Les appelants font valoir que le principal problème dans la preuve du Dr Pleus, c’est qu’elle n’est pas pertinente en l’espèce, parce qu’elle n’aborde pas les expositions qui ont eu lieu. En contre-interrogatoire, le Dr Pleus a indiqué qu’à sa connaissance, aucune des études qu’il avait citées ne portait sur des gens qui avaient signalé des odeurs semblables à celles dont il est question dans les refus de travailler qui nous occupent. Il n’avait donc pas de données sur des avions présentant des conditions comme celles en l’espèce. Il n’a pas tenu compte des produits de pyrolyse de l’huile moteur (sauf le monoxyde de carbone), même si, en contre-interrogatoire, il a convenu que les composantes de base constituant plus de 90 % de l’huile moteur sont des hydrocarbones, lesquels, lorsque pyrolysés, peuvent produire des composés nuisibles autres que du monoxyde de carbone. Le Dr Pleus a également examiné les résultats extrêmes sur la santé (LD50), qui ne sont pas utiles dans le cas des expositions en question. Les appelants retiennent de la déclaration du Dr Weisel que la mort de la moitié de la population ou la mort instantanée ne sont pas des mesures d’effets utiles. Les appelants font valoir que le Dr Pleus a limité son analyse des risques à certains composés pris individuellement, plutôt que d’évaluer le risque d’un mélange de composés, ce qui avait mené à une conclusion erronée.

[86] Citant Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, les appelants affirment que la définition de danger n’exige pas que la situation soit susceptible de causer des blessures ou des maladies à chaque fois. Les agents d’appel ont adopté ce critère et l’appliquent régulièrement. Les appelants ajoutent que la Cour fédérale a répété qu’il n’était pas nécessaire d’établir le moment précis où le danger surviendra ou qu’il survienne à chaque fois (Société canadienne des postes c. Pollard, 2008 CAF 305). Les faits des causes en appel sont conformes à la preuve d’expert des Drs Harrison et Weisel relativement à ce type d’expositions : elles ont déjà rendu des gens malades, et il existe une possibilité raisonnable qu’elles le fassent encore.

[87] Les appelants citent la cause Rivers, qui a indiqué que la définition de maladie ou de blessure comprenait une constellation de symptômes et de problèmes médicaux qui ne sont ni chroniques ni graves. De plus, les appelants font remarquer que, dans Tracey Rathwell c. Air Canada, 2011 TSSTC 15, l’agent d’appel a conclu que « le Code n’exige pas que la blessure possible soit grave pour qu’elle soit considérée comme un danger [...] la définition de danger ne comporte pas d’exigence de gravité.  » Étant donné son but préventif, le Code exige simplement que les « blessures... n’étaient pas sans conséquence et se sont déjà produites et qu’il existe une possibilité raisonnable qu’elles surviennent de nouveau  ».

[88] Les appelants font valoir que, en l’espèce, les maladies ou les blessures qui pourraient découler des expositions, selon la preuve de l’expert en médicine, vont de symptômes relativement bénins liés au système nerveux central et aux voies respiratoires, avec ou sans perte de temps, à des conditions chroniques graves empêchant le retour au travail des agents de bord. Les appelants soutiennent en outre qu’il n’est pas nécessaire d’établir avec précision la nature de la substance dangereuse. Pour appuyer cette assertion, les appelants citent la cause Boone c. Air Canada, 2010 TSSTC 005 et Rivers. Les appelants postulent donc que, selon la preuve d’expert non contredite, il existe une possibilité raisonnable que les agents de bord exposés à la contamination de l’air de prélèvement soient exposés à des catégories de produits chimiques de l’huile moteur et de l’huile moteur pyrolysée qui sont connus pour avoir des effets néfastes sur la santé. C’est plus que suffisant pour établir que la contamination de l’air de prélèvement constitue un danger, comme ce terme est défini dans le Code.

[89] Les appelants soulèvent également une question de preuve, à savoir que la preuve sous forme d’opinion n’est pas pertinente si elle dépasse le domaine de l’expert en question. À l’appui de cette assertion, les appelants citent la cause R. c. Marquard [1993] 4 RCS 223. Les appelants font valoir que c’est une erreur de droit de permettre à un expert qualifié dans un domaine autre que la médecine de fournir une preuve sous forme d’opinion d’expert sur des questions médicales. De plus, si l’on n’a pas pu confirmer l’expertise dans un domaine précis, c’est une erreur de droit de tenir compte d’une opinion d’expert dans ce domaine. Pour appuyer ces assertions, les appelants ont cité la cause Vigoren c. Nystuen, 2006 SKCA 47 et R. c. Selles, 34 OR (3d) 332.

[90] Les appelants demandent donc l’adoption des recommandations des Drs Harrison et Weisel et réitèrent leur demande de mesures correctives, à savoir que les décisions d’absence de danger soient annulées, que des conclusions de danger soient rendues et que des instructions soient émises conformément aux paragraphes 145(2) et (2.1) du Code obligeant Air Canada à :

  1. mettre fin à l’utilisation de l’avion en cause jusqu’à ce qu’on ait déterminé la source de la contamination de l’air cabine et qu’on ait corrigé la situation;
  2. cesser et s’abstenir d’autoriser le vol d’un avion lorsqu’on soupçonne ou détecte la présence d’une fuite d’huile ou de fluide hydraulique dans l’alimentation en air cabine;
  3. en ce qui concerne la décision du TSSTC no 2012-22 (Blaize), cesser de permettre à un avion de s’envoler lorsque des groupes de conditionnement d’air ne fonctionnent pas;
  4. toute autre mesure corrective que l’agent d’appel pourrait juger appropriée.

B) Observations de l’intimée

[91] L’intimée Air Canada a présenté le Dr Richard Carl Pleus, Ph.D. à titre d’expert. Toxicologue et pharmacologue, le Dr Pleus possède une vaste expérience pratique de la contamination de l’air et de l’exposition de sujets humains à des produits chimiques, ainsi que des risques pour la santé des travailleurs liés des expositions aigües. Il détient un doctorat en toxicologie environnementale de l’Université du Minnesota, Département de la santé publique, et a mené des évaluations toxicologiques de l’exposition humaine à des produits chimiques en milieu de travail, ainsi que dans d’autres environnements. Il a écrit et coécrit de nombreux articles évalués par les pairs sur des sujets liés à la toxicologie et rédigé des chapitres de livres sur le sujet. Le Dr Pleus est fondateur et directeur général d’Intertox Inc., société de Seattle offrant des services de recherche et consultation en toxicologie à de très nombreux clients, dont des organismes des États-Unis et des organismes d’État, des gouvernements étrangers, des organismes sans but lucratif et des sociétés fermées. Le Dr Pleus a été présenté comme un expert en toxicologie et reconnu à ce titre.

[92] Dans l’introduction à son rapport, le Dr Pleus explique qu’on lui a demandé de déterminer quel était le niveau inacceptable de risque pour la santé des employés qui ont exercé leur droit de refuser de travailler à bord des vols d’Air Canada en cause dans les affaires qui nous occupent et dans les affaires liées à la décision parallèle mentionnée plus tôt, du fait de leur exposition possible à l’huile moteur (Mobil Jet Oil II), au fluide hydraulique (Skydrol LD4) ou à des composantes de ceux-ci. Il formule d’entrée de jeu la conclusion qu’il n’y a pas de niveau inacceptable de risque pour la santé des employés. Il décrit la toxicologie comme l’étude scientifique des effets défavorables des composés naturels et endogènes produits par l’homme sur les organismes vivants. Dans le cadre de l’évaluation toxicologique, il a examiné les rapports techniques, les dossiers médicaux, les résultats d’échantillonnage et d’autres documents décrivant la nature et le moment des prétendues situations liées à des émanations et conclu que l’information objective sur ces situations n’appuyait pas une conclusion de danger lié à des expositions aiguës aux produits chimiques contenus dans l’huile moteur (Mobil Jet Oil II) ou le fluide hydraulique (Skydrol 4).

[93] Il existe un principe toxicologique fondamental selon lequel la plupart des agents chimiques ont un seuil d’exposition qui doit être franchi pour que des effets toxicologiques se produisent. Pour qu’une exposition à un agent menace la santé humaine, l’exposition doit être de concentration et de durée suffisantes pour produire la dose interne nécessaire pour dépasser ce seuil. De plus, le potentiel d’effets néfastes sur la santé dépend grandement du scénario d’exposition, de ce qui arrive à l’agent chimique dans le corps et du degré de sensibilité de la personne. Le Dr Pleus explique que, pour bien caractériser le risque associé à un agent, il ne suffit pas de savoir quel type d’effet il produit et la dose nécessaire pour produire cet effet, mais il faut aussi connaître la nature de l’agent, l’exposition et l’usage fait par les sujets. Les principaux facteurs qui influencent la toxicité dans le cas d’une exposition à un agent chimique sont la voie d’administration et la durée ou la fréquence de l’exposition.

[94] La simple présence d’un agent chimique dans l’environnement ou d’un milieu d’exposition ne signifie pas qu’il y aura des effets toxicologiques néfastes. Selon le Dr Pleus, le fait de catégoriser les agents chimiques comme étant toxiques ou non toxiques n’a pas de fondement scientifique. La toxicité dépend des propriétés chimiques et physiques de l’agent, des circonstances de l’exposition, de la façon dont l’agent est métabolisé par le système et de la susceptibilité générale du système biologique ou du sujet. Autrement dit, pour qu’une exposition menace la santé, elle doit être suffisamment concentrée et suffisamment longue pour dépasser le seuil de dose-effet de l’agent chimique associé à des effets néfastes, ce qui n’est pas le cas des produits chimiques évalués dans le rapport du Dr Pleus. Ainsi, même pour pouvoir étiqueter des produits chimiques comme étant toxiques, les expositions doivent être supérieures à ce seuil pour qu’il y ait une possibilité d’effets néfastes, et pour qu’il y ait exposition à un agent chimique, on doit pouvoir établir la voie d’exposition, de la source de l’agent chimique à la personne exposée.

[95] Dans les cas qui nous occupent, il y a plusieurs systèmes hydrauliques indépendants à bord de l’avion. Pour qu’il y ait exposition au fluide hydraulique, une fuite ou un déversement de l’un de ces systèmes doit se produire à un ou plusieurs endroits où le fluide pourrait atteindre la cabine. Ce serait le cas, par exemple, d’une fuite survenant près d’une unité de conditionnement d’air ou d’une entrée d’APU. Si le fluide hydraulique pénètre dans les groupes de conditionnement d’air ou les APU, la concentration éventuelle dépendra de nombreux paramètres, dont les variations de température, la conception des systèmes de ventilation et l’efficacité des filtres.

[96] Le système de ventilation de l’avion fonctionne tout au long du vol pour contrôler la température et la pression et distribuer l’air dans la cabine. Si des produits chimiques entrent dans le système de ventilation de l’avion, ils seront distribués dans tout le compartiment passagers, et tous les agents de bord, pilotes et passagers y seront exposés. Les Airbus A319 et A320 (les avions en cause ici) utilisent des filtres HEPA pour éliminer les produits chimiques. Le processus de filtration est fait par interception, impact et diffusion et permet de bloquer particules, bactéries, virus, brume, poussières et aérosols. L’air cabine est également constamment ventilé de la cabine dans l’environnement et remplacé par de l’air entrant. D’après la littérature, la voie d’exposition la plus courante à l’huile moteur dans l’air cabine survient lorsque l’air provenant du compresseur est dérouté ou soufflé (air de prélèvement) vers la cabine par un système fermé. L’air de prélèvement est utilisé pour pressuriser et ventiler l’air cabine. Une fois dans la cabine, l’air se compose d’environ 28 % à 57 % d’air de prélèvement filtré, le reste étant de l’air extérieur.

[97] Air Canada utilisait les huiles Skydrol LD4 et Mobil Jet Oil II dans les avions visés par les présentes causes. Le fluide hydraulique et l’huile moteur sont tous deux des mélanges d’agents chimiques. Bref, le fluide hydraulique sert à lubrifier et à conduire le courant dans le système hydraulique, lequel alimente les composantes essentielles de l’avion, et l’huile moteur sert à lubrifier, à protéger et à refroidir le moteur. De toutes les composantes chimiques dans ces produits, celles qui seraient les plus dommageables pour la santé sont celles appartenant à la catégorie des organophosphates et représentant un groupe important de composés chimiques présentant une grande diversité d’activité toxicologique attribuable, en partie, à différents mécanismes d’action. Certains organophosphates préviennent l’acétylcholinestérase, d’autres pas. Parmi ces organophosphates, celui le plus souvent signalé est un additif à l’huile moteur appelé phosphate de tricrésyle (TCP), qui comprend un isomère du TCP appelé TOCP. Le TCP entre dans la composition du Mobil Jet Oil II, mais pas du Skydrol LD4, selon la FS du produit.

