2019 TSSTC 3

Date : 2019-02-07

Dossiers :

2011-38

2012-22

Entre :

Francisco Diaz Delgado, Meng Liang et Hadin Blaize, appelants

et

Air Canada, intimée

Indexé sous : Delgado c. Air Canada

Affaire : Appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre de deux décisions rendues par une agente de santé et de sécurité

Décision : Les deux décisions sont annulées.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour les appelants : Me James Robbins, avocat, Cavalluzzo LLP

Pour l’intimée : Me Rhonda R. Shirreff, avocate, Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Référence : 2019 TSSTC 3

Motifs de la decision

[1] La présente décision concerne le nouvel examen de deux appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre de deux décisions d’absence de danger rendues conformément au paragraphe 129(4) du Code.

[2] L’agente de santé et sécurité (l’agente de SST) Rochelle Blain a rendu la première décision d’absence de danger le 18 juillet 2011, à la suite d’une enquête sur les refus de travailler exercés par cinq employés de l’intimée. M. Francisco Diaz Delgado et M. Meng Liang, deux des employés qui ont déposé un refus de travailler, ont porté en appel la décision de l’agente de SST Blain le 28 juillet 2011.

[3] L’agente de SST Mary Pollock a rendu la deuxième décision d’absence de danger le 12 mars 2012, à la suite d’une enquête sur le refus de travailler exercé par Mme Hadin Blaize, une autre employée de l’intimée. Mme Blaize a porté en appel la décision de l’agente de SST Pollock le 13 avril 2012.

Contexte

[4] Les parties ne contestent pas les faits qui ont mené aux présents appels. Au début de l’audience initiale, les parties ont convenu de déposer en preuve un exposé conjoint des faits pour chacun des deux appels. Je ferai référence à ces exposés dans la description des événements ayant mené aux appels.

Exposé conjoint des faits de M. Delgado, de M. Liang et de l’intimée

[5] Pendant toute la période pertinente, M. Delgado, Yan-Yee Yip, Marie-Claude Lemieux, Nadia Cabrera-Griffin, M. Liang, Jessica Bondy et Megumi Martin étaient des agents de bord à l’emploi de l’intimée et faisaient partie de l’unité de négociation des agents de bord représentée par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

[6] Le 23 juin 2011, M. Delgado était directeur de service à bord du vol AC 239 en provenance d’Edmonton à destination de Vancouver dans un avion Fin 415, auquel étaient affectées les agentes de bord Yip et Lemieux. M. Delgado a noté dans son rapport que, pendant les 15 premières minutes du vol et avant l’atterrissage, on avait senti une odeur de « fromage bleu » dans la cabine. Dans son formulaire d’enregistrement d’un refus de travailler, M. Delgado a décrit plus en détail l’odeur comme une odeur de « vieilles chaussettes » ou de « sac de sport malodorant ». Le rapport de l’agente de SST indique qu’à la suite du vol AC 239, M. Delgado et les agentes de bord Yip et Lemieux avaient été affectés à l’étape Vancouver/Toronto (AC 1162) à bord du même avion, Fin 415. Les trois employés ont exercé leur droit de refuser de travailler prévu par la loi à bord de ce vol, en se disant inquiets de la sécurité de l’avion en raison de l’odeur présente dans la cabine lors du vol AC 239. Dans son formulaire d’enregistrement d’un refus de travailler, M. Delgado a également noté que les inscriptions dans le carnet de bord cabine du Fin 415 indiquaient qu’on avait précédemment constaté une odeur dans la cabine, notamment les 18 et 19 juin.

[7] Informée du refus, la gestionnaire du personnel de cabine, Chelsea Bardock, s’est entretenue avec le capitaine, Henri Asselin, et la maintenance en ligne (maintenance) du Fin 415 concernant les préoccupations des membres de l’équipage. Dans son témoignage daté du 5 juillet 2011, le capitaine Asselin a déclaré que l’odeur qui lui avait paru, du poste de pilotage, légère, discrète et brève, avait duré deux minutes au moment du démarrage réacteur et environ huit minutes pendant l’approche et l’atterrissage lors du vol AC 239.

[8] Il semble, selon un rapport conjoint de l’employeur et du comité en milieu de travail (le rapport de l’employeur et du comité en milieu de travail) et selon le formulaire de refus de travail, que le capitaine Asselin ait indiqué que le Fin 415 pouvait voler en toute sécurité pour le vol AC 1162 et que l’odeur notée sur le vol AC 239 serait aussi perceptible pendant le décollage et l’atterrissage à bord du vol AC 1162. Dans une déclaration distincte du capitaine Asselin, celle-là datée du 4 juillet 2011, celui-ci mentionne qu’à bord du vol AC 1162 sur le Fin 415, des odeurs légères et discrètes avaient été présentes environ deux minutes au démarrage réacteur, dix minutes à l’approche, et que la maintenance avait jugé que le Fin 415 était en bon état de service et de navigabilité et qu’il pouvait voler en toute sécurité pour assurer le vol AC 1162.

[9] Le rapport de l’employeur et du comité en milieu de travail révèle que la maintenance croyait que l’odeur dans la cabine était attribuable à la présence d’huile quelque part dans le système de circulation d’air, sans savoir exactement où. Bien que la directrice de l’équipage Bardock ait expliqué à l’équipage que l’exploitation du Fin 415 pour le vol AC 1162 ne présentait aucun danger, comme l’en avait informé le capitaine Asselin et la maintenance, les employés ayant exercé le refus ont exprimé leur désaccord et maintenu leur refus de travailler. Après avoir été informés du maintien du refus de travailler, les membres du comité en milieu de travail sont montés à bord de l’avion. Le rapport de l’employeur et du comité en milieu de travail indique que plusieurs autres agents de bord qui étaient affectés au vol AC 1162 ont également choisi de refuser de travailler après avoir été informés des raisons du refus de travailler.

[10] Le directeur de service de l’équipage de remplacement, Meng Liang, et les agentes de bord J. Bondy et M. Martin ont par la suite été affectés au vol AC 1162 et étaient là lorsque M. Delgado a expliqué à la directrice de l’équipage Bardock et aux membres du comité en milieu de travail les raisons de son refus et l’historique du Fin 415 étayé dans le carnet des défectuosités cabine. C’est alors que M. Liang a refusé de travailler, tout comme les autres membres de l’équipage de remplacement.

[11] Le formulaire d’enregistrement du refus de travailler de M. Liang indique qu’il a choisi de refuser de travailler [traduction] « après avoir été informé par l’équipage précédent qu’une étrange odeur forte et d’origine inconnue avait été constatée à bord du même avion à l’étape Edmonton/Vancouver; les mécaniciens n’avaient pas été en mesure de trouver la source et la raison de l’odeur. »

[12] Le chef de l’équipe de maintenance, R. McKellar, a livré le témoignage suivant :

[45] [Traduction] La maintenance pensait que l’odeur sur le Fin 415 pendant le vol Edmonton/Vancouver provenait de la présence d’huile dans le circuit pneumatique et avait communiqué avec le contrôle des opérations de maintenance (COM) pour connaître l’historique de cette odeur;

[46] La maintenance était au courant du problème, et la gestion de la flotte avait demandé un temps d’arrêt à Toronto pour obtenir plus d’information;

[47] Ni les moteurs ni le groupe auxiliaire de bord (APU) du Fin 415 n’affichaient de consommation élevée d’huile.

[13] De plus, selon le rapport du comité en milieu de travail et le formulaire de refus, M. McKellar aurait ajouté que :

  • quelques gouttes d’huile suffisaient pour produire une odeur
  • la source de l’huile pouvait être une bavure, une tache, des gouttes ou un palier
  • une vérification de maintenance du Fin 415 à Vancouver a révélé qu’il n’y avait ni quantité excessive d’huile ni consommation d’huile élevée dans les moteurs ou l’APU et que la consommation d’huile était normale
  • il n’y a pas de liste minimale d’équipements (LME) pour la qualité de l’air
  • l’avion était sécuritaire

[14] Selon ces deux mêmes documents, le capitaine Asselin a expliqué aux membres de l’équipage qui persistaient à refuser de travailler que l’odeur serait présente pendant 10 à 15 minutes seulement au décollage et à l’atterrissage. Certains membres de l’équipage (Lemieux, Bondy et Martin) ont alors choisi de rester pour assurer le vol AC 1162, tandis que MM. Delgado et Liang et d’autres (Yip et Cabrera-Griffin) ont maintenu leur refus de travailler à bord du vol AC 1162 sur le Fin 415, tout en précisant qu’ils étaient prêts à faire des tâches qui n’exigeaient pas leur présence sur le Fin 415. Après quoi, l’agente de SST Blain a été avisée du maintien des refus.

[15] Les rapports de maintenance d’Air Canada pour la période du 18 au 26 juin 2011 et le rapport de l’agente de SST indiquent les « anomalies techniques » et les interventions de maintenance suivantes pendant cette période sur le Fin 415 :

  • 18 juin 2011 – À la descente à 10 000 pieds, on a signalé une odeur dans la classe J qui semblait provenir du système de climatisation (une « odeur de moisi provenant de l’office »). On a remplacé deux filtres avant à Toronto le 19 juin 2011, après quoi l’avion a été jugé en bon état de service
  • 19 juin 2011 – On a signalé une mauvaise odeur à la descente. La maintenance a fait tourner les groupes de conditionnement d’air pendant une demi-heure sans réussir à détecter d’odeur désagréable à bord de l’avion
  • 19 juin 2011 – Concernant les deux éléments précédents, le carnet indique que les passagers ont senti une forte odeur « de vieilles chaussettes/de pieds » et de « sac de sport malodorant » environ dix minutes avant l’atterrissage, et que les passagers des classes J/C étaient incommodés. La maintenance a indiqué qu’elle avait fait tourner l’APU avec le prélèvement d’air et les groupes de conditionnement d’air, mais qu’elle n’avait pas réussi à détecter d’odeur
  • 20 juin 2011 – On a demandé une mesure de maintenance après les deux incidents mentionnés ci-dessus, mesure qui a été reportée à Toronto le même jour. Le journal de la maintenance fait référence à une inspection de l’APU et des conduits à l’aide d’une lumière noire
  • 22 juin 2011 – On a signalé une « odeur de vieilles chaussettes » qui semblait provenir du système de climatisation. La maintenance a noté l’incident ainsi qu’une « anomalie technique » en cours. Le rapport de l’agente de SST indique une entrée au journal ce jour-là comme quoi la maintenance avait trouvé une fuite provenant du compartiment hydraulique jaune, remplacé la vanne d’arrêt principale jaune et effectué une détection de fuites. La maintenance a précisé que de l’huile s’était sans doute écoulée de la roue de la quille du logement de train dans le fuselage et dans l’entrée de l’APU
  • 23 juin 2011 – On a signalé une « odeur de vieilles chaussettes » provenant du système de climatisation pendant les 15 premières et les 15 dernières minutes de vol, et les entrées au registre de maintenance indiquent que le problème a été reporté le même jour à Edmonton

[16] Dans son rapport, l’agente de SST Blain a noté une entrée au journal pour le 24 juin 2011, indiquant que, alors qu’elle tentait de régler un problème d’odeur, la maintenance avait constaté que la quille du logement de train était mouillée sur la partie inférieure du fuselage de l’avion vers l’entrée de l’APU et qu’elle avait lavé et séché la zone en question et que les raccords dans la roue du logement de train d’atterrissage principal avaient fait l’objet d’une vérification d’étanchéité, sans repérer aucune fuite.

