2016 TSSTC 19
Date : 2016-11-18
Dossier : 2015-14
Entre : Service correctionnel du Canada, appelant et Pat Ketcheson, intimé et Union of Canadian Correctional Officers-Syndicat des Agents Correctionnels du Canada Confédération des Syndicats Nationaux (UCCO-SACC-CSN), intervenant
Indexé sous : Service correctionnel du Canada c. Ketcheson
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.
Décision : L’instruction est annulée.
Décision rendue par : M. Peter Strahlendorf, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelant : Me Richard E. Fader, avocat-conseil, Groupe du droit du travail et de l'emploi, ministère de la Justice
Pour l’intimé : Lui-même
Pour l’intervenant : Me Arianne Bouchard, avocate, UCCO-SACC-CSN
Référence : 2016 TSSTC 19
Motifs de la décision
[1] La présente affaire constitue un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise le 5 juin 2015 par M. Lewis Jenkins, représentant délégué par le ministre du Travail (ci-après, le « délégué ministériel »).
Contexte
[2] L'intimé est gestionnaire correctionnel (GC) à l'Établissement Millhaven, établissement à sécurité maximale exploité par l'employeur, Service correctionnel du Canada (SCC), près de Bath, en Ontario. Il travaille pour l'appelant au sein d'un établissement à sécurité maximale depuis 17 ans, dont environ sept à titre de GC.
[3] Le 7 mai 2015, l'intimé a envoyé un courriel à M. Snedden, directeur de l'établissement, demandant que les GC, y compris lui-même, soient équipés d'un vaporisateur de poivre (oléorésine de Capsicum, un vaporisateur débilitant utilisé pour maîtriser les détenus) et de menottes. L'intimé a demandé qu'une décision soit prise au plus tard le 31 mai 2015. Sa demande est restée sans réponse.
[4] Le 1er juin 2015, l'intimé a exercé son droit de refuser d'accomplir un travail dangereux en vertu de l'article 128 du Code.
[5] L'intimé a indiqué que son refus était dû à [traduction] « une violation des articles 122.2 et 124, de l'alinéa 125(1)l) et du paragraphe 126(1) ». Il a indiqué que lui et d'autres GC à l'Établissement Millhaven étaient en danger [traduction] « en raison de tâches qui pourraient vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse ».
[6] Le superviseur de l'intimé, Jack Coimbra, directeur adjoint, Opérations (DAO), a enquêté sur le refus de travailler. Lorsque le DAO Coimbra s'est entretenu avec l'intimé, ce dernier a fourni les détails de son refus de travailler :
1) Ses tâches à titre de GC l'amenaient à se trouver dans des situations potentiellement dangereuses (p. ex., contrôleur sur les lieux, tribunal disciplinaire pour infractions mineures, zone N et tribunal disciplinaire pour infractions graves »).
2) À titre de GC, il a été appelé à recourir à la force pour amener un détenu à obtempérer.
3) Cinq ans auparavant, on a demandé aux GC de remettre leurs menottes.
4) SCC a récemment exigé des GC qu'ils portent des vestes de protection contre les armes blanches. Si le danger est tel que les GC doivent porter de telles vestes, ils devraient pouvoir porter les autres pièces d'équipement de protection personnelle (EPP) que les agents correctionnels (AC) reçoivent. Si le GC ne reçoit ni menottes ni vaporisateur de poivre parce qu'il n'y a aucun danger, alors les GC ne devraient pas avoir à porter une veste.
5) Les GC ont reçu une formation en vertu des Normes nationales de formation (NNF), qui comprend une formation sur les agents chimiques et l'autodéfense. S'il a reçu une formation sur l'utilisation d'agents chimiques, alors il devrait pouvoir obtenir un vaporisateur de poivre. S'il a reçu une formation sur l'utilisation de menottes, alors il devrait pouvoir obtenir des menottes.
[7] Le DAO Coimbra a déterminé qu'il n'y avait pas de danger, en présentant les observations suivantes :
1) L'exigence selon laquelle les GC doivent porter une veste de protection contre les armes blanches n'exigeait pas une formation en vertu des NNF.
2) À titre de GC, l'intimé n'a pas besoin de menottes ou de vaporisateur de poivre pour accomplir ses tâches.
3) À titre de GC, l'intimé n'est pas tenu d'intervenir dans les situations d'urgence comme c'est le cas des AC, il n'a donc pas besoin d'EPP.
4) Si un GC est à risque, d'autres mesures, comme la présence d'AC et l'alarme de protection personnelle (APP), atténuent le risque.
5) Si un GC est appelé à accomplir les tâches d'un AC lors d'une intervention, un EPP complet lui serait alors fourni à ce moment-là.
6) Même si la description de poste indique qu'il y a un risque d'agression verbale et physique, il n'est aucunement sous-entendu que le GC est un intervenant. Le GC fournit du [traduction] « leadership durant les urgences ».
7) La description de poste des deux niveaux d'AC, soit le niveau CX-1 et le niveau CX-2, indique clairement que les AC répondent aux urgences : [traduction] « il doit intervenir dans les situations menaçantes ou violentes ».
8) L'Ordre permanent 567-2 désigne les intervenants, mais n'inclut pas les GC. En cas d'urgence, le GC [traduction] « fournit du leadership et gère l'urgence ».
9) L'Établissement Millhaven comporte de nombreux mécanismes de sécurité qui contribuent à rendre le milieu sécuritaire (p. ex., les politiques, la circulation gérée des détenus, les patrouilles, les postes de contrôle armés, la formation, d'autres EPP, etc.).
10) Tout risque résiduel constituerait une condition normale de l’emploi.
[8] Un employeur et un employé membre du comité local de santé et sécurité ont enquêté sur le refus de travailler, mais ne sont parvenus à aucun consensus.
[9] Le 3 juin 2015, Lewis Jenkins, délégué ministériel, s'est rendu à l'Établissement Millhaven et a commencé son enquête sur le refus de travailler. Le 5 juin 2015, le délégué ministériel a établi qu'il y avait un « danger » et a émis une instruction en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code. Les parties pertinentes de l'instruction sont les suivantes [traduction] :
[…]
Le dit représentant délégué par le ministre du Travail est d’avis que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail.
L'employeur a omis de fournir aux gestionnaires correctionnels le même niveau d'équipement de protection personnelle (menottes et vaporisateur de poivre) que celui que les agents correctionnels portent sur eux lorsqu'ils accomplissent des tâches dans la même zone que les gestionnaires correctionnels, ce qui place les gestionnaires correctionnels en situation de danger.
Par conséquent, il vous est DONNÉ INSTRUCTION PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger immédiatement toute personne contre ce danger.
[…]
[10] Dans une note de service datée du 10 juin 2015, Larry Ringler, directeur intérimaire, a indiqué qu'en tant que mesure provisoire en réponse à l'instruction du délégué ministériel Jenkins, les GC porteraient des menottes et un vaporisateur de poivre sur eux pendant qu'ils travaillent au même endroit que les AC. Il est indiqué dans la note de service qu'en cas d'urgence, le rôle du GC consiste à donner des instructions et à exercer son leadership et non à répondre à l'urgence en tant qu'intervenant.
[11] Le 15 juin 2015, l'appelant a déposé un appel à l'encontre de l'instruction du délégué ministériel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal).
[12] L’audience d’appel a eu lieu devant moi à Ottawa, en Ontario, du 28 au 31 juillet 2015.
[13] Des modifications ont été apportées à la partie II du Code en vertu de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, qui est entrée en vigueur le 31 octobre 2014. Entre autres modifications, le Code comporte maintenant une nouvelle définition de « danger ». La nouvelle définition était en vigueur au moment où l'intimé a refusé de travailler le 1er juin 2015.
[14] L'intervenant, UCCO-SACC-CSN, est le syndicat qui représente les AC à l'Établissement Millhaven. Le syndicat ne représente pas les GC, comme l'intimé. L'intimé n'était pas représenté par un avocat à l'audience. Comme ce dossier est l'un des premiers à se pencher sur le sens et l'application de la nouvelle définition de « danger », et comme les membres de l'intervenant sont régis par la même définition de « danger », l'intervenant souhaitait qu'une interprétation de la nouvelle définition autre que celle de l'employeur soit fournie au Tribunal. Avec le consentement des parties, le statut d'intervenant à l'audience a été accordé au syndicat pour que celui-ci puisse contre-interroger les témoins des deux parties et présenter des observations écrites concernant le sens et l'application de la nouvelle définition de « danger ».
Questions en litige
[15] Je dois trancher les questions suivantes :
1) L'instruction du délégué ministériel était-elle bien fondée? Plus particulièrement, l'intimé était-il exposé à un « danger », au sens donné à cette expression dans le Code, au moment où il a exercé son droit de refuser de travailler?
2) Si un danger existait, ce danger constituait-il une condition normale de l’emploi, de manière à empêcher l’intimé d’exercer son droit de refuser de travailler en vertu du Code?
Observations des parties
A) Observations de l’appelant
[16] Ont témoigné pour l’appelant :
1) Larry Ringler, directeur intérimaire à l'Établissement Millhaven;
2) Jack Coimbra, DAO à l'Établissement Millhaven à l’époque;
3) Chris Hill, directeur des opérations de sécurité, SCC;
4) Kevin Snedden, directeur de l'Établissement Millhaven.
Concernant la définition de « danger »
[17] Selon l'appelant, la nouvelle définition de « danger » dans le Code diffère sensiblement de la définition antérieure, qui a été en vigueur de 2000 à 2014. Ce qui constitue un « danger » est maintenant similaire à ce qui en constituait un avant 2000, soit un « danger imminent ». La nouvelle définition met davantage l'accent sur le caractère immédiat du danger puisqu'on ne mentionne plus le « risque éventuel » comme c'était le cas de 2000 à 2014. La nouvelle définition de « danger » est plus restrictive que la définition précédente.
[18] L'appelant a commencé ses observations en expliquant comment la définition de « danger » est utilisée dans le Code. Selon l'appelant, le Code peut être divisé en deux parties. La majeure partie du Code comporte divers mécanismes visant à prévenir les accidents et les blessures, et l'autre partie porte sur le droit de l'employé de refuser unilatéralement de travailler en vertu de l'article 128 du Code lorsqu'il fait face à un danger.
[19] L'appelant considère que la partie principale du Code est composée de ce qui suit : 1) les obligations spécifiques de l'employeur et de l'employé (articles 124 à 126); 2) des dispositions relatives aux comités de santé et de sécurité (articles 134.1 à 138); 3) un processus de règlement interne des plaintes (article 127.1); 4) un important corpus de règlements pris en application du Code. Ces dispositions sont indépendantes des dispositions relatives au refus de travailler.
[20] La deuxième partie du Code, moins volumineuse, porte sur le refus de travailler en vertu de l'article 128 et la question du « danger » en est un concept central. Un employé peut refuser de travailler s'il a des motifs raisonnables de croire que le travail à accomplir constitue un danger. En résumé, la question du danger est alors prise en compte par l'employeur, puis par le comité de santé et sécurité et enfin, possiblement, par le délégué ministériel. La question peut être résolue à n'importe quelle étape de ce processus d'enquête. Si le délégué ministériel conclut qu'il y a un « danger », il aura le pouvoir d’émettre une « instruction relative à un danger » en vertu du paragraphe 145(2) du Code.
[21] L'appelant a fait une analyse en profondeur de l'historique de la définition du mot « danger » dans le Code afin d'appuyer son opinion selon laquelle la nouvelle définition de « danger » constitue un retour vers la définition qui existait avant la modification du Code en 2000. La définition qui était en vigueur avant 2000 était plus limitative que la définition qui a été en vigueur de 2000 à 2014. Le mot « imminent » avait été supprimé des dispositions relatives au refus de travailler en 1985, mais les tribunaux ont continué de considérer que le « danger » devait être un « danger imminent ». L'appelant estime que même si la nouvelle définition du mot « danger » ne comporte pas l'expression « danger imminent », son sens est similaire à celui de la définition qui était en vigueur avant 2000.
[22] Résumons la manière dont l'appelant a expliqué l'évolution de la définition de « danger » au fil des années :
1) Le droit de refuser de travailler dans les modifications apportées au Code en 1978 était fondé sur le fait que l'employé estimait être en présence d'un « danger imminent », aucun de ces mots n'étant toutefois défini.
2) En 1980, dans l'affaire d'Alan Miller c. Chemins de fer nationaux du Canada, [1980] 39 d.i. 93 (C.C.R.T.) (QL) (« Miller »), le Conseil canadien des relations de travail (qui était alors ainsi désigné) a interprété l'expression « danger imminent » comme étant un danger [traduction] « susceptible de se produire à tout moment sans avertissement » en précisant que « la blessure peut se produire avant que le risque puisse être écarté ». La perception de l'employé doit être « raisonnable ». Une préoccupation qui ne correspondait pas à la norme du danger imminent devait être traitée en vertu d'autres dispositions du Code.
3) La jurisprudence postérieure à l'affaire Miller a mis l'accent sur le sens restreint de l'expression « danger imminent » et sur la disponibilité d'autres ressources en vertu du Code en cas de menace moins imminente.
4) En 1985, le Code a été modifié. Le mot « imminent » a été supprimé et une définition de « danger » a été ajoutée : « "danger" Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. »
5) En 1988, dans la décision rendue dans l'affaire David Pratt c. Gray Coach Lines Limited, [1988] 73 d.i. 218 (C.C.R.T.) (« David Pratt »), le Conseil (qui était alors ainsi désigné) a indiqué, aux pages 8, 9 et 11, que la modification de 1985 a changé peu de choses, que la définition de « danger » de 1985 avait essentiellement le même sens que l'expression « danger imminent ». Le Conseil a aussi réaffirmé le principe selon lequel le droit de refuser de travailler n'était pas le mécanisme principal permettant d'atteindre les objectifs du Code.
6) La jurisprudence postérieure à l'affaire David Pratt était généralement conforme à l'interprétation selon laquelle « danger » était synonyme de « danger imminent » ou très similaire à cette notion.