[98] Le principal effet toxicologique (neurotoxique) de l’exposition au TCP est la neuropathie retardée induite par un organophosphate (OPIDN). D’après la littérature, il s’agit d’une maladie neurodégénérative rare chez les humains, qui se caractérise par une perte de fonction et une ataxie des parties distales (éloignées) des axones des systèmes sensoriels et moteurs, dans les nerfs périphériques et les tractus ascendants et descendants de la moelle épinière. Les symptômes neurologiques précoces sont habituellement une douleur assimilable à une très grosse crampe dans les mollets, un fourmillement dans les pieds, suivi par un engourdissement distal et une paresthésie. La douleur et la faiblesse musculaires apparaissent progressivement jusqu’à la paralysie flasque, des signes moteurs apparaissent comme une faiblesse et une atrophie musculaires, une ataxie (absence de coordination musculaire) et des anomalies de la démarche et des déficits sensoriels.

[99] Selon le Dr Pleus, on signale que, dans certains cas, l’ingestion de préparations contaminées par du TOCP pourrait être suivie par des symptômes gastro-intestinaux (nausées, vomissements et diarrhée). À la différence des organophosphates qui causent la OPIDN, les organophosphates qui touchent l’acétylcholinestérase peuvent entraîner d’autres syndromes comme le syndrome cholinergique aigu, le syndrome intermédiaire et les troubles neuropsychiatriques chroniques induits par un organophosphate (COPIND). L’activité de l’AChE relative au plasma et aux globules rouges sert à surveiller l’exposition à ces organophosphates. On a diagnostiqué une COPIND chez certains travailleurs agricoles exposés à de faibles niveaux chroniques de pesticides organophosphorés, et non de TCP. Les symptômes courants sont, entre autres, une détérioration de la mémoire, de la concentration et de l’apprentissage, l’anxiété, la dépression, des symptômes psychotiques, la fatigue chronique, la neuropathie périphérique et la dysfonction autonome.

[100] Au sujet de la toxicité du Skydrol LD4 et de ses composantes, le Dr Pleus fait remarquer que les principales composantes de ce produit sont le phosphate de tributyle (TBP) et le phosphate de phényle et de dibutyle (DBPP). Il signale que les données sur la toxicité du Skydrol indiquent une faible toxicité aigüe par les voies orale, cutanée et pulmonaire. La concentration ou dose létale (létalité) sur des animaux de laboratoire (LD50) a servi d’indicateur de résultat pour comparer l’activité relative d’agents chimiques après une exposition aigüe, et les données ont montré que la toxicité aigüe du Skydrol LD4 chez des sujets humains était considérée comme « légèrement toxique  » dans le cas d’une exposition aigüe par ingestion et « pratiquement non toxique  » dans le cas d’une exposition aigüe par voie cutanée.

[101] Le Dr Pleus s’est appuyé sur des essais chez le lapin, où le Skydrol LD4 a causé une légère irritation des yeux et de la peau après une application directe du produit sur les tissus pendant 24 heures. Lorsque des volontaires humains ont participé aux essais par l’application d’un timbre sur la peau, aucune sensibilisation cutanée n’a été signalée. Des essais semblables chez le rat pendant une période de 28 jours ont entraîné une irritation respiratoire et une réduction du poids corporel et une augmentation du poids des organes lorsque les doses étaient plus élevées. Parmi les composantes du Skydrol LD4, le TBP est un liquide ininflammable, non explosif, incolore et inodore utilisé comme solvant, plastifiant primaire, agent d’extraction du métal et antimousse. Chez les animaux, il est irritant pour la peau et les yeux, sans sensibilisation cutanée, et chez les sujets humains, il a un effet irritant sur la peau et les muqueuses, ainsi que sur les yeux et les voies respiratoires.

[102] Selon le Dr Pleus, si l’on en croit les données obtenues dans le cadre de recherches sur les rats, le TBP serait classé comme étant de modérément à légèrement toxique dans le cas d’une exposition aigüe par ingestion, modérément toxique dans le cas d’une exposition aigüe par inhalation et pratiquement non toxique dans le cas d’une exposition aigüe par voie cutanée. Il fait remarquer qu’aucun cas d’OPIDN causé par le TBP n’a été signalé chez les êtres humains, et que les études menées chez la poule ont montré que le TBP ne causait pas d’OPIDN à des doses inférieures aux doses létales. Des études semblables sur le TBP menées chez le rat ont également révélé que le risque d’un quelconque effet neurologique était très faible, même lorsqu’on administre des doses massives de l’agent chimique, tous les jours pendant des périodes prolongées. Il faut de très grosses doses pour produire des symptômes cholinergiques et, lorsqu’on fait le calcul des doses proportionnelles pour un être humain, cela donne une quantité de 1/10e de litre. Les travailleurs exposés à 15 mg/m3 dans l’air se sont plaints de nausées et de maux de tête.

[103] Une étude approfondie sur la toxicité du TPP, qui est un autre agent chimique présent dans certains fluides hydrauliques, dont le Skydrol LD4, a montré que les travailleurs régulièrement exposés à des vapeurs, à de la brume ou à des poussières de TPP dans l’air, pendant 7,4 ans en moyenne, n’ont pas souffert d’une aggravation de leurs symptômes, qu’ils soient neurologiques ou neuropsychiatriques ou qu’il s’agisse de dermatite ou d’irritation respiratoire, même s’ils faisaient l’objet d’une surveillance médicale particulièrement étroite. Il convient de noter que la VLE du TPP a été fixée à 0,2 ppm, soit la même dose que le TBP, ce qui représente des concentrations [traduction] « considérablement inférieures à celles signalées dans les plaintes des travailleurs qui se sont plaints de nausées et de maux de tête.

[104] Selon l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH), [traduction] « cette valeur vise à réduire au minimum le risque de maux de tête, de nausées et d’irritation des yeux, de la peau, des membranes et des voies respiratoires supérieures. Elle devrait également fournir une grande marge de protection contre la narcose et les effets cholinergiques  ». Autre composante du Skydrol LD4, le DBPP (DBPP) est un liquide jaunâtre clair dont l’odeur ressemble au butanol. Selon les données obtenues dans le cadre de recherches chez le rat et le lapin, le DBPP serait classé comme étant « légèrement toxique  » dans le cas d’une exposition aigüe par ingestion et « pratiquement non toxique  » dans le cas d’une exposition aigüe par voie cutanée.

[105] La FS du Skydrol LD4 indique que le DBPP est pratiquement non irritant pour les yeux et la peau des lapins, mais l’ACGIH affirme qu’il peut causer des blessures aux yeux et irriter la peau et les voies respiratoires supérieures chez les êtres humains, et que le contact avec les yeux a causé des douleurs marquées. Des contacts cutanés répétés ont asséché et gercé la peau exposée, et l’exposition au DBPP en aérosol ou vaporisé a causé une irritation du nez et de la gorge, accompagnée d’une toux et d’une respiration sifflante. Toutefois, d’après les résultats des essais avec application d’un timbre sur la peau de volontaires humains, il n’est pas considéré comme un irritant important ou un photosensibilisant chez les êtres humains. Le Dr Pleus ajoute sur le BDPP (phosphate de butyle de diphényle) que la FS du Skydrol LD4 ne fournit aucun renseignement sur la toxicité et qu’il n’a trouvé aucune donnée toxicologique en passant en revue la littérature sur le sujet.

[106] Sur la toxicité du Mobil Jet Oil II, le Dr Pleus fait remarquer qu’il contient entre 1 % et 3 % de TCP. Les autres composantes chimiques énumérées sur la FS sont les amines de diphényle alkylées à <2 % et le n-phényl-l-naphthylamine à 1 %. Le n-phényl-l-naphthylamine est un sensibilisant cutané potentiel dans sa forme non diluée. Toutefois, des essais chez des sujets humains de 1 % de n-phényl-l-naphthylamine n’ont provoqué aucune réaction ni sensibilisation. Des recherches menées chez la poule, où l’on a administré des doses répétées de 1 000 mg/kg cinq jours semaine pendant 13 semaines n’ont révélé aucune altération qui indiquerait une OPIDN. Cette dose administrée à des poules équivaudrait chez un adulte de 70 kg à une dose de 70 000 mg d’huile moteur ingérée chaque jour, pendant 13 semaines.

[107] La FS du Mobil Jet Oil II précise toutefois que les produits de décomposition peuvent être nocifs. Ces produits sont le monoxyde de carbone, l’anhydride phosphorique, l’aldéhyde, la fumée et les produits de combustion incomplète. À une température élevée et en combustion, l’huile peut se décomposer et produire des gaz, des vapeurs ou des émanations irritants ou nocifs. Les symptômes possibles d’une exposition aigüe à ces produits de décomposition dans un espace clos sont des maux de tête, des nausées et une irritation des yeux, du nez et de la gorge. Le TCP, ou phosphate de tricrésyle, est un mélange huileux hétérogène synthétique habituellement ajouté à certaines huiles de réacteur et à certains fluides hydrauliques pour ses propriétés antiusure à des températures élevées. Comme les propriétés antiusure du TCP sont propres à cette catégorie de composés, il n’est pas possible actuellement de le remplacer complètement par d’autres additifs dans les huiles à réacteur pour de nombreuses applications.

[108] L’abréviation « TCP  » fait référence à un mélange complexe de congénères de phosphate d’aryle composés d’ortho-isomères, de méta-isomères et de para-isomères. En production, la composition isométrique du produit « TCP  » final dépend de la composition du mélange réactif original et des conditions de transformation. La composition isométrique est importante, car le potentiel de neurotoxicité d’une certaine marque de TCP dépend fortement de la concentration des composantes ortho-configurées dans le mélange. Une molécule de TCP peut donc être ortho-configurée sur un (mono), deux (di) ou trois (tri) groupes de crésyl. On retrouve le TCP dans de nombreux produits d’usage courant depuis plus de 50 ans. On s’en sert comme plastifiant, produit ignifugeant, imperméabilisant, agent d’épuration dans les formulations d’essences au plomb et solvant. Compte tenu de son usage courant, il est raisonnable de penser qu’une grande partie de la population a déjà été exposée au TCP à un moment ou à un autre, bien qu’à de faibles concentrations.

[109] Le Dr Pleus fait remarquer que les données sur la toxicité du TCP indiquent une faible toxicité aigüe (létalité) par voie orale et cutanée. Il serait classé comme étant « légèrement toxique  » dans le cas d’une exposition aigüe par ingestion et pratiquement « non toxique  » dans le cas d’une exposition aigüe par voie cutanée. Le rapport indique qu’on n’a trouvé aucune donnée publiée sur une irritation des yeux ou de la peau. En l’absence de données sur les êtres humains, les données de recherche utilisant des poules et des chats matures sont considérées comme étant le plus utiles pour déterminer le risque d’OPIDN des organophosphates. Les deux types de recherche ont montré une OPIDN produisant des sympômes très semblables à ceux observés chez les êtres humains. Par exemple, chez la poule, l’OPIDN se caractérise par une faiblesse des pattes, suivie d’une paralysie grave et d’une dégénération de la moelle épinière et des nerfs périphériques. Des études sur le TCP et les isomères du TCP chez la poule montrent qu’il n’y a pas d’OPID sous certains seuils d’exposition. En général, la dose nécessaire pour provoquer une OPIDN est plus faible pour les isomères ortho du TCP que pour d’autres isomères. Diverses études où l’a administré de l’huile moteur à des poules à différentes concentrations de TCP et de TOCP, ont montré que la dose minimale d’huile moteur causant une OPIDN chez la poule était de 2 000 mg d’huile/kg-d pour des doses orales répétées administrées cinq jours semaine pendant dix semaines, ce qui équivaut à une personne de 70 kg ingérant 140 000 mg (1/2 tasse) d’huile par jour, cinq jours semaine pendant dix semaines. À une concentration de 1 % de TCP avec une dose de 1 000 mg/kg pendant 13 semaines, cinq jours semaine, ce qui correspond à une ingestion humaine de 70 000 mg (1/4 tasse) d’huile sur la même période, les poules n’ont montré aucun signe de neurotoxicité. D’autres doses répétées administrées à des poules équivalant à une ingestion humaine de 1/4 à 11/2 tasse d’huile n’ont pas causé d’OPIDN, ce qui amène le Dr Pleus à conclure qu’il est évident qu’il faut des doses importantes d’huile contenant du TCP pour entraîner une OPIDN.

[110] Le Dr Pleus précise cependant qu’on a constaté une OPIDN dans un certain nombre d’incidents passés (la plupart survenus dans les années 1930, jusque dans les années 1950) où des êtres humains ont été exposés au TCP par ingestion accidentelle ou intentionnelle. Ces incidents étaient associés à des mélanges contenant de fortes doses de TCP et une concentration élevée de composantes ortho-configurées. Aujourd’hui, la toxicité des mélanges de TCP a beaucoup diminué à la suite des efforts faits par les fabricants pour réduire les concentrations de composantes de phosphate d’ortho-crésyle dans le TCP, qui sont considérées comme étant les principaux responsables de la capacité du TCP d’induire une OPIDN. L’activité des formules de TCP en termes de capacité du produit d’induire une OPIDN est jusqu’à 100 fois plus faible qu’autrefois. De plus, parmi les ortho-isomères possibles, le rapport du Dr Pleus indique qu’on a constaté que les isomères mono-ortho (MOCP) et di-ortho (DOCP) dissymétriques étaient plus toxiques que l’isomère tri-ortho dissymétrique (TOCP), bien que des résultats de recherches donnent à penser que le MOCP pourrait être le moins toxiques des trois.

