2015 TSSTC 20

Date : 2015-10-22
Case No.: 2012-57

Entre :

Nadine Rendina et Joseph Yu, appelants
et
Air Canada, intimée

Indexé sous : Rendina et al. c. Air Canada

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l'encontre d'une décision rendue par un agent de santé et de sécurité.

Décision : La décision d'absence de danger est annulée.

Décision rendue par : M. Peter Strahlendorf, agent d'appel

Langue de la décision : Anglais

Pour les appelants : Me James Robbins, avocat, Cavalluzzo Shilton McIntyre & Cornish LLP

For the respondent: Me Pamela Tabry, avocat, Centre Air Canada, Affaires juridiques

Référence : 2015 TSSTC 20

Motifs de décision

[1] Le présent cas concerne un appel déposé aux termes du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d'une décision rendue par l'agent de santé et de sécurité (l'agent de SST) Jacques D. Servant le 13 août 2012.

Contexte

[2] Ce qui suit est fondé sur mon examen du rapport de l'agent de SST Servant daté du 13 août 2012, lequel comprend des rapports établis par la représentante des employés, Mme Tamara DiMaddalena, et le représentant de l'employeur, M. Joe Donato.

[3] Le 10 août 2012, trois employés affectés à un aéronef d'Air Canada à l'aéroport de Winnipeg ont détecté une forte odeur à bord de l'aéronef. L'aéronef en question était un Embraer 190 qui allait effectuer le vol AC 1104 reliant Winnipeg à Montréal. Les trois employés étaient Mme Nadine Rendina, M. Joseph Yu et M. Jeffrey Guay.

[4] Le même jour, l'agent de SST Servant a reçu un avis de refus de travailler de la part de ces trois employés d'Air Canada. Il a entrepris son enquête immédiatement, par téléphone. Dans son rapport, l'agent de SST a déclaré que [traduction] « l'enquête avait été menée par téléphone avec toutes les parties. » Il a mentionné que le représentant de l'employeur et la représentante des employés ont pris part à la conversation téléphonique, mais pas les employés qui avaient exercé le refus de travailler.

[5] Le refus de travailler était lié à une forte odeur qui provenait du bloc toilettes à l'arrière de l'aéronef. Il fut déterminé que la source du problème était une fissure dans le tuyau qui reliait la toilette à la cuve de stockage des déchets de l'aéronef.

[6] Lors de la conversation téléphonique, le représentant de l'employeur, M. Donato, a expliqué que la chasse de la toilette avait été tirée deux fois et qu'une fissure avait été découverte dans le tuyau qui reliait la toilette à la cuve de stockage. Ce bloc toilettes était censé être fermé pendant le vol. Un [traduction] « dispositif d'aération », qui ne pouvait fonctionner que lorsque l'aéronef était en marche, serait alors utilisé pour expurger l'odeur de l'air pendant que l'aéronef était en vol.

[7]L'aéronef devait ensuite aller à Montréal pour y être réparé et l'employeur devait confirmer par écrit à l'agent de SST que cette réparation avait été effectuée. Une pièce requise aux fins de cette réparation n'était pas disponible à Winnipeg.

[8] Après avoir tenu compte des explications de M. Donato, l'agent de SST en est arrivé à la conclusion que l'employeur avait pris des mesures raisonnables pour régler la situation. L'agent de SSST a rendu une décision d'« absence de danger » de façon verbale. Il a communiqué sa décision par téléphone aux trois employés qui avaient refusé de travailler.

[9] Jusqu'au moment où l'agent de SST a communiqué sa décision d'« absence de danger » aux trois employés, ceux-ci n'avaient pas encore participé à l'enquête téléphonique. L'agent de SST ne les avait pas consultés directement dans le cadre de son enquête.

[10] Nadine Rendina et Joseph Yu ont interjeté appel de la décision de l'agent de SST Servant.