7) En 2000, le Code a été modifié en vue d'inclure une nouvelle définition de « danger ». Cette définition est restée en vigueur jusqu'au 31 octobre 2014 :
« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
8) La définition donnée au terme « danger » en 2000 ajoutait le concept de « risque éventuel » (le risque n'a pas à être immédiat) et l'idée selon laquelle le préjudice n'a pas à survenir immédiatement après l'exposition.
9) En 2001, dans la décision Welbourne c. Canadien Pacifique, [2001] C.L.R.C.R.S.O.D.) No. 8, à la page 6 (QL) (« Welbourne »), l'agent d'appel a indiqué que la définition de 2000 de « danger » était moins restrictive que la norme de « danger imminent » - le danger n'a pas à être immédiat et présent; « le danger peut aussi être éventuel dans la mesure où le risque, la situation ou la tâche peut prendre place et est susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou la rendre malade »
10) Dans la décision Welbourne, il a été noté que les situations hypothétiques doivent être exclues du concept de « danger ». Un certain nombre de facteurs ont été énumérés, qui pourraient atténuer le danger, comme la formation, les procédures, l'EPP, les antécédents et le risque en cause. L'agent d'appel note également que le comité de santé et sécurité pourrait aborder des problèmes qui ne constituent pas un danger.
11) La jurisprudence postérieure à Welbourne a continué d'appuyer la notion selon laquelle les situations hypothétiques ne correspondent pas à la définition de « danger » et que la question est de savoir si une situation est susceptible de causer des blessures. Une violation du Code ou de ses règlements ne constitue pas nécessairement un « danger ». La définition de « danger » est articulée autour de la probabilité de réalisation du risque et non de la gravité des conséquences si le risque survient.
12) Dans Société canadienne des postes c. Pollard, 2008 CAF 305 (« Pollard »), aux paragraphes 16 et 17, la Cour d'appel fédérale résume comme suit le sens de la définition de « danger » de 2000 à 2014 :
[...] il faut déterminer dans quelles circonstances le risque éventuel est raisonnablement susceptible de causer des blessures, et établir que ces circonstances se présenteront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable; que pour conclure à la présence d’un danger, il s’agit de déterminer les probabilités que ce qu’affirme le plaignant se produise plus tard; que le risque doit être raisonnablement susceptible de causer des blessures avant qu’il ne soit écarté; et qu’il n’est pas nécessaire d’établir à quel moment précis le risque surviendra, ni qu’il survient chaque fois.
13) Dans Canada (Service correctionnel) c. Glenn Brown et Kevin Kunkel, 2013 TSSTC 20 (« Glenn Brown »), l'agent d'appel Aubre note que le seuil à atteindre pour conclure à l'existence d'un danger « ... est assurément plus faible que la certitude qu’une telle agression se produira ». L'agent d'appel Aubre a maintenu la conclusion de « danger » de l'agent de santé et sécurité, car il estimait qu'il y avait une « possibilité raisonnable » que les détenus soient violents. L'appelant est d'avis que cela représente un seuil très bas à atteindre pour conclure à l'existence d'un danger en vertu de la définition de 2000-2014. En comparant la décision Welbourne avec celle de Glenn Brown, la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014 n'aide pas vraiment à faire la distinction entre une « simple possibilité » et une « possibilité raisonnable ».
14) Selon les deux définitions de « danger », soit celle de 1985 et celle de 2000, il a été reconnu que les dispositions relatives au refus de travailler ne constituent pas un mécanisme permettant de forcer la résolution des problèmes liés aux relations de travail. Canada (Procureur général) c. Fletcher, 2002 CAF 424, au paragraphe 19 (« Fletcher »); Stone c. Canada (SCC), [2002] D.A.A.C.C.T. No. 19, au paragraphe 51 (« Stone »); Joel Gartner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2015 TSSTC 10, au paragraphe 61 (« Gartner »).
[23] En résumé, l'appelant est d'avis que la nouvelle définition de « danger », entrée en vigueur en 2014, vise un retour au sens donné au mot « danger » avant 2000, soit celui de « danger imminent », en particulier avec la suppression du mot « éventuel » (potential et future activity en anglais). L'appelant affirme que la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014 ratissait trop large, qu'elle était imprécise et qu'elle entraînait une application beaucoup trop fréquente des dispositions du Code relatives au refus de travailler. Une définition plus restrictive du mot « danger » rétablira l'équilibre du Code en encourageant le recours aux autres mécanismes de résolution de problèmes dans le Code.
[24] Dans Glenn Brown, au paragraphe 73, il est établi que l'ajout du mot « éventuel » dans la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014 a eu de profondes répercussions (passage souligné par l'appelant) sur le droit de refuser de travailler parce qu’il n’était plus nécessaire qu’un danger réel existe au moment du refus. Selon l'appelant, si l'ajout du mot « éventuel » à la définition de « danger » en 2000 a eu de profondes répercussions, alors la suppression de ce mot dans la nouvelle définition de 2014 devrait aussi avoir de profondes répercussions. Par conséquent, il faut maintenant qu'un danger réel existe au moment du refus de travailler.
[25] L'appelant compare la définition de « danger » de 1985 et la nouvelle définition de 2014 :
1985 - « … susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade… »
2014 - « … qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour…”
L'appelant ne voit aucune différence importante entre, d'une part, « blessures » ou « maladie » et, d'autre part, « menace imminente ou sérieuse ». Ce sont toutes deux des conséquences. Le libellé similaire « susceptible de causer/qui pourrait raisonnablement présenter... » (could reasonably be expected to..., en anglais) est toutefois important.
[26] Si l'intention de la modification de la définition de « danger » apportée en 2014 était de revenir à la signification du mot « danger » de 1985, l'appelant estime alors que la décision de 1988 rendue dans l'affaire de David Pratt prend toute son importance, le critère étant le suivant :
… le risque que l’employé soit blessé ou tombe malade est grave au point ou l'utilisation de la machine, de l’objet ou du lieu en question doit cesser jusqu'à ce que la situation soit corrigée. [Passage souligné par l'appelant]
[27] L'appelant prétend que dans un milieu correctionnel, le critère utilisé dans David Pratt signifie que tant que le détenu n'agit pas de manière à mettre un agent correctionnel en danger, il n'existe aucun danger, en citant Stephenson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), [1991] C.R.T.F.P. dossier 165-02-83, à la page 30.
[28] De l'avis de l'appelant, ce sens restreint du mot « danger » ne diminue pas la protection des employés. Il améliore plutôt leur protection en remettant l'accent sur d'autres mécanismes plus appropriés du Code pour traiter les préoccupations en matière de santé et sécurité au travail (SST).
[29] L'appelant a résumé, en l'approuvant, le point de vue qu'a exprimé la Cour d'appel fédérale dans Fletcher sur le rôle des dispositions relatives au refus de travailler, en citant l'extrait suivant :
[17] Cet argument repose malheureusement sur une incompréhension du mécanisme du refus de travailler tel qu'il est exposé dans le Code.
[18] Le mécanisme constitue une occasion particulière donnée aux employés, à un moment déterminé et à un endroit déterminé, de s'assurer que leur travail immédiat ne les exposera pas à une situation dangereuse. C'est la protection à court terme de l'employé qui est en jeu, non une protection hypothétique ou éventuelle.
[19] Le mécanisme est une mesure d'urgence. C'est un outil dont dispose l'employé devant une situation qui pourrait entraîner pour lui une blessure ou une maladie avant que cette situation soit corrigée. Voir Scott C. Montani (1994), 95 di 157, à la page 7 :
Le Conseil a déclaré que le Parlement n'avait pas eu l'intention d'utiliser le mot « danger » dans son acception la plus large. Voir David Pratt (1988), 73 di 218 et 1 CLRBR (2d) 310 (CCRT no. 686). Au sens du Code, le « danger » doit être perçu comme immédiat et réel. Le risque auquel sont exposés les employés doit être suffisamment sérieux pour que la machine ou la chose ou la situation engendrée ne puisse être utilisée avant qu'il ne soit remédié à la situation. En outre, il doit s'agir d'un danger que le Parlement voulait inclure dans la Partie II du Code.
Le droit de refuser de travailler est une mesure d'urgence. Les employés doivent y faire appel dans des situations où ils croient faire face à un danger immédiat ou à un risque imminent de blessures. Il ne peut s'agir d'un danger qui est inhérent au travail ou qui constitue une condition normale de l'emploi. La possibilité de blessures ou de danger ne constitue pas un motif suffisant pour se prévaloir des dispositions sur le refus de travailler; le danger doit bel et bien exister. Voir Stephen Brailsford (1992), 87 di 98 (CCRT no. 921); et David Pratt, supra. Cette disposition n'a pas davantage pour objet de faire aboutir des enjeux ou des différends en matière de relations du travail. Lorsqu'une telle décision coïncide avec d'autres conflits de travail, le Conseil se soucie tout particulièrement des circonstances entourant le refus. Voir Stephen Brailsford, supra; Ernest L. LaBarge (1981), 47 di 18; 82 CLLC 16,151 (CCRT no. 357); William Gallivan (1981), 45 di 180; [1982] 1 Can LRBR 241 (CCRT no. 332).
[30] En résumé, l'appelant est d'avis que la nouvelle définition du mot « danger » rétablit l'équilibre du Code. La jurisprudence établie en vertu de la définition de 1985 s'applique.
Application aux faits
[31] L'appelant affirme que le délégué ministériel Jenkins a rendu sa décision en se fondant sur la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014, comme en témoigne sa citation d'une décision antérieure à 2014. Dans son rapport d'enquête, le délégué ministériel a cité la décision de l'agent d'appel Aubre dans Glenn Brown concernant l'exigence selon laquelle les GC doivent porter des vestes de protection contre les armes blanches: « ... il y avait une possibilité raisonnable que les intimés soient agressés et blessés avant de pouvoir se procurer la protection appropriée. » La décision de l'agent d'appel Aubre a été rendue en vertu de l'ancienne définition de « danger ». L'appelant fait valoir que le délégué ministériel s'est fié à tort au concept de menace « éventuelle ». L'appelant soutient que les expressions « menace imminente » et « menace sérieuse » sont de même nature (ejusdem generis) et qu'il est faux d'affirmer que « menace sérieuse » équivaut à « menace importante éventuelle ».
[32] En outre, le délégué ministériel Jenkins s'est fié à sa conclusion selon laquelle les GC et les AC travaillent au même endroit pour conclure qu'il existe un danger pour les GC. Le délégué ministériel n'a pas bien compris le rôle du GC.
[33] Au moment du refus de travailler et de l'enquête du délégué ministériel, la preuve a démontré que rien n'était hors de l'ordinaire, qu'il n'existait aucune menace particulière envers l'intimé et que le calme régnait dans l'établissement. L'intimé s'est servi du refus de travailler pour provoquer la résolution d'un problème de longue date.
[34] À l'audience, les exemples que l'intimé a donnés, qui illustrent le besoin des GC de porter sur eux des menottes et un vaporisateur de poivre, démontraient en fait que les menottes et les vaporisateurs étaient immédiatement accessibles étant donné que les AC présents les portaient sur eux.
[35] L'appelant fait valoir que l'existence des mesures que le DAO Coimbra mentionne dans le cadre son enquête sur le refus de travailler atténuerait le risque, même en cas d'agression hypothétique.
[36] L'appelant a souligné l'incident au cours duquel un détenu a agressé un GC en lui crachant dessus; la possession de menottes ou de vaporisateur de poivre n'aurait aucunement empêché l'agression. Dans un autre incident où un détenu a donné un coup de pied sur une table, projetant celle-ci sur un GC, la possession de menottes ou d'un vaporisateur de poivre n'aurait pas non plus empêché l'agression.
[37] L'appelant estime que l'instruction du délégué ministériel incite à confondre les rôles de GC et d'AC. Il est manifeste, d'après leurs descriptions de poste, que les AC répondent aux urgences, tandis que les GC doivent éviter d'intervenir physiquement de sorte qu'ils puissent gérer la situation. Il y avait aussi des éléments de preuve sur la formation que reçoivent les GC, qui indiquent la distinction entre le rôle de GC et celui d'AC. Chris Hill, directeur des opérations de sécurité, a indiqué dans son témoignage que le fait de confier des menottes et un vaporisateur de poivre aux GC enverrait un message contradictoire, soit qu'ils doivent à la fois intervenir physiquement et diriger l'intervention des AC. Lorsque les GC interviennent, le « modèle de réponse de la direction » n'est pas mis en œuvre comme il se doit. Le témoignage de Jack Coimbra, qui était alors DAO, était similaire à celui de Chris Hill.
[38] Larry Ringler, directeur intérimaire, a indiqué dans son témoignage que la confusion à propos du rôle des GC dans une situation d'urgence se propagerait aux autres membres du personnel, qui s'attendraient à une intervention physique des GC. En cas d'urgence, les GC donnent des instructions aux membres du personnel autres que les AC se trouvant à proximité. Un incident pourrait être une ruse pour détourner l'attention d'événements se déroulant ailleurs dans l'établissement; un GC doit pouvoir comprendre l'ensemble de la situation, ce qu'il pourrait difficilement faire s'il était directement impliqué dans une altercation avec un détenu. Le fait de fournir des menottes et un vaporisateur de poivre aux GC porterait à confusion et rendrait le milieu moins sécuritaire.
[39] Le témoin de l'intimé, le GC Bird, a témoigné en particulier au sujet d'un incident de violence en milieu de travail. L'appelant affirme que le témoignage du GC Bird démontrait en fait l'existence d'une confusion de rôle entre les GC et les AC. Selon son témoignage, lorsque cet incident s'est produit, de nombreux AC étaient présents, munis de menottes et de vaporisateurs de poivre, ce qui signifie que le GC n'avait pas besoin d'être équipé de la sorte.
[40] Le directeur intérimaire Ringler a également indiqué dans son témoignage que la question des menottes et du vaporisateur de poivre n'a jamais été soumise à l'attention du comité de santé et sécurité de l’établissement et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une plainte en vertu de l'article 127.1 (processus de règlement des différends).