[111] Sur les aspects réglementaires des expositions en milieu de travail, le Dr Pleus fait remarquer que les organismes gouvernementaux ou non gouvernementaux établissent des limites d’exposition en milieu de travail (LEMT) afin de protéger les travailleurs. Ces limites d’exposition sont recommandées par des organismes comme l’American Conference of Governmental Hygienists (ACGIH) et le National Institute for Occupational sécurité and Health (NIOSH) ou adoptées par voie législative par des organismes fédéraux, provinciaux et territoriaux de santé et sécurité au travail. Il souligne qu’au Canada les LEMT sont réglementées à l’échelle provinciale, alors que les compagnies aériennes ne sont pas assujetties à la réglementation provinciale sur la santé. La définition exacte de LEMT peut varier d’un organisme à l’autre, mais le Dr Pleus explique que la LEMT est généralement fondée sur des expositions répétées à un agent chimique donné huit heures par jour, cinq jours semaine, pendant de nombreuses années d’emploi, et que les LEMT appliquées au Canada comprennent les VLE de l’ACGIH. Dans le cas d’une exposition unique, d’autres LEMT ont été définies, comme les valeurs de danger immédiat pour la vie ou la santé (DIVS) du NIOSH. Ces valeurs pour des expositions uniques correspondent aux niveaux d’exposition pouvant causer des effets nocifs graves après une courte exposition, comme 15 ou 20 minutes. Étant donné la durée d’exposition plus courte, il faudrait une exposition à des concentrations beaucoup plus élevées de l’agent chimique pour atteindre une limite d’exposition à court terme ou un DIVS.

[112] En ce qui concerne l’évaluation de l’exposition à des produits chimiques, le rapport du Dr Pleus indique que l’évaluation porte sur l’analyse des voies et l’importance possible de l’exposition à un agent chimique. Dans les présents appels, de même que dans les appels parallèles interjetés par Air Canada à l’encontre des instructions qui ont été émises à son endroit, le Dr Pleus indique que les rapports des employés et d’Air Canada fournissent de l’information qui a servi à caractériser les expositions possibles à l’huile moteur Skydrol LD4 ou Mobil Jet Oil II, y compris de l’information sur la source, l’importance et la durée de l’exposition possible. Pour les fins de son évaluation, le Dr Pleus fait l’hypothèse que les employés pourraient avoir été exposés à la composante chimique du fluide hydraulique et de l’huile moteur pendant huit heures. Il s’agit alors de déterminer si l’exposition au produit chimique était suffisante pour atteindre ou dépasser le seuil menaçant la santé. Du point de vue de la toxicologie, pour qu’un agent chimique entraîne des effets néfastes à long terme sur la santé (chroniques) à la suite d’une exposition de courte durée, l’agent devra généralement être très puissant et suffisamment concentré, soit à des concentrations beaucoup plus élevées que la VLE.

[113] L’évaluation doit aussi tenir compte du système de ventilation de la cabine de l’avion. Encore plus à propos, dans les Airbus A319 et A320, l’air est amené dans le groupe de conditionnement d’air situé sous le compartiment passagers près des ailes, comme le montre le schéma du système de ventilation de l’Airbus A319/320 tiré d’un manuel de formation sur l’ECS de l’Airbus A319. Comme le système de ventilation fonctionne sur toute la longueur du compartiment passagers, il est raisonnable de penser que, si une personne est exposée à des quantités d’agent chimique suffisantes pour entraîner des effets défavorables, d’autres personnes ressentiront aussi ces effets. De plus, de grandes quantités d’air circulent dans la cabine de l’avion. Dans l’Airbus A319, environ 28 % à 49 % de l’air est remis en circulation, selon le nombre de groupes de conditionnement d’air utilisés et les conditions d’utilisation. Dans le cas de l’Airbus A320, environ 37 % à 57 % de l’air est remis en circulation, tout dépendant encore une fois du nombre de groupes de conditionnement d’air utilisés et des conditions d’utilisation. Le Dr Pleus cite le manuel de formation technique de l’Airbus A319/320 comme suit :

[Traduction] L’air de prélèvement provenant du circuit pneumatique est contrôlé en flux avant d’atteindre les deux groupes de conditionnement d’air qui assurent la régulation de la température de base. L’air fourni par les groupes est mélangé à l’air remis en circulation des zones cabine. La température optimale de l’air distribué dans les zones pressurisées est réglée en contrôlant la quantité d’air chaud qui est ajouté à l’air provenant du groupe de mélange d’air. On obtient le bon niveau de pressurisation en contrôlant la sortie d’air conditionné par une vanne de régulation d’échappement. (…). L’air cabine remis en circulation passe par les filtres de recirculation HEPA.

[114] À l’aide des diagrammes des systèmes de prélèvement et de conditionnement d’air, de l’APU et du fuselage de l’Airbus A319/320 montrant l’emplacement des conduits d’air de distribution et des filtres de recirculation, le Dr Pleus précise qu’une fois qu’un agent chimique est entré dans l’air cabine, il est encore dilué par rapport à sa concentration dans l’air de prélèvement, un peu comme si l’on jetait une goutte de colorant alimentaire dans une piscine remplie d’eau. Donc, pendant toute cette dilution, la concentration de n’importe quel agent chimique diminue dans l’air que respirent les passagers et l’équipage.

[115] Dans l’évaluation de l’exposition et de la durée, le rapport indique que, selon une approche scientifique, pour qu’il y ait un risque vraisemblable de blessure ou de maladie attribuable à une exposition à des produits chimiques, l’exposition doit être à une dose suffisante de cet agent chimique. Comme aucune concentration d’air n’a été mesurée lors des cas signalés liés à la présence d’odeur, la détection d’odeur ou d’une fumée ou brume visible peut servir à estimer les doses qui pouvaient être présentes. Notant qu’une brume visible d’huile moteur ou de fluide hydraulique révélerait une concentration d’aérosol dispersé plus élevée que s’il s’agissait d’une odeur, le rapport indique que les documents examinés concernant les vols ne confirment pas la présence de vapeurs ou d’une brume dans l’air cabine lors des vols visés par les présentes causes ou les causes parallèles. Or, selon les calculs du Dr Pleus, les niveaux d’exposition à l’huile dans l’air nécessaires pour provoquer une OPIDN, qui constitue l’indicateur de résultat du TCP, produiraient une brume sèche visible que les passagers et l’équipage de cabine n’auraient pas manqué de remarquer. Faisant référence aux rapports des agentes de SST dans toutes ces causes, il fait remarquer qu’ils ne contiennent aucune preuve que des employés ont été exposés ou auraient été exposés à des substances dangereuses à des concentrations susceptibles d’entraîner une maladie chronique.

[116] Le Dr Pleus souligne également que les concentrations de TCP dans l’air mesurées à bord d’avions commerciaux sont très faibles, et que l’on retrouve le TCP dans de nombreux produits de consommation en faibles concentrations, c’est pourquoi il peut être difficile d’en déterminer la source. Les concentrations prévues de TCP et de ses isomères, selon les concentrations mesurées à différents moments des opérations de l’avion, devraient être très faibles. Plusieurs études ont mesuré les niveaux de contaminants du fluide hydraulique et de ses composantes associées à bord d’avions commerciaux, le TBP et l’huile moteur et le TCP dans l’air cabine. Dans une étude (Muir)Footnote 4  , on a mesuré les concentrations d’aérocontaminants à bord d’un avion de taille moyenne fabriqué au Royaume-Uni (le BAe 146). On a appliqué quatre scénarios : dans un hangar, à bord de l’avion, dans un APU en marche et dans un scénario avec libération d’un agent chimique. Dans tous les scénarios, les niveaux de fluide hydraulique et de TBP ont été les mêmes, à 0,002 à 0,003 mg/m3 et 0,023 à 0,042 mg/m3. On retrouve également le TBP dans les plastiques, et comme la volatilité des composantes du fluide hydraulique varie, cela pourrait expliquer la concentration plus élevée de TBP par rapport à celle du fluide hydraulique.

[117] Concernant le TCP et l’huile moteur, la même étude (Muir) indique que, lorsque l’APU était en marche, on a trouvé de l’huile moteur à des concentrations constantes de 0,011 à 0,014 mg/m3, tandis que les concentrations de TCP se sont chiffrées à 0,0006 à 0,0013 mg/m3. Dans un avion différent (Boeing 757), lors d’un incident imprévu de contamination de l’air de prélèvement pendant la montée alors qu’on mesurait les contaminants dans l’air cabine, on a enregistré les niveaux les plus élevés de contamination au TCP, à des concentrations de 0,005 à 0,00004 mg/m3. Les valeurs instantanées pourraient avoir été dix fois plus élevées étant donné que l’échantillon a été prélevé sur une courte période de temps. Dans un autre rapport (Waters), on a enregistré la présence de TBP à l’état de trace dans l’air cabine, mais aucun niveau quantitatif n’a été établi, pas plus qu’on a consigné le nombre de vols et le type d’avion. D’autres études portant sur l’analyse des concentrations de TCP dans l’air cabine et l’air de prélèvement à bord de divers avions commerciaux n’ont abouti à aucune détection. Dans une autre étude (Crump) mesurant l’air cabine à bord de 100 vols de cinq avions de marques différentes, l’air a atteint des niveaux mesurés maximums de 0,0228 mg/m3 pour le TOCP, de 0,0377 mg/m3 pour le TCP et de 0,0218 mg/m3 pour le TBP, les moyennes arithmétiques étant beaucoup plus faibles.

[118] Le Dr Pleus fait ainsi remarquer que, du point de vue de la toxicologie, les LEMT les plus faibles pour le TCP et le TBP étant de 0,1 mg/m3 et de 2,2 mg/m3, elles représentent des niveaux d’exposition autorisés en milieu de travail qui ne sont pas censés menacer la santé si un travailleur y est exposé huit heures par jour, cinq jours semaine, pendant de nombreuses années d’emploi. De plus, l’exposition aux agents chimiques qui entrent dans la cabine sera diluée, distribuée sur toute la longueur de l’avion et de courte durée. Une très grande quantité d’air pénètre dans la cabine pendant un vol, et il y a donc dilution constante, et toute exposition à un agent chimique est nécessairement de courte durée. Le Dr Pleus ajoute que l’air entre dans la cabine sur toute la longueur de l’avion, ce qui veut dire non seulement qu’il y a dilution, mais aussi qu’on peut s’attendre à ce qu’aucune zone particulière n’affiche de concentrations accrues. Il fait enfin remarquer que, même si l’agente de SST a conclu à l’existence d’un danger dans les deux autres causes, conclusion qu’il juge peu probable selon la définition de « danger  » dans le Code et sa propre évaluation, la présence d’une odeur n’est pas un fait inhabituel dans le secteur de l’aviation et peut être considérée comme une condition d’emploi normale.

[119] Cela dit, concernant le risque d’effets chroniques sur la santé lié aux produits chimiques contenus dans l’huile moteur et le fluide hydraulique, le Dr Pleus appuie son évaluation sur un certain nombre d’hypothèses, notamment le fait qu’une odeur était présente dans les cas signalés, que des émanations pouvant être détectées à bord d’avion peuvent contenir, entre autres, des produits chimiques comme des aldéhydes ou des acides carboxyliques pouvant causer des effets à court terme et temporaires, y compris une irritation de la gorge, du nez et des yeux, des changements dans le rythme et le mode de respiration, ainsi que des nausées pouvant aller jusqu’aux vomissements chez certaines personnes. Il suppose en outre que, s’il y a eu exposition, l’exposition de chaque employé a été de courte durée (aigüe) et, étant donné l’absence de vapeur ou de brume signalée, que toute exposition, le cas échéant, a été de faible concentration, l’élément déclencheur, dans le cas de presque tous les employés, étant la présence d’une odeur nauséabonde.

[120] Compte tenu de ce qui précède, le Dr Pleus fait aussi remarquer que les employés qui ont signalé une odeur n’ont pas signalé d’effets sur la santé correspondant au mécanisme d’action connu des produits chimiques évalués, et que les concentrations et la durée des expositions auxdits produits chimiques n’étaient pas suffisantes pour menacer la santé. Selon le rapport, aucun des employés ayant exercé son droit de refuser de travailler n’appartient à un groupe de population dit « fragile  », comme les femmes enceintes, les enfants, les personnes souffrant d’une maladie chronique ou les personnes âgées, et aucun n’est donc plus sensible à une exposition à des produits chimiques qu’une personne moyenne. Étant donné la durée possible de l’exposition, qu’il suppose de huit heures, même si les véritables expositions ont sans doute été beaucoup plus courtes, le Dr Pleus estime que la dose potentielle serait insuffisante pour être considérée, selon la définition du Code, comme étant une « exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur  ».

