2015 TSSTC 19

Date: 2015-10-22
Dossier : 2012-39

Entre :

Service correctionnel du Canada, appelant
et
Natalie Leeman, défenderesse

Indexé sous : Service correctionnel du Canada v. Leeman

Affaire : Appel interjeté à l’encontre d’une instruction émise par une agente de santé et de sécurité en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.

Décision : L’appel est rejeté en raison de son caractère théorique.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Mme Talitha A. Nabbali, avocate, ministère de la Justice Canada, Services juridiques du Secrétariat du Conseil du Trésor

Pour la défenderesse : Mme Peggy E. Smith, avocate-procureure, Peggy E. Smith Law Office

Référence : 2015 TSSTC 19

MOTIFS DE DÉCISION

[1] [1] Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par le Service correctionnel du Canada (SCC), en tant qu’employeur, le tout à l’encontre d’une instruction émise aux termes de l’alinéa 145(2) a) du Code par l’agent de santé et de sécurité (l’agent de SST) Lewis A. Jenkins le 6 juin 2012, relativement à un refus de travailler exercé par Mme Natalie Leeman. L’agent de SST a mis fin à son enquête sur le refus de travailler enregistré par la défenderesse en concluant que le SCC avait omis de prendre des mesures suffisantes pour protéger les employés qui travaillent seuls lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus dans l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay (ECB), et il a donc ordonné audit SCC, en tant qu’employeur, de modifier sans délai la tâche considérée comme constituant un danger.

Contexte

[2] Pour préciser les choses d’entrée de jeu, il faut bien comprendre la nature de l’établissement carcéral qui se retrouve au cœur de la présente affaire. Lorsque la défenderesse a exercé un refus de travailler le 31 mai 2012, l’ECB était classé comme un établissement à sécurité moyenne qui, le 1er avril 2013 et, au début dans le cadre d’un projet pilote d’un an, est devenu ce que l’on appelle un établissement « regroupé » après que l’on eut réuni l’Établissement de Frontenac, un ancien établissement à sécurité minimale, et l’Établissement de Collins Bay, un établissement à sécurité moyenne, le tout sous les ordres d’une seule équipe de direction.

[3] Le 7 mai 2014, qui était la première journée d’audience sur le présent cas, on avait prévu qu’un établissement à sécurité maximale dont la construction achevait à ce moment-là serait ajouté à l’ECB regroupé et qu’il entrerait en exploitation en juillet 2014, c’est-à-dire avant que la présente décision ne soit rendue. Le regroupement d’établissements n’a pas d’impact sur le ressourcement en personnel de première ligne. De plus, dans de tels établissements, les populations différentes vivent à l’écart les unes des autres et les détenus interagissent en fonction de leur cote de sécurité. Comme tous les autres établissements de SCC, l’ECB fonctionne suivant un système de quarts et on en compte trois dans l’unité d’isolement, soit le quart de jour (7 h à 15 h), le quart de soir (15 h à 23 h) et le quart de minuit ou quart du matin (23 h à 7 h). Les activités, les visites et la prestation des programmes ont lieu durant les quarts de jour et de soir, alors que durant le quart de minuit/quart du matin, tous les détenus sont confinés à leur cellule et aucune circulation n’est permise sauf en cas d’urgence. La dotation en personnel des quarts de travail de l’unité d’isolement de l’ECT s’effectue généralement selon les normes de déploiement locales et nationales, la capacité de l’unité, le nombre de cellules occupées ainsi que le profil des détenus présents dans l’unité à tout moment.

[4] Même s’il y avait toujours eu des détenus ayant une cote de sécurité maximale à l’ECB étant donné que cette unité comporte un secteur de transition qui permet de transférer des détenus provenant d’autres établissements, on a déterminé qu’à l’époque du refus de travailler exercé par Leeman et de l’audience d’appel, l’unité d’isolement de l’ECB était toujours classée comme unité à sécurité moyenne, même si on avait prévu qu’en raison de l’ajout de la nouvelle unité à sécurité maximale à l’ECB regroupé, la cote de sécurité de l’unité d’isolement de cet établissement passerait à maximale.

[5] En ce qui concerne la capacité de logement, lorsque la défenderesse a refusé de travailler le 31 mai 2012, l’unité d’isolement de l’ECB comportait 33 cellules réparties dans deux rangées ainsi qu’une unité de transition dotée de 10 cellules. Lorsque la présente affaire a été entendue en appel, ladite unité avait subi plusieurs modifications dont, au premier chef, le démantèlement de l’unité de transition et la transformation de ces 10 cellules en cellules d’isolement supplémentaires, ce qui en a fait une unité d’isolement dotée au total de 43 cellules, dont les exigences en matière de dotation en personnel ont aussi changé (comme il n’y avait que 33 cellules avant cette transformation), même si dans les deux cas, l’unité avait conservé sa cote de sécurité moyenne à l’époque de l’audience, comme déjà mentionné, et que cette cote n’avait pas été modifiée à cause du nouvel établissement à sécurité maximale étant donné que celui-ci n’était pas encore en fonction.

[6] L’enquête effectuée par l’agent de SST Jenkins le 1er juin 2012 a été réalisée en raison du refus de travailler exercé par la défenderesse le 31 mai 2012 alors qu’elle a indiqué qu’elle croyait qu’elle était exposée à un danger parce qu’elle se trouvait en contact direct avec des détenus lorsqu’elle leur accordait le privilège d’utiliser le téléphone dans l’unité d’isolement de l’établissement où un rajustement opérationnel faisait en sorte qu’un seul agent correctionnel (AC) était affecté au quart de soir. Ce contact a lieu lorsque la petite portière servant au passage des plateaux-repas à travers la porte de chacune des cellules d’isolement est ouverte, laquelle portière, comme révélé par son nom ainsi que par des photos admises en preuve à l’audience, sert à introduire des plateaux-repas et aussi des récepteurs téléphoniques transportés dans un chariot mobile que l’on déplace jusqu’à la porte de la cellule du détenu à qui on a accordé le privilège d’utiliser le téléphone.

[7] L’employée ayant refusé de travailler a affirmé qu’elle risquait d’être exposée à des fluides corporels et/ou à des dangers biologiques lorsque la petite portière servant au passage des plateaux-repas était ouverte, et qu’un AC travaillant seul ne pouvait pas prévoir ni prévenir ce risque pendant qu’il se concentrait pour déverrouiller cette ouverture et que cela l’empêchait d’observer continuellement le détenu dans sa cellule et, plus précisément, de le surveiller pendant qu’il demeurait au fond de ladite cellule tel qu’on le lui avait ordonné, ce qui peut apparemment être accompli plus adéquatement lorsque les AC travaillent par deux.

[8] L’enquête de l’agent de SST Jenkins a permis d’établir les faits décrits ci-après. Le 30 mai 2012, un nouveau protocole élaboré pour réduire le risque d’agression pour les AC, comme ce qui est mentionné plus haut, a été mis en œuvre relativement à la distribution des plateaux-repas et des téléphones à travers l’ouverture de la petite portière intégrée à la porte de la cellule. En vertu de ces nouvelles procédures, l’AC devait ordonner au détenu d’aller au fond de sa cellule et l’observer pendant qu’il se pliait à cet ordre, puis insérer et tourner la clef dans le verrou, et utiliser son autre main pour ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas, avant de reculer, de placer le chariot à téléphones devant la portière maintenant ouverte et de demander au détenu de s’avancer pour faire son appel. Il était stipulé que l’AC ne devait jamais introduire ses mains dans l’ouverture de cette portière.

[9] Avant le 30 mai 2012, la procédure d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement prévoyait la participation de deux agents et par conséquent, l’AC affecté à l’unité d’isolement, lorsqu’il travaillant seul à l’occasion à cause du rajustement opérationnel de l’agent multifonctionnel, obtenait de l’aide de la part d’un gestionnaire correctionnel, d’un coordonnateur de secteur, d’un agent multifonctionnel ou d’un agent de sécurité accueillant les visiteurs, et ce, toutes les 30 minutes, soit la durée du privilège, et leur participation était requise pour environ trois minutes.

[10] Il faut noter que le plan de rajustement opérationnel 2011-2012 de l’Établissement de Collins Bay, qui était donc en vigueur à l’époque du refus de travailler, prévoyait que lorsque l’agent multifonctionnel faisait l’objet d’un rajustement opérationnel durant le quart de soir, et qu’il était donc redéployé, l’unité devait alors suivre la procédure du quart de minuit, c’est-à-dire qu’un seul agent serait en poste. Après que le nouveau protocole ou la nouvelle procédure a été mise en œuvre le 30 mai 2012, l’AC en isolement ne pouvait plus recevoir cette aide à la suite du rajustement opérationnel de l’agent multifonctionnel et il devait donc exécuter cette tâche seul. La DC-004, ou directive du commissaire 004, établit les normes de déploiement nationales s’appliquant aux agents correctionnels, prévoit qu’une l’unité d’isolement équipée de 41 à 60 lits ou cellules et qui est classé comme établissement à sécurité moyenne, comme l’établissement dont elle fait partie, peut être dotée lors du quart de soir de deux agents, dont un agent multifonctionnel, et ce dernier fera l’objet d’un rajustement opérationnel après que le repas du soir aura été servi, que les nettoyeurs auront accompli leurs tâches et que tous les détenus seront confinés à leur cellule.

[11] L’enquête de l’agent de SST Jenkins a révélé que la tâche consistant à ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas accomplie par les AC est la même, peu importe qu’elle vise à distribuer un plateau-repas ou un téléphone à travers l’ouverture de cette portière; cela dit, la distribution des plateaux-repas doit être assurée par deux AC et un agent des services alimentaires alors que deux AC doivent voir à distribuer les téléphones, dont un peut faire l’objet d’un rajustement opérationnel (afin d’être affecté à d’autres tâches, ce qui signifie qu’il ne sera pas présent en isolement pendant qu’il accomplit ces tâches) à certains moments, ce qui correspond à la situation que la défenderesse remet en cause. Il a aussi été déterminé par l’agent de SST que durant les déplacements des détenus aux fins des visites et de la correspondance ou des soins de santé, les AC affectés à l’unité d’isolement doivent s’assurer que la barrière se trouvant dans le corridor menant à l’isolement demeure fermée, de sorte que si un incident se produit dans cette unité alors qu’un seul AC est présent et qu’il ne peut ouvrir cette barrière, l’intervention des AC qui sont à l’extérieur de l’unité serait retardée puisque ces agents devraient retirer la clef et faire tourner la poignée de la barrière principale de l’établissement avant de pouvoir agir.

[12] L’agent de SST Jenkins a examiné les feuilles de travail de l’analyse du risque professionnel en ce qui concerne la [traduction] « question des appels téléphoniques » et celle de [traduction] « l’alimentation des détenus », et cela a révélé, pour ce qui est, essentiellement, de la même tâche, soit celle d’ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas, que la cote pondérée selon la probabilité pour l’exposition à des fluides corporels et/ou des dangers biologiques s’élève à 4/5 ([traduction] « peut se produire lorsque cette tâche est exécutée ») lorsque l’AC remet un plateau-repas à un détenu, et à 2/5 ([traduction] « cela est déjà arrivé ») dans le cas de l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone, alors que le niveau de dotation en personnel varie pour chacune de ces fonctions, la distribution des plateaux-repas devant être assurée par deux AC et un agent des services alimentaires, et celle des téléphones, par deux AC, dont un peut faire l’objet d’un rajustement opérationnel à certains moments de la journée.

[13] La décision de l’agent de SST Jenkins était essentiellement fondée sur cette distinction. Il a souligné la différence entre les cotes pondérées selon la probabilité se rapportant à l’exposition à des fluides corporels et/ou des dangers biologiques établie pour les deux tâches, dont il a dit qu’elles étaient [traduction] « de nature très semblable », et le fait que l’alimentation des détenus doit être assurée par deux AC qui ne peuvent faire l’objet d’un rajustement opérationnel alors que dans le cas de l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone, le rajustement opérationnel d’un des deux AC est permis, l’AC qui demeure dans l’unité d’isolement n’en étant pas moins censé d’accomplir les tâches liées à l’octroi de ce privilège. Cela a mené au constat de « danger » effectué par l’agent de SST Jenkins dans la mesure où l’AC affecté à l’unité d’isolement se retrouve seul pour octroyer ce privilège en raison d’un rajustement opérationnel. Il faut souligner que l’agent de SST Jenkins n’a pas visité ni vu l’unité d’isolement de l’ECB, et il n’a pas non plus observé les processus d’alimentation des détenus et d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone.

[14] Comme déjà mentionné, l’audience sur la présente affaire tenue par le soussigné a commencé le 7 mai 2014. Cela dit, il est important de noter ici qu’avant cette date, le soussigné s’était rendu à l’ECB et alors qu’il se trouvait dans l’unité d’isolement de l’établissement, il a observé l’ensemble de l’unité, y compris ce que l’on appelait auparavant l’unité de transition, et Mme Leeman lui a fait une démonstration complète du processus de distribution de téléphones à des détenus par la petite portière servant au passage des plateaux-repas, le tout en présence de représentants des deux parties. Le soussigné a aussi observé un détenu en isolement pendant qu’il utilisait un téléphone et il s’est aussi approché et tenu à proximité de plusieurs cellules et en a vu l’intérieur de la même façon que le verrait un AC qui distribue des téléphones dans cette unité.

[15] La présente affaire a commencé lorsque la défenderesse a exercé son droit de refuser d’accomplir un travail dangereux, comme prévu au Code, en ce qui concerne non seulement la tâche qu’elle était censée exécuter, soit l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone à des détenus de l’unité d’isolement de l’ECB, mais aussi, et plus précisément, dois-je noter, en ce qui a trait à la façon dont elle devait réaliser cette tâche, c’est-à-dire à travers l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas et alors qu’elle se trouvait seule dans ladite unité d’isolement.

