2018 TSSTC 8

Date : 2018-08-28

Dossiers :

  • 2014-23
  • 2014-24
  • 2014-25
  • 2014-26

Entre :

Scott Stayer, Jack Bakker, Shawn Dougan, Hawley Moulton et Clinton Gillespie, appelants

Et

Service correctionnel du Canada, intimé

Indexé sous : Stayer c. Service correctionnel du Canada

Version caviardée

Affaire : Appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre de décisions rendues par l’agent de santé et de sécurité Jenkins.

Décision : Les décisions selon lesquelles aucun danger n’existe sont confirmées.

Décision rendue par : M. Peter Strahlendorf, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour les appelants : Me Mathieu Huchette, avocat, UCCO-SACC-CSN

Pour l’intimé : Me Joel Stelpstra, avocat, Services juridiques du Conseil du Trésor, Ministère de la Justice

Référence : 2018 TSSTC 8

Motifs de la décision  

[1] La présente affaire a trait à des appels déposés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre de décisions rendues par l’agent de santé et de sécurité (l’agent de SST), M. Lewis Jenkins, les 16 et 17 juin 2014.

Contexte

[2] Avant le 1er avril 2014, le Service correctionnel du Canada (SCC) comptait plusieurs emplacements au Canada où l’établissement à sécurité moyenne et l’établissement à sécurité minimale étaient situés l’un à côté de l’autre. Le 1er avril 2014, le SCC a instauré une nouvelle politique selon laquelle ces établissements à sécurité moyenne et à sécurité minimale seraient « regroupés », c’est-à-dire qu’ils allaient être, dans une certaine mesure, intégrés administrativement. Dans ces affaires, nous ne nous attarderons que sur deux de ces emplacements, à savoir les établissements de Beaver Creek/Fenbrook (maintenant appelé Beaver Creek) et Frontenac/Collins Bay (maintenant appelé Collins Bay).

[3] [Texte caviardé].

[4] [Texte caviardé].

[5] En réaction au danger apparent que pose la suppression du poste de gestionnaire correctionnel (GC), plusieurs refus de travailler ont été exercés à ces deux emplacements. L’agent de SST Jenkins a mené une enquête sur le premier refus de travailler à Beaver Creek et a rendu une décision le 28 avril 2014 selon laquelle un danger existait. À la suite d’une telle décision, l’employeur a présenté une stratégie d’atténuation le 7 mai 2014. L’agent de SST Jenkins a accepté la stratégie d’atténuation et jugé qu’il n’existait plus de danger.

[6] Cependant, certains agents correctionnels (AC) estimaient que la stratégie d’atténuation de l’employeur ne suffisait pas à écarter le danger et ont ainsi exercé d’autres refus de travailler. En tout, cinq refus de travailler ont été exercés par cinq AC, soit quatre à Beaver Creek et un à Collins Bay. L’agent de SST Jenkins a enquêté sur les circonstances de ces cinq nouveaux refus de travailler et a conclu à « absence de danger » dans chacun de ces cas. Les dates des refus de travailler, les AC en cause et les dates des décisions s’y rapportant rendues par l’agent de SST Jenkins sont précisés ci-dessous :

  1. Refus de travailler le 27 mai 2014. Beaver Creek. AC Shawn Dougan et AC Hawley Moulton. Décision d’« absence de danger » rendue le 17 juin 2014.
  2. Refus de travailler le 28 mai 2014. Beaver Creek. AC Scott Stayer et AC Clinton Gillespie. Décision d’« absence de danger » rendue le 16 juin 2014.
  3. Refus de travailler le 30 mai 2014. Collins Bay. AC Jack Bakker. Décision d’« absence de danger » rendue le 16 juin 2014.

[7] Les décisions d’« absence de danger » rendues par l’agent de SST Jenkins ont été portées en appel par les cinq AC, sous forme de quatre appels, comme suit :

  1. Scott Stayer – Beaver Creek – dossier 2014-23
  2. Jack Bakker – Collins Bay – dossier 2014-24
  3. Shawn Dougan et Hawley Moulton – Beaver Creek – dossier 2014-25
  4. Clinton Gillespie – Beaver Creek – dossier n 2014-26

[8] Les appelants ont interjeté appel des décisions de l’agent de SST Jenkins le 21 juin 2014.

