2016 TSSTC 20

Date : 2016-11-30

Dossier : 2014-38

Entre : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, appelante et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, intimée

Indexé sous : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité.

Décision : L’instruction est modifiée.

Décision rendue par : M. Olivier Bellavigna-Ladoux, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me Lindsay A. Mullen, associée, Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée : Me Ken Stuebing, avocat, CaleyWray

Référence : 2016 TSSTC 20

Motifs de la décision

[1] La présente affaire a trait à un appel interjeté aux termes du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d'une instruction émise le 30 juillet 2014 par M. TC (Tyronne) Kowalski, un agent de santé et de sécurité (l'agent de SST) de Transports Canada, à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN » ou l'« appelante »), un employeur assujetti au Code. L'appel a été déposé par le CN le 25 août 2014. Le syndicat qui représente les employés du CN, soit la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (la CFTC ou l'« intimée »), s'oppose à cet appel.

Contexte

[2] Le 18 novembre 2013, le chef de train stagiaire du CN Jason Cluney a subi des blessures fatales durant une opération d'aiguillage réalisée à l'endroit connu sous le nom de « Murphys’ », qui est situé près de Tisdale, en Saskatchewan. Un train devait arriver deux heures après le crépuscule pour livrer des wagons. M. Cluney s'était vu confier la tâche de manœuvrer l'aiguille des rails pour que les wagons entrants soient livrés sur le tronçon approprié. Pendant cette manœuvre d'aiguillage, le chef de train supervisait M. Cluney par radio. Le stagiaire a reçu l'instruction d'effectuer l'opération d'aiguillage puis d'envoyer un signal par radio au train qui arrivait. M. Cluney a procédé à l'aiguillage et il a accédé à une voie adjacente pour poursuivre son travail. Toutefois, puisqu'il n'avait pas aligné correctement les aiguilles des rails, il travaillait dans la voie où s'engageaient les wagons qui arrivaient. Ceux-ci l'ont frappé et écrasé, et les blessures qu'il a subies ont mené à son décès.

[3] Le paragraphe 141(4) du Code prévoyait à l'époque qu'un agent de santé et de sécurité fait enquête sur tout décès d'employé qui survient pendant que l'employé était au travail ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances. L'agent de SST Kowalski a effectué l’enquête obligatoire de novembre 2013 à juillet 2014 avec le concours d'un agent d'enquête secondaire, M. Scott Lintock.

[4] On a donc ainsi déterminé que les chefs de train stagiaires du CN ne recevaient pas une formation adéquate en matière de manipulation des aiguilles, et que la formation et les directives destinées aux superviseurs des stagiaires n'étaient pas suffisantes elles non plus. De plus, on a conclu que la supervision, par le CN, de ses chefs de train stagiaires en cours d'emploi et la tenue de dossiers relativement aux examens écrits que passent les stagiaires étaient inadéquates.

[5] Plus précisément, suite à son enquête, l'agent de SST Kowalski a recensé quatre contraventions aux dispositions du Code et il a émis l'instruction suivante en vertu du paragraphe 145(1) du Code :

[Traduction] Dans l’affaire du Code canadien du travail partie II - Santé et sécurité au travail

Instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1)

L'agent de santé et de sécurité soussigné a enquêté au sujet du décès d'un employé survenu le 18 novembre 2013 dans le lieu de travail exploité par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, en Saskatchewan dans la subdivision Tisdale, la borne milliaire 61 étant celle se trouvant le plus près de cet endroit et ledit lieu de travail étant parfois appelé « Murphys ».

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes :

1. Alinéa 125(1)g) de la partie II (la partie II) du Code canadien du travail et paragraphe 10.12(2) de la partie X du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains)

Le CN a omis de tenir des dossiers relatifs aux examens sur les règles qui sont administrés aux employés responsables de l’exploitation dans le cadre de leur formation initiale. L'examen sur les règles d'exploitation que l'employé stagiaire ayant subi des blessures fatales devait passer n'a pu être obtenu. La pratique habituelle de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) consiste à détruire les examens sur les règles d'exploitation peu de temps après que les employés ont passé ces examens, et lesdits examens sont parfois détruits alors que les employés concernés sont toujours à l'emploi de CN Rail.

2. Article 124 - Partie II du Code canadien du travail

L'employeur a omis de veiller à la protection de la santé et la sécurité des chefs de train stagiaires, dans la mesure où il n'était pas indiqué de façon probante dans les documents de formation qu'il est important de confirmer visuellement que les points d'aiguillage ont été examinés et que l'on a observé la cible de manière à s'assurer que l'aiguillage a été bien orienté pour l'itinéraire à suivre. En vertu de l'alinéa 104(b) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC) pris en application de la Loi sur la sécurité ferroviaire, ces vérifications doivent être effectuées chaque fois qu'un employé manœuvre une aiguille. Ces vérifications prévues dans le Règlement d'exploitation servent de mesure de contrôle et permettent de repérer et de rectifier toute erreur éventuelle, ce qui élimine le risque associé à une aiguille mal alignée. Compte tenu de la gravité des conséquences liées à une erreur de manœuvre d'aiguilles, la quantité d’instructions fournies au sujet de l'alinéa 104(b) dans le cadre de la formation en salle de classe était inadéquate. Les chefs de train stagiaires passent un examen sur le REFC, mais la question sur l'alinéa 104(b) ne faisait pas mention d'un passage essentiel figurant dans la règle mise à jour, qui se lit comme suit : « (...) pour s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre. »

3. Article 124 - Partie II du Code canadien du travail

L'employeur a omis d'assurer la supervision adéquate des chefs de train stagiaires en cours d'emploi en permettant au chef de train superviseur responsable de la formation de demander au stagiaire d'exécuter des tâches cruciales pour la sécurité sans l'observer directement, omettant ainsi d'observer l'exécution par le stagiaire de pratiques de travail cruciales sur le plan de la sécurité ayant mené à l'accident. En omettant de s'assurer qu'une supervision adéquate était offerte, l'employeur a omis de veiller à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité. L'employeur ne s'est pas assuré non plus que le chef de train stagiaire manœuvrait les aiguilles de la manière décrite à l'alinéa 104(b) du REFC. Le système utilisé par l'employeur pour tester les connaissances des employés responsables de l'exploitation ne comportait aucun test sur le terrain se rapportant aux règles et destiné aux chefs de train stagiaires, et qui aurait permis de déterminer s'ils accomplissent leur travail de manière fiable et conforme au règlement. Par ailleurs, personne n'a inscrit de note dans un registre au sujet de la capacité du stagiaire à manœuvrer de façon efficace et sécuritaire des aiguilles en conformité avec l'alinéa 104(b) du REFC, et ceux qui le supervisaient ne savaient pas s'il avait cette capacité. Ces personnes-là ne sont pas intervenues comme elles l'auraient dû pour éviter que le stagiaire soit exposé au risque associé au fait d'avoir mal orienté l'aiguillage. Lorsque le stagiaire a mal orienté l'aiguillage en cause, aucun autre employé ne l'observait directement et n'a donc pu lui dire de corriger cette erreur. Compte tenu du niveau de formation qui était donné à l'époque, le niveau de supervision n'était pas adéquat lui non plus et ne permettait pas de faire le nécessaire pour empêcher le stagiaire d'aiguiller le wagon autopropulsé vers la mauvaise voie. Comme le stagiaire ne s'attendait pas à ce que le wagon en mouvement s'engage dans la voie où il se trouvait, il s'est exposé sans le savoir à un danger, le tout, encore une fois, sans bénéficier d'un niveau de supervision qui aurait permis de détecter et d'éliminer ce danger.

4. Alinéa 125(1)z) - Partie II du Code canadien du travail

L'employeur a omis de fournir de la formation, des instructions, des documents éducatifs et des instruments de politique adéquats relativement à la façon dont les moniteurs en milieu de travail et les chefs de train superviseurs doivent s'acquitter de leurs obligations lorsqu'ils encadrent des chefs de train stagiaires. L'employeur a omis de fournir un encadrement aux chefs de train superviseurs et aux moniteurs en milieu de travail afin de leur expliquer comment ils étaient censés superviser le stagiaire. Le moniteur en milieu de travail n'a pas été informé de la marche à suivre pour accéder aux rapports établis par les chefs de train superviseurs au sujet du rendement des stagiaires.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin aux contraventions au plus tard le 30 septembre 2014.

Il vous est aussi ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail de prendre des mesures, au plus tard le 30 septembre 2014, pour empêcher la continuation ou la répétition de ces contraventions.

Émise à Saskatoon ce 30e jour de juillet 2014.

[Signé]

TC (Tyronne) Kowalski
Agent de santé et de sécurité
No 7187
À :
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
35, rue de La Gauchetière Ouest
Montréal (Québec) H3B 2M9

[6] Le CN a fait une demande de suspension de la mise en œuvre de l'instruction relativement à l'ensemble des quatre contraventions le 12 septembre 2014. Le 1er octobre 2014, j'ai décidé de ne pas accorder la suspension et le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) en a informé les parties le même jour. Les motifs de cette décision ont été rendus le 12 décembre 2014 et ils figurent dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2014 TSSTC 23.

[7] L'appel a été entendu à Winnipeg, au Manitoba, du 5 au 8 mai 2015, et à Montréal, au Québec, les 19 et 20 août 2015. L'agent de SST Kowalski a été invité par le soussigné à comparaître à titre de témoin et il a fait une déposition au sujet de son rapport d'enquête final daté du 12 septembre 2014.

[8] L'appelante a cité comme témoins certains membres de son personnel de formation, à savoir (1) M. David Radford, directeur, Formation et développement - Exploitation; (2) M. Bruce Hoyt, instructeur, Règlement; et (3) M. Denis Hoziel, directeur principal, Formation Transport. M. Roland Hackl, le vice-président de la CFTC, a été le seul témoin cité par l'intimée.

[9] L'appelante juge qu'elle n'enfreint aucune disposition du Code ou de ses règlements, et comme elle se conforme déjà aux exigences légales pertinentes, l'agent de SST Kowalski a de ce fait outrepassé sa compétence et il n'avait pas le pouvoir d'émettre l'instruction. Par conséquent, le CN demande que j'annule l'instruction dans son intégralité conformément à l'alinéa 146.1(1)a) du Code.

[10] L'intimée estime pour sa part que l'instruction est bien fondée et qu'elle est étayée par l'examen complet qu'a fait l'agent de SST Kowalski des circonstances de l'accident, qui sont exposées en détail dans son rapport d'enquête. Selon l'intimée, les lacunes dans la formation et la supervision des chefs de train stagiaires qui sont décrites dans l'instruction constituent des contraventions au Code. C'est pourquoi l'intimée me demande de confirmer l'instruction.

Question en litige et portée de l'appel

[11] Le présent appel porte sur la question de savoir si, tel que l'a déterminé l'agent de SST Kowalski, le CN a manqué à son obligation générale de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail aux termes de l'article 124 du Code, ainsi qu'à ses obligations spécifiques aux termes de l'article 125 du Code et du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) qui sont mentionnées dans l'instruction.

[12] En vertu du paragraphe 146.1(1) du Code, mon rôle, en tant qu'agent d'appel, consiste à mener une enquête sur les circonstances ayant donné lieu à l'instruction et sur la justification de celle-ci, et de rendre la bonne décision du point de vue de la santé et de la sécurité (Canadian Freightways Ltd. c. Canada (Procureur général) 2003 CFPI 391. Bien que je ne puisse que « modifier, annuler ou confirmer » l’instruction initiale (Sécurité maritime de Transports Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2014 TSSTC 13), le pouvoir de modifier une instruction est suffisamment large pour substituer une nouvelle contravention à celle initialement invoquée, pourvu que la nouvelle contravention repose sur les mêmes faits que ceux examinés par l'agent de SST (Rudavsky c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2016 TSSTC 1).

[13] Cela a été établi clairement par le juge Rouleau dans Vancouver Wharves Ltd. c. Canada (Procureur général), (1998) A.C.F., no 943 (C.F.P.I.). Au paragraphe 12 de cette décision, il est indiqué que le mot « modifier » est « suffisamment souple pour que puisse être exprimé différemment le problème relevé par l'agent de sécurité, pourvu que sa nature ne soit pas changée ». Je peux donc modifier une instruction en substituant une contravention prévue au Code à une autre dans certaines circonstances. Mais ce pouvoir n'est pas illimité, la portée de mon enquête étant restreinte par les faits et questions pris en considération par l'agent de SST.

[14] Il est établi en droit que ces procédures s'apparentent à une audience de novo. Je peux tenir compte, aux fins de mon enquête, de tout élément de preuve pertinent présenté par les parties, peu importe s'il se trouvait ou aurait pu se trouver à la disposition de l'agent de SST lorsqu'il a effectué son enquête. Cependant, cet élément de preuve doit se rapporter aux circonstances qui prévalaient au moment où l'instruction a été émise et non pas à des circonstances qui existaient au moment de mon enquête, soit, dans le présent cas, plus de deux ans plus tard.

[15] Dans la mesure où je conclus, en fonction des éléments de preuve dont je dispose, qu'aucune disposition du Code n'a été enfreinte, j'annulerai l'instruction. En effet, comme l'a observé le CN, en l'absence d'une contravention aux dispositions du Code, il n'y a pas de fondement juridique qui habiliterait un agent de SST à émettre une instruction aux termes du paragraphe 145(1) du Code. Je modifierai l'instruction si j'en arrive à la conclusion que seulement certaines des contraventions recensées par l'agent de SST Kowalski sont survenues ou si, au regard des faits et des questions qu'il a pris en considération, j'en arrive plutôt à la conclusion que d'autres dispositions applicables ont été enfreintes. Inversement, je confirmerai l'instruction si je finis par statuer que toutes les conclusions de l'agent de SST Kowalski sont valides.

Faits non contestés

[16] Avant d'étudier la question de savoir si le CN a manqué à ses obligations aux termes du Code, il serait utile d'examiner les circonstances liées à l'événement tragique ayant amené l'agent de SST Kowalski à mener une enquête. Elles sont décrites dans un énoncé des faits non contesté qui a été présenté conjointement par les parties et qui peut être résumé comme suit :

  • Le 18 novembre 2013, M. Cluney (ci-après le chef de train stagiaire), qui était à l'emploi du CN depuis le 27 mai 2013, participait à son 58e voyage dans le cadre de sa formation en cours d'emploi à titre de chef de train stagiaire lorsque l'accident s'est produit.
  • Ce jour-là, le train de marchandises L5864118 du CN roulait en provenance de Humboldt, en Saskatchewan, afin de transférer des wagons dans un endroit connu sous le nom de « Murphys » et qui se trouve à l'est de Tisdale, dans la même province.
  • Une équipe de quatre personnes se trouvait à bord, à savoir (1) le mécanicien de locomotive, pour qui ce territoire était nouveau; (2) le mécanicien-pilote, qui connaissait bien le territoire; (3) le chef de train, qui lui aussi connaissait bien ce territoire et qui donnait de la formation en cours d'emploi au chef de train stagiaire, et (4) le chef de train stagiaire.
  • Cette équipe effectuait des manœuvres d'aiguillage lorsque le chef de train a indiqué par radio au chef de train stagiaire d'orienter l'aiguille TS 22 dans sa position normale afin que le train recule sur la voie principale pour que l'on aille cueillir le chef de train.
  • Au lieu d'effectuer cette manœuvre, le chef de train stagiaire a inversé par inadvertance une autre aiguille, soit l'aiguille TS 23, ce qui a orienté la voie de manière à ce que le train s'engage dans une voie d'échange divergente. Ne s'étant pas rendu compte de son erreur, le chef de train stagiaire a signalé par radio que l'aiguille de la voie principale, soit l'aiguille TS 22, avait été orientée et verrouillée dans sa position normale, tel que demandé, et il a donné des directives pour que le train fasse marche arrière. À ce moment-là, les membres de l'équipe ne savaient pas que le train était en train d'être aiguillé vers la mauvaise voie.
  • Par conséquent, le train s'est engagé dans la voie d'échange plutôt que dans la voie principale. Le chef de train stagiaire se trouvait entre les rails de la voie d'échange et il faisait dos au train qui l'a frappé.
  • Il a subi de graves blessures. Il a succombé à ses blessures pendant qu'on le transportait par ambulance à l'hôpital.

