2018 TSSTC 13

Date : 2018-11-07

Dossier : 2017-31

Entre :

Laurent Vaillancourt, appelant (intimé à la requête)

et

Service correctionnel du Canada, intimé (requérant à la requête)

Indexé sous : Vaillancourt c. Service correctionnel du Canada

Affaire : Requête visant le rejet de l’appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail en raison de son caractère théorique.

Décision : L’appel est théorique, mais l’affaire sera entendue sur le fond.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Français

Pour l’appelant : M. Olivier Rousseau, conseiller syndical, UCCO-SACC-CSN

Pour l’intimé : Me Cristina St-Amand-Roy, Services juridiques, Secrétariat du Conseil du Trésor, Ministère de la Justice

Référence : 2018 TSSTC 13

Motifs de la décision

[1] La présente décision concerne une requête formulée par le Service correctionnel du Canada (SCC) visant à faire rejeter l'appel déposé par l'appelant en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code) en raison de son caractère théorique.

[2] Cet appel a été interjeté par l'appelant à l'encontre de la décision d'absence de danger rendue le 12 septembre 2017 par le représentant délégué par le ministre du travail Régis Tremblay (délégué ministériel) relativement au refus de travail qu’il a exercé le 6 septembre 2017. Au moment de ce refus, l'appelant Vaillancourt exerçait des fonctions d'agent correctionnel II (AC II) au sein d'une équipe de trois agents correctionnels affectés au Pavillon E du Centre correctionnel de réception (CRR) de Ste-Anne-des-Plaines, Québec, et occupait la fonction de président au sein du syndicat local CRR/USD. Même si la présente décision ne s'en veut pas une sur le fond ou le mérite de l'appel puisqu'elle précède l'audience même dudit appel, il demeure important de connaître le contexte du refus de travail de M. Vaillancourt aux fins d'analyser et d'évaluer la recevabilité de la requête en déclaration de caractère théorique soumise par le SCC.

Contexte

[3] Selon le rapport d'enquête du délégué ministériel, il appert que le refus de travail de l'appelant a été motivé par la présence au CRR de Ste-Anne-des-Plaines, le 6 septembre 2017, du détenu Acyl Koua Amir (le détenu) alors gardé en isolement depuis son transfert d'urgence, de nuit, du pénitencier à sécurité maximale Donnacona le 29 août 2017 après avoir agressé un agent correctionnel (coup au visage) le 28 août 2017, alors que ce dernier le dirigeait verbalement vers sa cellule. Il semblerait que le détenu avait perdu son tour pour loger un appel téléphonique et serait devenu agressif. Pour plus de précision, il appert que le refus de travail est survenu lorsque les agents correctionnels du Pavillon E ont reçu l'ordre de faire sortir le détenu de la cellule d'isolement qu'il occupait depuis 5 jours, soit depuis son transfert au CRR, pour l'assigner à détention en population régulière de l'établissement pour une durée indéterminée, en attendant son transfert à un autre établissement à sécurité maximale, soit le pénitencier de Collins Bay, Ontario. Il ressort du dossier d'enquête que le motif du transfert du détenu était que « le risque que le détenu représente ne peut plus être géré au sein de l'établissement de Donnacona », lequel, tel que noté précédemment, est un établissement à sécurité maximale comportant des postes de contrôle et tourelles d'observation armés, ce qui ne serait pas le cas du CRR de Ste-Anne-des-Plaines. Dans son rapport d'enquête, le délégué ministériel note les faits décrit par l'appelant pour justifier son refus de travail, le citant pour partie:

  • Le détenu a été transféré d'urgence de nuit au CRR pour assaut sur un officier puisqu'il ne pouvait plus être géré par l'établissement Donnacona, un établissement maximum et tout ce que ça représente, il ne peut être géré dans un établissement comme le nôtre.
  • L'appelant ne comprend pas que le détenu est trop dangereux pour l'établissement Donnacona (un maximum) mais pas pour le pavillon E du CRR (multi-niveaux), pavillon qui ne comprend pas de contrôle armé ni passerelle comme à Donnacona.
  • Le détenu a des historiques de problèmes en établissement, agressivité, fabrication d'armes.
  • Le détenu est placé dans un pavillon régulier du CRR où la sécurité est plus faible qu'à Donnacona de par l'infrastructure et le nombre d'officiers.

[4] Quant à la justification que donne l'employeur/intimé pour sa conclusion à l'effet que la situation rapportée n'avalise pas le refus de M. Vaillancourt, le rapport du délégué ministériel énonce comme suit:

En se basant sur la décision du comité de réexamen des cas en isolement en établissement (CRCIE) qui a eu lieu le 5 septembre 2017, l'employeur considère que le risque que représente le détenu est gérable en pavillon. L'employeur admet qu'il réside un risque en raison de la nature du travail de l'agent correctionnel et considère qu'il n'y a pas motif de croire qu'un risque imminent existe ou supérieur au risque normal de l'environnement.