[9] Comme les questions en litige soulevées dans ces quatre appels étaient essentiellement les mêmes, ces affaires ont été réunies et entendues ensemble. Le 8 mai 2017, je me suis rendu à Beaver Creek, en compagnie de représentants des employés et de l’employeur, pour voir la configuration physique de l’établissement. Selon les parties, la configuration de l’établissement de Collins Bay était semblable.

[10]Les appels ont été entendus du 9 mai au 12 mai 2017, à Toronto.

Question préliminaire – Caractère théorique

[11] L’intimé a soulevé le problème du caractère théorique comme question préliminaire. L’intimé estime que ce Tribunal doit refuser de se prononcer sur l’existence d’un danger, car une telle décision n’aura pas pour effet de résoudre le différend entre les parties. La question du caractère théorique se pose du fait d’une modification au Code qui a changé la définition de « danger ». Ce Tribunal doit appliquer la définition de « danger » qui était en vigueur au moment des refus de travailler. Les refus de travailler ont été exercés en mai 2014. La définition de « danger » a été modifiée dans le Code le 31 octobre 2014. L’intimé affirme que le Tribunal ne peut pas s’appuyer sur la définition actuelle de « danger » pour établir s’il existait un danger au moment de l’audience d’appel. Au plus, le tribunal pourrait déclarer qu’un danger aurait existé en vertu de la version précédente du Code [soulignement ajouté par l’intimé]. Cette déclaration n’aurait aucune incidence pratique.

[12] Les appelants n’estiment pas que la question est théorique. Les appelants affirment que l’appel soulève des questions importantes qui ne sont ni hypothétiques ni abstraites. Même si la définition de « danger » a changé dans le Code depuis le moment où les refus de travailler ont été exercés, le même problème de l’augmentation des délais d’intervention subsiste.

[13] Bon nombre d’affaires dans lesquelles une question a été qualifiée de théorique mettaient en cause un employé ayant refusé de travailler qui n’était plus présent ou bien le risque ou le lieu de travail n’existait plus. En l’espèce, les employés sont toujours en poste dans le lieu de travail. Ce que les appelants considèrent comme un danger – la réduction du personnel qui entraîne un retard dans le délai d’intervention en cas d’urgence – existe toujours. En ce qui concerne les appelants, l’absence d’un GC de service du côté de l’unité à sécurité minimale demeure un point de désaccord. C’est la définition légale de « danger » qui a changé – rien n’a fondamentalement changé dans le lieu de travail.

[14] Il est exact que la définition actuelle de « danger » ne peut pas servir de fondement à une décision à l’égard d’un litige survenu avant la modification de cette même définition. Il est également vrai que l’existence actuelle d’un danger dans le lieu de travail sera déterminée selon que les circonstances d’aujourd’hui correspondent à la définition en vigueur. Cependant, la détermination de certains faits dans ce dossier pourrait se révéler fort pertinente pour une analyse au moyen de la définition en vigueur. Si un employé devait se demander s’il doit ou non exercer un refus de travailler pour ce même problème en date d’aujourd’hui, tout constat que je peux faire à l’égard de la possibilité qu’il se produise une situation où l’absence d’un GC a des répercussions sur les risques est susceptible d’influencer la décision de l’employé. Elle peut également influer sur la gestion du problème si cette question est soumise au comité local de santé et de sécurité ou si une plainte est déposée en vertu de l’article 127.1 du Code. Aux termes des nouvelles procédures relatives à la gestion d’un refus de travailler, le ministre pourrait prendre en compte les décisions antérieures avant de déterminer s’il faut pousser l’enquête. Les conclusions énoncées dans cette décision pourraient être pertinentes à la décision du ministre.

[15] À mon avis, la question n’est pas purement théorique. Il subsiste toujours un litige entre les parties à propos de la dotation et des délais d’intervention en cas d’urgence. Une décision dans le présent appel, principalement sous l’angle de conclusions factuelles quant aux facteurs sous-jacents à une évaluation des risques, ne serait pas un exercice futile.