[16] L’agent de SST Jenkins, qui a effectué l’enquête sur le refus de travailler, en est arrivé à la conclusion qu’à l’époque du refus et de cette enquête, ladite tâche consistant à distribuer des téléphones à des détenus en isolement alors qu’on se retrouve seul dans cette unité constituait un danger pour le motif que l’employeur n’avait pas pris de mesures de protection suffisantes. Voici comment l’agent de SST Jenkins s’est exprimé lorsqu’il a conclu que l’exécution de la tâche en cause constituait un danger pour l’employée lorsque cette dernière était au travail : [traduction] « L’employeur a omis de prendre des mesures suffisantes pour protéger des employés travaillant seul lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus dans l’unité d’isolement. »

[17] Il est important de noter que même si cela n’est pas mentionné dans l’instruction de l’agent de SST, le rapport d’enquête établi par ce dernier ainsi que les circonstances factuelles décrites en détail dans ce rapport concernent l’octroi desdits privilèges durant le soi-disant quart de soir ainsi que la façon dont cette tâche est exécutée, c’est-à-dire à travers l’ouverture de petite portière servant au passage des plateaux-repas et qui est intégrée à porte de cellule verrouillée, et dans le contexte d’une éventuelle exposition à des fluides corporels et/ou des dangers biologiques.

Questions en litige

[18] La question en litige que je dois trancher est donc, à l’évidence, celle de savoir si, pour la défenderesse, elle s’exposait à un danger au sens du Code lorsqu’elle accordait le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement, et ce alors qu’elle travaillait seule dans cette unité.

[19] Quoi qu’il en soit, une autre question en litige a fini par s’imposer et a été soulevée par la défenderesse. Elle concerne le fait qu’au fil du temps, les conditions qui règnent à l’ECB, de façon générale, et en particulier, dans son unité d’isolement, ont fortement changé entre l’époque du refus de travailler exercé par Mme Leeman et le moment où l’affaire a été finalement entendue et jugée par le soussigné. En tant que tel, on soutient qu’en raison de ces changements, les conditions ayant mené au refus de travailler (exercée par une agente qui travaillait seule) et la conclusion tirée par l’agent de SST n’existent plus ni ne pourraient exister à nouveau en raison du reclassement de l’établissement en tant qu’« établissement regroupé », de la modification de la cote de sécurité de l’unité d’isolement et des nouvelles exigences en matière de dotation en personnel qui en ont résulté, conformément aux ordonnances et normes de déploiement et au plan de rajustement opérationnel local, et par conséquent, il ne subsiste aucun litige actuel entre les parties, et le soussigné ne peut plus tirer de conclusion quant à des mesures correctives et il n’est pas non plus tenu de le faire.

[20] La défenderesse affirme donc que la présente affaire est maintenant « purement théorique » et qu’elle ne devrait pas, par conséquent, être examinée sur le fond. En ce qui a trait au bien-fondé du présent cas, j’estime qu’il faut, en l’espèce, tenir compte des témoignages relatifs aux circonstances factuelles afin d’examiner la question du « caractère théorique », et que je devrai peut-être quand même traiter du bien-fondé de l’affaire dans ma conclusion.

Observations des parties

A) Observations de l’appelante

[21] L'avocate de l'appelant a d'abord cité la directive du commissaire 004 (DC-004) en tant que fondement du processus d'élaboration des Normes nationales de déploiement des agents de correction que l'on applique pour les agents correctionnels pour chaque niveau de sécurité et chaque type d'établissement afin de maintenir des niveaux de sécurité cohérents. La DC-004 comporte plusieurs annexes, les annexes B et D étant les plus pertinentes au regard de la question en litige. À ce titre, l'annexe B établit à l'échelle nationale les normes de déploiement et de ressources par type d'établissement et par tâche liée à la sécurité, y compris pour les unités d'isolement, alors que l'annexe D prévoit des niveaux de déploiement précis ou « locaux » et applique l'essentiel de l'annexe B au milieu local des établissements en tenant compte des variantes nécessaires qui leur sont propres.

[22] Compte tenu de ce qui précède et du fait qu’à l’époque du refus de travailler, l’unité d’isolement de l’ECB, qui était classée comme établissement à sécurité moyenne, était dotée au maximum de 33 cellules, elle était considérée comme une unité à sécurité moyenne de niveau B aux termes de l’annexe B pour ce qui était de la dotation en personnel. Cela dit, en raison du fait que l’unité de transition dotée de 10 cellules se trouvait à proximité, cela a eu des répercussions sur la dotation en personnel des deux unités, laquelle est passée au niveau C (dotation en personnel conjointe). Comme les modifications subséquentes apportées à l’unité d’isolement ont fait passer le nombre de cellules à 43 et que le niveau de sécurité s’établissait toujours à moyen à l’époque de l’audience sur la présente affaire, le niveau de dotation en personnel est toujours le niveau C. De façon concrète, la dotation en personnel est la suivante :

[23] Alors que le niveau B (26 à 40 lits) prévu à l’annexe B correspond à un agent (CO-1) pour le quart de soir, le niveau C correspond à deux agents (un coordonnateur de secteur [CO-II] et un agent multifonctionnel [CO-I]) pour ce même quart de soir dans l’unité d’isolement d’un établissement à sécurité moyenne. L’annexe B prévoit aussi de manière expresse que cet agent multifonctionnel peut être réaffecté (en vertu d’un rajustement opérationnel) à d’autres tâches liées à la sécurité dès lors que le repas du soir a été servi. L’avocate a affirmé qu’en pratique, l’agent multifonctionnel n’est pas réaffecté à d’autres tâches liées à la sécurité avant que le repas ait été servi, que le ou les nettoyeurs aient fait leur travail et rangé l’équipement, et que les détenus soient confinés à leur cellule. L’avocate a aussi soutenu qu’en vertu de l’annexe B de la DC-004, un AC travaillant seul peut s’occuper d’octroyer le privilège d’utiliser le téléphone durant le quart de soir dans toutes les unités d’isolement, selon les circonstances.

[24] En guise d’explication, l’avocate a noté que dans l’unité d’isolement d’un établissement à sécurité moyenne où logent moins de 41 détenus à la fois, ce qui correspond au niveau de dotation B de l’annexe B, un seul AC est en poste durant le quart de soir, cela valant aussi pour l’unité d’isolement d’un établissement à sécurité maximale où logent moins de 20 détenus; dans une telle unité, l’agent multifonctionnel peut faire l’objet d’un rajustement opérationnel durant le quart de soir dès lors que le repas a été servi et que tous les détenus sont confinés à leur cellule.

[25] L’avocate a aussi cité le fait que des normes de déploiement locales adaptées en fonction des variantes nécessaires pour le milieu local de chaque établissement ont été adoptées et sont énoncées dans la DC-004 à l’annexe D. Dans le cas de l’ECB, ces normes ont été adoptées et n’avaient pas changé à l’époque de l’audience depuis le 1er avril 2011, et elles étaient donc applicables à l’époque où la défenderesse a refusé de travailler. L’avocate de l’appelant a indiqué que ces normes de déploiement locales prévoient que l’unité d’isolement de l’ECB doit être dotée de deux agents durant le quart de soir, d’un coordonnateur d’unité (CO-II) et d’un agent multifonctionnel (CO-I).

[26] L’avocate a aussi cité le fait que le présent cas est survenu à peu près à l’époque de la fermeture du pénitencier à sécurité maximale de Kingston qui allait bientôt devenir la nouvelle unité à sécurité maximale fonctionnelle qui ferait partie de l’ECB regroupé, et qu’il allait donc être nécessaire d’absorber plusieurs des agents qui étaient affectés à ce pénitencier. À cet égard, on a affirmé que même si de nouvelles normes de déploiement locales [traduction] « anticipées » applicables à l’ECB avaient été approuvées à l’automne 2013, soit après le refus exercé par Mme Leeman, celles prévoyant une dotation en personnel accrue pour l’unité d’isolement de l’ECB lors du quart de soir (3 AC, y compris un CO-I multifonctionnel) à compter du moment où l’unité à sécurité maximale de l’établissement regroupé sera devenue fonctionnelle, ce sont les normes de déploiement locales de l’ECB indiquées à l’annexe D de la DC-004 qui était toujours en vigueur, lesquelles prévoyaient qu’un coordonnateur d’unité (CO-II) et un agent multifonctionnel (CO-I) seraient affectés à l’unité d’isolement lors du quart de soir.

[27] L’avocate a aussi souligné qu’il avait été nécessaire d’absorber plusieurs agents du pénitencier de Kingston qui allaient être affectés à la nouvelle unité à sécurité maximale de l’ECB regroupé et que ces agents supplémentaires avaient été affectés temporairement à divers postes à l’ECB, y compris au sein de l’unité d’isolement, de sorte que cette unité était dotée en personnel, à l’époque de l’audience, au même niveau que l’unité d’isolement d’un établissement à sécurité maximale même si elle continuait d’être classée comme une unité à sécurité moyenne.

[28] Le nœud de la question litigieuse liée au présent cas se rapporte, à l’évidence, à la notion de rajustement opérationnel et à la question de savoir si, durant le quart de soir au sein d’une unité d’isolement à sécurité moyenne, un des deux AC affectés à cette unité, soit l’agent multifonctionnel (CO-I), peut faire l’objet d’un rajustement opérationnel, ce qui impliquerait que la coordonnatrice d’unité (CO-II) qui reste (Mme Leeman, en l’occurrence) devrait voir seule à accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus. Tous les établissements de SCC, y compris l’ECB, ont un plan de rajustement opérationnel et les décisions découlant de ce plan sont toujours prises par un dirigeant de l’établissement local (soit le gestionnaire correctionnel en poste) au début d’un quart et peuvent être modifiées en fonction de la situation qui prévaut dans l’établissement (évaluation du risque).

[29] La mise en application d’un tel plan permet d’augmenter ou de diminuer le nombre d’agents affectés à un poste, dans le présent cas le quart de soir de l’unité d’isolement, en fonction des exigences liées aux opérations et à la sécurité qui sont en vigueur à une heure et à une date données. À l’époque de l’enquête de l’agent de SST Jenkins et de l’audience sur la présente affaire, le plan de rajustement opérationnel qui était en vigueur à l’ECB était celui qui avait été approuvé le 4 novembre 2011 par la directrice qui était alors en poste, Julie Blasko, même si un nouveau plan était en cours d’élaboration à l’époque de l’audience afin de tenir compte des modifications qu’allait subir l’ECB. Figurant parmi de nombreux postes qui pouvaient et peuvent encore faire l’objet d’un rajustement opérationnel, deux postes de ce genre sont associés à l’unité d’isolement, même si aux fins du présent cas, seul le rajustement opérationnel de l’agent multifonctionnel affecté à l’unité d’isolement durant le quart de soir est remis en cause.

[30] Comme il a déjà été mentionné et comme l’a soutenu l’appelant, la décision de l’agent de SST Jenkins est essentiellement fondée sur le fait que cet agent s’est inquiété des différences entre les cotes découlant de l’analyse du risque professionnel (ARP) établies pour la tâche consistant à distribuer des repas aux détenus et celle consistant à leur accorder le privilège d’utiliser le téléphone, dans les deux cas en isolement, puisque les deux tâches nécessitent que l’on ouvre la petite portière servant au passage des plateaux-repas et faisant partie de la porte de la cellule. L’avocate a soutenu que l’ARP permettait d’isoler, d’analyser et de coter les tâches accomplies dans le lieu de travail, et que la cote se fondait sur les facteurs suivants : la fréquence d’exécution de la tâche et le niveau de gravité et de probabilité du risque. Ainsi, plus la cote critique attribuée à une tâche est élevée, telle qu’elle est établie en multipliant ensemble les scores obtenus pour chaque facteur, plus cette tâche est considérée comme comportant un risque.

[31] À cet égard, l’avocate a noté que l’ARP associée à toutes les attributions et tâches liées à la sécurité accomplies par des AC au sein de l’établissement est effectuée par le comité local de santé et sécurité au travail, puis elle est examinée, approuvée par la direction locale et continuellement revue. À l’époque du refus exercé par Mme Leeman et de l’audience d’appel, l’ARP applicable à l’unité d’isolement de l’ECT était datée de janvier 2012. L’avocate a affirmé que la preuve fournie par trois de ses témoins (Stacey, Velichka et Buller) démontrait que la cote plus élevée attribuée à la distribution des plateaux-repas découlait du [traduction] « facteur de probabilité », qui repose sur les considérations suivantes :

  • toutes les petites portières servant au passage des plateaux-repas sont ouvertes en même temps lorsqu’on distribue les repas aux détenus et la nourriture est livrée rapidement (étant donné que les détenus se fâchent si le repas arrive en retard ou que la nourriture est froide, par exemple), alors que la fourniture du service téléphonique peut s’étendre sur une longue période, la petite portière étant ouverte à cette fin dans une cellule à la fois, ce qui permet aux agents de mieux gérer et planifier la distribution des téléphones;
  • la livraison de nourriture est effectuée à un moment précis, alors que l’accès au téléphone est géré par les agents et peut être accordé lorsque les circonstances le justifient;
  • les détenus désirent faire des appels téléphoniques alors qu’ils ne veulent pas toujours nécessairement manger pour diverses raisons (la nourriture ne leur plaît pas ou elle est froide, ils font une grève de la faim, etc.).
  • un détenu qui refuse de coopérer peut être privé du privilège d’utiliser le téléphone, mais pas de nourriture;
  • il n’existe aucun dossier témoignant d’un incident lié à la sécurité qui serait survenu relativement à l’accès au téléphone dans une unité d’isolement de SCC, mais de nombreux incidents du genre ont été signalés relativement à la livraison de nourriture dans des unités d’isolement (détenus qui crachent, qui lancent des liquides ou des plateaux-repas, etc.).