[17] Le 26 juin 2011, le rapport de maintenance sur le Fin 415 indique notamment ce qui suit :

  • APU mouillé d’huile, détection de fuites d’huile avec lumière noire et nettoyage
  • mise en marche de l’APU et nouvelle détection de fuites; aucune fuite détectée et absence d’huile sur l’APU
  • absence d’huile sur le conduit d’air de l’APU
  • première étape de décontamination effectuée
  • remplacement des deux filtres de recirculation
  • vérification du conduit entre la vanne de décharge de vapeur et la soupape de surpression sans détection d’huile
  • vérification des circuits de prélèvement d’air pendant le roulement au sol à puissance élevée sans détection d’odeur notable

[18] Après une enquête sur les refus de travailler à Vancouver, l’agente de SST Blain a rendu une décision d’absence de danger concernant le vol AC 1162 sur le Fin 415 le 23 juin 2011. La section « Faits » de son rapport indique ce qui suit :

  • [Traduction] selon toute vraisemblance, la fuite hydraulique était du Skydrol LD4, dont la composition est précisée dans la fiche signalétique (FS) et qui n’est pas considérée comme une marchandise dangereuse. Si l’huile est chauffée, il faut mesurer la température et les vapeurs pour déterminer le niveau de concentration. À l’état de vapeur ou de brume, elle peut causer une irritation des yeux, de la peau et des voies respiratoires
  • la valeur plafond pour le Skydrol LD4 selon la FS est fondée sur une exposition moyenne pondérée de 8 heures par jour, 40 heures semaine. Aucune mesure n’a été prise relativement à l’odeur ou aux concentrations à bord du vol AC 239 sur le Fin 415 d’Edmonton à Vancouver, et on n’a pas déterminé la durée de l’exposition
  • il n’y a aucun moyen de savoir si le Skydrol LD4 est le seul produit à avoir causé l’odeur. D’autres produits ou sous-produits pourraient avoir contribué à produire l’odeur, mais il est impossible de le confirmer, car aucune mesure n’a été faite, et la durée de l’exposition n’a pas été établie
  • un représentant du fabricant du Skydrol LD4 (Solutia) a indiqué que le « stock de base » (les trois premières composantes énumérées dans la FS sous « composition ») serait sans doute très irritant s’il était inhalé, mais qu’il n’y aurait pas d’effets à long terme sur la santé
  • les membres de l’équipage se sont uniquement plaints d’une odeur et n’ont signalé aucune maladie ni aucun symptôme découlant de ladite odeur, que ce soit en personne, au moment de leur refus de travailler ou dans leurs déclarations écrites de refus

Exposé conjoint des faits de Mme Blaize et de l’intimée

[19] Pendant toute la période pertinente, Mme Blaize travaillait comme agente de bord pour l’intimée et était membre de l’unité de négociation des agents de bord représentée par le SCFP. Le 4 janvier 2012, elle assurait le vol AC 119 de Toronto à Calgary à bord d’un Airbus A320 portant la désignation Fin 214. Elle devait assurer l’étape suivante du vol, AC 215, de Calgary à Vancouver. L’agente de SST Pollock souligne dans son rapport que Mme Blaize a remarqué, dans la partie arrière de l’avion lors du vol AC 119, une odeur qu’elle a décrite comme une « odeur de vomi/forte odeur de pieds/chaussures », qui était ressentie pendant le refoulement et s’était dissipée « quelques minutes/un instant » après le décollage. Selon Mme Blaize, pendant le vol, « l’air/O2 était sec » de la partie alaire jusqu’à la partie arrière de l’avion, et il [traduction] « était un peu plus difficile de prendre des grandes respirations », ce qui lui avait [traduction] « peut-être donné la nausée ».

[20] Selon le rapport de l’agente de SST Pollock, lorsque les portes de l’avion ont été fermées et que l’avion a été sur la piste en service, le directeur de vol de l’AC 119 a informé Mme Blaize qu’une entrée avait été faite dans le carnet des défectuosités cabine concernant le Fin 214 vers le 28 ou 30 décembre. Le carnet faisant mention d’un problème au sujet d’un groupe de conditionnement d’air inopérant ou d’une possible fuite d’huile. À son arrivée à Calgary, Mme Blaize a appris que le même appareil (le Fin 214) allait servir pour l’étape de vol suivante en direction de Vancouver (AC 215). Elle a exercé son droit de refuser de travailler parce qu’elle ne se sentait pas à l’aise en raison de l’odeur présente à bord du vol AC 119 ni en sécurité en raison du carnet des défectuosités cabine concernant le Fin 214. Mme Blaize était le seul membre de l’équipage de cabine à avoir été affecté à la liaison à l’arrivée à Calgary et qui devait faire l’étape suivante (AC 215) à destination de Vancouver.

[21] La directrice de l’équipage de cabine de l’intimée, Mme Tracey Ibbott, a été informée par le coprésident pour les employés du comité en milieu de travail, K. Allbright, que Mme Blaize avait refusé de consulter un médecin à Calgary parce qu’elle n’avait plus de symptômes. Ayant été informée que l’intimée préférait qu’un médecin l’examine par mesure de précaution, Mme Blaize a avisé l’agente de SST Pollock qu’elle avait appelé son médecin de famille vers le 5 janvier 2012, sans faire d’autres commentaires.

[22] Après avoir été informée du refus de Mme Blaize, Mme Ibbott a rencontré le capitaine Brent Martell, qui devait piloter le Fin 214 pour le vol AC 215 et qui a indiqué qu’il y avait des anomalies techniques liées à l’APU et que l’APU était inopérant en raison d’une possible fuite d’huile dans le groupe de conditionnement d’air et que l’odeur associée à l’élimination de la fuite d’huile se dissiperait après le décollage. Mme Ibbot a avisé Mme Blaize qu’il n’y avait pas de fuite de carburant sur le Fin 214. Le capitaine Martell a aussi expliqué la nature des anomalies techniques à Mme Blaize. Le capitaine Martell avait été prévenu que l’APU de l’avion était inopérant en raison d’une légère infiltration d’huile, qu’il pourrait y avoir une odeur au moment du refoulement et de l’atterrissage pendant environ deux minutes, que le Fin 214 était opérant, et que si des odeurs suspectes étaient remarquées à la circulation à la surface, il retournerait immédiatement au quai.

[23] Ces explications ont convaincu Mme Ibbot qu’il n’y avait pas de danger, mais Mme Blaize a indiqué qu’elle maintenait son refus de travailler. On lui a ensuite remis la FS du Mobil Jet Oil II, ainsi qu’un exemplaire du message « Globe » sur les odeurs dans la cabine. La maintenance a également fourni les renseignements suivants :

  • l’APU et le groupe de conditionnement d’air no 2 avaient été désactivés en raison de l’odeur
  • le 3 janvier 2012, les filtres à air et les filtres à ozone avaient été remplacés, ainsi que la vanne de régulation de débit sur le groupe de conditionnement d’air no 2
  • l’APU de l’avion devait être changé et l’appareil décontaminé à Toronto, la nuit du 4 janvier 2012

[24] Le contrôle de la maintenance a plus tard fait savoir que les pilotes ou l’équipage du vol AC 215, rencontrés à leur arrivée à Vancouver, n’avaient signalé aucune odeur. Le capitaine a informé le directeur de l’équipage de cabine, Colin Murphy, qu’il n’y avait pas de problème qui pouvait, à sa connaissance, être dangereux pour l’équipage et a ajouté que la LME concernant l’APU ne devrait pas poser de problème. On a également rencontré les agentes de bord affectées au vol AC 215. Les deux agentes de bord qui étaient assises à l’arrière de l’avion ont affirmé qu’elles n’avaient rien senti. Le directeur de service et l’agente de bord assise à l’avant ont indiqué avoir détecté une légère odeur pendant la montée et la descente, mais ont ajouté qu’ils se sentaient bien. Selon l’agente de bord, l’odeur se comparait à celle de « vieilles chaussettes », mais un simple nettoyage de la moquette aurait peut-être suffi à dissiper l’odeur. L’agente de bord n’a eu ni mal à la tête ni mal au cœur et a ajouté que l’équipage était plus sensible parce qu’il était au courant des problèmes entourant le Fin 214.

[25] RHDCC (maintenant Emploi et Développement social Canada) /Transports Canada a été informé du refus de travailler le 4 janvier 2012, et l’agente de SST Wylie a ouvert son enquête le jour même. Le 16 février 2012, l’agente de SST Wylie a avisé l’intimée que le dossier avait été transféré à l’agente de SST Pollock, qui a terminé son enquête le 13 mars 2012.

[26] Le Fin 214 avait été inspecté par la maintenance avant le vol AC 215. L’inspection portait sur les anomalies techniques liées au signalement d’odeurs dans la cabine lors de vols précédents, et l’incident suivant a été signalé entre le 28 décembre 2011 et le 4 janvier 2012 :

  • 28 décembre 2011 – Deux employés affectés au vol AC 190 ont signalé une odeur dans la cabine. Le premier employé a noté une forte odeur de « vieilles chaussettes moisies ». La maintenance a fait le suivi, confirmé que les réservoirs d’huile de l’APU et des moteurs étaient pleins, mais n’a relevé aucune odeur ni aucun historique. Selon le capitaine, l’avion avait été déglacé et la maintenance pensait que l’odeur venait du liquide dégivrant, elle n’avait trouvé aucun défaut lié à l’avion et l’avait déclaré en bon état de service. Selon le deuxième employé, une forte odeur de « vieilles chaussettes mouillées » était perceptible à l’embarquement et l’incident avait été inscrit dans le carnet
  • 31 décembre 2011 – La maintenance a remplacé les filtres de recirculation, attribuant la faute à une apparente fuite d’huile dans l’APU et, conformément à la LME, désactivant la vanne de décharge de l’APU. Le même jour, la maintenance a indiqué que l’APU avait besoin d’une « vérification de l’huile » et noté que l’avion restait conforme à la LME
  • 1 janvier 2012 – À bord du vol AC 418, une « odeur de vieilles chaussettes » dans la cabine a été signalée à la descente à peu près au même moment que l’antigivrage. La maintenance a indiqué que le problème avait été réglé le 2 janvier 2012, affirmant que la vanne de décharge de l’APU avait été désactivée et demandant à l’équipage de « rester à l’affût d’une odeur de chaussettes ».
  • 3 janvier 2012 – Une mauvaise odeur a été signalée, qui a duré jusqu’après le décollage. Aucune odeur n’a été sentie en mode de croisière, mais l’odeur est réapparue à une altitude de moins de 5 000 pieds lorsqu’on a désactivé les systèmes servant à purger l’APU. Selon la maintenance, l’APU respectait la LME, la vanne de décharge était verrouillée, le système de climatisation avait été décontaminé, et les filtres de recirculation et d’ozone avaient été remplacés. Soulignant qu’un roulement au sol n’avait produit aucune odeur, la maintenance a indiqué qu’[traduction] « il ne fallait pas utiliser le prélèvement APU jusqu’à ce que l’APU soit remplacé »
  • 4 janvier 2012 – Un employé affecté au vol AC 464 a signalé la présence d’une brume sèche à l’arrière de l’avion au moment du décollage jusqu’au stade de puissance nominale, affirmant que cela sentait [traduction] « comme si quelque chose surchauffait » et qu’il y avait une [traduction] « odeur de chaussettes sales lorsque le groupe de conditionnement d’air no 2 était activé ». Étant donné la répétition de ces anomalies techniques, la maintenance a demandé au Service de l’ingénierie de procéder à une évaluation. Le même jour à bord de l’AC 119, une « odeur de vieilles chaussettes » a été signalée dans la cabine et le poste de pilotage après le démarrage réacteur. L’odeur s’est dissipée pendant la circulation à la surface et avait complètement disparu après le décollage. À nouveau le 4 janvier 2012, cette fois sur le vol AC 215, un agent de bord (R. Del Rosario) a signalé une odeur de « vieilles chaussettes/tapis mouillé » à l’avant de la cabine pendant la circulation à la surface et le décollage. La maintenance a fait remarquer que les préposés au nettoyage avaient été avisés de nettoyer à fond et de désodoriser la cabine
  • 5 janvier 2012 – Le Fin 214 a été retiré du service toute la journée pour permettre le remplacement de l’APU