Question préliminaire – Ordonnance de mise sous scellés

[16] Au début de l’audience, l’intimé a demandé une ordonnance de mise sous scellés à l’égard de la preuve documentaire de manière à protéger les renseignements confidentiels portant sur les opérations de sécurité dans les établissements correctionnels fédéraux. Les appelants consentent à la demande de l’intimé.

[17] Bien que les procédures engagées devant le Tribunal soient présumées ouvertes au public, un agent d’appel a le pouvoir d’émettre une ordonnance de mise sous scellés, ou ordonnance de confidentialité. Une ordonnance de mise sous scellés n’est pas accordée de façon automatique, même lorsque les parties y consentent, et elle doit être motivée, Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, SCFP, locale 375, 2016 TSSTC 14, au paragraphe 6.

[18] L’intimé renvoie au « critère Dagenais/Mentuck », établi par la Cour suprême du Canada (CSC), comme fondement pour concilier l’intérêt public dans la publicité des débats judiciaires et le droit à la vie privée des parties. Dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, au paragraphe 26, la CSC a réaffirmé les principes pertinents de ses arrêts antérieurs, Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 et R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442 :

[...] une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :

  1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
  2. ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

[19] La mise sous scellés des pièces et le caviardage de renseignements identificatoires dans la version publiée de la présente décision ne porteraient que légèrement atteinte à l’intérêt du public à garantir à ce que les litiges en application du Code soient tranchés de manière adéquate et équitable. Les pièces fournissent une grande quantité de renseignements sur la dotation, les mesures de sécurité et la configuration physique des établissements. Ces renseignements, s’ils sont publics et entre de mauvaises mains, pourraient compromettre la sécurité des employés dans les établissements. Cela pourrait également porter atteinte à la sécurité du public en général. Il est manifeste que le besoin de confidentialité l’emporte sur le droit de savoir du public dans cette affaire.

[20] La demande de l’intimé pour une ordonnance de mise sous scellés visant toutes les pièces présentées à l’audience est accordée.

Questions en litige

[21] Je dois trancher les questions suivantes :

  1. Est-ce que la suppression du poste de GC de service pendant le quart de travail du matin dans l’unité à sécurité minimale de l’établissement regroupé a créé un danger pour les AC qui travaillent dans cette unité?
  2. Est-ce que la suppression du poste de GC de service pendant le quart de travail du matin dans l’unité à sécurité minimale de l’établissement regroupé a créé un danger pour les AC qui travaillent dans l’unité à sécurité moyenne?
  3. Si un danger existait, ce danger constituait-il une condition normale de l’emploi, de manière à empêcher les appelants d’exercer leur droit de refuser de travailler en vertu du Code?

Observations des parties

[22] Les appelants estiment que la réponse aux questions ci-dessus est « oui » pour les deux premières questions et « non » pour la troisième. Par conséquent, les décisions d’« absence de danger » rendues par l’agent de SST Jenkins doivent être annulées.

[23] L’intimé estime qu’il n’existait aucun danger dans les deux unités des établissements, mais que, s’il y avait un danger, celui-ci constituait une condition normale de l’emploi et que les décisions d’« absence de danger » de l’agent de SST Jenkins doivent donc être confirmées.

A) Observations des appelants

[24] Ont témoigné pour les appelants :

  1. AC Scott Stayer;
  2. AC Clinton Gillespie;
  3. AC Shawn Dougan;
  4. AC Hawley Moulton;
  5. AC Jack Bakker, coprésident pour les employés du Comité mixte de santé et de sécurité (CMSS) de Collins Bay;
  6. AC Kerri Ludlow, coprésidente pour les employés du CMSS de Beaver Creek.

[25] Les appelants considèrent que la suppression du poste de GC de service dans l’unité à sécurité minimale de l’établissement a créé un danger. [Texte caviardé].

[26] [Texte caviardé].

[27] À l’Établissement de Collins Bay, [texte caviardé]. Le témoin de l’employeur, Sanford Hatch, a corroboré le témoignage de l’AC Bakker.

[28] Les témoins des appelants ont décrit divers scénarios susceptibles de constituer des situations d’urgence : agression d’un AC; agression d’un autre détenu ou d’un visiteur; trouble médical d’un détenu ou d’un AC; ou incendie. Dans chacun de ces scénarios, [texte caviardé].