[11] Une téléconférence préparatoire à l'audience a eu lieu le 11 septembre 2014. J'étais l'agent d'appel attitré. Les appelants étaient représentés par Me James Robbins, avocat. L'intimée était représentée par Me Pamela Tabry, avocate.

[12] Les parties m'ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas que l'audience se poursuive et qu'elles me demandaient d'annuler la décision d'« absence de danger » pour le motif que l'agent de SST Servant n'avait pas consulté directement les employés ayant refusé de travailler dans le cadre de son enquête.

Question en litige

[13] Je devrai déterminer si la décision de l'agent de SST Servant devrait être annulée en raison du fait qu'elle a été rendue sans enquête adéquate en présence des employés ayant refusé de travailler.

Analyse

[14] Mes pouvoirs sont énoncés au paragraphe 146.1(1) du Code :

Enquête

146.1 (1) Saisi d'un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l'article 146, l'agent d'appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

  1. soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;
  2. soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu'il juge indiquées.

[15] Dans l'affaire Howard Page c. Service correctionnel du Canada, décision no CAO-07-018 (25 mai 2007), M. Howard Page, un agent correctionnel à l'Établissement de Millhaven, en avait appelé d'une décision d'« absence de danger » rendue par l'agent de SST Bob Tomlin. L'agent d'appel R. Lafrance a annulé cette décision pour le motif que l'agent de SST en cause ne s'était pas présenté dans le lieu de travail et n'avait donc pas pu rendre de décision fondée sur une enquête correctement menée.

[16] L'agent d'appel Lafrance a cité le paragraphe 129(1) du Code :

129. (1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l'agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l'employeur, de l'employé et d'un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l'employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

[17] L'agent d'appel Lafrance a jugé que le paragraphe 129(1) signifiait que dès l'instant où un agent de SST est saisi d'une demande d'enquête sur un refus de travailler, « il doit impérativement effectuer une enquête sur le refus de travailler « en présence » de l'employé et des autres personnes prévues par le Code [.]. »

[18] L'agent d'appel Lafrance s'est appuyé sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Dragseth c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] A.C.F. nº 1074, dans laquelle le juge Mahoney a indiqué que les exigences du paragraphe 129(1) sont impératives.

[19] L'agent d'appel Lafrance a donc déterminé qu'un agent de SST devait impérativement se rendre dans le lieu de travail et y effectuer son enquête en présence des personnes mentionnées au paragraphe 129(1).

[20] L'agent d'appel Lafrance a reconnu qu'il pourrait y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles il serait physiquement impossible pour un agent de SST de se conformer au paragraphe 129(1), mais de telles circonstances n'étaient pas présentes dans l'affaire qui lui était soumise.

[21] L'agent d'appel Lafrance était bien conscient du fait qu'un appel présenté à un agent d'appel constituait un appel de novo et qu'il pouvait donc recevoir d'autres éléments de preuve pour déterminer si un danger avait été présent pour l'appelant, et ce, même si l'enquête de l'agent de SST était viciée. L'agent d'appel a refusé d'aller plus loin étant donné que l'appelant n'avait pas fourni d'autres éléments de preuve à l'appui de son affirmation voulant qu'un danger existait.

[22] L'affaire Agence canadienne d'inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2015 TSSTC 1 portait sur la question d'annuler une instruction plutôt qu'une décision d'« absence de danger ». L'agent d'appel Pierre Hamel a endossé sans réserve le principe voulant qu'une entente entre les parties ne devrait pas décider des principales questions en litige présentées à un agent d'appel. Il a indiqué ce qui suit au paragraphe 26 :

[26] Comme je l'ai expliqué précédemment, le Code ne stipule pas expressément la possibilité qu'un agent d'appel annule une instruction ou mette fin à la procédure pour la seule raison que les parties ont résolu le différend qui a pu être l'élément déclencheur de l'enquête d'une agente de santé et sécurité et de la formulation d'une instruction. L'agente de santé et sécurité qui émet une instruction le fait en qualité de fonctionnaire publique investie de pouvoirs de contrainte en vertu du Code et exerce des fonctions d'intérêt public. Les mesures de contrainte de l'agente de santé et sécurité transcendent, à mon avis, les intérêts immédiats des parties touchées par de telles mesures, et c'est le Code qui prescrit la conduite des parties à la suite de l'instruction. Le Code ne donne pas le droit aux parties de convenir qu'après tout l'instruction n'est pas nécessaire ou qu'elles ne sont pas tenues de s'y conformer. (...)