[17] Les parties souscrivent aussi à la conclusion de l'agent de SST Kowalski voulant que dans les circonstances susmentionnées, il est évident que le chef de train stagiaire a enfreint les dispositions de l'alinéa 104(b) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC)Note de bas de page 1. Cet alinéa, qui va au cœur des questions soulevées dans le cadre du présent appel, se lit comme suit :

Sauf pendant la manœuvre de ses aiguilles, chaque aiguillage doit être immobilisé au moyen d’un dispositif approuvé. Après avoir manœuvré un aiguillage, il faut en examiner les aiguilles et observer la cible, le réflecteur ou le feu, s’il y en a un, pour s’assurer que l’aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre.

[18] Afin de se conformer à l'alinéa 104(b), le chef de train stagiaire aurait dû repérer le bon aiguillage puis s'assurer qu'un réflecteur vert était visible dans la cible correspondante et que les aiguilles étaient orientées pour rejoindre la voie principale. Compte tenu de la preuve non contestée, il appert que l'examen des pointes d'aiguilles et l'observation de la cible qui sont exigés pour s'assurer que les voies sont orientées en fonction de l'itinéraire à suivre n'ont pas été effectués par le chef de train stagiaire. M. Hoyt et M. Hoziel, qui ont témoigné pour le CN, ont tous deux déclaré qu'il est fort probable que la blessure fatale ne serait pas survenue si le chef de train stagiaire s'était conformé à l'alinéa 104(b). Tant M. Radford que M. Hoziel ont aussi noté qu'une autre règle énoncée dans le REFC, soit la règle générale C(ii) (communément appelée la C2) qui se lit comme suit : « s'attendre à ce qu'un mouvement, un véhicule d'entretien ou un matériel roulant surgisse à tout moment, dans l'un ou l'autre sens, sur une voie quelle qu'elle soit », n'a pas été suivie par le stagiaire au moment de l'incident, ce qui a entraîné son décès.

Analyse

[19] À titre de premier élément d'analyse, j'ai conclu, en tenant compte des documents versés au dossier et des témoignages faits à l'audience, que le comportement affiché par le chef de train stagiaire le jour de l'incident était très difficile à comprendre. Il a commis trois erreurs critiques. Tout d'abord, il n'a pas manœuvré le bon aiguillage de voie ferrée, il a orienté cette aiguille dans le mauvais sens et, enfin, il a travaillé à l'intérieur et à proximité des voies pendant qu'un mouvement avait lieu sur les rails. Compte tenu des fois où j'ai observé les pratiques et les activités de formation standard du CN, ce genre de comportement va manifestement à l'encontre de ce que le personnel des chemins de fer est censé faire dans le cadre de ses tâches courantes. Cela dit, mon rôle ici n'est pas de déterminer les facteurs ayant mené à l'accident en tant que tel, mais plutôt de trancher la question de savoir si le CN s'est acquitté de ses obligations aux termes du Code au moment de l'accident.

[20] Bien que l'agent de SST Kowalski n'ait émis qu'une seule instruction, il a recensé quatre contraventions. Afin de déterminer si l'instruction est fondée en droit et en fait, je vais examiner chaque contravention séparément.

[21] Pour chacune de ces contraventions (qui correspondent aux points que contient l'instruction), mon analyse sera articulée comme suit :

  • Circonstances ayant donné lieu à l'instruction et sa justification;
  • Observations des parties;
  • Évaluation par le soussigné.

Contravention no 1 - Manquement à l'obligation de tenir des dossiers sur les examens relatifs aux règles qui sont administrés aux employés responsables de l’exploitation dans le cadre de leur formation initiale

[22] L'agent de SST Kowalski a déterminé que le CN avait enfreint l'alinéa 125(1)g) du Code et le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) en omettant de tenir des dossiers sur les examens relatifs au REFC administrés aux chefs de train stagiaires dans le cadre de leur formation initiale.

Circonstances ayant donné lieu à l'instruction et sa justification

[23] L'agent de SST Kowalski a noté qu'aux termes du paragraphe 125(1) du Code, les employeurs ont l'obligation spécifique de tenir, selon les modalités réglementaires, des dossiers de santé et de sécurité. Il a ajouté que, conformément au Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains), les employeurs sont tenus de conserver un registre sur la formation et l'entraînement fournis aux conducteurs relativement à l'utilisation appropriée et sécuritaire du matériel roulant, et ce, pour toute leur période d'emploi.

[24] Dans le cadre de son enquête, l'agent de SST Kowalski a noté que les examens sur les règles d'exploitation (soit les examens relatifs au REFC) administrés au chef de train stagiaire dans le cadre de sa formation n'avaient pas pu être fournis par le CN. On lui a indiqué que même si le CN conservait un dossier des notes obtenues par les stagiaires qui participent à son programme de formation, les examens relatifs au REFC étaient détruits. Selon lui, cela contrevient aux dispositions précitées puisqu'il devient impossible de savoir avec une certitude absolue ce que le chef de train stagiaire a répondu à la question sur la règle d'exploitation concernant la manœuvre d'aiguillage [c'est-à-dire l'alinéa 104(b)].

[25] L'agent de SST Kowalski en a conclu que l'administration appropriée des examens sur les règles d'exploitation devrait comprendre des mesures visant à s'assurer que les erreurs sont corrigées, de façon telle que l'on puisse garantir que le stagiaire ayant passé l'examen a bien compris les règles d'exploitation. Selon lui, il serait nécessaire de conserver les examens afin de rendre possibles la supervision et l'examen appropriés du rendement et de l'évaluation des stagiaires.

Observations des parties

[26] Le CN affirme que l'alinéa 125(1)g) du Code oblige un employeur à tenir des dossiers de santé et de sécurité établis selon les modalités réglementaires. Selon le CN, l'expression « selon les modalités réglementaires » désigne obligatoirement quelque chose qui a été établi par un règlement pris par le gouverneur en conseil. Par conséquent, comme l'alinéa 125(1)g) renvoie à des dossiers de santé et de sécurité établis selon des modalités réglementaires, pour qu'il s'applique, il faudrait qu'il y ait un règlement qui décrit les dossiers de ce genre devant être conservés par un employeur.

[27] À cet égard, le CN note que l'agent de SST Kowalski s'est appuyé sur le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) en tant que règlement prévoyant l'obligation de tenue de dossiers pertinente. Quoi qu'il en soit, le CN soutient que l'exigence citée par l'agent de SST Kowalski renvoie à une obligation de tenir des dossiers sur la formation et l’entraînement relativement à l'utilisation appropriée et sécuritaire du matériel roulant, et non pas un dossier de santé et de sécurité. Selon le CN, le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) n'a pas de lien avec l'alinéa 125(1)g) du Code puisque ce dernier ne se lit pas comme suit : « tenir, selon les modalités réglementaires, des dossiers sur la formation et l’entraînement. » Il renvoie plutôt à un autre type de dossiers, à savoir des dossiers de santé et de sécurité établis selon les modalités réglementaires. Il s'ensuit que l'alinéa 125(1)g) du Code et le paragraphe 10.12(2) du règlement cités par l'agent de SST Kowalski ne s'appliquent pas aux examens relatifs au REFC puisque ces documents ne peuvent pas être considérés comme des dossiers de santé et de sécurité établis selon les modalités réglementaires.

[28] Le CN soutient également que le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) se rapporte à la conservation d'un registre sur la formation et l’entraînement fourni à un « conducteur de matériel roulant automoteur », ce qui renvoie, selon le CN, à un mécanicien de locomotive et non à un chef de train. Compte tenu de cet argument, le CN soutient que même si les examens relatifs au REFC étaient considérés comme des dossiers de santé et de sécurité, le paragraphe 10.12(2) ne s'appliquerait pas en ce qui concerne le chef de train stagiaire étant donné qu'il n'a pas reçu de formation sur l'utilisation et l'approvisionnement en carburant appropriés et sécuritaires de locomotives. Le CN affirme également, à cet égard, que le paragraphe 10.12(2) ne pourrait viser qu'un registre d'examens de mécanicien de locomotives en ce qui a trait à l'utilisation et à l'approvisionnement en carburant de locomotives, mais pas les examens relatifs au REFC administrés aux chefs de train stagiaires.

[29] Subsidiairement, même si les examens relatifs au REFC étaient considérés comme des dossiers de santé et de sécurité, et même si le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) s'appliquait au chef de train stagiaire et visait des examens autres que ceux portant sur l'utilisation et l'approvisionnement en carburant de locomotives, le CN affirme que sa pratique en matière de tenue de dossiers relatifs aux examens administrés dans le cadre de la formation des chefs de trains est conforme aux dispositions du paragraphe 10.12(2). Le CN mentionne que cette disposition renvoie à « un registre » plutôt qu'« au registre », ce qui révèle que le législateur n'avait pas l'intention d'obliger les employeurs à conserver un certain examen (soit, ici, l'examen relatif au REFC où figurent les réponses de l'employé).

[30] À cet égard, le CN affirme que la preuve permet d'établir clairement qu'il tient de fait un registre sur la formation et l'entraînement des chefs de train stagiaires et qu'il a conservé celui du chef de train stagiaire en cause. En particulier, le CN conserve un registre de toutes les questions posées et de tous les résultats d'examens de chaque chef de train stagiaire et il s'assure que toutes les erreurs sont examinées et corrigées, et qu'elles font l'objet d'une discussion.

[31] Pour sa part, la CFTC soutient qu'il est confirmé dans la preuve établie dans le cadre de la présente procédure que le CN n'a pas conservé les examens sur les règles d'exploitation administrés à des employés et que s'il changeait cette pratique, cela favoriserait des interventions actives ainsi que la capacité de prévoir et de gérer les lacunes dans les connaissances des stagiaires. La CFTC souligne également qu'un témoin du CN, M. Hoziel, a indiqué que le CN avait l'intention de conserver les examens des stagiaires au dossier dès qu'ils seraient administrés en format électronique dans un avenir rapproché. Toujours selon la CFTC, cette conservation serait très utile et fournirait de l'information pertinente au sujet de ce qu'un employé a assimilé ou non dans le cadre de la formation sur les règles essentielles donnée en salle de classe.

[32] La CFTC a ajouté que, dans les circonstances liées au présent cas, il n'y a pas de registre sur la formation donnée par le CN au chef de train stagiaire après qu'il eut passé ses deux premiers examens relatifs au REFC et qu'il est donc impossible de déterminer les éléments qu'il n'avait pas assimilés et qui auraient dû être relevés et réexpliqués par ceux qui étaient responsables de sa formation. Selon la CFTC, cela engendre une lacune dans l'encadrement correctif ultérieur qui pourrait être fourni par le moniteur en milieu de travail et le chef de train superviseur étant donné qu'ils ne peuvent pas savoir quelles sont les questions auxquelles le chef de train stagiaire n'a pas répondu correctement.

[33] Enfin, la CFTC affirme qu'aux termes du REFC, un chef de train est défini comme étant un « employé responsable de la marche d’un mouvement ». Par conséquent, et contrairement à ce que le CN soutient, le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) s'applique au chef de train, étant donné que celui-ci est bel et bien responsable du mouvement du matériel roulant.

Évaluation

[34] La conclusion de l'agent de SST Kowalski implique que, selon lui, les dossiers de santé et de sécurité établis suivant les modalités réglementaires, au sens de l'alinéa 125(1)g) du Code, et les « registres sur la formation et l’entraînement » concernant l'utilisation appropriée et sécuritaire du matériel roulant qui sont cités au paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains), englobent les examens relatifs au REFC administrés aux chefs de train stagiaires. De fait, cette conclusion repose sur la prémisse voulant que les examens relatifs au REFC constituent des dossiers de santé et de sécurité établis selon les modalités réglementaires et doivent être tenus par les employeurs.

[35] Quoi qu'il en soit, l'agent de SST Kowalski n'a pas parlé du fondement juridique en vertu duquel l'obligation de tenir des dossiers énoncée à l'alinéa 125(1)g) du Code et au paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) s'applique aux circonstances de cette affaire. Avant de conclure que le fait de ne pas conserver les examens sur les règles administrés dans le cadre de la formation initiale contrevient à ces dispositions, il faudrait d'abord déterminer que cela peut être interprété de manière à créer une obligation légale pour le CN de tenir des dossiers sur les examens relatifs au REFC administrés aux chefs de train stagiaires.

[36] L'alinéa 125(1)g) du Code est très spécifique et il y est clairement prévu que seule la tenue d'un certain type de dossiers est obligatoire. Cet alinéa prévoit qu'un employeur doit « tenir, selon les modalités réglementaires, des dossiers de santé et de sécurité. » À cet égard, le CN note à juste titre que l'expression « selon les modalités réglementaires » renvoie à des règlements pris par le gouverneur en conseil (voir la définition figurant au paragraphe 122(1) du Code et 171817 Canada Inc. - Artic Sunwest Charter, décision no TSSTC 09-005) (171817 Canada Inc.).

[37] Par conséquent, pour que le CN soit légalement tenu de conserver les examens relatifs au REFC aux termes de l'alinéa 125(1)g) du Code, cette obligation doit être expressément énoncée dans un règlement applicable. À cet égard, l'agent de SST Kowalski a conclu que le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) exigeait la conservation des examens relatifs au REFC administrés.

[38] Pour les motifs qui suivent, je suis en désaccord avec cette conclusion. À l'époque de l'émission de l'instruction, l'article 10.12 de ce règlement se lisait comme suit :

Formation et entraînement des conducteurs

10.12 (1) L’employeur doit donner à chaque conducteur de matériel roulant automoteur la formation et l’entraînement sur la marche à suivre pour les opérations suivantes :

a) utiliser le matériel roulant comme il convient et en toute sécurité;

b) approvisionner en carburant le matériel roulant, s’il y a lieu.

(2) L’employeur doit conserver un registre sur la formation et l’entraînement reçus par le conducteur de matériel roulant conformément au paragraphe (1) aussi longtemps que ce dernier demeure à son service.

[L'italique est de moi.]

[39] Selon mon interprétation, le paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) ne fait qu'obliger un employeur à conserver « un registre » sur la formation et l’entraînement reçus par le conducteur de matériel roulant en ce qui concerne son utilisation appropriée et sécuritaire (et son approvisionnement en carburant). Même en présumant que ce registre sur la formation et l’entraînement constitue aussi un « dossier de santé et de sécurité » au sens de l'alinéa 125(1)g) du CodeNote de bas de page 2, le paragraphe 10.12(2) ne prescrit ni sa forme ni la façon dont il doit être conservé et tenu par l'employeur.

[40] Par conséquent, une obligation de conserver au dossier un certain type de registre sur la formation et l’entraînement, ce qui comprend entre autres les examens relatifs au REFC administrés aux stagiaires, ne peut pas être considérée comme découlant de cette disposition. Si l'autorité de réglementation avait eu l'intention d'obliger les employeurs à conserver au dossier un registre sur la formation et l’entraînement selon ces modalités, elle l'aurait prescrit dans le règlement.

[41] À cet égard, il est utile de rappeler que l'alinéa 125(1)g) du Code ne renvoie pas seulement à des dossiers de santé et de sécurité prescrits (prescribed health and safety records, en anglais), c.-à-d., établis selon les modalités réglementaires. L'expression selon les modalités réglementaires prescrit aussi la forme et la manière de les conserver (prescribed form and manner, en anglais) Ainsi, si un type de dossier, de renseignement ou de document précis doit être tenu aux termes de l'alinéa 125(1)g) du Code, cette exigence doit être énoncée dans un règlement.

[42] Par exemple, le paragraphe 8.12(1) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) prévoit qu'un registre de tout l'équipement de protection fourni par l'employeur doit être conservé par l'employeur pour une période de deux ans suivant la date à laquelle il cesse d'être utilisé. Le paragraphe 8.12(2) présente de façon détaillée les « modalités » selon lesquelles ce registre doit être tenu :

(2) Le registre visé au paragraphe (1) doit contenir les renseignements suivants :

a) la description de l’équipement de protection et la date de son acquisition par l’employeur;

b) la date et les résultats de chacune des inspections et des épreuves auxquelles l’équipement a été soumis;

c) la date et la nature des travaux d’entretien dont l’équipement a fait l’objet depuis son acquisition par l’employeur;

d) le nom de la personne qui a fait l’inspection, la mise à l’épreuve ou l’entretien de l’équipement.

[43] En revanche, il n'est pas indiqué au paragraphe 10.12(2) ce que le registre qui y est visé devrait contenir ou qu'il doit être conservé sous une certaine forme. Cela signifie que les employeurs disposent d'une certaine marge de manœuvre pour déterminer comment conserver un compte rendu documentaire de la formation et de l'entraînement relatifs à l'utilisation appropriée et sécuritaire du matériel roulant fourni aux employés.