[121] Au sujet de l’odeur nauséabonde proprement dite, il formule deux explications possibles pour expliquer les réactions des employés aux incidents. La première est une réponse physiologique à une odeur nauséabonde. Selon le Dr Pleus, les odeurs sont des sensations qui surviennent lorsqu’un agent chimique interagit avec les récepteurs dans la cavité nasale, la bouche, le pharynx et d’autres parties du corps. Le degré de perception négative d’une odeur nauséabonde se caractérise individuellement par l’intensité et l’acceptabilité perçues de l’odeur. De plus, une odeur nauséabonde peut directement stimuler les neurones sensorielles et produire une irritation, mais pas un effet pathologique. La détection d’une odeur n’est pas nécessairement un indicateur fiable du potentiel de toxicité. Dans le cas de nombreux produits chimiques, on peut détecter des odeurs à des concentrations qui sont inférieures aux niveaux associés à la toxicité. La détection d’une odeur nauséabonde peut donner lieu à tout un éventail de symptômes. Toutefois, ces réactions ne sont pas des effets néfastes en soi. Plus une odeur est déplaisante, plus la réaction négative sera forte et plus la perception probable des effets néfastes sur la santé associés à l’odeur sera également forte.

[122] La deuxième explication est le phénomène de maladie psychogène atteignant des gens ayant de véritables symptômes qui découlent souvent de renseignements erronés ou mal compris. Ces réactions ne sont pas un effet toxicologique, mais plutôt de l’anxiété provoquée par un élément déclencheur, comme une odeur néfaste. Les principaux symptômes de maladies psychogènes de masse comprennent des maux de tête, des étourdissements, des nausées, une toux, une fatigue, un endormissement ou une faiblesse, une épiphora ou une irritation des yeux, des troubles de la pensée ou de la concentration, des vomissements, un fourmillement et un engourdissement. Dans les cas où l’on a signalé des maladies psychogènes de masse, on n’a pas trouvé d’agent ni de source pathogène plausible.

[123] Compte tenu de ce qui précède, le Dr Pleus conclut qu’il n’y avait pas de risque inacceptable pour la santé des employés d’Air Canada attribuable aux expositions à l’huile moteur (Mobil Jet Oil II) ou au fluide hydraulique (Skydrol LD4). Les odeurs nauséabondes ne sont pas de bons indicateurs de risque pour la santé, car il n’y a pas de corrélation entre elles et la toxicité. Les odeurs ne sont donc pas des indicateurs fiables de danger dans de nombreux cas d’exposition à des produits chimiques. Même s’il est possible que certains symptômes surviennent après une exposition de courte durée, comme l’indique la FS de ces produits, les doses et la durée de l’exposition entraînant ces symptômes dans les études chez des animaux sur lesquelles ces assertions sont fondées sont beaucoup plus importantes que celles que les employés auraient vécues. De plus, la preuve fournie ne donne aucune indication que les expositions auraient suffi à entraîner des effets défavorables à long terme. Les conclusions du Dr Pleus s’appuient sur un degré raisonnable de certitude scientifique.

[124] L’intimée Air Canada fait valoir que la question à trancher dans ces appels consiste à savoir s’il était raisonnable de s’attendre à ce que les agents de bord soient exposés à un danger lié à l’air cabine à bord des vols où ils ont refusé de travailler. L’intimée fait valoir que la seule façon objective de répondre à cette question est de suivre la science. Suivant le principe toxicologique accepté selon lequel « le poison, c’est la dose  », l’intimée soutient que c’est la dose à laquelle une personne est exposée qui détermine s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un agent chimique menace la santé. La seule présence de mauvaises odeurs n’est pas un bon indicateur de risque pour la santé, et l’odeur n’a pas de corrélation avec la toxicité.

[125] L’intimée examine la méthodologie d’évaluation du risque toxicologique, qui comporte quatre étapes : i) l’évaluation du risque; ii) l’évaluation de l’exposition; iii) l’évaluation de la dose-effet; et iv) la caractérisation du risque. L’intimée soutient que le Dr Pleus a rigoureusement suivi cette méthodologie et préparé un rapport impartial et indépendant où il conclut que la dose et la durée de l’exposition que pourraient avoir subie les agents de bord dans ces appels étaient insuffisantes pour menacer leur santé ou leur sécurité. Il formule cette opinion avec un degré raisonnable de certitude scientifique.

[126] Contrairement aux observations des appelants, l’intimée soutient que l’expertise du Dr Pleus n’est pas sans pertinence. En fait, l’intimée estime que ce sont plutôt les opinions d’expert des Drs Harrison et Weisel, leur preuve et leurs conclusions qui présentent de graves lacunes, car ni l’un ni l’autre n’a d’expertise suffisante en toxicologie, les deux s’appuient sur une preuve limitée qui souffre de sérieux défauts sur le plan scientifique et qui est principalement anecdotique, les deux écartent l’avis d’autorités scientifiques compétentes qui sont en désaccord avec leur opinion et les deux dévient de la méthodologie qu’ils prétendent suivre en temps normal. Au mieux, leur preuve pourrait permettre d’étayer la possibilité d’un risque d’exposition au type d’odeurs passagères signalées en cabine par les agents de bord, mais elle n’établit pas que la seule présence des odeurs signalées constituait un « danger  » selon la définition du Code.

[127] D’après son témoignage, l’expérience du Dr Harrison en toxicologie semble se limiter à comprendre comment les produits chimiques circulent, à interpréter les études toxicologiques et à donner un cours sur la toxicologie du foie dans le cadre du processus de certification menant à une spécialisation en médecine du travail, et cette expérience ne devrait pas être considérée comme étant suffisante pour le qualifier d’expert en toxicologie, même si l’agent d’appel a écarté l’objection de l’intimée concernant la reconnaissance du Dr Harrison comme expert. L’intimée soutient que, contrairement à ce qu’affirment les appelants, les toxicologues endossent et suivent une procédure habituelle d’évaluation du risque toxicologique, ce que le Dr Pleus a fait.

[128] En revanche, le Dr Harrison a montré qu’il ne connaissait pas la procédure habituelle d’évaluation du risque toxicologique. L’intimée croit également que le Dr Harrison a mal interprété le principe toxicologique bien établi sur le seuil d’exposition entraînant des effets toxicologiques. En gros, l’intimée avance que, pour qu’une exposition à un agent chimique menace la santé, cette exposition doit être de concentration et de durée suffisantes pour produire la dose interne nécessaire qui dépasse le seuil d’exposition. Même pour que des produits chimiques soient étiquetés comme étant toxiques, les expositions doivent dépasser le seuil d’exposition lié des effets néfastes sur la santé. Au sujet de l’exemple donné par le Dr Harrison de cancérigènes entraînant des effets graves sur la santé même à de petites doses, l’intimée soutient que cela ne veut pas dire que le principe du seuil d’exposition est seulement généralement vrai, mais plutôt qu’il appuie le principe même qui veut que « le poison, c’est la dose  » (c.-à-d. que même une petite dose peut être dangereuse).

[129] L’intimée soutient également que le Dr Harrison a confondu les concepts de sensibilité individuelle ou de réaction subjective avec l’existence d’un risque toxicologique. L’intimée affirme que le fait que certaines personnes soient sensibles ou aient des réactions subjectives à des odeurs à différents degrés ne signifie pas qu’elles aient été exposées à une substance toxique, ni qu’il y ait eu une possibilité raisonnable de danger. Air Canada soutient que, en ce qui concerne la toxicologie, le Tribunal devrait privilégier la preuve du Dr Pleus et accorder peu ou pas de poids à la preuve du Dr Harrison. Le témoignage et le rapport d’expert du Dr Harrison reposent sur son expérience dans l’évaluation et le traitement, sur une période de plus de 15 ans, d’environ 50 agents de bord et pilotes qui ont ressenti des effets sur leur santé après avoir été exposés à un air de prélèvement vicié.

[130] En contre-interrogatoire, le Dr Harrison a concédé que de nombreux symptômes signalés par les employés dans la série de cas étaient subjectifs et que, même s’ils étaient considérés objectivement, ils seraient quand même insuffisants pour établir une relation de cause à effet entre l’exposition à l’air de prélèvement vicié et un résultat, sans obtenir ni examiner, entre autres, les antécédents complets des employés en cause, les preuves de l’exposition et les renseignements toxicologiques sur la substance à laquelle les gens ont été exposés. Le Dr Harrison a admis qu’il n’avait ni demandé ni examiné ces renseignements. De plus, le Dr Harrison a confirmé que le « syndrome aertoxique  » n’était pas une maladie reconnue. Pas plus que le groupe de symptômes signalés dans la série de cas (maux de tête, étourdissements, nausées et problèmes de mémoire et de concentration) ne correspond à une maladie connue et, lorsqu’on combine cela aux précédents, on arrive au mieux à la conclusion que la communauté médicale est divisée sur le sujet. De plus, le Dr Harrison a expliqué que la présence de signes et de symptômes ne suffisait pas à établir une relation de cause à effet.

[131] L’intimée soutient également que, même si le Dr Harrison a élaboré et approuvé un guide énonçant la méthodologie que doivent suivre les fournisseurs de soins de santé pour évaluer les effets potentiels ou réels sur la santé après une exposition à un air de prélèvement vicié, il a admis ne pas avoir lui-même suivi le guide pour évaluer le risque d’effets néfastes sur la santé des agents de bord dans les présents appels, ou pour préparer son avis médical. Le Dr Harrison a admis que, pour arriver à son opinion d’expert en médicine, il n’a ni obtenu ni examiné les antécédents médicaux et professionnels des personnes en cause, il n’a pas tenu compte des facteurs non liés au milieu de travail et il n’a pas examiné les agents de bord. Il s’est appuyé uniquement sur les renseignements qui lui ont été fournis par le SCFP pour formuler ledit avis médical. Concernant les étapes du diagnostic différentiel, qui comprennent d’éliminer d’autres possibilités, l’intimée indique que le Dr Harrison n’a pas fait de diagnostic différentiel ni évalué la pertinence possible d’une maladie psychogène pour former son opinion.

[132] Sur la maladie psychogène, l’intimée explique qu’une constellation de symptômes peuvent signaler des maladies, mais sans que l’on puisse en déterminer la cause ni trouver des preuves cliniques suffisantes, ces symptômes pouvant se manifester individuellement ou chez des personnes partageant certaines convictions à l’égard des symptômes. Ces réactions ne sont pas un effet toxicologique, mais plutôt de l’anxiété provoquée par un élément déclencheur, comme une odeur néfaste. L’intimée fait remarquer que les agents de bord dans ces appels ont signalé des symptômes semblables à ceux observés après l’éclosion d’une maladie psychogène, comme des maux de tête, des étourdissements, des nausées, une toux, une fatigue, un endormissement ou une faiblesse, une épiphora ou une irritation des yeux, des troubles de la pensée ou de la concentration, des vomissements, un fourmillement et un engourdissement. Des symptômes semblables ont également été signalés dans la série de cas décrits dans le guide du Dr Harrison.

[133] De plus, l’intimée a fait remarquer que le Dr Weisel avait confirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas consulté de spécialiste du comportement sur d’éventuels problèmes psychogènes à la suite d’une exposition à une odeur nauséabonde, tout en déclarant en contre-interrogatoire que [traduction] « les gens peuvent se percevoir comme étant malades et avoir des symptômes pour des raisons psychologiques  ». L’intimée estime que le défaut du Dr Harrison de tenir compte de l’effet psychogène de l’odeur nauséabonde et le défaut du Dr Weisel de consulter un expert du comportement à ce sujet sont particulièrement troublants puisque, en l’espèce, il n’y a pas de preuve objective de l’exposition ni de la dose.

[134] Quant au Dr Weisel, l’intimée croit que, bien qu’il consulte les toxicologues membres de son équipe, il n’est pas un toxicologue formé et n’était donc pas qualifié et n’avait pas été présenté comme un expert en toxicologie. Par conséquent, dans la mesure où il a fourni une opinion sur des concepts de toxicologie ou leur application aux présents appels, on ne devrait accorder aucun poids à son témoignage. L’intimée relève également d’autres problèmes liés à la méthodologie suivie par le Dr Weisel pour former son opinion d’expert. Par exemple, dans son rapport, il conclut qu’il y avait une possibilité raisonnable que les agents de bord soient exposés à un danger lié à une exposition à l’huile ou aux produits de pyrolyse à bord des vols où ils ont refusé de travailler, mais il n’a pas préparé d’évaluation quantitative de l’huile ou des produits de pyrolyse qui pouvaient vraisemblablement se trouver dans l’air cabine. Par surcroît, en contre-interrogatoire, il a admis qu’il supposait qu’une fuite d’huile s’était produite dans chaque cas, mais qu’il n’avait rien fait pour mesurer ou calculer l’exposition possible ou la dose à laquelle les agents de bord pouvaient vraisemblablement avoir été exposés. L’intimée souligne que, selon le Dr Pleus, les calculs du Dr Weisel sont trompeurs parce qu’ils supposent que toute l’huile pyrolysée a atteint l’air cabine, ce qu’il est impossible de vérifier.

