2017 TSSTC 20

Date : 2017-10-27

Dossier : 2017-18

Entre :

Cameron Air Service Limited

Indexé sous : Cameron Air Service Ltd.

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

Décision : La demande de suspension est rejetée.

Décision rendue par : M. Peter Strahlendorf, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Graham Wishart, Cameron Air Service Limited

Référence : 2017 TSSTC 20

Motifs de la décision

[1] Le 7 juin 2017, Cameron Air Service Ltd., l’employeur, a déposé une demande d’en appeler de deux instructions que Mme Janice Berling, représentante déléguée par le ministre du Travail (déléguée ministérielle), a émises le 8 mai 2017 en vertu du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail (le Code). La demande a été déposée par l’entremise de M. Graham Wishart, le directeur général de l’employeur.

[2] L’appel était accompagné d’une demande de suspension de la mise en œuvre des instructions présentée en vertu du paragraphe 146(2) du Code qui se lit comme suit :

146 (2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[3] Le 22 juin 2017, une conférence téléphonique a eu lieu dans le but d’établir si une suspension de la mise en œuvre des instructions devrait être accordée. M. Wishart, M. Tom Lindsay, directeur de l’exploitation de l’employeur, et Adam Zahody, un représentant des employés en matière de santé et de sécurité, étaient présents. La déléguée ministérielle Berling et Mme Mary Pollock, également déléguée ministérielle, qui avait accompagné Mme Berling lors de l’inspection concernant les niveaux acoustiques dans le lieu de travail de l’employeur, étaient aussi présentes.

Contexte

[4] Le 23 septembre 2016, les déléguées ministérielles Berling et Pollock ont effectué une inspection concernant les niveaux acoustiques dans le lieu de travail de l’employeur situé à l’aéroport Billy Bishop de Toronto, à Toronto (Ontario). Les déléguées ministérielles étaient préoccupées par les niveaux acoustiques à l’intérieur de deux types d’avions exploités par l’employeur, soit le Cessna 206 et le Cessna 208, pendant leur fonctionnement.

[5] Le 28 septembre, une promesse de conformité volontaire (PCV) a été envoyée à l’employeur relativement aux essais des niveaux acoustiques dans les avions. Le 30 septembre, l’employeur a renvoyé la PCV signée en mentionnant que les niveaux acoustiques seraient mesurés au plus tard le 23 novembre. Le 24 novembre, l’employeur a indiqué qu’il n’avait pas effectué les essais en raison de leur coût trop élevé. Quoi qu’il en soit, le 30 novembre, l’employeur a déclaré qu’il ferait les essais au plus tard le 12 décembre. Le 20 décembre, l’employeur a de nouveau indiqué qu’il n’effectuerait pas les essais, car [traduction] « les essais sont redondants et injustifiés ». Le 8 mai, les deux instructions ont été émises à l’intention de l’employeur.

[6] Le paragraphe 145(1) du Code confère au ministre du Travail (et, implicitement, aux délégués ministériels) le pouvoir d’émettre une instruction en cas de contravention au Code :

145 (1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, le ministre peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

(a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

(b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

[7] La première instruction était fondée sur l’alinéa 141(1)a) du Code :

141 (1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, le ministre peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail, il peut :

(a) effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections ou ordonner à l’employeur de les effectuer;

[8] La première instruction était à l’effet suivant :

[traduction] (...) mener une enquête concernant les niveaux acoustiques dans le Cessna 206 et le Cessna 208, pendant leur fonctionnement, afin d’établir l’exposition potentielle d’un ou de plusieurs employés à un niveau de pression acoustique pondérée A de 84 dBA ou plus pendant une période susceptible de nuire à leur ouïe.

[9] Une instruction émise en vertu de l’alinéa 145(1)a) est fondée sur une contravention. En vertu du Code, l’employeur a l’obligation de s’assurer que les niveaux acoustiques sont conformes aux normes établies :

125 (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

(n) de veiller à ce que l’aération, l’éclairage, la température, l’humidité, le bruit et les vibrations soient conformes aux normes réglementaires;

[10] Les normes réglementaires sont celles que l’on retrouve dans les règlements adoptés en vertu du Code :

122 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« règlement » Règlement pris par le gouverneur en conseil ou disposition déterminée en conformité avec des règles prévues par un règlement pris par le gouverneur en conseil.