[5] Selon le rapport d'enquête du délégué ministériel, les différences sur le niveau de sécurité entre les deux établissements sont reconnues par toutes les parties en cause, de même que le fait qu'un tel transfert de détenu vers le CRR dans les circonstances de ce cas n'a rien d'exceptionnel et que ceci fait partie de la vocation du CRR. Du même fait cependant, il appert que le détenu transféré possédait une cote maximum et faisait partie d'un gang de rue au moment des délits qui l'ont conduit à l'emprisonnement. En établissement de détention, il a eu plusieurs écarts de conduite et présentait de lourds antécédents au niveau disciplinaire, dont plusieurs événements en lien avec la possession d'armes blanches et d'altercations avec des codétenus. Le rapport d'enquête note également quelques événements relatifs à des menaces envers les agents correctionnels et des tentatives de corruption envers ces derniers.

[6] Au plan général, le délégué ministériel reconnaît qu'en milieu carcéral, la possibilité qu'il peut y avoir des menaces émanant de détenus est réelle et vraisemblable, et que telle possibilité est connue du milieu. Ceci dit, en ce qui concerne une menace éventuelle eu égard à l'appelant, le délégué ministériel en est venu à la conclusion qu'il y avait menace sérieuse, décrivant une telle menace comme en étant une devant revêtir une importance élevée et être raisonnablement possible.

[7] Se penchant sur la possibilité de récidive à court terme, le délégué ministériel s'est dit d'avis que ce n'était pas forcément le cas, précisant toutefois, dans un premier temps, que le geste du détenu avait été de donner « un coup de poing sur la gueule » à un agent correctionnel avec comme résultat une joue enflée et une lèvre coupée, et que les circonstances ne le portaient pas à penser qu'il s'agissait d'un geste prémédité, notant que le détenu était frustré, était devenu agressif et avait réagi promptement, une telle attaque n'étant cependant ni une attaque à l'arme blanche ni une tentative de meurtre. Dans un second temps, quant à la nécessité de « gravité élevée » des conséquences que doit comporter une menace/risque pour s'inscrire dans la définition de « danger » au titre de « menace sérieuse », le délégué ministériel doute que dans le cas présent, les conséquences pouvaient être élevées, émettant l'opinion que la gravité pourra être élevée « si un détenu prémédite son geste, planifie le passage à l'acte, avec l'aide d'une arme », ajoutant que selon sa compréhension, « les armes artisanales sont utilisées envers les codétenus. » Le délégué ministériel n'en a pas moins conclu que « le détenu est dangereux et le risque est réel selon les faits. La probabilité de passer à l'acte pour ce détenu est peut-être plus élevée en raison de son lourd dossier ».

[8] Ceci dit, le délégué ministériel est néanmoins arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas pour autant danger pour la santé et la sécurité de l'appelant, notant qu'un « détenu s'en prend généralement a des codétenus pour diverses raisons et peut leur causer des dommages graves », et opinant qu’un détenu ne posera pas de geste grave envers un agent correctionnel en raison de la possibilité de conséquences sérieuses sur ses conditions de détention et la sévérité de sa peine. Selon le délégué ministériel, ceci représente un élément dissuasif plus important que la disponibilité d'armes à feu dans les postes de contrôle.

[9] Eu égard à la décision prise en établissement de mettre fin à la détention en isolement du détenu et de le placer au sein de la population carcérale régulière, le délégué ministériel s'en est remis à la compétence du CRCIE et du directeur de l'établissement, déclarant que « les professionnels du domaine au Service Correctionnel Canadien (SCC) sont compétents en la matière pour formuler des recommandations dans ce genre de situation. Je crois que la décision a été prise pour le meilleur intérêt de tous et il faut faire confiance à ces gens et au système en place. »

[10] Tel que noté au début de la présente décision, le délégué ministériel a tiré des faits une conclusion d'absence de danger, d'où le présent appel. Ceci dit, le délégué ministériel a formulé certains propos en conclusion de son rapport qu'il m'apparait important de rapporter ci-après, tant pour la considération de l'appel proprement dit si la requête en déclaration de caractère théorique devait être rejetée, tant pour l'application des critères jurisprudentiels pertinents à la considération de la requête en soi. Ainsi, le représentant a déclaré ce qui suit :

En terminant, je dois dire que la ligne est très mince quant à la prise de décision entre une condition normale de l'emploi et mener une enquête en vue de déterminer ou non le danger. Les situations qui impliquent un être humain comme étant un danger présentent toujours un risque d'erreur. Comme mon enquête précédente, je réitère le fait que je fais confiance au système en place ainsi qu'aux professionnels qui évaluent les cas et prennent les décisions. Le risque de se tromper persiste. Nous-les délégués officiels du Ministre du travail-sommes impliqués dans ce type de cas difficile à évaluer et je pense qu'une analyse plus en profondeur pour ce type de refus [où le détenu représente le danger] est nécessaire.