[135] Concernant le fait que le Dr Weisel s’est fondé sur l’étude analysant les contaminants sur des filtres HEPA standards et non standards d’avions, dont il a déclaré que 90 % avaient affiché un niveau détectable de contamination au TCP, l’intimée relève des défauts apparents dans la conception et la méthodologie de l’étude, notamment l’incapacité de la conception et des contrôles à assurer la sélection, le retrait, le traitement, l’expédition et le stockage adéquats des filtres, de sorte à empêcher toute contamination d’autres sources. L’intimée soutient qu’on ne dispose pas d’assez d’information pour déterminer si des défauts de fabrication ou de conception et une contamination par des corps étrangers pourraient avoir faussé les résultats de l’étude.

[136] L’intimée soutient également que l’étude sur les filtres HEPA n’a peut-être pas été entièrement à l’insu et, si c’était le cas, le Dr Weisel ne peut pas écarter la possibilité qu’un parti pris des personnes chargées de l’essai ou du personnel de maintenance puisse avoir faussé les résultats. L’intimée estime que, même si les évaluations quantitatives et les expositions à des contaminants se situent dans le champ de son expertise comme spécialiste en exposition, le Dr Weisel n’a rien fait pour tenter d’évaluer la dose de TCP qui aurait été nécessaire pour produire la quantité de TCP mesurée sur les filtres. L’intimée avance qu’il est impossible de savoir si le dépôt de TCP sur l’un ou l’autre des filtres s’est accumulé après de nombreuses libérations de faible niveau. L’intimée croit donc que l’étude renseigne peu sur l’exposition ou la dose de TCP qui pourrait avoir été présente au cours d’un seul vol, et qu’on ne devrait pas y accorder poids.

[137] En réponse à la conclusion du Dr Weisel selon laquelle les odeurs à bord de l’avion étaient toxiques d’après la série de cas du Dr Harrison et une étude australienne, l’intimée soutient que cette conclusion est spéculative ou, au mieux, une simple possibilité. L’intimée soutient que l’odeur n’est pas un indicateur fiable de la toxicité, et qu’un certain nombre de produits chimiques produisent des odeurs à des concentrations plus faibles que les niveaux associés à la toxicité ou à un danger. L’intimée croit que la série de cas du Dr Harrison ne peut pas être considérée comme étant une étude scientifique contrôlée examinée par des pairs. Air Canada soutient que l’absence d’examen traditionnel par des pairs pour garantir la qualité et la crédibilité des renseignements devrait être évaluée en fonction du guide à l’intention des fournisseurs de soins de santé et de l’information qu’il contient.

[138] L’intimée soutient que les experts du SCFP ont eu tort d’écarter l’avis de plusieurs autorités scientifiques compétentes qui ne cadrait pas avec leur point de vue. Par exemple, le Dr Harrison n’a pas tenu compte des VLE des produits chimiques établies par l’American Conference of Governmental Industrial Hygenists (ACGIH), parce que de nombreux produits chimiques n’ont pas de VLE et que les VLE ne sont pas établies pour empêcher des effets néfastes sur la santé, mais pour prévenir l’apparition de symptômes, une conclusion contraire à l’objet des VLE. Au contraire, l’intimée soutient que les scientifiques conviennent qu’une exposition égale ou inférieure au niveau des VLE ne crée pas de risque déraisonnable de maladie ou de blessure. Le Dr Weisel a admis avoir écarté plusieurs autorités scientifiques et études traitant de la qualité de l’air cabine, des odeurs et des composés en question, et même l’étude Muir, où l’on a pris des mesures lors d’un incident imprévu de fuite dans l’air de prélèvement à bord d’un avion commercial, parce que les descripteurs d’odeurs différaient de ceux en l’espèce.

[139] L’intimée fait remarquer que, même si le Dr Weisel a écarté ces études, il a convenu en contre-interrogatoire que les descriptions d’odeurs étaient subjectives et pouvaient varier d’une personne à l’autre. L’intimée s’inquiète aussi du fait que les deux experts ont également écarté l’étude SchindlerFootnote 5 , où 332 pilotes et membres de l’équipage de cabine ont été soumis à un essai d’exposition pendant 12 heures et où l’on n’a pas pu établir de façon évidente l’exposition en milieu de travail aux isomères du TCP et particulièrement au O-TCP par le personnel naviguant, après des situations liées à des émanations  ». Selon l’intimée, les Dr Weisel et Harrison ont rejeté sommairement le rapport de UK Science and Technology, l’étude CranfieldFootnote 6 , l’étude Schindler et d’autres études scientifiques pertinentes qui ne cadraient pas avec leur opinion. L’intimée estime que ces rapports sont très pertinents pour former une opinion d’expert dans les domaines de la science de l’exposition, de la médecine du travail et de la toxicologie, et qu’aucun motif raisonnable ou rationnel ne justifie que les experts des appelants les aient rejetés. L’intimée croit aussi qu’il est raisonnable de craindre que le Dr Harrison a pris parti pour les travailleurs en général, et donc que sa preuve et son opinion d’expert ne sont pas objectives et impartiales. Bref, l’intimée soutient que la preuve d’expert des appelants n’établit pas que les odeurs dans la cabine constituaient un danger selon la définition du Code.

[140] Air Canada soutient que le Tribunal devrait préférer la preuve du Dr Pleus à celle du Dr Harrison dans le domaine de la toxicologie. Contrairement au Dr Harrison, le Dr Pleus est titulaire d’un doctorat en toxicologie environnementale et il possède une grande expérience de l’évaluation toxicologique dans le cas d’exposition humaine aux produits chimiques en milieu de travail et dans d’autres environnements.

[141] Le Dr Pleus fournit des évaluations indépendantes et rigoureuses et formule des opinions d’expert impartiales, et rien ne prouve qu’il se soit « érigé en défenseur d’Air Canada  », comme le prétendent les appelants. De plus, il a appliqué rigoureusement la méthodologie habituelle d’évaluation du risque toxicologique, contrairement aux Drs Harrison et Weisel. Pour arriver à la conclusion que la dose et la durée de l’exposition en l’espèce n’étaient pas suffisantes pour menacer la santé ou la sécurité des employés qui ont refusé de travailler, le Dr Pleus a supposé que les employés avaient été exposés au fluide hydraulique et à l’huile moteur dans l’air cabine. Il a supposé que l’exposition avait duré huit heures et qu’elle avait été de faible concentration, étant donné qu’on n’avait pas signalé de vapeur ni de brume à bord des vols en question.

[142] Le Dr Pleus a maintenu que ces hypothèses étaient nécessaires parce qu’aucune mesure de l’air ni aucune autre donnée objective n’avaient été recueillies pour confirmer la présence d’une dose ou d’une exposition de quelque nature que ce soit. L’intimée soutient également que le Dr Pleus est arrivé à sa conclusion après avoir suivi la procédure habituelle d’évaluation du risque toxicologique : i) évaluation du risque; ii) évaluation de l’exposition; iii) évaluation de la dose-effet; et iv) caractérisation du risque. Les experts du SCFP n’ont pas suivi cette démarche scientifique habituelle. Le Dr Pleus affirme avoir examiné le Skydrol LD 4 et le Mobil Jet Oil II et analysé les données sur la toxicité pour trouver des indicateurs de résultat et évaluer la toxicité du TCP. L’intimée soutient que, contrairement à la déclaration des appelants selon laquelle le TCP et le TOCP ne sont pas en cause en l’espèce, le guide à l’intention des fournisseurs de soins de santé du Dr Harrison, ainsi que de nombreux articles examinés par des pairs, y compris l’étude portant sur les filtres HEPA, ont analysé ces composés à la suite d’incidents liés à la qualité de l’air cabine. Le Dr Pleus maintient qu’il faut des essais sur les animaux pour permettre aux toxicologues et aux autres scientifiques de comprendre l’effet des substances sur les organismes vivants, afin d’évaluer l’exposition aux produits chimiques et les seuils qui pourraient menacer la santé humaine. De plus, comme le Dr Pleus l’a indiqué dans son témoignage, les animaux utilisés dans les essais cités sont aussi sensibles, sinon davantage, que les êtres humains aux produits chimiques testés.

[143] L’intimée croit que le Dr Pleus a fait une évaluation exhaustive des risques et appliqué des hypothèses et utilisé l’exposition et les doses des études pertinentes, puisqu’aucune donnée ou preuve objective n’a été recueillie à bord des vols et des avions en cause. Appliquant ces hypothèses, le Dr Pleus conclut que les expositions et les doses présumées dans les présents appels étaient inférieures aux limites d’exposition en milieu de travail et aux niveaux liés à des effets néfastes observables les plus faibles publiés, et qu’il serait dont peu probable qu’elles entraînent des effets sur la santé humaine.

[144] Dans sa preuve d’expert, le Dr Pleus conclut que l’odeur n’est pas un indicateur fiable de potentiel de toxicité parce que, entre autres, il est possible de détecter des odeurs à des concentrations inférieures aux niveaux associés à la toxicité. Il a expliqué que c’est la dose à laquelle une personne est exposée qui détermine si un agent chimique agent est dangereux ou pas. Après avoir étudié les circonstances de chacun des présents appels, il a conclu que toute dose à laquelle les agents de bord ayant exercé leur droit de refuser de travailler avaient pu être exposés était insuffisante pour menacer leur santé ou leur sécurité. Les essais Cranfield et Schindler appuient ses conclusions, mais pas les conclusions des Drs Harrison et Weisel.

[145] Enfin, Air Canada est d’avis qu’il n’y a pas de preuve objective de danger dans le cas des refus de travailler de madame Martinez ou de M. LaPorte, les deux causes faisant l’objet des appels parallèles et de la décision mentionnés ci-dessus.

[146] Air Canada soutient que, si la simple présence d’odeurs passagères signalées par les agents de bord dans ces appels présente un danger, ce que nie Air Canada, elle constitue alors une condition d’emploi normale et ne justifie pas un refus de travailler.

[147] L’intimée demande que le Tribunal n’accorde pas de poids aux opinions des Drs Harrison et Weisel relativement aux mesures correctives d’aménagement et de maintenance. Comme M. Supplee l’a confirmé dans son témoignage, la seule approche valable dans ces causes consiste à ce que le personnel de maintenance cherche la cause du problème, vérifie l’intégrité de l’avion et écarte tout risque de contamination par l’huile moteur ou le fluide hydraulique, ce qui est en fait l’approche suivie par la maintenance d’Air Canada lorsqu’on a signalé des odeurs dans tous les appels des appelants et d’Air Canada.

[148] Air Canada estime qu’aucune mesure corrective n’est justifiée puisqu’il n’y avait pas de risque raisonnable de danger dans les circonstances de ces appels. Toutefois, si le Tribunal devait faire des recommandations afin qu’une enquête soit menée sur le type d’odeurs qui a donné lieu au refus, l’intimée demande qu’il tienne compte de l’absence de dispositif de détection connu pour déterminer efficacement l’exposition potentielle après une situation liée à des émanations. L’intimée soutient également qu’elle a déjà pris des mesures pour régler les problèmes de qualité de l’air cabine, y compris le type d’odeurs dont il est question dans cet appel.

[149] À cet égard, l’intimée soutient qu’il n’y a pas de fondement raisonnable à la demande des appelants d’interdire de vol tous les avions ayant un groupe de conditionnement d’air hors service. L’intimée fait référence à la décision Rivers déjà mentionnée, où il a été établi que les conditions météorologiques et environnementales au sol au moment du départ avaient une grande influence sur l’environnement dans la cabine dans n’importe quel vol ayant un groupe de conditionnement d’air hors service et conclu que les symptômes ne risquaient d’apparaître que pendant une journée chaude et humide. Il ne faisait ni chaud ni humide dans le cas de Mme Blaize.

[150] Air Canada demande donc que le soussigné confirme les décisions d’absence de danger prononcées par les agentes de SST Pollock et Blain dans les trois causes et qu’il rejette les appels.

C) Réponse

[151] Les appelants répètent qu’Air Canada n’a pas fourni de preuve qui démontre que d’utiliser du matériel qui fonctionne mal et qui contamine l’air cabine soit une condition d’emploi normale. L’ensemble de la preuve donne à penser que ces incidents sont rares et préoccupants et qu’ils exigent des mesures de maintenance. Les appelants relèvent les lacunes suivantes dans les arguments d’Air Canada :

  • la science ne se limite pas à la toxicologie, mais comprend la médicine et la science de l’exposition;
  • Air Canada ne tient pas compte de la corrélation entre les odeurs signalées dans ces causes et la contamination de l’air cabine par l’huile et les produits d’huile pyrolysée;
  • de nombreux contaminants sont produits par pyrolyse de l’huile moteur, et on ne peut pas supposer qu’il n’y ait qu’un seul contaminant pertinent, soit le TCP et particulièrement le TOCP.