[32] Quant à la question d’assurer l’accès à des téléphones dans l’unité d’isolement, l’avocate a noté que cet accès est fourni durant les quarts de jour et de soir suivant un horaire qui peut avoir été établi par un AC qui a consulté les détenus qui veulent faire des appels. D’un point de vue pratique, et le soussigné a été en mesure de le vérifier lorsqu’il a examiné du regard tant l’unité d’isolement de l’ECB que la démonstration de la procédure d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone avant le début l’audience, les téléphones distribués en isolement sont mobiles et ressemblent à un téléphone public sur un chariot. L’AC doit placer le téléphone directement devant la petite portière servant au passage des plateaux-repas. Le chariot doit être poussé vers l’avant par l’AC et il pivote sur 360 degrés et est donc facile à manipuler et à manœuvrer.

[33] L’appelant a indiqué qu’à compter du moment où le téléphone mobile a été placé devant la petite portière servant au passage des plateaux-repas, l’AC n’a plus rien à faire jusqu’à ce qu’il doive apporter ce téléphone à la cellule d’un autre détenu ou le ranger. Il incombe entièrement au détenu d’utiliser le téléphone, ce qu’il doit faire dans sa cellule en commençant par le retirer de la petite portière servant au passage des plateaux-repas, en y insérant sa carte d’accès téléphonique et en composant le numéro voulu. L’appelant a affirmé que chaque établissement doit élaborer sa propre procédure d’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas et c’est ce qu’on a fait à l’ECB et le protocole résultant est communiqué aux agents travaillant en isolement. Le protocole en vigueur à l’ECB prévoyait la mise en œuvre des mesures suivantes :

  1. déverrouiller le cadenas ou le verrou externe installé, le cas échéant, sur la petite portière servant au passage des plateaux-repas, et le placer sur la porte de la cellule afin de le garder en sécurité;
  2. regarder par la fenêtre de la cellule et ordonner au détenu de se mettre à l’arrière de la cellule et d’y demeurer;
  3. si le détenu n’obtempère pas, lui retirer le privilège d’utiliser le téléphone privilège et en aviser le gestionnaire correctionnel;
  4. s’il se conforme à la directive, la clef Folger-Adam doit être insérée dans le verrou de la petite portière servant au passage des plateaux-repas et en se servant d’une main, l’AC doit tourner cette clef tout en maintenant un contact visuel avec le détenu;
  5. si le détenu continue de coopérer et demeure à l’arrière de la cellule, l’AC doit, en se servant de son autre main, abaisser la petite portière servant au passage des plateaux-repas afin de l’ouvrir;
  6. placer le téléphone mobile devant la petite portière servant au passage des plateaux-repas;
  7. suivre les mêmes étapes dans l’ordre inverse afin de retirer le téléphone mobile de la portière après que l’appel a été effectué.

[34] L’appelant a affirmé que la défenderesse avait déclaré lors de son témoignage qu’elle avait toujours tenté de respecter ledit protocole lorsqu’elle accordait le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement.

[35] L’avocate de l’appelant a aussi soutenu que la preuve obtenue par l’entremise du témoignage avait également permis d’établir que plusieurs mesures de sécurité additionnelles devaient être mises en œuvre afin d’assurer l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone de façon sécuritaire :

  • les agents d’isolement doivent s’assurer que l’ensemble des fournitures et de l’équipement de nettoyage a été adéquatement rangé avant de commencer à livrer des téléphones;
  • le privilège d’utiliser le téléphone ne devrait jamais être accordé lorsqu’un agent ne voit pas le détenu ou sa cellule;
  • si la petite portière servant au passage des plateaux-repas est ouverte, les agents n’ont aucune raison de rester proches de cette portière, car ils pourraient se faire agripper par un détenu;
  • les agents ne doivent jamais mettre leurs mains à l’intérieur de la petite portière servant au passage des plateaux-repas ni faire dos à un détenu pendant qu’ils lui accordent le privilège d’utiliser le téléphone;
  • lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus, les agents doivent s’assurer qu’ils ont leur DAPP, leur radio et leur aérosol d’OC Mark 4.

[36] En ce qui concerne le refus de travailler exercé par la défenderesse N. Leeman le 31 mai 2012, l’appelant a mentionné que c’est à l’occasion de ce refus de travailler qu’elle a parlé pour la première fois de problèmes liés à l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone en isolement, ou à l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas, et que l’enquête exigée par l’employeur avait été réalisée par le directeur adjoint (services de gestion) Wayne Buller.

[37] Durant ladite enquête, il a rencontré la défenderesse et évalué ses préoccupations, il a discuté avec Mme Leeman de la procédure à suivre pour ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas afin d’octroyer le privilège d’utiliser le téléphone, et il a fait le tour de l’unité d’isolement de l’ECB en sa compagnie et lui a fait une démonstration des procédures servant à l’octroi de ce privilège, y compris celles se rapportant à l’ouverture et à la fermeture de cette portière. À la fin son enquête, M. Buller était convaincu que la défenderesse ainsi que les autres AC pourraient observer des pratiques sécuritaires lorsqu’ils ouvriraient la petite portière servant au passage des plateaux-repas et par conséquent, qu’un agent travaillant seul en isolement pourrait ouvrir cette portière de façon sécuritaire afin d’accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus.

[38] La défenderesse a rejeté la conclusion de M. Buller et comme elle a continué de refuser de travailler, cela a amené l’agent de SST Jenkins à entreprendre sa propre enquête. Dans le cadre de ladite enquête, l’agent de SST Jenkins a rencontré deux représentants d’employés du comité local de santé et sécurité au travail, ainsi que M. Buller, le directeur adjoint de l’ECB, Germain, et le coordonnateur des opérations correctionnelles de l’établissement (S. Doering). En ce qui a trait à cette enquête, l’avocate de l’appelant note que lors de son témoignage à l’audience, l’agent de SST Jenkins a admis qu’il n’avait pas visité l’unité d’isolement de l’ECB et qu’il n’avait pas demandé de démonstration quant à la façon dont le privilège d’utiliser le téléphone est accordé au sein de cette unité.

[39] De plus, l’avocate avance que l’agent de SST Jenkins avait effectué un constat de « danger » pour le seul motif qu’il se demandait pourquoi la cote découlant de l’ARP qui avait été établie pour l’unité d’isolement n’était pas la même pour le processus de livraison de nourriture et pour le processus d’octroi de l’accès au téléphone. Cette cote était plus élevée dans le premier cas (ce qui impliquait que la tâche concernée était plus dangereuse). L’agent de SST Jenkins ne comprenait pas non plus comment il pouvait y avoir une telle différence étant donné que les deux tâches obligeaient l’agent à ouvrir et à fermer la petite portière servant au passage des plateaux-repas, et il estimait que cela était contradictoire. L’avocate a aussi noté que l’agent de SST Jenkins a reconnu qu’il n’avait jamais demandé d’explications relativement à la question de savoir pourquoi les cotes découlant de l’ARP différaient pour ces deux tâches, et il en est donc arrivé à la conclusion qu’en raison du fait qu’il fallait plus qu’un employé pour livrer la nourriture dans l’unité d’isolement, un agent qui travaillerait seul dans cette unité pour permettre aux détenus de se servir du téléphone s’exposerait à un danger.

[40] En plus de contester l'affirmation de la défenderesse voulant que le présent appel soit purement théorique, l'appelant soutient que l'agent de SST Jenkins a fait un constat de danger erroné. Après avoir souligné que l'objet premier du Code est la prévention des accidents et des maladies dans le lieu de travail, l'avocate note que même si la loi permet aux employés de refuser de travailler, cela représente en soi une mesure extraordinaire [Canada Procureur général) c. Fletcher 2002 CAF 424) qui peut être prise lorsque l'employé en cause a « des motifs raisonnables de croire » que le fait de travailler constituerait un danger pour lui-même ou un autre employé, et le caractère raisonnable d'une telle croyance ne peut pas être déterminé de façon exclusivement subjective, comme le déclare la Cour fédérale dans Laroche c. Canada (Procureur général) 2013 CF 797 comme suit :

[60] (…) La notion de danger est tributaire de la possibilité qu’un risque se matérialise. Pour qu’un danger puisse faire l’objet d’un refus de travail, la possibilité doit être raisonnable, ce qui implique une mesure d’objectivité. La seule crainte subjective ne satisfera pas un tel standard. (...)

[41] Ce critère, qui comporte en fait quatre volets, a été énoncé par la Cour fédérale dans Société canadienne des postes c. Pollard 2007 CF 1362, et il exige donc que les quatre volets suivants soient satisfaits pour que l’on puisse en arriver à une conclusion de « danger » au sens du Code :

[66][…]

  1. la situation, la tâche ou le risque - existant ou éventuel - en question se présentera probablement;
  2. un employé sera exposé à la situation, à la tâche ou au risque quand il se présentera;
  3. l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer une blessure ou une maladie à l’employé à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois;
  4. la blessure ou la maladie se produira sans doute avant que la situation ou le risque puisse être corrigé, ou la tâche modifiée.

[42] Dans son ensemble, la position de l’appelant veut que la situation décrite par la défenderesse pour justifier son refus de travailler ne satisfasse pas tous les volets de ce critère. Pour ce qui est du premier volet, l’avocate affirme que la défenderesse n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation voulant qu’elle soit exposée à un risque de contact direct avec des détenus lorsqu’elle leur accorde le privilège d’utiliser le téléphone dans l’unité d’isolement de l’ECB et qu’elle travaille seule à cette fin. Citant la directive du commissaire 004 (annexe B, pages 36 et 68), l’avocate de l’appelant avance que la preuve permet d’établir qu’il n’y a aucun contact direct entre agents et détenus lorsque ces derniers sont confinés à leur cellule, tel qu’il est prévu dans la DC004, comme suit : [traduction] « (...) lorsque des détenus sont confinés à leur cellule (...), il n’y a aucun contact direct entre les détenus et l’agent surveillant l’unité d’isolement», et que par conséquent, ledit risque présumé de contact direct avec des détenus est de nature spéculative et on ne peut donc pas faire de constat de « danger » en invoquant ce risque. Cela étant dit et comme il n’y a pas de preuve démontrant l’existence de ce risque présumé, il s’ensuit, selon l’avocate, qu’on ne peut que spéculer que les agents sont exposés à ce risque, ce qui implique que le deuxième volet du critère énoncé dans Pollard ne peut être satisfait.

[43] En ce qui a trait au troisième volet du critère, c’est-à-dire la possibilité de blessure, l’appelant soutient aussi qu’on ne peut que spéculer à cet égard ou affirmer, si l’on adopte le critère énoncé Verville c. Canada (Service correctionnel) 2004 CF 767, une décision de la Cour fédérale, qu’une « simple » possibilité de blessure ne suffit pas à étayer un constat de danger. L’appelant note que la défenderesse a fait plusieurs allégations relativement au type de blessure qu’elle pourrait subir si on l’obligeait à travailler seule lorsqu’elle livre des téléphones à des détenus en isolement.

[44] En ce qui concerne la première de ces allégations, selon laquelle un agent pourrait se faire agripper par un détenu à travers l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas, l’avocate a affirmé qu’aucune preuve n’avait été admise à cet égard et que l’on avait plutôt soutenu qu’aucun agent à l’ECB ne s’était fait agripper par un détenu de cette façon-là. Deuxièmement, la défenderesse a laissé entendre qu’elle pourrait être impliquée dans un incident comme celui dont a été victime, en 2002, un autre agent qui se trouvait dans ce qu’il est convenu d’appeler le bloc 3. Cet agent s’était alors fait frapper à la tête à travers la portière coulissante de la porte de cellule qui est située au niveau des yeux et qui sert à surveiller le détenu. L’avocate a noté à cet égard que cette petite portière est complètement différente de celle servant au passage des plateaux-repas, qu’elle n’était pas utilisée à cette fin et qu’elle avait été recouverte d’une grosse grille en métal après l’agression et que ce genre d’incident ne pouvait donc plus survenir dans l’unité d’isolement de l’ECB.

[45] La troisième possibilité soulevée par la défenderesse concerne des courroies rattachées à la petite portière servant au passage des plateaux-repas qui peuvent être utilisées comme des collets pour saisir une main ou un bras qui se serait introduit dans l’ouverture de cette portière. À cet égard, l’appelant précise, en premier lieu, que le protocole d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone prévoit que les agents ne devraient jamais introduire leur main dans cette ouverture et qu’ils n’ont pas besoin de le faire, et deuxièmement, que la preuve veut qu’il n’y ait jamais eu de portières munies de telles courroies à l’ECB. Selon l’avocate, même si on acceptait la possibilité qu’il y ait des portières munies de courroies à l’ECB, si l’agent se conforme au protocole établi, il n’existe pas de possibilité raisonnable qu’il se blesse de cette façon en distribuant des téléphones.

[46] Enfin, la défenderesse a affirmé qu’un détenu pourrait agresser un AC à l’aide d’un balai modifié ou d’un autre objet. À cet égard et après avoir mentionné qu’aucune autre agression n’était survenue pendant qu’un AC distribuait des téléphones à des détenus en isolement, l’avocate de l’appelant a maintenu que cette allégation n’était pas fondée puisque les détenus en isolement sont confinés à leur cellule et que les agents en isolement sont responsables du nettoyeur et peuvent lui donner n’importe quel ordre, ce qui implique qu’ils peuvent s’assurer que les balais et d’autres fournitures de nettoyage ne sont pas utilisés pour façonner des armes et qu’on les remet dans l’aire de rangement appropriée avant de distribuer les téléphones, de sorte qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable qu’un agent se fasse blesser par un balai ou un autre objet. L’avocate de l’appelant soutient donc que la preuve permet d’établir clairement qu’il n’y a pas de possibilité raisonnable qu’une blessure puisse être causée à un agent qui accorde le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus alors qu’il travaille seul en isolement et que par conséquent, le troisième critère permettant de conclure à la présence d’un « danger » au sens du Code n’a pas été satisfait.

