2018 TSSTC 16

Date : 2018-11-30

No de dossier : 2018-33

Entre :

Agence canadienne d’inspection des aliments, demanderesse

et

Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée

Indexé sous : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : La demande est rejetée.

Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour la demanderesse : Me Karl Chemsi, avocat, groupe du droit du travail et de l’emploi, ministère de la Justice

Pour l’intimée : Me Leslie Robertson, conseillère juridique et agente de représentation, Alliance de la Fonction publique du Canada

Référence : 2018 TSSTC 16

Motifs de la décision

[1] Les présents motifs concernent une demande déposée aux termes du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (Code) afin d’obtenir une suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise le 17 octobre 2018 par M. Normand DeVarennes, en sa qualité de représentant délégué par le ministre du Travail (délégué ministériel).

[2] L’instruction a été émise à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA, l’employeur ou la demanderesse) conformément au paragraphe 145(1) du Code à la suite de l’enquête du délégué ministériel sur la plainte d’une employée, Mme Petitclerc (la plaignante), qui alléguait avoir subi de la violence dans son lieu de travail au sens du Code. L’instruction se lit comme suit :

[Traduction] Dans l’affaire du Code canadien du travail

Partie II - Santé et sécurité au travail

Instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1)

Le 17 septembre 2018, le représentant délégué par le ministre du Travail soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par l’Agence Canadienne d’Insoection des Aliments, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1081, rue Main, Moncton (Nouveau-Brunswick) E1C 8R2, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de CFIA - Management Services, Federal Bldg. Moncton.

Ledit représentant délégué par le ministre du Travail est d’avis qu’une contravention à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été commise :

Alinéa 125(1)z.16) de la partie II du Code canadien du travail et alinéa 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

L’employeur, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, a omis de nommer une personne compétente pour faire enquête sur les allégations de violence dans le lieu de travail.

Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 8 novembre 2018.

Il vous est aussi ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre, au plus tard le 8 novembre 2018, des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Moncton, Nouveau-Brunswick, le 17 octobre 2018.

(s) Normand DeVarennes

[…]

[3] L’employeur a interjeté appel de l’instruction et a déposé un avis d’appel auprès du Tribunal le 6 novembre 2018. L’avis comprenait la présente demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction et l’argumentation à l’appui de la demande. L’Alliance de la Fonction publique du Canada a été nommée à titre d’intimée dans le présent dossier, en sa qualité d’agent négociateur et de représentant de la plaignante.

[4] La demande a été entendue par téléconférence le 22 novembre 2018, et les parties ont eu l’occasion d’y présenter leurs observations et d’ajouter des renseignements documentaires supplémentaires pertinents au dossier du Tribunal.

[5] Le 28 novembre 2018, un registraire du Tribunal a informé les parties de ma décision de refuser la demande de suspension, avec les motifs à suivre. Les pages suivantes contiennent les motifs justifiant ma décision.

Contexte

[6] Les circonstances qui ont mené à l’instruction visée par l’appel sont décrites dans l’avis d’appel et dans le rapport du délégué ministériel. Elles peuvent se résumer comme suit aux fins de la demande.

[7] La plaignante a présenté à l’employeur deux plaintes pour violence dans le lieu de travail le 6 octobre 2017, alléguant qu’elle avait été exposée à de la violence dans le lieu de travail de la part de deux personnes, sa superviseure et son gestionnaire. La plaignante mentionnait essentiellement des discussions avec sa superviseure suggérant qu’elle parlait trop avec les autres, qu’elle déchargeait son travail sur d’autres employés, qu’elle prenait de longues pauses et que plusieurs tâches associées à son poste lui avaient été retirées depuis 2014. Elle mentionnait également qu’on lui avait demandé de changer de poste de travail modulaire à plusieurs reprises depuis 2009, sans raison apparente. La plaignante estimait que l’employeur avait abusé de son autorité et qu’il la ciblait, ce qui lui causait du stress et nuisait à sa santé. Selon la plaignante, les actions de l’employeur répondaient à la définition de « violence dans le lieu de travail » prévue à l’article 20.2 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement).

[8] L’employeur a examiné les plaintes et a jugé qu’il était manifeste que les situations décrites par la plaignante dans ses plaintes ne constituaient pas de la violence dans le lieu de travail, mais plutôt l’exercice par la direction de ses droits relativement au rendement de la plaignante. L’employeur n’a pris aucune autre mesure relativement à la plainte.

[9] La plaignante a déposé une plainte pour violence dans le lieu de travail auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) le 27 février 2018. Elle y affirme que l’employeur contrevient au Code parce qu’il a rejeté sa plainte sans la rencontrer et qu’il n’a pas nommé une « personne compétente » pour enquêter sur sa plainte relativement au lieu de travail, contrairement au paragraphe 20.9(3) du Règlement.

