2016 TSSTC 16

Date : 2016-09-21

Dossier : 2016-10

Entre : Richardson Pioneer Limited, appelante

Indexé sous : Richardson Pioneer Limited

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est annulée

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me Sven T. Hombach, Fillmore Riley LLP

Référence : 2016 TSSTC 16

Motifs de la décision

[1] La présente affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (Code) à l’encontre d’une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail, Mme Courtney Wolfe (ci-après la « déléguée ministérielle » ou la « la déléguée »), le 15 mars 2016. Cette instruction avait été émise à l’issue de l’inspection par la déléguée ministérielle du lieu de travail exploité par l'appelante Richardson Pioneer Limited à Weyburn, en Saskatchewan, ledit lieu de travail étant parfois appelé Richardson Pioneer-Weyburn. L'instruction avait été émise en vertu de l’alinéa 145(1) a) du Code et ordonnait à l’appelante de mettre fin aux deux contraventions observées, et ce, au plus tard le 29 mars 2016. Lors du dépôt de son appel, l'appelante a également demandé la suspension de la mise en œuvre de l’instruction jusqu’à la tenue d’une audience sur le fond de l’appel. Dans une lettre de décision datée du 19 avril 2016, le soussigné a accordé une suspension de la mise en œuvre de l’instruction, en précisant que les motifs justifiant cette décision allaient suivre. Les motifs de ma décision sont énoncés dans Richardson Pioneer Limited, 2016 TSSTC 8, et ont été communiqués le 25 mai 2016.

[2] Les contraventions observées dans l’instruction mentionnaient des violations à deux obligations de l’employeur établies dans le Code, plus particulièrement les alinéas 125(1) b) et 125(1) a), qui exigent dans les deux cas, pour être complets, un rattachement à une disposition réglementaire, soit, dans les deux cas, une norme réglementaire. Dans le premier cas, où l’alinéa 125(1) b) prévoit que l’employeur doit « installer des dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures conformes aux normes réglementaires », la déléguée ministérielle Wolfe a invoqué le paragraphe 2.10(2) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement), alors que dans le second cas, où l’alinéa 125(1) a) établit que l’employeur est tenu de « veiller à ce que tous les ouvrages et bâtiments permanents et temporaires soient conformes aux normes réglementaires », la déléguée Wolfe a invoqué le paragraphe 2.9(2) du Règlement. L’instruction a retenu une situation unique comme fondement des contraventions observées, à savoir qu’« aucun dispositif de protection n’était installé aux ouvertures des plates-formes de repos sur les échelles fixes du silo de Weyburn ». La déléguée ministérielle Wolfe, aussi bien lors de la conférence téléphonique préparatoire tenue par le soussigné à laquelle elle a pris part, que lors de son témoignage à l’audience, a clairement indiqué que les « dispositifs de protection » auxquels elle faisait référence dans l'instruction étaient les dispositifs communément appelés « portillons à fermeture automatique ».

[3] En outre, la norme réglementaire unique sur laquelle la déléguée Wolfe s'est appuyée pour observer les deux violations est celle qui est incorporée par renvoi dans le paragraphe 2.9(1) du Règlement, à savoir la norme ANSI A14.3-1984 intitulée American National Standard for Ladders - Fixed - Safety Requirements, le paragraphe 2.9(1) précisant que la conception, la construction et l’installation de toute échelle fixe dont l’installation est postérieure à son entrée en vigueur doivent être conformes aux exigences de cette norme, comme ce serait le cas pour l’installation d’échelles fixes extérieures faisant partie d’une sortie secondaire desservant l’étage ou le toit d’une installation de manutention des grains (paragraphe 2.10(1)). Il importe toutefois de noter qu’en ce qui concerne les paragraphes 2.9(2) et 2.10(2) - ces dispositions réglementaires étant des éléments essentiels des contraventions observées par la déléguée Wolfe dans l’instruction visée par l’appel -, l’obligation de veiller à ce que la conception, la construction et l’installation de ces échelles fixes soient conformes à cette norme se limite à ce qui est en pratique possible lorsque lesdites échelles sont installées « avant l’entrée en vigueur » de l’article 2.9 du Règlement.

Contexte

[4] Comme on peut le constater à la première page, aucune partie n’a choisi d’agir comme intimée pour contester l’appel interjeté par Richardson Pioneer. Trois témoins se sont présentés à l’audience : la déléguée ministérielle Wolfe, M. Jeff Kisiloski, directeur de l’environnement, de la santé et de la sécurité de l’appelante, et M. Doug Petrick, ingénieur professionnel et vice-président principal, Services de conception et de construction pour le groupe d’entreprises FWS. M. Petrick a été présenté et reconnu par le soussigné comme témoin expert dans le secteur de la construction agricole, compte tenu de sa vaste expérience dans la conception et la construction d’installations comme l’élévateur de Weyburn, y compris la conception et la construction d’échelles de secours verticales.