[47] En ce qui a trait, enfin, au quatrième élément du critère, l’appelant estime que si le risque allégué existe, il constitue une condition normale d’emploi et il ne peut donc être atténué davantage. Selon l’avocate, pour déterminer si un risque constitue une condition normale d’emploi et, du même coup, une exception applicable au droit de refuser de travailler, ou si ce risque représente un danger au sens du Code, il faut faire une distinction entre les caractéristiques essentielles de l’emploi ou de la tâche, et la méthodologie qui pourrait être modifiée afin d’éliminer ou de prévenir le danger en cause. À cet égard et en ce qui concerne le risque de contact direct avec des détenus qui, selon la défenderesse, est présent, l’appelant considère que si ce risque existe, ce que l’on nie, il ne peut être atténué davantage et il constitue donc une condition normale d’emploi.

[48] L’appelant estime que la procédure d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone ne varie pas, peu importe qu’elle soit réalisée par un ou plusieurs agents. À cet égard, l’avocate note que le deuxième agent ne participe pas à la mise en œuvre de la procédure et qu’il ne fait qu’observer l’agent qui distribue les téléphones depuis le bout de la rangée ou le poste de contrôle, et sa présence permet donc seulement de réduire le délai d’intervention si un incident survient et non pas d’atténuer tout risque qui pourrait être associé à cette procédure. L’avocate de l’appelant soutient donc que si le deuxième agent ne prend pas part au processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement, tout contact direct avec des détenus survenant pendant ce processus ne peut pas être imputé au fait que l’agent travaille seul.

[49] Ce risque existe en tout temps, peu importe le nombre d’agents présents au moment où le privilège d’utiliser le téléphone est accordé à des détenus, et il doit être imputé à l’imprévisibilité du comportement humain dans un milieu tel qu’un pénitencier. D’un point de vue général, la position de l’avocate veut que le fait de côtoyer des détenus au comportement imprévisible, qui ne coopèrent pas et qui ont souvent des changements d’humeurs fasse partie intégrante du travail de l’AC et qu’en plus, le contact direct avec des détenus en isolement ou ailleurs dans un établissement de SCC est une condition normale d’emploi pour les AC, qui est clairement énoncée dans leur description de tâches et les consignes de postes, et qu’il représente donc un risque qui ne peut être géré ni éliminé par l’application du Code.

[50] L’avocate avance cependant que des mesures de contrôle administratives ou fondées sur l’ingénierie avaient été adoptées par l’appelant pour assurer la sécurité des AC lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement. Ces mesures de contrôle ne varient pas, peu importe si un ou plusieurs agents prennent part à l’opération, et tous les agents travaillant en isolement se voient remettre le même équipement de protection individuel dont ils ont besoin pour accomplir le travail, peu importe, encore une fois s’ils travaillent seuls ou pas.

[51] De plus, l’appelant fournit à tous les AC la formation requise pour assurer leur sécurité quand ils travaillent seuls ou non, et on leur apprend entre autres à être conscients de ce qui les entoure, à garder les détenus à vue et ne pas trop s’approcher d’eux. En résumé, la conclusion de l’avocate veut que la preuve révèle que l’employeur a pris toutes les mesures permettant d’atténuer les risques liés au processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement, et en ce qui a trait au risque de contact direct avec des détenus, si tant est que ce risque existe, il représente une condition normale d’emploi et il n’est pas lié à la question de savoir si un agent travaille seul ou avec d’autres agents dans l’unité d’isolement.

[52] Même si l’avocate soutient que ce qui précède suffirait à justifier que le soussigné accueille l’appel, Mme Nabbali souligne aussi l’aspect urgent d’un refus de travailler, tel qu’il est décrit dans le Code, et comme ces dispositions existent dans le Code, ajoute-t-elle, afin de s’assurer que le travail d’un employé ne l’exposera pas à une situation dangereuse dans un lieu et à un moment donnés, le processus de refus ne vise pas à remettre en question les politiques d’un employeur, comme celle se rapportant à la dotation en personnel. Dans le présent cas, l’avocate de l’appelant juge que la défenderesse tente, par l’entremise de son refus de travailler, de contester les modalités des annexes B et D de la DC-004, ce qui n’est pas cautionné par la jurisprudence.

[53] Selon l’avocate, il existe un processus qui permet à l’agent négociateur de consulter la direction de SCC relativement aux normes de déploiement énoncées dans la DC-004, et il doit y recourir plutôt que de tenter, sous le couvert d’un refus de travailler, de dissimuler le fait qu’il n’est pas d’accord avec la politique de SCC en matière dotation en personnel. La preuve non contestée, selon l’avocate, veut que l’agent négociateur n’a jamais mentionné de problèmes relativement aux normes de déploiement en ce qui concerne les rajustements opérationnels en isolement, ni fait part de quelque difficulté que ce soit à la direction de l’ECB relativement à l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone dans l’unité d’isolement ou à l’utilisation de la petite portière servant au passage des plateaux-repas. Compte tenu de ce qu’elle considère comme un défaut d’agir de la part de l’agent négociateur, l’avocate estime que ce manquement ne peut être réparé par l’entremise du refus de travailler de la défenderesse. Comme la preuve présentée à l’audience ne fonde pas un constat de danger, l’appelant estime que son appel devrait être accueilli.

B) Observations de l’intimée

[54] Les observations de la défenderesse s’articulent autour de deux points principaux. Premièrement, la défenderesse soutient que le différend relatif à l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone dans l’unité d’isolement de l’ECB est purement théorique, puisque les événements survenus entre le moment où Mme Leeman a exercé un refus de travailler et la tenue de l’audience ainsi que l’établissement de la décision rendent ce différend théorique, et que, en outre, si j’en venais moi aussi à la conclusion que l’affaire est devenue purement théorique, je devrais alors m’abstenir d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de prononcer une décision sur le fond. La défenderesse considère par ailleurs que le constat de danger établi par l’agent de SST Jenkins devrait être confirmé par le soussigné.

[55] En sus de citer l’arrêt faisant autorité en ce qui concerne le caractère théorique, soit l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, l’argument de la défenderesse voulant que la présente affaire soit purement théorique se fonde sur trois documents internes de SCC qui, selon elle, permettent d’établir que la situation qui prévalait à l’ECB à l’époque où le refus de travailler a été exercé n’est plus la même et qu’à la suite des changements de structure à l’Établissement, la situation présente est telle qu’il n’y a plus rien qui devrait être corrigé à cet égard au moyen d’une décision que le soussigné rendrait sur le fond de l’appel.

[56] Ces documents sont le bulletin politique 394 qui est entré en vigueur le 8 mai 2013, le bulletin politique 445 (entré en vigueur le 1er avril 2014) et la directive du commissaire no 706 (modifiée) qui est en vigueur depuis le 2 avril 2014. L'effet combiné qu'ont eu ces trois documents au fil du temps, en ce qui a trait à l'ECB, est d'avoir entraîné la création d'une nouvelle structure de gouvernance découlant de la fusion de l'Établissement de Collins Bay (établissement à sécurité moyenne) avec celui de Frontenac (établissement à sécurité minimale) ainsi que l'ajout d'une nouvelle unité à sécurité maximale de 96 lits qui devait être fonctionnelle en juillet 2014, mais qui ne l'était donc pas à l'époque de l'audience sur la présente affaire. Aux termes de cette nouvelle structure institutionnelle, qui a fait de l'ECB un « établissement regroupé » en date du 2 avril 2014, soit peu de temps avant la tenue de l'audience sur le présent appel, l'ECB regroupe des unités à sécurité maximale, à sécurité moyenne et à sécurité minimale définies comme [traduction] « un groupe d'unités distinctes assorties de niveaux de sécurité différents et administrées par un chef d'établissement. La différence entre un établissement regroupé et un établissement multiniveaux réside dans le maintien d'une distinction entre les divers niveaux de sécurité en ce qui concerne, habituellement, le logement, les tâches structurées et les déplacements des détenus. »

[57] L’avocate de la défenderesse a indiqué qu’à l’époque de l’audience, des normes de déploiement nationales s’appliquaient aux établissements regroupés et que les nouvelles normes de déploiement locales et les pratiques opérationnelles courantes annoncées dans le bulletin 394 n’avaient pas encore été mises en œuvre. Quoi qu’il en soit, l’avocate a affirmé que personne n’avait contesté le témoignage de la défenderesse Leeman voulant qu’en date d’octobre 2013 (réunion du personnel), des modifications eussent été annoncées et apportées aux niveaux de dotation en personnel pour l’unité d’isolement et pour le quart de soir, ce qui signifiait que trois agents travailleraient pendant ce quart en isolement, une situation qui, selon l’avocate de la défenderesse, a été décrite dans le témoignage fait pour l’appelant comme correspondant à la norme de dotation en personnel « future » de l’ECB.

[58] De plus, l’avocate a indiqué que la défenderesse a déclaré qu’il y a toujours eu depuis trois agents affectés à l’unité d’isolement durant le quart de soir, ce qui correspond au niveau de dotation en personnel, actuel et projeté, pour le quart de soir en isolement. Toujours selon Mme Leeman, on lui a mentionné lors de la réunion d’octobre 2013 qu’un nouveau plan de rajustement opérationnel allait être mis en application pour l’unité d’isolement et pour le quart de soir, et qu’il prévoyait que l’agent multifonctionnel faisant partie du groupe de trois employés affectés à l’isolement pourrait être redéployé, de sorte qu’il resterait deux agents pour fournir le service de distribution de téléphones, quoique ce service serait suspendu dans l’éventualité où on décidait de n’affecter qu’un agent à l’unité, ce qui implique qu’il devrait travailler seul en isolement.

[59] La défenderesse a affirmé que ces conditions de travail sont celles qu’elle a toujours connues en isolement lors du quart de soir depuis octobre 2013 et qu’à l’époque de l’audience, on ne faisait que spéculer à propos de l’établissement de futures normes de déploiement nationales et de plans de rajustement opérationnel locaux. En ce qui concerne le présent cas, la défenderesse soutient que le contexte factuel et les circonstances dans lesquels elle a exercé son droit de refus n’avaient eu cours que le jour où elle avait refusé de travailler et qu’ils ne pouvaient être reproduits dans la mesure où ils se rapportent à une ancienne pratique locale qui a été modifiée sans préavis, et à un nouveau protocole adopté sans qu’on ait donné de la formation à la défenderesse au sujet de la façon d’utiliser le chariot à téléphones ou qu’on ait modifié cette procédure.

[60] La défenderesse soutient que si l’on applique le critère à deux volets établi par la Cour suprême du Canada dans la décision Borowski, le soussigné devrait en arriver à la conclusion que le présent appel est purement théorique et décider de ne pas l’examiner sur le fond. En ce qui concerne le premier volet du critère, qui prévoit qu’un litige actuel visant les droits de parties doit exister au moment de la tenue de l’audience d’appel, la défenderesse note qu’à l’époque du refus de travailler, l’ECB avait été classé comme établissement à sécurité moyenne, et que l’appelant/l’employeur s’appuie sur les normes de déploiement nationales publiées pour un tel établissement, sur les normes de déploiement locales connexes et sur le plan de rajustement opérationnel 2011-2012 de l’ECT pour soutenir que l’unité d’isolement pourrait faire l’objet d’un rajustement opérationnel en vertu duquel un seul agent travaillerait durant le quart de soir et devrait voir à accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus. La défenderesse soutient à cet égard que cette position de l’appelant ne tient pas compte de la preuve admise à l’audience dans la mesure où elles s’appuient sur les normes de déploiement nationales et le plan de rajustement opérationnel local qui étaient appliqués avant que l’ECB ne soit reclassé et que la présente audience ne commence.

[61] Bref, la défenderesse prétend que le niveau de dotation en personnel et les plans de rajustement opérationnel qui étaient appliqués au niveau local à l’époque de l’audience diffèrent de ceux qui étaient en vigueur à l’époque du refus, et que le fonctionnement et l’utilisation de l’unité d’isolement évolueront dans le futur de la même façon que les normes de déploiement nationales et les plans de rajustement opérationnel locaux qui sont en cours d’élaboration seront eux aussi modifiés afin de tenir compte du nouveau classement de l’établissement (établissement regroupé).

[62] La défenderesse avance donc qu’au regard des faits admis en preuve, il n’y a aucun litige actuel qui devrait être tranché par le soussigné. Compte tenu du fait que l’ECB a été reclassé, l’avocate de la défenderesse a soutenu que les normes de déploiement nationales ne constituent que le contexte dans lequel les autres éléments factuels doivent être évalués. À ce titre, les faits qui seront liés à tout incident ne sont que purement hypothétiques, et les faits et les circonstances qui seront associés à un futur refus de travailler devraient être évalués dans le contexte des normes de déploiement nationales qui seront en vigueur au moment où ce refus sera exercé et ils constitueront les éléments essentiels de la déclaration qui sera alors faite relativement à l’existence d’un danger.

[63] Par conséquent, tout litige futur est complètement hypothétique. Citant les normes de déploiement qui doivent être modifiées en raison du reclassement de l’établissement, l’avocate a aussi soutenu que le droit de refuser de travailler et les droits d’appel connexes ne peuvent pas être exercés dans le but d’obtenir une décision relative à une politique n’ayant pas encore été formulée, ce qui constitue une autre raison de statuer que la présente question en litige est purement théorique.