[11] Le règlement applicable est le Règlement sur la santé et la sécurité au travail (aéronefs), DORS/2011-87 (Règlement sur les aéronefs). Bien qu’aucun renvoi direct ne soit fait dans l’instruction, le libellé de l’instruction repose sur le paragraphe 2.3(1) du Règlement sur les aéronefs. Il est important d’établir le contexte du paragraphe 2.3(1) étant donné qu’il s’agit d’une étape d’un processus :

Enquêtes sur les risques

2.3 (1) En cas d’exposition potentielle de l’employé à un niveau de pression acoustique pondérée A de 84 dBA ou plus pour une période susceptible de nuire à son ouïe, l’employeur, sans délai :

(a) confie à une personne qualifiée la responsabilité d’enquêter sur le degré d’exposition potentielle;

(b) avise le comité local ou le représentant, de la tenue de l’enquête et du nom de son responsable.

(2) Le niveau de pression acoustique pondérée A est mesuré par relevé ponctuel fait, dans des conditions normales de travail, au moyen d’un sonomètre réglé sur prise lente.

(3) L’enquête comprend l’examen des points suivants :

(a) les sources d’émission sonore à bord de l’aéronef;

(b) les niveaux de pression acoustique pondérée A auxquels l’employé est susceptible d’être exposé et la durée d’exposition;

(c) les méthodes utilisées pour réduire l’exposition;

(d) la probabilité que l’employé soit exposé à un niveau supérieur au niveau maximal prévu à l’alinéa 2.4a);

(e) la probabilité que l’employé soit exposé à un niveau d’exposition (Lex,8) de 84 dBA ou plus.

(4) Au terme de l’enquête et après consultation du comité local ou du représentant, le responsable de l’enquête rédige un rapport, qu’il date et signe, dans lequel il indique :

(a) ses observations quant aux points visés au paragraphe (3);

(b) ses recommandations quant aux moyens à prendre pour assurer le respect des articles 2.4 à 2.8;

(c) ses recommandations quant à l’utilisation de protecteurs auditifs par tout employé exposé à un niveau d’exposition (Lex,8) d’au moins 84 dBA et d’au plus 87 dBA.

(5) L’employeur conserve le rapport à un endroit accessible aux employés concernés pendant une période de dix ans suivant la date du rapport.

(6) S’il est indiqué dans le rapport que l’employé est susceptible d’être exposé à un niveau d’exposition (Lex,8) de 84 dBA ou plus, l’employeur, sans délai :

(a) fournit par écrit à l’employé des renseignements sur les risques que présente l’exposition à des niveaux acoustiques élevés;

(b) rend le rapport facilement accessible à l’employé concerné;

(c) affiche en permanence à un endroit bien en vue accessible à l’employé concerné, un avis indiquant où on peut consulter le rapport.

[12] La deuxième instruction était fondée sur l’alinéa 141(1)h) du Code :

141 (1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, le ministre peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail, il peut :

[...]

h) ordonner à l’employeur de produire des documents et des renseignements afférents à la santé et à la sécurité de ses employés ou à la sûreté du lieu lui-même et de lui permettre de les examiner et de les reproduire totalement ou partiellement;

[13] La deuxième instruction précisait de :

[traduction] (...) produire, au plus tard le 9 juin 2017, les documents et les renseignements afférents à la santé et à la sécurité de vos employés ou à la sûreté du lieu de travail qui sont indiqués ci-dessous, et de permettre à ladite représentante déléguée par le ministre du Travail de les examiner et de les reproduire totalement ou partiellement :

les résultats des essais de niveau acoustique effectués à l’intérieur du Cessna 208 et du Cessna 206 pendant leur fonctionnement.

[14] Un employeur a l’obligation de se conformer à une instruction émise par un délégué ministériel :

125 (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

[...]

(x) de se conformer aux instructions verbales ou écrites qui lui sont données par le ministre ou l’agent d’appel en matière de santé et de sécurité des employés;

[15] La deuxième instruction est subordonnée au respect de la première instruction. La demande de suspension concernait principalement la première instruction, soit l’exigence d’effectuer des essais des niveaux acoustiques dans les avions pendant leur fonctionnement. Si la mise en œuvre de la première instruction est suspendue, la mise en œuvre de la deuxième instruction devra également être suspendue puisqu’aucun rapport ne sera à remettre à la déléguée ministérielle. Il serait insensé de décider de ne pas suspendre la mise en œuvre de l’instruction exigeant d’effectuer des essais des niveaux acoustiques et de suspendre ensuite la mise en œuvre de l’instruction exigeant la remise du rapport des essais des niveaux acoustiques à la déléguée ministérielle.