Question en litige

[11] Tel que mentionné en introduction, la décision qui suit ne vise que la requête en déclaration de caractère théorique de l'appel interjeté par l'appelant à l'encontre de la décision d'absence de danger rendue par le délégué ministériel le 12 septembre, 2017. La mise en contexte qui précède sert à décrire in extenso les éléments circonstanciels de la situation ayant ultimement donné lieu à l'appel et ces faits ne sont pas contestés par les parties à la requête. La partie intimée soumet au soutien de sa requête que depuis le moment ou l'appelant a exercé son droit de refus, les circonstances ont changé de sorte que la source du danger n'existe plus et donc que les circonstances précises dans lesquelles l'appelant a exercé son refus de travail n'existent plus. Au titre dudit changement, la partie intimée précise que lorsque la détention en isolement préventif du détenu au CRR de Ste-Anne-des-Plaines ne sera plus requise, ce dernier sera « probablement » transférer à l'établissement de Collins Bay, sa détention devant durer jusqu'en août 2020. Quant à l'appelant, ce dernier ne travaille plus au CRR puisqu'il est présentement employé à l'établissement de La Macaza, situé à La Macaza, Québec, depuis le 29 janvier 2018 et ce, pour une durée indéterminée. La question soulevée par la requête consiste donc à savoir si, étant donné l’évolution des circonstances de ce cas, l'appel est devenu théorique.

Observations des parties

A) Observations du SCC

[12] Le SCC fonde sa requête sur le fait que les circonstances particulières ayant mené au refus de travail pour danger formulé par l'appelant, à savoir la présence au CRR d'un détenu difficile, sinon dangereux, transféré pour assaut, d'un établissement à sécurité maximale, n'ont plus cours et que par conséquent, le motif du refus ayant disparu, l'appel n'a plus de raison d'être et est devenu théorique. Les faits particuliers ayant mené à la présence du détenu au CRR ont été décrits précédemment et il n'est donc pas nécessaire de les répéter ci-après. Par soucis de précision, cependant, il importe de préciser qu'une fois arrivé au CRR le 29 août 2017, le détenu a été placé en isolement préventif à l'unité spéciale de détention (USD) en attente d'un transfert éventuel à l'établissement à sécurité maximale de Collins Bay. J'ignore pour le moment si le détenu en question se trouve toujours au CRR ou si le transfert projeté a eu lieu. Il importe aussi de souligner que l’appelant n’est plus en contact avec le détenu étant donné que l’appelant travaille désormais à l'établissement de La Macaza, Québec, depuis le 29 janvier 2018, et ce, pour une durée indéterminée, ce qui signifie que le détenu n'est plus sous la surveillance de l'appelant ni dans le même établissement.

[13] Le SCC fonde sa requête sur le principe voulant qu'un tribunal puisse refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Ce principe s'applique quand la décision du tribunal n'aurait pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou pourrait avoir, des conséquences sur les droits des parties, de sorte que le tribunal peut refuser de juger l'affaire puisque sa décision n'aurait aucun effet pratique sur lesdits droits des parties. Le SCC s’appuie sur la décision Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 (Borowski), dans laquelle la Cour suprême a établi une démarche analytique en deux temps face à une allégation de caractère théorique : (1) se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique, une réponse affirmative à cette question menant le tribunal à devoir décider, en second lieu, (2) s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire nonobstant sa réponse affirmative à la question en (1). Le SCC fait également valoir, sur la base du jugement dans Borowski, que l'effet concret sur les droits des parties est essentiel à une conclusion de caractère non-théorique d'un litige et que cet effet doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, selon le SCC, si après l'introduction de l'action ou des procédures surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, l'affaire est considérée comme théorique.

[14] Le SCC fait valoir que le Tribunal a conclu au caractère théorique d'un litige dans maintes circonstances. Tel a été le cas, par exemple, dans le cas du départ à la retraite d'un employé, signifiant qu'il n'y avait plus de situation dangereuse dans le milieu de travail au sens du Code puisque le droit de refuser d'accomplir des tâches dangereuses est restreint aux employés à l'emploi d'un employeur assujetti au Code (Maureen Harper c. L'agence canadienne d'inspection des aliments, 2011 TSSTC 19), ou encore dans le cas où il n'y avait plus de relation d'emploi entre l'employé et le Service correctionnel du Canada (Tanya Thiel c. Service correctionnel Canada, 2012 TSSTC 39), ou que la pratique de l'employeur ayant mené au refus avait cessé (Robert J. Wellon c. Agence des services frontaliers du Canada, 2011 TSSTC 28), que le pénitencier avait fermé ses portes (Service correctionnel du Canada c. Mike Deslauriers, 2013 TSSTC 41), ou que le détenu faisant l'objet du refus de travail n'était plus dans le même établissement que l'agent ayant exercé le refus (Manderville c. Service correctionnel Canada, 2015 TSSTC 3).