[64] Quant à la question de savoir si l’on doit entendre la présente affaire sur le fond, et nonobstant l’opinion de la défenderesse voulant que la présente question en litige soit purement théorique, l’avocate a soutenu que l’audition du présent appel ne servirait à rien étant donné qu’un refus de travailler n’équivaut pas à un grief déposé à l’encontre d’une politique, et que les normes de déploiement nationales et les politiques locales connexes, bien qu’elles forment le contexte dans lequel le présent différend a cours, ne représentent pas le problème faisant l’objet du présent appel. Comme il est déjà été mentionné, la défenderesse considère que l’appelant tente de façon inappropriée de recourir au processus d’appel dans le but d’obtenir une décision de principe qui confirmerait que SCC a le droit d’appliquer les normes de déploiement nationales à des fins de dotation en personnel. Invoquant la décision rendue par la Cour fédérale d’appel dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Fletcher 2002 CAF 424 afin de soutenir qu’un refus de travailler et les procédures d’appel s’y rattachant ne représentent pas le bon contexte dans lequel des questions de principe devraient être soulevées et débattues, l’avocate de la défenderesse maintient qu’il n’appartient pas à un agent d’appel d’établir ou d’appliquer des politiques, et que son travail consiste plutôt à déterminer si, dans le contexte des faits lui ayant été présentés, un danger existait pour le travailleur qui a exercé son droit de refuser de travailler.

[65] Selon l’avocate, à l’époque où le refus de travailler a été exercé, une norme de déploiement générique s’appliquait aux établissements à sécurité moyenne, tout comme un plan de rajustement local. La preuve veut qu’une pratique locale de longue date fût mise en œuvre pour accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus lors du quart de soir. Les conditions de travail de la défenderesse ont été modifiées lorsque la gestionnaire correctionnelle Stacey a décidé de recommencer à adhérer strictement aux niveaux de dotation en personnel prévus par les normes de déploiement nationales de l’époque. La défenderesse estime que dans la mesure où son refus de travailler était fondé sur des faits liés à la situation qui prévalait à l’époque, mais qui a cessé d’exister, il ne sert à rien, du point de vue des relations de travail, de prendre à nouveau en considération un événement passé dont les détails factuels et contextuels ne peuvent être reproduits et de plus, aucun recours valable ne s’offre aux parties. Le soussigné devrait donc décider de ne pas exercer la compétence qu’il a pour entendre la présente affaire et l’appel devrait être rejeté.

[66] Subsidiairement à l’argument voulant que la question en appel soit purement théorique, la défenderesse avance que sur le fond, le soussigné devrait confirmer le constat de danger établi par l’agent de SST Jenkins lorsqu’il a émis son instruction. Pour l’essentiel, la défenderesse soutient que lorsqu’on a demandé à Mme Leeman de distribuer des téléphones à des détenus de l’unité d’isolement lors du quart de soir alors qu’elle travaillait seule, cela dérogeait d’une pratique locale établie selon laquelle l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone est assuré par un AC qui se fait observer par un deuxième AC.

[67] Selon l’avocate de la défenderesse, les normes de déploiement nationales, qui sont appelées les normes génériques, ont une portée nationale et sont appliquées, de façon générale, afin d’assurer la mise en œuvre de pratiques uniformes au sein des établissements ayant le même classement. Cependant, il est possible de modifier ces normes pour un établissement donné afin de les adapter en fonction de son profil local inhabituel. La défenderesse a affirmé que le 30 mai 2012, soit le jour précédant celui où Mme Leeman a refusé de travailler, l’appelant, c’est-à-dire l’employeur, a décidé de ne pas tenir compte de la pratique locale et il a ordonné à la défenderesse d’accomplir son travail en conformité avec les normes génériques applicables aux établissements à sécurité moyenne, alors qu’elle avait toujours fourni le service téléphonique aux détenus en isolement lors du quart de soir en se faisant observer par un deuxième agent et que lorsque ce poste faisait l’objet d’un rajustement opérationnel, elle attendait que le deuxième membre du personnel revienne l’observer avant d’accomplir sa tâche. C’était la première fois que l’on demandait à la défenderesse de fournir le service téléphonique alors qu’elle travaillait seule durant une période de rajustement opérationnel.

[68] Un témoignage a été donné en appui à la position de la défenderesse voulant que la pratique locale consistât effectivement à suivre la procédure du quart de minuit, ou quart du matin, lorsque l’unité d’isolement était dotée d’un seul agent en raison d’un rajustement opérationnel. À ce titre, les agents affectés au quart de minuit travaillent seuls et ne sont pas autorisés à ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas ni la porte de la cellule pendant ce quart. Les témoins de l’appelant (Buller et Stacey) ont déclaré qu’ils n’avaient aucun souvenir d’une pratique passée ou locale de ce genre, bien que M. Buller et l’agent de SST Jenkins aient reconnu que la présence d’un agent supplémentaire pouvait inciter les détenus à bien se comporter et comme cet agent garde le détenu à vue, il peut fournir de l’aide sur-le-champ à l’agent qui fournit le service téléphonique si cela est nécessaire.

[69] La défenderesse considère que même si l’employeur avait indiqué aux employés, le 4 mai 2012, qu’un changement entrerait en vigueur le 12 mai suivant relativement à la procédure appliquée en isolement pour distribuer des téléphones et pour ouvrir et fermer la petite portière servant au passage des plateaux-repas, aux termes duquel, dans un contexte de rajustement opérationnel, il faudrait communiquer avec le gestionnaire correctionnel en poste afin qu’un deuxième agent soit désigné pour observer et aider le premier agent, on a quand même dit à la défenderesse, le 30 mai, que cette procédure ne serait pas suivie et qu’elle devrait agir seule lorsque l’unité ferait l’objet d’un rajustement opérationnel lors du quart de soir et se conformer à un protocole de pratiques exemplaires en quatre étapes.

[70] Selon la défenderesse, ce protocole de « pratiques exemplaires » n’était pas en vigueur et peu d’agents, parmi ceux qui travaillaient en isolement avant le 30 mai 2012, le comprenaient ou l’appliquaient et il n’a été intégré à la consigne de poste locale pour l’unité d’isolement lors du quart de soir que durant la période du 12 au 17 juin 2012, soit après que Mme Leeman eut refusé de travailler le 31 mai de la même année. Essentiellement, le témoignage de la défenderesse veut que les détenus peuvent profiter du fait que la petite portière servant au passage des plateaux-repas est ouverte pour créer un contact direct en passant la main dans cette ouverture, en se servant d’un manche à balai brisé comme d’une arme, en lançant des liquides chauds, des excréments ou de l’urine, ou en utilisant des collets, cette possibilité étant moins grande lorsque le détenu est sommé de demeurer au fond de sa cellule pendant que l’AC ouvre la portière et que le deuxième agent l’observe. Cette observation constante est nécessaire étant donné que les détenus peuvent franchir une distance de six mètres en une seconde et que la longueur totale des cellules (de l’avant à l’arrière) n’est que de deux mètres et demi.

[71] Dans le cas de la défenderesse Leeman, elle affirme qu’en raison de sa taille, elle ne peut pas toujours garder le détenu à vue après lui avoir ordonné de demeurer au fond de sa cellule, que ce soit au moment où elle ouvre ou tente de fermer la petite portière servant au passage des plateaux-repas et dans de telles circonstances, son bras est à la portée du détenu, qui pourrait tenter de le saisir. Quant à la possibilité d’utiliser le chariot à téléphones comme un bouclier protecteur, la défenderesse affirme que ce chariot n’est pas toujours facile à déplacer, contrairement à ce que prétend l’appelant et comme l’a démontré son témoin Stacey à l’aide d’une chaise pivotante, et que l’on n’a jamais discuté de la possibilité d’utiliser le chariot de cette façon-là, la bonne manière consistant à garder le chariot à côté de soi pendant que l’on ouvre ou ferme la petite portière servant au passage des plateaux-repas.

[72] Lorsque l’agent de SST Jenkins a tiré la conclusion qui l’a amené à émettre l’instruction visée par le présent appel, il s’est surtout appuyé sur le fait qu’il jugeait qu’à propos, essentiellement, d’une même tâche de base, soit celle qui consistait à ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas, l’analyse du risque professionnel effectuée relativement à la distribution des plateaux-repas et des téléphones aux détenus avait mené à l’établissement de cotes pondérées selon la probabilité qui variaient pour ce qui était de l’exposition à des fluides corporels et/ou des dangers biologiques et de niveaux de dotation en personnel différents pour chacune de ces fonctions. Comme l’a noté la défenderesse, l’appelant a expliqué cette situation en disant que les détenus sont plus enclins à bien se comporter lorsqu’on leur fournit le service téléphonique, un service qu’ils désirent, alors qu’en ce qui concerne les repas, ils peuvent décider d’en sauter un à l’occasion, et ils sont donc plus motivés à obéir à un AC qui leur ordonne d’aller se mettre à l’arrière de leur cellule pendant que ledit AC se prépare à ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas pour leur fournir le service téléphonique.

[73] De plus, l’appelant a affirmé qu’aucun incident n’avait été signalé relativement à une agression qui serait survenue pendant qu’un AC distribuait des téléphones. La défenderesse estime que cette hypothèse n’est pas étayée par la preuve accumulée, d’abord parce qu’elle n’a pas été vérifiée étant donné que l’unité d’isolement n’a jamais fait l’objet d’un rajustement opérationnel dans le cadre duquel elle aurait été dotée d’un seul agent, que ce soit avant que Leeman exerce un refus de travailler, après que l’instruction visée par l’appel ait été émise ou depuis les changements d’effectif et de procédure qui sont survenus en octobre 2013. De plus, la défenderesse avance qu’il arrive souvent que des détenus soient placés en isolement parce qu’ils se sont mal comportés ou qu’ils ont des habiletés sociales limitées ou une nature agressive, et que l’hypothèse de l’appelant ne tient pas compte du fait que le détenu pourrait perdre le privilège d’utiliser le téléphone s’il se comporte mal pendant que les repas sont servis.

[74] La défenderesse remet en cause la prémisse sur laquelle l’appelant a fondé son cas, à savoir qu’il n’y a aucune possibilité de contact direct entre un agent et les détenus lorsque ceux-ci sont confinés à leur cellule en isolement. La défenderesse soutient que la preuve révèle que bien qu’il n’y ait aucun contact direct entre les détenus et les agents lorsque les premiers sont confinés à leur cellule en isolement, cela n’est pas le cas lorsque la petite portière servant au passage des plateaux-repas est ouverte. Dans de telles conditions, un contact direct peut se produire et ce risque-là doit être géré.

[75] La défenderesse est d’avis que l’appelant a omis, lorsqu’il a exprimé sa position, de présenter le risque associé à la petite portière servant au passage des plateaux-repas (quand elle est ouverte) dans le contexte du refus de travailler, y compris 1) l’ancienne pratique en matière de service téléphonique, lequel était fourni sous la surveillance d’une deuxième personne, 2) les incidents liés à la petite portière servant au passage des plateaux-repas lorsqu’elle était utilisée pour établir un contact direct durant le processus de livraison de nourriture, (3) le fait qu’un agent travaillant seul et affecté au service téléphonique doit attendre pour d’obtenir de l’aide si un problème de sécurité survient, (4) le fait que l’appelant n’a pas mis en œuvre le protocole visant à assurer la santé et la sécurité de l’agent avant de réagir au refus de travailler, et qu’il n’a pas fourni de formation sur ce protocole ni contrôler son application. La défenderesse juge que c’est dans un tel contexte qu’un constat de danger doit être fait.

[76] Compte tenu de la série de décisions judiciaires (Fletcher, Verville, MartinFootnote 1 , Pollard, Vandal) dans lesquelles on a examiné en profondeur la définition de « danger » et confirmé et clarifié les principes en vertu desquels on doit trancher la question de savoir si un danger existe, l’avocate de la défenderesse affirme que ladite défenderesse a établi ce qui suit :

  • le risque de contact direct survient lorsqu’on ouvre la petite portière servant au passage des plateaux-repas et non pas pendant qu’on l’utilise;
  • le comité de la santé et la sécurité au travail n’a pas souscrit à la décision selon laquelle on allait finalement appliquer de manière stricte les normes de déploiement nationales, conformément à la directive (protocole) de Mme Stacey datée du 30 mai 2012;
  • aucune plainte n’avait été enregistrée antérieurement étant donné que la pratique locale avait toujours consisté à affecter une deuxième personne à cette tâche pour qu’elle observe l’autre agent, et à interrompre la fourniture et le ramassage des téléphones jusqu’à ce que de l’aide ait été fournie;
  • avant la publication de la directive de Mme Stacey le 30 mai 2012, aucune formation n’avait été fournie relativement à l’utilisation du chariot à téléphones en tant que bouclier, et on ne s’était pas non plus demandé combien de temps il faudrait prévoir pour qu’une personne se trouvant à l’extérieur de l’unité d’isolement puisse aller fournir de l’aide à l’agent;
  • par le passé, des détenus ont utilisé l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas en y introduisant leurs mains dans le but d’agripper un agent ou en utilisant des collets à cette fin, et en y lançant de matières liquides, y compris de l’urine et des excréments. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à qu’un détenu en isolement trouve d’autres façons d’utiliser l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas (dont se sert la défenderesse) à ses propres fins;
  • les agents qui travaillent avec les détenus et fournissent le service sont les mieux placés pour évaluer le risque. Si l’on s’en fie à leur témoignage, la [traduction] « deuxième paire d’yeux » a permis d’enrayer les mauvais comportements et la présence d’un deuxième agent est nécessaire tant à titre de mesure de dissuasion que de témoin si un incident lié à la sécurité survient; ce deuxième agent peut aussi fournir de l’aide sur-le-champ si la situation tourne au vinaigre.