[44] Il s'agit d'une conclusion raisonnable dans la mesure où, tout comme cela s'applique dans le présent cas, un employeur n'est pas expressément tenu de conserver au dossier les examens relatifs au REFC ni certains autres documents en ce qui a trait à la formation et à l'entraînement qu'il a fournis à des conducteurs de matériel roulant. Autrement, le gouverneur en conseil aurait prescrit dans le règlement la forme particulière que doit prendre le registre en question. Mais il n'existe pas de « modalités réglementaires » régissant la présentation du registre en cause et l'employeur n'est donc pas tenu de conserver des examens spécifiques administrés à ses employés. En termes simples, les examens relatifs au REFC ne constituent pas des dossiers de santé et de sécurité qui, selon les modalités réglementaires doivent être tenus par les employeurs aux termes du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains).

[45] Pour se conformer au paragraphe 10.12(2), il suffit pour un employeur de conserver « un registre » de toute formation ou tout entraînement fourni aux conducteurs de matériel roulant relativement à l'utilisation appropriée et sécuritaire de ce matériel (et à son approvisionnement en carburant). À cet égard et en présumant que les chefs de train stagiaires sont des conducteurs de matériel roulant au sens du paragraphe 10.12(2) (c’est-à-dire que cette disposition vise la formation et l'entraînement prodigués aux chefs de train stagiaires), j'estime que le CN s'est conformé à cette obligation de tenue de dossiersNote de bas de page 3.

[46] La preuve révèle que le CN a de fait conservé un registre exhaustif se rapportant à la formation et à l'entraînement des chefs de train stagiaires, y compris celui du chef de train stagiaire en cause. Ce registre fait état des notes obtenues par chaque chef de train stagiaire pour tous les examens sur les règles et il contient un exemplaire des examens modèles qui sont administrés à des chefs de train stagiaires et du registre relatif à la formation en classe où l'on retrouve les commentaires quotidiens faits au sujet de la progression des chefs de train stagiaires et de tout problème éventuel concernant un stagiaire en particulier.

[47] À l'audience, j'ai aussi entendu des éléments de preuve révélant qu'à la suite de l'administration et de la correction de chaque examen relatif au REFC, les instructeurs relèvent les questions ratées et examinent l'examen avec tous les chefs de train stagiaires en classe, et ils leur présentent ensuite de façon précise les bonnes réponses (témoignage de Bruce Hoyt). Bref, le CN conserve un registre de toutes les questions posées et de tous les résultats d'examens de chaque chef de train stagiaire et a pour politique de s'assurer que toutes les erreurs sont examinées et corrigées, et qu'elles font l'objet d'une discussion.

[48] De plus, dans le cas du chef de train stagiaire en cause, la preuve révèle qu'il a obtenu toutes les notes exigées pour progresser au sein du programme de formation des chefs de trains. Des éléments de preuve abondants permettent aussi de déterminer en quoi consistait la formation initiale relative au REFC qu'il a reçue ainsi que le contenu des divers tests qu'il a dû passer, comme tous les chefs de train stagiaires, afin que l'on puisse s'assurer qu'il avait compris le contenu des documents présentés dans le cadre du programme de formation du CN.

[49] Compte tenu de ce qui précède, j'en arrive à la conclusion que le fait que le CN n'a pas n'a pas conservé les examens relatifs au REFC administrés aux chefs de train stagiaires dans le cadre de leur formation initiale ne contrevenait pas aux exigences énoncées à l'alinéa 125(1)g) du Code ni au paragraphe 10.12(2) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (trains) . Comme le CN n'a pas enfreint ces dispositions et que ni le Code ni le règlement ne contiennent d'autres dispositions obligeant les employeurs à conserver les examens relatifs au REFC, le point 1 de l'instruction doit être annulé.

Contravention no 2 - Manquement à l'obligation d'insister sur l'importance et la teneur de l'alinéa 104(b) dans les documents de formation

[50] L'agent de SST Kowalski a déterminé que le CN a enfreint les dispositions de l'article 124 du Code dans la mesure où il n’était pas indiqué de façon probante, dans les documents de formation, qu’il est important de confirmer visuellement que les points d'aiguillage ont été examinés et que l'on a observé la cible de manière à s'assurer que l'aiguillage a été bien orienté pour l'itinéraire à suivre, le tout conformément à l'alinéa 104(b) du REFC. L'agent de SST a estimé que compte tenu de la gravité des conséquences liées à une erreur de manœuvre d’aiguilles, la quantité d'instructions fournies relativement à l'alinéa 104(b) dans le cadre de la formation en salle de classe offerte par le CN était inadéquate.

Circonstances ayant donné lieu à l'instruction et sa justification

[51] L'agent de SST Kowalski a mentionné que pour des raisons autres que l'éclairage, les opérations d'examen des aiguilles et d'observation de la cible exigées en vertu de l'alinéa 104(b) du REFC n'ont pas été efficacement accomplies par le chef de train stagiaire. À son avis, le fait de constater une lacune dans la prestation d'une personne n'exclut pas la possibilité que l'employeur ait par ailleurs manqué à ses responsabilités, ce qui, dans certains cas, peut aussi correspondre à des contraventions pour lesquelles des prescriptions en droit existent afin d'assurer la prise des mesures nécessaires.

[52] L'agent de SST Kowalski a indiqué que les mesures servant à gérer de tels problèmes d'exécution comprennent de la formation, et il a examiné certains aspects du programme de formation du CN. Il en est arrivé à la conclusion que la question de l'examen relatif au REFC qui porte sur les manœuvres d'aiguillage ne traitait pas de la partie de l'alinéa 104(b) où l'objet de cet alinéa est expliqué, à savoir qu'il faut s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre. L'agent de SST Kowalski était d'avis que cette partie était cruciale pour la réalisation des contrôles prescrits car elle permettait aux stagiaires de comprendre le sens de l'expression « bien orienté ».

[53] L'agent de SST en est aussi arrivé à la conclusion que seulement deux diapositives concernant l'alinéa 104(b) avaient été présentées durant les cinq semaines de formation en salle de classe. Il a également noté que ces diapositives et quelques autres se rapportant aux activités d'aiguillage ne traitaient pas suffisamment de l'objet de l'alinéa 104(b) et qu'elles n'insistaient pas sur l'importance de cette règle du point de vue de la sécurité. Selon lui, ces diapositives ne représentent qu'une très petite partie des diapositives utilisées à des fins de formation. Étant donné que la manœuvre d'aiguilles est essentielle au fonctionnement courant des voies ferrées et qu'elle est sujette à des erreurs humaines pouvant avoir des conséquences néfastes, l'agent de SST Kowalski a estimé que cette formation ne permettait pas de s'assurer que les stagiaires avaient acquis la capacité de bien manœuvrer des aiguilles.

[54] Bien qu'il ait noté que les chefs de train stagiaires ont passé un examen sur les règles énoncées dans le REFC, il a jugé qu'une seule question sur l'alinéa 104(b) ne suffisait pas étant donné que cette question ne faisait pas mention d'un passage essentiel figurant dans cet alinéa et décrivant son objet, qui se lit comme suit : « (...) pour s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre. »

[55] En résumé, l'agent de SST Kowalski a déterminé que le CN a omis de fournir une formation complète sur les dispositions de l'alinéa 104(b). Compte tenu de la gravité des conséquences pouvant découler d'erreurs de manipulation d'aiguilles, il en est arrivé à la conclusion que l'importance insuffisante accordée à l'alinéa 104(b) dans les documents de formation du CN constituait un manquement à l'obligation générale conférée au CN par l'article 124 du Code, à savoir de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

Observations des parties

[56] Le CN tient à souligner que l'agent de SST Kowalski n'a pas cité l'alinéa 125(1)q) du Code, lequel traite expressément des exigences légales s'appliquant aux employeurs en ce qui concerne la formation et l'entraînement des employés. Selon le CN, cette disposition, qui oblige les employeurs à offrir aux employés, selon les modalités réglementaires, l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer leur santé et leur sécurité, n'a pas été citée dans l'instruction parce qu'il n'y a tout simplement pas de formation et d'entraînement prescrits par règlement.

[57] Le CN soutient qu'en raison du fait qu'il n'existe pas d’information, de formation et d'entraînement prescrits dans la réglementation pour les chefs de train stagiaires, rien ne justifiait l'émission d'une instruction sanctionnant le caractère inadéquat des documents de formation du CN. Le CN a proposé que lorsque la présentation ou le contenu des documents de formation n'est pas prescrit par la loi, cela implique que le législateur souhaitait fournir une marge de manœuvre aux employeurs pour leur permettre de déterminer des mesures appropriées pour leur propre lieu de travail étant donné qu'ils possèdent l'expertise et les connaissances pertinentes, et qu'ils ont autorité sur leur lieu de travail. Rien ne justifiait donc l'émission d'une instruction sur le contenu spécifique des documents de formation et, en particulier, sur la formulation d'une question d'examen.

[58] Le CN a ajouté que l'agent de SST Kowalski s'est erronément appuyé sur l'article 124 du Code pour affirmer que le CN était légalement tenu d'inclure les mots « pour s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre » dans une question d'examen, étant donné qu'aucune obligation de ce genre n'existe en droit. Selon le CN, la norme prévue à l'article 124 du Code en est une de caractère raisonnable et pour qu'une contravention existe, un agent de SST doit recenser une mesure qu'un employeur raisonnable aurait prise dans les circonstances, mais que l'employeur en cause a omis de prendre. Compte tenu de ce critère, le CN affirme que si l'on prend aussi en considération le caractère complet et détaillé de son programme de formation des chefs de trains, il n'y a tout simplement aucune preuve qui soutient le point de vue de l'agent de SST Kowalski voulant que l'ajout d'une phrase précise se rapportant à l'alinéa 104(b) dans les examens relatifs au REFC administrés par le CN représente une mesure qu'un employeur raisonnable aurait prise dans les circonstances pour veiller à la protection de la santé et la sécurité des employés, mais que le CN avait omis de prendre.

[59] Le CN soutient également que l'agent de SST Kowalski a omis de tenir compte des réalités liées à l'expérience que vivent les chefs de train stagiaires en salle de classe, de l'expérience pratique qu'ils acquièrent dans le cadre de la formation intensive sur le terrain, du caractère répétitif des instructions et de toutes les ressources additionnelles qui sont mises à leur disposition dans le cadre du programme de formation des chefs de trains du CN. Le CN affirme que la qualité de ses documents de formation est plus que raisonnable (ces documents sont de haut niveau) et que l'agent de SST Kowalski a exercé ses pouvoirs de manière frivole lorsqu'il a indûment scruté la formulation d'une seule diapositive de la présentation et d'une seule question d'examen, sans tenir compte de l'ensemble du programme de formation du CN.

[60] En ce qui concerne la conclusion de l'agent de SST Kowalski voulant que le CN a omis de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des chefs de train stagiaires en omettant d'insister sur l'importance de confirmer visuellement que les points d'aiguillage avaient été examinés et que l'on avait observé la cible de manière à s'assurer que l'aiguillage avait été bien orienté selon l'itinéraire souhaité, le CN avance que cette conclusion n'est fondée sur aucun fait. L'employeur soutient que l'agent de SST Kowalski a omis de tenir compte de la réalité objective du programme de formation des chefs de trains du CN, tel que démontré par le fait qu'il a admis qu'il n'avait examiné qu'une série de diapositives ne portant que sur une seule journée et qu'il n'avait parlé à aucun membre du personnel de formation avant d'émettre l'instruction.

[61] Du point de vue du CN, l'enquête de l'agent de SST Kowalski avait une portée limitée, était incomplète et ne constituait pas un fondement juste et précis permettant de conclure que le programme de formation du CN avait omis d'insister sur les bonnes techniques d'aiguillage, y compris la nécessité de s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre. En fait, la preuve révèle que les règles relatives aux aiguilles et aux activités d'aiguillage sont traitées de manière exhaustive dans le cadre du programme, tant en salle de classe que lors de la formation intensive sur le terrain, dans le cadre de laquelle les stagiaires acquièrent de l'expérience pratique dans un milieu contrôlé en utilisant du vrai équipement, et s'exercent à accomplir des tâches, y compris des activités d'aiguillage. Par conséquent, la notion présentée à l'alinéa 104(b) est discutée et expliquée tout au long du programme.

[62] Le CN soutient aussi qu'un examen objectif de l’information, de la formation et de l'entraînement fournis dans le cadre de son programme de formation permet d'établir qu'il a pris toutes les mesures raisonnables pour veiller à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité et qu'il s'est donc conformé à l'article 124 du Code. Il n'y a tout simplement aucun élément de preuve démontrant qu'il serait nécessaire de modifier le contenu des documents utilisés dans le cadre du programme pour veiller raisonnablement à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité, dans les circonstances liées au présent cas.

[63] Enfin, le CN affirme que l'exigence très précise énoncée au point 2 de l'instruction est tout simplement déraisonnable et qu'elle constitue de l'ingérence de la part d'un agent de SST beaucoup trop pointilleux. Ce point devrait être rejeté, car il aurait pour effet de permettre à un agent de SST de prescrire le contenu de documents de formation, y compris des examens, utilisés pour un programme de formation de chefs de trains. Or le législateur n'a rien prévu de tel de manière expresse et il n'a pas non plus habilité les agents de SST à le faire à sa place.

[64] La CFTC soutient que la deuxième contravention désignée dans l'instruction est bien démontrée par l'ensemble de la preuve, et que l'agent de SST Kowalski a correctement constaté qu'il y avait très peu de renseignements relatifs à la manœuvre des aiguilles dans les documents de formation du CN. Elle soutient également que peu importe le nombre de modules de formation que le CN a présentés par l'entremise de ses témoins, l'employeur n'a pas présenté de preuve démontrant qu'il existe des documents de formation écrits servant à expliquer l'objet fondamental de l'alinéa 104(b) aux stagiaires. Si on les compare aux anciens documents de formation qui avaient été préparés conjointement par le syndicat et l'employeur, les documents de formation actuels ne mettent à peu près pas l'accent sur l'importance de se conformer aux exigences précises de l'alinéa 104(b).

[65] La CFTC a ajouté que le deuxième point de l'instruction de l'agent de SST Kowalski traite d'une importante déficience dans la partie du programme de formation des chefs de trains du CN qui est dispensée en salle de classe, aux fins de laquelle on n'utilise que deux diapositives parmi les nombreuses présentées aux stagiaires durant une courte période de temps. Selon la CFTC, l'agent de SST Kowalski a raisonnablement conclu que l'on pourrait et devrait en faire plus pour souligner l'importance de se conformer à l'alinéa 104(b), étant donné qu'il s'agit de l'une des cinq règles les plus importantes pour les employés du CN et aussi les plus souvent enfreintes. En particulier, aucune diapositive ne traite de l'importance cruciale de cette règle du point de vue de la sécurité, tel que l'a constaté l'agent de SST Kowalski.

[66] La CFTC soutient également que même si l'on présente aux stagiaires une vidéo intitulée [traduction] « La manœuvre sécuritaire des aiguilles » dans le cadre de leur formation en salle de classe, on n'y montre pas comment exécuter les vérifications qui permettent d'appliquer l'alinéa 104(b). En fait, dans cette vidéo, les employés modèles ne pointent pas l'itinéraire à suivre et on ne les voit pas exécuter les vérifications qui permettent de détecter et de rectifier une erreur de manipulation d'aiguilles.

[67] En ce qui a trait à l'obligation découlant de l'article 124 du Code, la CFTC affirme que cet article impose une obligation de diligence raisonnable aux employeurs et que contrairement à ce qui ressort des observations du CN, il ne suffit pas à un employeur d'agir de façon raisonnable pour se conformer aux exigences découlant de cet article. Selon la CFTC, l’existence de seulement deux diapositives faisant partie des documents de formation, fait en sorte que le CN ne s'acquitte pas de son obligation de diligence raisonnable pour ce qui est de souligner l'importance de l'alinéa 104(b) et les graves conséquences que peut entraîner le fait de ne pas procéder aux vérifications enchâssées dans cet alinéa.

[68] Enfin, la CFTC soutient que ce point de l'instruction ne fait que préciser qu'il est nécessaire d'insister sur l'importance de l'alinéa 104(b) dans le but de veiller à la protection de chaque stagiaire et des nouveaux employés en matière de santé et de sécurité au travail, d'une façon qui est en accord avec l'objet du Code. La CFTC ne voit rien d'extraordinaire dans cette instruction relativement discrète et gérable en ce qui concerne l'alinéa 104(b).