[5] Les dates de l’entrée en vigueur des articles 2.9 et 2.10 du Règlement ainsi que celles de la construction réelle de l’installation de Weyburn, et donc de l’installation des échelles fixes, centrales à la question faisant l’objet de l’appel, sont de première importance et doivent être établies d’entrée de jeu. En tant que telles, donc, ces deux dispositions font partie intégrante d’une portion plus globale du Règlement qui est correctement désignée comme la Partie II, sous le titre Ouvrages permanents. Le 11 octobre 2000, l’édition de la Gazette du Canada, Partie II, dans laquelle sont publiés les textes réglementaires pour l’année 2000, enregistrée comme DORS/2000-374 et portant la date du 28 septembre 2000, sous le titre Règlement modifiant le Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail, établit à son article 2 que « La partie II du même règlement est remplacée par ce qui suit : Partie II, Ouvrages permanents ». Ainsi, les articles 2.1 à 2.27 (dont les articles 2.9 et 2.10) sont entrés en vigueur à cette date. En ce qui concerne l’installation de Weyburn de l’appelante, la preuve présentée ou corrigée par l’appelante aussi bien au moment de l’audience sur la demande de suspension qu’à l’audience sur le fond, établit que bien que les dessins de l’installation aient été conçus en octobre 2001 et que le coulage par coffrage glissant et l’installation des diverses échelles, y compris les échelles fixes extérieures, ont eu lieu en avril 2002, l’installation a été mise en service en octobre 2002. L’appelante a donc indiqué que l’élévateur à grains de Weyburn avait été construit en 2002 et a par la suite reconnu que la construction était survenue après l’entrée en vigueur des articles 2.9 et 2.10 du Règlement.

[6] L’installation de Weyburn de Richardson Pioneer est un élévateur à grains. À cet égard, la preuve dégagée de tous les témoignages ainsi que la preuve documentaire fournie par l’appelante montrent que l’instruction avait été émise à l’endroit de l’appelante à l’issue d'une inspection menée par la déléguée ministérielle aux termes de laquelle un certain nombre d’autres problèmes, y compris l’installation de portillons perçus par l’employeur comme non problématiques ou ne créant aucun nouveau risque, avaient été résolus par conformité volontaire. Toutefois, la question visée par l’appel ne put être résolue de la même manière, l’appelante ayant indiqué à la déléguée Wolfe qu’elle n’estimait pas nécessaire de prendre des mesures supplémentaires concernant le système d’échelles fixes à l’extérieur de l’élévateur. L‘ensemble de la preuve établit aussi que l’installation de Weyburn comporte plusieurs systèmes d’échelles décalées à l’extérieur de l’élévateur, que ces systèmes incluent des plates-formes d’échelles décalées et que les échelles décalées sont principalement utilisées en cas d’évacuation d’urgence et ne sont pas utilisées sur une base régulière pour grimper ou redescendre du toit au niveau du sol ou pour passer d’un étage à l'autre de l’élévateur à grains. Pour grimper et redescendre quotidiennement durant les opérations de routine, un monte-personne se trouve à l’intérieur de l’élévateur à grains ainsi qu’un escalier interne qui traverse les étages inférieurs et supérieurs plus propres.

[7] Lors de son témoignage, la déléguée Wolfe a admis qu’en raison de la date de la mise en service de l’élévateur de Weyburn (octobre 2002) par rapport à la date d’entrée en vigueur de l’article 2.9 du Règlement (28 septembre 2000), il aurait été incorrect d’invoquer les paragraphes 2.9(2) et 2.10(2) comme fondement des contraventions observées dans l’instruction visée par l’appel. En effet, ces dispositions du Règlement visent des installations précédant l’entrée en vigueur de ces dispositions, ce qui n’était clairement pas le cas. Par ailleurs, les dispositions réglementaires qu’elle aurait dû invoquer comme fondement des contraventions étaient les paragraphes 2.9(1) et 2.10(1), mais elle a omis de le faire. La déléguée Wolfe a toutefois maintenu qu’elle avait procédé de cette manière sur la base de l’information réitérée par l’appelante selon laquelle l’élévateur avait été construit à la fin des années 90. Cependant, elle n’a fourni aucune indication ou information à l’audience concernant tout effort déployé à ce moment pour confirmer ou infirmer cette information avant de procéder à la formulation de l’instruction.

[8] Lorsque l’avocat de l’appelante l’a questionnée, la déléguée Wolfe a confirmé que bien que la modification du Règlement soit survenue en septembre 2000, lorsqu'elle a rédigé son instruction, elle a clairement fait référence à la norme ANSI de 1984, à laquelle le paragraphe 2.9(1) fait renvoi, même si cette norme avait clairement été remplacée à ce moment par la norme ANSI de 1992 (novembre 1992) et, par conséquent, elle a admis que l’article 6.3 de la norme ANSI de 1984 ne fait aucune référence aux « portillons à fermeture automatique » (6.3.1.2 : [traduction] « Toutes les plates-formes doivent être équipées de garde-fous et de butoirs de pied, conformément à la norme ANSI A12.1-1973. »), qu'elle faisait essentiellement référence à l’article 3.2 de la norme de 1973 incorporée par renvoi dans la norme de 1984 (3.2 : [traduction] « Chaque ouverture de plancher d’escalier ou plate-forme d’escaliers doit être protégée par des garde-fous et des butoirs de pied sur tous les côtés exposés [à l’exception de l’entrée de l’ouverture] et le passage à travers le garde-fou conçu de manière à éviter qu’une personne marche directement dans l’ouverture. »), que même s'il n'y a pas de barres pivotantes sur certaines des plates-formes du système d’échelles extérieures à Weyburn, l’entrée supérieure de la plate-forme (toit) est protégée par un portillon à fermeture automatique, et que lorsque des photos du système d’échelles décalées extérieures (pièce E-5) lui ont été présentées, celles-ci établissaient qu’une personne utilisant le système n’avait pas besoin de marcher directement dans l’ouverture de l’échelle.