[77] Relativement aux considérations qui précèdent, la défenderesse affirme qu’un agent d’appel doit en tenir compte dans le contexte des normes de déploiement nationales bien qu’il ne suffise pas de s’appuyer sur ces normes et de les appliquer pour rejeter un refus de travailler exercé par un employé.

[78] En ce qui concerne, enfin, le poids que le soussigné devrait accorder à la preuve fournie par les deux parties, l’avocate de la défenderesse soutient que si des éléments de preuve présentés par les témoins des deux parties se contredisent, cette contradiction devra être résolue en faveur de la défenderesse (c’est-à-dire de l’employée). La défenderesse précise que ses témoins sont tous des agents chevronnés qui travaille en isolement depuis plusieurs années à l’ECB et qu’ils connaissent donc très bien les normes de dotation en personnel et les pratiques qui avaient cours à l’époque du refus, alors que les témoins de l’appelant ont peu coopéré quand est venu le moment de produire des documents ou de fournir des preuves relatives aux anciennes pratiques locales en matière de dotation en personnel qui étaient observées lorsqu’un rajustement opérationnel était effectué en isolement, ou aux pratiques actuelles ou futures.

[79] La défenderesse considère donc que le présent appel devrait être rejeté, d’abord parce que la question soulevée est purement théorique et que, par conséquent, il ne servirait à rien, du point de vue des relations de travail, de rendre une décision à ce stade-ci, et deuxièmement, et de façon subsidiaire, que l’instruction émise par l’agent de SST Jenkins relativement à un danger devrait être confirmée.

C) Réplique

[80] La réplique de l’appelant traite d’abord de la question du caractère théorique soulevée par la défenderesse, et à cet égard, l’appelant soutient qu’un litige actuel ou une controverse subsiste entre les parties et subsistait devant le soussigné à l’époque de l’audience et au moment où j’ai rédigé ma décision définitive, et deuxièmement, et en l’absence d’une conclusion confirmant ce caractère théorique, que la preuve ne fonde aucun constat de danger dans les circonstances qui prévalaient à l’époque du refus de travailler et de l’enquête de l’agent de SST Jenkins.

[81] En ce qui concerne la question du caractère théorique, l’appelant conteste l’affirmation de la défenderesse selon laquelle le service téléphonique a continué d’être fourni en isolement en présence de deux agents, et que l’unité d’isolement de l’ECB ne peut plus faire l’objet d’un rajustement opérationnel en vertu duquel un seul agent serait affecté au quart de soir, ce qui rendrait la question en litige purement théorique. Même si l’appelant ne prétend pas que tel n’est pas le cas d’un point de vue factuel, il explique que cette situation prévaut seulement à cause de l’instruction émise par l’agent de SST Jenkins après que Mme Leeman eut refusé de travailler, ladite instruction étant contestée dans le cadre du présent appel, et non pas à cause d’une modification apportée à une politique ou des normes et qui aurait été effectuée ou acceptée par l’appelant, soit l’employeur. Si l’appelant avait agi autrement, il aurait enfreint les modalités de l’instruction, et donc le Code. L’appelant insiste pour dire que la preuve démontre que [traduction] « si l’on fait abstraction » de l’instruction de l’agent de SST Jenkins, l’unité d’isolement de l’ECB pourrait faire l’objet d’un rajustement opérationnel en vertu duquel un seul agent y serait affecté.

[82] Ce témoignage consiste en ce qui suit :

  • À l’époque du refus de travailler et de l’audience sur la présente affaire, l’unité d’isolement de l’ECB était toujours une unité d’isolement d’établissement à sécurité moyenne étant donné que l’unité à sécurité maximale du nouvel ECB regroupé n’avait pas encore ouvert ses portes. Par conséquent, les normes de déploiement locales de l’ECB n’avaient pas encore changé. Ces normes prévoyaient l’affectation d’un CO-2 et d’un agent multifonctionnel à l’unité d’isolement durant le quart de soir. Conformément à la directive du commissaire 004 figurant à l’annexe B, dans les unités à sécurité moyenne comme celle de l’ECB, [traduction] « une fois que le repas a été servi et que les détenus nettoyeurs ont complété leurs tâches, tous les détenus sont confinés à leurs cellules. L’agent qui reste dans l’unité d’isolement sera responsable d’effectuer les tâches comme les patrouilles afin d’assurer le bien-être des détenus et de donner accès au téléphone mobile si les appels téléphonique des détenus n’ont pas été complétés. » C’est grâce au plan de rajustement opérationnel de l’ECB qui était en vigueur à l’époque du refus de travailler et à cette audience que le rajustement opérationnel de l’agent multifonctionnel affecté au quart de soir a pu être effectué.
  • Avec l’ouverture de la nouvelle unité à sécurité maximale qui faisait partie du nouvel ECB regroupé et même si l’unité d’isolement était par conséquent considérée comme une unité à sécurité maximale, les agents travaillant seuls pourraient toujours encore être tenus de fournir le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus lorsque la population de l’unité d’isolement de l’ECB compterait moins de vingt détenus. Même si les nouvelles normes de déploiement locales, ou celles qui sont prévues, sont en train d’être adoptées dans la foulée de ce regroupement, la DC-004 permettrait encore à la direction de faire le rajustement opérationnel des agents affectés à l’unité d’isolement, selon le nombre de cellules occupées. Tel qu’il est indiqué à l’annexe B de la DC-004, les unités d’isolement peuvent être dotées d’un agent durant le quart de soir, peu importe leur cote de sécurité. Les unités d’isolement à sécurité maximale comptant moins de vingt cellules occupées peuvent faire l’objet d’un rajustement opérationnel qui mènera à l’affectation d’un seul agent, et les unités à sécurité moyenne comptant moins de soixante cellules de ce genre pourront aussi faire l’objet du même rajustement opérationnel. Bref, selon les circonstances, les agents multifonctionnels affectés à des unités d’isolement tant à sécurité maximale qu’à sécurité moyenne peuvent être redéployés après le repas lors du quart de soir, et l’agent qui reste dans l’unité d’isolement est censé [traduction] « assurer le bien-être des détenus et donner accès au téléphone mobile. »

[83] Compte tenu de ce qui précède, l’appelant affirme que la preuve est claire puisque dans l’éventualité où l’agent de SST Jenkins n’avait pas émis d’instruction le 6 juin 2012, l’unité d’isolement de l’ECB pourrait faire l’objet d’un rajustement opérationnel aux termes duquel un seul agent serait affecté au quart de soir, et il incomberait à cet agent d’accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus. Il subsiste donc un litige actuel entre les parties, ce qui implique que le premier paramètre du critère établi par la Cour suprême du Canada dans Borowski, l’arrêt de principe sur la question du caractère théorique, ne peut être satisfait et l’affaire doit être jugée sur le fond.

[84] Pour ce qui est de l’examen de l’affaire en cause sur le fond, l’appelant souscrit, de façon générale, à l’affirmation de la défenderesse voulant que la présence de deux agents permette de réagir plus rapidement à un poste ou dans une rangée. Cela dit, l’appelant considère que le « temps de réaction » ne représente pas un facteur lorsqu’on veut déterminer si un « danger » existe au sens du Code. Selon l’appelant, c’est le critère à quatre volets énoncé par la Cour fédérale dans Pollard qui doit être appliqué à cette fin.

[85] En ce qui concerne l’analyse du risque effectuée par la défenderesse pour démontrer qu’un risque existe lorsque le privilège d’utiliser le téléphone est accordé à des détenus en isolement par un agent travaillant seul, l’appelant réplique que cette analyse est pleine d’erreurs et quant à la principale affirmation faite par la défenderesse voulant qu’il suffise de baisser le regard pour que le détenu ait le temps — depuis l’arrière de la cellule où on lui a ordonné de rester afin de permettre à l’agent travaillant seul d’ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas — de revenir sur ses pas afin, essentiellement, d’agresser cet agent, l’appelant note d’abord que dans un milieu correctionnel devant être considéré comme volatile et imprévisible, un détenu peut décider à tout moment de désobéir à l’ordre de demeurer à l’arrière de la cellule et que cela pourrait lui valoir la perte du privilège d’utiliser le téléphone.

[86] Quant à la véritable séquence de mouvements, telle que décrite par la défenderesse, qui doit être suivie pour octroyer le privilège d’utiliser le téléphone à un détenu, l’appelant estime qu’elle ne présente aucun risque et il fournit les explications suivantes à ce sujet :

  • [traduction] « lorsque vous baissez le regard pour insérer et tourner la clef », « désengager le cadenas » : la petite portière servant au passage des plateaux-repas demeure fermée et verrouillée jusqu’à ce que l’agent insère et tourne la clef, et qu’il ouvre cette petite portière. Par conséquent, même si un détenu revenait à l’avant de la cellule alors que l’agent baisse temporairement ses yeux pendant qu’il insère et tourne la clef dans le verrou ou, s’il y a lieu, qu’il retire le cadenas, il n’y aurait pas de risque de contact avec l’agent puisque la petite portière reste fermée. Si une telle situation se produit, l’agent n’ouvrirait tout simplement pas cette petite portière, il la verrouillerait à nouveau, le privilège d’utiliser le téléphone serait annulé et le gestionnaire correctionnel en serait informé.
  • [traduction] « déplacer le chariot à téléphones à l’endroit voulu » : lorsqu’on déplace le chariot à téléphones à l’endroit voulu, la petite portière servant au passage des plateaux-repas a déjà été ouverte. Lorsqu’il déplace le chariot à téléphones, l’agent n’est pas assez proche de cette portière pour qu’il puisse y avoir un contact direct entre lui et le détenu. De plus, l’agent doit toujours se trouver derrière le chariot à téléphones lorsqu’il pousse celui-ci jusqu’à l’endroit voulu, ce qui l’empêchera de se faire agripper par un détenu qui étirerait le bras vers lui. Si le détenu ne se conforme pas à l’ordre de demeurer à l’arrière de la cellule, il perdra le privilège d’utiliser le téléphone et le gestionnaire correctionnel en sera informé.
  • [traduction] « faire glisser la petite portière servant au passage des plateaux-repas pour l’ouvrir » : l’agent doit accomplir ce geste en gardant le détenu à vue et la fenêtre des cellules d’isolement est longue et le bas de cette fenêtre se trouve à une hauteur telle qu’il est possible pour tous les agents de regarder à travers ladite fenêtre, peu importe leur taille, et cela contredit donc l’affirmation de Mme Leeman voulant qu’elle ne puisse pas regarder par cette fenêtre en raison de sa taille. En gardant le détenu à vue, l’agent peut agir sur-le-champ et il peut refermer la portière et prévenir tout contact avec le détenu.

[87] L’appelant mentionne que la défenderesse a mal décrit le risque en cause lorsqu’elle a affirmé que la question qui se pose est celle de savoir s’il y a risque de contact lorsque la petite portière servant au passage des plateaux-repas est ouverte. L’appelant prétend que la vraie question à trancher est celle de savoir si un danger existe lorsqu’un agent travaillant seul accorde le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement, et il se trouve ici à citer, pour l’essentiel, ce que l’agent de SST Jenkins indique dans son instruction, à savoir que [traduction] « l’employeur a omis de prendre des mesures suffisantes pour protéger des employés travaillant seul lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus dans l’unité d’isolement », ce qui revient à dire que l’appelant étend la notion de contact direct entre un agent et un détenu au seul cas d’un agent travaillant seul au moment où il accorde le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus. À cet égard, l’appelant estime que la preuve révèle que lorsqu’un agent travaillant seul dans l’unité d’isolement de l’ECB suit la bonne procédure pour accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus, y compris en ce qui a trait à l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas, il n’y a aucun risque.

[88] Enfin, l’appelant nie que Mme Leeman soit parvenue à établir plusieurs éléments lors de son témoignage. À cet égard, l’appelant considère que la défenderesse n’a présenté aucune preuve relative au risque en cause, puisque si les bonnes procédures sont appliquées, il n’y a aucun risque de contact direct avec des détenus. De plus, contrairement à ce qu’a affirmé la défenderesse, la preuve veut que le comité de la santé et la sécurité au travail n’ait jamais cité de problèmes relativement au rajustement opérationnel en isolement et, de plus, la preuve présentée par l’appelant permet d’établir clairement que des rajustements opérationnels ont été effectués à plusieurs reprises dans l’unité d’isolement durant le quart de soir et que lorsque cela s’est produit, le gestionnaire correctionnel ou un autre agent pouvait, s’il était disponible, fournir de l’aide à l’agent qui distribuait les téléphones; si cela n’était pas possible, l’agent en poste était effectivement censé agir seul à cette fin.

[89] L’appelant est d’avis que la formation donnée à tous les agents leur permet d’apprendre, entre autres, à assurer leur propre sécurité en tout temps, à utiliser tous les moyens se trouvant à leur disposition, conformément à ce qui leur est enseigné dans le cadre du recyclage sur l’arrestation et la maîtrise, et sur la sécurité personnelle. L’appelant reconnaît que des agents en isolement se sont déjà fait agresser par des détenus, mais il souligne que, tel qu’il a été révélé par la preuve, cela s’est produit seulement pendant la distribution des repas et non pas pendant la distribution des téléphones, cette distinction s’expliquant par l’un des éléments traités dans les observations principales de l’appelant. De façon globale, l’appelant avance que si un agent invoque un « danger » pour justifier son refus de travailler, il ne lui appartient pas d’analyser la question de savoir si un risque est effectivement présent, cette tâche revenant plutôt à l’agent de SST et, éventuellement, à l’agent d’appel.