Évaluation

[69] L'agent de SST Kowalski en est arrivé à la conclusion que le CN avait manqué à son obligation générale de veiller à la protection de chaque employé en matière de santé et de sécurité au travail aux termes de l'article 124 du Code dans la mesure où il n'a pas insisté suffisamment sur l'importance de l'alinéa 104(b) du REFC dans les documents de formation destinés aux chefs de trains. La première question qui doit être traitée est celle de savoir si on peut s'appuyer sur l'article 124 pour imposer aux employeurs des obligations se rapportant au contenu des documents de formation et d'entraînement destinés aux employés.

[70] Le CN a noté à juste titre qu’aucun règlement ne prévoit d'obligations en matière de formation et d'entraînement, et que par conséquent, l'alinéa 125(1)q) du Code, qui traite expressément des exigences relatives à l’offre de formation et d'entraînement pour assurer la santé et la sécurité des employés, ne s'applique pas ici. Est-ce que le fait que le Code et les règlements ne prescrivent pas la façon dont la formation et l'entraînement doivent être fournis aux chefs de train signifie qu'il n'y a aucun fondement juridique pour l'émission d'une instruction à cet égard?

[71] À mon avis, il faut répondre par la négative à cette question. La raison est que même si l'alinéa 125(1)q) du Code ne s'applique pas au présent cas, le CN doit quand même veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité, tel que l'article 124 l'y oblige. De fait, les mots « [d]ans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124 » figurant au début paragraphe 125(1) établissent clairement que les obligations particulières énumérées à l'article 125 ne peuvent pas avoir pour effet de limiter l'étendue de l'obligation générale conférée aux employeurs par l'article 124.

[72] Comme l'a indiqué l'agent d'appel au paragraphe 72 de la décision 171817 Canada Inc. :

Toutefois, si l'alinéa 125(1)q) du Code peut ne pas s'appliquer, les dispositions de l'article 124 du Code traitant de l'obligation générale de protection de l'employeur continuent de s'appliquer. En conséquence, je tiendrai compte de la preuve qui m'a été produite pour déterminer si l'employeur s'est acquitté de cette obligation générale prévue à l'article 124 du Code.

[73] M'inspirant de ce principe, je trancherai, en tenant compte de la preuve qui se trouve devant moi, la question de savoir si les documents de formation du CN lui permettent de remplir l'obligation générale prévue à l'article 124 du Code. L'obligation générale qu'a l'employeur en vertu du Code est de s'assurer que ses employés évoluent dans un milieu de travail sécuritaire. Comme l'a indiqué l'agent d'appel dans 171817 Canada Inc., l'employeur doit, à cette fin, mettre en place et appliquer des procédures de santé et de sécurité, ce qui comprend de la formation et de la supervision.

[74] Compte tenu de la nature très générale de l'obligation de l'employeur à l'article 124, la question à trancher est celle de savoir si l'employeur a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité. En d'autres mots, l'article 124 soumet l'employeur à une obligation de diligence raisonnable par opposition à la nécessité d'appliquer des mesures de conformité précises, ce qui est le cas lorsque des obligations spécifiques sont énoncées dans le Code ou ses règlements.

[75] La jurisprudence établit clairement que la prise de mesures raisonnables est la norme d'application aux termes de l'article 124. Par exemple, dans Western Stevedoring Company Limited c. Lemonier, décision 97-011, l'agent régional de sécurité Doug Malanka déclare ce qui suit :

Conformément à l’article 124, l’employeur doit veiller à la protection de ses employés en matière de sécurité et de santé au travail. Cela signifie qu’il doit prendre les mesures que toute personne raisonnable connaissant la législation, le lieu de travail et ses dangers pourrait juger nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité des travailleurs. Le terme « veille », utilisé à l’article 124, signifie voir à, faire le nécessaire, et indique qu’il s’agit d’une obligation importante.

[…]

Cela ne veut pas dire que l’obligation imposée à l’employeur à l’article 124 est absolue sans aucun moyen de défense possible, ni que les agents de sécurité peuvent l’invoquer pour des raisons frivoles. De fait, l’alinéa 148(6)e) du Code prévoit que l’accusé peut se disculper d’une infraction à l’article 124 en prouvant qu’il a pris les mesures nécessaires pour veiller sur la santé et la sécurité de toute personne travaillant pour l’employeur. Par conséquent, en ce qui concerne l’article 124, la prise des mesures nécessaires constitue la norme que les employeurs doivent respecter pour se conformer aux dispositions du Code plutôt que les obligations spécifiques énoncées dans le RCSST pour des infractions à l’article 125.

[L'italique est de moi.]

[76] La jurisprudence établit aussi clairement qu'un employeur satisfait à la norme en question lorsqu'il prend des mesures raisonnables pour veiller à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés. Ce critère est décrit dans Verville c. Service correctionnel du Canada, décision no 02-013, comme suit :

[18] Je ne crois pas qu’il a été établi que l’employeur n’assurait pas la protection de la santé et de la sécurité de ses employés. Pour qu’il y ait violation, il faut conclure que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables d’assurer la santé et la sécurité de ses employés. [...]

[19] Dans la présente cause, selon moi, l’employeur a pris toutes les mesures raisonnables d'assurer la santé et la sécurité de ses employés. [...]

[77] L'applicabilité et la validité de ce critère ont été subséquemment confirmées par la juge Gauthier de la Cour fédérale dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent d'appel Serge Cadieux relativement à cette affaire [Verville c. Canada (Service correctionnel) 2004 CF 767] (Verville).

[68] S'agissant des autres affirmations faites par l'agent d'appel [...], elles signifient d'après moi qu'un employeur doit prendre des mesures raisonnables pour repérer les risques pour la santé et la sécurité sur le lieu de travail et, une fois qu'un risque a été constaté, à la faveur d'une analyse des risques, à l'occasion d'une plainte déposée par un employé ou d'une autre manière, il doit prendre des mesures raisonnables pour l'éliminer ou le minimiser autant que cela est raisonnablement possible.

[69] Finalement, après examen de la décision tout entière de l'agent d'appel, je ne suis pas persuadée que l'agent d'appel a appliqué la mauvaise norme ou le mauvais critère, même si certains de ses commentaires sont discutables.

[L'italique est de moi.]

[78] C'est donc en appliquant cette norme que je devrai trancher la question de savoir si, par l'entremise des documents de son programme de formation, le CN a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour veiller à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité. Encore une fois, le caractère raisonnable, et non la perfection, constitue la norme. Même si on peut soutenir qu'un employeur pourrait toujours en faire plus et prendre des mesures supplémentaires pour protéger ses employés, pour constater une contravention à l'article 124, il faut que la preuve autorise une conclusion voulant qu'une mesure supplémentaire aurait dû être prise ou qu'elle n'avait pas été mise en œuvre (Verville, par. 66).

[79] L'agent de SST Kowalski en a conclu, pour l'essentiel, que l'on n'accordait pas suffisamment d'importance à l'alinéa 104(b) du REFC dans les documents de formation du CN, particulièrement en ce qui a trait à l'objet de cet alinéa, et c'est pourquoi il a statué que le CN avait omis de se conformer à l'article 124 du Code. Toutefois, la preuve m'ayant été présentée ne fonde pas sa conclusion selon laquelle la quantité de formations fournies au sujet de l'alinéa 104(b) en salle de classe n'était pas appropriée.

[80] Au contraire, le CN a fourni une preuve abondante relativement au caractère exhaustif, rigoureux et dynamique de son programme de formation des chefs de train. Cette preuve documentaire démontre que les diapositives PowerPoint se rapportant à l'alinéa 104(b) et qui ont été jugées incomplètes par l'agent de SST Kowalski ne constituent qu'un sous-ensemble de diverses techniques à l'aide desquelles la prestation des cours du programme est assurée. Le volet de la formation en salle de classe mise aussi sur d'autres techniques d'apprentissage (animations, démonstrations, discussions, vidéos, activités pratiques, révisions, formule « questions et réponses » et examens).

[81] De plus, M. Hoyt a déclaré, lors de son témoignage, que le REFC, y compris l'alinéa 104(b), est présenté et longuement expliqué dans le cadre du programme de formation. Il a mentionné que chaque stagiaire reçoit son propre exemplaire du manuel d'exploitation du CN, dans lequel le REFC est reproduit en entier. M. Hoyt a aussi déclaré que des instructions détaillées sont données aux chefs de train stagiaires dans le cadre du cours en ce qui concerne le REFC, y compris l'alinéa 104(b). Si l'on s'en fie à sa déposition, les aiguilles et les activités d'aiguillage sont des sujets traités en profondeur en salle de classe ainsi que dans le cadre de la formation intensive sur le terrain.

[82] Il a mentionné, en particulier, que lorsque des diapositives sont projetées sur l'écran de la salle de classe, les chefs de train stagiaires sont censés suivre en consultant en parallèle le REFC, lequel est reproduit dans leur exemplaire du manuel d'exploitation du CN. Je souscris aux observations du CN voulant que, dans ce contexte, il serait redondant de reproduire tout le texte d'un article du REFC sur une diapositive PowerPoint, y compris l'alinéa 104(b). En termes simples, les diapositives fournissent un aperçu du REFC et elles ne servent pas à souligner l'importance d'une règle par rapport à une autre, ni à mettre en relief le contenu d'une règle donnée.

[83] Outre le contenu des diapositives, ce qui importe, c'est qu'il y a beaucoup d'éléments de preuve qui démontrent que les règles applicables aux aiguilles et aux activités d'aiguillage, y compris l'obligation de s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre, sont traitées et expliquées en détail dans l'ensemble du programme de formation des chefs de train. Les manœuvres d'aiguillage effectuées dans le cadre de la formation intensive sur le terrain comprennent une emphase mise sur la nécessité de mettre en œuvre des procédures de travail sécuritaires et de vérifier les aiguilles, les cibles et l'itinéraire à suivre.

[84] Selon moi, lorsqu'on les considère dans leur ensemble, les documents de formation du CN contiennent de l'information adéquate en ce qui a trait à l'alinéa 104(b), dans la mesure où cette information permet aux stagiaires de comprendre cet alinéa et son importance. De plus, il y a des éléments de preuve qui démontrent que dans le cadre de son programme de formation, le CN met en relief d'autres règles d'exploitation qui tiennent lieu de mesures de protection supplémentaires servant à veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité. Par exemple, la règle C(ii) oblige les employés à « s'attendre à ce qu'un mouvement, un véhicule d'entretien ou un matériel roulant surgisse à tout moment, dans l'un ou l'autre sens, sur une voie quelle qu'elle soit. »

[85] Durant ma visite des installations de formation du CN, j'ai aussi vu les aiguilles utilisées pour assurer la formation pratique et pour enseigner la procédure d'aiguillage correcte aux chefs de train stagiaires. On m'a aussi fait des démonstrations d'orientation d'aiguilles. Je n'ai aucune raison de croire que ces démonstrations étaient différentes des instructions et de la formation données aux chefs de train stagiaires. Ces derniers apprennent entre autres à s'assurer que les aiguilles sont orientées en fonction de l'itinéraire à suivre et à vérifier la cible, ce qui correspond aux opérations que le CN a omis de souligner, selon l'agent de SST Kowalski. Au bout du compte, la preuve se trouvant devant moi me convainc que les chefs de train stagiaires reçoivent de l'information complète en salle de classe relativement à l'alinéa 104(b) et qu'ils voient de nombreuses démonstrations qui leur permettent de comprendre comment orienter correctement une aiguille, et qu'ils assistent à cette formation en personne ou la reçoivent par l'entremise d'autres activités.

[86] Par conséquent et compte tenu de l’ensemble du programme de formation des chefs de trains du CN, j'estime que la conclusion de l'agent de SST Kowalski voulant que le CN ne souligne pas l'importance et l'objet de l'alinéa 104(b) dans ses documents de formation est inexacte. Il n'était pas raisonnable de s'attarder à la formulation des diapositives PowerPoint sans tenir compte de l'ensemble du programme de formation pour en arriver à conclure que les dispositions de l'article 124 du Code avaient été enfreintes. En soi, ces diapositives ne suffisent pas à fonder la conclusion voulant que le CN a omis de prendre toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité.

[87] J'en arrive à la même conclusion en ce qui concerne les autres lacunes des documents de formation du CN utilisés en salle de classe et qui sont mentionnées par l'agent de SST Kowalski au point 2 de l'instruction, à savoir l'omission de certains mots dans la question de l'examen écrit qui porte sur l'alinéa 104(b). À cet égard, à l'instar de l'agent d'appel ayant rendu la décision dans l'affaire Black Sheep Aviation & Cattle Co. Ltd 2015 TSSTC 9, je considère qu'il serait exagéré d’interpréter l’obligation générale énoncée à l’article 124 du Code d’une manière qui entraîne pour l’employeur l’obligation très précise à laquelle a conclu l'agent de SST Kowalski. L'obligation d'inclure dans des questions d'examen un renvoi explicite à toute partie de l'alinéa 104(b) constitue une prescription si précise qu'on la retrouverait habituellement dans un règlement si elle existait.

[88] Tel que discuté plus haut, aux termes de l'article 124, la norme d'application consiste en la prise des mesures nécessaires et l'ensemble de la preuve révèle clairement que les documents fournis dans le cadre du programme de formation des chefs de train du CN répondent largement à cette norme. Dans l'ensemble et compte tenu du fait que les stagiaires doivent recevoir de l'information relative à un contenu de cours très volumineux, les documents de formation du CN fournissent suffisamment d'instructions, d’information et de ressources se rapportant à l'alinéa 104(b) pour permettre aux stagiaires d'apprendre à bien orienter une aiguille et pour qu'ils soient en mesure d'effectuer des manœuvres d'aiguillage de façon sécuritaire.

[89] Qui plus est, en ce qui a trait à l'alinéa 104(b), il ne faut pas se contenter de tenir compte de la question figurant dans l'examen écrit pour déterminer si le CN évalue adéquatement le rendement des stagiaires et leur capacité de se livrer à des activités d'aiguillage. À cet égard, il y a des éléments de preuve qui démontrent que dans le cadre du programme de formation intensive sur le terrain, les stagiaires sont évalués en fonction de leur rendement en matière d'orientation d'aiguilles et de leur capacité de demeurer vigilants au travail et de travailler de façon sécuritaire, de leur attitude en général, de leurs capacités physiques et de ce qu'ils font pour s'assurer qu'ils comprennent bien leurs tâches.

[90] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les documents de formation du CN lui permettent de s'acquitter de son obligation générale aux termes de l'article 124 du Code. En d'autres mots, pour ce qui est de la formation donnée en salle de classe et des activités connexes, le CN a pris toutes les mesures raisonnables qu'une personne raisonnable qui connaît la loi, le lieu de travail et ses risques aurait jugé nécessaires pour veiller à la protection de chaque stagiaire à son emploi en matière de santé et de sécurité.

[91] Même si la CFTC soutient à juste titre que le CN pourrait facilement améliorer ses documents de formation en enrichissant le contenu relatif à l'alinéa 104(b) et qu'il pourrait de la même façon appliquer d'autres mesures pour veiller à la protection de chaque stagiaire en matière de santé et de sécurité au travail, il est utile de rappeler que l'article 124 n'exige pas la perfection. Il est vrai que le CN pourrait certainement enrichir le contenu de ses documents de formation de la façon suggérée par la CFTC, mais je ne suis pas convaincu que l'ajout de renseignements sur l'alinéa 104(b) du REFC est une mesure qu'un employeur raisonnable aurait prise dans les circonstances et que cette mesure était nécessaire pour veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité dans le présent cas.

[92] En résumé, je conclus que les lacunes des documents de formation du CN recensées par l'agent de SST Kowalski ne constituent pas une contravention à l'article 124 du Code et, par conséquent, le point 2 de l'instruction doit être annulé.