[29] Un des arguments des appelants était que le regroupement qui a eu lieu en avril 2014 ne respectait pas la propre politique de l’employeur, plus précisément la Directive du commissaire 004 (DC-004) de 2009. Les appelants ont indiqué que l’application de la DC-004 par l’employeur posait deux problèmes. D’une part, la politique était fondée sur une évaluation de la menace et des risques qui évaluait les risques pour les AC. Le niveau de dotation énoncé dans la DC-004 tenait compte de cette évaluation des risques. Qu’un employeur réduise le personnel en deçà de ce qui est prévu dans la DC-004 constitue à première vue un accroissement des risques pour les AC. D’autre part, l’employeur a soi-disant modifié la DC-004 de manière à appuyer ses changements touchant la dotation, mais il n’a pas respecté la procédure appropriée pour modifier la DC-004.

[30] En ce qui concerne la première objection des appelants quant à l’application de la DC-004 par l’employeur, le [texte caviardé]. Les appelants estiment que la suppression du poste de GC de service n’était pas une simple et légitime exception à l’annexe B, mais qu’elle constituait plutôt un accroissement des risques pour les AC.

[31] En ce qui concerne la seconde objection des appelants, ces derniers considèrent que la DC-004 ne peut être modifiée au moyen d’une simple note de service, ce qui selon le témoin de l’employeur, M. Velichka, a été fait à plusieurs reprises. Une telle note de service ne respecte pas la procédure appropriée pour modifier une DC. Tous les documents soumis par l’employeur visant à modifier ou à préciser la DC-004 ne doivent pas être pris en compte dans le présent appel. Seule la version de 2009 de la DC-004 est pertinente pour le présent appel et la décision de l’employeur de supprimer le poste de GC de service en avril 2014, qui figure dans une « précision sur la politique » datée de mars 2014, n’était pas conforme à la DC‑004.

[32] [Texte caviardé].

B) Observations de l’intimé

[33] Ont témoigné pour l’intimé :

  1. M. Lane Duern, agent de prévention des incendies et de sécurité des personnes;
  2. M. Mike Velichka, sous-directeur, Opérations de sécurité, administration centrale de SCC;
  3. M. Scott Tempest, directeur de l’Établissement de Beaver Creek au moment de l’exercice des refus de travailler;
  4. M. Sanford Hatch, directeur adjoint, Opérations, Établissement de Collins Bay;
  5. M. Wayne Buller, directeur adjoint, Services de gestion, et coprésident du Comité mixte sur la santé et la sécurité au travail (CMESS) pour l’employeur de l’Établissement de Collins Bay;
  6. Mme Launa Smith, directrice adjointe, Opérations, Établissement de Beaver Creek.

[34] L’intimé estime que l’agent de SST Jenkins a examiné la stratégie d’atténuation de l’employeur qui a été établie à la suite de la décision antérieure de l’agent de SST Jenkins quant à l’existence d’un danger et que celui-ci a conclu qu’il n’existait plus de danger. La stratégie d’atténuation s’articulait autour d’une formation, de protocoles de communication et de plans de mesures d’urgence. L’agent de SST a conclu que, au moment de l’exercice des refus de travailler, il n’y avait aucune situation d’urgence ni autre situation inhabituelle. Un GC peut diriger une intervention d’urgence à partir de n’importe où dans l’établissement regroupé. La décision de regrouper les établissements et de réduire le nombre de GC était une décision stratégique prise par l’employeur; les employés se servent de la procédure de refus de travailler pour contester une décision stratégique.

[35] L’intimé énumère les facteurs pris en compte afin déterminer si un détenu a une cote de sécurité minimale ou moyenne – qui est appelé la « cote de sécurité du détenu ». Les détenus ayant une cote de sécurité minimale présentent un risque d’évasion moins élevé et nécessitent un niveau de surveillance moindre, comparativement aux détenus ayant une cote de sécurité moyenne. Le « niveau de sécurité de l’établissement » n’est pas synonyme de « cote de sécurité du détenu ». L’intimé fait état des différences entre un établissement à sécurité minimale et un établissement à sécurité moyenne. Par exemple, un établissement à sécurité minimale ne dispose pas d’une clôture périphérique, et les détenus jouissent d’une grande liberté de mouvement dans l’établissement. Les armes à feu ne sont pas utilisées dans un établissement à sécurité minimale. Les AC n’ont habituellement ni vaporisateur de poivre ni menottes. Ce n’est pas la même chose dans un établissement à sécurité moyenne. Le risque qu’un détenu blesse un employé est considéré comme très faible comparativement au risque dans un établissement à sécurité moyenne.