[9] Dans son témoignage, M. Kisiloski a expliqué qu’un système d’échelles décalées comme celui examiné dans la présente affaire diffère d’un système d’échelles droites, en ce sens que l’échelle elle-même est interrompue à différents intervalles par des plates-formes qui intègrent une zone de repos pendant la montée et la descente. L’installation de portillons à fermeture automatique sur ces plates-formes, comme il était requis dans l’instruction, ne serait pas sécuritaire : d’abord, ces plates-formes sont trop petites pour intégrer en toute sécurité des portillons qui pourraient gêner la sortie au segment suivant d’échelles décalées; en outre, des portillons à fermeture automatique vers l’intérieur pourraient entraver la sortie d’une personne, car elles agiraient comme une barrière, ajoutant ainsi un nouveau risque pour la sécurité. Le témoin a souligné que sur d’autres plates-formes disposant de plus d’espace, comme les passerelles conduisant aux portes ordinaires ouvrant de l’intérieur vers l’extérieur à divers niveaux de l’élévateur, Richardson avait effectivement installé des portillons à fermeture automatique parce qu’elle estimait que ces portillons augmentaient un peu la sécurité, ce qui ne serait pas le cas de portillons à fermeture automatique sur des plates-formes d’échelles décalées. En ce qui concerne la norme ANSI A14.3-1984 et la référence croisée à la version de 1973 de la norme ANSI A12.1, qui prévoit que chaque plate-forme doit être pourvue d’un garde-fou et d’un butoir de pied sur tous les côtés, à l’exception de l’entrée de l’ouverture, et que le passage à travers le garde-fou doit faire en sorte qu’une personne ne peut marcher directement dans l’ouverture, le témoin Kisiloski a confirmé qu’il n’était pas nécessaire de passer à travers le garde-fou pour accéder à l’ouverture sur les plates-formes, à l’exception du passage d’accès du toit au système d’échelles où un ou des portillons à fermeture automatique avaient déjà été installés.

[10] Le témoin expert Petrick a essentiellement confirmé les préoccupations de M. Kisiloski selon lesquelles l’installation de portillons à fermeture automatique sur les plates-formes d’échelles décalées de Weyburn serait dangereuse. De plus, selon lui, une installation semblable irait à l’encontre d’une bonne pratique d’ingénierie. En décrivant la différence entre les plates-formes d’échelles droites et les plates-formes d’échelles décalées, l’expert a souligné la nécessité d’utiliser un équipement de sécurité, y compris un harnais complet, pour grimper dans une échelle droite ou en redescendre. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne les échelles décalées. Les plates-formes de repos des systèmes d’échelles droites sont situées sur le côté. Dans une situation d’urgence, il n’est ainsi pas nécessaire d’utiliser ou de traverser les plates-formes de repos d’une échelle droite. Au contraire, les plates-formes de repos sont une partie intégrante des échelles décalées qui ne peuvent être contournées. Une personne qui grimpe dans une échelle décalée ou en redescend doit marcher sur la plate-forme et se déplacer de côté. Selon son opinion professionnelle, les plates-formes d’échelles décalées, qui mesurent généralement 30x30 pouces, sont trop petites pour intégrer en toute sécurité un portillon à fermeture automatique. Dans une situation d’urgence, en particulier lorsque plusieurs personnes peuvent tenter de redescendre l’échelle, certaines personnes pourraient se retrouver coincées derrière le portillon, perturbant du coup le flux de l’évacuation.

[11] En ce qui concerne la référence dans le Règlement à la norme ANSI A14.3-1984 et l’incorporation par renvoi de la norme ANSI A12.1-1973 (article 3.2), M. Petrick a interprété les mots « passage à travers le garde-fou » (passage through the railing) comme se rapportant uniquement à la partie supérieure de l’échelle, c’est-à-dire sur le toit, où des portillons sont déjà en place, puisqu’aucun passage à travers le garde-fou n’est requis sur aucune des plates-formes d’échelles décalées elles-mêmes. Le témoin a également attiré l’attention sur le fait que la norme ANSI de 1984 mentionnée dans le Règlement a été remplacée en 1992. Conséquemment, ANSI A14.3-1992 est la version la plus récente de la norme avant la construction de l’installation de Weyburn. Tout comme la version de 1984 qui incorporait par renvoi la norme ANSI A12.1-1973, qui faisait allusion au « passage à travers le garde-fou », la version de 1992 faisait référence à la norme ANSI A1264.1-1989 et parlait de « voie d’entrée », ce qui, selon l'interprétation du témoin expert Petrick, ne devait s'appliquer, à l'instar de l'expression de 1973, qu'à l’entrée au système d’échelles, c’est-à-dire sur la partie supérieure du toit. Il a ainsi exprimé l’opinion que les dispositions du Code et du Règlement n’exigeaient pas une barrière sur chacune des plates-formes d’échelles décalées elles-mêmes.

[12] Il a indiqué que les codes et normes techniques devaient être interprétés conformément à leur intention, qui consiste à accroître la sécurité, et il a fait valoir que l’installation de portillons à fermeture automatique sur des plates-formes d’échelles décalées aboutirait au résultat contraire. Le témoin expert Petrick a terminé son témoignage en soulignant que le concept de portillons à fermeture automatique avait été introduit uniquement dans la version de 2008 de la norme ANSI A14.3, soit après la construction de l’installation de Weyburn, mais qu'il ne s’appliquait qu’aux plates-formes d’échelles droites, comme le révèle une comparaison des figures 5 et 6 dans le texte de cette norme : alors que la figure 6 montre une plate-forme d’échelles décalées dépourvue d’un portillon à fermeture automatique, la figure 5 présente une plate-forme d’échelles droites dotée d’un portillon à fermeture automatique.