[10] Le délégué ministériel DeVarennes a reçu le mandat d’examiner la plainte en mai 2018. Après son enquête et l’examen des faits allégués, il a estimé qu’il n’était pas « manifeste » que les allégations dans la plainte ne constituaient pas de la violence dans le lieu de travail, et il a émis l’instruction visée par l’appel. Sa conclusion est fondée en grande partie sur l’application de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273.

Analyse

[11] Le pouvoir conféré à un agent d’appel d’accorder une suspension de la mise en œuvre d’une instruction repose sur le paragraphe 146(2) du Code :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[12] Les agents d’appel ont un très grand pouvoir discrétionnaire pour déterminer si une suspension doit être accordée. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé d’une façon qui appuie les objectifs et le cadre législatif du Code et dépend largement des conséquences de l’instruction sur les activités de l’employeur. De ce fait, chaque cas dépend d’un ensemble de faits qui lui sont propres.

[13] La jurisprudence du Tribunal a établi un critère comprenant divers facteurs que les agents d’appel doivent prendre en considération lorsqu’ils traitent une demande de suspension; ces facteurs servent de cadre analytique approprié pour les agents d’appel afin d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans chaque cas : voir S.G.T. 2000 Inc. c. Teamsters Québec, local 106, 2012 TSSTC 15, au paragraphe 5. Découlant à l’origine de la décision de la Cour suprême du Canada dans Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores), le critère a été appliqué d’une façon qui promeut les objectifs du Code. Les éléments du critère sont les suivants :

1. La demanderesse doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole ou vexatoire;

2. La demanderesse doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre l’application de l’instruction lui causera un préjudice important;

3. La demanderesse doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension était accordée, des mesures seraient mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

[14] J’examinerai chaque critère, un par un, comme il est requis.

La question à trancher est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[15] En ce qui concerne le premier élément du critère, l’employeur affirme qu’il est important de répondre à la question du bien-fondé de l’appel, puisqu’elle est liée à la question à savoir s’il est « manifeste » que les allégations de violence ne constituent pas de la violence dans le lieu de travail au sens du Code, comme l’ont établi la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2014 CF 1066, 2015 CAF 273.

[16] L’employeur soutient que la plainte, à première vue, porte sur l’exercice des droits de gestion et non sur la violence dans le lieu de travail, et qu’à ce titre, l’employeur n’avait pas l’obligation de nommer une « personne compétente » conformément au paragraphe 20.9(3) du Règlement. L’appel est donc loin d’être frivole, vexatoire ou autrement dilatoire.

[17] L’intimée n’a pas vigoureusement contesté l’affirmation de l’employeur selon laquelle l’appel soulevait sur une question sérieuse, mais elle a soutenu que l’argument de l’employeur portait en fait sur le bien-fondé de l’appel, ce dont il n’est pas question à cette étape précoce des procédures.

[18] Je suis d’accord avec l’intimée qu’une demande de suspension ne constitue pas le moment opportun de débattre du bien-fondé de l’appel. Cependant, il incombe de tenir compte de l’objet de l’instruction et des motifs appuyant l’appel décrits dans l’avis d’appel dans le but de déterminer si la contestation de l’instruction par l’appelante est futile ou frivole à première vue. Cela étant dit, il ne faut pas interpréter une telle détermination comme prédisant l’issue de l’appel sur le fond.

[19] Comme je l’ai affirmé dans des demandes antérieures de ce type, le seuil pour satisfaire le premier critère est bas, et rien ne me permet de conclure que le présent appel est futile, frivole ou vexatoire (voir : Emploi et Développement social Canada c. Longval, 2014 TSSTC 12 (Longval); Via Rail Canada Inc. c. Unifor, 2014 TSSTC 5; et Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et King, 2017 TSSTC 16). L’interprétation de l’article 20.9 du Règlement a fait l’objet d’un certain nombre de décisions d’agents d’appel et de tribunaux. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273, la cour a exprimé le point de vue selon lequel ces dispositions ne sont pas un « modèle de rédaction législative » et qu’elles ont soulevé de nombreuses questions d’interprétation. La question soulevée par le présent appel en fait partie.

[20] J’en arrive donc à la conclusion que la demanderesse a satisfait au premier volet du critère.

La demanderesse subira-t-elle un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?

[21] Le deuxième élément du critère est souvent le plus difficile à satisfaire pour une partie demanderesse.

[22] L’employeur affirme que la plaignante n’était plus dans ce lieu de travail depuis novembre 2016 et qu’elle avait indiqué qu’elle ne souhaitait pas interagir avec la direction. Elle ne collaborait pas et ne répondait pas aux demandes de nouvelles de l’employeur au sujet de son certificat médical d’absence, et le certificat le plus récent mentionne qu’elle ne pouvait pas travailler pour des raisons médicales, sans donner de date de retour prévu au travail.