[36] Les niveaux de dotation sont régis par les Normes nationales de déploiement des agents correctionnels (DC-004), un document de politique publié en 2009. Ces normes tiennent compte des risques pour le personnel.

[37] Dans un établissement à sécurité minimale, la DC-004 exige la présence d’un effectif minimal composé de :

  1. [Texte caviardé];
  2. [Texte caviardé];
  3. [Texte caviardé].

[38] L’intimé a déclaré avoir publié en mars 2014 une précision sur la politique indiquant qu’une unité à sécurité minimale et une unité à sécurité moyenne d’un emplacement regroupé pouvaient se partager un seul GC (le GC de service). Cette précision sur la politique est entrée en vigueur le 1er avril 2014.

[39] [Texte caviardé].

[40] L’intimé a indiqué que les appelants étaient des agents correctionnels (de niveau I ou II) et qu’à ce titre, ils étaient conscients que la violence potentielle des détenus est inhérente à leur travail.

[41] L’intimé estime que les appelants ont exercé un refus de travailler le 31 mars 2014 en prévision du changement touchant la dotation, qui a pris effet le 1er avril 2014 – soit le partage d’un GC entre l’établissement à sécurité minimale et l’établissement à sécurité moyenne, et le GC se tient habituellement dans l’unité à sécurité moyenne de l’établissement à présent regroupé. Les refus de travailler du 31 mars ne sont pas les refus de travailler qui sont visés par la présente affaire.

[42] Au moment des refus de travailler du 31 mars, aucune perturbation, ni tension particulière ni menace envers le personnel n’a été observée. L’enquête de l’intimé sur les refus de travailler a conclu à l’absence de danger. Le GC de service était en mesure d’intervenir adéquatement à des situations d’urgence dans les unités à sécurité minimale et à sécurité moyenne de l’établissement. Il était d’avis que le partage d’un GC de service ne représentait pas un changement de politique, comme il est énoncé dans la DC-004.

[43] L’agent de SST Jenkins a enquêté sur les refus de travailler du 31 mars et a conclu qu’il existait un « danger ». [Texte caviardé]. De plus, les AC ne disposaient pas de vaporisateurs de poivre ou de menottes et [texte caviardé].

[44] À la suite de cela, l’intimé a présenté une stratégie d’atténuation à l’agent de SST Jenkins le 7 mai 2014. Fait très important, la stratégie d’atténuation stipulait que [texte caviardé]. Par conséquent, l’intervention ne connaitrait plus le retard qui préoccupait les appelants. L’agent de SST Jenkins a examiné et accepté la stratégie d’atténuation et a conclu qu’il n’existait plus de danger.

[45] L’intimé a fourni des données sur la fréquence des incidents susceptibles d’être considérés comme des situations d’urgence menaçant la sécurité des employés dans les établissements à sécurité minimale. Pour 2012-2013, un seul incident lié à une agression a été recensé dans l’ensemble des établissements à sécurité minimale au Canada. Sur une période de cinq ans, soit de 2012 à 2017, aucun incident n’a été signalé aux établissements de Beaver Creek et de Collins Bay faisant entrevoir l’existence d’une menace ou d’un risque pour un employé, tant dans l’unité à sécurité moyenne que dans l’unité à sécurité minimale de ces établissements.

C) Réplique

[46] Dans leur réplique, les appelants ont souligné le fait que l’employeur avait contrevenu à sa propre politique en supprimant le poste de GC de service dans l’unité à sécurité minimale, et qu’une note de service indiquant que le GC était une ressource commune pour les établissements à sécurité minimale et à sécurité moyenne ne constituait pas une précision sur la politique (qui serait ainsi acceptable), mais plutôt une modification de la politique. Le processus approprié de modification de politique n’a pas été respecté et un changement a donc été apporté sans tenir compte de l’accroissement du risque qu’il entraînerait en raison de l’augmentation du délai d’intervention du GC en cas d’urgence.