Questions en litige

[13] À partir d’une lecture initiale de l’instruction, telle que formulée par la déléguée ministérielle Wolfe, il est facile de définir la ou les questions à résoudre dans le cadre du présent appel : dans quelle mesure l’appelante contrevient ou a contrevenu, au moment de l’inspection de la déléguée Wolfe, aux alinéas 125(1) b) et 125(1)a) du Code en raison du fait qu’elle n’a installé aucun « dispositif de protection […] aux ouvertures des plates-formes de repos sur les échelles fixes du silo de Weyburn ». Ces dispositifs de protection ont été décrits par la déléguée Wolfe et reconnus à ce titre par l’appelante comme étant des portillons à fermeture automatique. Toutefois, une nouvelle lecture de l’instruction nous amène à élargir quelque peu la ou les questions en prenant en compte les dispositions du Règlement jointes aux dispositions du Code dans l’instruction, soit les paragraphes 2.10(2) et 2.9(2), ainsi que le texte de la norme ANSI A14.3-1984, incorporée par renvoi, comme l’a reconnu la déléguée Wolfe lors de l’audience. La prise en compte de ces dispositions vient préciser la formulation des questions en litige en examinant si, compte tenu du type d’échelles fixes mises en place à l’extérieur de l’installation de Weyburn, ces dispositifs de protection font partie des exigences prévues dans les obligations combinées du Code et du Règlement. Une autre question est toutefois devenue évidente en raison du libellé des deux dispositions du Règlement invoquées dans l’instruction. Ces dispositions mettent en effet en relief la question de la date de la construction de l’installation de Weyburn, et l’effet sur le fond ou la portée de l’obligation de l’appelante en matière de conformité, qui pourrait aller d’une obligation limitée à ce qui « est en pratique possible » à une obligation absolue ou stricte. Cette situation résulte de l’admission par la déléguée Wolfe que l’instruction telle que formulée s’appuie sur des dispositions erronées du Règlement puisque la construction et la mise en service de l’installation de Weyburn sont survenues non pas avant mais après l’entrée en vigueur de l’article 2.9 du Règlement applicable. Énoncée de manière plus succincte, la question en litige se rapporte à la validité de l’instruction telle qu'elle a été formulée. La résolution de cette question peut rendre inutile l’examen de la question en litige définie précédemment.

Observations des parties

Observations de l’appelante

[14] En résumé, les observations de l’appelante sont à l'effet que des portillons à fermeture automatique sur les plates-formes d’échelles décalées ne sont ni une obligation juridique ni une bonne pratique d’ingénierie. En ce qui concerne la question d’une bonne pratique d’ingénierie, l’avocat de l’appelante a repris, en essence, les déclarations des témoins Kisiloski et Petrick sur lesquels il s’est appuyé pour formuler ses observations. En conséquence, il n’est pas nécessaire de présenter de nouveau ce qui constituerait une répétition de ce qui a été énoncé précédemment. S’agissant de la question de déterminer si, en vertu du Code et de son Règlement, il existe une obligation juridique relativement aux portillons à fermeture automatique sur les plates-formes d’échelles décalées de Weyburn de l’appelante, l’avocat a articulé ses arguments en examinant tour à tour quelle norme ANSI A14.3 s’appliquerait ou pourrait s’appliquer à la situation : la version de 1984, la version de 1992 qui l’a remplacée, ou même la version subséquente de 2008 qui l’a remplacée - soulevant à cet égard l'importance cruciale du principe primordial d'interprétation statutaire de la permanence de la règle de droit, et il doit être présumé que chaque mot a un sens et un rôle précis à jouer dans la promotion de l’objectif législatif. À cet égard, l’avocat a fait valoir qu'en faisant référence, dans le paragraphe 2.9(1) du Règlement, à la norme ANSI A14.3-1984 précisément, l'autorité de réglementation a clairement indiqué son intention que le Règlement reçoive une interprétation conforme à cette version de la norme, et que les mots « avec ses modifications successives » dans ce paragraphe du Règlement devraient être interprétés comme des modifications mineures à la version de 1984, et non comme le remplacement de cette version par les versions de 1992 ou de 2008 qui exigerait des modifications réglementaires. L’avocat a ainsi affirmé qu’en l’absence de modification apportée à ce jour au texte du paragraphe 2.9(1) du Règlement, seule la norme ANSI A14.3-1984, ainsi que sa propre référence croisée à la norme ANSI A12.1-1973, s’applique dans la présente affaire.

[15] L’avocat a fait valoir que de multiples raisons soutiennent cette conclusion. En premier lieu, il devrait être présumé que l'autorité de réglementation a choisi de faire un renvoi à la version de 1984 de la norme ANSI en référant à « A14.3-1984 » plutôt qu’à « A14.3 » de manière intentionnelle, puisqu’une nouvelle version de la norme existait déjà depuis huit ans au moment de la modification réglementaire du 28 septembre 2000 (norme ANSI A14.3-1992 adoptée le 24 novembre 1992). Si l'autorité de réglementation souhaitait incorporer des versions de la norme dans le Règlement telles que remplacées, il lui aurait suffi de ne pas faire de renvoi à une année précise. L’appelante a soutenu qu’il ne serait pas logique d’interpréter les mots « avec ses modifications successives » contenus au paragraphe 2.9(1) du Règlement de manière à incorporer automatiquement dans le Règlement tous nouveaux remplacements de la norme de 1984, tels que la version de 2008, voire la version de 1992. Comme l’a expliqué l’avocat, l’autorité de réglementation (Programme du travail) représente un organisme de réglementation canadien, alors qu’au contraire, l’American National Standards Institute (ANSI) est un organisme de normalisation américain. Il serait donc inhabituel, voire suspect, qu’une autorité de réglementation canadienne renonce à ses pouvoirs de surveillance et délègue ses pouvoirs réglementaires à l’organisme de normalisation d’un autre pays, qui pourrait introduire des exigences que les autorités de réglementation canadiennes désapprouveraient fondamentalement et qui ne devraient pas être adoptées en l’absence d’un examen approfondi.