[41] Dans son rapport d'enquête, le délégué ministériel a renvoyé au document Interprétations, politiques, et guides (IPG) no 905-1-IPG-062 du Programme du travail d'Emploi et Développement social Canada (EDSC) et à la définition des expressions « menace imminente » et « menace sérieuse » qui y figurent. Le délégué ministériel a aussi renvoyé à la définition de l'expression « condition normale de l'emploi » qui figure dans le document no 905-1-IPG-070. Dans le document no 905-1-IPG-062, « menace sérieuse » comprend les « menaces importantes possibles ». L'appelant affirme que ces guides d'interprétation ne lient pas le Tribunal et qu'elles n'ont aucun effet juridique.
[42] L'appelant renvoie au témoignage de l'intimé, le GC Ketcheson, selon lequel, au moment du refus de travailler [traduction] « il n'existait aucun risque imminent ou sérieux pour moi ce jour-là ». L'appelant est d'avis que cette déclaration de l'intimé permet de trancher la question.
[43] L'appelant conclut en indiquant que la preuve établit qu'il n'y avait aucun danger pour l'intimé découlant du fait de ne pas porter sur lui des menottes et un vaporisateur de poivre au moment du refus de travailler ou au moment de l'enquête du délégué ministériel Jenkins.
Condition normale de l’emploi
[44] Même s'il y avait un danger pour l'intimé, l'appelant renvoie à la preuve selon laquelle un vaste éventail de mesures était en place afin d'atténuer le risque. Les agressions contre les GC sont rares. L'exposition aux détenus fait partie du travail du GC. Le fait d'être exposé aux détenus en ne portant ni menottes ni vaporisateur de poivre constitue une « condition normale de l'emploi » au sens de l'alinéa 128(2)b) du Code; par conséquent, l'instruction du délégué ministériel Jenkins n'était pas fondée.
[45] L'appelant fait remarquer qu'il y a certains scénarios hypothétiques où le danger auquel les GC seraient exposés ne constituerait pas une condition normale de l'emploi (par exemple, un GC qui se rendrait dans une cour où de nombreux détenus font une émeute sans l'équipe d'intervention en cas d'urgence et sans équipement de protection), mais que ces scénarios ne correspondent pas à la réalité quotidienne des GC exposés aux détenus.
[46] En conclusion, s'il y avait un danger, il s'agirait d'une condition normale de l'emploi. Par conséquent, l'instruction du délégué ministériel devrait être annulée.
B) Observations de l’intimé
[47] Ont témoigné pour l’appelant :
1) L'intimé, Pat Ketcheson, un GC à l'Établissement Millhaven;
2) Chris Bird est aussi GC à l'Établissement Millhaven.
[48] Les observations écrites de l'intimé étaient relativement brèves. Comme il est indiqué, l'intimé n'était pas représenté par un avocat. Ses observations étaient principalement de nature factuelle.
[49] L'intimé fait valoir que le fait que l'employeur exige que les GC portent une veste de protection contre les armes blanches prouve que ceux-ci font face à une « menace imminente ». C'est pourquoi, dans le courriel qu'il a envoyé au directeur Snedden et à d'autres personnes le 28 avril 2015, il a demandé que les GC soient équipés de menottes et d'un vaporisateur de poivre. Il leur a fait part de ses inquiétudes une nouvelle fois le 7 mai 2015. Il a demandé une réponse au plus tard le 31 mai 2015, sans quoi il [traduction] « serait forcé de soulever ces préoccupations à un autre niveau ». N'ayant reçu aucune réponse à l'expiration de ce délai, il s'est [traduction] « senti forcé d'exercer [son] droit en vertu de l'article 128 » le 1er juin 2015.
[50] La position de l'intimé est la suivante : le délégué ministériel Jenkins a pris la bonne décision, le 5 juin 2015, en indiquant que l'intimé faisait face à un danger et qu'il devrait porter sur lui des menottes et un vaporisateur de poivre.
[51] L'intimé fait valoir qu'il est tenu de porter une veste de protection contre les armes blanches en raison de la décision rendue dans Glenn Brown. Il estime que la décision rendue dans Glenn Brown a déjà établi l'existence d'un danger de violence que présentent les détenus pour les GC.
[52] En outre, l'intimé a déclaré ce qui suit :
1) [traduction] « Il se trouve avec les agents correctionnels aux mêmes endroits et aux mêmes moments, confrontés aux mêmes dangers... »
2) Seuls les AC et les GC ont instruction d'intervenir en cas d'urgence avant que la zone ne puisse être déclarée sûre.
3) Il a été agressé par des détenus et a été impliqué dans plusieurs incidents où la force a été utilisée.
4) L'Établissement Millhaven accueille des délinquants violents, des membres de gangs et des détenus souffrant de graves problèmes de santé mentale.
5) Quoi qu'en dise la politique écrite de SCC selon laquelle les GC ne sont pas des intervenants de première ligne, il peut à tout moment, étant donné le caractère imprévisible de la nature humaine, se trouver [traduction] « dans une situation fâcheuse faisant en sorte qu'ils deviennent intervenants de première ligne ».
[53] L'intimé ne croit pas qu'il y ait confusion des rôles. À son avis, les vidéos visionnées à l'audience montraient que les GC étaient en mesure de continuer à donner des instructions tout en intervenant en situation de crise.
[54] L'intimé n'a pas contesté la position de l'appelant selon laquelle rien n'était hors de l'ordinaire au moment du refus de travailler. L'intimé estime qu'il serait irresponsable de sa part d'attendre qu'une situation se présente pour refuser de travailler.
[55] Le comité de santé et de sécurité de l'Établissement Millhaven n'a aucun représentant pour les GC. L'intimé juge inapproprié de faire part des inquiétudes des GC à un comité dominé par des AC, car cela [traduction] « serait contraire au rang et à la structure ».
[56] L'intimé estime que s'il existe de la confusion à propos du rôle des GC en situation d'urgence, c'est parce que la politique de SCC exige que les GC interviennent dans la zone où un incident se produit et donnent des directives et des conseils, ce qui met les GC dans la zone dangereuse. Cela place les GC en situation de danger.
[57] L'intimé souligne que le témoignage de Chris Hill, directeur des opérations de sécurité, était à l'effet que certains GC dans plusieurs établissements de SCC situés partout au Canada sont en possession de menottes, ce qui signifie que l'employeur a déjà jugé nécessaire de munir les GC de menottes dans d'autres établissements comme équipement de protection personnelle.
[58] L'intimé fait aussi remarquer que le témoignage de Larry Ringler révélait que sept des 15 GC à l'Établissement Millhaven occupent ce poste à titre intérimaire et qu'ils portent encore sur eux les menottes qui leur ont été confiées à titre d'AC.
[59] Les GC participent à ce qu'on appelle le « tribunal disciplinaire » avec les détenus. Le GC est en présence d'un délinquant avec un seul AC. L'intimé fait valoir qu'en cas d'altercation physique avec le délinquant, les attentes de l'appelant sont contradictoires : l'appelant s'attend à ce que le GC intervienne à titre d'agent de la paix, mais il estime en même temps que lorsque les GC interviennent, ils perdent leur capacité de gestion.
[60] À la suite de l'instruction du 5 juin 2015 du délégué ministériel Jenkins, les GC ont reçu des menottes et un vaporisateur de poivre à titre de mesure provisoire. De l'avis de l'intimé, cela n'a créé aucune confusion entre le rôle du GC et celui de l'AC.
[61] L'intimé conteste l'argument de l'appelant selon lequel de nombreux employés de l'Établissement Millhaven ne sont pas munis de menottes et d'un vaporisateur de poivre, comme les agents de libération conditionnelle, les enseignants et les agents de liaison autochtones, entre autres, et que les GC se trouvent dans la même situation. L'intimé affirme qu'on ne peut pas comparer les GC à ces autres groupes d'employés parce que contrairement à ces derniers, les GC sont tenus d'intervenir en situation de crise.
[62] L'intimé ne fait aucune distinction entre les risques présentant des probabilités variables. Selon l'intimé, si le GC est à risque, il est en danger. L'intimé estime que les GC se trouvent généralement dans une situation de danger permanente.
[63] Il conclut en affirmant que l'appelant n'a fourni aucune preuve pertinente qui justifierait de modifier la conclusion de « danger » du délégué ministériel et que l'instruction devrait être confirmée.
C) Observations de l’intervenant
[64] L'intervenant partage le point de vue de l'intimé selon lequel l'intimé était en danger et que l'instruction du délégué ministériel Jenkins devrait être confirmée.
[65] La préoccupation principale de l'intervenant est de fournir son aide concernant le sens du mot « danger », en sa version modifiée en octobre 2014, et l'effet de la nouvelle définition sur l'applicabilité de la jurisprudence à ce jour. En résumé, l'intervenant est fortement en désaccord avec le point de vue de l'appelant concernant le sens du mot « danger » et est d'avis que le mot « danger » a sensiblement le même sens qu'avant la modification. Par conséquent, la jurisprudence établie entre 2000 et 2014 reste applicable.
[66] L'intervenant a cité deux affaires où l'appréhension du danger par un employé pouvait être subjective au moment d'interpréter le sens de « danger imminent » pendant la période comprise entre 1978 et 2000, soit Miller à la page 11 et Bell Canada c. Travail Canada (1984), 56 di 150 (C.C.R.T.), page 10.
[67] Pendant la période comprise entre 1985 et 2000, lorsque le mot « imminent » a été supprimé du concept de « danger imminent », mais que « danger » était toujours interprété comme conservant un caractère immédiat, il a été reconnu qu'un événement violent pourrait se produire à un moment indéterminé à l'avenir, mais que le risque quotidien de violence signifiait qu'un danger était présent. Canada (Revenu, Douanes et Accise) et Edwards [1991] C.L.C.R.S.O.D. n° 23, par. 10 et 11.
[68] Pendant la période comprise entre 2000 et 2014, l'expression « susceptible de causer » a commencé à être interprétée comme signifiant qu'une blessure ne devait pas nécessairement survenir chaque fois que le risque était présent, mais seulement que la situation ou la tâche « doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois », en citant Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767 (« Verville ») au paragraphe 35. Dans un établissement correctionnel, cela signifie qu'un employé ne doit pas nécessairement démontrer qu'il sera blessé chaque fois qu'un détenu l'agressera, mais plutôt qu'une agression pourrait lui causer des blessures. Le risque de blessure ne doit pas être immédiat.
[69] Aussi, pendant la période comprise entre 2000 et 2014, il a été établi qu'un danger pouvait être fondé sur le caractère imprévisible du comportement humain, en citant les décisions que la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont rendues dans Verville et dans Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, au paragraphe 35.
[70] Concernant la modification de 2014 de la définition de « danger », l'intervenant est d'avis que selon les débats parlementaires et les publications gouvernementales, le but de la modification était de réduire la complexité de la définition et non de rétablir le sens d'origine du mot « danger », un sens restrictif qui n'englobait pas le risque éventuel.
[71] L'intervenant a cité la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 (« Rizzo Shoes Ltd. ») pour établir qu'il est permis et approprié de tenir compte des débats parlementaires afin d'établir l'intention du législateur. Les déclarations faites par la ministre ayant parrainé le projet de loi sont particulièrement convaincantes en ce qui a trait à l'intention.
[72] En deuxième lecture du projet de loi modifiant le Code, la ministre du Travail de l'époque, l'honorable Kelly Leitch, a affirmé ce qui suit :
Je veux qu'il soit bien clair que le droit qu'ont les employés de refuser un travail dangereux est primordial et qu'il continue d'exister. La définition continue d'offrir une protection contre tout type de danger, fût-il imminent, grave ou à long terme. Les employés continueront d'avoir le droit de refuser tout travail qu'ils estiment dangereux. Les employeurs resteront tenus de veiller à ce que les lieux de travail soient sécuritaires et d'intervenir si ce n'est pas le cas. (Chambre des communes, 41e Législature, 2e session (29 octobre 2013) « Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 ». Canada. Parlement. Chambre des communes. Hansard révisé 147(10) à la page 551. Tiré de http://www.parl.gc.ca/content/hoc/House/412/Debates/010/HAN010-F.PDF)
[73] L'intervenant affirme que l'intention déclarée du gouvernement était de préciser la définition du mot « danger » puisque « même après appel, 80 % des refus de travailler évoqués au cours des 10 dernières années l'ont été dans des situations qui ne présentaient pas de danger ».
[74] L'intervenant affirme que le gouvernement n'avait donné aucune indication que le Code donnait le droit de refuser de travailler dans un trop grand nombre de situations ou que le Tribunal et les cours avaient interprété trop largement la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014.
[75] L'intervenant est d'avis que l'intention du gouvernement à l'égard de la modification de 2014 était de réduire le nombre de refus de travailler qui n'étaient pas fondés, et non le nombre de dossiers où la présence d'un danger a été confirmée, y compris certains cas où le risque était éventuel.
[76] L'intervenant cite un document de consultation décrivant l'objectif de la modification de 2014 :
Il a été déterminé, même après les appels, que dans plus de 80 % des refus de travailler au cours des 10 dernières années - de 2003 à 2013 - il n’y avait pas de situation de danger. La modification proposée visant à rendre la définition de « danger » plus précise permettra aux employés et aux employeurs de mieux gérer les questions de santé et de sécurité au travail dans le cadre du système de responsabilité interne. (2014, ministère des Finances, projet de loi C-4 - Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, Ottawa, gouvernement du Canada, 2013, partie 3, section 5.)
[77] Lorsque l'on compare le libellé de la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014 et la nouvelle définition de 2014, l'intervenant note que le mot « éventuel » qualifiait les mots « situation », « tâche » et « risque » (dans la version anglaise, le mot « potential » qualifiait les mots « condition » et « hazard »). Quoi qu'il en soit, dans le dictionnaire, le sens de « risque » (hazard en anglais) comporte une notion d'éventualité. Le dictionnaire Oxford définit le mot « hazard » comme [traduction] « une source de danger éventuelle ». Le concept d'éventualité est inhérent au concept de risque. Par conséquent, le fait de supprimer le mot « éventuel » en 2014 a tout simplement réduit la complexité de la définition de « danger ». Implicitement, la suppression du mot « éventuel » n'a pas réduit la portée du mot « danger ».