Analyse

[16] Le pouvoir conféré à un agent d’appel d’accorder une suspension repose sur le paragraphe 146(2) cité ci-dessus. L’agent d’appel exerce sa discrétion de manière conforme à l’objet du Code, qui est énoncé à l’article 122.1 et qui se lit comme suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[17] Les agents d’appel ont adopté un test en trois critères en ce qui concerne une demande de suspension :

1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire;

2) Le demandeur doit démontrer que le refus de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causera un préjudice important;

3) Le demandeur doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension était accordée, des mesures seraient mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

1) La question à trancher est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[18] Il s’agit en premier lieu d’établir si la question à trancher est suffisamment sérieuse pour justifier une suspension de la mise en œuvre des instructions. L’appelante a présenté plusieurs arguments :

(i) L’essai des niveaux acoustiques serait redondant, injustifié et onéreux;

(ii) Tous les pilotes portent un casque antibruit, qui constitue un équipement de protection personnelle (EPP) suffisant pour protéger leur ouïe;

(iii) C’est le fabricant des avions en question, les Cessna, et non l’employeur, qui devrait effectuer les essais; car sinon, des centaines d’essais auraient à être effectués par les nombreux employeurs du secteur de l’aviation.

[19] Je ne doute aucunement du sérieux de la question. La perte auditive causée par l’exposition au bruit en milieu de travail est en soi une question sérieuse. Les exigences portant sur les risques liés au bruit constituent nécessairement une question sérieuse. L’employeur est d’avis qu’il ne devrait pas être tenu d’effectuer des essais des niveaux acoustiques. Dispenser l’employeur d’effectuer de tels essais acoustiques comme l’exige la réglementation serait une question sérieuse, quelle que soit la décision. Le bon sens voudrait que si les pilotes sont adéquatement protégés par l’utilisation d’un casque, alors l’instruction exige, à première vue, que l’employeur effectue des essais qui seraient onéreux et sans effet. L’employeur ne nie pas que les niveaux acoustiques dans les avions pendant leur fonctionnement sont élevés. N’importe quel essai le démontrerait. Le remède inévitable, selon l’employeur, serait que les pilotes soient tenus de porter un casque antibruit, ce qu’ils font déjà. Selon lui, il n’existe aucune autre méthode réalisable permettant d’atténuer les niveaux sonores élevés. Comme le résultat final est le casque antibruit qui est actuellement utilisé, pourquoi ne pas aller droit au but et adopter le casque antibruit sans effectuer d’essais coûteux?

[20] Il est certain que si tout ce que dit l’employeur est vrai, le fait d’être assujetti à une instruction inutile et onéreuse à respecter constituerait une question sérieuse. Dépenser de l’argent pour la santé et la sécurité en milieu de travail sans aucune possibilité d’atténuation du risque constitue une question sérieuse. L’employeur ne fait aucune affirmation frivole ou vexatoire dans sa demande.

2) L’appelante subira-t-elle un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?

[21] Le préjudice important que l’employeur mentionne est le coût de réalisation d’essais inutiles. En mettant de côté pour le moment la question de l’utilité des essais, combien coûterait-il à l’employeur de se conformer à l’instruction de la déléguée ministérielle d’effectuer des essais des niveaux acoustiques? M. Wishart a indiqué qu’il en coûterait au moins 5 000 $. Toutefois, il a fait valoir que si des centaines d’exploitants étaient tenus d’effectuer les mêmes essais, le coût serait très élevé pour le secteur d’activité. Les essais effectués par tous ces employeurs aboutiraient aux mêmes conclusions que celui d’un seul essai.

[22] L’employeur s’est appuyé principalement sur la preuve que M. Wishart a présentée. M. Lindsay a indiqué qu’il était d’avis qu’il n’existait aucun EPP plus efficace que le casque antibruit, que les pilotes portent actuellement. M. Zahody, qui représente les employés, n’a exprimé aucun désaccord avec le point de vue de l’employeur.

[23] M. Wishart semble être une personne expérimentée, bien intentionnée et pragmatique. Je sympathise avec son point de vue. Toutefois, je suis d’avis que l’employeur n’a pas établi qu’il subirait un préjudice important si la mise en œuvre des instructions n’était pas suspendue.

