2019 TSSTC 2
Date : 2019-01-22
No de dossier : 2018-37
Entre :
Victor Lambe, demandeur
et
McKevitt Trucking Limited, intimée
Indexé sous : Lambe c. McKevitt Trucking Limited
Affaire : Demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu de l’alinéa 146.2f) du Code canadien du travail
Décision : La demande est accueillie.
Décision rendue par : Olivier Bellavigna-Ladoux, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour le demandeur : Lui-même
Pour l’intimée : Brad Smith, avocat, Weilers Law
Référence : 2019 TSSTC 2
Motifs de la décision
[1] La présente demande déposée conformément à l’alinéa 146.2f) du Code canadien du travail (Code) concerne une demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code. Le demandeur n’a pas déposé son appel dans le délai de dix jours prévu au paragraphe 129(7). Il demande à interjeter appel de la décision d’absence de danger rendue le 2 novembre 2018 par M. Azmat Jadoon, représentant délégué par le ministre du Travail (le délégué ministériel).
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.
Contexte
[3] Le 21 septembre 2018, le demandeur a exercé son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code. Le demandeur occupe le poste de superviseur de quai pour l’intimée. Le demandeur affirme que les plaques de liaison sur son lieu de travail ne sont pas sécuritaires et que son employeur, l’intimée, refuse de les réparer. Une plaque de liaison est un équipement destiné à compenser l’espace qui peut exister entre un camion de livraison et un quai de chargement. À la suite du refus de travailler du demandeur, l’intimée a mené une enquête dans le lieu de travail et a conclu à l’absence de danger. Dans le rapport d’enquête de l’employeur sur le refus de travailler, l’intimée précise [traduction] : « Cinq plaques de liaisons ont de vieux tambours de frein pour maintenir la pression sur le ressort. Une plaque de liaison est hors service. Les plaques sont toujours utilisées ». L’intimée a précisé qu’elle avait trouvé une entreprise de réparation pouvant se procurer les pièces de rechange et que celles-ci avaient été commandées.
[4] Le demandeur qui n’était pas satisfait des résultats de l’enquête de l’intimée n’est pas retourné travailler. Le comité de santé et de sécurité au travail (comité) a enquêté sur la question et s’est dit d’accord avec la conclusion d’absence de danger. Le rapport du comité mentionne qu’un poids est nécessaire pour retenir les quais 1, 2, 5, 7, 9 et 12, car les ressorts ont besoin de rajustements et que certaines pièces doivent être remplacées. Le comité a estimé que les problèmes décrits ci-dessus étaient dus à un mauvais entretien au fil des ans et a recommandé que l’intimée répare la plaque et mette en place un calendrier de services.
[5] Le demandeur ayant indiqué qu’il n’était pas satisfait des conclusions du comité, l’intimée a communiqué avec le Programme du travail le 29 octobre 2018 et le délégué ministériel a mené une enquête sur le refus de travailler du demandeur au 1540 Britannia Road East, à Mississauga, en Ontario. Le délégué ministériel a établi les faits suivants :
- L’extracteur de goujon limite les mouvements qu’un employé doit effectuer lorsqu’il accomplit la tâche;
- L’ouverture et la fermeture de la plaque de liaison se font à distance lorsqu’on utilise l’extracteur de goujon;
- Les quais en question nécessitent un entretien régulier;
- Les quais en question n’ont pas été entretenus depuis un certain temps; et
- Les jantes ne peuvent pas être une solution permanente pour alourdir les plaques de liaison.
[6] Le rapport du délégué ministériel contient également un rapport d’incident du conducteur daté du 22 août 2018, et un certificat médical indiquant que le demandeur avait déjà été blessé dans le passé en soulevant une plaque de liaison et que, pour cette raison, il avait demandé une aide médicale pour ses problèmes de dos. Le rapport contient un document intitulé Promesse de conformité volontaire dans lequel le délégué ministériel a indiqué que l’intimée ne s’était pas assurée que les plaques de liaison dans le lieu de travail étaient exemptes de déformations verticales, en particulier du fait de l’utilisation de jantes pour alourdir les plaques de liaison, et lui a demandé de remédier à cette situation au plus tard le 16 novembre 2018. Dans le même document, le délégué ministériel a également indiqué qu’il n’y avait pas d’indication ou d’étiquetage clair sur les plaques de liaison dans le lieu de travail mentionnant la capacité de charge maximale. Il a aussi demandé que cette situation soit corrigée au plus tard le 16 novembre 2018. Malgré ces observations, le délégué ministériel a conclu qu’il n’y avait aucun danger pour le demandeur.