[27] Selon M. Murphy, la directrice de service, Mme Brigitte Forget, qui avait été affectée au vol AC 215, à la suite du refus de Mme Blaize le 4 janvier 2012, a signalé que, pendant l’étape de vol suivante, le vol AC 100, elle et l’équipage avaient remarqué une odeur de « pieds mouillés/malodorants » dans la cabine. Mme Forget a fourni les détails suivants :

  • le copilote était aux toilettes depuis un bon moment et, quand il en est sorti, il a dit qu’il ne se sentait pas très bien et qu’il avait vomi plusieurs fois
  • Mme Forget et les trois autres agents de bord avaient remarqué une forte odeur déplaisante pendant le vol, que Mme Forget avait décrit comme une odeur de pieds mouillés/malodorants et une « odeur corporelle » dans le poste de pilotage, bien que les pilotes aient semblé maintenir une très bonne hygiène
  • Mme Forget et l’équipage de cabine avaient eu mal à la tête et Mme Forget avait eu la nausée et s’était sentie étourdie, même s’il lui arrivait parfois d’avoir mal à la tête pendant les vols. Toutefois, à la fin du vol, elle avait un goût de « métal » ou d’« huile » dans la bouche. Elle n’avait pas pu dormir lorsqu’elle était arrivée à son hôtel. Elle se sentait bien maintenant, quoique fatiguée en raison du manque de sommeil

[28] Comme il est indiqué ci-dessus, l’agente de SST Pollock a rendu sa décision d’absence de danger le 26 mars 2012. Son rapport d’enquête indique notamment ce qui suit :

  • Air Canada avait instauré des processus et des procédures pour gérer les incidents liés à des odeurs depuis novembre 2011 et, grâce à ces processus et procédures, Air Canada était en mesure de déterminer le produit auquel Mme Blaize avait été exposée à bord du vol AC 119
  • Air Canada s’était engagée à suivre des procédures strictes d’enquête de maintenance et de dépannage pour régler les incidents liés à des odeurs
  • l’hygiéniste industriel d’Air Canada avait mené et conclu l’enquête sur les substances dangereuses ouverte par Transports Canada le 4 novembre 2011, et les renseignements avaient été transmis au groupe en vol par Globe, une méthode de communication en ligne avec l’équipage de cabine
  • Mme Blaize avait reçu une copie de la FS du Mobil Jet Oil II. Selon cette FS, le Mobil Jet Oil II ne devait pas avoir d’effets néfastes sur la santé si on l’utilisait normalement et qu’on respectait les normes d’hygiène. Le produit pouvait se décomposer à des températures élevées ou en cas de feu et provoquer une irritation ou des vapeurs nocives de monoxyde de carbone. Les symptômes d’exposition aigüe à ces produits de décomposition pouvaient comprendre des maux de tête, des nausées et une irritation des yeux, du nez et de la gorge
  • l’hygiéniste industriel de RHDCC a confirmé que le Mobil Jet Oil n’était ni un produit contrôlé ni une substance dangereuse
  • il n’est pas rare que des gens réagissent à cette odeur, et certains peuvent y réagir plus que d’autres. L’odeur peut être forte pendant de courts moments, mais elle disparaît au bout de quelques minutes. Un faible seuil ne signifie pas qu’une odeur est nocive, pas plus que la présence d’une odeur ne signifie qu’il y a un danger pour la santé
  • concernant la situation découlant du refus de Mme Blaize, Air Canada avait verrouillé la vanne de décharge de l’APU le 31 décembre 2011, remplacé les filtres et suivi une procédure de décontamination le 3 janvier 2011. Une procédure de décontamination brûle l’huile résiduelle dans le système de climatisation, mais il peut subsister une mauvaise odeur à cause de la chaleur produite pendant cette procédure. Bien qu’un groupe de conditionnement d’air (no 2) ait été inopérant, le directeur du soutien technique de la maintenance d’Air Canada (E. Bérubé) et l’inspecteur des travaux de maintenance de Transports Canada ont confirmé que le fait d’avoir un groupe de conditionnement d’air inopérant ne changeait pas la qualité de l’air

[29] Comme les preuves documentaires et les témoignages se recoupent, j’ai entendu les appels des décisions d’absence de danger ensemble du 3 au 7 juin 2013 et du 11 au 13 septembre 2013 à Toronto, en plus de deux autres appels. Le 27 août 2015, j’ai traité les deux autres appels dans la décision Air Canada c. Syndicat canadien de la fonction publique, 2015 TSSTC 14. Je ferai donc référence à cette décision dans les présentes comme la décision connexe.

[30] Le 27 août 2015, j’ai rendu une deuxième décision (la décision), concernant cette fois les appels de MM. Delgado et Liang, ainsi que de Mme Blaize, dans laquelle j’ai maintenu les décisions susmentionnées d’absence de danger rendues par les agentes de SST Blain et Pollock. Les appelants ont présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision auprès de la Cour fédérale. Le 6 juin 2017, la Cour fédérale a annulé la décision, soumis l’affaire au soussigné pour nouvel examen et précisé que le nouvel examen devait se limiter à la preuve initialement soumise au soussigné ainsi qu’à la transcription de l’appel initial, tout en autorisant les parties à présenter des observations supplémentaires.

[31] Le 3 octobre 2017, le Tribunal a communiqué avec les parties pour les informer de ma disponibilité en vue de réexaminer les deux appels conformément aux instructions de la Cour fédérale. Le 21 décembre 2017, j’ai ordonné aux parties de m’aviser de leur intention de présenter des observations. Les appelants et l’intimée ont déposé des observations supplémentaires que je résumerai ci-dessous. MM. Delgado et Liang, ainsi que Mme Blaize, agissent par l’entremise de la composante d’Air Canada du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

Question en litige

[32] Au début de ces appels, le soussigné a énoncé que la question qu’il doit trancher consiste à déterminer si, au moment des refus de travailler, les appelants étaient exposés à un danger au sens donné à ce terme au paragraphe 122(1) du Code alors en vigueur. Il s’agirait de la question « générale » à trancher dans ces appels. Le soussigné a précisé que, bien que les circonstances de chaque refus, y compris les refus dont il est question dans la décision connexe, puissent différer légèrement entre elles, la question qui est au centre de tous ces appels était le fait que chaque refus de travailler provenait d’employés qui ont senti une odeur qui a été décrite comme une odeur de « sac de sport malodorant » ou de « vieilles chaussettes » ou qui ont été informés de la présence d’une telle odeur dans les aéronefs en cause. L’ensemble de la preuve présentée dans ces quatre appels porte sur cette question. Selon le soussigné, la question particulière à trancher ici est celle de savoir si ladite odeur a servi à signaler à ces employés l’existence d’un danger qui justifiait leur refus de travailler. À ce stade, la question à trancher reste la même.

[33] Cependant, par suite de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Air Canada, 2017 CF 554, dans laquelle la Cour, ayant conclu que l’analyse effectuée par le soussigné dans sa décision et dans la décision connexe affichait une contradiction, ce qui empêche de savoir quel résultat aurait prévalu pour ces deux décisions si l’analyse avait été cohérente dans celles-ci, a établi que la décision devait être examinée de nouveau, afin de corriger l’incohérence ou de clarifier et d’expliquer les raisons d’un apparent conflit. En ce qui a trait à ce nouvel examen, la Cour a évoqué le temps et les sommes qu’il faudrait consacrer à une nouvelle audition de la preuve et a jugé que le dossier de preuve existant était plus que suffisant pour une nouvelle détermination juste. Par conséquent, la Cour a décidé que la nouvelle détermination serait limitée à la preuve déposée à l’origine devant le soussigné, à la « transcription » des appels originaux, en plus des observations additionnelles que les parties pourraient choisir de soumettre.

Observations des parties

A) Observations des appelants

[34] Les observations des appelants s’articulent autour du raisonnement énoncé dans la décision de la Cour fédérale dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision initiale du Tribunal dans la présente cause et la conclusion de la Cour selon laquelle il y avait une incohérence entre cette décision et celle que la Cour désigne comme la décision « connexe » qui, s’appuyant sur des faits semblables et une preuve conjointe, a conclu à la validité des instructions de « contravention » contestées lors de l’appel interjeté par l’employeur, Air Canada, et qui n’a pas été soumise à un contrôle judiciaire.

[35] Bien que la Cour ait demandé au Tribunal d’expliquer ou de corriger l’incohérence entre la décision et la décision connexe, les appelants ont affirmé que cette soi-disant incohérence ne pouvait s’expliquer et qu’elle devait donc être corrigée et que, par conséquent, les décisions initiales quant à l’absence de danger devaient être invalidées. Les appelants soutiennent que le Tribunal a appliqué une norme de preuve inappropriée concernant le lien de causalité dans la décision, à savoir la certitude scientifique, tandis qu’il a appliqué la norme de preuve appropriée dans la décision connexe, à savoir la prépondérance des probabilités.

[36] À la lumière de cette observation, les appelants affirment que la même norme de preuve aurait dû s’appliquer, tant pour la décision que pour la décision connexe, puisque la norme de preuve pour en venir à une conclusion dans un appel d’une décision d’« absence de danger » en vertu du paragraphe 129(7) du Code et d’un appel d’une instruction fondée sur une contravention aux termes du paragraphe 146(1) du Code est la même, soit la prépondérance des probabilités. Les appelants soutiennent donc que si l’agent d’appel avait appliqué la norme de preuve appropriée quant au lien de causalité dans la décision, il serait parvenu à un résultat conforme à la décision connexe et qu’il aurait établi l’existence d’un « danger », puisque ces deux affaires concernent la probabilité qu’une exposition à un air de prélèvement vicié cause des blessures ou une maladie chez les employés qui y sont exposés, lorsque la fiche signalétique (FS) se voit accorder une pondération appropriée pour le traitement de la question du lien causal.

[37] Les appelants font ensuite remarquer que l’objet de l’enquête n’était pas d’établir si le danger existe, mais de déterminer la cause du danger et, plus important encore, d’en empêcher la récurrence, conformément à l’objet préventif du Code qui, lorsqu’il a été invoqué dans la décision connexe, a correctement mené à un constat de risque prévisible exigeant la tenue d’une enquête. Par conséquent, les appelants suggèrent que le droit des employés de refuser un travail dangereux devrait être confirmé, lorsque les mêmes faits mènent à la conclusion qu’il existe une possibilité que la santé des employés soit compromise en raison d’un risque prévisible.

[38] Les appelants estiment que la décision connexe a été rendue à juste titre et que la décision devrait être corrigée au moyen d’un constat de danger afin d’assurer la cohérence puisque l’incohérence ne peut s’expliquer de manière satisfaisante.