[23] Même s'il s'oppose fortement à annuler une instruction en s'appuyant sur une entente entre les parties, l'agent d'appel Hamel en arrive à la conclusion que le principe de l'économie des ressources judiciaires pourrait justifier de mettre fin à la procédure lorsque les parties ne souhaitent pas aller plus loin. Il a indiqué ce qui suit au paragraphe 28 :

[28] [.], je suis conscient du principe d'économie des ressources judiciaires, quand la situation s'y prête. En fait, nous ne souhaitons pas affecter des ressources considérables à la poursuite d'une affaire si chacune des parties à qui la procédure profiterait le plus, d'une part, exprime le souhait de ne plus poursuivre les démarches et, d'autre part, consent à la cessation de la procédure et à la fermeture des dossiers de l'appel. Je crois aussi la déclaration des parties selon laquelle elles affirment avoir résolu de manière satisfaisante tous les différends liés à leur emploi et ne souhaitent plus poursuivre les démarches, ce qui rend l'objet de l'instruction quelque peu inutile. Je crois aussi que ces facteurs exceptionnels dépassent ceux de l'intérêt public, qui autrement imposerait de poursuivre les démarches visées par un appel, [.]

[24] La principale question que je dois trancher est celle de savoir si l'agent de SST a erré en rendant sa décision, de telle sorte que sa décision devrait être annulée. Plus précisément, la question qui se pose est celle de savoir si l'enquête de l'agent de SST était viciée étant donné qu'elle n'a pas été réalisée en présence des employés qui ont refusé de travailler. Si je détermine que la décision devrait être annulée, devrais-je refuser de pousser l'enquête plus loin et fermer le dossier?

[25] Pour un pays aussi vaste que le Canada, avec des lieux de travail fédéraux éparpillés d'un océan à l'autre, je ne dirais pas qu'il serait exceptionnel, dans certaines circonstances, qu'un agent de SST ne puisse être physiquement présent lors d'une enquête ou que cela ne soit absolument pas pratique pour lui. Le fait que l'employé ayant refusé de travailler puisse entendre et parler durant l'enquête est beaucoup plus important que le fait que l'agent de SST soit physiquement en présence de l'employé. Le droit de refuser d'effectuer un travail dangereux est un droit que possède l'employé, qui peut décider de l'exercer ou non. Même si le rôle du représentant de l'employé est très important dans le cas d'un refus de travailler, ce représentant ne devrait pas remplacer l'employé en cause dans le cadre du processus. Les circonstances devraient vraiment être exceptionnelles pour que l'employé ayant refusé de travailler perde la possibilité de parler à l'agent de SST effectuant l'enquête, ainsi que la possibilité d'entendre les discussions qu'il a avec d'autres personnes. Lorsqu'une enquête est réalisée par téléphone, l'employé ayant refusé de travailler devrait participer à la téléconférence. Voilà ce qu'on entend par « en présence de l'employé » dans le cas d'une enquête réalisée par téléphone.

[26] À titre informatif, j'ai joint une lettre des parties dans laquelle est énoncée l'entente qu'elles ont conclue relativement aux faits liés à la nature de l'enquête de l'agent de SST Servant. J'estime que ce document confirme ce qui ressort de manière évidente du rapport de l'agent de SST. L'enquête n'a pas été effectuée en présence des employés qui ont refusé de travailler, puisqu'elle a été réalisée par téléphone, et que les employés en cause n'ont pas participé à la téléconférence.