[16] En second lieu, l’appelante a ajouté qu’une distinction devrait être établie entre les notions de modification et de remplacement et que la norme ANSI de 2008 devrait être considérée comme un remplacement des normes de 1984 et de 1992 plutôt qu’une modification de celles-ci. L’avocat a ainsi fait référence à la décision Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale - RDDC) 2015 CRTEFP 25 (para 79), établissant que :

[…] Le mot « modifier » se rapporte au fait d’apporter des modifications ou des améliorations mineures à quelque chose, souvent à un texte ou à une loi qui existe. Cela ne comprend pas une intention de changer fondamentalement ou de remplacer ce qui est modifié […].

[17] Troisièmement, en ajout à l’argument précédent concernant le principe de la permanence de la règle de droit, l’avocat a invoqué la présomption bien établie à l’encontre de la tautologie dans l’interprétation législative, à savoir qu’une loi ne comporte pas de mots superflus, citant Sullivan on the construction of Statutes (Toronto : Lexis Nexis 2014, à la page 211) comme suit :

[Traduction] Le législateur est présumé ne pas avoir voulu utiliser des mots superflus ou dépourvus de sens, ni se répéter pour rien ou parler en vain. Chaque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objet législatif. Dans Hill c. William Hill (Park Lane) Ltd., le vicomte Simons a commenté : « [B]ien que le législateur soit, tout comme les parlementaires, capable de dire la même chose deux fois sans ajouter rien de plus à ce qu’il a déjà dit la première fois, il ne faut pas présumer une telle répétition dans le cas d’une loi adoptée par le Parlement. Lorsque le législateur insère une expression dans une loi, il faut présumer qu’il dit quelque chose qui n’avait pas encore été dit juste avant. Le principe suivant lequel il faut, dans la mesure du possible, donner un sens à chacun des mots de la loi suppose que, sauf s’il existe une bonne raison contraire, les mots ajoutent quelque chose qui n’existerait pas s’ils n’y étaient pas. » Dans R. c. Proulx (1 R.C.S. 61, au paragraphe 28), le juge en chef Lamer a écrit : « Suivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire. » Comme ces passages le montrent, chaque mot et disposition d’une loi sont censés avoir un sens et une fonction. Pour cette raison, les tribunaux devraient éviter, dans la mesure du possible, d’adopter des interprétations qui pourraient avoir pour effet de rendre toute portion d’une loi sans effet, inutile ou redondante.

Selon l’appelante, une interprétation facile et convaincante existe, qui évite toute redondance : des modifications mineures à la version de 1984 devaient être incorporées par renvoi, sans nécessité d’une modification réglementaire, alors que le remplacement de la version de 1984 de la norme exigerait une modification réglementaire, vraisemblablement après un examen approfondi de l’à-propos d’adopter ces normes en vue de leur application au Canada.

[18] Même si l’appelante est d’avis que c'est la norme ANSI de 1984 qui s'applique dans le présent cas, l'avocat a soutenu que même si la conclusion était que la version applicable en l’espèce devait être celle de 1992 ou même celle de 2008, le résultat serait le même. Dans le cas de la norme de 1984 incorporée par renvoi dans le paragraphe 2.9(1) du Règlement, l’avocat a déclaré qu’un examen de cette norme et de la norme ANSI A12.1-1973 qui y est incorporée par renvoi, révèle qu’il n'y a aucune exigence stipulée dans la ou les normes visant à installer des portillons à fermeture automatique, soulignant les témoignages de MM. Kisiloski et Petrick selon lesquels il n’est pas nécessaire de passer à travers le garde-fou pour accéder aux ouvertures sur les plates-formes d’échelles décalées et qu’au sommet de l’immeuble, où ce passage est nécessaire, des portillons sont déjà en place.

[19] S’agissant de son argument subsidiaire, l’avocat a affirmé que si la norme ANSI A14.3-1992 (qui incorpore elle-même par renvoi la norme ANSI A1264.1-1989) était considérée comme applicable à la présente situation, cela signifierait que le soussigné accorderait un sens plus large aux mots « avec ses modifications successives » contenus au paragraphe 2.9(1) du Règlement et accepterait que chaque nouvelle norme ANSI A14.3 devienne juridiquement contraignante au Canada de manière automatique dès sa publication par l’ANSI. Selon l’avocat, la conclusion serait néanmoins la même : la norme de 1992 n’exige pas non plus de portillons à fermeture automatique. L’avocat de l’appelante a insisté sur le fait que la version de 1992 de la norme utilise deux mots différents à l’égard de deux concepts distincts, exigeant ainsi qu’une ouverture de plancher soit protégée par un système de garde-fous et des butoirs de pied à l’exception de « l’entrée de l’ouverture » (entrance to the opening) et qu’une « voie d’entrée » (entrance way) soit protégée afin d’empêcher qu’une personne puisse marcher directement dans l’ouverture. Cela a ainsi amené l’appelante à affirmer que la norme de 1989 devait être interprétée de la même manière que la norme de 1973, à savoir que c’est la voie d’entrée au système d’échelles (sur la partie supérieure du toit) qui devait être protégée séparément puisque, autrement, le libellé de l’article 3.2 de la norme A1264.1 de 1989 incorporée par renvoi aurait prévu que « l’entrée de l’ouverture (par opposition à la voie d’entrée) doit être protégée. » L’avocat a souligné que le témoignage d’expert de M. Petrick appuyait cette conclusion. En effet, M. Petrick avait indiqué qu’une interprétation contraire qui exigerait, en pratique, la mise en place de portillons à fermeture automatique à l’entrée de l’ouverture plutôt que sur la partie supérieure du système d’échelles aurait pour effet de contrecarrer l’objectif de la législation qui vise à accroître, et non à réduire, la sécurité.