[90] En dernier lieu, l’appelant rejette l’allégation de la défenderesse voulant que ledit appelant ait peu coopéré quand est venu le moment de produire des documents ou de fournir des preuves relatives aux anciennes pratiques locales, et il précise plutôt à cet égard que son témoin (Stacey) avait expliqué en détail qu’elle avait mentionné aux agents qu’ils pouvaient demander de l’aide aux fins de l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone lorsqu’ils travaillent seul en isolement, et que des agents ou des gestionnaires correctionnels leur fourniraient cette aide, s’ils sont disponibles. L’appelant remet aussi en question la pertinence du document admis en preuve à titre de pièce A-6, lequel révèle que trois agents devaient être affectés au quart de soir dans l’unité d’isolement de l’ECB, et il a précisé que le témoignage relatif à cette pièce (Velichka) a permis de déterminer clairement que cette norme n’était pas encore en vigueur étant donné que ce document avait été établi [traduction] « pour le futur » et qu’il se rapportait donc aux normes de dotation en personnel de l’ECB qui allaient probablement être mises en œuvre à une date future inconnue lorsque l’unité à sécurité maximale de l’ECB ouvrirait finalement ses portes. À cet égard, l’appelant précise que le soussigné se devait de tenir compte des activités qui avaient cours à l’époque du refus de travailler et de celles que l’on poursuivait à l’ECB à l’époque de l’audience, et non pas de celles qui auront cours à une date future inconnue.

Analyse

[91] Comme déclaré au départ, le présent appel vise une instruction émise par l’agent de SST Jenkins aux termes de l’alinéa 145(2) a) du Code après qu’il eut conclu qu’un danger existait pour une employée ayant refusé de travailler relativement à une tâche qu’elle était tenue d’accomplir dans son lieu de travail. Le paragraphe 146(1) du Code prévoit qu’un employeur, un employé ou un syndicat, donc, ici, un employeur, qui se sent lésé par une instruction peut interjeter appel de celle-ci auprès d’un agent d’appel, et tel qu’il a été mentionné plus haut, cela a été fait de manière appropriée en l’espèce, conformément aux exigences découlant de la loi.

[92] Dans le contexte, particulièrement du présent cas, cela étant dit en raison des questions soulevées aux présentes par les deux parties, le paragraphe 146(2) du Code revêt une grande importance dans la mesure où il y est clairement prévu que le simple fait d’interjeter appel « n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions », ce qui signifie qu’en l’absence d’une telle ordonnance de suspension, une instruction visée par un appel, doit, aux termes de la loi, être mise en application jusqu’à ce que l’appel ait finalement été tranché par un agent d’appel.

[93] En l’espèce, la partie assujettie à l’instruction, soit l’employeur ayant interjeté appel, n’a pas jugé bon de demander la suspension de cette instruction et on doit donc présumer, et aucune partie n’a soutenu le contraire, que l’instruction de l’agent de SST Jenkins qui sommait l’employeur, à toutes fins utiles, de cesser d’exiger que le privilège d’utiliser le téléphone dans l’unité d’isolement de l’ECB soit octroyé par un agent travaillant seul, particulièrement lors du quart de soir en ce qui concerne l’employée ayant refusé de travailler, que cette instruction, donc, a été respectée et qu’on a continué de la mettre en œuvre jusqu’à ce que la présente décision ait été rendue, le tout en tenant pour acquis que les circonstances ayant pu prévaloir à l’époque du refus de travailler et de l’audience demeurent les mêmes.

[94] En d’autres mots, lorsque, dans l’intervalle entre l’émission de l’instruction de l’agent de SST et, d’autre part, la tenue de l’audience et l’établissement d’une décision par le soussigné, l’appelant a cessé d’exiger que le privilège d’utiliser le téléphone soit octroyé par un agent travaillant seul durant le quart de soir, c’était parce qu’un agent de santé et de sécurité l’avait ordonné et non pas parce qu’il avait exercé son pouvoir de gestion à cette fin, et la mise en œuvre de cette ordonnance était obligatoire en vertu de la loi, sauf si elle avait été suspendue. Donc, de facto, le privilège d’utiliser le téléphone n’a pas été et continue de ne pas être octroyé, dans l’unité d’isolement de l’ECB lors du quart de soir, par un agent travaillant seul et ne pouvant profiter de la présence d’un autre agent agissant comme observateur.

[95] Avant d’aller plus loin, il faut clarifier une question liée à la définition du problème en cause, étant donné que les parties ne semblent pas s’entendre complètement à ce sujet. L’instruction, telle que formulée par l’agent de SST Jenkins, traite d’[traduction] « une tâche (qui) constitue un danger » et, plus précisément, [traduction] « des mesures [requises] pour protéger les employés travaillant seuls lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus dans l’unité d’isolement. » Dans l’ensemble du rapport d’enquête de l’agent de SST et pendant toute l’audience tenue par le soussigné et aussi dans les observations des parties, la description générale que l’on fait de ce qui constitue un « danger » lié au fait de travailler seul dans l’unité d’isolement lorsqu’on accorde le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus, se résume au risque de contact direct avec un détenu pendant l’exécution de cette tâche, ledit contact étant en partie lié à l’exposition à des fluides corporels et/ou des dangers biologiques, comme cela semble ressortir du rapport d’enquête de l’agent de SST Jenkins dans lequel il accorde une grande importante à l’analyse du risque professionnel et à la différence entre les cotes pondérées selon la probabilité qui ont été établies pour l’exposition à de telles substances dans le contexte de la livraison de nourriture aux détenus et de l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone.

[96] L’appelant a soutenu que le soussigné, lorsqu’il déterminera s’il existe un danger, devrait tenir compte de l’ensemble de la situation d’un agent travaillant seul dans l’unité d’isolement et ayant comme tâche d’accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus, ce qui le ramènera à la question de savoir s’il y a risque de contact direct entre un agent travaillant seul et un détenu lors du processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone, ce qui implique que le fait que la petite portière servant au passage des plateaux-repas est « ouverte » ne représente qu’une partie ou un élément de la situation examinée, par opposition à la définition plus précise énoncée par la défenderesse, à savoir qu’il existe un risque, qui est le risque de contact direct avec un détenu, seulement « lorsque la petite portière servant au passage des plateaux-repas est ouverte » aux fins de l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone.

[97] À cet égard, il faut noter qu’il est évident, tel qu’il a été démontré par la preuve et assurément confirmé par le soussigné lorsqu’il a parcouru du regard l’unité d’isolement de l’ECB et qu’il a observé l’employée ayant refusé de travailler pendant qu’elle faisait la démonstration du processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone en présence de plusieurs témoins qui représentaient les deux parties, que celles-ci sont d’accord pour dire qu’il n’y a aucun contact direct entre les détenus et les agents, y compris les agents travaillant seuls dans l’unité d’isolement durant le quart de soir lorsque les détenus sont confinés à leur cellule.

[98] À cet égard, je considère que le mot « verrouillée » signifie, tel que le soussigné en a été témoin, que la porte de la cellule est fermée et verrouillée, que la petite portière servant au passage des plateaux-repas est elle aussi fermée et verrouillée, et que l’ouverture (fenêtre) dans la porte de chacune des cellules, qui permet à l’agent en poste de regarder à l’intérieur de la cellule, est protégée par une glace, de sorte qu’il n’y a aucun contact possible. En même temps, on ne peut faire abstraction du fait que la seule tâche mentionnée par l’employée ayant refusé de travailler, Mme Leeman, et qui a été prise en considération par l’agent de SST Jenkins dans le cadre de son enquête et aussi du présent appel, est l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone aux détenus de l’unité d’isolement, ce qui soulève inévitablement la question de savoir comment cette tâche est accomplie, la seule réponse possible étant, tel que l’a établi l’agent de SST Jenkins, comme l’ont affirmé les parties et que l’a confirmé le soussigné lorsqu’il a observé l’unité d’isolement de l’ECB et la procédure suivie par les AC pour exécuter ladite tâche, donc, que l’on accomplit cette tâche en passant par la petite portière servant au passage des plateaux-repas et, plus précisément, par l’ouverture de cette portière.

[99] Même si j’estime que les différences entre les descriptions du risque potentiel fournies par les parties relèvent plus ou moins de la sémantique, le fait demeure que la preuve a révélé et que les deux parties ont soutenu et reconnu qu’en plus de la petite portière « ouverte », il existe un processus ou une procédure que doit suivre l’agent lorsqu’il ouvre cette portière dans le but d’accorder le privilège d’utiliser le téléphone à un détenu et à mon avis, les étapes à suivre pour ouvrir ladite portière et son état d’« ouverture » sont indissociables.

[100] Au regard de ce qui précède, il est important de noter, toutefois, que ce n’est pas seulement le processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone à des détenus en isolement à l’ECB, y compris le moment pendant lequel la petite portière servant au passage des plateaux-repas est ouverte ou est en train d’être ouverte, le risque d’exposition à des dangers biologiques pouvant donc exister à ce moment-là, qui a été déclaré ou confirmé en tant que risque constituant un danger, mais plutôt le fait que cette tâche est accomplie et que cette situation se produit lorsqu’il y a un seul agent d’affecté à l’unité d’isolement durant le quart de soir. Il suffit de lire la déclaration de refus de Mme Leeman ([traduction] « J’estime que ma sécurité pourrait être compromise par l’ouverture de la petite portière servant au passage des plateaux-repas dans l’unité d’isolement lorsque seulement un agent est présent (rajustement opérationnel) »), ou la description que fait l’agent de SST Jenkins, dans son instruction, de l’activité qui constitue un danger pour en arriver à la conclusion, lorsqu’on examine la question en appel, qu’on ne peut pas dissocier le processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone et l’exposition qui découle à un certain moment du fait d’ouvrir la petite portière servant au passage des plateaux-repas, du fait que cette situation se produit lorsqu’un agent travaille seul dans l’unité.

[101] Cela se rapporte entièrement à la question qui doit être examinée et à cet égard, il faut aussi reconnaître que ni l’employée ayant refusé de travailler ni l’agent de SST ni non plus les parties (dans leurs observations) n’ont affirmé que le même processus pourrait présenter un danger lorsqu’un agent ne travaille pas seul, même si les parties ont une conception différente du rôle que doit jouer le deuxième agent, l’appelant le voyant essentiellement comme un rôle de simple observateur se tenant à une certaine distance alors que la défenderesse semble croire que cet observateur devrait se placer tout près de l’agent qui assure l’accès au téléphone.

[102] Cela dit, des témoignages faits à l’audience, des preuves photographiques relatives à l’unité d’isolement, aux portes de cellules et aux chariots à téléphones, ainsi que la propre perception qu’a le soussigné depuis qu’il a observé le processus d’octroi du privilège d’utiliser le téléphone semblent révéler que si un deuxième agent était présent durant cette opération ou qu’il y participait, il le ferait seulement, pour ce qui est de garder le détenu à vue, en tant qu’observateur se tenant près du premier agent et plus ou moins loin de la porte et de la fenêtre de la cellule en raison de l’emplacement de la petite portière servant au passage des plateaux-repas et de la fenêtre, et aussi de la présence du premier agent occupé à ouvrir cette portière, et compte tenu, également, de la taille, de la configuration et de l’endroit où il faut placer le chariot à téléphones, ce qui impliquerait, selon moi, qu’on ne verrait pas complètement l’intérieur de la cellule d’isolement. Tout autre rôle que remplirait cet agent adjoint ou deuxième agent ne consisterait qu’en une intervention [traduction] « effectuée après coup », par opposition à une participation au processus de prévention des incidents.

[103] Cela étant dit, la défenderesse a d’abord soutenu que la présente affaire ou, plus précisément, la question de savoir si le privilège d’utiliser le téléphone, tel qu’accordé en isolement par un agent travaillant seul lors du quart de soir, constitue un danger est devenue purement théorique à cause des événements survenus entre le refus de travailler et l’audience d’appel, et que par conséquent, et si j’en arrive à cette conclusion, que l’affaire devrait être jugée sans que l’on examine son bien-fondé, auquel cas il est évident que l’on devrait permettre que le constat de danger et l’instruction de l’agent de SST Jenkins soient confirmés. Les arguments présentés par les deux parties ont été rapportés dans le résumé de leurs observations plus haut et il n’est donc pas nécessaire, à mon avis, de reformuler intégralement les divers points de vue exprimés par les parties sur cette question.

[104] Il suffit de dire que la position de la défenderesse sur cette question peut être résumée en affirmant qu’elle est liée à la situation en cause. Ce que j’entends par là, c’est que la défenderesse invoque les conséquences qu’a eues l’instruction de l’agent de SST Jenkins sur la dotation en personnel de l’unité d’isolement pour le quart de soir et sur l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone, ce processus de dotation étant, toujours selon la défenderesse, le processus utilisé au niveau local, étant donné que les plans de dotation en personnel et de rajustement opérationnel locaux qui étaient appliqués à l’époque de refus différaient de ceux qui avaient été adoptés après la fermeture du pénitencier de Kingston et après que le directeur de l’ECB eut décidé que l’unité d’isolement fonctionnerait en tant qu’unité à sécurité maximale (cinq agents le jour et trois le soir), cela étant imputable à la modification des niveaux de dotation en personnel pour le quart de soir dans l’unité d’isolement, qui a été annoncée en octobre 2013 et qui était censée refléter les niveaux correspondants « futurs » ou projetés qui s’appliqueraient lorsque l’ECB serait entièrement fonctionnel en tant qu’établissement regroupé (niveaux de sécurité minimal, moyen et maximal), cette modification ayant fait en sorte qu’il a ensuite fallu que l’unité d’isolement soit toujours dotée de trois agents durant le quart de soir (ce qui permettait de procéder au rajustement opérationnel de l’agent multifonctionnel).