[39] Les appelants ont signalé trois questions particulières soulevées par l’incohérence relevée dans la décision de la Cour fédérale : (1) la norme de preuve inappropriée quant à la causalité; (2) le fait que les décisions semblent appliquer des normes de preuve différentes sans les identifier explicitement; et (3) le fait que la décision n’a pas abordé l’application de l’objet du Code ni expliqué si l’objet pouvait être à l’origine des résultats différents obtenus dans la décision et dans la décision connexe. Les appelants font valoir que le droit des employés de refuser un travail dangereux devrait être confirmé, lorsque les mêmes faits amènent à conclure qu’il existe une possibilité que la santé des employés soit compromise en raison d’un risque prévisible.

[40] Compte tenu du recours à une norme de preuve inappropriée quant à la causalité, les appelants affirment que le Tribunal devrait procéder à une réévaluation de la preuve d’expert et, plus particulièrement, de la preuve d’ordre médical incontestée, non pas sous l’angle de la « certitude scientifique » ou de la « rigueur scientifique » conformément à la méthodologie de la toxicologie, mais selon les méthodes scientifiques utilisées pour étudier l’exposition au travail. De l’avis des appelants, cela pourrait se faire en se fiant à la FS ou en tenant compte à la fois de la FS et de la cohérence de la preuve d’expert qui l’accompagne.

[41] Les appelants insistent sur le fait que l’application de la prépondérance des probabilités, plutôt que la certitude scientifique, donnerait des résultats cohérents pour les deux décisions et permettrait de conclure qu’il existait un danger dans les présents appels.

[42] Pour ce qui est de l’argument des appelants relatif au fait que les décisions semblent appliquer des normes différentes en matière de preuve, les appelants maintiennent qu’il n’y a qu’une seule norme de preuve et un seul seuil de preuve pertinent aux deux décisions : la norme civile de la prépondérance des probabilités et que, par conséquent, le traitement de la FS doit être cohérent, tant dans la décision que dans la décision connexe. Donc, selon les observations des appelants, le Tribunal devrait prendre en considération la FS et sa cohérence avec la preuve d’expert dans la présente affaire selon la prépondérance des probabilités, ce qui viendrait appuyer un constat de danger et règlerait les questions relatives au recours à la norme appropriée quant à la relation de cause à effet qui ont été soulevées par la Cour fédérale.

[43] Pour terminer, les appelants ajoutent que, du fait de l’objet préventif du Code, le Tribunal est tenu de conclure à un « danger » et de confirmer le droit des employés de refuser de travailler, lorsque le Tribunal estime qu’il existe un risque prévisible pour la santé et la vraisemblance d’un danger pour les employés, et demandent un nouvel examen de la décision et l’établissement d’un constat de « danger » dans l’appel en cause.

Observations de l’intimée

[44] L’intimée soutient qu’il est possible d’expliquer et de clarifier facilement l’incohérence ou le conflit apparent qui a été relevé dans le contrôle judiciaire, entre la décision et la décision connexe, pour les motifs suivants : (1) la compétence du Tribunal dans la décision connexe était sensiblement limitée; (2) l’agente de SST Pollock n’a pas donné d’instructions en vertu du paragraphe 145(2) du Code, comme elle était tenue de le faire lorsqu’elle a conclu à l’existence d’un danger dans les circonstances des refus de travailler des agents de bord Laporte et Martinez; et (3) les faits qui sous-tendent la décision et la décision connexe, quoique fort semblables à plusieurs égards, n’étaient pas identiques, et le Tribunal ne les a pas considérés comme identiques. L’intimée estime également que la preuve d’expert qui a été soumise au Tribunal appuyait clairement la décision.

Compétence

[45] En ce qui concerne l’argument de l’intimée selon lequel la compétence du Tribunal était limitée dans le cadre de la décision connexe, l’intimée constate que le rapport d’enquête d’octobre 2011 de l’agente de SST Pollock et l’instruction à l’égard du refus de travailler de l’agent de bord Laporte précisent qu’Air Canada contrevenait à l’alinéa 125.1(f) du Code et à l’article 5.4 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (aéronefs) (Règlement), et souligne que l’alinéa 125.1(f) du Code exige qu’un employeur mène une enquête et réalise une évaluation de la manière prescrite si des employés sont susceptibles d’être exposés à des substances dangereuses, tandis que l’article 5.4 du Règlement énonce la manière prescrite. L’agent d’appel a confirmé l’instruction relative à l’agent de bord Laporte dans la décision connexe.

[46] Dans le rapport d’enquête et les instructions en date du 23 décembre 2011 de l’agente de SST Pollock concernant le refus de travailler de l’agente de bord Martinez, il est indiqué qu’Air Canada a contrevenu à l’alinéa 125(1)(s) et au paragraphe 125.2(1) du Code. L’alinéa 125(1)(s) stipule qu’un employeur est tenu de veiller à ce que soient portés à l’attention de chaque employé les risques connus ou prévisibles que présente pour sa santé et sa sécurité l’endroit où il travaille. L’agent d’appel a aussi confirmé cette instruction dans la décision connexe.

[47] Le paragraphe 125.2(1) exige qu’un employeur fournisse des renseignements sur tout produit contrôlé auquel l’employé ayant exercé un refus de travailler pourrait avoir été exposé, et ce, à un médecin ou à tout autre professionnel de la santé qui lui en fait la demande, afin de poser un diagnostic médical à l’égard d’un employé qui se trouve dans une situation d’urgence, ou afin de traiter celui-ci. L’agent d’appel a annulé l’instruction puisqu’aucun médecin ni autre professionnel de la santé n’avait formulé une telle demande dans le cas du refus de travailler de Mme Martinez.

[48] L’intimée soutient que, dans son instruction à l’égard des refus de travailler des agents de bord Martinez et Laporte, la conclusion de l’agente de SST Pollock selon laquelle la source de l’odeur de « vieilles chaussettes » présentait dans chaque cas un danger et entraînerait les obligations prévues aux alinéas 125(1)(s) et 125.1(f) du Code, a été établie sans pouvoir bénéficier de la vaste preuve d’expert ultérieurement présentée au Tribunal au moment de l’appel dans les affaires en cause.

[49] Selon l’intimée, l’agent d’appel n’était pas en mesure de donner suite aux constatations de danger de l’agente de SST Pollock concernant les refus de travailler des agents de bord Laporte et Martinez, parce que l’agente de SST Pollock n’a pas donné d’instructions en vertu du paragraphe 145(2) du Code, comme il est exigé au moment d’un constat de « danger ». Pour des raisons que l’agente de SST Pollock n’a pas fournies ni dans le rapport d’enquête pour les agents de bord Laporte ou Martinez ni dans les instructions, ses instructions ont plutôt été données en vertu du paragraphe 145(1) du Code.

[50] Bien qu’Air Canada ait tenté d’interjeter appel des constats de danger de l’agente de SST Pollock pour les refus de travailler des agents de bord Laporte et Martinez, l’intimée fait référence à une lettre envoyée par le Tribunal le 18 avril 2012, dans laquelle l’agent d’appel déclare qu’en vertu des paragraphes 129(7) et 146(1) du Code, seules les instructions et les décisions d’« absence de danger » sont susceptibles d’être portées en appel, parce que le Code ne contient aucune disposition qui autorise un employeur à interjeter appel d’une conclusion de danger isolée comme celle qui a été rendue par l’agente de SST Pollock à l’égard des refus de travailler des agents Laporte et Martinez. L’intimée soutient que, par conséquent, bien que le Tribunal ait eu compétence pour entendre les appels d’Air Canada visant les instructions des agents de bord Martinez et Laporte, il n’était pas habilité à examiner les constats de danger de l’agente de SST Pollock, parce que ces constats avaient été rendus en vertu du paragraphe 145(1) et non pas du paragraphe 145(2).

[51] Selon l’intimée, ce problème de compétence dans la décision connexe est au cœur de ce qui a semblé à la Cour fédérale être une incohérence ou un conflit entre la décision et la décision connexe. Comme l’agente de SST Pollock a rendu des constats de danger en vertu du paragraphe 145(1) du Code, l’intimée les décrit comme revêtant, pour l’essentiel, un caractère immuable puisque le Tribunal ne pourrait pas renverser ces conclusions en s’appuyant sur la preuve d’expert soumise, pas plus qu’il ne pourrait ignorer ces conclusions au moment de son examen des appels des instructions des agents de bord Martinez et de Laporte par Air Canada.

[52] L’intimée explique que, comme les conclusions de danger rendues par l’agente de SST Pollock à l’égard des refus de travailler des agents de bord Martinez et Laporte devaient être maintenues, le Tribunal n’avait, en fait, pas d’autre choix que de conclure qu’Air Canada avait l’obligation, dans le contexte du refus de travailler de Mme Martinez, de porter à l’attention des employés chaque risque connu ou prévisible pour la santé ou la sécurité, comme il est prévu à l’alinéa 125(1)(s) du Code; ainsi que l’obligation, dans le contexte du refus de travailler de M. Laporte, de mener une enquête et d’évaluer l’exposition des employés à une substance dangereuse, comme il est prévu au paragraphe 125.1(f) du Code.

[53] L’incapacité du Tribunal à examiner si, en vertu du Code, les conclusions de danger isolées de l’agente de SST Pollock étaient étayées par la preuve soumise contraste nettement avec la compétence accordée par le paragraphe 129(7) du Code en vue d’examiner et de confirmer le constat d’absence de danger de l’agente de SST Blain pour les refus de travailler de MM. Delgado/Liang ainsi que le constat d’absence de danger par l’agente de SST Pollock pour le refus de travailler de Mme Blaize.

[54] L’intimée affirme que le Tribunal avait accepté que la concentration de substances à l’origine de l’odeur de « vieilles chaussettes » et la persistance de cette odeur pendant les vols de MM. Delgado/Liang et de Mme Blaize en litige étaient des éléments insuffisants pour poser un danger, en raison du témoignage d’expert approfondi et des rapports auxquels les agentes de SST Blain et Pollock n’avaient pas accès pendant leurs enquêtes respectives sur les refus de travailler de MM. Delgado/Liang et de Mme Blaize. Par conséquent, dans sa décision, le Tribunal a confirmé les conclusions d’absence de danger de l’agente de SST Blain et de l’agente de SST Pollock.

Recoupement entre la décision et la décision connexe

[55] Dans l’expression de ses préoccupations quant à l’incohérence ou au conflit entre la décision et la décision connexe, la Cour fédérale déclare que « le Tribunal a reconnu que les faits sous-jacents de la décision et de la décision connexe sont identiques ». À cet égard, l’intimée fait valoir que cette déclaration ne reflète pas fidèlement la façon dont le Tribunal a qualifié les faits sous-jacents.

[56] L’intimée souligne qu’au paragraphe 193 de la décision connexe, bien que le Tribunal ait reconnu que la preuve soumise dans les deux séries d’appels était « identique », il ne va pas jusqu’à décrire les faits sous-jacents dans les séries d’appels comme étant « identiques », affirmant :

Cependant, j’ai mentionné à répétition des appels parallèles présentés par des employés d’Air Canada à savoir si un danger était présent dans des circonstances essentiellement identiques aux présents appels par Air Canada et la preuve présentée dans les deux séries de cas est identique, un fait que l’appelante ne doit pas ignorer.