[152] Contrairement aux affirmations faites par Air Canada, il n’y a pas de contradiction entre l’opinion du Dr Harrison et celle de l’expert dans la décision Rivers : en fait, les deux ont constaté une constellation semblable de symptômes découlant d’une exposition en milieu de travail, qui constitue une maladie. De plus, les appelants estiment qu’il y a une lacune dans l’affirmation d’Air Canada selon laquelle, parce que le Dr Harrison ne considère pas le syndrome aérotoxique comme étant une maladie reconnue, cela veut nécessairement dire que les agents de bord souffrant des mêmes symptômes ne peuvent pas être malades. Les appelants précisent aussi qu’Air Canada n’a pas demandé au Dr Harrison s’il avait tenu compte de l’effet psychogène d’une odeur nauséabonde, et on ne peut donc pas dire qu’il a négligé de le faire.

[153] Les appelants estiment également que rien ne prouve qu’un examen traditionnel par des pairs doive être un essai à l’insu examiné par des pairs, ou que la compréhension du Dr Harrison de ces essais soit erronée. Les appelants demandent donc au Tribunal de prendre connaissance d’office du fait que les examens par des pairs dans le monde universitaire et scientifique sont parfois à l’insu, parfois non.

[154] Les appelants ne contestent pas les principes et la méthodologie toxicologiques, mais affirment que la toxicologie est de peu d’utilité dans l’analyse scientifique des circonstances de ces refus, où les agents de bord ont été exposés à un mélange de composés connus pour avoir des effets néfastes sur la santé. Les appelants estiment que le Dr Pleus s’est penché sur des expositions et des effets sur la santé non pertinents. Les appelants répètent que les études sur des animaux n’évaluent pas le genre de symptômes signalés dans les situations liées à des émanations, comme des maux de tête, des étourdissements ou une incapacité à se concentrer. Les appelants ajoutent qu’en se concentrant exclusivement sur le TCP et le TOCP, Air Canada et le Dr Pleus passent à côté du vrai problème : les produits de pyrolyse ne sont pas seulement des additifs, mais ils sont aussi la base de l’huile moteur, qui représente plus de 90 % de l’huile.

[155] Les appelants précisent aussi que les refus étaient fondés sur des odeurs inhabituelles, qu’ils ont attribuées, à l’instar des pilotes et du personnel de maintenance, à une contamination de l’air cabine due à une fuite d’huile dans l’APU ou les moteurs. Dans certains cas, les agents de bord ont souffert de symptômes sur des vols précédents à bord du même avion, ou étaient au courant que d’autres membres de l’équipage ou d’autres passagers avaient signalé des symptômes.

[156] En ce qui concerne les conditions normales d’emploi, les appelants font valoir que, mis à part la rareté des situations liées à des émanations, l’une des principales raisons pour lesquelles les circonstances des refus de travailler ne constituent pas des conditions normales d’emploi normales est que l’employeur pouvait prendre des mesures, et en a pris, pour réduire le danger après les refus de travailler. Après les refus de travailler, des mesures ont été prises pour améliorer la qualité de l’air, et on a remplacé les filtres. À l’appui de cet argument, les appelants citent la cause Éric V. et autres. et Service correctionnel Canada, décision no 09-009 (27 février 2009) et répètent la définition fournie dans la décision de la Cour fédérale P & O Ports Inc. c. Le Syndicat international des débardeurs et des magasiniers, section locale 500, 2008 CF 846, comme quoi une fois que l’employeur a pris toutes mesures utiles pour réduire ou maîtriser le danger, le risque « résiduel  » qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition normale d’emploi. Les appelants répètent que la Cour fédérale a affirmé qu’un employeur devait respecter la norme extrêmement élevée du Code pour mettre en place des mesures de sécurité conformément aux paragraphes 122.1 et 122.2 avant qu’un danger puisse être considéré comme une condition normale d’emploi.

[157] Concernant les mesures correctives, les appelants répondent que les observations d’Air Canada sur les mesures correctives déforment la preuve et, soulignant la distinction faite par M. Supplee entre navigabilité et sécurité en milieu de travail, les appelants réclament l’application des recommandations de ce dernier, soit que des sondages soient menés auprès des membres de l’équipage, que les avions au sujet desquels on a reçu de multiples plaintes soient mis hors service et que les groupes de conditionnement d’air ne soient pas activés avant que l’on ait trouvé la source de la contamination. M. Supplee a également indiqué dans son témoignage que la procédure opérationnelle habituelle d’Air Canada ne permettait pas de déterminer la source de la contamination dans tous les cas. Il a noté que les procédures et les conclusions d’Air Canada avaient négligé la contamination résiduelle qui pourrait survenir dans tout le système en raison de l’utilisation de l’APU ou de l’intercommunication.

[158] En réponse aux observations d’Air Canada, les appelants font aussi valoir qu’il est évident que les enquêtes sur les situations liées à des émanations ont été soit inexistantes soit insuffisantes. Ils ajoutent qu’il n’est pas pertinent de citer la cause Rivers parce que celle-ci portait sur le niveau de contamination de l’air cabine à bord d’un avion fonctionnant normalement en raison la réduction de la ventilation de l’air cabine, de telle sorte que la ventilation était encore plus cruciale. Les appelants réitèrent donc leur demande de mesures correctives.

Analyse

[159] La question que doit trancher le soussigné dans les présents appels consiste à déterminer si, au moment de leur refus de travailler, les employés Delgado, Liang et Blaize d’Air Canada étaient exposés à un danger, au sens du paragraphe 122(1) du Code. Faute d’une meilleure description, je dirais qu’il s’agit de la question « générale  » à trancher dans ces appels. Toutefois, même si les circonstances des refus varient légèrement d’un employé à l’autre, notamment dans le cas des refus des agents de bord LaPorte et Martinez, qui font l’objet d’une décision parallèle mentionnée précédemment, la question qui est au centre de toutes les causes est le fait que ces refus proviennent tous d’employés qui ont soit senti une odeur soit en ont été informés, odeur qui a été décrite comme une odeur de « sac de sport malodorant  » ou de « vieilles chaussettes  ». L’ensemble de la preuve présentée dans ces causes portait sur ces incidents, et, donc, la question particulière à trancher ici est celle de savoir si ladite odeur a servi à signaler à ces employés l’existence d’un danger qui justifiait leur refus de travailler.

[160] Pour répondre à cette question, je dois tenir compte particulièrement de deux dispositions du Code. La première est la définition de « danger  » donnée au paragraphe 122(1), et la seconde est l’énoncé de l’objet du Code, au paragraphe 122.1.

[161] Dans le cas de l’énoncé de l’objet du Code fourni au paragraphe 122.1, il s’agit de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi  ». Ce que suppose le verbe « prévenir  » selon le Code est énoncé au paragraphe 122.2, et c’est ce qu’on appelle communément la hiérarchie des contrôles, concept qui exige de prendre toutes les mesures de prévention possible pour réduire les risques. Plus précisément, le paragraphe 122.2 prévoit ce qui suit :

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[162] Le paragraphe 122(1) définit le danger comme suit :

« danger  » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;

[163] Ce Tribunal et ses agents d’appel, de même que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, ont rendu plusieurs décisions relatives à la question de ce qui constitue un « danger  » et la façon de déterminer son existence. Les deux parties ont, pour la plupart, fondé leurs arguments sur les mêmes causes. Ainsi, en rendant ma décision à savoir si les circonstances des refus de travailler constituaient un « danger  », j’aborderai les divers éléments de décisions antérieures comme Verville, Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158, Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée, décision no 01-008 (22 mars 2001) et Société canadienne des postes c. Carolyn Pollard, 2008 CAF 305. Plus précisément, je prendrai en considération les éléments suivants dans mon analyse :

  • la probabilité que le risque invoqué se matérialise;
  • la probabilité qu’un employé soit exposé au risque, à la situation ou à la tâche dans des circonstances dont il est raisonnable de s’attendre qu’elles causeront des blessures;
  • la probabilité que l’exposition cause une maladie ou des blessures à un employé à tout moment, mais pas nécessairement à chaque instant;
  • la probabilité que la maladie ou les blessures surviennent avant que le risque ait été écarté;
  • la conclusion de danger ne doit pas s’appuyer sur des hypothèses ou des spéculations et, bien qu’elle suppose nécessairement une démarche prospective, il est possible de déduire des circonstances passées et présentes ce qui est susceptible d’arriver dans l’avenir;
  • il n’est pas nécessaire d’établir avec précision à quel moment le risque, la situation ou la tâche surviendront, mais seulement les circonstances qui pourraient causer une maladie ou des blessures, et que leur occurrence future ne soit pas qu’une simple possibilité;
  • les motifs raisonnables que l’on a de croire que les circonstances pourraient causer une maladie ou des blessures sont fondées sur des opinions d’expert et peuvent même être établis par déduction logique ou raisonnable des faits connus.

[164] À la lumière de ces principes et de la définition de danger, je dois d’abord, pour trancher cette question, déterminer s’il y avait un risque ou une situation existant ou éventuel à bord des Airbus Fin 415 et 214 auquel les employés ont été exposés et, ensuite, si ce risque ou cette situation était susceptible de causer des blessures aux employés qui ont refusé de travailler ou de les rendre malades, soit dans l’immédiat ou le futur, et avant avant que la situation soit corrigée ou le risque écarté, selon le cas.

[165] Je m’empresse d’ajouter à cet égard que, même si les experts entendus dans ces causes ont formulé diverses opinions à savoir si les conditions vécues par les employés qui ont refusé de travailler à bord des avions étaient des conditions normales d’emploi, il m’appartient exclusivement, en tant qu’agent d’appel, de déterminer si tel est le cas, et cette question dépasse donc largement le mandat confié auxdits experts.

Les employés ont-ils été exposés à un risque?

[166] Comme l’élément central de ces causes est l’odeur perçue par les employés qui ont refusé de travailler ou qui leur a été signalée, j’estime nécessaire de rejeter la position de l’intimée quant à la nature du risque invoqué par les employés qui ont refusé de travailler. Selon les exposés conjoints des faits, tous les employés qui ont refusé de travailler ont dit avoir soit senti une odeur au moment des refus soit avoir été informés d’une odeur à bord des vols précédents du même avion, un seul de ces employés ayant signalé des symptômes, lesquels ont plus tard été décrits par le médecin consulté comme étant une réaction à des émanations vomitives, et non une contamination au monoxyde de carbone. Cela a amené l’expert de l’intimée à laisser entendre que les employés qui avaient refusé de travailler l’avaient fait, non par crainte pour leur santé, mais bien pour éviter de sentir une odeur déplaisante.

[167] Je ne partage pas cet avis. Comme les deux parties et tous les témoins experts en ont convenu, une odeur de « vieilles chaussettes  » présente dans la cabine de chaque avion a été le principal indicateur qu’une substance chimique contaminante pouvait s’être retrouvée dans l’air cabine à la suite d’un problème mécanique. En gros, même si les avis des témoins experts diffèrent sur les conséquences potentielles sur les employés, on s’accorde généralement pour dire que cette odeur particulière est associée à une possible fuite d’huile dans l’ECS et, donc, dans l’air de prélèvement distribué dans la cabine de l’avion. Même si l’on n’a prélevé aucun échantillon d’air au moment des refus ni au moment des enquêtes des agentes de SST, lorsque les avions n’étaient plus accessibles, la maintenance d’Air Canada était tout de même au courant que des odeurs avaient été signalées et suivait la procédure habituelle pour trouver la source du problème. Ainsi, il a été établi assez tôt que lesdites situations liées à des émanations signalaient sans doute la présence d’une fuite de fluide hydraulique Mobil Jet Oil ou Skydrol LD4 dans le système de circulation d’air.

[168] De plus, je retiens la preuve et le témoignage de M. Supplee, selon lesquels la cause probable de la contamination de l’air cabine serait l’usure d’un joint d’étanchéité dans les moteurs ou l’APU de l’avion, qui aurait entraîné une fuite de l’huile moteur, du fluide hydraulique et d’autres contaminants comme des composés pyrolysés et des produits de contamination résiduels, ainsi que d’autres émanations externes et substances de dégivrage. Si j’en juge par les composantes de ces fluides, qui comprennent le TCP et le TOCP, et les substances ou composés qui peuvent résulter d’une pyrolyse, je suis convaincu que l’air cabine dans le Fin 415 et 214 où l’on a senti l’odeur était contaminé par des substances chimiques. Il convient de souligner à cet égard que, même si les avis des témoins experts diffèrent sur la nature de ces substances, tous s’entendent pour dire que l’air cabine était contaminé. Ainsi, pour les fins de mon analyse du danger, le risque qui pouvait causer une maladie ou des blessures est l’air de prélèvement vicié. Cela ne signifie pas, cependant, qu’un danger menaçait la santé des employés.

L’exposition au risque était-elle susceptible de causer des blessures aux personnes exposées ou de les rendre malades?

[169] Dans son analyse, l’expert retenu par l’intimée Air Canada a laissé entendre que les effets possibles sur la santé liés à l’exposition aux composés chimiques ne seraient pas des maladies chroniques et donc qu’ils ne respecteraient pas la définition de « danger  » contenue dans le Code. Or, l’énoncé de la définition de « danger  » contenue dans le Code, où le renvoi à « des effets à long terme sur la santé  » est précédé des mots « Est notamment visée  », indique que d’autres types de maladies ne sont pas exclus, et, en fait, la terminologie générale de la définition indique clairement qu’elle peut s’appliquer à n’importe quelle maladie, qu’elle soit aigüe ou long terme (chronique). Donc, pour les besoins de l’analyse du danger, il n’est pas nécessaire pour le soussigné de qualifier les effets sur la santé qui pourraient découler d’une exposition d’aigus ou à long terme (chronique), ni de temporaires ou de permanents, puisque tous ces types de maladies sont visés par la définition.