[105] Globalement et en plus de la norme de dotation en personnel qui était appliquée avant que Mme Stacey ne décide d’adhérer aux normes de déploiement nationales prévues dans la DC-004, la défenderesse soutient qu’au moins d’un point de vue factuel, c’est-à-dire, de facto, entre l’époque du refus de travailler et l’époque de l’audience d’appel et, par extension, de la présente décision, les événements survenus dans l’intervalle, tels que le reclassement de l’ECB, l’annonce, en octobre 2013, de la modification des niveaux de dotation en personnel en isolement qui devait aussi constituer le cadre de travail pour l’établissement des « futurs » niveaux de dotation en personnel de l’ECB regroupé et la création d’une norme prévoyant l’affectation régulière de trois agents à l’unité d’isolement durant le quart de soir, on a cessé de voir des agents travaillant seuls en isolement lorsqu’ils accordent le privilège d’utiliser le téléphone et, de fait, cela ne se reproduira plus à compter du moment où les trois unités de l’ECB regroupé deviendront fonctionnelles, ce qui aura forcément une incidence sur le classement et la dotation en personnel de l’unité d’isolement.

[106] En tant que tel, il n’existe plus, pour la défenderesse, de différend concret et tangible, et il n’est plus nécessaire de prendre des mesures correctives; le différend est devenu purement théorique depuis que toute situation future qui engendrerait le même problème serait réglée selon les normes de déploiement qui seraient en vigueur à ce moment-là, c’est-à-dire des normes de déploiement qui devraient tenir compte du nouveau profil local de l’établissement.

[107] En revanche, pour ce qui est de l’existence continue d’un litige actuel, l’appelant a décidé de fonder ses arguments sur les normes de déploiement nationales non modifiées de nature générique ou officielle ainsi que sur les normes de déploiement et le plan de rajustement locaux et génériques de l’ECB tant à l’époque du refus de travailler et de l’émission de l’instruction qu’à l’époque de l’audience d’appel. Cela revient à accorder peu de poids à la décision rendue par le directeur de l’ECB en octobre 2013 aux termes de laquelle l’unité d’isolement à l’ECB devait être considérée et gérée comme une unité à sécurité maximale qui allait donc, sur le plan de la dotation en personnel, recourir aux services des AC qui étaient devenus disponibles dans la foulée de la fermeture du pénitencier de Kingston, sous réserve de l’ouverture de la nouvelle unité à sécurité maximale de l’ECB nouvellement désigné comme établissement regroupé, lequel, si l’on s’en fit aux témoignages faits à l’audience, devrait être fonctionnel lorsque la présente décision sera rendue.

[108] Bref, l’appelant maintient que nonobstant l’instruction de l’agent de SST Jenkins, le cadre juridique [traduction] « officiel » qui était utilisé à l’époque du refus de travailler n’avait pas changé à l’époque de l’audience d’appel, cela renvoyant tant aux normes de déploiement nationales qu’aux normes de déploiement locales applicables à l’ECB, et du coup, un agent travaillait seul pouvait assurer l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone en isolement si l’on avait procédé au rajustement opérationnel de l’agent multifonctionnel en poste dans le cas d’une unité d’isolement classée comme unité à sécurité moyenne, ce qui était le cas de l’unité d’isolement de l’ECT à l’époque du refus et, par la suite, à l’époque de l’audience d’appel.

[109] De plus, et cela confère de la crédibilité à la preuve présentée à l’audience voulant que si l’ECB eut été nouvellement désigné comme établissement regroupé et qu’en raison du fait que l’ouverture et l’entrée en fonction de la nouvelle unité à sécurité maximale qui faisait partie de cet établissement regroupé devaient, si l’on s’en fie aux témoignages admis en preuve, survenir tout juste quelques semaines après la date de l’audience sur la présente affaire et donc, présumerait-on et de manière implicite, avant que la présente décision n’ait été rendue, l’unité d’isolement de l’ECB serait devenue une unité à sécurité maximale, l’appelant a soutenu que nonobstant les « nouvelles » normes de déploiement locales de l’ECB dont on pouvait prévoir qu’elles allaient être adoptées (même si elles ne l’avaient pas été officiellement à l’époque de l’audience) dans la foulée des changements de désignation et de classement, la directive du commissaire 004, en tant que cadre de travail générique applicable à tous les établissements et constituant le point de départ des normes de déploiement locales qui pourraient être élaborées, permettrait quand même à la direction de décider de procéder à un rajustement opérationnel des agents affectés à l’unité d’isolement durant le quart de soir.

[110] Cela dépendrait toutefois du nombre de cellules occupées à tout moment, ce nombre s’élevant à moins de 20 dans le cas des unités d’isolement à sécurité maximale (ce qui laisserait deux agents en poste) et à moins de 60 dans le cas des unités à sécurité moyenne unités (un agent en poste). La preuve a permis d’établir qu’avec l’ajout des cellules qui faisaient partie de l’unité anciennement connue sous le nom d’unité de transition, l’unité d’isolement de l’ECB comporte maintenant 43 cellules. Même si aucune preuve n’a été fournie relativement au taux d’occupation moyen de l’unité d’isolement de l’ECT ou de toute autre unité d’isolement de tout établissement carcéral de toute catégorie, compte tenu de la surpopulation généralement publicisée de ces établissements, dont je peux par ailleurs prendre note, je suis à l’aise, donc, pour avancer qu’il est probablement rare voire impossible que l’on observe des taux d’occupation comme ceux cités plus haut.

[111] La position de l’appelant sur le caractère théorique veut donc que le pouvoir de faire un rajustement opérationnel au sein de l’unité d’isolement de manière à ce qu’elle soit dotée d’un seul agent existe depuis toujours et continue d’exister en vertu des normes nationales de déploiement et que, si l’agent de SST Jenkins n’avait pas émis d’instruction, l’unité d’isolement de l’ECB pourrait faire l’objet d’un rajustement opérationnel à l’issue duquel elle serait dotée d’un seul agent durant le quart de soir, l’instruction précitée ayant été émise alors que l’unité d’isolement et l’établissement étaient encore désignés comme unité et établissement à sécurité moyenne. Par conséquent, l’appelant considère qu’un litige actuel subsiste entre les parties et qu’à ce titre, l’affaire n’est pas purement théorique et le soussigné doit donc la juger sur le fond.

[112] Dans Borowski, qui demeure l’arrêt de principe sur la doctrine du caractère théorique, la Cour suprême du Canada a déterminé ce qui suit :

[…] Le principe général s’applique quand la décision du tribunal [ou de l’agent d’appel, dans le présent cas] n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. [...]

[113] Lorsque j’applique les conclusions de la Cour aux faits et aux circonstances liées au présent cas et à la question fondamentale qu’il soulève, qui est celle de savoir s’il est (était) dangereux pour l’employée ayant refusé de travailler, Mme Leeman, de travailler seule en tant qu’agente lorsqu’elle accordait le privilège d’utiliser le téléphone à détenus dans l’unité d’isolement de l’ECB, je ne peux éviter de prendre en considération plusieurs faits. Premièrement, avant les événements ayant entraîné le refus, il existait apparemment une pratique locale qui consistait à affecter un deuxième agent au quart de soir aux fins de l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone.

[114] Deuxièmement, depuis octobre 2013, l’unité d’isolement de l’ECB fonctionne comme unité à sécurité maximale, du moins en pratique, sinon officiellement, même si le reclassement n’a peut-être pas été officialisé à l’époque. Troisièmement, vers l’époque de l’audience, on avait modifié, ou on était sur le point de le faire, le statut, le classement et la structure de l’ECB (et, par conséquent, de son unité d’isolement), qui est maintenant un établissement regroupé au sein duquel l’unité serait classée comme unité à sécurité maximale. Quatrièmement, dans le cas de Mme Leeman, l’instruction de l’agent de SST Jenkins aurait pour effet de garantir que l’octroi du privilège d’utiliser le téléphone durant le quart de soir ne serait pas assuré par un agent travaillant seul, et la mise en œuvre de cette instruction aurait été obligatoire aux termes du Code jusqu’à au moins l’époque de la présente décision et elle aurait permis d’assurer une transition entre la nouvelle situation de l’ECB et les normes de déploiement locales prévues qui étaient censées, si l’on s’en fie au témoignage des propres témoins de l’appelant, correspondre aux directives que le directeur avait déjà données en octobre 2013 afin de gérer le [traduction] « surplus » d’agents qui étaient disponibles depuis la fermeture du pénitencier de Kingston, mais qui seraient affectés à la nouvelle unité à sécurité maximale de l’établissement regroupé et à la seule unité d’isolement à sécurité maximale de l’Établissement.

[115] Cela dit, on est porté à conclure que depuis l’émission de l’instruction ayant fait suite à son refus de travailler jusqu’à l’époque de la présente décision et, si l’on admet ce qui a été décrit à l’audience comme étant les niveaux de dotation en personnel projetés, mais non officialisés à l’époque, en ce qui concerne le quart de soir de l’unité d’isolement classé comme unité à sécurité maximale de l’ECB regroupé, Mme Leeman ne s’est pas retrouvée et ne se retrouvera peut-être pas dans l’obligation d’accorder le privilège d’utiliser le téléphone à des détenus durant le quart de soir alors qu’elle travaille seule. Et cinquièmement, la possibilité apparente de déroger à des normes de déploiement nationales génériques en élaborant des normes et des pratiques de déploiement adaptées à la situation locale, tel qu’il est démontré par la décision rendue par le directeur en octobre 2013.

[116] Quoi qu’il en soit, lorsque l’appelant a contesté la position de la défenderesse, il n’a pas tenu compte, à mon avis, du fonctionnement et de la dotation en personnel, qui ne sont cependant pas entièrement conformes à la DC-004, de l’unité d’isolement et il a seulement ébauché divers scénarios en ce qui concerne l’occupation de l’unité, lesquels scénarios, en l’absence de toute preuve factuelle corroborante, ont peu de chances de se réaliser, selon moi. J’en conclus donc qu’il ne subsiste pas vraiment de litige actuel ni de différend réel entre les parties relativement aux circonstances liées au présent cas et par conséquent, et tenant compte du fait que la présente affaire découle de l’exercice d’un droit qui est accordé aux employés en vertu du Code, j’estime que le présent appel est purement théorique.

[117] Après en être arrivé à la conclusion que l’appel est purement théorique, je dois maintenant trancher, en appliquant la deuxième phase de l’analyse présentée par la Cour suprême dans Borowski, la question de savoir si je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de juger le bien-fondé du cas malgré l’absence d’un litige actuel. Si l’on veut agir ainsi, il faut noter que la Cour a indiqué qu’il est possible de déterminer s’il y a lieu d’exercer un tel pouvoir discrétionnaire en tenant compte des fondements de la doctrine du caractère théorique, à savoir l’existence d’un contexte contradictoire, le principe de l’économie des ressources judiciaires et la nécessité d’être sensible à l’efficacité de l’intervention « judiciaire » et par conséquent, je dois déterminer de façon globale s’il subsiste une question en litige qui mérite d’être examinée. À cette fin, je dois tenir compte du fait que si j’envisage la possibilité que l’appel est purement théorique, je devrai prendre en considération la situation telle qu’elle existait jusqu’au moment où la décision a été rendue et même par la suite dans le contexte de certaines circonstances, alors que l’examen du bien-fondé de l’appel, qui se rapporte à la question de savoir si, comme dans le présent cas, il y avait un « danger » au sens du le Code, doit s’appuyer sur les faits et les circonstances qui avaient cours à l’époque du refus de travailler et sur les conclusions tirées par l’agent de santé et de sécurité.

[118] De plus, il ne faut pas oublier que le droit de refuser d’accomplir un travail dangereux est un droit individuel prescrit au paragraphe 128(1) du Code, qui doit donc être jugé en fonction des faits, des circonstances et, par conséquent, de la preuve qui vise et concerne expressément un employé ayant refusé de travailler, la décision sur le bien-fondé de l’appel devant être elle aussi fondée sur ces éléments.

[119] À cet égard, le présent cas concerne un refus de travailler exercé par Mme Leeman le 31 mai 2012 et une instruction subséquente émise par l’agent de SST Jenkins le 6 juin 2012 à l’issue de son enquête, soit plus de trois ans avant la présente décision. Dans l’intervalle, la preuve accumulée à l’audience d’appel a révélé que les circonstances liées à la question en litige qui prévalaient à l’époque du refus n’existent plus ou ont suffisamment changé pour que l’on soit justifié de conclure que la situation qui existait à l’époque du refus n’est plus la même. L’examen du bien-fondé de l’appel porterait donc sur une situation qui n’existe plus ou qui a changé au point de ne plus être la même actuellement. Tel étant le cas, cette décision sur le fond aurait peu d’implications pour l’employée ayant refusé de travailler, puisque la preuve a révélé que la situation d’emploi actuelle de cette employée diffère de celle qui existait à l’époque du refus.

[120] De plus, même si une décision sur le bien-fondé du présent appel pouvait présenter un certain intérêt relativement à d’autres cas semblables, s’il en est, comme cette décision devrait tenir compte des circonstances propres au présent cas, elle serait, selon moi, d’une utilité négligeable pour juger d’autres cas potentiels qui devraient être examinés dans le contexte des circonstances et faits s’y rapportant. Bref, je considère qu’il ne serait guère utile d’entreprendre l’examen du bien-fondé du présent cas et même si je statuais que le présent appel est purement théorique ou que j’en arrivais à la présente conclusion, cela n’aurait pas pour effet d’empêcher que les questions que pourrait soulever le présent cas soient examinées relativement à d’autres affaires assorties de circonstances qui justifieraient cet examen. Par conséquent, j’ai décidé ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de juger le présent appel sur le fond.

Décision

[121] Pour ces motifs, l’appel est rejeté en raison de son caractère théorique.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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