Contravention no 3 - Manquement à l'obligation d'assurer une supervision adéquate en cours d'emploi

[93] L'agent de SST Kowalski a déterminé que le CN a enfreint les dispositions de l'article 124 du Code en omettant de fournir une supervision adéquate en cours d'emploi aux chefs de train stagiaires en permettant au chef de train superviseur responsable de la formation de faire appel au stagiaire pour qu'il exécute des tâches cruciales pour la sécurité sans l'observer directement. L'agent de SST Kowalski a aussi constaté que le CN n'a pas veillé à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité dans la mesure où il a omis de faire de ce qui suit :

  • s'assurer que le chef de train stagiaire manœuvrait les aiguilles de la manière prescrite par l'alinéa 104(b) du REFC;
  • prévoir la formation sur le terrain qui lui aurait permis de déterminer si le chef de train stagiaire affichait un rendement adéquat et constant en matière de manœuvres d'aiguillage;
  • noter dans un registre le niveau d'efficacité et de fiabilité du chef de train stagiaire pour ce qui est de sa capacité à exécuter la tâche consistant à manœuvrer des aiguilles en conformité avec l'alinéa 104(b) du REFC, de sorte que les personnes qui le supervisaient ne savaient pas et ne pouvaient pas déterminer si son rendement était adéquat et constant.

Circonstances ayant donné lieu à l'instruction et sa justification

[94] L'agent de SST Kowalski a indiqué dans son rapport que même si l'accident avait été principalement causé par le fait que le chef de train stagiaire n'avait pas remarqué qu'il avait orienté la mauvaise aiguille et qu'il avait par ailleurs mal appliqué l'alinéa 104(b) du REFC, il y a des mesures ou des contrôles préventifs en amont que le CN aurait dû mettre en œuvre pour prévenir cette situation. Ces mesures comprennent non seulement de la formation, mais une supervision adéquate également. Dans le présent cas, l'agent de SST Kowalski en est arrivé à la conclusion qu'aucune instruction spéciale n'a été donnée par le CN aux responsables de la supervision du stagiaire pour qu'ils l'observent directement. Selon lui, l'observation directe du stagiaire par le chef de train superviseur aurait très probablement permis d'éviter l'accident.

[95] Plus précisément, l'agent de SST Kowalski a considéré que si le stagiaire qui exécutait une tâche à l'intérieur de la voie avait fait l'objet d'une observation directe par un membre compétent de l'équipe, celui-ci aurait pu le prévenir, et il l'aurait fort probablement fait, que du matériel roulant s'approchait de lui, et cet avertissement serait peut-être arrivé suffisamment à temps pour que le stagiaire puisse sortir de la voie. En outre, le chef de train compétent aurait pu envoyer un signal pour faire arrêter le mouvement et l'opération aurait pu être reprise suivant l'itinéraire normal. Quoi qu'il en soit, sans autres instructions claires, les membres d'équipes compétents sont amenés à exécuter d'autres tâches productives, une situation qui les empêche d'observer directement le stagiaire pendant qu'il accomplit des tâches cruciales pour la sécurité.

[96] Selon l'agent de SST Kowalski, le fait que le chef de train stagiaire en cause n'a pas effectué les vérifications requises lorsqu'il a manipulé une aiguille révèle qu'il n'en avait pas encore pris l'habitude. L'agent de SST Kowaslki a jugé qu'il était particulièrement dangereux de se fier à un employé qui n'avait pas l'habitude d'appliquer l'alinéa 104(b) de manière fiable pour qu'il exécute des manœuvres d'aiguillage sans qu'on l'observe directement. Jusqu'à ce que cette habitude soit acquise, la manière pratique de veiller à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité au travail consiste à les observer directement. L'agent de SST laisse entendre dans son rapport qu'une supervision directe devrait être assurée au moins jusqu'à ce que l'employé affiche un rendement constant.

[97] L'agent de SST Kowalski a ajouté que durant son enquête, il a exploré la question de savoir si le chef de train stagiaire avait été observé de façon constante par les formateurs et les superviseurs alors qu'il travaillait sur le terrain, le tout dans le but précis de s'assurer que les simples vérifications exigées en vertu de 104(b) du REFC, à savoir examiner la cible et les aiguilles afin de s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre, avaient été effectuées de façon uniforme. L'agent de SST Kowalski n'a trouvé aucune preuve qui lui aurait démontré que l'on avait vérifié la compétence du stagiaire en matière de manœuvre d'aiguilles et par conséquent, il en a conclu que l'observation des stagiaires, telle qu'elle vise à vérifier s'ils effectuent correctement ces vérifications, n'était pas documentée. Comme il n'a pas été établi que le rendement du stagiaire en matière de manœuvre d'aiguilles était adéquat et constant, il était interdit aux termes de l'article 124 du Code de le laisser exécuter cette tâche cruciale pour la sécurité sans qu'il soit observé directement par une personne compétente qui avait la capacité de rectifier les erreurs et de détecter et d'éliminer le danger.

Observations des parties

[98] Le CN soutient que tout comme dans le cas du point 2 de l'instruction, il est utile de noter que l'agent de SST Kowalski n'a pas cité l'alinéa 125(1)q) du Code, lequel traite expressément des exigences légales s'appliquant aux employeurs en ce qui concerne la supervision des employés. Dans les observations du CN, le fait que les règlements pris en application du Code ne contiennent aucune obligation en matière de supervision signifie manifestement que l'alinéa 125(1)(q) ne s'applique pas en l'espèce et qu'il n'y a donc aucun fondement justifiant l'émission d'une instruction sur la supervision.

[99] Étant donné l’absence de modalités réglementaires en matière de supervision, l'agent de SST Kowalski s'est erronément appuyé sur l'article 124 du Code pour affirmer que le CN était légalement tenu d'assurer l'observation directe des chefs de train stagiaires lorsqu'ils manœuvrent des aiguilles, peu importe leur niveau de progression au sein du programme de formation des chefs de train. Le CN affirme qu'aucune obligation de supervision directe n'existe en droit. Le législateur souhaitait plutôt fournir une marge de manœuvre aux employeurs fédéraux afin de leur permettre de déterminer des mesures appropriées pour la supervision des employés dans leur lieu de travail. Cela est en accord avec l'expertise, les connaissances et l’autorité qu’exerce le CN sur ses lieux de travail.

[100] En ce qui concerne le caractère adéquat de la supervision, le CN indique que la norme prévue à l'article 124 est celle de la raisonnabilité et non pas complètement exempte d'erreurs, et qu'il n'est pas toujours nécessaire qu'un superviseur soit physiquement présent sur les lieux pour assurer une supervision adéquate et raisonnable. La nature de la supervision exigée par la loi varie selon la situation, la formation, l'expérience et les connaissances des employés.

[101] Le CN soutient que l'observation directe du chef de train stagiaire n'était pas raisonnablement exigée dans les circonstances. Le CN a souligné qu'il emploie une échelle de supervision graduée pour les chefs de train stagiaires durant la partie de son programme de formation consacrée aux voyages d'entraînement structurés. Au début, ces stagiaires doivent se borner à observer strictement les activités de l'équipe, mais au fur et à mesure qu'ils deviennent plus expérimentés, leurs responsabilités s'accroissent et ils ont moins besoin de supervision. La preuve révèle clairement que la formation, l'expérience et les connaissances démontrées du stagiaire étaient telles qu'il n'était pas obligatoire de le superviser directement :

  • il avait reçu une formation complète en ce qui concerne les aiguilles et les activités d'aiguillage, tant en salle de classe que dans le cadre d'exercices pratiques effectués lors de la formation intensive sur le terrain;
  • il avait démontré qu'il avait une bonne compréhension des manœuvres d'aiguillage ainsi que de bonnes aptitudes pour exécuter de telles manœuvres;
  • il était en train d'effectuer son 58e voyage et avait presque terminé le programme lorsque l'accident est survenu.

[102] Le CN affirme qu'il ne faut pas seulement tenir compte des actes posés par le chef de train superviseur qui travaillait au niveau du sol pour déterminer si la supervision du chef de train stagiaire était adéquate. Cela s'explique par le fait qu'à compter du moment où un stagiaire atteint l'étape du voyage structuré dans le cadre de sa formation, le système du formulaire d'évaluation de la formation (SFEF) du CN, qui est reconnu comme le meilleur de l'industrie, est mis à contribution. Il s'agit d'un système d'évaluation électronique utilisé pour évaluer le rendement d'un stagiaire durant ses voyages de formation et qui examine toutes les tâches effectuées, y compris l'utilisation des aiguilles et les manœuvres d'aiguillage.

[103] Conformément aux exigences du CN, le SFEF prévoit que chaque chef de train superviseur affecté à un chef de train stagiaire doit l'évaluer tous les jours. Le contenu du formulaire utilisé à cette fin est ensuite entré dans le SFEF, où il pourra être consulté par les moniteurs en milieu de travail et les directeurs de la formation du CN. Ce système génère aussi des alertes automatiques pour les chefs de train stagiaires qui obtiennent des résultats insatisfaisants. En pareil cas, le CN prend des mesures pour s'assurer que les problèmes signalés seront traités par le moniteur en milieu de travail concerné.

[104] Dans le cas du chef de train stagiaire en cause, le CN soutient que si l'on tient compte des évaluations de rendement entrées à son sujet dans le SFEF, il est évident qu'il affichait un bon rendement et que rien n'avait été signalé de façon récente qui aurait pu révéler un problème potentiel pour lequel la supervision directe du stagiaire aurait été exigée. Le CN note aussi qu'il est important de rappeler qu'en tout temps le jour de l'accident, la communication a été maintenue avec le stagiaire par radio.

[105] Le CN soutient également que le point 3 de l'instruction contient des erreurs factuelles. Par exemple, l'agent de SST Kowalski a erronément déclaré que le système utilisé par le CN pour tester les connaissances des employés responsables de l'exploitation « (...) ne comportait aucun test sur le terrain se rapportant aux règles et destiné aux chefs de train stagiaires, et qui aurait permis de déterminer s'ils accomplissent leur travail de manière fiable et conforme au règlement. » À cet égard, le CN a déposé des éléments de preuve révélant qu'au contraire, l'équipe du chef de train stagiaire a fait l'objet de vérifications sur le terrain à plus d'une reprise dans le cadre du voyage structuré qui faisait partie de la formation. De fait, on l'a vu accomplir correctement des manœuvres d'aiguillage. Ce type de surveillance et d'évaluation s'ajoute à l'évaluation quotidienne effectuée aux termes du SFEF, dans le cadre de laquelle les chefs de trains superviseurs évaluent diverses activités d'aiguillage de la manière décrite sur le formulaire d'évaluation du chef de train stagiaire du CN.

[106] Selon le CN, il est indiqué de façon erronée au point 3 de l'instruction que l'aiguillage est une tâche cruciale pour la sécurité qui doit faire l'objet d'une supervision directe. Le CN affirme que les manœuvres d'aiguillage sont des opérations courantes et fréquentes, et qu'elles causent peu de blessures en milieu de travail.

[107] Enfin, le CN soutient que dans les circonstances, une supervision raisonnable et adéquate du chef de train stagiaire a été assurée. La supervision directe et en tout temps de tous les chefs de train stagiaires, peu importe le stade où ils sont rendus dans leur formation, n'est pas quelque chose de raisonnable et elle n'est pas exigée. Une telle exigence s'opposerait à la nature progressive de la formation et impliquerait qu'un agent de SST peut prescrire le mode de supervision des chefs de train stagiaires, ce que le législateur n'a pas fait lui-même de manière expresse.

[108] La CFTC réplique que l'agent de SST Kowalski a noté à juste titre que le CN ne donne aucune instruction aux chefs de trains superviseurs pour leur expliquer qu'ils ne doivent pas permettre à un stagiaire d'exécuter des tâches cruciales pour la sécurité sans l'observer directement. De fait, aucune instruction de ce genre ne figure dans les documents présentés par le CN dans le cadre de la présente procédure, et des témoins du CN ont confirmé à l'unanimité qu'aucune directive précise n'est donnée aux employés en ce qui concerne le niveau d'observation et de supervision directes rapprochées qui doivent être assurées pour les chefs de train stagiaires dans le cadre d'un voyage d'entraînement.

[109] Du point de vue de la CFTC, il est particulièrement inquiétant de constater que l'on retrouve peu de directives ou d'instructions dans les documents fournis aux chefs de trains superviseurs du CN, y compris les instruments de travail, afin de préciser qu'on ne doit jamais permettre à un stagiaire d'exécuter des tâches cruciales pour la sécurité sans supervision directe et d'expliquer comment les chefs de trains superviseurs sont censés superviser les stagiaires dans le cadre de leurs affectations. La CFTC se demande comment les employés du CN pourraient se conformer à une exigence qu'ils ne connaissent pas.

[110] Comme aucune information n'est communiquée au sujet des niveaux d'observation directe exigés et prévus dans les documents fournis aux chefs de trains superviseurs, la CFTC soutient que le raisonnement et la conclusion de l'agent de SST Kowalski ne sont pas viciés en ce qui a trait au troisième point de son instruction. Selon la CFTC, le maintien du niveau d'observation directe qui est nécessaire pour permettre une intervention immédiate auprès du stagiaire devrait constituer une exigence explicite et celle-ci devrait être communiquée aux chefs de trains superviseurs.

[111] La CFTC soutient également que cette contravention est décrite en détail dans le rapport de l'agent de SST Kowalski et qu'elle s'inscrit intégralement dans l'objet de la partie II du Code, qui en est un de prévention. Le but est de s'assurer de maintenir un milieu sécuritaire où les stagiaires pourront exécuter des tâches cruciales pour la sécurité.

[112] La CFTC s'appuie aussi sur la jurisprudence aux termes de l'article 124 du Code pour avancer que le CN a omis de s'acquitter de son obligation de diligence raisonnable ou de prendre toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour protéger son employé en l'espèce. En particulier, elle soutient que les graves manquements commis sont les suivants : le CN a omis d'imposer une règle obligeant les chefs de trains superviseurs à observer directement les stagiaires en tout temps, et de s'assurer qu'ils ont la formation nécessaire pour le faire. De plus, la CFTC soutient qu'il y a des précédents qui révèlent que l'article 124 peut être appliqué lorsqu'il y a eu un manque de supervision durant l'exécution d'un travail dangereux.

[113] Selon la CFTC, on peut établir que l'article 124 a été enfreint lorsque la preuve démontre de manière probante qu'un niveau de protection supplémentaire serait requis pour veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité, ou qu'elle révèle que l'employeur a omis de prendre des mesures raisonnables pour éliminer ou réduire au minimum un risque pour la santé et la sécurité des employés, et ce, dans la plus grande mesure raisonnablement possible. La CFTC soutient que compte tenu des faits liés au présent cas, il est évident que l'on a enfreint l'article 124 selon une norme ou l'autre.

[114] De fait, le CN n'a pas pris de mesure détectable pour gérer les risques qui sont manifestement associés à l'exécution de tâches cruciales pour la sécurité par des stagiaires qui ne sont pas supervisés, et il n'a pas fait d'efforts non plus pour éliminer ou réduire au minimum ces risques en matière de sécurité suite à l'accident du 18 novembre 2013. La CFTC note que les témoins du CN ont été incapables de citer une modification qui aurait été apportée à son programme de formation pour gérer les risques recensés par l'agent de SST Kowalski et qu'on ne peut donc pas dire que le CN a pris toutes les précautions raisonnables pour préserver la santé et la sécurité de chefs de train stagiaires non qualifiés.

[115] Enfin, la CFTC affirme que les faits et les événements décrits dans le rapport de l'agent de SST Kowalski démontrent que les chefs de trains superviseurs doivent toujours être en mesure d'intervenir lorsque des stagiaires sont en train d'exécuter des tâches cruciales pour la sécurité, et que le CN n'a pas encore établi d'exigence voulant que les stagiaires doivent être directement observés. Dans ces circonstances, la CFTC soutient que la preuve démontre de façon concluante qu'un niveau de protection plus élevé doit être assuré pour veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité et qu'il serait donc nécessaire d'établir par écrit que l'objet et l'importance de l'alinéa 104(b) du REFC doivent être soulignés davantage, et aussi d'observer directement les stagiaires non qualifiés.

Évaluation

[116] Tout comme dans le cas du point 2 de l'instruction, l'observation du CN voulant que rien ne justifie l'émission d'une instruction sur la supervision dans le présent cas, étant donné qu’il n’y a aucune modalité réglementaire prévoyant une obligation en cette matière, est erronée d'un point de vue juridique. Même si, pour cette raison, l'alinéa 125(1)q) du Code ne peut pas être invoqué pour conclure que le CN a omis de superviser adéquatement le chef de train stagiaire le jour de l'accident, l'article 124 demeure applicable.