[170] De plus, je partage l’opinion exprimée par l’agent d’appel dans la cause Rathwell, selon laquelle, en l’absence d’un critère de « gravité  » énoncé dans le Code, il n’est pas nécessaire qu’une blessure potentielle soit grave pour conclure à l’existence d’un « danger  ». À mon avis, le même raisonnement vaut pour la notion de maladie, ce qui veut dire que la maladie n’a pas à être permanente ou récurrente pour respecter la définition de « danger  ». Donc, dans le cas qui nous occupe, où l’on prétend que les agents de bord qui ont refusé de travailler ont été exposés ou pourraient avoir été exposés à certaines substances, mon évaluation quant à savoir si l’exposition a pu causer une maladie ou des blessures englobera toutes les maladies possibles, qu’elles soient récurrentes, de longue durée, aigües ou chroniques.

[171] La preuve a été fournie par des experts dont l’expertise, pour la plupart, se situe dans des domaines scientifiques distincts, quoique évidemment contigus, fait qui, à mon sens, ne m’autorise pas à établir de distinctions absolues entre les opinions exprimées. Autrement dit, comme les faits et circonstances de chaque cause se recoupent et que chaque expert a eu l’occasion de tirer ses propres conclusions selon son domaine de spécialisation scientifique, on doit accepter une certaine perméabilité entre leurs opinions, et l’agent d’appel doit déterminer dans quelle mesure cette perméabilité est acceptable, et l’effet qu’elle pourrait avoir sur la décision finale.

[172] À ce sujet et dit simplement, l’expert de l’intimée, le Dr Pleus, a déclaré que, pour que le soussigné puisse évaluer si l’exposition mentionnée constituait un « danger  », il doit prendre en considération la concentration des contaminants, le niveau, la durée et la voie de l’exposition, ainsi que la valeur limite d’exposition (VLE) établie pour un grand nombre de ces substances. L’objectif des témoignages des experts des appelants était complémentaire. Le Dr Weisel est arrivé à la conclusion que l’odeur signalée indiquait la présence de substances dans l’air cabine, ces substances étant les mêmes que celles identifiées par l’expert de l’intimée, ainsi que d’autres substances produites par pyrolyse. Ces substances devaient être examinées en combinaison et non individuellement, et lesdites substances ou leur combination « pouvaient avoir des effets sur la santé  ». Le Dr Harrison est allé plus loin en disant que l’on pouvait tirer une conclusion de danger du point de vue du Dr Weisel, car certains produits pyrolysés sont inconnus et qu’il est dont impossible de déterminer dans quelle mesure ils sont dangereux, et de très petites concentrations de certaines substances peuvent avoir un effet sur la santé. Le Dr Harrison a également indiqué que de nombreux produits chimiques n’ont pas de VLE et que les mesures de concentration ne sont pas essentielles pour tirer la conclusion que l’odeur signalait une concentration suffisante pour menacer la santé, adoptant ainsi une approche « qualitative  » au détriment de l’approche « quantitative  » préconisée par l’intimée.

[173] Comme l’indique le rapport des agentes de SST, et c’est à mon avis l’élément central de ces causes, aucun essai n’a été mené ni aucun échantillon d’air prélevé à bord des avions en question. De plus, il ressort de la preuve que lesdits avions n’étaient peut-être pas accessibles aux agentes de SST au moment de leur enquête, situation qui, à mon avis, met en doute le caractère complet des enquêtes. Cela veut dire qu’on n’a pu déterminer ni la nature des substances, ni leur concentration, ni leur combination ou les niveaux d’exposition des employés qui ont refusé de travailler. Toutefois, les deux parties ont affirmé par l’intermédiaire de leurs experts que, de toute façon, il aurait été très difficile de déterminer avec précision la nature et la concentration des contaminants qui se trouvaient dans l’air cabine, ou la durée de l’exposition, en raison de facteurs comme la vaporisation, la pyrolyse, la dissipation et les diverses procédures suivies parfois par la maintenance d’Air Canada.

[174] Cela étant dit, il est établi depuis longtemps qu’un appel intenté conformément au paragraphe 146(1) du Code est une procédure de novo, ce qui veut dire que je ne suis pas limité aux renseignements recueillis par l’agente de SST et que je peux prendre en considération toute preuve pertinente présentée dans le cadre de l’appel. Comme je l’ai mentionné, la preuve qui m’a été soumise au sujet d’une contamination de l’air est une preuve sous forme d’opinion présentée par les trois experts, lesquels ont tous été confrontés à la même difficulté, soit l’absence d’échantillons d’air et de résultats de test à bord des avions. Leur évaluation se présente donc comme une série d’hypothèses, quoique éclairées, fondées sur des données d’autres études scientifiques portant sur l’exposition à des composantes chimiques, dont le TCP et le TOCP, ainsi que d’autres composantes, et des études de cas portant sur des circonstances semblables, y compris une simulation de vol à bord d’un avion où se sont produites des situations liées à des émanations. Il convient également de souligner que les opinions de chaque témoin expert ont été fortement contestées par l’expert de la partie adverse, plus particulièrement en ce qui concerne le raisonnement et la méthodologie utilisée.

[175] Les appelants ont fait valoir que je ne devrais pas retenir la preuve du Dr Pleus parce qu’elle est fondée sur des hypothèses. Toutefois, dans la mesure où les opinions formulées par l’expert respectaient des normes scientifiques reconnues et une méthodologie appropriée, le fait que ces hypothèses aient été faites pour les besoins de ces causes n’entache pas la validité de l’expertise. Sur ce point, je partage l’opinion formulée par l’agent d’appel dans la cause Damian Azeez et Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TSSTC 8, au sujet des hypothèses scientifiques faites relativement à la détermination d’un risque d’exposition à des radiations :

[69] […] je crois qu’il ne faudrait pas confondre les méthodes utilisées par les scientifiques pour recueillir des données et faire des évaluations dans ce genre de situation avec de simples hypothèses ou conjectures. Les preuves qui m’ont été présentées pendant l’audience ont clairement démontré que les évaluations fournies à la fois par Santé Canada et le Bureau de la radioprotection reposaient sur des normes scientifiques reconnues, et que l’ASFC et l’agent de SST Iacobellis pouvaient s’y fier pour évaluer le risque présent au centre de courrier Vista.

Je n’ai donc aucune difficulté à prendre en considération les hypothèses scientifiques de l’expert dans mon analyse, dans la mesure où elles se situent dans son champ d’expertise. Je relève cependant que les trois experts ont formulé des opinions qui sortaient de leur champ d’expertise.

[176] Étant donné l’importance et la complexité de la preuve d’expert, j’estime utile de définir les éléments communs des circonstances de ces appels. Dans tous les cas, il est fort probable que l’odeur de vieilles chaussettes soit attribuable à la présence du Mobil Jet Oil et du Skydrol vaporisé dans l’air cabine (bien que le Dr Pleus mette cette explication en doute, parce que l’enquête de l’agente de SST n’a pas pu déterminer la source de l’odeur). C’est probablement arrivé à la suite d’une défaillance mécanique du joint d’étanchéité de l’huile. Dans tous les cas, l’exposition des employés aux situations liées à des émanations a été de courte durée, et la voie de l’exposition a été l’inhalation, comme l’ont souligné les deux parties. La maintenance d’Air Canada a suivi de façon générale la procédure recommandée par Airbus pour chercher et éliminer les causes de la contamination de l’air. De plus, dans tous les cas, chaque expert a fourni une preuve sous forme d’opinion dans son domaine d’expertise scientifique en ce qui concerne les effets possibles de l’exposition sur la santé.

[177] L’expert mandaté par le Syndicat, le Dr Weisel, a conclu que, lorsqu’une odeur était présente, il était raisonnable de penser que l’équipage de cabine à bord de l’avion pourrait être exposé à un mélange de composés dangereux associés à une fuite d’huile dans l’air de prélèvement de l’avion, si celui-ci ne faisait pas l’objet d’un entretien approprié visant à trouver et à réparer la fuite d’huile. Il fait observer que le mélange contenait sans doute des isomères du TCP, du DPP et divers hydrocarbones et produits de pyrolyse de l’huile moteur. Il se fie aussi à l’information obtenue grâce au rapport de Golder Associates, qui indique que l’APU émettait des composés qui avaient réduit la qualité de l’air cabine dans le vol d’essai réalisé dans le cadre de cette étude.

[178] Je suis convaincu par la preuve présentée qu’il y avait bel et bien un mélange de produits chimiques dans l’air cabine à la suite de la pyrolyse de l’huile moteur, et que les employés ont été exposés à ce mélange. Toutefois, comme il n’a pas été établi avec précision quels composés se trouvaient dans ce mélange et dans quelle proportion, il ne s’ensuit pas nécessairement que le mélange était toxique pour les employés. En effet, le Dr Weisel admet dans son rapport qu’il n’y a pas eu d’études épidémiologiques pour vérifier si l’équipage de cabine ou les passagers avaient été malades après avoir été exposés à l’air contenant des odeurs liées à l’infiltration d’huile dans l’air de prélèvement. Il concède également qu’il faudrait évaluer un grand nombre de vols afin de déterminer si des effets sur la santé sont effectivement liés à de telles situations. En l’absence de ces renseignements, j’estime qu’il serait imprudent de conclure que l’exposition de ces employés à l’air de prélèvement vicié a entraîné des effets sur leur santé qui correspondent à une maladie ou à des blessures.

[179] De la même façon, le Dr Harrison, qui était compétent à la fois comme expert en médecine et expert en toxicologie, ne m’a pas convaincu qu’il existe un lien entre les circonstances entourant l’exposition à l’air vicié et les maladies dont les employés pouvaient vraisemblablement souffrir. Sur le plan médical, le Dr Harrison a concentré son analyse sur l’évaluation qualitative d’études de cas portant sur des patients ayant été exposés à une contamination semblable de l’air cabine à bord d’un avion. Dans son rapport, il s’appuie sur son expérience auprès de ces patients, ainsi que sur son guide publié à l’intention des fournisseurs de soins de santé sur l’exposition à des contaminants dans l’air de prélèvement d’un avion, pour établir les symptômes qui peuvent découler et les effets toxiques que ces contaminants peuvent avoir. Le Dr Harrison conclut qu’il suffit que les employés perçoivent une odeur pour penser qu’elle pourrait vraisemblablement présenter une menace pour leur santé. Je comprends que cette conclusion repose son expérience auprès de patients qui ont souffert de symptômes semblables à ceux des employés ayant refusé de travailler, mais j’ai du mal à considérer ces études de cas comme étant déterminantes dans les présents appels, car on ne connaît pas les circonstances de ces expositions (fuite d’huile, pyrolyse, groupes de conditionnement d’air défectueux, etc.).

[180] Le Dr Harrison affirme également que les examens mécaniques sont une preuve suffisante indiquant que des aérocontaminants toxiques étaient libérés dans l’air cabine et pouvaient vraisemblablement menacer la santé des employés. Ce raisonnement ne me convainc pas. La définition de danger énoncée dans le Code établit une relation de cause à effet entre un risque, une situation ou une tâche dans le lieu de travail et l’effet qu’il peut avoir sur la santé et la sécurité des employés. Il s’ensuit que, pour que j’en arrive à une conclusion de danger dans un cas de contamination de l’air, il doit y avoir une preuve médicale ou scientifique qui établisse une relation de cause à effet entre les conditions environnementales dans le lieu de travail et la possibilité qu’un employé soit blessé ou tombe malade; à défaut d’une telle preuve, cette conclusion est tout simplement conjecturale.

[181] L’avocat des appelants a soutenu que des employés avaient souffert d’un certain nombre de symptômes, comme des nausées, une irritation des yeux ou une sensation de gorge qui pique, et je ne prétends pas que ce n’était pas le cas. Le Dr Harrison décrit ces symptômes comme étant des maladies et, bien que la liste des maladies dans la littérature scientifique puisse servir à caractériser des états factuels comme étant des maladies, ce n’est pas suffisant dans le présent contexte pour arriver à une conclusion de danger, car on ne dispose pas de l’information nécessaire pour établir de relation de cause à effet entre ces symptômes et les conditions factuelles à bord des avions en cause. Il faut répéter ici que le Dr Weisel, l’autre témoin expert des appelants, n’est pas allé jusqu’à dire que l’odeur signalée démontrait la présence de contaminants dans l’air cabine, et il a fait remarquer qu’il faudrait pour cela mener des essais exhaustifs dans un éventail de circonstances, ce qui n’a pas été fait.