[78] La modification apportée en 2014 au mot « danger » a aussi supprimé les mots « existant ou », qui qualifiaient, avec « éventuel », les mots « situation », « tâche » et « risque », dans la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014 (dans la version anglaise, les mots « current or future » qualifiaient le mot « activity »). En 2000, le droit de refuser de travailler a été élargi afin d'inclure les refus fondés sur la croyance qu'une activité (et non seulement une tâche ou une situation) pourrait constituer un danger. Pour qu'un employé puisse refuser de travailler, il n'a pas besoin d'exécuter l'activité en question au moment du refus. La suppression du mot « éventuel » (future en anglais) vise donc à simplifier et non à limiter puisqu'un employé peut encore refuser d'exécuter une activité qui n'a pas encore lieu.
[79] L'intervenant note également que le mot « existant » (les mots current et existing en anglais) a été supprimé de la définition de « danger » en 2014. Si le Parlement avait voulu limiter la définition de « danger » aux risques ou aux activités existants, alors il n'aurait supprimé que le mot « éventuel » (les mots potential et future en anglais). En supprimant tous les qualificatifs, l'intention du Parlement était de simplifier la définition de « danger » et non d'en limiter la portée.
[80] Une autre modification apportée en 2014 à la définition de « danger » était la suppression du texte suivant :
…même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats [...]. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;
[81] L'intervenant fait valoir que le passage ci-dessus a été ajouté à la définition de « danger » de 2000 parce que les tribunaux avaient interprété la définition de « danger » comme exigeant que la blessure ou la maladie survienne immédiatement après l'exposition à l'activité afin de constituer un danger.
[82] L'intervenant note toutefois que dans Welbourne et dans Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158, le Tribunal et la Cour fédérale ont jugé que, en vertu de la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014, les risques ayant des répercussions à long terme pourraient être considérés comme un « danger ». Il s'ensuit que la suppression des mots indiqués ci-dessus constitue une simplification et non une limitation. Les risques ayant des effets à long terme peuvent toujours être des « dangers ». À l'appui de ce point de vue, l'intervenant cite la déclaration de la ministre Leitch : « La définition continue d'offrir une protection contre tout type de danger, fût-il imminent, grave ou à long terme » (Supra)
[83] L'intervenant est en désaccord avec le point de vue de l'appelant selon lequel les définitions de « danger » de 1985 et de 2014 sont tellement similaires que l'intention du législateur doit être de revenir au sens plus limité de la définition de « danger » qui était en vigueur en 1985. La définition adoptée en 2014 comporte le mot « menace » au sens de « menace imminente » ou de « menace sérieuse ». Le mot « menace » désigne la possibilité qu'un préjudice survienne. Selon la définition de 2014, on doit s'attendre vraisemblablement à ce que quelque chose puisse éventuellement se produire, tandis que selon la définition de 1985, on devait s'attendre raisonnablement à ce que quelque chose se produise. Ainsi, la définition de 2014 est plus large que celle de 1985; elle n'est pas la même, comme le suggère l'appelant.
[84] En mettant l'accent sur la nouvelle définition du mot « danger » dans le contexte du rôle du droit de refuser de travailler, l'intervenant renvoie à l'objet du Code, énoncé à l'article 122.1, qui est au cœur de toute interprétation du Code.
[85] L'intervenant est en désaccord avec le point de vue de l'appelant selon lequel le Code est composé de deux parties distinctes, soit celle portant sur le droit de refuser de travailler et celle portant sur tout le reste. L'intervenant est d'avis que le Code, ainsi que la majeure partie des lois en matière de SST au Canada, est fondé sur trois droits fondamentaux des employés :
1) Le droit de connaître les risques du milieu de travail;
2) Le droit de participer à l'identification et à la correction des problèmes de SST;
3) Le droit de refuser un travail dangereux.
[86] L'intervenant affirme que la prévention des accidents du travail exige que ces trois droits soient pleinement reconnus et mis en œuvre. Les quelques restrictions énoncées dans le Code concernant le droit de refuser de travailler ne diminuent pas son statut de droit important.
[87] L'intervenant convient que le droit de refuser de travailler ne devrait pas être exercé pour trouver une solution aux problèmes de relations de travail qui ne concernent pas la SST. Toutefois, l'existence de ces problèmes n'empêche pas un employé de refuser de travailler, comme l'indique le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans Simon c. Société canadienne des postes (1993), 91 di 1, (Décision no 998 du CCRT), à la page 10 :
[traduction] … l'existence de tensions ou de désaccords entre l'employeur et les employés sur des questions particulières ne doit pas empêcher un employé de se prévaloir de son droit de refuser de travailler et de bénéficier de la protection du Code si cet employé a l'intime conviction d'avoir des motifs raisonnables de croire à l'existence d'un danger.
[88] L'intervenant convient que le droit de refuser de travailler constitue une « mesure d'urgence », mais cela ne signifie pas que l'employé doive « l'essayer pour voir » avant de refuser de travailler. Le refus de travailler peut être fait de manière anticipée.
[89] L'intervenant indique que certaines publications du Programme du travail d'EDSC contiennent des IPG visant à garantir une interprétation uniforme de la législation au pays. L'intervenant est d'avis qu'en cas de doute, ces IPG sont pertinents et devraient être pris en compte par le Tribunal. L'intervenant renvoie à la décision de la Cour suprême du Canada dans Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec), [1978] 1 RCS 851, à la page 859 :
…n'affirme pas que l’interprétation administrative puisse aller à l’encontre d’un texte législatif clair, mais dans une situation comme celle que je viens d’esquisser, cette interprétation a une valeur certaine et, en cas de doute sur le sens de la législation, devient un facteur important.
[90] L'intervenant note également que par le passé, le CCRI et le Tribunal ont tenu compte des publications gouvernementales, notamment les IPG, dans leurs analyses.
[91] L'intervenant a fait référence à l'IPG publié dans le cadre du Programme du travail en octobre 2014 concernant la nouvelle définition de « danger » (905-1-IPG-062) selon lequel la définition a été modifiée « afin de clarifier la définition et d'en réduire la complexité ».
[92] L'intervenant note que cet IPG définit « menace imminente » comme étant une menace sur le point de survenir et « menace sérieuse » comme étant « une importante menace pour la santé ou la vie et comprend les menaces importantes possibles ». Il s'ensuit que tant que la menace attendue est sérieuse, elle n'a pas aussi à être imminente. Bien que le mot « éventuel » ait été supprimé comme qualificatif du mot « risque », le nouveau terme « menace » comprend une menace éventuelle.
[93] En résumé, la modification de la définition de « danger » ne réduit pas la portée de la définition, contrairement à ce qu'affirme l'appelant. La modification ne fait que préciser la définition. La jurisprudence établie avant la modification s'applique donc toujours.
[94] L'intervenant est d'avis que même si la nouvelle définition est similaire à celle de 1985, la jurisprudence qui évolue depuis 1985 signifierait qu'une interprétation plus libérale serait donnée à la définition aujourd'hui.
[95] Par conséquent, l'intervenant estime que le critère du « danger » dont il est question dans Pollard est encore pertinent, avec quelques ajustements :
1) Le risque allégué par l'employé existait au moment où l'employé a refusé de travailler;
2) Un employé a été exposé à ce risque, à cette situation ou à cette tâche;
3) L'exposition à ce risque, à cette situation ou à cette tâche est susceptible de causer des blessures ou la mort, ou de rendre malade, à tout moment, mais pas à chaque fois;
4) La menace pour la vie ou pour la santé se produira vraisemblablement avant que la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.
[96] En appliquant le critère énoncé dans Pollard à la situation dans laquelle se trouvait l'intimé le 1er juin 2015, on conclut que le risque existait au moment où l'intimé a refusé de travailler, soit le « risque d'être agressé par des détenus sans être muni d'un équipement de protection approprié ». Comme le mot « risque » comporte un caractère d'éventualité, l'intimé n'a qu'à démontrer qu'un risque raisonnable existait et non qu'il avait effectivement vécu une situation dangereuse.
[97] L'intervenant soutient que la présente affaire est similaire à d'autres affaires de SCC où le risque découle du caractère imprévisible du comportement humain.
[98] Le critère énoncé dans Pollard exige que l'employé soit exposé au risque, à la situation ou à la tâche. Même si les GC ne sont pas des membres du personnel de première ligne comme les AC, la preuve a démontré qu'ils étaient exposés au risque. Selon le témoignage de M. Coimbra, les GC passent de deux à trois heures par semaine en contact direct avec des détenus. Les GC peuvent se trouver en présence de détenus seuls ou avec un seul AC.
[99] Selon le témoignage du GC Bird, les GC et les AC sont les seuls employés qui « vont à la source du problème » lorsqu'un problème survient alors que tous les autres employés « s'éloignent du problème ». Contrairement aux autres membres du personnel, les GC portent un uniforme similaire à celui des AC.
[100] Selon la preuve présentée par l'intimé et par le GC Bird, les GC sont pleinement conscients que leur rôle et de diriger et de coordonner plutôt que d'intervenir directement en cas de problème, mais il y a des situations où les GC doivent aider les AC à reprendre le contrôle de la situation.
[101] Selon le critère énoncé dans Pollard, l'exposition au risque doit être susceptible de causer un préjudice à tout moment, mais pas chaque fois. L'intervenant note que dans Verville, il est indiqué qu'il n'est pas nécessaire de prouver qu'un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Il n'est pas contesté que les détenus peuvent être très violents et qu'ils ont parfois accès à divers types d'armes. La preuve a révélé qu'il y a eu plusieurs cas d'agression de GC.
[102] L'intervenant affirme que, selon Pollard, la menace à la vie ou à la santé se produira avant que la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté. Le fait que le GC impliqué dans une altercation avec un détenu ne porte ni menottes ni vaporisateur de poivre fait qu’il est vraisemblable qu’il y ait des blessures avant que l'AC n'arrive avec des menottes et un vaporisateur, ou avant qu'un autre moyen de contrôle ne soit mis à sa disposition. Selon le témoignage de l'intimé, de 20 à 30 secondes peuvent s'écouler avant qu'un GC reçoive de l'aide; le GC peut être grièvement blessé pendant ce délai.
[103] L'intervenant indique, pour résumer, que le critère énoncé dans Pollard est rempli dans le cas présent.
[104] L'intervenant est d'avis que le danger auquel l'intimé faisait face ne constituait pas une condition normale de l'emploi. Les établissements correctionnels sont des endroits où des situations violentes peuvent se produire fréquemment. La description du poste de GC indique que l'emploi comporte un « risque d'agression verbale ou physique ». Quoi qu'il en soit, un GC peut refuser de travailler si le danger est plus important qu'à l'habitude. Selon la jurisprudence, il y a eu des cas où le danger pour les AC découlant de la violence ne constituait pas une condition normale de l'emploi (voir Verville, Armstrong c. Canada (Service correctionnel), 2010 TSSTC 6 (Armstrong), Glenn Brown et Johnstone c. Service correctionnel du Canada, TSSTC-05-020 (Johnstone).
[105] L'intervenant conclut en indiquant que les modifications apportées en 2014 à la définition de « danger » ne visaient pas à limiter la portée de cette définition et que, selon la preuve, l'intimé était confronté à un danger au moment où il a refusé de travailler. L'appel devrait donc être rejeté et l'instruction du délégué ministériel Jenkins concernant le danger, confirmée.
D) Réplique
[106] Dans sa réplique, l'appelant a réitéré son point de vue selon lequel le thème principal se dégageant d'un survol de la jurisprudence établie avant la définition de danger qui était en vigueur de 2000 à 2014 est le fait que le droit de refuser de travailler s'appliquait aux risques qui constituaient des urgences - le risque se trouvait directement devant l'employé. Un thème connexe se dégage de la jurisprudence établie jusqu'à présent : le refus de travailler n'est qu'un mécanisme parmi d'autres qui sont prévus dans le Code et qui visent à résoudre les problèmes; il ne devrait pas servir à traiter des différends de longue date en milieu de travail auxquels d'autres mécanismes conviennent davantage. De l'avis de l'appelant, les décisions citées par l'intervenant sont des cas particuliers qui ne représentent pas la majorité des affaires.
[107] La position de l'appelant concernant l'utilisation par l'intervenant des débats parlementaires pour expliquer le sens de la nouvelle définition de « danger » comporte trois volets :
1) Les déclarations faites lors des débats parlementaires ne soutiennent pas le point de vue de l'intervenant;
2) Le libellé des modifications apportées au Code est clair et sans ambiguïté; par conséquent, les déclarations faites lors des débats parlementaires ont peu de poids;
3) Le recours à des éléments extrinsèques pour interpréter (l'approche principale de l'intervenant) est moins utile que l'analyse de l'évolution de la définition du mot « danger » dans le Code au fil des ans.
[108] Concernant l'utilité d'analyser l'évolution sur le plan législatif à des fins d'interprétation, l'appelant cite la Cour suprême du Canada dans R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, au paragraphe 33 :
Pour comprendre la portée [d'une disposition], il est utile d’examiner son évolution sur le plan législatif. Les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant […].
[109] Concernant la faiblesse des arguments fondés sur des éléments extrinsèques comme les débats parlementaires, l'appelant cite Rizzo Shoes Ltd. où la CSC a permis leur utilisation en notant toutefois leurs limites : « les nombreuses lacunes de la preuve des débats parlementaires » et « elle peut jouer un rôle limité en matière d’interprétation législative. »
[110] L'appelant note que l'une des décisions citées par l'intervenant soutient le point de vue de l'appelant selon lequel les modifications de 2014 visaient à réduire la dépendance à l'égard des refus de travailler et à mettre davantage l'accent sur le système de responsabilité interne (SRI).
[111] L'appelant est en désaccord avec la suggestion de l'intervenant selon laquelle la suppression du mot « éventuel » (potential et future en anglais) de la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014 est sans grande importance puisque cette notion est déjà englobée dans le mot « risque ». L'appelant fait valoir que lorsque le mot « éventuel » faisait partie de la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014, cela avait de profondes répercussions (voir Glenn Brown au paragraphe 73). Si l'ajout du mot « éventuel » à la définition de « danger » signifiait qu'il n'était plus nécessaire qu'un danger existe au moment du refus de travailler, la suppression du mot « éventuel » dans la modification de 2014 signifierait qu'un danger concret doit exister au moment du refus de travailler.