[7] Le 2 novembre 2018, le délégué ministériel a livré en main propre au demandeur une décision d’absence de danger. La décision mentionne que le demandeur [traduction] « peut interjeter appel de la présente décision par écrit à un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada dans un délai de dix (10) jours à compter de la réception de celle-ci, en vertu du paragraphe 129(7) du Code ».
[8] Le demandeur a déposé son appel de la décision du délégué ministériel le 16 novembre 2018, soit trois jours après le délai prévu au paragraphe 129(7) du Code. Le même jour, le registraire du Tribunal a communiqué avec le demandeur pour l’aviser de l’expiration du délai et pour lui donner l’occasion de présenter des observations en vue de proroger le délai.
Question en litige
[9] La question en litige est celle de savoir si je dois exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère l’alinéa 146.2f) du Code afin de proroger le délai de dix jours prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code.
Positions des parties
[10] Le demandeur a cru qu’il disposait de dix jours ouvrables pour déposer son appel, et a déclaré qu’il avait régulièrement communiqué avec le Programme du travail tout au long du processus de refus de travailler.
[11] L’intimée s’est opposée à la demande, en citant la décision rendue dans Alex Hoffman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 TSSTC 19 (Hoffman), dans laquelle l’agent d’appel a écrit ce qui suit :
[25] […] Les tribunaux administratifs, de même que les agents d’appel, examinent et soupèsent en règle générale les facteurs suivants dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire : la durée du retard par rapport au délai d’appel, les explications de la partie pour justifier ce retard, la diligence raisonnable dont a fait preuve la partie dans les mesures qu’elle a prises, et le préjudice subi par les autres parties à la procédure.
[12] Selon les observations de l’intimée : le demandeur n’a pas agi avec diligence raisonnable; le fait qu’il ait cru de façon erronée que le délai était calculé en jours ouvrables ne représente pas des circonstances exceptionnelles; l’intimée subirait un préjudice si le délai était prorogé parce que le demandeur n’a pas respecté la procédure de refus de travailler et n’a pas travaillé depuis trois mois.
[13] L’intimée s’est aussi appuyée sur la décision rendue dans Veilleux c. Service correctionnel du Canada, 2017 TSSTC 23 (Veilleux), faisant valoir que le demandeur n’avait pas démontré une intention continue de faire appel de la décision depuis la date de réception de celle-ci jusqu’au dépôt de l’appel.
Analyse
[14] Le paragraphe 129(7) du Code prévoit un délai de dix jours pour interjeter appel d’une décision d’absence de danger. Le paragraphe 129(7) se lit comme suit :
129(7) Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128 (13) b) ou c), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois - personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin - appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.
[Je souligne.]
[15] L’alinéa 146.2f) du Code confère à l’agent d’appel le pouvoir discrétionnaire nécessaire de proroger le délai prévu pour interjeter appel :
146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :
[...]
f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;
[16] Il n’est pas contesté que le délégué ministériel a remis la décision au demandeur en main propre le 2 novembre 2018. Le délai de dix jours prévu pour interjeter appel ayant commencé à courir le 2 novembre 2018, il aurait dû normalement expirer le lundi 12 novembre 2018. Toutefois, le Tribunal était fermé ce jour-là du fait que le jour du Souvenir tombait le dimanche 11 novembre 2018. Le 12 novembre 2018 étant un jour non ouvrable (les tribunaux et les bureaux du gouvernement sont fermés ce jour-là), le délai de dix jours dont disposait le demandeur a été prorogé jusqu’au 13 novembre 2018 [Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, articles 26 et 35]. Lorsque l’appel du demandeur a été reçu le 16 novembre 2018, il accusait donc un retard de trois jours.