[182] Dans ce cas, il m’apparaît évident que l’odeur de « vieilles chaussettes  » signalait un air vicié. Ce n’est cependant pas suffisant pour conclure que l’odeur était dangereuse pour la santé des employés. Il faut évaluer la probabilité (c’est-à-dire que ce soit susceptible de se produire) que l’air vicié cause une maladie ou des blessures. J’estime que cette évaluation exige une compréhension des niveaux et des concentrations de contaminants qui étaient présents dans l’air cabine. À cet égard, le rapport du Dr Harrison indique que le TOCP, l’une des composantes de l’huile moteur, est présent à un niveau détectable dans le poste de pilotage de l’avion pendant les opérations de vol de routine. Le Dr Harrison croit que le simple fait de savoir qu’il y a du TOCP à bord des avions amène les employés à penser que cela serait susceptible de leur causer des blessures ou de les rendre malades. À ce sujet, j’estime que le Dr Harrison s’est concentré sur la conviction subjective des employés plutôt que sur la norme objective à respecter pour déterminer si un danger existait bel et bien à ce moment-là. L’équipage de cabine pouvait en effet avoir une appréhension qui l’a poussé à refuser de travailler, mais cette conviction doit résister à un examen objectif, comme l’a établi la cause Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158.

[183] Il me semble que, s’il y a du TOCP pendant les opérations de vol de routine, l’équipage de cabine et les passagers y sont régulièrement exposés, même lorsque la qualité de l’air est correcte à bord de l’avion. Contrairement à ce qu’affirme le Dr Harrison, cela me fait dire que ce composé particulier n’est pas dangereux pour les employés lorsqu’ils sont exposés à la quantité normalement présente à bord des avions, même pendant une longue période, et qu’il faut une quantité et une concentration plus grandes pour menacer la santé de l’équipage de cabine. Le Dr Harrison ne fait aucun commentaire sur les quantités et les concentrations nocives, ni sur la possibilité qu’il y avait de telles quantités à bord des avions. Je suis d’accord avec la prémisse selon laquelle même d’infimes quantités de certaines substances peuvent menacer la santé, mais le fait demeure qu’on ne dispose pas de données permettant de déterminer si les substances présentes dans l’air cabine étaient de cette nature.

[184] Je ne suis pas convaincu que l’avis médical du Dr Harrison prouve que les symptômes ont été déclenchés par les contaminants. J’ai déjà établi que le risque possible dans ces causes n’était pas l’« odeur de vieilles chaussettes  », mais bien les substances chimiques qui contaminaient l’air. Or, il ne suffit pas de conclure que les employés ont souffert de symptômes causés par leur exposition à une odeur de vieilles chaussettes; il faut démontrer que leurs symptômes étaient directement liés à la présence de composantes chimiques dans l’air. La preuve du Dr Harrison n’a pas permis de le démontrer, car il n’a pas précisé quel était le niveau d’exposition nécessaire pour causer une maladie, ce qui est, d’un point de toxicologique, le nœud de la question. Le seul expert qui donne une idée de ces niveaux d’exposition est le Dr Pleus, qui explique le principe toxicologique qui veut que « le poison, c’est la dose  » et sa conclusion que le degré de toxicité des composés chimiques dans l’huile moteur et le fluide hydraulique présents dans l’air cabine n’était pas assez élevé pour avoir des effets sur la santé.

[185] Dans ces appels, je conviens, comme l’ont dit les appelants, que l’odeur ne constituait pas le risque, mais qu’elle signalait un risque existant ou éventuel, mais cela ne veut pas dire que l’odeur indique un danger en soi. J’ai tendance à être d’accord avec l’assertion du Dr Pleus selon laquelle une mauvaise odeur n’est pas un bon indicateur d’une menace pour la santé lorsqu’il s’agit d’exposition à des produits chimiques, car il n’y a pas de corrélation entre l’odeur et la toxicité. L’odeur « de vieilles chaussettes  » signalait une contamination de l’air, et c’est cette contamination qui devrait être évaluée pour déterminer si elle représentait une menace pour la santé. Je suis également persuadé par le commentaire du Dr Pleus que des produits chimiques inodores peuvent être en réalité très dangereux pour la santé. Cet avis est renforcé par le témoignage de M. Koroneos, directeur de hygiène industrielle à Air Canada, qui conclut dans son évaluation de l’hygiène industrielle que [traduction] « bien que les odeurs puissent être très utiles pour détecter la présence d’un gaz ou d’une valeur en particulier dans l’environnement, la relation variable du seuil olfactif et de la concentration minimale qui réduirait les effets toxiques fait que l’odeur n’est pas un indicateur de toxicité fiable  ».

[186] Chaque expert a discrédité certains éléments du rapport de l’autre, pour les raisons qui sont résumées dans les observations des deux parties. On peut comprendre que les avis d’experts dans des domaines différents divergent et qu’ils mettent l’accent sur des circonstances différentes des appels. Je ne juge pas utile de trancher chaque point litigieux des rapports d’expert, mais je constate que les rapports des Drs Weisel et Pleus coïncident à maints égards. Par exemple, les deux s’entendent pour dire que le niveau et la fréquence peu élevés de l’exposition à l’air de prélèvement vicié ne sont pas suffisants pas pour rendre quelqu’un malade.

[187] Le Dr Pleus conclut que les expositions à ces produits chimiques ne seraient pas suffisantes en termes de concentration et de durée pour menacer la santé. Il fait remarquer que, si les substances chimiques étaient présentes en assez grande quantité pour menacer la santé, il y aurait un indicateur visuel comme de la vapeur ou de la brume d’huile moteur. Plus particulièrement, les niveaux d’exposition à l’huile dans l’air suffisants pour causer une OPIDN produiraient une brume sèche accompagnée d’une odeur. Il fait valoir que l’absence de cet indicateur prouve que les composés ne se trouvaient pas à des concentrations alarmantes. Le Dr Pleus fait également remarquer que, lorsque des produits chimiques entrent dans l’air cabine, ils sont dilués, et l’air est remis en circulation par les groupes de conditionnement d’air, ce qui signifie que la concentration de composés chute très rapidement.

[188] À l’appui de ses conclusions, le Dr Pleus a pris en considération les concentrations d’air et la durée de l’exposition possible. Son rapport a fourni une évaluation de l’exposition à des produits chimiques où il a supposé qu’un employé serait exposé à une contamination pendant huit heures, et il a ensuite évalué si l’exposition à des produits chimiques atteindrait ou dépasserait le seuil lié à des effets néfastes en fonction des données toxicologiques d’essais menés sur des animaux et des volontaires humains. Il examine plus particulièrement les données sur la toxicité du TCP et du TOCP et utilise les VLE et les limites d’exposition en milieu de travail (LEMT), qui indiquent les expositions admissibles en milieu de travail qui seraient peu susceptibles de menacer la santé des travailleurs si ceux-ci y étaient exposés pendant huit heures, cinq jours semaine, pendant de nombreuses années d’emploi. De plus, dans le cas d’une seule exposition, il dit que la LEMT de composés comme le TOCP et le TCP est extrêmement élevée (40 mg/m), parce qu’il faudrait une grande concentration pour menacer la santé. Le Dr Pleus conclut que, d’après les données consultées, les concentrations mesurées sont nettement inférieures à la LEMT établie pour le TCP, et qu’il est peu probable que ses isomères aient des effets sur la santé humaine.

[189] Je crois que l’utilisation des LEMT et des VLE dans le domaine de la toxicologie indique que certains niveaux d’exposition en milieu de travail à certains composés chimiques (notamment le TCP et le TOCP) ne sont pas susceptibles de rendre quelqu’un malade. De plus, selon le Dr Pleus, on retrouve le TCP à bord des avions commerciaux en faibles quantités et en-deçà des LEMT admissibles pendant les opérations de vol de routine, de même que dans de nombreux produits de consommation à faibles concentrations. Ces faits m’indiquent qu’il est possible que les employés soient exposés au TCP, au TOCP et à d’autres mélanges connus et inconnus de composés chimiques mentionnés par le Dr Weisel. Toutefois, cela ne veut pas dire que le risque d’exposition à cet éventail de produits chimiques soit susceptible de rendre quelqu’un malade. Comme l’établit la cause Agence Parcs Canada et M. Doug Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada décision no 02-009 (23 mai 2002), il faut faire la distinction entre le risque et le danger, comme ce terme est défini dans le Code. Le risque est la possibilité que survienne une blessure ou maladie. Pour qu’il y ait un danger, il ne suffit pas qu’il y ait une possibilité de blessure ou de maladie; il faut en plus que la situation, la tâche ou le risque soit susceptible de causer une blessure ou une maladie avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Malgré tous les éléments de preuve qui m’ont été soumis, je ne sais toujours pas exactement dans quelles circonstances les composés présents dans l’air cabine pourraient causer des blessures aux employés ou les rendre malades.

[190] De plus, pour conclure à la présence d’un danger dans ces circonstances, je devrais être convaincu que la maladie pourrait survenir avant que le risque soit écarté. Or, l’intimée a prouvé qu’elle avait pris des mesures pour régler les problèmes de qualité de l’air cabine, y compris les situations liées à des émanations dans la cabine, notamment en demandant au directeur de l’hygiène industrielle, que l’on consulte dans les situations d’exposition possible à des substances dangereuses, de faire enquête sur les substances dangereuses. De plus, chaque fois qu’un agent de bord s’inquiète de l’exposition possible à une substance dangereuse à bord d’un avion, une enquête est menée, et l’agent de bord est informé des soins médicaux à obtenir, s’il y a lieu. Il m’appert également que ces mesures ont été prises rapidement après chaque signalement d’odeur à bord des avions au moment des refus. La maintenance d’Air Canada sait que des situations liées à des émanations surviennent à bord des avions Airbus et que ces émanations révèlent fort probablement la présence de composés d’huile moteur dans l’air. Je crois que les mesures prises peuvent écarter le risque avant qu’il puisse causer des blessures aux employés ou les rendre malades.

[191] En résumé, j’en arrive à la conclusion que l’air vicié peut constituer un risque éventuel à bord d’un avion, notamment compte tenu du fait que la nature exacte des composés présents n’est pas et ne semble pas pouvoir être entièrement connue, et je suis également sensible au fait que l’exposition à ces substances dans l’air de prélèvement pourrait durer plus longtemps à bord de vols de longue durée. Les appelants ont cité la cause Rehab Rivers (ci-dessus) pour appuyer leur position, à savoir qu’il n’est pas nécessaire de connaître la nature exacte d’une substance dangereuse. Même si j’admets qu’il puisse être impossible de déterminer les composantes exactes d’une substance dangereuse (comme ce fut le cas dans la cause Rivers et les présents appels, d’après le témoignage du Dr Harrison), je considère impératif d’en savoir assez sur la substance pour déterminer ses propriétés potentiellement dangereuses. Je m’appuie à cet égard sur la définition de substance dangereuse donnée au paragraphe 122(1) du Code, qui se lit comme suit :

« substance dangereuse  » Sont assimilés à des substances dangereuses les agents chimiques, biologiques ou physiques dont une propriété présente un risque pour la santé ou la sécurité de quiconque y est exposé, ainsi que les produits contrôlés;

[192] Selon ce qui précède, je suis persuadé que, dans les circonstances de ces appels, on ne pouvait pas s’attendre raisonnablement à ce que l’exposition à l’air de prélèvement vicié cause des blessures aux employés qui ont refusé de travailler ou qu’il les rende malades. Plus particulièrement, je juge que les faits ne suffisent pas à prouver que la concentration des produits chimiques et la durée de l’exposition étaient très élevées et, sans cette preuve, je ne suis pas convaincu qu’un danger existait à bord des Fin 214 et Airbus 320.

[193] Il se pourrait que l’exposition à l’air de prélèvement vicié cause des blessures ou une maladie, tout dépendant de facteurs comme la durée de l’exposition et la concentration et la toxicité des contaminants. Je dois cependant être convaincu que la possibilité de maladie découlerait directement de l’exposition des employés aux substances chimiques dans l’air cabine.

[194] À cet égard, la preuve me convainc qu’il est peu probable que des contaminants restent très longtemps dans l’air cabine du fait de la vaporisation, et que certains composés devraient être présents en très grande quantité pour menacer la santé, ce qui est peu probable à bord de ces avions, étant donné la quantité d’huile utilisée par le moteur et l’entretien régulier des avions. Or, je ne suis pas convaincu que les symptômes dont se sont plaints les agents de bord découlaient directement de leur exposition à l’air vicié.

[195] Enfin, dans tous les cas où des situations liées à des émanations ont été signalées, la maintenance d’Air Canada a pris les mesures qui convenaient pour corriger la situation. Il est donc encore moins probable que des blessures ou une maladie auraient pu survenir avant que le risque n’ait pu être écarté. Par conséquent, j’estime que les agents de bord n’ont pas été exposés à un danger dans les présents appels.

[196] Comme j’estime que les employés n’ont pas été exposés à un danger selon la définition contenue au paragraphe 122(1) du Code, je n’ai pas à trancher la question des conditions normales d’emploi.

Décision

[197] Pour les motifs expliqués ci-dessus, je confirme les décisions d’absence de danger rendues par les agentes de SST Pollock et Blain les 26 mars 2012 et 18 juillet 2011 .

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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