[L’intimée souligne]

[57] En outre, l’intimée signale que le Tribunal n’a pas caractérisé les faits sous-jacents comme étant « identiques » dans la décision, qu’il a plutôt exprimé que « les preuves documentaires et les témoignages se recoupent » entre la série d’appels du SCFP et la série d’appels d’Air Canada dans le premier paragraphe de la décision lorsqu’il fait référence à l’appel interjeté par Air Canada à l’encontre des décisions de l’agente de SST Pollock relativement aux refus de travailler des agents de bord Martinez et Laporte. Toujours dans le premier paragraphe de la décision, le Tribunal écrit que : « Les circonstances de ces derniers appels sont très semblables à celles des appels visés par la présente décision. Une décision séparée sera rendue relativement aux appels d’Air Canada. »

[L’intimée souligne]

[58] Pour terminer, l’intimée met de l’avant le paragraphe 159 de la décision dans lequel l’agent d’appel affirme que :

[159] La question que doit trancher le soussigné dans les présents appels consiste à déterminer si, au moment de leur refus de travailler, les employés Delgado, Liang et Blaize d’Air Canada étaient exposés à un danger, au sens du paragraphe 122(1) du Code. Faute d’une meilleure description, je dirais qu’il s’agit de la question « générale » à trancher dans ces appels. Toutefois, même si les circonstances des refus varient légèrement d’un employé à l’autre, notamment dans le cas des refus des agents de bord LaPorte et Martinez, qui font l’objet d’une décision parallèle mentionnée précédemment, la question qui est au centre de toutes les causes est le fait que ces refus proviennent tous d’employés qui ont soit senti une odeur soit en ont été informés, odeur qui a été décrite comme une odeur de « sac de sport malodorant » ou de « vieilles chaussettes ».

[L’intimée souligne]

Preuve d’expert

[59] Pour terminer, l’intimée fait valoir que la preuve d’expert qui a été soumise au Tribunal appuie clairement la décision. Les titres de compétence du Dr Pleus comme expert en toxicologie restaient inégalés par les témoins experts de la SCFP. Le Dr Pleus a conclu, selon un degré raisonnable de certitude scientifique par suite de l’application rigoureuse d’une méthodologie d’évaluation du risque toxicologique comportant quatre étapes, qui est acceptée par la collectivité scientifique, que la dose et la durée d’exposition que les agents de bord Delgado, Liang et Blaize pourraient raisonnablement avoir subies étaient insuffisantes pour menacer leur santé et leur sécurité.

[60] L’intimée affirme que l’inquiétude exprimée par la Cour fédérale quant à l’incohérence ou au conflit apparent entre la décision et la décision connexe s’expliquait facilement et que la conclusion du Tribunal à l’égard de la décision d’absence de danger dans le cas des refus de travailler des agents Delgado/Liang ou Blaize ne devrait pas être modifiée.

Réplique des appelants

Compétence

[61] Les appelants estiment que l’argument de l’intimée quant à la compétence ne règle pas la question relative à l’incohérence soulevée par la Cour fédérale, puisqu’il ne fait aucun doute que le Tribunal avait compétence pour entendre l’appel à l’encontre des instructions dans la décision connexe.

[62] Pour appuyer cette position, les appelants font valoir que la Cour fédérale a constaté que les instructions faisant l’objet de l’appel dans la décision connexe étaient, comme il a été confirmé par le Tribunal, liées au risque que la santé soit compromise et a établi que le terme « danger » et l’expression « compromettre la santé » signifiaient la même chose, alors que dans un cas, on utilise un nom et dans le second cas, un verbe. Les appelants poursuivent en affirmant que la Cour fédérale n’a pas laissé entendre que la décision et la décision connexe ont été rendues aux termes de dispositions relatives au « danger » ni que le Tribunal était tenu d’accepter que les affaires dont il est question dans la décision connexe avaient mené à des constats de danger, influant sur la capacité du Tribunal à trancher les appels à l’encontre des instructions dans la décision connexe.

[63] Les appelants précisent que les conclusions de danger de l’agente de SST Pollock dans les cas portés en appel dans la décision connexe ne constituaient pas le fondement de la décision du Tribunal de confirmer les instructions, puisque le Tribunal a constaté que les instructions n’avaient pas été émises en vertu du paragraphe 145(2) du Code, mais qu’il s’agissait plutôt d’« instructions de contravention » données en vertu du paragraphe 145(1) du Code et, pour cette raison, elles étaient « indépendantes » des conclusions de danger de l’agente de SST.

[64] Le point général des appelants concernant l’argument de l’intimée relatif à la compétence est que le problème ne relève pas de la compétence, mais plutôt des « conclusions contradictoires » inexpliquées dans deux décisions mettant en cause une preuve identique et des dispositions réglementaires au libellé très similaire.

Recoupement entre la décision et la décision connexe

[65] Les appelants soutiennent que l’argument de l’intimée relatif au fait que l’incohérence apparente entre la décision et la décision connexe peut s’expliquer par le caractère non identique des faits sous-jacents aux deux décisions est intenable.

[66] Le premier problème décelé par les appelants dans les observations de l’intimée est que les appelants ne relèvent aucune différence factuelle entre les décisions ayant un caractère significatif pouvant expliquer les différents résultats, et ce, parce que, de l’avis des appelants, il n’y en a pas. Le deuxième problème, selon les appelants, est que les incohérences jugées troublantes par la Cour fédérale dans sa décision n’étaient pas fondées sur les différences factuelles entre les cas et que le présent processus de nouvel examen ne constitue pas un appel de la décision de la Cour fédérale. Les appelants sont d’avis que tant Air Canada et, avec le plus grand respect, le présent Tribunal, sont dans l’obligation d’accepter les conclusions de la Cour fédérale.

[67] Un autre problème que soulèvent les appelants dans leur réplique est que l’argument de l’intimée omet de tenir compte du traitement différencié accordé aux mêmes faits. Pour terminer, les appelants précisent que le simple fait que l’intimée n’a pu signaler aucune différence factuelle d’importance montre bien que les différences factuelles n’ont pas joué un rôle dans le raisonnement du Tribunal.

[68] Les appelants réitèrent que la décision doit être examinée de nouveau et qu’une conclusion de danger doit être rendue dans les appels à l’étude.

Analyse

[69] Avant d’examiner les questions soulevées par la Cour fédérale dans le contrôle judiciaire de la décision, j’estime qu’il est nécessaire de se pencher sur un énoncé formulé par les appelants dans leur réplique. Les appelants mentionnent que le Tribunal ou, pour plus de précisions, le soussigné, ne siège pas en appel de la décision de la Cour fédérale et est, par conséquent, tenu d’accepter les conclusions de la Cour fédérale, puisque l’incohérence entre la décision et la décision connexe ne peut s’expliquer et qu’il faut donc modifier la décision.

[70] Je n’ai aucune hésitation à convenir avec les appelants que le présent processus de nouvel examen n’est pas un appel de la décision de la Cour fédérale. Cependant, quand elle a conclu à une incohérence apparente entre la décision et la décision connexe, deux décisions s’appuyant sur des faits identiques, la Cour fédérale a précisé que la contradiction n’était « pas intelligible, à moins qu’il y ait une explication claire de la différence entre les décisions. » Dans la décision, j’ai conclu qu’il y avait absence de danger et, dans la décision connexe, j’ai conclu à l’existence d’une contravention au Code. L’incohérence apparente soulevée par la Cour fédérale semble principalement reposer sur l’assimilation de ma conclusion concernant la nécessité pour l’employeur de mener une enquête « si la santé ou la sécurité d’un employé risque d’être compromise par l’exposition à une substance dangereuse » [italiques ajoutés] à un constat de danger.

[71] Le commentaire de la Cour fédérale permet au soussigné, dans sa recherche d’une explication à fournir, d’offrir une interprétation différente quant à l’objet de la décision et donc de clarifier l’incohérence apparente. À mon avis, l’émission d’une instruction relative à une contravention à l’alinéa 125.1(f) du Code et au paragraphe 5.4(1) du Règlement ne correspond pas à un constat de danger, au sens donné à ce terme au paragraphe 122(1) du Code.

Cohérence entre la décision et la décision connexe

[72] Les règles relatives à l’interprétation des lois disposent que c’est le libellé du Code, en application duquel le Règlement est adopté et invoqué, qui détermine le sens et l’objet du Règlement, et non le contraire. Dans le but d’aborder la question de l’incohérence soulevée dans le contrôle judiciaire, je dois non seulement examiner le texte du Règlement qui contient les termes « risque » et « compromise », mais également le texte intégral de cette deuxième disposition prévue par la loi et son objectif déclaré de mener une enquête. Je dois le faire pour évaluer si ce « risque » existe à la lumière du texte intégral du Code dont l’application est invoquée dans la présente affaire. La Cour fédérale a correctement décrit le terme « compromise » comme la forme verbale du terme danger, mais il faut préciser que, dans la décision connexe, l’agent d’appel ne cherchait pas à établir s’il existait un « danger », mais seulement si une contravention au Code et à son règlement d’application avait été commise.

[73] À mon avis, un simple examen de la terminologie employée dans les dispositions mises de l’avant dans l’instruction et dans la définition de « danger » devrait permettre de clarifier l’intention de l’agent d’appel dans la décision connexe. L’intention de l’agent d’appel dans la décision connexe n’était pas d’en venir à un constat de « danger »; il s’agissait plutôt de conclure que l’employeur avait omis de prendre les mesures d’enquête adéquates en vue d’établir s’il existait réellement un « danger » dans la situation dénoncée par les employés. L’alinéa 125.1(f) du Code se lit comme suit :

125.1 Without restricting the generality of section 124 or limiting the duties of an employer under section 125 but subject to any exceptions that may be prescribed, every employer shall, in respect of every work place controlled by the employer and, in respect of every work activity carried out by an employee in a work place that is not controlled by the employer, to the extent that the employer controls the activity,
[…]

(f) where employees may be exposed to hazardous substances, investigate and assess the exposure in the manner prescribed, with the assistance of the work place committee or the health and safety representative

125.1 Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124 et des obligations spécifiques prévues à l’article 125, mais sous réserve des exceptions qui peuvent être prévues par règlement, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :
[…]

f) dans les cas où les employés peuvent être exposés à des substances dangereuses, d’enquêter sur cette exposition et d’apprécier celle-ci selon les modalités réglementaires et avec l’aide du comité local ou du représentant

[Je souligne]

[74] L’alinéa 125.1(f) du Code se lit en partie comme suit en anglais « where employees may be exposed [italiques ajoutés] » et la loi indique, dans le texte en français, « dans les cas où les employés peuvent être [peut-être dans sa forme adverbiale] exposés [italiques ajoutés] ». Dans ces deux langues, les termes « may be » et « peuvent être » servent simplement à exprimer une possibilité. Le Canadian Oxford Dictionary, 1 édition, définit le mot « may » par « expressing possibility », et le dictionnaire Le Petit Robert, 2004, définit « peut-être », qui est la forme adverbiale au singulier de « peuvent être », comme un « adverbe de modalité marquant le doute, indiquant que l’idée exprimée par la proposition ou une partie de la proposition est une simple possibilité ».

