2019 TSSTC 5

Date : 2019-02-15

Dossiers : 2017-20

Entre :

Société canadienne des postes, appelante

et

Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes

et

Brad King, intimés

Indexé sous : Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est confirmée.

Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Me Daniel W. Ingersoll, c.r., avocat et Me James B. Green, avocat, Cox & Palmer

Pour les intimés : Me David Bloom, avocat, Cavalluzzo LLP

Référence : 2019 TSSTC 5

Motifs de la decision

[1] Les motifs de la présente décision portent sur un appel interjeté par la Société canadienne des postes (Postes Canada ou l’employeur) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (Code) à l’encontre d’une instruction émise le 29 mai 2017 par Mme Deborah Gillis-Williams, en sa qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (déléguée ministérielle). L’instruction, émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code à la suite d’une enquête menée par Mme Gillis‑Williams, concluait que l’appelante avait contrevenu à l’alinéa 125(1)(z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement).

[2] L’instruction se lit comme suit :

[Traduction] dans l’affaire du Code canadien du travail

Partie ii – Santé et Sécurité au Travail

Instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1)

Le 29 mai 2017, la représentante déléguée par le ministre du Travail soussignée a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par la Société Canadienne des Postes, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 6135, rue Almon, poste de facteurs 1, Halifax (Nouvelle-Écosse), B3K 2V0, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Postes Canada – Poste de facteurs 1.

Ladite représentante déléguée par le ministre du Travail est d’avis qu’une contravention à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a
été commise :

No/No: 1

Alinéa 125(1)(z.16) de la partie II du Code canadien du travail et alinéa 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

L’employeur n’a pas nommé une personne compétente, impartiale et considérée comme impartiale par les parties en cause, pour enquêter sur l’allégation de violence dans le lieu de travail.

Par conséquent, il vous est donné instruction par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention le 13 juin 2017 au plus tard.

De plus, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par la représentante déléguée par le ministre du Travail, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Fait à Halifax, le 29 mai 2017

(s) Deborah Gillis-Williams
[…]

[3] L’employeur a déposé un avis d’appel le 15 juin 2017. L’avis comprenait une demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction, aux termes du paragraphe 146(2) du Code. J’ai rejeté la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction pour les motifs exposés dans Société canadienne des postes c. Société des travailleurs et travailleuses des postes et King, 2017 TSSTC 16.

[4] J’ai entendu l’appel à Halifax du 12 au 15 février 2018, puis du 4 au 7 juin 2018. Les observations finales ont été reçues le 21 septembre 2018.

[5] Par souci de clarté pour ce qui suit, je cite ici les parties les plus pertinentes du Règlement qui entrent en jeu dans le présent appel :

20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.

20.3 L’employeur élabore et affiche dans un lieu accessible à tous les employés une politique de prévention de la violence dans le lieu de travail qui fait notamment état de ses obligations, dont les suivantes :

  1. offrir un lieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence
  2. affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail
  3. communiquer aux employés les renseignements en sa possession au sujet de ces facteurs
  4. aider les employés qui ont été exposés à la violence dans le lieu de travail

20.9 (1) Au présent article, personne compétente s’entend de toute personne qui, à la fois :

  1. est impartiale et est considérée comme telle par les parties
  2. a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail
  3. connaît les textes législatifs applicables

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :

  1. conserve un dossier de celui-ci
  2. transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni ne soient susceptibles de révéler l’identité de personnes sans leur consentement
  3. met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète

[C’est moi qui souligne]

Contexte

[6] L’appelante est constituée en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes, LRC (1985), ch C-10, pour, entre autres, exploiter le service postal national. M. Brad King, l’un des intimés, est un facteur employé par Postes Canada au poste de facteurs 1, situé au 6135, rue Almon, à Halifax en Nouvelle-Écosse. M. King est représenté par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), qui est un syndicat national certifié pour négocier pour le compte des facteurs employés par Postes Canada. Le STTP représente M. King dans la présente instance.