[112] Contrairement à l'intervenant qui s'appuie sur l'article 122.1 du Code (qui porte sur l'objet) pour critiquer l'interprétation de l'appelant, l'appelant est d'avis que son interprétation du mot « danger » est effectivement conforme à l'objet du Code en ce qu'elle « rétablit l'équilibre du Code » - la sécurité des travailleurs sera améliorée en mettant l'accent sur les autres mécanismes de résolution de problème du Code plutôt que sur le refus de travailler.
Analyse
[113] L’intimé a exercé un refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code :
Refus de travailler en cas de danger
128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.
[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]
Comme on peut le constater ci-dessus, le « danger » est un concept clé dans l'exercice du droit de refuser de travailler de l'employé.
[114] Le 5 juin 2015, le délégué ministériel Jenkins a établi qu'il existait un « danger » et a émis une instruction en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code.
Situations dangereuses
145. (2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou d’une chose, qu’une situation existant dans un lieu ou que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, le ministre :
a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise, à la prise de mesures propres :
(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,
(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;
[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]
Comme on peut le constater ci-dessus, le « danger » est un concept clé dans l'exercice du pouvoir du ministre (par l'entremise du délégué ministériel) d’émettre une instruction à l'employeur en vertu du paragraphe 145(2)a).
[115] L'intimé a mentionné la violation, par l'employeur, de plusieurs articles du Code comme fondement de son refus de travailler. La violation d'une disposition du Code ou du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) ne justifie pas un refus de travailler sauf si elle comporte un risque suffisamment élevé pour constituer un « danger ». Il n'y a eu aucune mention par les parties, ou par l'intervenant, de ces violations alléguées. La réponse à une contravention est une « instruction relative à une contravention » émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code, et non une « instruction relative à un danger » en vertu du paragraphe 145(2) du Code.
[116] L’appelant a ensuite interjeté appel de la décision en vertu du paragraphe 146(1) :
Procédure
146 (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par le ministre sous le régime de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.
[117] Le paragraphe 146.1(1) du Code décrit le pouvoir d'un agent d'appel lorsqu’un appel est interjeté à l’encontre d’une instruction relative à un danger. Un agent d'appel peut modifier, annuler ou confirmer l'instruction :
Enquête
146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :
a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions; [...].
[118] Je dois établir si un danger existait au moment du refus de travailler. Si aucun danger n'existait, je dois alors annuler l'instruction du délégué ministériel. Le refus de travailler a eu lieu après la modification de la définition du mot « danger » en 2014. Par conséquent, pour en arriver à une décision, je dois utiliser la nouvelle définition de « danger ». Si la nouvelle définition de « danger » diffère considérablement de l'ancienne définition, comme le prétend l'appelant, alors la jurisprudence établie avant la modification me sera peu utile. Je devrai établir le sens de la nouvelle définition. Si la nouvelle définition de « danger » est de nature technique et vise uniquement à simplifier et à préciser le concept, comme l'intervenant le prétend, la jurisprudence établie avant la modification s'appliquera.
[119] L'appelant fait valoir que l'analyse de l'évolution de la définition du mot « danger » au fil des ans et la comparaison attentive du libellé de la nouvelle définition avec celui de l'ancienne démontrent que le sens de la définition a considérablement changé et qu'elle est maintenant similaire au sens que l'on donnait au « danger » avant 2000.
[120] L'appelant accorde très peu d'importance, le cas échéant, à l'utilisation des débats parlementaires ou des publications du Programme du travail d'EDSC. L'intervenant fait valoir que l'on doit accorder de l'importance à ces éléments extrinsèques au moment d'interpréter la nouvelle définition de « danger ». L'intervenant est d'avis que la comparaison entre l'ancienne définition et la nouvelle démontre que le sens du mot « danger » n'a pas changé considérablement en 2014.
[121] De 2000 à 2014, le concept de « danger » était défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code :
« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
[122] La définition actuelle du mot « danger » est la suivante :
Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.
[123] Contrairement à de nombreuses autres lois, le législateur souhaitait que le Code soit lu, compris et utilisé par toutes les parties du milieu de travail, y compris les employés de première ligne. Le paragraphe 125(1) du Code stipule que le texte du Code doit être accessible aux employés au lieu de travail. En revanche, on ne retrouve pas les centaines de pages de règlements pris en application de la Loi sur les aliments et drogues affichées dans les épiceries pour que les clients puissent les lire ni les centaines de pages de règlements pris en application de la Loi sur l'aéronautique affichées dans les aires d'attente des aéroports pour que les voyageurs puissent les parcourir. Le Code est destiné à être utilisé par les employeurs et les employés. Il serait très difficile pour les parties d'un lieu de travail d'utiliser le Code au moment de gérer un refus de travailler si le texte signifiait autre chose que l'interprétation qu'en ferait une personne raisonnable dans les circonstances.
A) L'interprétation du concept de danger
Principes directeurs de l'interprétation des lois
[124] Dans Rizzo Shoes Ltd., la Cour suprême du Canada établit comme suit la méthode à utiliser au moment d'interpréter les lois :
[21] Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes»); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
[Traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou seule solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[125] Comme il est stipulé dans la Loi d'interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), on devrait donner au texte une interprétation libérale à la lumière de l'objet de la loi :
Principe et interprétation
12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.
[126] Dans Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Woollard (2006 CF 1332), la Cour fédérale a indiqué ce qui suit concernant la nécessité de donner une interprétation large et libérale aux dispositions du Code qui est conforme à son objet :
[28] […] L'agent d'appel n'a pas non plus commis d'erreur de droit en donnant une interprétation large et libérale à ce mot, conforme à l'objet que visait le législateur lorsqu'il a adopté ce texte. Interpréter autrement ce terme, comme le préconisait la demanderesse qui défendait plutôt une définition technique du terme, équivaudrait à contrecarrer la volonté du législateur de prévenir les accidents et les risques pour la santé dans le lieu de travail.
1) Texte de la définition
[127] La première étape consiste à examiner le sens grammatical et ordinaire des mots utilisés dans la définition du mot « danger ». On peut dire qu'il s'agit du « sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition dans son ensemble », comme l'indique Gonthier, J. dans Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. Canadienne Des Pilotes De Lignes Aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, à la page 735. À première vue, un employé comprendrait qu'il existe deux types de dangers, ceux qui pourraient vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé et ceux qui pourraient vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé.
[128] L'appelant affirme que « menace imminente » et « menace sérieuse » sont de même nature, en renvoyant au principe ejusdem generis. Ce dernier principe s'applique à l'interprétation de listes non limitatives; il ne s'applique pas à une dichotomie disjonctive. Les deux expressions sont de même nature en ce sens qu'elles désignent toutes deux le résultat des risques qui constituent un danger, mais elles désignent des concepts différents. Si elles désignaient le même concept, le législateur aurait alors utilisé l'expression « menace imminente et sérieuse ». Une menace sérieuse n'est pas nécessairement imminente. Une menace imminente n'est pas nécessairement sérieuse (sur le plan de la gravité). Si elles signifiaient la même chose, le législateur aurait probablement utilisé une seule expression du genre « danger imminent ».
[129] Le New Shorter Oxford English Dictionary (1993) définit le mot anglais « imminent » comme suit [traduction] : « se dit d'un événement, particulièrement un danger ou un désastre, sur le point de se produire ». Par conséquent, à mon avis, quand on parle d'une chose « imminente », on parle de deux choses : Que quelque chose peut bientôt se produire ou exister et qu'il y a une forte probabilité que cette chose se produise ou existe. On ne dirait pas qu'une chose est « imminente » si elle pouvait se produire sous peu, mais que la probabilité qu'elle se produise n'est qu'une simple possibilité. Il n'y a toutefois aucune connotation concernant la gravité du préjudice. Une menace imminente est quelque chose qui peut entraîner un préjudice grave ou mineur (mais pas sans importance). Un employé ne devrait pas avoir à travailler lorsqu'il y a une menace imminente pouvant faire en sorte qu'il décède ou se coupe un doigt. Dans le lieu de travail, un employé peut considérer qu'une chose est « imminente » si elle peut vraisemblablement se produire ou exister dans les minutes ou les heures qui suivent.
[130] Une « menace sérieuse » n'est pas nécessairement imminente. Le New Shorter Oxford English Dictionary définit le mot anglais « serious » comme suit [traduction] : « important, grave, ayant (potentiellement) des conséquences importantes, non souhaitées en particulier; qui soulève des préoccupations; d'un degré important ou d'une quantité considérable. » Dans le langage courant, un employé comprendrait que l'expression « menace sérieuse » a trait à la gravité du préjudice. Il n'y a pas de moment auquel le préjudice pourrait se matérialiser. Un décès, une blessure importante ou une maladie exigeant des soins médicaux pourrait vraisemblablement se produire. Un employé ne devrait pas avoir à travailler avec une concentration élevée de substances cancérigènes même si, avec une période de latence, l'exposition pourrait vraisemblablement causer le cancer dans plusieurs années.
2) L'objet et l'esprit du Code
[131] Le texte d'une loi devrait avoir du sens à la lumière de l'objet général de la loi. L'objet de la partie II du Code est énoncé à l'article 122.1 :
La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.
Comme le texte en question est une définition et non une disposition de fond, il vaut mieux examiner la définition en fonction de son utilisation dans le Code. Les dispositions du Code relatives au refus de travailler dans lesquelles le mot « danger » revêt une grande importance doivent être utilisées par les parties du lieu de travail, souvent lorsque les délais sont serrés et les gens, stressés. L'interprétation de « danger » qui convient le mieux à l'objet du Code est celle que des employés de première ligne peuvent utiliser.
[132] Le sens des mots dans une loi ne devrait pas être considéré sans tenir compte de la loi dans son ensemble. L'esprit de la loi devrait être pris en compte. Étant donné l'objet de la loi, quelle était l'intention du législateur concernant la manière d'atteindre l'objet?
[133] D'après le contenu et la structure du Code, il est manifeste que l'objet de protéger les employés contre les préjudices, peut être atteint de certaines façons, au moyen de certains mécanismes. L'appelant et l'intervenant ne s'entendent pas sur la façon avec laquelle l'objet du Code est réalisé.
[134] Avec égard, l'argument de l'appelant selon lequel le Code est composé, d'une part, des dispositions relatives au refus de travailler et, d'autre part, de tout le reste, est inexact. À ce sujet, il serait plus exact de dire que les « risques » sont composés des très grands risques qui constituent un « danger » et qui peuvent faire l'objet de refus de travailler, et des risques plus faibles, qui ne constituent pas des « dangers » et qui sont traités au moyen d'autres mécanismes que le refus de travailler.
[135] On peut comprendre que le droit de refuser de travailler puisse être perçu par certains comme l'une des diverses mesures permettant de réaliser l'objet du Code. Ce sont les refus de travailler qui attirent l'attention des fonctionnaires, des avocats, des agents d'appel et des tribunaux. Il faut garder à l'esprit qu'il s'agit là d'une perception erronée. On n'assure pas la santé et la sécurité des travailleurs par des refus de travailler. On le fait principalement par le biais d'obligations. Si on assurait la SST par des refus de travailler, le travail serait paralysé.
[136] L'argument de l'intervenant selon lequel le Code n'est pas séparé en deux, comme l'appelant le suggère, mais qu'il consiste plutôt en une triade de droits de l'employé, est aussi inexact. Il serait plus exact de dire que l'objet du Code doit principalement être atteint au moyen des obligations des employeurs et des employés, avec l'assistance de la triade des droits de l'employé. En SST, on appelle communément cette combinaison d'obligations et de droits le « système de responsabilité interne » (SRI).
[137] L'objet du Code doit être atteint en protégeant les employés sur le lieu de travail au moyen du SRI - un système de droits et d'obligations dans le cadre duquel l'employeur et les employés identifient et évaluent les risques, éliminent ou substituent les risques quand ils le peuvent et contrôlent ensuite les risques de manière à les atténuer le plus raisonnablement possible dans les circonstances de sorte qu'aucun préjudice ne se manifeste pendant le plus longtemps possible. Le rôle de l'autorité de réglementation, principalement par l'entremise du délégué ministériel, consiste à s'assurer que le SRI fonctionne bien et, dans la négative, à appliquer de façon indépendante les normes énoncées dans le Code et dans ses règlements.
[138] Juxtaposé à l'objet du Code se trouve l'article 122.2, qui établit ce que l'on appelle, dans le domaine de la SST, la « hiérarchie des mesures de contrôle » :
Ordre de priorité
122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.
[139] Le rôle du délégué ministériel consiste à inspecter le lieu de travail, à reconnaître que les risques et les contraventions découverts sont symptomatiques d'un SRI qui n'est pas adéquat. S'il y a un SRI qui fonctionne bien, le délégué ministériel ne devrait rien trouver qui cloche.
[140] Le Code, de par la façon dont il est conçu, reconnaît les imperfections éventuelles des parties principales du SRI en fournissant des mécanismes visant à réaliser l'objet du Code lorsque ces imperfections se produisent (ou à prévenir celles-ci en premier lieu). Le droit qu'ont les employés de connaître les risques et les mesures de contrôle constitue l'une des façons de s'assurer que les parties du lieu de travail sont mieux équipées pour accomplir leurs obligations. Les employés exercent largement leur droit de participer au processus de réduction des risques par l'entremise de leurs représentants, individuellement ou dans le cadre des comités de santé et de sécurité au travail. Le droit des employés de refuser de travailler n'est pas la manière normale et habituelle d'atténuer les risques; c'est un mécanisme d'urgence et de secours lorsque les éléments principaux du SRI n'ont pas été efficaces. Sauf en présence d'un risque élevé imprévisible, un employé ne devrait jamais faire face à un risque élevé, un danger. Toutefois, en présence d'un danger, l'employé a le droit de refuser de travailler, ce qui déclenche divers événements en vertu des dispositions du Code relatives au refus de travailler. Il est important de souligner que ces situations de « danger » doivent d'abord être gérées par les parties du lieu de travail; c'est seulement lorsqu'elles ne parviennent pas à solutionner le problème que l'autorité externe, le délégué ministériel, se présente sur le lieu de travail pour enquêter et prendre une décision.