[117] Du point de vue juridique, l'obligation générale qu'a l'employeur de veiller à la protection de chaque employé en matière de santé et de sécurité au travail aux termes de l'article 124 comprend l'obligation de superviser les employés inexpérimentés. Cela a été clairement établi dans la décision 171817 Canada Inc. Dans cette affaire, l'agent d'appel a déclaré qu'afin de s'assurer que les employés évoluent dans un milieu de travail sécuritaire, « [...] l'employeur doit mettre en place et appliquer des procédures de santé et de sécurité ainsi qu'offrir entraînement/formation et surveillance/supervision. » (Paragraphe 74)

[118] L'obligation de supervision, qui est enchâssée dans l'article 124 du Code, n'est cependant pas absolue ni illimitée. Ses limites sont fixées par la norme d'application découlant de l'article 124 et dont il est question plus haut, soit la prise des mesures nécessaires. Cette norme équivaut à prendre toutes les mesures raisonnables dans les circonstances liées à une situation afin de veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité. L'article 124 du Code n'oblige pas l'employeur à fournir une protection au-delà de ce seuil raisonnable.

[119] Lorsqu'on applique cette norme aux faits qui sous-tendent le point 3 de l'instruction, la question qui se pose est celle de savoir si le CN aurait dû s'assurer, dans les circonstances qui avaient cours à l'époque de l'accident, que le chef de train superviseur observe directement le chef de train stagiaire pendant qu'il effectuait l'opération d'aiguillage ayant mené à son tragique décès. En d'autres termes, l'observation directe du stagiaire constituait-elle une mesure raisonnable que le CN aurait dû prendre dans les circonstances pour veiller à la protection de son employé en matière de santé et de sécurité au travail?

[120] L'agent de SST Kowalski n'a pas examiné cette question en se demandant si le CN avait pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances. Son instruction et ses motifs s'articulent autour d'une analyse de la cause de l'accident. Il a conclu que l'observation directe du stagiaire aurait fort probablement permis d'éviter l'accident et qu'elle aurait donc dû être exigée. Bien que cela puisse être vrai, l'article 124 du Code n'oblige pas l'employeur à prévoir et à prévenir chaque défaillance ou chaque accident possible. Tout ce qui est exigé, c'est de prendre des mesures raisonnables pour éliminer les risques ou les réduire au minimum.

[121] L'agent de SST Kowalski a aussi souligné le fait que le CN n'a pas donné de directives expresses aux responsables de la supervision du chef de train stagiaire pour qu'ils ne lui permettent pas d'exécuter des tâches cruciales pour la sécurité sans l'observer directement. Il a présumé, enfin, que le fait que le chef de train stagiaire a omis de bien orienter l'aiguille selon les instructions qu'il avait reçues impliquait que son rendement en matière de manœuvres d'aiguillage n'était pas adéquat ni constant ni non plus conforme au REFC et que pour l'essentiel, il n'avait pas la compétence nécessaire pour exécuter de telles tâches seul. Ces conclusions présupposent que l'observation ou la supervision directe et rapprochée d'un chef de train stagiaire est toujours nécessaire.

[122] Ceci est aussi la position défendue par la CFTC dans le cadre de la présente procédure. Reprenant les conclusions de l'agent de SST Kowalski, la CFTC soutient que le CN n'a fourni aucune preuve pour démontrer qu'il donnait des instructions aux chefs de trains superviseurs en ce qui concerne les obligations dont ils sont censés s'acquitter en matière d'observation et de supervision directes des stagiaires. La CFTC s'appuie aussi sur la déclaration faite par M. Hackl lors de l'audience, selon laquelle on ne doit pas permettre aux chefs de trains superviseurs de cesser d'observer les chefs de train stagiaires à quelque moment que ce soit.

[123] Cela dit, l'article 124 du Code n'exige pas la supervision directe dans tous les cas. La question de savoir si un tel niveau de supervision est nécessaire dépend de la situation. La jurisprudence établit clairement ce principe. Par exemple, dans R. v. Canadian National Railway Company, 172 Man. R. (2d) 1, la Cour provinciale du Manitoba a indiqué ce qui suit :

[Traduction] Pour assurer une supervision adéquate et raisonnable, il n'est pas toujours nécessaire qu'un superviseur soit physiquement présent sur le site. La nature de la supervision exigée varie selon la situation, la formation, l'expérience et les connaissances de l'employé. Je reconnais […] qu'il n'est pas pratique ni raisonnable d'exiger que les employeurs assurent dans tous les cas la présence physique d'un superviseur sur le site pour qu'il puisse surveiller le travail des employés. Il est évident que le caractère adéquat de la supervision varie selon plusieurs facteurs […]. (Par. 121).

[124] La jurisprudence citée par la CFTC (R. c. Miller Shipping Ltd., [2005] N.J. no 54) donne aussi à penser que la question de savoir si l'article 124 du Code exige la supervision directe dans un certain contexte doit être tranchée selon les circonstances liées à l'affaire en cause. Il peut aussi arriver que des blessures aient été causées par le fait que l'employé n'a pas suivi les instructions et procédures de l'employeur, de sorte que ce comportement de l'employé qui entraîne une blessure ne peut pas être associé à un manquement de l'employeur aux termes de l'article 124. De fait, il incombe aux employés de se conformer aux consignes des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail, tel qu'il est indiqué à l'alinéa 126(1)d) du Code.

[125] Par conséquent, le fait de permettre à un chef de train stagiaire d'exécuter des manœuvres d'aiguillage sans l'observer directement ne contrevient pas nécessairement, en soi, à l'article 124. Je conclus donc respectueusement que l'agent de SST Kowalski a erré en concluant que le Code exige la supervision directe des stagiaires lorsqu'ils sont en train d'exécuter des tâches cruciales pour la sécurité, peu importe les circonstances.

[126] À nouveau, l'article 124 du Code est une disposition de diligence raisonnable. Par conséquent, mon enquête ne doit pas consister à me demander si l'observation directe du chef de train stagiaire aurait permis d'éviter l'accident. Je dois plutôt me demander si, dans les circonstances liées au présent cas, l'observation directe du chef de train stagiaire pendant qu'il se livrait à des activités d'aiguillage représentait une mesure additionnelle afin de veiller à la protection en matière de santé et de sécurité et qui aurait été jugée nécessaire par une personne raisonnable qui connaît la loi ainsi que le lieu de travail et les risques qui y sont associés.

[127] À cet égard, je note d'abord que même si les erreurs d'aiguillage peuvent avoir des conséquences catastrophiques, l'exécution de manœuvres d'aiguillage est une tâche relativement simple. En fait, l'agent de SST Kowalski déclare dans son rapport que la [traduction] « tâche consistant à manœuvrer une seule aiguille n'est pas particulièrement compliquée » (p. 73). M. Hoyt a aussi déclaré lors de son témoignage que l'on effectue souvent des manœuvres d'aiguillage et que cela entraîne rarement des blessures dans le lieu de travail. Ces manœuvres ne sont pas considérées comme des opérations « délicates sur le plan de la sécurité » exigeant une attention ou une intervention spéciale de la part de l'employeur. Ce témoignage indique donc qu'on avait demandé au chef de train stagiaire d'accomplir des tâches routinières, par opposition à des tâches particulièrement risquées, lorsque l'accident est survenu.

[128] En ce qui a trait à la situation particulière dans laquelle le chef de train stagiaire en cause se trouvait, je note d'abord qu'il arrivait à la fin du processus de qualification des chefs de trains lorsque l'accident est survenu. Le programme de formation des chefs de trains du CN comprend trois semaines de formation en salle de classe suivies de deux semaines de formation intensive sur le terrain (y compris l'utilisation de vraies aiguilles sur le campus du CN, cela visant à acquérir de l'expérience pratique), et deux autres semaines de formation en salle de classe suivies d'au moins 45 (et jusqu'à 60) voyages en compagnie d'une vraie équipe (on parle alors de voyages structurés), avant de pouvoir se qualifier comme chef de train. Le chef de train stagiaire avait effectué 57 voyages d'entraînement en cours d'emploi lorsque l'accident est survenu.

[129] Avant qu'il n'entame le volet des voyages structurés de sa formation, il affichait un bon rendement pour toutes les tâches, tel que le révèle l'évaluation de sa formation intensive sur le terrain, y compris en ce qui concerne les activités d'aiguillage et l'application de l'alinéa 104(b) du REFC. Il avait donc reçu beaucoup de formation et démontré qu'il avait acquis des connaissances et une expérience précieuse en matière d'exécution de manœuvres d'aiguillage lorsque l'accident est survenu.

[130] Des témoins du CN ont aussi déclaré qu'au début, on demande habituellement à un chef de train stagiaire qui effectue des voyages d'entraînement de se contenter d'observer les activités de l'équipe. Il sera ensuite invité à exécuter les tâches d'un chef de train qualifié sous supervision directe, mais au fur et à mesure qu'il deviendra plus expérimenté, ses responsabilités s'accroîtront et il aura ainsi moins besoin de supervision.

[131] Selon moi, cette approche est raisonnable. Dans la mesure où un stagiaire démontre qu'il a la capacité d'exécuter les tâches exigées de manière satisfaisante au fur et à mesure qu'il progresse dans sa formation, on s'attendra à ce qu'il finisse par accomplir le travail d'un chef de train compétent sans qu'il soit nécessaire qu'on l'observe directement. Après tout, comme l'ont déclaré M. Radford et M. Hoziel à l'audience, le but est de préparer les chefs de train stagiaires à exécuter toutes les tâches attribuées à un chef de train compétent sans aucune supervision.

[132] Dans le cas du chef de train stagiaire, il y a des éléments de preuve concluants qui démontrent que son rendement en matière d'orientation d'aiguilles répondait aux attentes ou les dépassait. Le 18 novembre 2013, soit le jour du décès, 44 évaluations électroniques de son rendement avaient été effectuées et consignées dans le SFEF du CN. Seulement deux voyages, soit le 13e et le 15e, avaient donné lieu à des mises en garde concernant son rendement. Le rendement du chef de train stagiaire en matière d'orientation d'aiguilles répondait aux attentes ou les dépassait depuis le 18e voyage. Un seul commentaire de nature critique avait été fait au sujet de sa capacité d'exécuter des manœuvres d'aiguillage seul. Ce commentaire concernait son 17e voyage, relativement auquel on avait indiqué qu'il devait faire plus attention aux aiguilles. Après ce voyage, ses évaluations de rendement démontraient toutes qu'il progressait bien et qu'il avait besoin d'un encadrement minimal.

[133] Cette déposition contredit la conclusion à laquelle est arrivée l'agent de SST, à savoir que [traduction] « le système utilisé par l'employeur pour tester les connaissances des employés responsables de l'exploitation ne comportait aucun test sur le terrain se rapportant aux règles et destiné aux chefs de train stagiaires, et qui aurait permis de déterminer s'ils accomplissent leur travail de manière fiable et conforme au règlement. » Au contraire, selon ce que tout le monde dit, la formation du CN comprend des essais sur le terrain visant à surveiller le rendement d'un stagiaire pendant qu'il se livre à des activités d'aiguillage, et le chef de train stagiaire avait démontré qu'il était capable de bien orienter des aiguilles lorsque l'accident est survenu.

[134] Pour cette raison-là, je ne suis pas d'accord avec l'agent de SST Kowalski lorsqu'il dit que le rendement adéquat du chef de train stagiaire en ce qui a trait aux vérifications exigées à l'alinéa 104(b) du REFC n'avait pas été documenté. Lorsqu'on les considère dans leur ensemble, les évaluations de son rendement n'indiquent pas qu'il n'avait pas encore acquis l'habitude d'exécuter des manœuvres d'aiguillage en conformité avec cette règle.

[135] Selon moi, le fait que le chef de train stagiaire a fait une série d'erreurs ayant mené à l'accident ne signifie pas, comme l'a déclaré l'agent de SST Kowalski, que la situation à laquelle le CN faisait face ce jour-là était celle d'un employé qui n'avait pas acquis l'habitude d'appliquer l'alinéa 104(b) de manière fiable. On ne peut pas conclure, comme l'agent de SST Kowalski l'a essentiellement fait, qu'en raison du fait que des erreurs ayant eu des conséquences dévastatrices ont été commises, le chef de train stagiaire n'était pas prêt à exécuter des manœuvres d'aiguillage sans supervision directe et que le CN a omis de fournir la supervision exigée.

[136] Afin de déterminer si le niveau de supervision était adéquat, je dois tenir compte de la situation du chef de train stagiaire et des renseignements qui étaient à la disposition du CN avant l'accident. À ce moment-là, le stagiaire avait reçu beaucoup de formation au sujet de l'alinéa 104(b) du REFC. Il avait aussi accompli la tâche consistant à orienter des aiguilles fréquemment dans plusieurs endroits différents sans avoir montré que cela lui avait occasionné des difficultés. Je ne vois pas d'indication claire dans les registres de la progression du chef de train stagiaire au sein du programme de formation qui donnerait à penser que le 18 novembre 2013, le CN avait des raisons de croire que ce stagiaire n'était pas en train d'effectuer un examen des aiguilles et d'observer la cible d'aiguillage de façon routinière afin de déterminer si le mouvement était orienté pour l'itinéraire à suivre, et ce, chaque fois qu'il a orienté une aiguille.

[137] De même, il est évident que le programme de formation du CN est de nature graduelle. Plus un chef de train stagiaire est sur le point de terminer le programme et d'obtenir sa qualification comme chef de train, comme c'était le cas du chef de train stagiaire, plus il est tenu de travailler de façon autonome. Cela ne signifie pas qu'on le laisse travailler sans supervision. Dans le présent cas, la preuve révèle que le chef de train superviseur avait tenu une séance d'information sur le travail à effectuer, qu'il avait été en mesure de communiquer avec le chef de train stagiaire par radio en tout temps et qu'il lui avait donné des instructions claires pour qu'il oriente l’aiguille appropriée (la TS 22) dans sa position normale. Compte tenu du niveau de progression de ce stagiaire au sein du programme de formation et des aptitudes qu'il avait démontrées avant d'effectuer les voyages d'entraînement, le chef de train superviseur ne semble pas avoir agi de façon déraisonnable en lui permettant d'exécuter l'opération d'aiguillage en cause sans l'observer directement.

[138] D'autres éléments de preuve révèlent que le programme de formation du CN inclut une description des rôles et responsabilités des chefs de train stagiaires. Les stagiaires doivent entre autres penser constamment à la sécurité et à demeurer vigilants, écouter attentivement les instructions, poser des questions pour s'assurer qu'ils ont compris ce qu'ils doivent faire, communiquer avec leurs confrères de travail et, par-dessus tout, s'arrêter de travailler et poser des questions avant de tenter d'accomplir toute tâche au sujet de laquelle ils ont des incertitudes. Compte tenu des éléments de preuve qui révèlent que le CN (1) a fourni d'abondantes instructions au chef de train stagiaire pour lui expliquer comment exécuter des manœuvres d'aiguillage en conformité avec l'alinéa 104(b) du REFC; (2) s'est assuré qu'il avait démontré qu'il comprenait cet alinéa; et (3) lui a rappelé le niveau de vigilance exigé et la possibilité d'interrompre l'exécution du travail et de poser des questions avant de tenter d'accomplir toute tâche au sujet de laquelle il a des incertitudes, la mesure additionnelle consistant à observer directement ce stagiaire n'était apparemment pas exigée pour se conformer à la norme de diligence raisonnable prévue à l'article 124.

[139] De plus, le système d'évaluation du rendement du CN est configuré de façon telle que toutes les évaluations que les chefs de trains superviseurs sont tenus de remplir après chaque voyage sont entrées dans le SFEF. Elles peuvent ensuite être consultées par le moniteur en milieu de travail concerné et d'autres membres du personnel de formation du CN. La preuve démontre aussi que ce système génère des alertes automatiques pour les chefs de train stagiaires qui obtiennent des résultats insatisfaisants.

[140] M. Hoziel a fourni un témoignage non contesté indiquant que dans tous les cas, le CN prend des mesures afin de s'assurer que les préoccupations sont abordées avec le stagiaire par le moniteur en milieu de travail concerné. Le CN est ainsi en mesure de surveiller et d'évaluer ses chefs de train stagiaires de façon continue et il peut intervenir au besoin lorsqu'un stagiaire ne répond pas aux attentes pour ce qui est de l'exécution des tâches normalement attribuées à un chef de train, y compris les manœuvres d'aiguillage. Par conséquent, contrairement à la conclusion à laquelle l'agent de SST Kowalski est arrivé, la preuve se trouvant devant moi permet d'établir que le CN a de fait « versé au dossier » l'efficacité et la fiabilité démontrées par le stagiaire lorsqu'il manœuvrait des aiguilles en conformité avec l'alinéa 104(b) du REFC.