[7] Je vais présenter un bref historique des évènements qui ont finalement conduit l’employeur à nommer M. Gregory Stienke comme personne compétente conformément aux paragraphes 20.9(3) et (4) du Règlement.

[8] Le 18 février 2016, M. King a déposé une plainte écrite auprès de Graham MacKenzie, gestionnaire des ressources humaines de Postes Canada, alléguant de la violence dans le lieu de travail. Les allégations concernaient plusieurs gestionnaires de Postes Canada, mais visaient plus particulièrement les actions du chef de service du poste de facteurs 1, M. Thane Smith. Dans sa plainte, M. King mentionne de nombreux cas d’intimidation, de harcèlement et d’humiliation de la part de M. Smith et d’autres représentants de la direction au cours d’une certaine période de temps, ainsi que le nom de collègues ayant été témoins de ces incidents.

[9] La politique de prévention et de protection de la violence dans le lieu de travail de Postes Canada (politique) prévoit qu’un chef d’équipe d’un employé prendra les premières mesures pour évaluer la situation et pour tenter de résoudre la plainte de manière informelle et rapide. Aux moments des faits, Mme Kerry Faye était la chef d’équipe de M. King.

[10] Le 25 février 2016, M. King et sa représentante syndicale, Mme Nadine Kays, ont rencontré Mme Faye et M. Graham Mackenzie pour discuter de la situation de M. King en vue de son retour au travail après qu’il eut quitté son poste en raison d’altercations pénibles avec M. Smith le 10 février 2016. Au cours de la réunion, Mme Kays a posé la question de savoir quelle serait la position de Postes Canada si M. King en venait à se suicider en raison du comportement de M. Smith. La réunion a débuté à 8 heures et s’est terminée à 9 h 30, heure à laquelle M. King est retourné chez lui.

[11] Plus tard dans la matinée, Mme Kays a eu une conversation téléphonique avec M. Mike Kelly (gestionnaire de la santé et sécurité au travail de Postes Canada pour la région de l’Atlantique) et Mme Faye concernant la tenue d’une réunion pour régler la plainte de violence dans le lieu de travail de M. King.

[12] À la suite de la réunion de 8 h, l’employeur a tenu une réunion que les parties ont appelée une réunion EIIC (Équipe d’intervention en cas d’incident critique) pour répondre à la question de Mme Kays au sujet du suicide. Après cette réunion, Mme Faye a tenté de joindre M. King à son domicile, sans succès. Il semble qu’aucune tentative n’ait été faite pour joindre M. King sur son téléphone cellulaire ou par l’intermédiaire de Mme Kays, sa porte-parole qui avait demandé à être le point de contact relativement à sa plainte. Mme Faye a ensuite appelé la Halifax Regional Police, qui a procédé à une vérification du bien-être au domicile de M. King au début de l’après-midi. La police a conclu que M. King allait bien. Toutefois, M. King a déclaré que cette visite avait été très perturbante pour lui et sa famille.

[13] L’avocat des intimés a noté, lors de la lecture du rapport de l’EIIC et des dossiers de la police, les divergences entre les deux documents concernant les discussions ayant eu lieu lors de la réunion et la manière dont elles avaient été rapportées à la police. Selon moi, rien dans le présent appel ne porte sur cette question. Je ne mentionne [traduction] l’« incident de la vérification du bien-être » que pour mieux comprendre l’état d’esprit de M. King au fur et à mesure du déroulement des évènements. Tirer une conclusion sur les intentions de Mme Faye par rapport à ces actes, comme le réclament les intimés, ne relève pas du présent appel.