[20] Enfin, poursuivant la présentation de son argument subsidiaire, l’avocat de l’appelante a examiné la plus récente version de la norme ANSI A14.3, datée de 2008, et donc postérieure à la construction de l’installation de Weyburn. Il a fait valoir que bien que, pour la première fois, cette norme faisait une référence explicite au concept de « portillons à fermeture automatique » (swing gate), elle prévoyait également expressément que ce dispositif de protection devait être installé à chaque ouverture d’échelle « sur de nouvelles installations d’échelles fixes » (on new fixed ladder installations), ce qui évidemment n’est pas le cas de l’installation de Weyburn. Selon l’avocat, même si le Règlement devait être interprété de manière à exiger le respect de la norme ANSI A14.3-2008 plutôt que le respect des versions de 1984 ou de 1992 qu’elle a remplacées, l’appelante serait déjà en conformité avec la version de 2008 puisque, selon son paragraphe 6.3.3, les installations existantes sont exemptées de l’obligation relative aux portillons à fermeture automatique. En outre, l’appelante a fait valoir que même si l'on devait étirer l'interprétation de la norme de 2008 en ignorant la référence aux mots « sur de nouvelles installations d’échelles fixes » (new fixed ladder installations), et donner à l'expression « avec ses modifications successives » dans le Règlement une portée excessivement large, cela n’aurait tout de même pas pour effet de créer une obligation d’installer des portillons à fermeture automatique, puisque le Règlement lui-même établit que la pleine conformité aux exigences de la norme de 1984 pour les installations existantes n’est requise que « dans la mesure où cela est en pratique possible », soulignant que ce Tribunal a récemment décidé, dans l’affaire Lower Lakes Towing Ltd., 2014 TSSTC 2 que : « […] les coûts, qu’ils soient en temps, en efforts et en frais, doivent être pris en compte pour établir ce qui est dans la mesure du possible ».

[21] Par ailleurs, l’avocat a indiqué que même s’il était décidé que la version de 2008 de la norme régit la présente situation, une lecture approfondie de cette norme et une attention particulière aux figures 5 et 6 de la norme révèlent que l’installation d’un portillon à fermeture automatique est uniquement exigée dans le cas d’une plate-forme d’échelles droites. Or, ce n’est pas le cas à l’installation de Weyburn qui est dotée de plates-formes d’échelles décalées, décrites à la figure 6 comme étant des échelles « latérales » (side-step ladders). L’avocat a attiré l’attention sur le témoignage non contesté du témoin expert Petrick selon lequel des portillons à fermeture automatique sur les plates-formes d’échelles décalées nuiraient à la sécurité en raison du manque d’espace sur les plates-formes pour ouvrir sans danger un portillon à fermeture automatique vers l’intérieur, et du risque que de tels portillons puissent entraver l’évacuation des personnes de l’édifice, ce qui ne constituerait pas une bonne pratique d’ingénierie. Le témoin expert Petrick a expliqué qu’une plate-forme d’échelles droites vise à permettre à une personne de prendre une pause lorsqu’elle grimpe dans une échelle droite ou en redescend; une personne utilisant l’échelle n’est donc pas tenue de recourir à cette plate-forme. Au contraire, une plate-forme d’échelles décalées comme celle installée à Weyburn représente une partie intégrante du système d’échelles; dans une situation d’urgence, nul ne peut simplement contourner la plate-forme. En conséquence, le fait qu’une personne ne puisse pas ouvrir un portillon à fermeture automatique vers l’intérieur sur la plate-forme, soit parce la plate-forme est trop petite pour intégrer le portillon ou parce que plus d’une personne se précipite pour évacuer l’installation, aurait pour effet de réduire la sécurité. L’appelante a ainsi soutenu que l’appel devrait être accordé pour tous les motifs précédemment exposés, et que l’instruction devrait être annulée.

Analyse

[22] La question fondamentale dont je suis saisi dans le cadre du présent appel est simple et très claire, comme il a été expliqué précédemment. Elle consiste en essence à déterminer si l’appelante a enfreint le Code et son Règlement en n’installant aucun dispositif de protection connu sous le nom de « portillon à fermeture automatique » sur les plates-formes de chaque segment d’échelles du système d’échelles décalées mis en place à l’extérieur de son installation de Weyburn. Comme je l’ai indiqué précédemment, ce qui aurait été une simple question d’obligation réglementaire ou législative est devenu plus compliqué en raison de l’admission par l’auteure de l’instruction, telle qu’entérinée - si ce mot peut être utilisé - par l’appelante selon laquelle les dispositions réglementaires invoquées par la déléguée ministérielle Wolfe en tant qu’éléments essentiels des contraventions observées dans l’instruction étaient erronées, compte tenu de la date de construction de l’installation par rapport à l’entrée en vigueur des dispositions du Règlement qui sont partie intégrante de l’instruction. Ainsi, il devient évident que l’instruction, telle que formulée, ne peut être validement appliquée à l’appelante.