[141] On pourrait penser que la principale façon de traiter les questions de SST serait par l'entremise du comité local de santé et sécurité. Mais c'est plutôt par l'entremise des obligations de l'employeur et des employés qui, ensemble, constituent la manière principale de réaliser l'objet du Code. À part les nombreuses obligations dans le Code qui sont rattachées à la réglementation, les deux obligations générales de l'employeur et de l'employé se démarquent :
Obligation générale
124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.
Santé et sécurité
126(1) L’employé au travail est tenu :
c) de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre santé et sa propre sécurité, ainsi que celles de ses compagnons de travail et de quiconque risque de subir les conséquences de ses actes ou omissions;
[142] Chaque employé a une obligation personnelle d'être prudent. Chaque employé a aussi le droit de participer aux activités liées à la SST. Un droit peut être exercé ou non. Le droit de participer s'exerce largement par l'entremise du représentant en santé et sécurité des employés ou du membre employé du comité local de santé et sécurité. En somme, l'objet du Code doit être atteint sur une base quotidienne par les parties du lieu de travail, soit l'employeur et les employés, qui s'acquittent de leurs obligations en tenant compte des conséquences de leurs décisions et de leurs actions sur la SST. La vaste majorité des lacunes, des contraventions et des risques, etc. devrait être gérée de manière routinière par les parties du lieu de travail sans recourir au comité local, au processus de règlement des différends ou aux procédures de refus de travailler. L'atténuation routinière des risques par toutes les personnes présentes sur le lieu de travail constitue l'élément principal du SRI. Lorsque surviennent des désaccords, des différends ou des questions non résolues, la plupart d'entre eux peut alors être prise en charge par le comité. Le comité fonctionne aussi de manière proactive en contribuant à la mise en place de nombreux programmes de SST.
[143] Quand on fait le survol de l'esprit du Code, il est clair que le droit de refuser de travailler n'est pas la manière habituelle de gérer et d'atténuer les risques. Le droit de refuser de travailler est une « solution de secours » ou un mécanisme « à sécurité intégrée ».
[144] Il est important de noter que le droit de refuser de travailler n'est pas tributaire du fait que l'employé a préalablement tenté de régler le problème de SST par d'autres moyens. Un employé peut choisir de refuser de travailler lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'il y a un danger, sans égard à ce qui s'est produit auparavant. C'est un droit important et puissant. De par la manière dont le Code est conçu, il est manifeste que le refus de travailler doit être utilisé en tant que mesure d'urgence et que la plupart des efforts visant à atténuer les risques et à protéger les employés doivent être déployés ailleurs.
[145] Il y a une autre manière avec laquelle l'esprit du Code permet de circonscrire la portée de ce qu'est le « danger » : c'est la distinction entre les causes directes des accidents et des maladies et leurs causes plus indirectes. Le droit de refuser de travailler a trait aux « machines », aux « choses », aux « situations » et aux « tâches ». Ces éléments ont une caractéristique commune : ils sont des causes directes d'accidents et de maladies. Le paragraphe 128(1) ne s'applique pas aux systèmes, aux programmes ou aux politiques. Les risques sont habituellement les causes directes des accidents et des expositions. Les risques ne sont pas des causes éloignées et profondes dans le système de gestion, comme les politiques et les programmes. Il est très utile de chercher les causes profondes des risques dans les politiques ou programmes manquants ou inadéquats. La correction des causes profondes peut entraîner l'élimination des risques ou réduire leur présence ou leur effet. Le budget, l'allocation des ressources et la dotation en personnel, entre autres, sont d'autres exemples de causes profondes. Les causes profondes des accidents et des expositions sont importantes, mais, en général, il est préférable de recourir aux autres mécanismes prévus dans le Code pour les gérer. Dans le sens ordinaire du mot « risque », l'employé s'imaginera des causes directes de préjudice et non des causes profondes, qui sont plus abstraites.
[146] Il ressort de l'examen de l'esprit du Code que la vocation du comité local de santé et sécurité est d'être un forum où l'on s'attaque aux causes profondes (mais non seulement à celles-ci) des accidents et des expositions dans le cadre du système de gestion. L'examen des obligations suivantes du comité local de santé et sécurité l'établit sans équivoque :
Attributions du comité
135(7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué :
b) participe à la mise en œuvre et au contrôle d’application du programme mentionné à l’alinéa 134.1(4)c);
c) en ce qui touche les risques professionnels propres au lieu de travail et non visés par le programme mentionné à l’alinéa 134.1(4)c), participe à l’élaboration, à la mise en œuvre et au contrôle d’application d’un programme de prévention de ces risques, y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité concernant ces risques;
d) en l’absence de comité d’orientation, participe à l’élaboration, à la mise en œuvre et au contrôle d’application du programme de prévention des risques professionnels, y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité;
f) participe à la mise en œuvre et au contrôle d’application du programme de fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection personnelle et, en l’absence de comité d’orientation, à son élaboration;
i) participe à la mise en œuvre des changements qui peuvent avoir une incidence sur la santé et la sécurité au travail, notamment sur le plan des procédés et des méthodes de travail et, en l’absence de comité d’orientation, à la planification de la mise en oeuvre de ces changements;
l) en l’absence de comité d’orientation, participe à l’élaboration d’orientations et de programmes en matière de santé et de sécurité.
[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]
[147] Il n'y a aucune indication ailleurs dans le Code proposant que les employés doivent gérer les causes profondes comme les politiques et les programmes. Le libellé du paragraphe 126(1), qui porte sur les obligations des employés, concerne les causes directes. En effet, il est clair qu'un employé doit collaborer avec le comité et non substituer le jugement de l'employé par celui du comité :
Santé et sécurité
126(1) L’employé au travail est tenu :
f) de collaborer avec le comité d’orientation et le comité local ou le représentant;
[148] Bien que la ligne de démarcation ne soit pas toujours claire entre les causes directes et les causes profondes, on peut dire que l'intention concernant la portée du mot « danger » est d'inclure les causes directes et non les causes profondes. Toutefois, dans ce domaine, il est reconnu qu'on ne peut pas être trop affirmatif. Les décisions qui concernent la dotation en personnel sont généralement du domaine des politiques; elles concernent les budgets et l'allocation des ressources. Dans certains cas précis, toutefois, la dotation en personnel pourrait constituer un risque; ce n'est pas la politique qui constitue le risque, mais le résultat de celle-ci peut constituer une cause directe. Si on demande à un employé d'accomplir une tâche qui devrait clairement être accomplie par deux personnes, cette tâche pourra présenter un risque, qui pourra constituer un danger si le risque est suffisamment important.
[149] Il ne s'agirait pas d'un « danger » si un employé était préoccupé dans l’abstrait par une politique concernant la fourniture de dispositifs de protection comme les vaporisateurs de poivre et les menottes. Si la politique faisait en sorte que l'employé était, dans les faits, confronté à une situation où le vaporisateur et les menottes étaient nécessaires, l'absence de cet EPP pourrait constituer un « danger ».
[150] Quand on dit que le refus de travailler est une « solution de secours » ou un mécanisme « à sécurité intégrée », on pourrait penser qu'il constituerait la bonne façon de forcer la résolution d'un problème lorsque les moyens habituels de régler des problèmes de SST ne semblent pas bien fonctionner. Le comité est peut-être dysfonctionnel. La direction ne prend peut-être pas le comité au sérieux. Il n'y a rien d'inapproprié dans un refus de travailler lorsqu'un employé est confronté à une cause directe résultant d'une telle dysfonction ou indifférence. Avant les modifications de 2014, un refus de travailler constituait un moyen assuré de susciter l'intervention d'un agent de santé et sécurité (agent de SST). Si, par exemple, le comité était dans l'impasse ou l'employeur ne tenait pas compte d'une recommandation du comité, pourquoi ne pas obtenir un deuxième avis en provoquant l'intervention d'un agent de SST par un refus de travailler?
[151] Un survol de l'esprit du Code révèle que le législateur ne souhaitait pas que le ministre ou le délégué ministériel serve de médiateur ou d’adjudicateur d’appels des comités. Pour le meilleur ou pour le pire, les dispositions relatives aux comités ne prévoient aucun moyen rapide d’interjeter appel auprès du ministre ou au délégué ministériel. Avant les modifications de 2014, l'agent de SST était tenu d'intervenir là où il y avait un refus de travailler non résolu, mais il n'était pas tenu d'intervenir auprès du comité (et ne l'est toujours pas).
[152] L'agent de SST (maintenant le ministre ou délégué ministériel) était toutefois tenu (et ceci demeure le cas) d'intervenir là où il y a un différend non résolu en vertu du processus de règlement des plaintes prévu à l'article 127.1 du Code: « 127.1(9) Le ministre fait enquête sur la plainte visée au paragraphe (8). » [Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]. On peut avoir recours au processus de règlement des plaintes pour des questions qui ne concernent pas le danger :
Plainte au supérieur hiérarchique
127.1(1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie - à l’exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 -, l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.
[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]
[153] Comme il a été mentionné, l'employé ne doit pas nécessairement avoir utilisé le processus de règlement des plaintes avant d'exercer son droit de refuser de travailler, mais il est évident que le seuil à atteindre pour déclencher le processus est moins élevé que dans le cas du refus de travailler - le mot « danger » n'est pas utilisé au paragraphe 127.1(1). C'est de plus une façon de provoquer l'intervention du délégué ministériel.
[154] Les pouvoirs du ministre (et du délégué ministériel) sont très larges. L'alinéa 141(1)a) stipule ce qui suit :
141(1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, le ministre peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail, il peut :
a) effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections ou ordonner à l’employeur de les effectuer;
[155] Rien n'empêche un employé de communiquer avec le ministre à quelque moment que ce soit afin de lui faire part d'une inquiétude. Le ministre (ou le délégué ministériel) peut, à sa discrétion, se présenter sur le lieu de travail ou encore s'abstenir de se renseigner à propos de l'inquiétude de l'employé ou enquêter sur celle-ci. L'employé est protégé contre les représailles s'il cherche à faire appliquer le Code :
Interdiction générale à l’employeur
147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé [...] parce que :
c) [l'employé] a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.
[156] En jetant un coup d'œil au Code, on constate qu'il y a des moyens permettant à un employé d'attirer l'attention du ministre (du délégué ministériel) autres que le refus de travailler. L'une des modifications apportées en 2014 fait en sorte qu'il n'est pas garanti que le ministre (le délégué ministériel) intervienne à la suite d'un refus de travailler.
[157] En résumé, la portée du mot « danger » peut être déterminée avec un certain degré de certitude en examinant tout simplement le contenu et la structure de l'ensemble du Code. La nouvelle définition de « danger », dans le contexte du Code, ne vise pas à englober les risques faibles, les causes profondes, ni les différends à propos de questions autres que les causes directes d'accidents et de maladies.
3) Intention du Parlement
[158] Le prochain élément à considérer consiste à établir si l'on peut en apprendre davantage à propos du sens du mot « danger » en comparant l'ancien processus de refus de travailler avec le nouveau. Cet exercice exige une analyse de l'évolution sur le plan législatif de certaines dispositions de la même loi.
[159] Les modifications apportées au Code en 2014 ont touché à la fois la définition de « danger » et les dispositions relatives au refus de travailler. Comme le « danger » est un concept clé dans les dispositions relatives au refus de travailler, on peut raisonnablement penser que les deux changements sont liés, que l'examen de la manière dont les dispositions relatives au refus de travailler ont changé en 2014 et que la raison pour laquelle elles ont changé peuvent permettre d'en savoir plus sur le sens du mot « danger ». Le principe de l'interprétation des lois qui s'applique dans le cas présent est le suivant : les parties d'une loi ne devraient pas être lues indépendamment les unes des autres.
[160] Avant les modifications apportées au Code en 2014, quand un employé exerçait son droit de refuser de travailler, si l'employeur convenait de l'existence d'un danger, ce dernier devait agir immédiatement et informer le comité local de santé et sécurité (par souci de concision, on ne fera référence ici qu'au « comité » et non au représentant de santé et sécurité).
[161] En vertu des modifications de 2014, l'employeur ne communique pas immédiatement avec le comité. L'employeur enquête d'abord sur la question en présence de l'employé qui refuse de travailler et prépare ensuite un rapport d'enquête écrit. Si, à l'issue de son enquête, l'employeur convient qu'il y a un danger, l'employeur prend des mesures sans délai. L'employeur informe ensuite le comité.
[162] En vertu de l'ancien processus, il n'y avait pas de rapport d'enquête écrit de l'employeur exigé par l'article 128. Si la question n'était pas d'abord résolue entre l'employeur et l'employé, l'employeur devait alors communiquer la question au comité. L'employeur faisait ensuite enquête sur le refus de travailler, si celui-ci se poursuivait, en présence de l'employé et d'un représentant des travailleurs membre du comité.
[163] Selon le nouveau processus, lorsque le refus de travailler se poursuit, le comité doit enquêter et désigner un membre employé et un membre dirigeant à titre de co-enquêteurs. L'enquête se déroule en présence de l'employé qui refuse de travailler. À la suite de l'enquête, les enquêteurs du comité doivent préparer un rapport d'enquête écrit, qui doit être remis à l'employeur. L'employeur peut fournir à ce moment-là de plus amples renseignements aux enquêteurs du comité et ceux-ci peuvent présenter un rapport révisé à l'employeur.
[164] En vertu de l'ancien processus, il n'y avait aucune enquête indépendante des membres du comité. Seul le membre du comité qui était un employé était présent au moment de l'enquête de l'employeur. Si la question n'était pas résolue, l'employeur devait en aviser l'agent de SST. L'employeur informait le comité s'il avait pris des mesures correctives. Il est important de noter que l'agent de SST était tenu d'enquêter sur le refus de travailler. Il n'avait aucune discrétion lui permettant d'agir autrement. L'enquête de l'agent de SST se déroulait en présence des parties du lieu de travail et l'agent de SST était ensuite tenu de prendre une décision concernant l'existence d'un danger. Si l'agent de SST constatait l'existence d'un danger, il devait émettre une instruction relative à un danger en vertu du paragraphe 145(2).