[23] Par conséquent, l’employeur soutient qu’il ne serait pas en mesure de respecter l’instruction, puisque la plaignante a indiqué que toute communication de son employeur exacerbait son stress et retardait davantage son rétablissement. Cela plaçait l’employeur dans une situation où il pourrait être tenu responsable si l’état de santé de la plaignante empirait à la suite de la nomination d’une personne compétente pour faire enquête sur la plainte.

[24] L’avocat de l’employeur a également mentionné le trouble médical de la superviseure de la plaignante, qui est directement visée par la plainte et serait l’un des témoins les plus importants de l’enquête. Elle reçoit des soins médicaux pour son stress, est très fragile et est en fait incapable de participer à l’enquête d’une personne compétente actuellement.

[25] La représentante de l’intimée fait valoir que l’employeur n’a pas répondu au deuxième élément du critère à trois volets dicté par la jurisprudence. Elle a précisé avoir déposé auprès du Tribunal un certificat médical daté du 20 novembre 2018 fourni par la plaignante indiquant qu’elle était [traduction] « en mesure de participer au règlement de sa plainte pour violence dans le lieu de travail » et qu’elle souhaitait lancer le processus de manière à ce que le conflit soit réglé et qu’elle puisse envisager un retour au travail. De l’avis de la représentante, la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée s’il procède à la nomination compte tenu de la preuve susmentionnée.

[26] La représentante précise également que nommer une personne compétente pour mener une enquête exigée par le Code et l’instruction n’entraîne pas nécessairement d’entrer en contact avec la plaignante. Les communications relativement à l’acceptation de la personne compétente proposée peuvent se faire par écrit ou par l’entremise du représentant local du syndicat de la plaignante.

[27] Quant au trouble médical de la superviseure, la représentante de l’intimée affirme qu’il n’empêche pas l’employeur de nommer une personne compétente, à tout le moins pour lancer l’enquête.

[28] Mon pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension doit être exercé d’une façon qui s’inscrit dans l’objectif du Code et qui respecte sa structure fondamentale. Le paragraphe 146(2) est rédigé de manière à ne laisser aucun doute quant à l’intention du législateur de veiller à ce que les instructions émises par le ministre (ou ses délégués) soient respectées, malgré le dépôt d’un appel. Cette mesure appuie l’objectif important de corriger immédiatement les contraventions au Code et au Règlement identifiées par un délégué ministériel et de prévenir les blessures en milieu de travail. Le délégué ministériel peut avoir raison ou avoir tort dans ses conclusions, mais on présume que l’instruction est valide et qu’il faut la respecter, à moins de circonstances exceptionnelles et convaincantes indiquant un préjudice important pour l’employeur s’il respecte l’instruction. De plus, il faut présumer que le législateur était conscient de la possibilité qu’une instruction soit renversée en appel, ce qui ferait en sorte, rétrospectivement, que les mesures correctives prises pour se conformer à l’instruction n’étaient pas nécessaires.

[29] Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer ce cadre à une situation où la mesure corrective porte sur des allégations de violence dans le lieu de travail. Aux paragraphes 31 et 35 de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273, le juge De Montigny emprunte des mots assez forts pour décrire l’importance de la mesure énoncée au paragraphe 20.9(3) du Règlement :

[31] Le Règlement a manifestement pour objectif de prévenir les accidents et les préjudices à la santé dans les lieux de travail et de protéger les employés victimes de violence dans le lieu de travail, quelle qu’en soit la forme. La nomination d’une personne compétente, c’est-à-dire une personne qui est impartiale et qui est considérée comme telle par les parties, est une mesure de sauvegarde importante pour assurer la réalisation de cet objectif.

[…]

[35] En l’espèce, il n’est pas évident que les faits, tels qu’ils sont rapportés, n’équivalent pas à de la violence dans le lieu de travail. La plainte n’était pas manifestement vexatoire ou frivole, et il ne revenait pas à l’employeur de décider si tôt, sans même rencontrer l’employé, si

le comportement particulier allégué était suffisamment grave dans les circonstances pour constituer de la violence dans le lieu de travail. Seule une personne compétente qui comprend toutes les circonstances après avoir fait l’enquête visée au paragraphe 20.9(3) peut tirer une telle conclusion.

[C’est moi qui souligne]

[30] Dans ses observations verbales, l’avocat de l’employeur a mis l’accent sur le fait qu’il est manifeste que les allégations, à première vue, portent uniquement sur l’exercice du droit de la direction de gérer le rendement de l’employée et ne peuvent pas constituer de la violence au sens du Règlement. Le fait de procéder à une enquête menée par une personne compétente causerait un préjudice important en raison de tous les remous suscités par une telle enquête si l’appel était accueilli.