[15] Au regard de ce qui précède, le SCC fait donc valoir que l'appel devrait être rejeté au motif que le différend concret et tangible impliquant l'appelant a disparu et que la question est devenue purement théorique. Bien qu'ayant invoqué l'arrêt Borowski de la Cour suprême du Canada au soutien de son argument sur ce point, il faut également noter que le SCC n'a formulé aucun argument relativement a ce qui constitue la deuxième partie de la démarche formulée dans ledit arrêt, à savoir si le Tribunal, ayant conclu au caractère théorique du différend, devrait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire sur la base des critères énoncés par la Cour et néanmoins entendre l'affaire. Qui plus est, le SCC n'a pas présenté de réplique aux arguments de l'appelant énoncés ci-dessous.

B) Observations de l’appelant

[16] Souhaitant maintenir son appel en étant conscient des circonstances qui lui sont propres et reconnaissant que le droit de refus de travailler est un droit individuel, l'appelant n'en fait pas moins valoir qu’il a exercé son droit de refus alors qu'il était président du syndicat local, que cette démarche a été discutée avec nombre d'agents correctionnels et qu'elle correspondait à une position largement partagée parmi lesdits agents. À cet égard, l'appelant fait valoir que la question de la gestion de détenus par niveaux de sécurité est au cœur de ce refus de travail et qu'il importe d'obtenir des clarifications du Tribunal puisque des situations similaires se présentent régulièrement. L'appelant note que malgré la conclusion d'absence de danger formulée par le délégué ministériel relativement à la présente affaire, le SCC a transféré le détenu à l'unité spéciale de détention, laquelle unité est décrite par l'appelant comme l'espace pénitentiaire le plus sécuritaire au Canada.

[17] Ainsi, l'appelant fait valoir qu'en l'absence de décision du Tribunal sur cette question de gestion de détenus soulevée par le refus, le SCC pourrait décider de transférer le détenu ailleurs et les agents correctionnels pourraient hésiter à exercer les droits que leur confère le Code, alors qu'à l'inverse, l'analyse que ferait le Tribunal de la présente situation fournirait des guides importants pour l'exercice ou non des recours prévus au Code. L'appelant fait valoir que l'analyse de la notion de « danger » en l'instance doit être faite par l'application des critères développés par le Tribunal dans la décision Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19 voulant que l'analyse réponde aux questions suivantes:

1) Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?

2) a) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

OU

b) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

3) La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?

[18] L'appelant réitère plus précisément en regard de ce qui précède que la situation visée en l'espèce concerne la gestion d'un détenu coté « maximum » qui vient d'agresser un agent correctionnel dans un établissement à sécurité maximale, vers un pénitencier qui n'est pas opéré de la même façon qu’un établissement à sécurité maximale. Selon l'appelant, une analyse des critères susmentionnés par le Tribunal ne serait pas théorique puisque le SCC n'a pas indiqué qu’il s’engageait à ce qu’une telle situation ne se reproduise pas.

[19] Au regard des précédents invoqués par le SCC au soutien de son argumentation visant le caractère théorique de l'appel, l'appelant en conteste la pertinence pour les motifs ci-après. En ce qui a trait à la décision d’un agent d’appel dans l'affaire Harper qualifiant le différend de théorique au motif que l'appelante dans cette affaire ne travaillait plus à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, l'appelant fait valoir que le refus de travail dont il est question ici a eu un impact sur d’autres agents correctionnels, lesquels n'ont pas eu à gérer le détenu à la base du refus en population générale. Le refus de M. Vaillancourt a donc amené une solution pour l'ensemble des employés. Par conséquent, l’absence de décision sur le fond due à la mutation de l’appelant vers un autre établissement ne règlerait pas la question pour les autres employés affectés. Dans l'affaire Thiel, l'employé concerné n'était plus à l'emploi du Service correctionnel du Canada et s'était désintéressé de son propre appel; la situation est différente dans le présent cas. Dans Wellon, alors que l'Agence des services frontaliers avait modifié, suite au refus en cause, une pratique ayant engendré ledit refus et ce, malgré une conclusion d'absence de danger par le délégué ministériel (à l’époque appelé agent de santé et sécurité), dans le cas qui nous occupe, rien n'indique que le Service correctionnel entend modifier sa pratique de faire gérer en population générale un détenu coté « maximum » transféré au CRR.