[75] Conformément à l’alinéa 125.1(f) du Code, la constatation de la possibilité d’un risque d’exposition exige la tenue d’une enquête et d’une évaluation de l’exposition en cause de la manière prescrite par le règlement pris en application du Code et aux fins qui sont énoncées dans les présentes. À cette étape, avant l’enquête, il subsiste une possibilité d’exposition. La nature, l’étendue et le niveau de dangerosité de l’exposition doivent être déterminés par l’entremise de l’enquête prescrite. La disposition qui a mené à la contravention à l’alinéa 125.1(f) du Code, comme il est confirmé dans la décision connexe, est le paragraphe 5.4(1) du Règlement. Cette disposition doit être interprétée à la lumière de l’obligation imposée à chaque employeur aux termes du paragraphe 5.3 du Règlement d’établir « un dossier des substances dangereuses utilisées, manipulées ou entreposées en vue d’être utilisées à bord de l’aéronef ». L’alinéa 5.4(1)(a) du Règlement se lit comme suit :

5.4 (1) If there is a likelihood that the health or safety of an employee is or may be endangered by exposure to a hazardous substance, the employer shall, without delay,

(a) appoint a qualified person to carry out an investigation in that regard

5.4 (1) Si la santé ou la sécurité d’un employé risque d’être compromise par l’exposition à une substance dangereuse, l’employeur, sans tarder :

a) nomme une personne qualifiée pour faire enquête sur la situation

[Je souligne]

[76] L’alinéa 5.4(1)(a) du Règlement prévoit donc que « si la santé ou la sécurité d’un employé risque d’être compromise par l’exposition à une substance dangereuse, [italiques ajoutés] » [« may be endangered »], l’employeur sera tenu de nommer « une personne qualifiée pour faire enquête sur la situation [italiques ajoutés] » [« in that regard »]. En outre, aux termes des alinéas 5.4(2)(g) et 5.4(2)(h) du Règlement, l’employeur doit prendre en compte « la concentration ou le niveau de la substance dangereuse auquel l’employé risque d’être exposé » et « la probabilité que la concentration d’un agent chimique dans l’air ou le niveau de rayonnement ionisant ou non ionisant soit supérieur à 50 % des valeurs visées à l’article 5.16 ou des limites prévues au paragraphe 5.19(2) ». Ces obligations se rapportent aux limites d’exposition qui ne doivent pas être dépassées pour un agent chimique dans l’air, telles qu’elles ont été fixées par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists dans le document Threshold Limit Values (TLVs) and Biological Exposure Indices (BEIs). Toute concentration ou niveau le dépassant représente un danger.

[77] Bien qu’il soit exact d’affirmer que le mot « likelihood » dans la version anglaise de la disposition a le sens de « probability », l’analyse faite dans le présent paragraphe doit tenir compte du texte intégral de la disposition dont l’objectif est l’enquête et l’évaluation de cette « likelihood » ou ce risque (« investigation in that regard » et « enquête sur la situation »). Le mot « likelihood » est rendu dans la version française par « risque », défini au Petit Robert comme un « danger éventuel plus ou moins prévisible ».

[78] Cela étant dit, la lecture de l’intégralité du Code et du Règlement dans l’instruction qui est au cœur de la question à trancher révèle, dans sa forme la plus simple, une conclusion pouvant être exprimée comme un constat de la possibilité d’un risque (« the possibility of a probability »). Une telle conclusion est quelque peu éloignée de la caractéristique positive d’un constat de « danger », qui repose sur un seuil probatoire plus élevé quant à l’existence ou à l’existence possible d’un danger raisonnablement susceptible de causer des blessures ou de rendre une personne malade.

[79] Je répète donc la mention de la cause Agence Parcs Canada et M. Doug Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada, décision no 02-009 (23 mai 2002) que j’ai faite dans la décision :

[189] […] Comme l’établit la cause Agence Parcs Canada et M. Doug Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada décision no 02-009 (23 mai 2002), il faut faire la distinction entre le risque et le danger, comme ce terme est défini dans le Code. Le risque est la possibilité que survienne une blessure ou maladie. Pour qu’il y ait un danger, il ne suffit pas qu’il y ait une possibilité de blessure ou de maladie; il faut en plus un risque raisonnable que la blessure ou la maladie survienne avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[80] Si le soussigné devait accepter le raisonnement apparent de la Cour fédérale selon lequel l’expression « être compromise » dans une disposition du Règlement équivaut à une conclusion de « danger », je suis d’avis que toute situation où un employeur contreviendrait à une disposition, moyennant l’emploi de la même terminologie, entraînerait automatiquement une conclusion de « danger ». J’estime qu’un constat de « danger » exige la réalisation d’une analyse et d’un examen plus poussés en vue d’établir si le risque conduisant à l’application d’une disposition, comme le paragraphe 5.4 du Règlement, est suffisamment grave pour correspondre à la définition de « danger ».

[81] J’appuie cette opinion sur les propos tenus par l’agent d’appel dans la décision Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19 :

[115] […] La violation d’une disposition du Code ou du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) ne justifie pas un refus de travailler sauf si elle comporte un risque suffisamment élevé pour constituer un « danger ». Il n’y a eu aucune mention par les parties, ou par l’intervenant, de ces violations alléguées. La réponse à une contravention est une instruction de contravention donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code, et non une instruction relative à un danger en vertu du paragraphe 145(2) du Code.

[82] Dans la décision connexe, l’agente de SST n’a pas émis d’« instruction relative à un danger ». L’agent d’appel n’a envisagé l’« instruction constatant une contravention » que sous l’angle de la survenance ou non d’une contravention au Code. Dans la décision, l’agent d’appel a examiné si l’allégation de « danger » était fondée ou non. Une conclusion relative à l’existence d’un risque d’être compromis diffère d’une conclusion relative à un danger au sens qui est prévu dans le Code.

La prépondérance des probabilités

[83] Après avoir conclu à l’absence d’une véritable incohérence entre la décision et la décision connexe, je vais maintenant revoir la preuve soumise par les parties dans la décision. La Cour fédérale a affirmé que j’ai semblé ne pas avoir appliqué la norme de preuve appropriée concernant le lien de causalité, qui est la prépondérance des probabilités. L’avis de la Cour fédérale découle essentiellement de la déclaration que j’ai faite concernant la nature des éléments de preuve nécessaires pour établir la relation de cause à effet prévue dans la définition de « danger » entre un risque, une situation ou une tâche et l’effet qu’il peut avoir sur la santé et la sécurité des employés :

[180] [...] Il s’ensuit que, pour que j’en arrive à une conclusion de danger dans un cas de contamination de l’air, il doit y avoir une preuve médicale ou scientifique qui établisse une relation de cause à effet entre les conditions environnementales dans le lieu de travail et la possibilité qu’un employé soit blessé ou tombe malade; à défaut d’une telle preuve, cette conclusion est tout simplement conjecturale.

[84] La Cour fédérale a en déduit que cet énoncé signifiait que l’agent d’appel avait appliqué une norme probatoire exigeant une certitude scientifique, tandis que l’expectative raisonnable qu’une maladie survienne pourrait être établie par des avis d’expert ou au moyen d’une inférence découlant logiquement et raisonnablement des faits connus pour les besoins de l’application d’une norme de preuve de la prépondérance des probabilités. Il vaut la peine de souligner à cet égard que j’ai fait cette déclaration concernant l’avis du Dr Harrison. Le Dr Harrison a soutenu qu’en l’absence d’une collecte de données précises sur l’air cabine, les [traduction] « examens mécaniques sont une preuve suffisante indiquant que des aérocontaminants toxiques étaient libérés dans l’air cabine et pouvaient vraisemblablement menacer la santé des employés ». Il a écarté le fait que les deux autres témoins experts, qui ont fourni la majeure partie de la preuve dans cette affaire, ont essentiellement présenté une preuve d’ordre médical et scientifique par l’intermédiaire de leurs rapports et témoignages.

[85] La preuve reçue et étudiée est clairement exposée dans la décision et il n’est donc pas nécessaire de répéter cette information dans la présente analyse. Cependant, le nouvel examen doit tenir compte, tout comme la décision, de l’absence d’échantillon d’air prélevé ou d’essai réalisé dans tous les cas précis des refus de travailler qui ont donné lieu à la décision. Compte tenu de l’absence d’une telle preuve, l’ensemble des faits qui ont été examinés par l’agent d’appel, exception faite du témoignage d’un témoin chevronné appelé à fournir des explications techniques, mais qui n’a pas été reconnu comme témoin expert par l’agent d’appel, étaient limités à des avis, inférences, déductions et hypothèses d’ordre médical et scientifique formulés par des experts dont les points de vue et avis, malgré leur caractère sûrement fort savant, cadraient néanmoins avec les positions adoptées par chacune des parties qui les avaient convoquées.

[86] En bref, la preuve sur laquelle s’appuie la décision, hormis les exposés conjoints des faits qui étaient limités aux circonstances individuelles des employés ayant refusé de travailler, provient du témoignage de quatre témoins. Trois de ces témoins étaient des experts qui, en l’absence de données concrètes, ne pouvaient fournir qu’un témoignage d’opinion, quoique savant. M. Supplee, que je décrirais comme un témoin spécialiste des questions techniques pour favoriser la compréhension, était le quatrième témoin. Le témoignage de M. Supplee a servi, en somme, à expliquer le fonctionnement du système de circulation d’air à bord des aéronefs. Il a également donné des éclaircissements sur la provenance de l’odeur répréhensible et de l’air de prélèvement vicié, et souligné que cette odeur pouvait émaner d’une très petite quantité d’huile moteur ou de fluide hydraulique. Dans la décision, j’ai affirmé ce qui suit à l’égard du témoignage de M. Supplee :

[168] De plus, je retiens la preuve et le témoignage de M. Supplee, selon lesquels la cause probable de la contamination de l’air cabine serait l’usure d’un joint d’étanchéité dans les moteurs ou l’APU de l’avion, qui aurait entraîné une fuite de l’huile moteur, du fluide hydraulique et d’autres contaminants comme des composés pyrolysés et des produits de contamination résiduels, ainsi que d’autres émanations externes et substances de dégivrage.

[87] Dans la décision, j’ai également attiré l’attention sur le fait que les parties n’affichaient aucune divergence d’avis quant à la nature du risque, à savoir la contamination de l’air cabine :

[168] [...] Si j’en juge par les composantes de ces fluides, qui comprennent le TCP et le TOCP, et les substances ou composés qui peuvent résulter d’une pyrolyse, je suis convaincu que l’air cabine dans le Fin 415 et 214 où l’on a senti l’odeur était contaminé par des substances chimiques. Il convient de souligner à cet égard que, même si les avis des témoins experts diffèrent sur la nature de ces substances, tous s’entendent pour dire que l’air cabine était contaminé. Ainsi, pour les fins de mon analyse du danger, le risque qui pouvait causer une maladie ou des blessures est l’air de prélèvement vicié. Cela ne signifie pas, cependant, qu’un danger menaçait la santé des employés.

[Je souligne.]

[88] En outre, j’ai clairement défini les éléments communs des circonstances de ces appels et cela n’a pas été remis en question :

[176] [...] Dans tous les cas, il est fort probable que l’odeur de vieilles chaussettes soit attribuable à la présence du Mobil Jet Oil et du Skydrol vaporisé dans l’air cabine [...]. C’est probablement arrivé à la suite d’une défaillance mécanique du joint d’étanchéité de l’huile. Dans tous les cas, l’exposition des employés aux situations liées à des émanations a été de courte durée, et la voie de l’exposition a été l’inhalation, comme l’ont souligné les deux parties. La maintenance d’Air Canada a suivi de façon générale la procédure recommandée par Airbus pour chercher et éliminer les causes de la contamination de l’air.

[Je souligne.]