[23] En conséquence, il incombe au soussigné d’établir si, dans le cadre de ses pouvoirs à titre d’agent d’appel, le soussigné peut modifier correctement cette instruction afin de la rendre applicable à la situation de l’appelante - et cela, indépendamment de la question de savoir si l’appelante a réellement enfreint les dispositions du Code -, et de déterminer quelles seraient les dispositions réglementaires connexes et pertinentes. À cet égard, il importe de noter que l’appelante a librement admis qu’en raison de la date de construction de l’installation de Weyburn et de la date de sa mise en service, les dispositions du Règlement en principe applicables à l’installation seraient les paragraphes 2.9(1) et 2.10(1) du Règlement plutôt que les paragraphes 2.9(2) et 2.10(2). Cela aurait ainsi pour effet de modifier la substance de l’obligation de conformité : initialement applicable à ce qui est pratiquement possible pour passer à ce qui est strictement obligatoire. En outre, il est certainement impossible d’ignorer le fait que la déléguée ministérielle Wolfe a admis son erreur de formulation lors de l’audience, tout en expliquant que cette erreur résultait des renseignements erronés fournis par l’appelante au moment de l’inspection. J’estime cette explication insuffisante, car une inspection complète est, à l’instar d’une enquête, un exercice de cueillette et de confirmation d’information dont la responsabilité incombe au collecteur de données. Dans la situation actuelle, compte tenu de l’admission indubitable et incontestée de l’application de dispositions réglementaires erronées à l’installation de l’appelante, il ne fait aucun doute, dans l’esprit du soussigné, que l’instruction émise par la déléguée Wolfe est, telle qu'initialement formulée, incorrecte ab initio (depuis le début). Cette constatation mettrait ainsi au premier plan la question de savoir si cette erreur peut être corrigée par le soussigné, par l’entremise du pouvoir de modification accordé à un agent d’appel en vertu de l’article 146.1 du Code qui énonce qu’un agent d’appel peut « soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions » faisant l’objet de l’appel. L’agent d’appel ne peut évidemment exercer ce pouvoir de modification qu’après être satisfait que les faits et les circonstances de l’affaire justifient l’adoption d’une instruction de contravention distincte de l’instruction initialement émise et contestée.

[24] Apporter les corrections jugées nécessaires en prenant en compte la date exacte de la construction et de la mise en service de l’installation de Weyburn, peu importe s'il y avait une ou des contraventions, aurait pour effet de joindre les paragraphes 2.9(1) et 2.10(1) du Règlement à titre d’annexe réglementaire aux deux dispositions du Code prétendument enfreintes dans l’instruction visée par l’appel. Comme indiqué précédemment, cette correction aurait pour effet de transformer les obligations prétendument enfreintes en des obligations strictes ou absolues par opposition à l’exigence relative à ce qui « est en pratique possible » associée aux obligations prétendument enfreintes dans l’instruction visée par l’appel que la déléguée Wolfe a émise. Il est vrai que l’appelante, en admettant comme elle l’a fait que les paragraphes 2.9(1) et 2.10(1) du Règlement devraient être les dispositions applicables aux circonstances de la présente affaire, a écarté en quelque sorte la difficulté de déterminer cette question. Toutefois, cette admission n’a pas pour effet de modifier l’instruction telle qu’émise qui, comme je l’ai indiqué précédemment, doit être considérée comme incorrecte ab initio. En conséquence, afin de pouvoir démontrer que l’adoption d’une instruction modifiée se justifie à la lumière des faits de l’affaire, la question du pouvoir de modification doit être initialement résolue étant donné qu’elle se rapporte à la compétence actuelle d’agir de l’agent d’appel. La question initiale consiste donc à déterminer si, à titre d’agent d’appel, j’ai le pouvoir d’introduire ce changement ou cette modification, après avoir été satisfait, conformément aux alinéas 125(1) b) et a) du Code, que l’appelante était tenue de respecter les exigences des paragraphes 2.10(1) et 2.9(1) du Règlement.

[25] L’article 146.1 du Code est très clair, établissant qu’un agent d’appel peut, après une enquête sur les circonstances d’une instruction « modifier, annuler ou confirmer » l’instruction. La portée d’un tel pouvoir de modification a été longuement examinée par le juge Rouleau dans Vancouver Wharves Ltd. c. Canada (Procureur général), (1998) A.C.F. no 943 (C.F.) comme suit :

Le mot anglais « vary » est ainsi défini dans The Concise Oxford English Dictionary, 8e édition, 1990 : 1. Rendre différent; modifier, changer; 2. a. subir un changement; devenir ou être différent. L’équivalent français de « vary » est « modifier » qui, selon Le Petit Robert, 1991, veut dire : [« ]1. Changer (une chose) sans en altérer la nature, l’essence ». De toute évidence, donc, le mot « vary » ou son équivalent français « modifier », qui a le même poids en droit, est suffisamment souple pour que puisse être exprimé différemment le problème relevé par l’agent de sécurité, pourvu que sa nature ne soit pas changée.

Lorsque le législateur a édicté la partie II du Code, il a prévu une disposition de déclaration d’objet en fonction de laquelle les mots et les dispositions du Code doivent être interprétés. En voici le libellé :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les [accidents et les maladies] liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

Par conséquent, nous devons nous demander quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a confié à l’agent régional de sécurité le pouvoir de modifier une instruction. L’article 146 du Code accorde déjà à l’agent régional de sécurité le pouvoir d’annuler ou de confirmer une instruction. Assurément, donc, le pouvoir de modifier une instruction veut dire que si l’agent de sécurité fait référence à la mauvaise disposition réglementaire dans son instruction, l’agent régional de sécurité peut corriger cette erreur à condition que la correction soit compatible avec les faits rapportés par l’agent de sécurité. L’agent régional de sécurité, comme l’agent de sécurité avant lui, est guidé dans l’exercice de ses fonctions par la disposition de déclaration d’objet.

[…] interdire à l’agent régional de sécurité de corriger une instruction de l’agent de sécurité en précisant l’alinéa applicable de l’article 125 du Code et la disposition applicable du Règlement, annulerait, dans les faits, les pouvoirs que le législateur a explicitement accordés à l’agent régional de sécurité en vertu du paragraphe 146(3).