[20] L'appelant distingue également la présente affaire de la situation prévalant dans l'affaire Service correctionnel Canada c. Mike Deslauriers où le pénitencier de Kingston avait fermé ses portes avant que l'appel visant la qualité de l'air audit pénitencier ne soit entendu. Dans Gordon c. Service correctionnel du Canada, 2017 TSSTC 8, la décision de caractère théorique indiquait que le refus de travail était lié uniquement au détenu et à une situation particulière (funérailles) et non à la tâche générale d'agent correctionnel, et que l'agent correctionnel avait été transféré dans un autre établissement, ce qui ne serait pas le cas en l’instance puisqu'il s'agit ici d'évaluer la situation et la tâche en fonction du risque qu'elle se produise à nouveau. Finalement l'appelant distingue la situation en instance de celle dans Manderville, où l’agent d’appel avait conclu que l'appel était devenu théorique puisque le cas visait une situation particulière a un détenu qui avait été transféré ailleurs et que l'agent correctionnel n'avait pas été impliqué et avait déclaré que son refus de travail se voulait une question de principe pour les autres agents correctionnels, ce qui n'est pas le cas en instance puisque c'est l'appelant lui-même qui était visé par l'ordre d'ouvrir la porte pour ramener le détenu en population générale.

[21] Au vu de ce qui précède, l'appelant soumet que le différend relatif au présent cas et aux pratiques du SCC en de tels cas demeure concret et tangible et que par conséquent, le Tribunal ne devrait pas conclure au caractère théorique de l'appel. Qui plus est, l'appelant soumet aussi que si le Tribunal en venait à la conclusion que le différend ne présente pas un caractère concret et tangible suffisant, il y aurait tout de même lieu pour le soussigné de rendre une décision en exerçant son pouvoir discrétionnaire, tel que le prévoit la Cour suprême dans sa décision Borowski , puisqu'il s'agit en l'instance d'une question de gestion de détenus selon leurs niveaux de sécurité, ce qui est au cœur du fonctionnement du Service correctionnel du Canada.

Analyse

[22] La prise en compte de l'ensemble des arguments des parties met en évidence un certain nombre d'éléments qu'il importe de préciser en raison de leur importance relativement à la décision que je dois rendre. Cette décision, il est important de le mentionner, ne vise pas à déterminer si l'appelant faisait face à un danger au moment de son refus, ce qui devrait faire l'objet d'une décision par le soussigné si l'appel devait éventuellement être entendu au fond, mais vise plutôt à établir si la situation alléguée par l'appelant comme représentant un danger au moment du refus existe toujours, ou pas, aux fins de déterminer si le recours par l'appelant est devenu théorique. Ceci étant, encore faut-il que les parties perçoivent le litige ou la situation proprement dite d'un même œil, ce sur quoi je me pencherai plus bas. Le premier élément qui ressort de l'ensemble des observations des parties est leur accord quant à l'approche analytique que je dois prendre pour décider de la requête. Cette approche a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski comme suit:

La doctrine relative au caractère théorique relève du principe général en vertu duquel un tribunal peut refuser de trancher une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Un appel est théorique lorsque la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir des conséquences sur les droits des parties. Un litige actuel doit exister non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. Le principe général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.

La démarche à suivre pour déterminer si le litige est théorique comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. Si c'est le cas, le tribunal décide alors s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. (Pour être précis, une affaire est « théorique » si elle ne présente pas de litige concret même si le tribunal choisit de trancher la question théorique.)

[…]

La deuxième partie de l'analyse consiste pour le tribunal a déterminer s'il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher l'affaire au fond, même en l'absence de litige actuel. Dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, les tribunaux peuvent être guidés par l'étude des assises mêmes de la doctrine du caractère théorique.

La première raison d'être de la politique en matière de causes théoriques tient à ce que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire. Le contexte réellement contradictoire, dans lequel les deux parties ont un intérêt dans l'issue du litige, est un élément fondamental de notre système juridique. La deuxième raison tient à l'économie des ressources judiciaires qui oblige les tribunaux à se demander si, compte tenu des circonstances d'une affaire, il y a lieu de consacrer des ressources judiciaires limitées à la solution d'un litige devenu théorique. La troisième raison d'être de la doctrine tient à la nécessité pour les tribunaux d'être sensibles à l'efficacité et à l'efficience de l'intervention judiciaire et d'être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique. En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l'égard d'un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune de ces trois principales raisons d'être. Il ne s'agit pas d'un processus mécanique. Il se peut que les principes ne tendent pas tous vers la même conclusion. L’absence d’un facteur peut prévaloir malgré la présence de l’un ou des deux autres, ou inversement.