[141] Cela justifie que l'on insiste sur le fait qu'aucune alerte récente n'avait été signalée au sujet du rendement du chef de train stagiaire et surtout, qu'aucune inquiétude n'avait été exprimée au sujet de sa capacité de bien orienter des aiguilles. Cela donne fortement à penser qu'il manœuvrait les aiguilles de façon sécuritaire et appropriée et qu'il était en mesure de le faire sans être soumis à une observation directe chaque fois qu'il exécutait une telle manœuvre. Bref, il y a peu d'éléments de preuve démontrant que le CN aurait dû s'attendre à ce qu'il ne suive pas les règles et procédures de sécurité prévues à l'alinéa 104(b) du REFC le jour de l'accident, de façon telle que l'observation directe de ce stagiaire aurait été exigée. La preuve prépondérante révèle plutôt que ce jour-là, le stagiaire avait suffisamment de formation, de connaissances et d'expérience pour manipuler des aiguilles sans se faire observer directement par un chef de train superviseur.

[142] Je terminerai en notant que l'agent de SST Kowalski a déclaré, pour fonder son instruction relative à un cas de supervision inadéquate, que les gens qui supervisaient le stagiaire ne connaissaient pas le degré d'efficacité et de fiabilité démontré par celui-ci lorsqu'il exécutait la tâche cruciale pour la sécurité consistant à manœuvrer des aiguilles en conformité avec l'alinéa 104(b) du REFC. Cette déclaration recoupe la quatrième contravention qu'il a recensée, à savoir que le CN aurait omis de fournir une formation et des instructions adéquates aux moniteurs en milieu de travail et aux chefs de trains superviseurs. Même en tenant pour acquis, à des fins de discussion, que le moniteur en milieu de travail en cause ne savait pas comment accéder aux évaluations de rendement du chef de train stagiaire et qu'il ne disposait donc pas des renseignements relatifs à son niveau de compétence en matière de manœuvre d'aiguillesNote de bas de page 4, rien ne donne à penser qu'il aurait suivi une approche différente pour superviser l'employé le jour de l'accident s'il avait consulté ces évaluations. Bien au contraire, la preuve résumée plus haut démontre que le rendement du chef de train stagiaire en matière de manœuvres d'aiguillage répondait aux attentes ou les dépassait. Pour cette raison, la question de savoir si le moniteur en milieu de travail en cause a examiné ou non les évaluations de rendement antérieures du chef de train stagiaire n'a pas d'incidence sur la question du caractère adéquat de la supervision assurée ce jour-là.

[143] Compte tenu de l'ensemble de la preuve se trouvant devant moi, laquelle comprend des éléments de preuve que l'agent de SST Kowalski n'a pas examinés ou qui n'ont pas été mis à sa disposition durant son enquête, je suis persuadé que, dans les circonstances, le CN a assuré une supervision raisonnable et adéquate du chef de train stagiaire et que l'observation directe est une mesure qui n'était pas raisonnablement exigée dans les circonstances. En dernière analyse, j'accepte les observations du CN voulant que le chef de train stagiaire a fait l'objet d'un niveau de supervision qui était adapté en fonction de son expérience et de ses évaluations.

[144] Je me sens obligé d'insister sur le fait que ma conclusion ne s'applique qu'à ce cas et qu'elle n'implique pas que l'observation ou la supervision directe des chefs de train stagiaires ou des employés qui n'ont pas terminé la formation en cours d'emploi donnée par un employeur n'est pas exigée de façon générale. La réponse à la question de savoir si un tel niveau de supervision est nécessaire variera selon des facteurs tels que la nature de la tâche ou du travail qui doit être accompli, la formation, l'expérience et les connaissances du stagiaire, ses évaluations de rendement, ses comportements antérieurs, etc.

[145] On peut dire que l'observation directe du stagiaire est assurément une mesure prudente qui semble nécessaire pour veiller à la protection de la santé et de la sécurité d'employés non qualifiés. Cette mesure devrait être prise sauf si, comme dans le présent cas, l'employeur est en mesure de démontrer qu'en ce qui concerne le stagiaire en cause, une formation et un mentorat adéquats ont été fournis et ce stagiaire a acquis suffisamment d'expérience et de connaissances pour qu'on lui permette d'exécuter une tâche donnée sans qu'un superviseur se trouve près de lui. Dans le présent cas, ma conclusion aurait pu être différente si le chef de train stagiaire n'avait pas été sur le point de terminer le programme de formation et s'il y avait des éléments de preuve probants démontrant que certains problèmes étaient liés à son rendement en matière de manœuvres d'aiguillage et qu'il aurait fallu leur accorder une attention particulière.

[146] Compte tenu de ce qui précède, je constate que dans les circonstances propres au présent cas, le CN n'a pas enfreint l'article 124 du Code en permettant au chef de train stagiaire de se livrer à des activités d'aiguillage sans faire l'objet d'une observation directe. Par conséquent, j'en conclus que le point 3 de l'instruction doit être annulé.

Contravention no 4 - Manquement à l'obligation de fournir une formation et des instructions adéquates aux superviseurs

[147] L'agent de SST Kowalski a déterminé que le CN avait enfreint l'alinéa 125(1)(z) du Code en omettant de fournir de la formation, des instructions et des documents éducatifs adéquats, relativement à la façon dont les moniteurs en milieu de travail et les chefs de trains superviseurs doivent s'acquitter de leurs obligations. Il a noté que le CN a omis de fournir un encadrement pour expliquer à ces employés comment ils sont censés superviser les stagiaires, et que, dans le présent cas, le moniteur en milieu de travail en cause n'avait pas été informé de la marche à suivre pour accéder au rapport sur le rendement du stagiaire qui avait été rédigé par le chef de train superviseur.

Circonstances ayant donné lieu à l'instruction et sa justification

[148] Le point 4 de l'instruction découle de l'opinion de l'agent de SST Kowalski voulant que dans le milieu de travail d'un chef de train, les modalités de formation ne peuvent pas être établies de façon complètement discrétionnaire. Certains éléments clés doivent être précisés, tels que les détails ou les critères relatifs au niveau de supervision qui doit être fourni, la capacité d'observer l'employé et d'intervenir pendant l'exécution de tâches cruciales pour la sécurité, l'évaluation du rendement d'un stagiaire et la rédaction du rapport à ce sujet.

[149] L'agent de SST Kowalski a indiqué que dans la documentation fournie par le CN, on ne retrouve pas de détails sur la façon dont un chef de train est censé entraîner un stagiaire à cet égard. Il a ajouté que les renseignements sur la formation qui lui ont été fournis à sa demande étaient inadéquats, dans la mesure où aucun critère n'était précisé quant aux mesures qui auraient dû être prises pour assurer la sécurité du chef de train stagiaire en cause.

[150] En ce qui concerne le rôle du moniteur en milieu de travail, l'agent de SST Kowalski en est arrivé à la conclusion qu'aucun critère précis se rapportant à l'expérience ou aux compétences requises pour ce poste n'avait été documenté. Il a indiqué qu'en l'espèce, le moniteur en milieu de travail n'avait pas reçu de formation structurée ni d'instructions écrites au sujet des obligations d'un formateur. De plus, sa formation et ses connaissances de base étaient déficientes au regard du rôle qu'il devait remplir. Par exemple, il ne savait pas comment accéder aux rapports rédigés par les chefs de trains au sujet du rendement des stagiaires ou que ceux-ci pouvaient être consultés à l'ordinateur. L'agent de SST Kowalski a également noté que ce moniteur en milieu de travail n'avait pas lui-même donné de formation ni effectué de tests relatifs à l'exécution de tâches cruciales pour la sécurité par des chefs de train stagiaires, et qu'il n'existait pas non plus de procédure documentée ou d'instruction qui prévoyait qu'il devait le faire. C'est pourquoi il a conclu qu'il faudrait établir clairement des rôles, des responsabilités et des modalités de formation pour les personnes qui supervisent des stagiaires afin de leur permettre d'être vigilantes en tout temps et de les habiliter à détecter et à corriger toute manœuvre qui n'est pas conforme aux pratiques sécuritaires.

Observations des parties

[151] Le CN affirme que l'agent de SST Kowalski a erronément déterminé que l'alinéa 125(1)z) du Code impose aux employeurs une obligation générale de former le formateur. Il soutient que le Code ne prévoit pas de telle obligation et que l'alinéa 125(1)z) établit tout simplement une obligation légale de s'assurer que les superviseurs sont adéquatement formés en matière de santé et de sécurité.

[152] Par conséquent, cette disposition ne traite pas du caractère adéquat de la formation, des instructions, des documents éducatifs et des politiques en ce qui concerne la façon dont les superviseurs doivent s'acquitter de leurs obligations à l'endroit des chefs de train stagiaires, et elles ne précisent pas non plus comment les superviseurs et les instructeurs doivent fournir de la formation en cours d'emploi. Cet alinéa ne régit tout simplement pas la façon dont les employés qui exercent des fonctions de direction ou de gestion doivent former ou superviser d'autres employés et il ne s'applique donc pas aux questions traitées au point 4 de l'instruction.

[153] Le CN soutient que ces questions sont régies par un autre texte de loi, à savoir le Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires, qui n'est pas promulgué en application du Code. Pour ces raisons, le CN affirme que les problèmes recensés par l'agent de SST Kowalski n'entrent pas dans le champ d'application de l'alinéa 125(1)z) du Code.

[154] Subsidiairement, même si l'alinéa 125(1)z) du Code imposait l'obligation de former les formateurs, le CN soutient qu'il fournit de la formation, des instructions, des documents éducatifs et des instruments de politique adéquats, pour établir ce que les moniteurs en milieu de travail et les chefs de trains superviseurs doivent faire pour s'acquitter de leurs obligations. Il considère qu'il décrit dans divers documents déposés en preuve ce que ces employés sont censés faire pour superviser les chefs de train stagiaires, et que des instructions et un encadrement clairs leur sont fournis pour leur permettre d'accéder au SFEF et de l'utiliser.

[155] La CFTC réplique que même si les documents du CN qui servent à fournir des instructions aux moniteurs en milieu de travail et aux chefs de trains superviseurs traitent généralement des évaluations et de la rétroaction, aucun encadrement n'est prévu en ce qui concerne la façon d'effectuer une évaluation sur le terrain. Elle soutient qu'aucune structure n'est fournie pour orienter le processus d'évaluation mis en œuvre par les superviseurs et qu'un encadrement précis devrait lui aussi être fourni pour s'assurer que les stagiaires sont évalués pour ce qui est de leur application assidue des exigences découlant des règles d'exploitation.

[156] La CFTC affirme aussi que les règles et les tâches à propos desquelles un stagiaire doit être évalué ne peuvent être gérées de façon aléatoire ou en fonction des circonstances associées à une affectation donnée. Selon elle, aucun encadrement n'est fourni dans les outils de travail, les documents d'encadrement ou les documents PowerPoint du CN pour aider les chefs de trains superviseurs à déterminer où et quand les stagiaires doivent être évalués et formés dans le cadre d'une affectation donnée. De plus, les chefs de trains superviseurs ne se voient remettre aucun document contenant des instructions qui leur permettraient de concilier leurs obligations de formateur de stagiaires et de chef de train dans le cadre d'une affectation assortie d'exigences courantes en matière de productivité.

[157] La CFTC note aussi qu'aucune information consignée en dossier ne permet de confirmer que le moniteur en milieu de travail qui était en poste le jour de l'accident avait reçu de la formation qui lui aurait permis d'accomplir cette tâche. La déposition qu'il a faite à l'agent de SST Kowalski, selon laquelle il ne savait même pas comment accéder aux formulaires d'évaluation du chef de train stagiaire et qu'on ne lui avait pas donné de formation qui lui aurait permis de remplir son rôle de moniteur en milieu de travail, n'a pas été contredite.

[158] Selon la CFTC, les aspects de ces omissions mises en relief par l'agent de SST Kowalski et qui se rapportent à la protection de la santé et de la sécurité des employés, sont manifestes. S'il y a des manques dans les instructions données aux superviseurs au sujet de la marche à suivre pour intégrer un stagiaire dans une affectation, des accidents peuvent se produire. De même, s'il n'est pas explicitement prévu que le chef de train superviseur doit évaluer les capacités des stagiaires pour ce qui est de l'exécution de certaines tâches, des blessures pourraient survenir à cause de lacunes dans les connaissances d'un stagiaire qui n'auraient pas été détectées dans le cadre du processus d'évaluation ponctuelle en place.

[159] La CFTC affirme que ces instructions déficientes données aux chefs de trains superviseurs au sujet de ce qui doit être évalué entraîne la possibilité inquiétante qu'une lacune fondamentale dans les compétences d'un stagiaire ne soit pas détectée ni corrigée à temps pour prévenir une situation comportant des risques. Par conséquent, le CN devrait donner des directives plus proactives, et la quatrième contravention est bien fondée en droit et en fait. Elle fait état de directives préventives essentielles visant à s'assurer que l'on fournit aux stagiaires un milieu de travail sécuritaire.

Évaluation

[160] Afin de déterminer si l'agent de SST Kowalski a erré en formulant le point 4 de l'instruction, je dois d'abord examiner la question de savoir si l'alinéa 125(1)z) du Code traite du caractère adéquat de la formation, des instructions, des documents éducatifs et des instrument de politique pour ce qui est de la façon dont les superviseurs sont censés s'acquitter de leurs fonctions à l'égard des chefs de train stagiaires. Si, tel que le soutient le CN, cet alinéa n'impose pas l'obligation de [traduction] « former le formateur », il ne s'applique pas à la présente affaire et l'agent de SST Kowalski n'avait pas de motif de statuer que le CN a enfreint cet alinéa.

[161] L'alinéa 125(1)z) du Code se lit comme suit :

125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

z) de veiller à ce que les employés qui exercent des fonctions de direction ou de gestion reçoivent une formation adéquate en matière de santé et de sécurité, et soient informés des responsabilités qui leur incombent sous le régime de la présente partie dans la mesure où ils agissent pour le compte de l’employeur;

[L'italique est de moi.]

[162] Cette disposition prévoit sans la moindre ambiguïté qu'un employeur a l'obligation de former adéquatement les employés ayant des fonctions de direction ou de gestion, en matière de santé et de sécurité et de les informer des responsabilités qui leur sont conférées aux termes de la partie II du Code intitulée « Santé et sécurité au travail ». Il s'agit de deux questions distinctes que l'alinéa 125(1)z) cherche à aborder. Mais le point 4 de l'instruction ne se rapporte pas à ces questions. Il traite plutôt de l'encadrement et de la formation que, selon l'agent de SST Kowalski, le CN doit fournir pour s'assurer que les chefs de trains superviseurs et les moniteurs en milieu de travail possèdent les compétences et les outils nécessaires pour superviser adéquatement les stagiaires.

[163] Ainsi, l'agent de SST Kowalski a essentiellement interprété l'obligation très précise énoncée à 125(1)z) du Code comme s'il s'agissait d'une obligation générale d'initier adéquatement les employés ayant des fonctions de direction ou de gestion à leurs rôles de formateur et de mentor. Je dirai respectueusement à ce sujet que je ne vois pas comment la disposition sans équivoque de l'alinéa 125(1)z) pourrait être interprétée de manière telle que l'on pourrait affirmer qu'elle régit généralement la façon dont un employeur est tenu de former les employés qui assurent eux-mêmes la formation ou la supervision de stagiaires ou d'employés inexpérimentés. En l'absence d'un texte qui fonderait cette conclusion, j'estime qu'on ne peut affirmer que cet alinéa oblige un employeur à s'assurer qu'un employé exerçant des fonctions de direction ou de gestion reçoit une formation particulière qui lui permettra de former ou de superviser adéquatement d'autres employés pour qu'ils puissent exécuter une tâche ou leur travail.

[164] En fait, ni l'agent de SST Kowalski ni la CFTC n'ont cité de précédent ou d'interprétation juridique qui aurait pour effet d'accroître la portée étroite de l'alinéa 125(1)z) de manière à ce qu'il englobe l'obligation de faire ce que le CN, selon l'agent de SST Kowalski, a omis de faire dans le présent cas, à savoir s'assurer que les employés ayant des fonctions de direction ou de gestion reçoivent de la formation, des instructions et des documents éducatifs appropriés pour apprendre à s'acquitter de leurs obligations envers les chefs de train stagiaires, et leur fournir un encadrement qui leur permettrait d'apprendre comment ils sont censés superviser un stagiaire. Selon moi, cela s'explique par le fait que les problèmes recensés par l'agent de SST Kowalski transcendent l'obligation de fournir une formation en santé et en sécurité aux employés qui exercent des fonctions de direction ou de gestion, et aussi celle de les informer des responsabilités qui leur incombent sous le régime de la partie II du Code.