[27] Tout comme l'ont fait les agents d'appel dans les décisions Page and Dragseth, j'estime que j'ai le pouvoir d'annuler la décision pour le motif que l'enquête de l'agent de SST Servant n'a pas été effectuée en présence des employés qui ont exercé leur droit de refuser d'effectuer un travail dangereux, conformément au paragraphe 129(1) du Code. Les employés n'avaient pas choisi de ne pas être présents et l'agent d'appel ne leur a parlé qu'après avoir rendu sa décision.

[28] Les parties ne veulent pas aller plus loin. Il n'y a plus de différend entre elles relativement à la présente affaire, tel que révélé par la lettre jointe. Je ne crois pas que l'objet du Code serait perverti si l'on refusait de pousser l'enquête plus loin. Le principe de l'économie des ressources judiciaires pèse lourdement en l'espèce. À l'instar de l'agent d'appel Hamel dans ACIA, je m'abstiens de poursuivre la présente instance.

Décision

[29] Pour ces motifs, j'annule la décision rendue le 13 août 2012 par l'agent de SST Servant et je ferme le dossier.

Peter Strahlendorf
Agent d'appel

Annexe

No de dossier TSSTC 2012-57

Protocole d'entente

Entre :

Composante d'Air Canada du Syndicat canadien de la fonction publique

(« SCFP », le « Syndicat »)
                   - et -
Air Canada (« Air Canada »)

Dans l'affaire de l'appel exercé en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le « Code ») à l'encontre des décisions datées du 13 août 2012 rendues par l'agent de santé et de sécurité (l'« agent de SST ») Jacques Servant relativement au refus de travailler exercé par Joseph Yu et Nadine Rendina le 10 août 2012; dossier no 2012-57 du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

ATTENDU QUE le 10 août 2012, Joseph Yu et Nadine Rendina étaient affectés à l'exploitation du vol AC 1104 (Winnipeg à Montréal) d'Air Canada;

ATTENDU QUE M. Yu et Mme Rendina ont exercé leur droit de refuser de travailler en vertu de l'article 128 de la partie II du Code canadien du travail (le « Code »);

ATTENDU QUE l'agent de SST Servant a rendu une décision d'« absence de danger » sans effectuer d'enquête en présence de Mme Rendina ou de M. Yu, qui n'avaient pas choisi de ne pas être présents lors de l'enquête;

ATTENDU QUE le SCFP a déposé le présent appel au nom de M. Yu et de Mme Rendina;

et ATTENDU QUE les circonstances ayant mené au refus de travailler ont été gérées de façon telle qu'il n'existe plus de litige actuel relatif au problème qui opposait les parties, y compris les employés ayant refusé de travailler;

EN FOI DE QUOI, les parties s'entendent comme suit :

  1. Les attendus qui précèdent sont véridiques et font partie du présent protocole d'entente;
  2. Comme il n'y a pas eu d'enquête en présence des employés qui exerçaient leur droit de refuser d'effectuer un travail dangereux au sens du paragraphe 128(1), et compte tenu des autres circonstances décrites aux présentes, les décisions de l'agent de SST Servant datées du 13 août 2012 et se rapportant aux refus de travailler exercés par M. Yu et Mme Rendina doivent être annulées et aucune conclusion ne sera tirée relativement à la présence ou l'absence de « danger » dans le contexte de ces refus de travailler;
  3. Les parties demandent que le présent protocole soit intégré à une décision et une ordonnance sur consentement par l'agent d'appel;
  4. Le présent protocole peut être signé en plusieurs exemplaires, dont chacun sera valide au même titre que l'original.

Daté de ce ___ jour d'octobre 2014

 

_________________________                                       _________________________
Pour Air Canada                                                                Pour le SCFP                  

Signaler un problème ou une erreur sur cette page
Veuillez sélectionner toutes les cases qui s'appliquent :

Merci de votre aide!

Vous ne recevrez pas de réponse. Pour toute question, contactez-nous.

Date de modification :