[23] Un second élément sur lequel les parties sont en accord est le fait que le droit de refuser d'exercer un travail ou une tâche est un droit individuel associé à un risque, une situation ou une activité spécifique dans un milieu de travail particulier. Ce droit a été exercé par l'appelant aux termes de l'article 128 du Code, lequel prévoit que ce droit peut être exercé relativement à l'utilisation d'une machine ou d'une chose, l'exécution d'un travail ou l'accomplissement d'une tâche. Le rapport d'enquête du délégué ministériel ne comporte pas le document d'enregistrement du refus et ne précise pas aux termes de quel alinéa de l'article 128 du Code ledit refus a été fait. Toutefois, si je m'en remet au texte du rapport tout comme au libellé des arguments des parties, il m'apparaît évident que ledit refus s'apparente aux termes de l'alinéa 128(1)(c) du Code visant l'accomplissement d'une tâche constituant un danger pour l'employé qui refuse ou pour un autre employé, « un » n'étant pas limitatif. Il suffit à cet égard de lire le rapport d'enquête de même que le texte des arguments du SCC voulant que ce soit « suivant l'ordre formel du gestionnaire correctionnel aux officiers du pavillon E d'ouvrir la cellule du détenu » [emphase ajoutée] pour appuyer cette conclusion.

[24] Tel que je l’ai mentionné précédemment, la détermination du caractère théorique du recours de l'appelant requiert que la nature de la situation ou du litige visé par la requête soit bien comprise de part et d'autre. Dans son rapport d'enquête, le délégué ministériel établit clairement comme prémisse que c'est « la seule présence du détenu Acyl Koua Amir [qui] a motivé le plaignant [Vaillancourt] à refuser de poursuivre son travail ». Sur ce point, il ajoute qu'il « n'y a eu aucune menace proférée à ce moment et il n'y avait aucune menace connue », réduisant ainsi le danger, ou plus précisément la source du danger, à la personne même du détenu et à ses antécédents qualifiés de « lourd dossier », fondant une probabilité plus élevée pour ce dernier de « passer à l'acte », à savoir agresser un agent correctionnel.

[25] On ne peut passer sous silence toutefois que le délégué ministériel, tout en concluant à l'absence de danger suite à un raisonnement quelque peu tortueux au cours duquel il a conclu à une menace sérieuse, à la vraisemblance de menace en provenance de détenus, à la dangerosité du détenu et à la réalité du risque particulier, a aussi commenté que « le fait que l'on transfert un détenu vers le CRR dans ces circonstances n'a rien d'exceptionnel […] les parties le reconnaissent [et] cela fait partie de la vocation du CRR » avant de conclure « qu'une analyse plus en profondeur pour ce type de refus [où le détenu représente le danger] est nécessaire ».

[26] Pour sa part, dans son argumentation au soutien de sa requête, le SCC s'est limité à décrire le refus de M. Vaillancourt comme étant « lié exclusivement à la présence du détenu » nommé en cause et la tâche impliquée comme étant celle d'ouvrir la cellule du détenu « suivant l'ordre formel du gestionnaire correctionnel aux officiers du pavillon E ».

[27] Pour ce qui est de l'appelant, tout en reconnaissant que le droit de refus constitue un droit individuel, ce dernier, par la plume de son représentant, caractérise ou définit plus largement la situation. Dans un premier temps, ayant reconnu que le droit de refus de travail représente un droit individuel, le représentant de l'appelant fait valoir que M. Vaillancourt s'est prévalu de ce droit alors qu'il était président du syndicat local, que cette action avait été discutée avec plusieurs agents correctionnels et qu'elle correspondait à une position largement partagée parmi les employés. Notant que la situation visée concerne la gestion d'un détenu coté « maximum » et qui vient d'agresser un agent correctionnel dans un établissement de niveau maximum, cette gestion devant s'exercer dans un pénitencier qui n'est pas opéré selon un niveau maximum, l'appelant maintient que la réelle question au cœur du refus de travail en est une de gestion de détenus par niveau de sécurité et qu'il importe d'obtenir des clarifications par le Tribunal puisque des situations similaires se présentent de temps à autres et que « l'analyse de la présente situation par le Tribunal fournira des guides importants pour l'exercice ou non des recours prévus au Code ». Force est de dire que l'argument formulé au nom de l'appelant, tout en reconnaissant que le droit de refus est clairement un droit individuel, ce qui nécessite un lien évident et direct entre l'employé refusant et la tâche visée par le refus, mène à penser que l'accent est mis plus directement sur la deuxième partie de la démarche établie dans l'arrêt Borowski.