[165] Dans Campbell Brothers Movers Ltd. 2011 TSSTC 26, même s'il ne traite pas à proprement parler de la portée de l'alinéa 125(1)z), l'agent d'appel affirme de manière implicite que cette disposition ne porte que sur la formation en matière de santé et de sécurité, et sur la fourniture de renseignements sur la partie II du Code. Dans cette affaire, on avait fait référence aux politiques ministérielles liées au Programme du travail, à savoir les politiques intitulées « Interprétations, politiques et guides (IPG) », et plus particulièrement à l’IPG 104-2-IPG-061: Formation en santé et sécurité pour les personnes qui exercent des fonctions de direction ou de gestion. Cette politique, qui peut être consultée par les employeurs et le public, prévoit que les employés visés par l'alinéa 125(1)z) doivent recevoir de la formation relative à ce qui suit :

[…] les obligations de l'employeur, les obligations de l'employé, les trois droits fondamentaux des employés et les procédures exigées par le Code, c'est-à-dire la marche à suivre en cas de refus de travailler, la procédure de règlement interne des plaintes, etc. […]

[166] Cet IPG conseille aussi aux employeurs d'offrir ce qui suit :

[…] aux superviseurs et aux gestionnaires des programmes permanents de formation portant sur les exigences du Code ainsi que sur les pratiques et procédures propres à leur lieu de travail […]

[167] Rien dans ce document ou dans la jurisprudence se trouvant devant moi ne fonde l'hypothèse voulant que l'alinéa 125(1)z) impose aux employeurs une obligation de former les formateurs d'une certaine façon. Pour ces raisons, je suis d'accord avec le CN pour dire que les problèmes recensés par l'agent de SST Kowalski n'entrent pas dans le champ d'application du l'alinéa 125(1)z) du Code.

[168] Par conséquent, l'agent de SST Kowalski a erré en statuant que le CN a enfreint les dispositions de l'alinéa 125(1)z), et en émettant une instruction, y compris une contravention à cette disposition, sur la foi des faits qu'il a examinés. Il est évident que cet alinéa ne prévoit aucune obligation en ce qui concerne la formation donnée aux chefs de trains superviseurs et aux moniteurs en milieu de travail relativement aux obligations découlant de leur rôle.

[169] Mais est-ce que cela signifie, comme le soutient le CN, qu'aucune exigence ni aucune obligation de base n'existe en droit à cet égard? À ce stade-ci, il est utile de répéter que le pouvoir de modifier une instruction est suffisamment large pour permettre le remplacement d’une contravention initialement invoquée par une nouvelle contravention, pourvu que cette dernière se rapporte aux mêmes faits que ceux examinés par l'agent de SST.

[170] En ce qui a trait à cette question et tel que discuté dans l'ensemble des présents motifs, l'obligation générale qu'ont les employeurs de veiller à la protection de chaque employé en matière de santé et de sécurité au travail est une obligation globale qui demeure toujours applicable. Tel que discuté plus haut, cette obligation, qui est énoncée à l'article 124 du Code, comprend l'obligation de mettre en place certaines procédures liées à la santé et à la sécurité, y compris des procédures de formation et de supervision des employés. Telle qu'appliquée aux faits liés au présent cas, cette obligation englobe la prise de mesures raisonnables aux fins de la formation et de la supervision du travail des chefs de train stagiaires.

[171] Dans la mesure où le CN est tenu, en vertu de l'obligation générale que lui impose l'article 124, de prendre toutes les mesures raisonnables qu'il peut, par l'entremise de son programme de formation et de mesures de supervision, pour veiller à la protection des chefs de train stagiaires en matière de santé et de sécurité, il s'ensuit qu'il doit voir à ce que les personnes qui assurent la formation et la supervision requises soient qualifiées, bien informées et en mesure de s'acquitter adéquatement de ces obligations. De fait, je considère qu'il s'agit d'une mesure raisonnable que doit prendre un employeur pour veiller à la protection des stagiaires et des employés inexpérimentés en matière de santé et de sécurité au travail. En d'autres mots, une formation et une supervision adéquates peuvent seulement être assurées par les superviseurs qui reçoivent des directives au sujet de la façon dont ils sont censés superviser les stagiaires, et qui savent comment s'acquitter de ces obligations.

[172] Autrement, l'employeur enfreindrait la norme d'application prévue à l'article 124 dans la mesure où il n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour superviser les stagiaires. En termes simples, un employeur raisonnable ne demanderait pas à des employés qui n'ont pas assez d'expérience et qui n'ont pas reçu une formation, des instructions et des documents éducatifs adéquats, de s'acquitter des obligations qui reviennent aux superviseurs et aux instructeurs en ce qui concerne les stagiaires exposés à des dangers liés à leur travail.

[173] Je dois par conséquent tenir de compte de la preuve se trouvant devant moi pour examiner la question de savoir si le CN s'est acquitté de son obligation générale aux termes de l'article 124 du Code en fournissant une formation et un encadrement suffisants aux chefs de trains superviseurs et aux moniteurs en milieu de travail.

[174] À cet égard, je note que le point 4 de l'instruction se fonde principalement sur la conclusion de l'agent de SST Kowalski voulant que des instructions claires et la formation adéquate des formateurs soient essentielles pour assurer la formation et la supervision sécuritaire et efficace des stagiaires. Selon l'agent de SST Kowalski, le CN a omis de s'assurer que les personnes ayant la responsabilité de superviser des employés sont bien informées du détail de cette responsabilité. Il estimait que des critères clairs relatifs à l'évaluation et aux procédures devraient être établis pour préciser ce qui doit être fait lorsque des problèmes sont détectés, et qu'il y avait une lacune à cet égard dans le présent cas.

[175] Ces conclusions découlent dans une large part de l'examen de documents effectué par l'agent de SST Kowalski à l'époque de son enquête et de son entrevue avec le moniteur en milieu de travail qui était en fonction lorsque l'accident est survenu. Plus précisément, l'agent de SST Kowalski en est arrivé à la conclusion, compte tenu des faits énoncés ci-après, que le CN n'a pas donné d'instructions adéquates aux personnes qui supervisent les chefs de train stagiaires afin de préserver leur santé et sécurité :

  • Les modalités de la formation ne peuvent pas être établies de façon complètement discrétionnaire; certains éléments clés doivent être précisés, tels que les détails ou les critères relatifs au niveau de supervision qui doit être fourni, l'évaluation du rendement d'un stagiaire et la rédaction du rapport à ce sujet.
  • Aucun détail concernant la façon dont un chef de train est censé entraîner un stagiaire ne figure dans les documents fournis par le CN.
  • Aucun critère précis concernant l'expérience ou les compétences exigées pour le poste de moniteur en milieu de travail n'a été fourni.
  • Le moniteur en milieu de travail en cause n'a pas reçu de formation structurée ni d'instructions écrites relativement à ses obligations et il ne savait pas comment accéder aux évaluations de rendement du chef de train stagiaire et il ignorait aussi qu'elles pouvaient être consultées à l'ordinateur.
  • Il n'a pas lui-même donné de formation ni effectué de tests relatifs à l'exécution de tâches cruciales pour la sécurité par des chefs de train stagiaires, et il n'existait pas non plus de procédure documentée ou d'instruction qui prévoyait qu'il devait accomplir ces tâches.

[176] Dans le cadre de la présente procédure, le CN a fourni des documents additionnels ainsi que des preuves concluantes qui remettent en question certaines, mais pas l'ensemble, des conclusions de faits énoncées dans le rapport de l'agent de SST Kowalski. Par exemple, des témoins du CN ont déclaré que l'employeur a élaboré une procédure récurrente prévoyant la fourniture d'une formation tous les trois ans, et qui comprend des instructions destinées aux moniteurs en milieu de travail et aux chefs de trains superviseurs.

[177] De plus, le détail des obligations attribuées à chaque chef de train superviseur et à chaque moniteur en milieu de travail est énoncé dans des documents déposés à titre de pièces par le CN. Ces documents comprennent l'outil de travail du CN qui aide le chef de train stagiaire à structurer un voyage et des documents d’encadrement, ce qui démontre que le CN fournit en fait une formation exhaustive aux chefs de trains superviseurs et aux moniteurs en milieu de travail afin de s'assurer que les nouveaux employés pourront s'initier à de bonnes pratiques de travail. D'autres documents relatifs à l'initiative du CN en matière d'excellence en formation prouvent que les modalités de formation au CN ne sont pas établies de manière complètement discrétionnaire.

[178] Les documents de formation traitent notamment de ce que les chefs de trains superviseurs sont censés faire pour planifier le travail à accomplir avec les chefs de train stagiaires, et pour évaluer le niveau de connaissance et d'aisance de chaque stagiaire, ce qui leur permettra de déterminer les tâches qu'il peut accomplir. Ils traitent aussi de sujets tels que la rétroaction et les récapitulations devant être fournies aux chefs de train stagiaires, et les formulaires d'évaluation qui doivent obligatoirement être remplis pour rendre compte de la progression et du rendement de chaque stagiaire. Dans l'ensemble, il y a suffisamment de preuves pour conclure que le CN a établi des politiques, des instructions et des documents qui servent à expliquer ce que les chefs de trains superviseurs et les moniteurs en milieu de travail sont censés faire pour superviser les chefs de train stagiaires.

[179] Mais pour s'acquitter de son obligation aux termes de l'article 124 du Code, le CN doit aussi s'assurer qu'en pratique, ses formateurs et ses superviseurs savent comment utiliser ces documents et ces politiques d'encadrement. À cette fin, il doit prendre des mesures pour s'assurer que ces politiques seront appliquées et mises en œuvre par les employés qui exercent des fonctions de supervision. Selon moi, en plus de créer un cadre de travail qui servira à assurer la formation adéquate des superviseurs et la formation en cours d'emploi sécuritaire des nouveaux employés, il serait raisonnable de prendre des mesures visant à s'assurer que les employés qui exercent des fonctions de supervision se conforment à ces politiques et cela serait aussi nécessaire pour veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité.

[180] À cet égard, l'agent de SST Kowalski a déterminé, sur la foi son entrevue avec le moniteur en milieu de travail qui était en poste à Humboldt le jour de l'accident, et en tenant compte, aussi, des déclarations faites par cet employé, qu'on n'avait pas fourni de formation à ce dernier relativement à son rôle de moniteur en milieu de travail et qu'on lui avait par ailleurs donné très peu d'instructions. Le moniteur en milieu de travail en cause a aussi déclaré qu'il n'était pas en mesure d'accéder aux rapports de rendement rédigés par les chefs de trains au sujet des stagiaires.

[181] Je note que le CN a choisi de ne pas citer comme témoin ce moniteur en milieu de travail ou tout employé qui participait directement à la formation du chef de train stagiaire. Je n'ai pas de raison de douter de la véracité des déclarations faites par le moniteur en milieu de travail en cause, lesquelles ont été rapportées par l'agent de SST Kowalski.

[182] Afin de contester cette preuve, le CN a déposé des éléments de preuve visant à démontrer qu'il diffuse des politiques, des instructions et des avis clairs en ce qui concerne son système de formulaire d'évaluation électronique (SFEF). Après l'audience, le CN a aussi déposé un affidavit de M. Hoziel ainsi que des documents justificatifs afin de démontrer que le moniteur en milieu de travail en cause connaissait le SFEF, savait comment y accéder et disposait de renseignements sur l'intervention à réaliser si des problèmes surgissaient relativement au travail accompli par les chefs de train stagiaires qu'il supervisait.

[183] Mon examen m'indique que la preuve du CN ne suffit pas à établir que le moniteur en milieu de travail en cause avait reçu des directives claires au sujet de ce qu'il était censé faire pour superviser le chef de train stagiaire. Elle ne permet pas non plus de réfuter les déclarations qu'il a faites à l'agent de SST Kowalski au sujet de l'encadrement et des instructions très peu étoffés qu'on lui a fournis relativement à ses obligations avant l'accident. En fait, l'affidavit de M. Hoziel et les documents justificatifs révèlent tout simplement qu'il a parfois reçu des instructions de la part de son supérieur quant à la façon d'intervenir auprès de certains stagiaires qui avaient des problèmes de rendement; il n'y est pas indiqué qu'il savait comment accéder au SFEF ou qu'il examinait effectivement les rapports d'évaluation rédigés par les chefs de trains au sujet des stagiaires. Les seuls documents où il est clairement indiqué qu'il a été informé de la marche à suivre pour accéder à ces rapports (pièces N et O de l'affidavit de M. Hoziel) sont datés du 1er et du 8 mai 2014 (soit presque six mois après l'accident).

[184] En dernière analyse, cet élément de preuve ne me convainc pas que le moniteur en milieu de travail en cause avait reçu une formation et un encadrement raisonnables et suffisants pour s'acquitter de ses obligations à ce titre, et qu'il était au courant de façon générale, le jour de l'accident, du rendement et de la progression du chef de train stagiaire au sein du programme de formation des chefs de trains du CN. De même, j'accueille la conclusion de l'agent de SST voulant qu'au moment de l'accident, le moniteur en milieu de travail ne savait pas comment accéder aux rapports d'évaluation de rendement rédigés par les chefs de trains au sujet des stagiaires. J'insiste sur le fait qu'en raison de la structure du programme de formation du CN, l'accès à ces rapports est essentiel pour déterminer quelles sont les tâches que le stagiaire est capable d'exécuter seul.

[185] Je ne suis pas convaincu non plus que le moniteur en milieu de travail connaissait suffisamment les instructions et les documents éducatifs du CN qui lui étaient destinés. Selon moi, pour s'assurer de protéger le chef de train stagiaire en matière de santé et de sécurité, le CN aurait pu et aurait dû prendre des mesures additionnelles pour s'assurer que le moniteur en milieu de travail en cause avait été informé des exigences liées à ses obligations et qu'il avait reçu des directives claires pour remplir son rôle.

[186] Par conséquent, j'en conclus que le point 4 de l'instruction devrait être modifié comme suit :

Article 124 - Partie II du Code canadien du travail

L'employeur a omis de fournir un encadrement suffisant au moniteur en milieu de travail afin de lui expliquer comment il était censé superviser le stagiaire. Le moniteur en milieu de travail n'a pas été informé de la marche à suivre pour accéder aux rapports établis par les chefs de train superviseurs au sujet du rendement des stagiaires.

Décision

[187] Pour les motifs précités, l'instruction émise par l'agent de SST Kowalski le 30 juillet 2014 est modifiée. Plus précisément, les trois premières contraventions indiquées par l'agent de SST Kowalski sont annulées et la quatrième est modifiée de la façon indiquée au paragraphe 186 ci-dessus. Pour éviter toute confusion, le texte révisé de l'instruction figure à l'annexe des présents motifs.

Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel

Annexe

[Traduction] Dans l’affaire du Code canadien du travail partie II - Santé et sécurité au travail

Instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1) telle que modifiée par l'agent d'appel Olivier Bellavigna-Ladoux le 30 novembre 2016

L'agent de santé et de sécurité soussigné a enquêté au sujet du décès d'un employé survenu le 18 novembre 2013 dans le lieu de travail exploité par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, en Saskatchewan dans la subdivision Tisdale, la borne milliaire 61 étant celle se trouvant le plus près de cet endroit et ledit lieu de travail étant parfois appelé « Murphys ».

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes :

1. […]

2. […]

3. […]

4. Article 124 - Partie II du Code canadien du travail

L'employeur a omis de fournir un encadrement suffisant au moniteur en milieu de travail afin de lui expliquer comment il était censé superviser le stagiaire. Le moniteur en milieu de travail n'a pas été informé de la marche à suivre pour accéder aux rapports établis par les chefs de train superviseurs au sujet du rendement des stagiaires.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin aux contraventions au plus tard le 30 septembre 2014.

Il vous est aussi ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail de prendre des mesures, au plus tard le 30 septembre 2014, pour empêcher la continuation ou la répétition de ces contraventions.

Émise à Saskatoon ce 30e jour de juillet 2014.

[Signé]

TC (Tyronne) Kowalski
Agent de santé et de sécurité
No 7187
À :
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
935, rue de La Gauchetière Ouest
Montréal (Québec) H3B 2M9

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