[165] En vertu du nouveau processus, le délégué ministériel n'est pas contacté immédiatement. L'employeur reçoit le rapport des enquêteurs du comité, ou le rapport révisé, et établit s'il existe un danger ou non. L'employeur peut aussi établir qu'un danger existe, mais qu'il s'agit d'une condition normale de l'emploi. L'employeur doit agir s'il établit qu'il y a un danger, et il en informe alors le comité. Si l'employeur établit qu'il n'y a aucun danger, que le danger constitue une condition normale de l'emploi ou que le refus de travailler met la vie, la santé ou la sécurité d'autrui directement en danger, il en informera l'employé par écrit. L'employé peut accepter ou non la décision. S'il ne l'accepte pas, l'employé peut continuer de refuser de travailler.
[166] Une différence importante entre l'ancien processus et le nouveau réside dans le fait que le ministre a discrétion quant à la façon de procéder à partir d'ici. Si le refus de travailler se poursuit, l'employeur remettra son rapport et le rapport des enquêteurs du comité au ministre.
[167] À la lumière des deux rapports d'enquête écrits, le ministre pourra, par l'entremise du délégué ministériel, mener une enquête sur le refus de travail ou s'abstenir de le faire. Le ministre pourra décider de ne pas faire enquête s'il est d'avis que l'affaire pourrait avantageusement être traitée dans le cadre de la partie I ou de la partie III du Code, ou d'une autre loi. Le ministre pourra aussi décider de ne pas faire enquête s'il estime que l'affaire est futile, frivole ou vexatoire ou que le maintien du refus de l’employé est entaché de mauvaise foi.
[168] Si le ministre ne fait pas enquête, l'employeur en est informé. L'employeur informe ensuite les enquêteurs du comité. L'employé n'a plus le droit de continuer de refuser de travailler.
[169] Autrement, le ministre procède à l'enquête en présence des parties du lieu de travail. Pendant son enquête, le ministre doit déterminer s'il y a des enquêtes, passées ou en cours, portant pour l’essentiel sur les mêmes questions. S'il y a déjà eu une enquête, le ministre peut se baser sur les conclusions des enquêtes précédentes pour décider de l’existence ou non d’un danger. Le ministre peut aussi procéder à la fusion des enquêtes en cours et rendre une seule décision. Le ministre rend alors une décision quant à l'existence ou non d'un danger et, dans l'affirmative, s'il s'agit d'une condition normale de l'emploi. L'employeur et l'employé qui refuse de travailler sont informés. S'il y a un danger, le ministre émettra une instruction relative à un danger en vertu du paragraphe 145(2) et pourra émettre une instruction en vertu du paragraphe 145(2.1).
[170] Quand on compare les changements, il en ressort que les modifications de 2014 ne sont pas sans importance et qu'elles ne visent pas qu'à préciser ou simplifier le processus de refus de travailler. Les modifications visent à renforcer le SRI en cas de refus de travailler :
1) Le comité mène une enquête indépendante de celle de l'employeur;
2) Il y a deux rapports d'enquête écrits : celui de l'employeur et celui des enquêteurs du comité;
3) L'employeur et les enquêteurs du comité s'échangent des informations, ce qui donne lieu à d'autres révisions;
4) Avec la participation d'un plus grand nombre de personnes aux enquêtes formelles, la nécessité de produire des rapports écrits et les occasions de dialoguer, l'intention était manifestement de faire en sorte qu'un plus grand nombre de refus de travailler soient résolus par les parties du lieu de travail que par le passé;
5) Le but visé est qu'il devrait être moins souvent nécessaire pour les délégués ministériels de se rendre sur le lieu de travail et d'enquêter.
[171] Il faut comprendre la modification apportée à la définition de « danger » en 2014 en tenant compte de cet encouragement donné aux parties du lieu de travail de s'efforcer davantage de résoudre entre elles les refus de travailler et d'avoir moins recours au délégué ministériel.
[172] Les modifications permettent-elles de réaliser l'objet du Code? On pourrait penser que le fait de réduire l'accès des employés à une enquête du délégué ministériel dans certains cas se traduise par une moins grande protection des employés. Ce serait une réaction superficielle. L'objet du Code sera mieux servi si les ressources du gouvernement sont déployées de manière efficace et efficiente. Le délégué ministériel qui fait enquête sur un refus de travail répétitif, futile, frivole, vexatoire ou de mauvaise foi pourrait consacrer son temps à inspecter et à enquêter sur un autre lieu de travail comportant des problèmes sérieux de santé et de sécurité. De plus, même si les délégués ministériels maîtrisent les questions de santé et sécurité et les exigences détaillées de la réglementation aux termes du Code, ce sont les parties du lieu de travail qui possèdent une mine d'information, le savoir-faire et l'expérience à propos de leur lieu de travail. Elles ont le temps, les ressources et l'intérêt d'aller au-delà des causes directes des accidents et des expositions et de sonder les failles dans les causes profondes des accidents et les expositions dans les éléments du système de gestion, et de découvrir des occasions d'y remédier. Les capacités des parties du lieu de travail constituent l'une des forces du SRI.
[173] Les modifications apportées au Code concernant le refus de travailler n'empêchent pas que les refus de travailler ne pouvant être résolus par les parties du lieu de travail puissent être soumis à l'attention du ministre, et le ministre est encore tenu d’émettre une instruction relative à un danger lorsqu'un danger existe. La décision du ministre est d'abord fondée sur les rapports écrits des parties du lieu de travail et, seulement si cela est nécessaire, sur une enquête du délégué ministériel. La participation accrue des parties du lieu de travail vise à améliorer la qualité de l'enquête et de la décision du ministre.
[174] Est-ce que la modification du libellé de la définition de « danger » contribue à encourager les parties du lieu de travail à faire plus d'efforts pour résoudre les refus de travailler, compte tenu de l'objectif des modifications apportées au processus de traitement des refus de travailler? La réponse doit être « oui ». En premier lieu, l'ancienne définition de « danger » était verbeuse, complexe et nébuleuse. Si les employés ne peuvent pas comprendre facilement le sens du mot « danger », ils seront susceptibles d'exercer davantage leur droit de refuser de travailler alors qu'un autre mécanisme prévu dans le Code aurait été plus approprié pour résoudre l'affaire.
[175] J'ai tenu compte de la caractéristique principale de la nouvelle définition du mot « danger », soit l'existence de deux types de dangers : les menaces imminentes et les menaces sérieuses. Certains autres aspects de la définition devraient être examinés.
[176] À des fins pratiques, on peut diviser en trois parties les définitions de 1985, de 2000 et de 2014 du mot « danger » :
Partie 1
1985 : « […] Risque ou situation […] »
2000 : « […] situation, tâche ou risque - existant ou éventuel […] »
2014 : « […] Situation, tâche ou risque qui […] »
Partie 2
1985 : « […] susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade […] »
2000 : « […] susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade […] »
2014 : « […] qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée […] »
Partie 3
1985 :« […] avant qu'il ne puisse y être remédié. »
2000 : … avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;
2014 : « […] avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté. »
[177] Pour ce qui est de la partie 1, les définitions de 1985 et de 2014 sont très similaires. La définition de 2014 comporte le mot « tâche ». La définition de 2000 diffère des deux autres. Elle comporte l'expression « existant ou éventuel ». L'intervenant fait valoir que la suppression de cette expression en 2014 ne visait qu'à simplifier. L'appelant met beaucoup l'accent sur la suppression de cette expression. L'appelant soutient que la suppression de ces mots signifie que la définition de 2014 ne s'applique qu'aux risques réels et immédiats, que la définition de 2014 vise le « danger imminent », à l'instar de l'interprétation qui avait été faite de la définition de 1985.
[178] Je partage le point de vue de l'intervenant selon lequel la suppression de ces mots constitue une simplification. Comme l'a souligné l'intervenant, le mot « existant » (en anglais, les mots current et existing ) a aussi été supprimé, ce qui me porte à croire que l'intention n'était pas de réduire la portée de la définition. Je suis d'accord également avec l'argument de l'intervenant selon lequel si le Parlement avait eu l'intention de restreindre la définition, il aurait pu le faire en supprimant simplement le mot « éventuel » (en anglais, les mots potential et future).
[179] L'appelant a raison d'affirmer que la partie 1 de la définition de 1985 et la partie 1 de celle de 2014 sont presque identiques. Toutefois, cette observation ne s'applique pas à la deuxième partie de la définition de 2014, qui comporte les expressions « menace imminente » et « menace sérieuse » - des concepts absents des définitions de 1985 et de 2000. L'appelant et l'intervenant mettent tous les deux trop l'accent sur la partie 1 des définitions.
[180] La deuxième partie des trois définitions revêt une importance critique. La définition de 2014 diffère sensiblement de la définition de 1985 et de celle de 2000. Les expressions « menace imminente » et « menace sérieuse » qui figurent dans la définition de 2014 indiquent que le législateur souhaitait aborder le « danger » sous un nouvel angle.
[181] En effet, si la définition de « danger » adoptée en 2014 constituait un retour au concept de « danger » qui existait avant 2000, pourquoi le législateur n'a-t-il pas utilisé l'expression « danger imminent »? La définition de 1985 n'employait pas expressément l'expression « danger imminent », mais elle a été interprétée comme désignant un danger imminent.
[182] La troisième partie des trois définitions ne diffère pas de manière significative d'une définition à l'autre malgré l'épuration considérable entre la version de 2000 et celle de 2014. Il ressort clairement de la troisième partie de la définition de 2000 que le préjudice peut se matérialiser à une date ultérieure. Le moment où le préjudice se matérialise est un concept différent du moment où le risque est présent ou du moment où la personne et exposée au risque. L'appelant et l'intervenant ne sont pas en désaccord quant au moment où le préjudice se manifeste. Ils ne s'entendent pas sur le moment où le risque est présent. L'objet du Code ne serait pas atteint si l'on devait exclure la notion de blessure chronique ou à long terme de la définition de 2014. Autrement, un employé ne pourrait pas refuser de travailler avec un certain produit chimique, qui ne le tuerait pas immédiatement, mais qui pourrait vraisemblablement le rendre malade et le tuer dans quelques années.
[183] L'expression « présenter une menace imminente ou sérieuse » constitue un changement important par rapport à l'expression « causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade ». L'appelant prétend que les deux expressions sont des conséquences et que la différence dans la formulation n'est pas importante. L'expression « présenter une menace imminente ou sérieuse » ne désigne pas le préjudice. Il s'agit d'un énoncé à propos du risque. Dans le langage courant, si X menace la vie ou la santé de Y, X n'a pas causé de préjudice à Y. X informe Y que Y fait face à une certaine probabilité d'une certaine gravité ou d'un certain type de préjudice.
[184] L'expression sur laquelle l'appelant met l'accent à la partie 2 des trois définitions est « susceptible de »-pour les définitions de 1985 et de 2000- et « pourrait vraisemblablement » pour la définition de 2014 (« could reasonably be expected to » en anglais) -laquelle a trait à la probabilité et non aux conséquences. L'appelant a cité Laroche c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1454 au paragraphe 30 (« Laroche ») pour appuyer son point de vue selon lequel le « danger » a trait à la probabilité plutôt qu'à la gravité ou à la nature des conséquences « si le risque survient ».
[185] Il se peut que Laroche n'ait considéré que le facteur de probabilité dans le risque et non la gravité du préjudice, mais Laroche ne peut pas être appliqué facilement à la nouvelle définition de 2014 dans son ensemble étant donné l'ajout de l'expression « menace sérieuse ». Il est vrai que la gravité du préjudice n'est pas pertinente à la question de la « menace imminente », mais, comme il a été indiqué, la gravité est implicite dans le concept de « menace sérieuse ».
[186] En résumé, l'évolution de la définition de « danger » sur le plan législatif porte à croire que, malgré une certaine similitude sur le plan terminologique, la définition de 2014 est, de par sa nature, différente de celles qui l'ont précédée, soit les deux qui nous intéressent. Il s'agit ni d'un retour à la version antérieure à 2014 de l'expression « danger imminent », ni d'une simplification de la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014. Il y a deux types de « danger ». Ils comportent tous deux des risques élevés, mais pour des raisons différentes. La nouvelle définition ajoute un élément temporel afin d'évaluer la probabilité. Elle ajoute le concept de gravité du préjudice. Dans le contexte du reste du Code, un « danger » est une cause directe de préjudice plutôt qu'une cause profonde.
[187] Y a-t-il d'autres sources qui pourraient modifier les conclusions ci-dessus quant au sens du mot « danger »?
[188] L'intervenant estime que les observations que la ministre du Travail a présentées en débat parlementaire sont pertinentes et que l’intention en 2014 n'était pas de modifier le sens du mot « danger ». Les observations de la ministre que l'intervenant a citées ne sont pas d'une grande utilité, car elles sont trop générales. Le fait d'assurer les gens que le droit de refuser d'accomplir un travail dangereux reste en place n'ajoute rien au sens de « danger ».
[189] À mon avis, les outils d'interprétation comme les publications du Programme du travail ont peu de poids et sont peu utiles dans ce cas-ci puisque l'on peut parvenir à comprendre les modifications de 2014 en examinant la lettre et l'esprit du Code et en tenant compte de l'évolution du sens du mot « danger » sur le plan législatif. La date d'effet des IPG que le délégué ministériel a mentionnés et que l'intervenant a pris en compte est octobre 2014. Rien n'indique que le législateur a tenu compte de ces documents en 2013.
B) Nouveau critère pour un constat de danger
[190] Je rappelle la nouvelle définition de « danger »:
[...] situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.
[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]
[191] La nouvelle définition de « danger » est plus simple et plus claire que la précédente. Il serait trompeur de s'attarder à la question de savoir si la nouvelle définition nous ramène ou non à un sens antérieur plus restrictif, comme l'a fait l'appelant, ou à la question de savoir si la nouvelle définition a considérablement changé ou non, comme l'a fait l'intervenant. La nouvelle définition de « danger » diffère des précédentes définitions. Elle énonce plus clairement ce qu'un employé raisonnable considérerait comme suffisant pour déclencher un refus de travailler. En contexte, elle incitera probablement les employés à reconnaître, parfois, que leur préoccupation ne repose pas sur un risque suffisamment élevé au point de constituer un « danger » et que la question devrait être réglée par d'autres moyens, et que le fondement de leur préoccupation est davantage une cause profonde qu'une cause directe ce qui, encore une fois, se prête mieux à l'application d'autres mécanismes prévus dans le Code.