[24] L’employeur emploie sept pilotes et exploite quatre aéronefs. Il exerce ses activités depuis 25 ans. Bien que Cameron Air Service Ltd. ne soit pas Air Canada, elle n’est certainement pas susceptible de disparaître du jour au lendemain. Une dépense entre 5 000 $ et 10 000 $ ne serait pas près de compromettre la viabilité financière de l’employeur. Une telle dépense ne causerait pas de préjudice important à l’employeur. Quoi qu’il en soit, le coût ne justifie pas à lui seul la suspension de la mise en œuvre d’une instruction, comme les agents d’appel l’ont statué à maintes reprises à propos des demandes de suspension.

[25] Quant à l’impact sur le secteur de l’aviation, c’est de la pure spéculation. Un impact important sur le secteur de l’aviation, même s’il était avéré, n’est pas un impact important sur l’employeur en question. Il s’agit d’un argument in extremis. Cette question n’est pas pertinente aux modalités relatives au critère de suspension. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune raison de croire que des délégués ministériels émettraient des centaines d’instructions dans l’ensemble du secteur. Jusqu’à présent, les déléguées ministérielles n’ont reçu aucun chiffre précis concernant les niveaux acoustiques dans ces types d’aéronef dans le lieu de travail en cause en l’espèce.

[26] Encore une fois, l’employeur ne nie pas que les niveaux acoustiques dans le lieu de travail sont très élevés. L’employeur fait valoir que, puisqu’il admet ce fait, tout essai de sa part serait redondant et inutile. Il a mentionné certains chiffres concernant les niveaux acoustiques, qui auraient été obtenus à partir d’une recherche effectuée sur Internet. Un niveau de 93 à 94 dBA a été mentionné. Aussi, selon l’employeur, d’autres exploitants ont signalé que les niveaux acoustiques du Cessna 208 se situaient aux environs de 90 dBA. L’employeur accepte le fait que les niveaux acoustiques dans ses avions, pendant leur exploitation, se situent à des niveaux semblables.

[27] Ces niveaux sont assez élevés. L’échelle des décibels est logarithmique et non linéaire. Une valeur de 94 dBA ne signifie pas qu’elle est de 12 % supérieure à une valeur de 84 dBA; elle est beaucoup, beaucoup plus élevée. Pour donner une idée de l’importance de ces niveaux, on peut noter les limites d’exposition énoncées dans le Règlement sur les aéronefs :

2.4 Aucun employé ne peut être exposé au cours de toute période de vingt-quatre heures :

(a) à un niveau de pression acoustique pondérée A figurant à la colonne 1 de l’annexe de la présente partie pour une durée supérieure à la durée prévue à la colonne 2;

[28] Il est indiqué dans l’annexe qu’un employé sans équipement de protection de l’ouïe peut être exposé, au cours d’une période de 24 heures, à 84 dBA pendant 16 heures, à 90 dBA pendant 4 heures, à 95 dBA pendant 1,3 heure ou à 100 dBA pendant 0,4 heure. L’employeur a indiqué que ses pilotes faisaient de courts vols d’une durée d’environ 2 heures. Un pilote sans protection de l’ouïe exposé à 95 dBA devrait non seulement faire des vols de moins de 2 heures, mais il ne devrait pas pouvoir voler à nouveau pendant les 24 heures suivantes. Toutefois, les pilotes de l’employeur portent des casques antibruit. Je note les chiffres présentés à l’annexe pour donner une idée de la gravité éventuelle d’une exposition au bruit.

[29] L’employeur a-t-il le droit d’éviter d’effectuer des essais concernant le bruit et d’adopter tout simplement un équipement de protection de l’ouïe? Dans l’affirmative, l’exigence d’effectuer des essais visée à la première instruction serait sans doute redondante, injustifiée et inutile. L’employeur n’a toutefois pas ce droit. Le Code énonce explicitement le principe de l’« EPP comme dernier recours » :

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[30] Le Règlement sur les aéronefs est encore plus précis :

Réduction de l’exposition

2.5 Si cela est en pratique possible, l’employeur ramène toute exposition au bruit de l’employé à un niveau égal ou inférieur au niveau maximal prévu à l’article 2.4, en utilisant des dispositifs techniques ou des moyens matériels autres que des protecteurs auditifs.