[28] Eu égard à ce qui précède, j'estime nécessaire de commenter comme suit avant d'aller plus avant. Tel que je l'ai mentionné précédemment, n'ayant pu procéder à entendre cette affaire au fond, même partiellement, en raison du recours par le SCC à mon avis quelque peu précipité à cette requête en déclaration de caractère théorique, la seule source en principe avérée de renseignements pouvant assister le soussigné en l'instance est le rapport d'enquête du délégué ministériel Tremblay, rapport et conclusion que dans le cadre de l'appel, le soussigné serait appelé à réviser et valider ou invalider dans une étude de novo.

[29] Ceci étant, il va de soi que certaines affirmations énoncées et certains faits avancés par les deux parties dans leur argumentation de la présente requête ne sont étayés par aucune preuve qu'à tout le moins un début d'audience aurait permis au soussigné d'obtenir, l'exemple le plus marquant étant le fait que malgré les propos des deux parties, il n'est pas clair si le détenu au centre de la présente affaire est encore détenu au CRR ou a été transféré dans un autre établissement. J'ajouterai, relativement à ce dernier commentaire, qu'indépendamment de la compréhension qu'on puisse avoir de ce qu'était la situation ayant donné lieu au refus, à savoir le détenu nommément identifié présent au CRR, tel que le fait valoir le SCC, ou la présence d'un détenu coté maximum au CRR impliquant la sous-question de la gestion de détenu coté maximum au CRR, tel que le soutient l'appelant, le seul point qui soit commun à l'une ou l'autre approche relativement à l'appelant est la présence du détenu au CRR et donc la tâche demandée à l'appelant, ceci constituant en soi la source alléguée du danger.

[30] Prenant en compte ce qui précède, le présent appel est-il devenu théorique? Un fait est clair : Alors que le refus de l'appelant a trait à l'exécution d'une tâche en rapport avec la présence du détenu au CRR à la date du refus, ce même appelant ne travaille plus au CRR au moment de rendre la présente décision puisqu'il a été muté pour une période indéterminée dans un autre pénitencier. Par conséquent la situation spécifique dont origine le refus, fut-elle définie en termes de contact avec le détenu coté maximum nommément désigné Acyl Koua Amir ou en termes de contact avec un détenu coté maximum, dans les deux cas dans un pénitencier présenté comme non-opéré selon un niveau de sécurité maximum, n'est pas susceptible d'avoir encore un effet sur l'employé à l’origine du refus au moment pour le soussigné de rendre sa décision.

[31] Tel que mentionné précédemment, la détermination de la question soulevée par la présente requête doit tenir compte du principe voulant que le droit de refus est un droit individuel associé à une situation et à des faits spécifiques dont l'effet concret sur la parties à la base du refus de travail doit être présent tant au moment de l'exercice dudit droit mais également au moment où le Tribunal doit rendre une décision. Le SCC fait valoir dans son argumentation que « les circonstances ont changé depuis le moment où le refus a été exercé, de sorte que la source du danger n'existe plus. » Je suis en accord avec la première partie de cette affirmation puisqu'effectivement, un élément essentiel est disparu, à savoir que le détenu n'est plus sous la surveillance de l'appelant ni dans le même établissement en raison de la mutation de l'appelant à un autre établissement. Sur ce point, il est évident que les circonstances ont changé depuis le moment lors duquel le refus a été exercé. Pour les motifs mentionnés précédemment, il m'apparait toutefois difficile de conclure que la source du danger, dans son sens large et non en rapport direct avec l'appelant, est disparue, quelle que soit la dichotomie utilisée pour définir ladite source de danger. Toutefois, étant donnée la situation de fait concernant l'appelant, il est évident qu'une décision par le soussigné relativement au refus de M. Vaillancourt ne pourrait avoir un effet concret à son égard au moment de la décision. Par conséquent, cet élément essentiel étant devenu manquant, je n'ai d'autre alternative que d'en venir à la conclusion, en ce qui a trait à la première partie de la démarche énoncée dans Borowski, que l'appel de l'appelant est devenu théorique.

[32] Je dois maintenant déterminer si, au vu des éléments mentionnés ci-haut, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour trancher cette affaire au fond, suivant ma conclusion à l’effet que cet appel est devenu théorique. Pour ce faire, la Cour suprême précise dans Borowski que trois facteurs doivent être pris en considération, tout en demeurant conscient de la question de savoir si l'intérêt public imposerait que je décide du bien-fondé de l'affaire. Ces facteurs se rapportent à la présence d'un contexte contradictoire, à l'économie des ressources judiciaires et à la nécessité pour le Tribunal d'être sensible à sa fonction juridictionnelle. Il importe de noter à nouveau que le SCC n'a formulé aucun commentaire concernant l'exercice de sa discrétion par le soussigné pour entendre cet appel au fond malgré sa conclusion sur le caractère théorique.