[17] Il n’y a pas d’élément dans le dossier indiquant comment le demandeur a compris que le délai devait être calculé en jours ouvrables. Les délais sont calculés en jours civils et non en jours ouvrables. Le paragraphe 129(7) du Code et la décision d’absence de danger qui a été remise au demandeur le 2 novembre 2018 ne précisent pas que l’appel doit être déposé dans un délai de dix jours ouvrables. La partie pertinente de la décision du délégué ministériel se lit comme suit :
La décision mentionne que le demandeur peut interjeter appel de la présente décision par écrit à un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada dans un délai de dix (10) jours à compter de la réception de celle-ci, en vertu du paragraphe 129(7) du Code.
[Je souligne.]
[18] Je tiens à reconnaître que le calcul des délais peut être un exercice complexe, en particulier lorsqu’une date limite tombe un jour férié. Je tiens également à souligner que beaucoup de personnes, dont apparemment le demandeur, peuvent croire que de tels délais sont comptés en jours ouvrables. Je recommande donc que les délégués ministériels précisent explicitement que le délai pour interjeter appel doit être compté en jours civils.
[19] Je note que le demandeur n’est pas représenté par un avocat, mais qu’il s’est efforcé de recevoir des conseils de la part du Programme du travail pour faire valoir son refus de travailler. Je fais ce commentaire pour souligner la diligence dont le demandeur a fait preuve de façon générale dans son refus de travailler. À mon avis, cela démontre que le demandeur avait l’intention de poursuivre la présente affaire jusqu’à ce qu’elle soit résolue à son entière satisfaction.
[20] La présente affaire diffère sensiblement des affaires invoquées par l’intimée. La décision Hoffman concernait une affaire dans laquelle plus de 60 jours s’étaient écoulés avant que l’appel ne soit déposé, et dans la décision Veilleux, l’appel avait été déposé 20 jours après l’envoi de la décision à la partie. Dans les deux cas, les appelants avaient fait preuve de désinvolture dans la gestion de leurs affaires. Dans le cas présent, le demandeur s’est lui-même prévalu de chaque mesure d’intervention prévue par le Code, et comme à chaque étape, il était toujours insatisfait, y compris après avoir reçu la décision du délégué ministériel, et il a continué à refuser de travailler. Sa conviction qu’un danger persiste est donc claire. Son unique erreur a été une mauvaise compréhension du calcul du délai de dix jours prescrit par le Code. Au regard des circonstances décrites ci-dessus, son retard de trois jours se situe dans un cadre tout à fait différent de celui des décisions Hoffman ou Veilleux.
[21] La décision du délégué ministériel est claire : le demandeur ne peut se prévaloir de l’article 128 du Code pour maintenir son refus de travailler sur les quais 1, 2, 5, 7, 9 et 12. Le fait que le demandeur ne se soit pas présenté à son travail depuis plus de trois mois est une question de relations de travail et non une question de santé et de sécurité au travail. J’ai lu avec attention les observations de l’intimée et je ne vois pas en quoi la prorogation du délai prévu pour interjeter appel accordé au demandeur porte préjudice à l’intimée. Je crois que les parties ont un avis réellement différent quant à la question de savoir s’il existe ou non un danger. De ce fait, cette affaire mérite une audience afin de respecter l’objectif du Code visant à prévenir les accidents et les maladies liées à l’occupation d’un emploi.
[22] J’estime que le retard de trois jours du demandeur pour interjeter appel, ses explications et la diligence raisonnable dont il a fait preuve pour persister dans son refus de travailler ne devraient pas l’empêcher d’exercer son droit de faire appel. Je suis d’avis que l’objectif du Code visant à prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi m’autorise à exercer le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré en vertu de l’alinéa 146.2f) du Code de proroger le délai de dix jours prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code.
Décision
[23] La demande de prorogation du délai est accueillie. Il sera donné suite à l’appel reçu par le Tribunal le 16 novembre 2018.
Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel
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