[31] En définitive, l’employeur pourrait avoir raison lorsqu’il affirme que la seule solution au problème de l’exposition au bruit est le port du casque antibruit que les pilotes portent déjà. L’employeur doit toutefois suivre un processus pour parvenir légitimement à cette conclusion. Le Règlement sur les aéronefs établit ce processus. L’employeur est d’abord tenu de mesurer le bruit, puis d’envisager des mesures de contrôle. S’il existe des mesures autres que l’EPP susceptibles d’atténuer le bruit, elles devraient être prises. Ce n’est que s’il existe un risque résiduel après que d’autres dispositifs techniques aient été déployés que l’EPP devrait être adopté. L’enquête de l’employeur constitue la base de l’analyse concernant les essais, la rédaction d’un rapport écrit et de la communication des risques aux employés. Le Règlement sur les aéronefs comporte des exigences particulières quant à la manière dont les essais devraient être effectués :

Mesure et calcul de l’exposition

2.2 (1) Pour l’application de la présente partie, l’exposition d’un employé au bruit est mesurée au moyen d’un instrument qui, à la fois :

(a) est recommandé à cette fin aux termes de l’article 4.3 de la norme CAN/CSA-Z107.56-F06 de la CSA intitulée Méthodes de mesure de l’exposition au bruit en milieu de travail;

(b) est certifié par un organisme de certification accrédité par le Conseil canadien des normes comme étant conforme aux exigences relatives à un tel instrument énoncées à l’article 4 de la norme.

(2) L’exposition d’un employé au bruit est mesurée conformément aux articles 5, 6.4.1, 6.4.4, 6.5.2, 6.5.4, 6.6.2 et 6.6.4 de la norme visée à l’alinéa (1)a).

[32] Le Règlement sur les aéronefs comporte des exigences particulières que doivent respecter tout EPP proposé :

Protection de l’ouïe

2.7 (1) Dès que cela est en pratique possible, l’employeur tenu de présenter le rapport visé à l’article 2.6 fournit à l’employé susceptible de subir une exposition au bruit supérieure au niveau maximal prévu à l’article 2.4 un protecteur auditif qui, à la fois :

(a) est certifié par un organisme de certification accrédité par le Conseil canadien des normes comme étant conforme à la norme CAN/CSA-Z94.2-F02 (C2007) de la CSA intitulée Protecteurs auditifs : Performances, sélection, entretien et utilisation;

(b) empêche l’employé qui le porte d’être exposé à un niveau de pression acoustique supérieur au niveau maximal prévu à l’article 2.4.

(2) L’employeur qui fournit un protecteur auditif à l’employé conformément au paragraphe (1) élabore, en collaboration avec le comité local ou le représentant, un programme de formation de l’employé sur l’ajustement, l’entretien et l’utilisation du protecteur auditif et met en œuvre ce programme.

[33] Si l’employeur ne suit pas le processus établi dans le règlement, il ne pourra pas connaître avec certitude les niveaux acoustiques. Il ne pourra pas être certain que les chiffres obtenus par Internet ou auprès d’autres exploitants sont des chiffres qu’il obtiendrait en se conformant aux exigences réglementaires. Il ne pourra pas savoir avec certitude si d’autres mesures de contrôle pourraient convenir. Il ne pourra pas être certain que les casques antibruit adoptés sont conformes. Il n’aura aucun renseignement substantiel à communiquer aux employés. Il ne disposera d’aucun rapport que d’autres pourraient consulter, par exemple un représentant en santé et sécurité des employés ou le délégué ministériel, pour vérifier de manière indépendante que les mesures appropriées ont été prises.

[34] Essentiellement, l’employeur demande à être dispensé de se conformer à la loi. Il n’est pas redondant, injustifié ni inutile de franchir la première étape nécessaire et obligatoire du processus d’élaborer un programme de protection de l’ouïe propre au lieu de travail. Se conformer à la loi ne peut pas constituer un préjudice important.

[35] Par conséquent, je conclus que l’appelante n’a pas démontré qu’elle subirait un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’était pas suspendue.

[36] Étant donné que le deuxième critère qui permettrait d’ordonner la suspension de la mise en œuvre d’une instruction n’est pas rempli, il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième critère.

Décision

[37] Par conséquent, la demande de l’employeur de suspendre la mise en œuvre des instructions émises par la déléguée ministérielle Berling est rejetée.

Peter Strahlendorf

Agent d’appel

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