[33] En ce qui a trait au contexte ou, pour être plus précis, à l'exigence du débat contradictoire, lequel se veut un des principes fondamentaux de notre système juridique fondant la garantie que tous les aspects d'un litige puissent être débattus pleinement par les parties y intéressées, la Cour suprême a clairement indiqué que la disparition du litige actuel n'empêche pas de satisfaire à cette exigence s'il appert que le débat contradictoire subsiste. Dans le cas qui nous occupe, tout en reconnaissant que le litige initial impliquant M. Vaillancourt est devenu théorique en raison de sa mutation, force est de conclure que subsiste, dans une forme ou l'autre, la question ou position contradictoire relativement à la gestion d'un détenu coté maximum dans un milieu carcéral qui ne l'est pas, ou à tout le moins, est présenté comme ne l'étant pas. Limiter cette question à la seule présence d'un détenu nommément désigné, ce qui fut sans doute l'élément déclencheur du refus par l'appelant, signifierait, selon le soussigné, ignorer la substance même de la question, laquelle n'a pu faire l'objet d'un débat contradictoire dans une audition sur le fond en raison de la requête du SCC avant même qu'une preuve quelconque ne soit présentée au Tribunal.

[34] Mis à part les propos du représentant de l'appelant selon lesquels la position invoquée par l'appelant était largement partagée parmi les employés, que différentes situations similaires se présentent au CRR et que le SCC n'a pas indiqué son intention de renoncer à créer de nouveau une situation semblable, toutes des affirmations non vérifiées puisque la cause n'a pas été entendue au fond avant le dépôt de la présente requête, on ne peut ignorer les propos tenus par le délégué ministériel dans son rapport d'enquête à l'effet que le transfert d'un détenu vers le CRR dans les circonstances propres à la présente situation n'a rien d'exceptionnel, puisque cela fait partie de la vocation du CRR, et qu'une analyse plus en profondeur pour ce type de refus, où le détenu représente le danger, est nécessaire.

[35] Quant à l'économie des ressources judiciaires et à la fonction juridictionnelle du Tribunal, je ne peux ignorer les ressources limitées du Tribunal et l'obligation qui lui est faite par le Code de mener « sans délai une enquête sommaire sur les circonstances » des appels dont il est saisi, ce qui est souvent difficile en raison des difficultés récurrentes, habituellement hors de son contrôle, a prévoir ses audiences dans un délai satisfaisant aux exigences du Code, entraînant à répétition, en raison du passage du temps, des requêtes de la nature de celle faisant l'objet de la présente décision.

[36] Toutefois, les propos de la Cour suprême dans Borowski sont clairs : « la saine économie des ressources judiciaires n'empêche pas l'utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles, à la solution d'un litige théorique, lorsque les circonstances de l'affaire le justifient ». Et plus encore : « l'économie des ressources judiciaires n'empêche pas non plus d'entendre des affaires devenues théoriques dans les cas où la décision de la cour aura des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l'action ». Or, outre les propos du représentant de l'appelant à l'effet que « l'analyse de la présente situation par le Tribunal fournira des guides importants pour l'exercice ou non des recours prévus au Code », lesquels propos reflètent la vision de l'appelant quant à la vraie nature de la question soumise, à savoir la gestion de détenu par niveau de sécurité, le rapport d'enquête du délégué ministériel illustre clairement les difficultés à traiter de telles situations lorsqu'il conclut que le détenu visé dans la présente affaire est dangereux et que le risque qu'il représente est réel, qu'il fait confiance au système en place ainsi qu'aux professionnels qui évaluent les cas, que le risque de se tromper persiste, et que dans ce type de cas difficile à évaluer, une « analyse plus en profondeur pour ce type de refus [ou le détenu représente le danger] est nécessaire. »

[37] Le rôle que doit tenir un agent d'appel dans le cadre du Code, tout comme celui d'un délégué ministériel effectuant une enquête de premier niveau dont les conclusions sont susceptibles d'être présentées à la considération d'un agent d'appel, doit être exercé dans la recherche de la satisfaction de l'objectif général de la législation, c'est-à-dire la prévention des accidents et maladies liés à l'occupation d'un emploi. En ce sens, la possibilité qu'offrirait l'examen au fond de la présente affaire par le Tribunal, malgré le fait qu'elle soit devenue théorique, de possiblement mieux baliser le traitement d'affaires de même nature appelées à se répéter, et possiblement à prévenir de semblables appels dans le futur, justifie l'emploi des ressources limitées du Tribunal et satisfait à sa fonction juridictionnelle.

Décision

[38] En conséquence de ce qui précède, et nonobstant ma conclusion à l'effet que cet appel est devenu théorique, ma décision est de me prévaloir de ma discrétion pour entendre l'affaire au fond.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

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