[47] Les appelants conviennent que le GC n’est pas un premier intervenant en cas d’urgence, mais que [texte caviardé].

[48] Les appelants affirment que la preuve [texte caviardé], et que l’employeur ne conteste pas ce changement, mais qu’il ne considère pas ce changement comme un danger.

[49] Les appelants font valoir que les scénarios d’urgence qu’ils ont présentés étaient hypothétiques, mais que, si l’un d’eux devait se produire, on pourrait alors raisonnablement s’attendre à ce que l’augmentation du délai d’intervention provoque des blessures.

Analyse

[50]Les appelants ont exercé des refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code :

Refus de travailler en cas de danger

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

  1. l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
  2. il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
  3. l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[51] L’ancienne définition de « danger » au paragraphe 122(1) du Code, avant les modifications de 2014, qui était en vigueur au moment des refus de travailler, s’énonçait comme suit :

danger Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[52] Un employé n’a pas le droit d’exercer un refus de travailler si le « danger » constitue une condition normale de son emploi, comme il est énoncé au paragraphe 128(2) :                                                         

128(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

  1. son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;
  2. le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[53] Les 16 et 17 juin 2014, l’agent de SST Jenkins a conclu, en vertu du paragraphe 129(4) du Code, qu’il n’existait aucun « danger » :

Décision de l’agent de santé et de sécurité

129(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

[54] L’employé a le droit de faire appel d’une décision d’« absence de danger » rendue par l’agent de SST, conformément au paragraphe 129(7) :

Appel

129(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

[55] Un agent d’appel jouit de tous les pouvoirs d’un agent de SST :

145.1(1) Le ministre peut désigner toute personne compétente à titre d’agent d’appel pour l’application de la présente partie.

Attributions

(2) Pour l’application des articles 146 à 146.5, l’agent d’appel est investi des mêmes attributions – notamment en matière d’immunité – que l’agent de santé et de sécurité.

[56] Par suite de l’enquête de l’agent d’appel, l’agent d’appel pourra, en vertu du paragraphe 146.1(1) modifier, annuler ou confirmer la décision quant à l’« absence de danger » de l’agent de SST 

146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

  1. soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;
  2. soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[57] Le critère du « danger » en vertu du Code, comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans la décision Société canadienne des postes c. Pollard, 2008 CAF 305, au paragraphe 16, qui confirmait la décision 2007 CF 1362 (Pollard ), s’établit comme suit :

  1. la situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel – en question se présentera probablement;
  2. un employé sera exposé à la situation, à la tâche ou au risque quand il se présentera;
  3. l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer une blessure ou une maladie à l’employé à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois;
  4. la blessure ou la maladie se produira sans doute avant que la situation ou le risque puisse être corrigé, ou la tâche modifiée.

[58] Dans l’affaire Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, aux paragraphes 36 et 60, la Cour fédérale a indiqué que la définition de « danger » exige une preuve que de « telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable. »

[59] La probabilité qu’un événement donné survienne dans l’avenir peut être estimée, en grande partie, en fonction de la fréquence à laquelle cet événement s’est produit par le passé. La fréquence historique est d’autant plus fiable s’il n’y a aucune raison de croire que quelque chose d’importance est susceptible de se produire qui aurait des répercussions sur les conditions qui ont entraîné cette fréquence historique. En l’espèce, les appelants ne soutiennent pas que la probabilité qu’une situation d’urgence survienne augmentera en raison du regroupement des établissements. Ils font plutôt valoir que si une situation d’urgence se produit, l’augmentation du délai d’intervention accroîtrait la probabilité de préjudice. Les statistiques fournies par l’intimé indiquent que la fréquence des situations d’urgence dans l’unité à sécurité minimale est très faible. Les appelants ne contestent pas les statistiques de l’employeur. Toutes choses étant égales par ailleurs, la probabilité qu’une situation d’urgence se produise dans un avenir assez rapproché au moment des refus de travailler était donc également très faible. Personne ne conteste l’absence d’une situation inhabituelle les jours des refus de travailler pouvant faire entrevoir qu’une urgence était plus susceptible de se produire que par le passé.