[192] La définition de « danger » comporte l'expression « une menace [...] pour la vie ou pour la santé de la personne ». L'expression « pour la vie ou pour la santé » est très large. Elle désigne les menaces pouvant causer la mort, des blessures ou la maladie. Le mot « santé » peut désigner l'absence de maladie ainsi que l'intégrité corporelle (l'absence de blessure). L'expression désigne une vaste catégorie de préjudices touchant les gens. Il ne s'agit pas d'une menace aux biens, à l'environnement, à la productivité, à la qualité, à la continuité des affaires ou à d'autres catégories de pertes associées à des accidents et à des expositions. Le Code vise à protéger les gens et non les choses.
[193] La jurisprudence établie pendant la période comprise entre 2000 à 2014 comporte de nombreuses expressions de probabilité : « plus probable qu'improbable »; « probable »; « possibilité raisonnable »; « simple possibilité ». Le laps de temps pendant lequel la probabilité doit être évaluée était toutefois rarement mentionné : le jour du refus de travailler; l'avenir prévisible le jour du refus de travailler; une année à compter du refus de travailler? Est-ce qu'une chose est probable? Il peut être presque certain qu'une chose se produise au cours des cinq prochaines années, raisonnablement prévisible qu'elle se produire dans la prochaine année, mais qu'il n'y ait qu'une simple possibilité qu'elle se produise dans les cinq prochaines minutes. Il est inutile de parler de probabilité sans préciser un laps de temps. Contrairement à la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014, la définition de 2014, en établissant une distinction entre la « menace imminente » et la « menace sérieuse », ajoute un laps de temps pour la probabilité.
[194] La menace imminente pour la santé ne couvrirait pas un effet chronique, mais couvrirait un effet aigu. L'irritation de la peau, les dommages causés par un bruit d'impact, les coups de chaleur et les réactions allergiques sont des exemples de préjudices dont la gravité est relativement faible, mais dont la probabilité qu'ils surviennent, et qu'ils surviennent rapidement, en fait des menaces imminentes.
[195] L'exposition à une substance cancérigène ne constituerait pas une menace imminente, mais il pourrait s'agir d'une menace sérieuse. Une substance cancérigène est un risque. Le risque associé à une substance cancérigène est la probabilité qu'un cancer se développe et la gravité du préjudice que causerait le cancer s'il se manifestait. Une menace sérieuse n'est pas imminente; on parle plutôt de la gravité du résultat. Tant que la probabilité de développer un cancer correspond à une attente raisonnable et que la probabilité de développer un cancer d'un certain niveau de gravité est élevée (c.-à-d., susceptible d'entraîner la mort), l'exposition à la substance cancérigène constituerait alors une menace sérieuse.
[196] Si le risque peut être écarté avant que la menace existe, alors il ne constituera pas un danger. Le risque peut être écarté par diverses formes de mesures de contrôle (contre-mesures, précautions). Comme il a été mentionné, le Code comporte une version de la « hiérarchie des mesures de contrôle » à l'article 122.2. Un risque peut être supprimé ou isolé. On peut y substituer un risque moins élevé. L’adoption de mécanismes techniques pour écarter le risque devrait ensuite être envisagée- afin de mettre des barrières physiques entre le risque et l'employé. Des mesures de contrôle administratives et d'EPP sont ensuite appliquées pour écarter le risque. La logique de la hiérarchie des mesures de contrôle est largement acceptée et utilisée dans le domaine de la SST depuis plusieurs décennies. Le Code reflète cette pratique. Ainsi, un risque n'est pas un danger s’il est vraisemblable que le risque soit écarté avant qu’il entraîne une menace imminente ou sérieuse.
[197] Les menaces imminentes découlant de risques signifient que ces risques sont moins susceptibles d'être écartés que les risques entraînant des menaces sérieuses ne peuvent l'être. On dispose tout simplement de très peu de temps pour écarter les risques imminents. Le préjudice peut être relativement faible (sans être trivial), mais le risque constitue tout de même une menace imminente s'il ne peut être écarté à temps. Une menace sérieuse, qui n'est pas imminente, signifie que le risque produisant la menace sérieuse est plus susceptible d'être écarté que les risques produisant des menaces imminentes ne peuvent l'être.
[198] Dans le New Shorter Oxford English Dictionary (1993) le mot « threat » est défini comme suit [traduction] : « une personne ou une chose considérée comme étant susceptible de causer un préjudice ». On peut donc dire que, selon cette définition, la menace indique la probabilité d'un certain niveau de préjudice. Certains risques sont des menaces et d'autres ne le sont pas. Un risque très faible, soit en raison de sa faible probabilité ou de sa faible gravité, n'est pas une menace. La probabilité et la gravité doivent chacune atteindre un seuil minimal avant que le risque ne puisse être appelé une menace. Il est clair qu'un risque faible n'est pas un danger. Un risque élevé est un danger.
[199] Pour simplifier, les questions à poser pour déterminer s'il y a un « danger » sont les suivantes :
1) Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?
2) a) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
ou
b) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
3) La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?
[200] Cette interprétation du mot « danger » permettra de réaliser l'objet du Code. Les diverses dispositions du Code portent sur tous les risques non futiles. Cette interprétation du mot « danger » porte sur un petit sous-ensemble de risques auxquels les gens pourraient faire face dans le lieu de travail. Si les autres moyens permettant de répondre aux préoccupations de SST sont utilisés adéquatement par les parties sur le lieu de travail, il devrait être rare qu'une personne soit confrontée à un « danger ». À l'inverse, des efforts insuffisants pour utiliser les autres mécanismes du Code se traduiront par des « dangers » et le refus de travailler constituera le meilleur moyen d'y remédier.
C) Application aux faits
[201] Si l'on applique le nouveau critère de « danger » énoncé au paragraphe 199, la première question à poser est de déterminer en quoi consiste le risque, la situation ou la tâche. Comme il a été mentionné précédemment, le risque, la situation ou la tâche est quelque chose susceptible de causer un préjudice à une personne. La situation, la tâche ou le risque allégué est habituellement une cause directe de préjudice et non une cause profonde dans le système de gestion qui pourrait mener à une cause directe. Il peut y avoir ou non une contravention.
[202] Il est probablement vrai qu'on peut qualifier un détenu potentiellement violent de « risque » ou de « bombe à retardement », mais comme la hiérarchie des mesures de contrôle exige que nous envisagions d’éliminer le risque, cela n'est pas approprié. Toutefois, on pourrait dire que le fait d'être exposé à un détenu potentiellement violent sans être muni d'EPP (menottes et vaporisateur de poivre) pourrait constituer une « situation » risquée et que si l'intimé accomplissait une tâche auprès d'un tel détenu, cela constituerait une « tâche » risquée.
[203] Les parties et l'intervenant ne peuvent pas être en désaccord avec la conclusion selon laquelle, selon l'ensemble de la preuve, l'intimé, un GC, pouvait à plusieurs occasions et pour diverses durées, se trouver dans une situation risquée ou accomplir une tâche risquée. La preuve l'établit clairement. La description du poste de GC indique que les détenus peuvent être violents. Le témoignage de divers témoins indique que des GC ont subi de la violence des détenus par le passé. L'intimé a subi de la violence par le passé. Dans la formation que les GC reçoivent, il est indiqué qu'il faut s'attendre à ce que les détenus aient un comportement violent. À l'audience, des vidéos montrant des GC impliqués dans des incidents violents ont été montrées. Parfois, l'intimé était tout simplement en présence d'un détenu potentiellement violent. Parfois, il accomplissait des tâches auprès de détenus potentiellement violents, par exemple lorsqu'il participait à des réunions, à des entretiens ou aux séances du « tribunal » disciplinaire.
[204] La question suivante qu'il faut poser consiste à déterminer si ces situations ou ces activités pouvaient vraisemblablement constituer une menace imminente pour la vie ou la santé de l'intimé le 1er juin 2015.
[205] Une menace imminente existe quand il est vraisemblable que le risque, la situation ou la tâche entraîne rapidement (dans les prochaines minutes ou les prochaines heures) des blessures ou une maladie. La gravité du préjudice peut aller de faible (sans être triviale) à grave. Le caractère vraisemblable comprend la prise en compte de ce qui suit : la probabilité que le risque, la situation ou la tâche existe ou ait lieu en présence de quelqu'un; la probabilité que le risque cause un événement ou une exposition; la probabilité que l'événement ou l'exposition cause un préjudice à une personne.
[206] Il ne fait aucun doute que le niveau de préjudice découlant de la violence des détenus peut aller de faible à grave, mais là n'est pas la question. Il n'y avait aucun élément de preuve devant moi qui indique qu'il était vraisemblable que l'intimé soit exposé à la violence d'un détenu le jour où il a refusé de travailler et qu'il subisse un préjudice en raison de cette violence. Selon le témoignage de l'intimé, il n'était pas exposé à une menace imminente ou sérieuse le jour où il a refusé de travailler. J'ai accordé une certaine importance à cette déclaration de l'intimé. Toutefois, je n'estime pas qu'elle permette de trancher la question, comme l'affirme l'appelant, puisque je ne suis pas convaincu que l'intimé a compris le sens de l'expression « menace imminente ou sérieuse » dans le Code.
[207] De plus, l'intimé a choisi de refuser de travailler à ce moment-là, non pas parce qu'il était en présence d'une menace imminente, mais parce qu'il était frustré par l'absence de réponse à ses préoccupations. Il a fixé la date de son refus de travailler à l'avance. S'il n'obtenait aucune réponse de son employeur au plus tard à une certaine date, il serait « forcé » de refuser de travailler. Il n'y avait aucune urgence. Aucun préjudice ni aucune exposition n'était sur le point de se produire. Il cherchait à provoquer la résolution d'un problème. Il a refusé de travailler en partie au nom de tous les autres GC à l'Établissement Millhaven. L'intimé a déclaré qu'il serait irresponsable de sa part d'attendre d'être confronté à un détenu potentiellement violent. Le critère n'exige pas de lui qu'il « essaie pour voir », selon l'expression que l'intervenant a employée, mais ne lui permet pas non plus de qualifier de « danger » des scénarios génériques ou hypothétiques lorsqu'il serait préférable d'examiner de telles questions à l'aide des autres mécanismes de résolution de problème prévus dans le Code.
[208] Il n'était pas vraisemblable que l'exposition au risque, la violence découlant du risque ou le préjudice causé par la violence surviendrait dans les prochaines minutes ou dans les prochaines heures le 1er juin 2015. Il n'existait aucune menace imminente pour l'intimé au moment où il a refusé de travailler.
[209] Après avoir répondu à cette question par la négative, je dois maintenant établir si ces situations ou ces tâches pouvaient vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou la santé de l'intimé.
[210] Une menace sérieuse fait qu’il est vraisemblable que le risque, la situation ou la tâche cause des blessures ou une maladie grave à un moment donné à l'avenir (dans les jours, les semaines, les mois ou, dans certains cas, les années à venir). Une chose qui est peu probable dans les prochaines minutes peut être très probable lorsqu'un laps de temps plus long est pris en compte. Le préjudice n'est pas mineur; il est grave. Le caractère vraisemblable comprend la prise en compte de ce qui suit : la probabilité qu’une personne soit en présence du risque, de la situation ou de la tâche; la probabilité que le risque cause un événement ou une exposition; et la probabilité que l'événement ou l'exposition cause un préjudice à une personne.
[211] Après avoir examiné la totalité de la preuve qui m'a été présentée, je conclus que l'intimé n'était pas exposé à une menace sérieuse pour sa vie ou sa santé pour les raisons qui suivent.
[212] Pour conclure que l'intimé était exposé à une menace sérieuse pour sa santé ou sa vie, la preuve doit démontrer qu'il était vraisemblable que l'intimé soit confronté, dans les jours, les semaines ou les mois à venir, à une situation qui lui aurait causé un préjudice sérieux parce qu'il n'a pas été en mesure de porter sur lui un vaporisateur de poivre et des menottes.
[213] L'intimé n'a pas semblé faire la distinction entre un risque qui constitue un danger et un risque qui n'en constitue pas un. L'intimé a mentionné l'existence de plusieurs contraventions comme fondement de son évaluation du danger. Une contravention peut constituer ou non un danger en plus d'être une contravention. L'intimé n'a fait aucune distinction. L'intimé a affirmé qu'il se trouve toujours en « danger » parce qu'on lui demande toujours de porter une veste résistante aux armes blanches. Il n'a présenté aucun argument et n'a fourni aucune preuve établissant la distinction entre une « menace imminente » et une « menace sérieuse ».
[214] Bien que la preuve présentée dans cette affaire ait clairement établi que l'intimé était exposé à des détenus violents dans l'exercice de ses fonctions régulières et que la possibilité qu'un détenu l'agresse est toujours présente dans un établissement correctionnel, on ne m'a présenté aucune preuve selon laquelle le fait de porter des menottes ou un vaporisateur de poivre préviendrait les agressions contre les GC ou diminuerait le degré de violence des détenus, en particulier en tenant compte du fait que ces deux pièces d'équipement sont déjà fournies aux AC. De plus, l'appelant a fourni des éléments de preuve établissant que de nombreuses mesures sont en place à l'Établissement Millhaven pour atténuer le risque pour les GC et tous les autres membres du personnel dans l'exercice de leurs fonctions.
[215] Je ne suis donc pas convaincu que des incidents violents menaçant sérieusement la vie ou la santé de l'intimé peuvent vraisemblablement survenir s'il ne porte pas sur lui un vaporisateur de poivre et des menottes. Compte tenu de ma conclusion eu égard au deuxième volet du critère, je n'aurai pas à poursuivre avec le troisième volet.
[216] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l'intimé n'était pas exposé à un danger le jour où il a exercé son droit de refuser de travailler. Étant donné ma conclusion d'absence de danger, je n'ai pas à établir si le danger constituait ou non une condition normale de l'emploi.
Décision
[217] Pour ces motifs, j’annule l’instruction que M. Lewis Jenkins, délégué ministériel, a émise le 5 juin 2015.
Peter Strahlendorf
Agent d’appel
Détails de la page
- Date de modification :