[89] Dans le cas des trois experts, la preuve qu’ils ont fournie est exposée en détail dans la décision et il n’est pas nécessaire de la répéter. La Cour fédérale a indiqué que le nouvel examen de la décision pouvait être effectué à partir de la preuve qui avait été soumise initialement et mentionnée dans la décision. Je demeure néanmoins conscient du fait suivant que j’ai mentionné dans la décision :

[171] [...] Autrement dit, comme les faits et circonstances de chaque cause se recoupent et que chaque expert a eu l’occasion de tirer ses propres conclusions selon son domaine de spécialisation scientifique, on doit accepter une certaine perméabilité entre leurs opinions, et l’agent d’appel doit déterminer dans quelle mesure cette perméabilité est acceptable, et l’effet qu’elle pourrait avoir sur la décision finale.

[90] La Cour fédérale a déterminé que l’évaluation de la preuve faite par l’agent d’appel était non fondée en raison des commentaires cités précédemment sur la preuve d’ordre médical et scientifique. En gros, lorsqu’une preuve médicale et scientifique est présentée à l’appui d’une position, la preuve d’un non-spécialiste pourrait ne pas suffire pour renverser celle-ci. Je garde toujours à l’esprit que l’acception d’une preuve scientifique comme celle qui est la plus convaincante ne modifie en aucune façon la norme de preuve pour une norme de certitude scientifique; la norme de preuve demeure la prépondérance des probabilités.

[91] Je me suis penché de nouveau sur la preuve soumise par les experts tout en ayant la norme de la prépondérance des probabilités clairement à l’esprit. Pris dans leur ensemble, conjointement au constat commun relatif à la contamination de l’air cabine par des substances chimiques, au constat que l’odeur était révélatrice de la présence de ces substances, mais non du degré de toxicité sous l’angle de la dangerosité pour la santé, j’estime que ces témoignages d’opinion ne sont pas convaincants quant à l’existence ou non d’un danger dans les cas visés aux présentes. Pour parvenir à cette conclusion, j’ai aussi tenu compte des indicateurs dans les FS et les TLVs pertinents pour les substances en cause, en plus du constat quant à la présence de sous-substances qui résultent de la pyrolyse.

[92] Autrement dit, les avis formulés par les témoins experts, et il faut rappeler qu’il ne s’agit que de cela, même s’il s’agit de savantes opinions, ne sont pas, à mon avis, assez convaincants individuellement pour faire pencher la balance en faveur d’une conclusion de danger ou non. Sans répéter la preuve avancée par chaque expert, j’ai retenu ce qui suit comme élément d’une importance particulière à l’égard de la présente conclusion. Dans le cas du Dr Weisel, un témoin des appelants, l’élément central de son témoignage tiré des conclusions de son rapport est ce qui suit :

[Traduction] En outre, une fuite d’huile dans l’air de prélèvement entraîne la libération dans l’air cabine d’un aéronef d’un mélange de composés chimiques qui comprend des substances chimiques dangereuses et toxiques. On a demandé au personnel de cabine de travailler dans un aéronef présentant une fuite d’huile dont la source n’avait pas été identifiée ni réparée correctement après avoir senti une odeur associée avec cette fuite d’huile.

Je suis d’avis que les odeurs perçues par le personnel de cabine provenaient d’une fuite d’huile moteur dans l’air de prélèvement, tandis que l’APU était en marche et que ces odeurs émanaient d’un mélange de substances chimiques composées de produits chimiques dangereux et toxiques. Ce mélange aurait été composé d’huile moteur ou de produits de pyrolyse de l’huile.

[93] À la page 4 de son rapport, le Dr Weisel précise également :

[Traduction] Toutefois, aucun ensemble exhaustif de mesures en vol des composés ou des concentrations connexes pendant les conditions de fonctionnement perturbé, comme lorsque des situations liées à des odeurs surviennent en raison d’une fuite d’huile moteur dans l’air de prélèvement sur des vols commerciaux, n’a été rapporté. De plus, aucune étude épidémiologique n’a été réalisée pour vérifier si l’équipage de cabine ou les passagers avaient été malades (qu’il s’agisse de problèmes de santé aigus ou chroniques) après avoir été exposés à l’air contenant des odeurs liées à l’infiltration d’huile dans l’air de prélèvement à bord d’un avion commercial. Une telle situation est attribuable, du moins en partie, au fait que ces incidents surviennent assez rarement. Ainsi, il faudrait analyser un très grand nombre de vols pour réunir suffisamment d’échantillons d’air et de données sur la santé de l’équipage et des passagers lors de vols avec incidents pour déterminer si des effets sur la santé sont liés à ces incidents.

[Je souligne.]

[94] Dans la décision, l’agent d’appel a accepté les conclusions du Dr Weisel, ainsi que les limites qu’il a énoncées sur la question centrale ici, savoir si l’exposition se traduisait par des effets sur la santé :

[177] L’expert mandaté par le Syndicat, le Dr Weisel, a conclu que, lorsqu’une odeur était présente, il était raisonnable de penser que l’équipage de cabine à bord de l’avion pourrait être exposé à un mélange de composés dangereux associés à une fuite d’huile dans l’air de prélèvement de l’avion, si celui-ci ne faisait pas l’objet d’un entretien approprié visant à trouver et à réparer la fuite d’huile. Il fait observer que le mélange contenait sans doute des isomères du TCP, du DPP et divers hydrocarbones et produits de pyrolyse de l’huile moteur. Il se fie aussi à l’information obtenue grâce au rapport de Golder Associates, qui indique que l’APU émettait des composés qui avaient réduit la qualité de l’air cabine dans le vol d’essai réalisé dans le cadre de cette étude.

[178] Je suis convaincu par la preuve présentée qu’il y avait bel et bien un mélange de produits chimiques dans l’air cabine à la suite de la pyrolyse de l’huile moteur, et que les employés ont été exposés à ce mélange. Toutefois, comme il n’a pas été établi avec précision quels composés se trouvaient dans ce mélange et dans quelle proportion, il ne s’ensuit pas nécessairement que le mélange était toxique pour les employés. En effet, le Dr Weisel admet dans son rapport qu’il n’y a pas eu d’études épidémiologiques pour vérifier si l’équipage de cabine ou les passagers avaient été malades après avoir été exposés à l’air contenant des odeurs liées à l’infiltration d’huile dans l’air de prélèvement. Il concède également qu’il faudrait évaluer un grand nombre de vols afin de déterminer si des effets sur la santé sont effectivement liés à de telles situations.

[Je souligne.]

[95] L’agent d’appel a estimé, en ce qui a trait aux situations mentionnées dans la référence précitée, qu’il serait un peu imprudent de conclure, en l’absence de l’information notée par le Dr Weisel, qu’une telle exposition à un air de prélèvement vicié entraîne des effets sur la santé qui correspondent à une maladie ou à des blessures pour un employé.

[96] Le Dr Harrison a témoigné pour l’appelant. Le témoignage du Dr Harrison visait clairement à compléter celui du Dr Weisel. Le Dr Harrison a concentré son analyse sur l’évaluation qualitative d’études de cas portant sur des patients qui ont été exposés à une contamination semblable de l’air à bord d’un avion. Il s’est appuyé sur son expérience auprès de ces patients, ainsi que sur son guide publié à l’intention des fournisseurs de soins de santé sur l’exposition à d’autres contaminants dans l’air de prélèvement d’un avion, pour établir les symptômes qui peuvent découler de ces contaminants et leurs effets toxiques possibles. L’agent d’appel a jugé qu’il était difficile de considérer les études de cas du Dr Harrison comme étant déterminantes dans les présents appels, car on ne connaît pas la manière dont il a recueilli et analysé ses données. De plus, le Dr Harrison ne connaissait pas les circonstances (la durée, la fréquence, l’intensité, etc.) entourant l’exposition des patients aux contaminants. Son témoignage ne pouvait soutenir une conclusion selon laquelle les agents de bord qui ont refusé de travailler avaient des raisons valables de penser qu’ils pourraient avoir des problèmes de santé aigus ou chroniques par suite d’une exposition aux aérocontaminants toxiques présents à bord de l’avion. Néanmoins, le Dr Harrison mentionne ce qui suit dans les commentaires et les conclusions de son rapport :

[Traduction] Comme il est résumé dans mon guide publié à l’intention des fournisseurs de soins de santé, après une exposition à l’air de prélèvement et à d’autres contaminants à bord d’un avion, les membres de l’équipage de cabine peuvent avoir des symptômes aigus, comme de la toux, un essoufflement, des nausées, des douleurs thoraciques, des maux de tête, des étourdissements et de la confusion. Ces symptômes indiquent des effets toxiques aux systèmes respiratoire et nerveux central. Les examens physiques peuvent révéler une respiration sifflante ou un grésillement dans les poumons, tandis que les examens neurologiques peuvent dévoiler une dégradation de l’équilibre, de la démarche et de la coordination. Si les symptômes persistent, un examen objectif pourrait révéler une fonction pulmonaire anormale et des troubles de concentration ou de mémoire ou d’autres anomalies cognitives.

[97] Dans les cas en l’espèce, aucun des employés ayant exercé son refus de travailler n’a souffert des symptômes énumérés par le Dr Harrison, exception faite d’une légère nausée. Néanmoins, le Dr Harrison a formulé la conclusion suivante :

[Traduction] Par conséquent, les agents de bord d’Air Canada qui ont refusé de travailler avaient des raisons valables de penser qu’ils pourraient avoir des problèmes de santé aigus ou chroniques à la suite d’une exposition aux aérocontaminants toxiques présents à bord de l’avion.

[98] Pour terminer, tenant compte du constat que l’aéronef avait enregistré quelques problèmes mécaniques, mais qu’aucune mesure de l’air n’a été prise ni aucun échantillon prélevé dans chacun des cas où des employées ont refusé de travailler, le Dr Harrison est d’avis que : [traduction] « les examens mécaniques sont une preuve suffisante indiquant que des aérocontaminants toxiques étaient libérés dans l’air cabine et pouvaient vraisemblablement menacer la santé des employés. »

[99] Le témoignage du Dr Pleus, qui a témoigné pour l’intimée, a été longuement résumé dans la décision, et il suffit, pour les besoins des présentes, de rappeler les principes qui sous-tendent son opinion et la conclusion générale qui en est tirée. Son analyse était fondée sur le principe de toxicologie selon lequel : « la simple présence d’un produit chimique dans l’environnement ou la voie d’exposition » ne justifie pas une conclusion selon laquelle ces produits chimiques pourraient avoir ou auront des effets toxicologiques indésirables. Il a également cité le principe fondamental de la toxicologie, qui dit « le poison, c’est la dose ». L’autre principe de base de son analyse est que [traduction] « la plupart sinon la totalité des agents chimiques ont un seuil d’exposition qui doit être franchi pour que des effets toxicologiques se produisent », cela signifie que [traduction] « pour qu’une exposition à un agent menace la santé humaine, l’exposition doit être de concentration et de durée suffisantes pour produire la dose interne nécessaire pour dépasser ce seuil. »

[100] Répétant encore une fois que, dans tous les cas présents, que ce soit dans la décision ou dans la décision connexe, aucun échantillon d’air n’a été prélevé ni essai effectué et que, par conséquent, il n’existe aucune donnée susceptible d’étayer une analyse, la conclusion tirée par le Dr Pleus, compte tenu du fait qu’une part importante de son analyse s’appuie sur les résultats provenant d’études sur des animaux, est la suivante :

[Traduction] [...] J’ai supposé que les employés pouvaient avoir été exposés au fluide hydraulique et à l’huile moteur dans l’air cabine où ils travaillaient, bien qu’aucune donnée objective (p. ex., des mesures de l’air) ne vienne appuyer cette affirmation. La documentation en toxicologie est fondamentale dans l’évaluation des risques pour la santé, qu’il s’agisse d’une exposition à court ou à long terme. Je concentre mes efforts sur des agents donnés et sur le mélange des agents chimiques qui composent ces produits. Je réalise une procédure habituelle d’évaluation du risque toxicologique qui repose sur les normes professionnelles. En outre, je me suis également penché sur l’odeur nauséabonde qui est l’élément déclencheur mentionné par les personnes dans ces rapports. Les odeurs nauséabondes ne sont pas de bons indicateurs de risque pour la santé, car l’odeur n’a pas de corrélation avec la toxicité. Les odeurs ne sont donc pas des indicateurs fiables de danger dans de nombreux cas d’exposition à des produits chimiques. Bien que les FS du Mobil Jet Oil II et du Skydrol LD4 indiquent qu’il est possible que certains symptômes surviennent après une exposition de courte durée [dans l’hypothèse où l’exposition alléguée était d’une dose et d’une durée suffisantes pour occasionner les effets sur la santé signalés dans la FS, ces effets préjudiciables devraient se résorber après une exposition à de l’air frais], les doses et la durée de l’exposition entraînant ces symptômes dans les études chez des animaux sur lesquelles ces assertions sont fondées sont beaucoup plus importantes que celles dont auraient fait l’objet les employés. De plus, la preuve fournie ne donne aucune indication que les expositions auraient suffi à entraîner des effets défavorables à long terme.