[60] Pour être tout à fait clair, l’augmentation du délai d’intervention n’a pas de répercussions sur la probabilité qu’une situation d’urgence survienne. L’augmentation du délai d’intervention a une incidence sur la probabilité de préjudice qui accompagne la survenance d’une situation d’urgence. L’augmentation du délai d’intervention accroîtrait également la probabilité que le préjudice se révèle plus grave que la normale.

[61] Y a-t-il eu une augmentation significative du délai d’intervention? [Texte caviardé]. La question centrale est donc [texte caviardé]. L’intimé [texte caviardé]. Les appelants ne sont pas d’accord. L’agent de SST Jenkins a initialement conclu à l’existence d’un danger, car il y avait [texte caviardé]. L’intimé a alors présenté à l’agent de SST Jenkins un plan d’atténuation qui comprenait [texte caviardé]. L’agent de SST Jenkins a estimé que le plan d’atténuation écartait le danger. Les appelants ont alors exercé leur refus de travailler qui font l’objet de la présente enquête. Les appelants contestent [texte caviardé].

[62] Sur quel fondement s’appuient les appelants pour estimer que l’intimé [texte caviardé]? Les appelants invoquent la DC‑004, qui est un document de politique énonçant les normes de déploiement du personnel. La DC-004 [texte caviardé] ajustable ». Ainsi, l’intimé ne peut pas [texte caviardé]. Les appelants conviennent que l’intimé peut modifier la DC-004, mais qu’il existe une procédure formelle à suivre pour apporter des changements, et l’intimé n’a pas observé cette procédure lorsqu’il a émis sa note de service énonçant [texte caviardé].

[63] L’intimé ne dit pas qu’il a conféré l’autorité [texte caviardé]. L’intimé affirme que [texte caviardé]. L’intimé est d’avis qu’une décision [texte caviardé]. La note de service autorisant expressément [texte caviardé] ne constituait pas une modification de la politique, mais plutôt une précision sur la politique. Puisqu’il ne s’agissait pas d’un changement dans la politique, l’intimé affirme qu’il n’avait pas à respecter la procédure formelle pour modifier la DC-004.

[64] Les appelants soutiennent que les niveaux de dotation qui sont prévus dans la DC-004 sont le fruit d’une évaluation des risques réalisée par l’intimé. La réduction du personnel accroît le risque. L’intimé fait valoir que le risque est contrôlé de diverses façons et que les niveaux de dotation concernent avant tout la charge de travail, et non le risque. En cas d’urgence, un GC est autorisé à exercer son pouvoir discrétionnaire pour gérer le risque particulier qu’engendre la situation d’urgence. [Texte caviardé]. On pourrait penser que les employés auraient accueilli favorablement la marge d’appréciation du GC de prendre les mesures nécessaires pour gérer le risque pendant une urgence. La réaffectation des ressources par le GC pendant une situation d’urgence ne relève pas de la définition d’« ajustement opérationnel ».

[65] En appliquant le critère énoncé dans Pollard, il était peu probable que la situation dangereuse que les appelants jugeaient préoccupante survienne pendant les jours des refus de travailler ou dans un avenir assez rapproché. La situation ne correspondait pas à la définition de « danger ».

[66] Dans tous les cas, la présente affaire porte sur un différend concernant la politique de l’employeur, à savoir une politique de dotation. En règle générale, les politiques de l’employeur ne sont pas un motif adéquat pour exercer un refus de travailler. Sauf dans les rares circonstances où il est possible d’affirmer que la dotation insuffisante en personnel entraîne en soi un danger pour un employé (p. ex., il est demandé à un employé d’exécuter seul une tâche prévue pour deux personnes), les décisions en matière de dotation ne constituent pas une cause directe de danger.