[…] Le pouvoir de « modifier » une décision qui est conféré par une disposition législative est suffisamment vaste pour autoriser la substitution d’une nouvelle décision. [L’emphase est mienne]

[26] Dans Rudavsky c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2016 TSSTC 1, l’agent d’appel Strahlendorf a fait référence à la même jurisprudence pour résoudre la même question du besoin potentiel de modifier une instruction lors de la détermination d’un appel. Il a conclu comme suit :

Le pouvoir de modifier une instruction, conféré à l’agent d’appel en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code, peut être exercé pour remanier légèrement le libellé d’une instruction ou pour modifier la date à laquelle on doit s’y conformer, et il est suffisamment large pour permettre le remplacement d’une contravention initialement invoquée par une nouvelle contravention, pourvu que cette dernière se rapporte à la même situation (ou erreur ou au même risque ou problème) que celle qui a donné lieu à la contravention initiale.

[…] Compte tenu de la décision rendue dans l’affaire Vancouver Wharves, j’ai le pouvoir de modifier une instruction émise par (un agent de SST) en substituant une nouvelle contravention à celle initialement alléguée, pourvu que la nouvelle contravention repose sur les mêmes faits que ceux examinés par l’agent de SST. Si le problème concerne un autre manquement de l’intimé que l’agent de SST […] n’a pas recensé ou qu’il a décidé de ne pas recenser, le fait d’invoquer une nouvelle contravention dépasserait celui de « modifier » l’instruction initiale et reviendrait à créer une nouvelle instruction.

[27] Je suis pleinement d’accord avec ce qui précède. En conséquence, si, après avoir examiné les faits pertinents à la situation qui a conduit la déléguée Wolfe à émettre l’instruction en question, je conclus à l’existence de contraventions exigeant la formulation d’une instruction fondée sur des dispositions différentes du Règlement, j’estime que j’ai le pouvoir de le faire conformément au paragraphe 146.1(1) du Code.

[28] La question qui reste est donc de déterminer si, compte tenu des faits portés à ma connaissance, l’appelante a contrevenu aux alinéas 125(1)b) et a) du Code et aux paragraphes 2.10(1) et 2.9(1) du Règlement. L’appelante a présenté un argument très convaincant selon lequel le type d’échelles fixes extérieures mis en place à l’installation de Weyburn élimine toute obligation d’installer des portillons à fermeture automatique, sauf à l’entrée du système d’échelles sur le toit de l’immeuble. Faute d’observations contraires présentées en raison de l’absence d’un intimé dans le cadre de l’appel, cet argument est le seul à examiner, en dépit du fait qu’à titre d’agent d’appel, je ne suis pas tenu d’accepter cet argument ou d’être d’accord avec celui-ci. Après avoir examiné l’argument présenté par l’appelante concernant le libellé utilisé par le législateur au paragraphe 2.9(1) du Règlement, je partage l’opinion selon laquelle le renvoi précis et toujours présent à la version de 1984 de la norme ANSI A14.3 dans le Règlement signifie que c'est cette version qui régit la présente situation en dépit du fait que cette version a été remplacée en 1992 et en 2008. Conséquemment, la norme ANSI A12.1-1973 demeure la norme pertinente à laquelle un renvoi est fait et cette norme n’exige pas l’installation de portillons à fermeture automatique. En effet, je suis d’accord avec les observations de l’appelante selon lesquelles ce texte exige uniquement « un garde-fou et un butoir de pied » (guard railing with a toeboard) lorsque le passage à travers le garde-fou est nécessaire (voir la photographie sur la première page de la pièce 5).

[29] Puisque, comme l'ont indiqué les témoins Kisiloski et Petrick lors de leur témoignage, il n’est pas nécessaire de passer à travers le garde-fou pour accéder aux ouvertures sur les plates-formes d’échelles décalées, sauf au sommet de l’immeuble où des portillons ont été installés pour protéger le passage à travers le garde-fou donnant accès au système d’échelles, je dois conclure que les plates-formes d’échelles décalées actuellement en place à l’installation de Weyburn sont conformes aux normes ANSI A14.3-1984 et A12.1-1973 et, conséquemment, aux alinéas 125(1)b) et a) du Code et aux paragraphes 2.10(1) et 2.9(1) du Règlement.

[30] Outre l’argument juridique présenté par l’avocat de l’appelante, ma conclusion a été renforcée par la preuve documentaire introduite par l’appelante ainsi que par le témoignage du témoin expert Petrick qui a souligné la différence entre un système et une plate-forme d’échelles droites et un système et une plate-forme d’échelles décalées. Il a en effet expliqué qu’une plate-forme d’échelles droites vise à permettre à une personne de prendre une pause lors d’une montée ou d’une descente, que le recours à la plate-forme n’est pas obligatoire et que le flux d’évacuation n’est pas entravé lors d’une urgence. Au contraire, en raison du fait qu’une plate-forme d’échelles décalées constitue une partie intégrante du système d’échelles, cette plate-forme ne peut être contournée et un portillon à fermeture automatique vers l’intérieur peut nuire à la sécurité en raison du manque d’espace sur la plate-forme.

[31] Compte tenu de tout ce qui précède, je suis venu à la conclusion que l’appelante n’avait pas enfreint le Code et le Règlement connexe au moment où l’instruction visée par l’appel a été émise. Ceci dit, il n’existe évidemment aucun fondement pour maintenir l’instruction telle que formulée à l’origine, pas plus qu’il n’existe de fondement pour modifier cette instruction afin de constater une contravention aux paragraphes 2.10(1) et 2.9(1) du Règlement. Comme je l’ai déjà mentionné, compte tenu de mon interprétation de ces dispositions, l’appelante ne peut pas, vu les faits du présent appel, être reconnue comme ayant fait défaut de se conformer aux exigences applicables.

Décision

[32] Pour ces raisons, j’annule l’instruction émise à l’appelante par la déléguée ministérielle Wolfe le 15 mars 2016.

[33] Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

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