[31] Sans anticiper le bien-fondé de l’appel de quelque façon que ce soit, je préciserai simplement que la définition de violence est très large, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada (paragraphes 31 à 35), et que la manière dont les représentants de l’employeur se conduisent dans l’exercice de leurs droits de gestion pourrait bien répondre à cette définition. Il est néanmoins possible de débattre de cette question et de prendre une décision en temps opportun sur le bien-fondé de l’appel, puisque la conformité à l’instruction ne rend pas l’appel théorique (voir la décision Service correctionnel du Canada c. Laycock, 2017 TSSTC 21).

[32] On peut donc se demander ce que l’employeur doit faire pour se conformer à l’instruction. Il doit nommer une personne compétente acceptée par toutes les parties pour enquêter sur les allégations non réglées de violence présentées par la plaignante. Quelle est l’incidence de cette mesure sur les activités de l’employeur? Une fois cette personne nommée, elle doit procéder à une enquête indépendamment de l’employeur, recueillir tous les faits pertinents et, si elle conclut qu’il y a eu violence, présenter des constatations et des recommandations à l’employeur. Il est possible que la personne compétente constate qu’il n’y a pas eu de violence, ce qui mettrait fin à l’affaire.

[33] Il va sans dire que, dans l’exercice de son mandat, la personne compétente doit agir de manière équitable, ce qui comprend l’obligation d’entendre toutes les personnes visées par la plainte. La personne compétente doit donc tenir compte de cet objectif pendant le processus et traiter les problèmes comme ceux soulevés par l’employeur pour appuyer la présente demande. Par exemple, si l’une des personnes visées par la plainte est incapable de participer à l’enquête pour des raisons médicales, il revient à la personne compétente de déterminer la manière appropriée de régler cette situation pendant son processus d’enquête.

[34] Compte tenu des documents versés au dossier du Tribunal, y compris les renseignements sur l’état de santé de la plaignante et de sa superviseure, je ne suis pas convaincu par la thèse de l’employeur qu’il subira un préjudice important en se conformant à l’instruction. L’employeur a manifestement l’obligation de se conformer à l’instruction, qui constitue une ordonnance juridiquement contraignante, et de nommer une personne compétente pour mener une enquête sur la plainte. Le processus de nomination n’est nullement lourd, et il peut se faire par écrit entre les parties ou leurs représentants au besoin (voir Via Rail Canada Inc. c. Unifor, 2014 TSSTC 5; et Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et King, 2017 TSSTC 16).

[35] De plus, la plaignante demande l’application de l’instruction et à ce que l’enquête se déroule comme elle se doit, et rien ne prouve que sa participation au processus d’enquête nuirait à sa santé, bien au contraire. La situation qui nous occupe est différente de celle dans la décision Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 TSSTC 36, où l’agent d’appel était convaincu, à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, que toute participation à une enquête nuirait à la santé de la plaignante. Compte tenu de ces facteurs, l’argument de l’employeur selon lequel il pourrait être tenu responsable si le trouble médical de la plaignante était exacerbé par le processus d’enquête n’est pas fondé.

[36] Quant à l’état de santé de la superviseure de la plaignante, j’ai tenu compte de l’information transmise par l’avocat de l’employeur pendant la téléconférence et dans un courriel daté du 26 novembre 2018. J’accepte le fait qu’elle reçoive des soins médicaux pour son stress, qu’elle soit très fragile actuellement et qu’elle affirme que, [traduction] « en raison de mon état de santé et pour mon bien-être, je ne suis pas en mesure de participer à une enquête menée par une personne compétente ». Je ne suis pas convaincu que l’état de la superviseure devrait m’amener à ordonner la suspension de l’instruction. D’une part, comme je l’ai mentionné précédemment, je ne vois pas de quelle manière l’employeur pourrait manquer à son devoir d’assurer la sécurité de ses employés en nommant une personne compétente conformément à l’ordonnance du délégué ministériel. D’autre part, une fois nommée, la personne compétente agit indépendamment de l’employeur, est maître de sa procédure et doit gérer et s’adapter à toute situation particulière touchant les personnes qu’elle souhaite rencontrer pour recueillir les faits. Je ne vois pas comment la responsabilité de l’employeur pourrait être engagée dans les circonstances.

[37] Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que l’employeur n’a pas établi qu’il subirait un préjudice important en se conformant à l’instruction et, par conséquent, il n’a pas satisfait au deuxième critère.

Quelles mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise sur le lieu de travail si la suspension est accordée?

[38] Étant donné ma conclusion relativement au deuxième critère, je n’ai pas à me prononcer sur le troisième critère aux fins de la présente demande.

Décision

[39] Pour les motifs énoncés précédemment, la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction émise le 17 octobre 2018 par le délégué ministériel Normand DeVarennes est rejetée.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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