[101] Bien que le Dr Pleus ait affirmé que ses conclusions reposaient sur un degré raisonnable de certitude scientifique, je dois préciser à nouveau que la norme de preuve pertinente dans ces cas est la prépondérance des probabilités.

[102] J’ai déjà mentionné ci-dessus que les avis exprimés par les experts, qui sont formulés sur la base de leur expertise, mais en l’absence de données précises sur l’aéronef en cause et la situation des employés, ne parviennent pas, à mon avis, à faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur ou non d’un constat de danger. Si je devais laisser la question en suspens, je répéterais la décision que j’avais initialement rendue, laquelle énonçait en partie :

[192] Selon ce qui précède, je suis persuadé que, dans les circonstances de ces appels, on ne pouvait pas s’attendre raisonnablement à ce que l’exposition à l’air de prélèvement vicié cause des blessures aux employés qui ont refusé de travailler ou qu’il les rende malades. Plus particulièrement, je juge que les faits ne suffisent pas à prouver que la concentration des produits chimiques et la durée de l’exposition étaient très élevées et, sans cette preuve, je ne suis pas convaincu qu’un danger existait à bord des Fin 214 et [Fin 415].

[193] Il se pourrait que l’exposition à l’air de prélèvement vicié cause des blessures ou une maladie, tout dépendant de facteurs comme la durée de l’exposition et la concentration et la toxicité des contaminants. Je dois cependant être convaincu que la possibilité de maladie découlerait directement de l’exposition des employés aux substances chimiques dans l’air cabine.

[194] [...] Or, je ne suis pas convaincu que les symptômes dont se sont plaints les agents de bord découlaient directement de leur exposition à l’air vicié.

[103] La présente décision doit, toutefois, tenir compte de deux éléments qui pourraient ne pas avoir été suffisamment pris en compte dans la décision initiale; tout d’abord, la nature préventive du Code, conjuguée aux mesures nécessaires pour atteindre cet objectif et, ensuite, la nature particulière du droit d’exercer un refus qui est conféré aux employées sur les aéronefs.

Interprétation téléologique du Code

[104] Le droit de refuser de travailler des employés à bord d’un aéronef est d’une nature particulière. Les paragraphes 128(3) et 128(4) du Code précisent clairement que le droit de refuser de travailler des employés à bord d’un aéronef pourrait être restreint lorsque l’aéronef est en service si le responsable de l’aéronef décide que l’employé ne peut pas cesser de travailler dans le but d’assurer le fonctionnement en toute sécurité de l’appareil. On suppose que le responsable de l’aéronef qui prend une telle décision puisse être le capitaine après avoir été informé d’un refus de travailler ou de la possibilité d’un tel refus.

[105] Pour ce qui est de l’exposition à l’air vicié, il est possible de présumer qu’une fois l’aéronef en service, que le capitaine autorise ou non la poursuite du refus de travailler, l’employé qui souhaite exercer un refus de travailler continuera à subir la même exposition à l’air vicié, que ce soit en état de travail ou de refus de travailler, et ce, tant que l’aéronef demeure en service. Le Code définit un aéronef comme étant en service « entre le moment où il se déplace par ses propres moyens en vue de décoller d’un point donné, au Canada ou à l’étranger, et celui où il s’immobilise une fois arrivé à sa première destination canadienne ».

[106] À mon avis, la nature particulière du droit de refuser de travailler applicable à des employés à bord d’un aéronef sert à expliquer que, dans le cas où ces employés prennent connaissance de situations pouvant s’être produites lors de vols antérieurs de l’aéronef et susceptibles de survenir pendant les vols ultérieurs du même aéronef, ils pourront se prévaloir du droit de refuser de travailler avant l’entrée en service de l’aéronef et donc avant d’être eux-mêmes exposés à des situations qui pourraient se matérialiser pendant des vols ultérieurs et les exposer à une telle situation. Une telle interprétation doit faire partie de l’équation en vue d’établir si l’exercice du refus de travailler s’appuie sur un « danger » dans les présents cas, étant donné que le Code doit être lu à la lumière du texte intégral. Dans ces cas, les paragraphes 128(3) et 128(4) doivent être lus conjointement à la définition de « danger » et à l’énoncé d’objet pour veiller à ce que chaque disposition de la loi soit interprétée de manière conforme à son objet.

[107] L’énoncé d’objet est précisé à l’article 122.1 du Code :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[Je souligne.]

[108] Dans le cadre du Code, qui consiste en une loi corrective en matière de bien-être public devant être lue dans son intégralité et interprétée de façon généreuse, l’objet doit être lu conjointement avec la définition de « danger » et tenir compte de ce que le soussigné a décrit ci-dessus comme la nature particulière du droit d’exercer un refus de travailler conféré aux employés à bord d’un aéronef. Dans un cadre législatif de la sorte, lorsque la protection et la prévention sont au cœur de l’objet global, le doute ou l’incertitude quant au résultat, dans ce cas le danger, doit être pondéré en faveur des personnes que la loi vise à protéger.

[109] Bien que j’estime que l’émission d’une instruction de contravention dans la décision connexe ne représente pas un constat de danger et qu’en conséquence, il n’y avait pas d’incohérence entre la décision et la décision connexe, la décision connexe a néanmoins confirmé l’obligation qui incombe à l’employeur de mener une enquête tandis que les refus de travailler en ont exposé les raisons. À cet égard, je partage l’avis exprimé par les appelants voulant que, conformément à l’objet préventif de la loi, l’obligation de mener une enquête ne puisse être dissociée du droit d’exercer un refus de travailler. La loi doit être lue et interprétée dans son ensemble « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12). L’objet dont il est question à l’article 12 de la Loi d’interprétation est énoncé dans la disposition de déclaration d’objet du Code, qui indique clairement l’exigence d’agir avant (de « prévenir ») que des circonstances pouvant occasionner des « accidents et [des] maladies » se matérialisent.

[110] J’ai conclu ci-dessus que l’examen des avis exprimés par les témoins experts ne m’a pas permis de conclure à un danger. Cependant, je dois reconnaître que l’effet combiné de leurs avis, avec les autres éléments de preuve qui ont été soumis, mène à la conclusion générale et incontestable que la présence d’air vicié dans la cabine d’un aéronef est susceptible de causer une maladie si certaines conditions sont remplies, d’où l’obligation de mener une enquête selon les conditions établies par le Code et conformément à celui-ci. Par conséquent, ayant conclu que la preuve appuie la conclusion générale selon laquelle on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’air vicié de la cabine puisse entraîner des maladies dans un contexte où on ne peut prévoir si tel sera le cas, les employés pourraient néanmoins être tenus de continuer à travailler ou obligés de rester exposés à l’air vicié, au même titre que tous les autres occupants de l’aéronef tant que ce dernier est en service. C’est pourquoi, dans le respect de l’objet du Code, j’estime qu’une telle constatation est un motif suffisant pour conclure à un « danger » au sens du Code.

[111] La décision initialement soumise en appel était celle d’une absence de danger pour laquelle l’agente de SST n’a donné aucune instruction. Dans la décision connexe, où les circonstances étaient essentiellement les mêmes qu’en l’espèce, l’agente de SST avait émis un certain nombre d’instructions de contravention que j’ai maintenues en partie. Lorsqu’un agent d’appel formule une conclusion, le Code lui confère, aux termes de l’alinéa 146.1(1)(b) du Code, le pouvoir de « donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées ». Compte tenu de la longue période qui s’est écoulée depuis le dépôt initial des refus de travailler dans ces cas précis, je conclus, comme j’ai le pouvoir de le faire, qu’il ne serait pas approprié de donner une telle instruction à ce moment.

[112] Selon le Code, un agent d’appel « est investi des mêmes attributions — notamment en matière d’immunité — que l’agent de santé et de sécurité » aux termes du paragraphe 145.1(2) du Code, et j’affirme que cela englobe le pouvoir de donner une instruction de contravention en vertu du paragraphe 145(1) du Code. Dans la décision connexe, l’agente de SST a donné des instructions en vertu de cet article du Code, et deux de ces instructions ont été confirmées par le soussigné. À mon avis, la plus importante est celle qui oblige l’employeur à mener une enquête aux termes de l’alinéa 125.1(f) du Code « dans les cas où les employés peuvent être exposés à des substances dangereuses » et d’effectuer cette enquête de la manière prescrite par la réglementation soit, dans cette affaire, le Règlement sur la santé et la sécurité au travail (aéronefs).

[113] À mon avis, dans les présentes affaires, l’intimée n’est pas parvenue à remplir correctement ses obligations en vertu de l’alinéa 125.1(f) du Code. Je ne considère pas que l’inspection d’entretien et l’examen, qui permettent d’établir à la fin si un aéronef est en état de service, une expression qui évoque le concept de non-interruption de service, et non celui de protection de la santé et de la sécurité au travail, ni que l’avis exprimé par le capitaine de l’aéronef, quel qu’il soit, constitue une exécution adéquate de cette obligation. Dans la décision connexe, j’ai affirmé que :

[221] [...] La conduite de l’enquête conformément à l’article 5.4 du RSSTA dépend de la vraisemblance d’un danger pour la santé, qui, dans les circonstances d’un refus de travailler, s’applique à la santé de l’employé ou des employés qui refusent de travailler.

[114] Bien que j’estime, d’un point de vue général, qu’une telle enquête est nécessaire chaque fois que des circonstances comme celles qui prévalaient dans les présents cas sont soulevées par voie d’un refus de travailler, il est impossible d’ignorer la particularité et le caractère individuel des refus de travailler, de même que la longue période qui s’est écoulée depuis l’exercice initial du refus de travailler par les appelants. Pour ces motifs, je n’émettrai pas, en l’espèce, une instruction de contravention.

Décision

[115] Pour tous les motifs énoncés précédemment, je conclus que l’allégation de danger par les employés ayant refusé de travailler dans les présents appels était justifiée lorsqu’ils ont exercé leur droit de refuser de travailler. Par suite du nouvel examen de la décision, j’annule les décisions initiales d’absence de danger rendues par les agentes de SST Pollock et Blain.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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