[67] Il ressort du libellé des articles 125 et des articles 134.1 et 135 du Code que le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité ainsi que le comité local de santé et de sécurité sont les tribunes indiquées pour débattre du bien-fondé des politiques et des programmes de l’employeur. Le Code prévoit également une méthode permettant aux employés de faire valoir leurs préoccupations au moyen d’une plainte en vertu de l’article 127.1

[68] Les dispositions relatives au refus de travailler à l’article 128 concernent seulement les situations d’urgence, Stone c. Canada (SCC), [2002] TSSTC, Décision 02-019, au paragraphe 51. Ces dispositions sont prévues pour les situations à risque élevé lorsque des décisions doivent être prises par des employés qui ne peuvent pas attendre une réunion des comités et d’entamer une procédure de plainte. Ces situations sont habituellement désignées comme des urgences. Encore une fois, il n’y avait aucune urgence, ni quoi que ce soit de semblable, les jours des refus de travailler et aucune menace prévisible à l’horizon.

[69] Les appelants ont aussi fait valoir que [texte caviardé] augmenterait le risque s’il y avait une deuxième urgence. Il a déjà été établi que la probabilité qu’une situation d’urgence survienne du côté de l’unité à sécurité minimale un jour donné était très faible. La probabilité que deux événements à faible probabilité surviennent de manière simultanée est moins élevée, beaucoup moins élevée, plus particulièrement si la deuxième urgence [texte caviardé]. Il est possible que deux situations d’urgence se produisent en même temps, mais cela ne relevait pas du domaine du raisonnablement prévisible lors des jours des refus de travailler. Par conséquent, la suppression du poste de GC de service pendant le quart de travail du matin dans l’unité à sécurité minimale de l’établissement regroupé n’a pas entraîné de danger pour les AC qui travaillent dans cette unité.

[70] Les appelants ont également mentionné un deuxième risque, soit la question du risque pour les employés dans l’unité à sécurité moyenne de l’établissement si le GC se déplace de l’unité à sécurité moyenne à l’unité à sécurité minimale. Si une urgence devait survenir dans l’unité à sécurité moyenne, le GC ne serait pas présent pour faire face à la situation. À mon avis, l’analyse ci-dessus s’applique également à cette question et, par conséquent, la preuve est insuffisante pour conclure que la suppression du poste de GC de service dans l’unité à sécurité minimale de l’établissement regroupé entraîne un danger pour les AC qui travaillent dans l’unité à sécurité moyenne.

[71] En résumé, toutes les parties conviennent que le GC n’est pas le premier intervenant. Le GC assure la gestion des crises à une certaine distance des lieux, ce qui permet au GC d’avoir une vue d’ensemble. Ainsi, il est en mesure de gérer plusieurs situations dans l’éventualité peu probable où des urgences simultanées se produisent. Le GC n’a pas à être physiquement présent sur les lieux d’une urgence dans l’unité à sécurité moyenne, pas plus qu’il ne doit être présent physiquement sur les lieux d’une urgence dans l’unité à sécurité minimale. Les appelants ne laissent pas entendre que le GC doit être physiquement présent sur les lieux d’une urgence. Ils reconnaissent que [texte caviardé], dirigerait l’intervention d’urgence à distance. La décision prise par l’intimé de n’avoir qu’un seul GC pour les deux unités de l’établissement ne crée pas de danger dans l’unité à sécurité moyenne.

[72] La capacité des employés de l’établissement à faire face aux situations d’urgence [texte caviardé]. Les difficultés demeurent essentiellement les mêmes avant et après le regroupement. Les difficultés n’ont pas élevé le risque au niveau de danger les jours où les refus de travailler ont été exercés.

[73] La preuve présentée à l’audience portait principalement sur la situation à l’établissement de Beaver Creek. Les parties ont convenu que la situation à l’Établissement de Frontenac à Kingston était similaire. Indépendamment de leur accord, le raisonnement ci-dessus s’applique aux deux établissements. Il n’existait aucun danger les jours des refus de travailler dans l’un ou l’autre de ces établissements.

[74] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les appelants n’étaient pas exposés à un danger, au sens qui est donné à ce terme dans le Code, les jours où ils ont exercé leur refus de travailler. Étant donné ma conclusion d’absence de danger, je n’ai pas à établir si les dangers constituaient ou non une condition normale d’emploi.

Décision

[75] Pour ces motifs, je confirme les décisions rendues par M. Lewis Jenkins, agent de SST, les 16 et 17 juin 2014.

Peter Strahlendorf
Agent d’appel

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