[14] Dans les jours qui ont suivi la réunion, Mme Faye a mené l’enquête sur la plainte dans le lieu de travail déposée par M. King. M. King et Mme Kays ont refusé de participer à cette enquête en raison de l’appel de Mme Faye à la police, car ils considéraient que cet appel constituait un acte d’intimidation qui était désormais visé dans la plainte. Mme Kays a réitéré sa demande pour qu’une [traduction] « tierce partie » objective enquête sur les faits, à savoir la plainte initiale et l’incident lié à la vérification du bien-être. Mme Faye a poursuivi son enquête sans la participation de M. King et a conclu à l’absence de fondement de l’allégation de violence psychologique, comme l'explique son rapport écrit publié le ou vers le 7 avril 2016. M. King et Mme Kays ont ensuite formellement demandé une enquête d’une tierce partie, car ils jugeaient que l’enquête de Mme Faye était erronée et partiale, comme l’a écrit Mme Kays à l’employeur dans sa lettre datée du 15 avril 2016.

[15] En mars et en avril 2016, Mme Kays a eu plusieurs conversations avec M. Kelly relativement aux options offertes à M. King dans le cadre de la politique. Au cours de ces conversations, M. Kelly l’a informée que M. King avait le droit de demander une enquête plus approfondie sur sa plainte à la suite de l’enquête de premier niveau de Mme Faye. La possibilité d’une enquête de [traduction] « deuxième niveau » a été évoquée au cours de ces discussions. La politique prévoit la nomination d’un [traduction] « enquêteur compétent » par l’employeur et décrit le rôle de l’enquêteur compétent dans le cadre de ce processus de deuxième niveau. Je note que la politique ne renvoie pas directement aux exigences du paragraphe 20.9(1) du Règlement, sauf peut‑être de façon très générale à l’article « Incidences réglementaires », dans lequel le titre du Code et du Règlement sont indiqués. Rien dans la politique ne mentionne la nécessité pour les parties d’accepter l’enquêteur compétent comme étant impartial.

[16] La demande d’enquête de deuxième niveau de M. King a été transmise à M. David Gylywoychuk, directeur de la santé et sécurité au travail, Exploitation sur le terrain (Ouest), chargé de nommer les enquêteurs compétents en vertu de la politique. Postes Canada a pour pratique de nommer des personnes figurant sur une liste appelée [traduction] « Liste des enquêteurs compétents » pour mener ces enquêtes de deuxième niveau. La « liste des enquêteurs compétents » sera appelée ci‑après « la liste ». L’appelante a établi la liste dans le but de faciliter la nomination d’« enquêteurs compétents » conformément à la politique en énumérant les personnes employées par Postes Canada qui sont réputées posséder les qualifications, la formation et l’expérience requises par l’article 2.1 de la politique pour mener des enquêtes impartiales de deuxième niveau. L’appelante utilise cette liste depuis l’adoption officielle de la politique le 25 octobre 2013, liste qu’elle met régulièrement à jour au fur et à mesure que les noms de nouvelles personnes sont ajoutés ou supprimés.

[17] L’employeur a chargé M. Gregory Stienke de mener l’enquête de deuxième niveau. M. Stienke est le gestionnaire de la santé et sécurité au travail de l’appelante à Mississauga, en Ontario. M. Stienke figurait sur la liste depuis 2014 et avait été l’un des membres de la première [traduction] « équipe des spécialistes de la prévention de la violence dans le lieu de travail » réunie par la division de la santé et sécurité de l’appelante, parallèlement à l’élaboration et à l’instauration de la politique en 2013. Cette équipe était composée d’un petit groupe de gestionnaires de la division Santé et sécurité au travail de Postes Canada chargés d’acquérir des connaissances, une formation et une expérience accrues relativement aux exigences de l’article 20.9 du Règlement et à celles de la politique, pour pouvoir encadrer et soutenir le personnel exploitant local dans le cadre de la gestion de la politique.

[18] M. Stienke a d’abord tenté de contacter M. King le ou vers le 14 juin 2016. Cette tentative a été infructueuse, M. King ayant refusé à ce moment-là de parler à M. Stienke. Mme Kays a ensuite appelé M. Stienke au nom de M. King. M. Stienke s’est alors présenté et a décrit certaines de ses qualifications au cours de cet appel. Comme l'indiquent les notes de M. Stienke, Mme Kays a demandé que les contacts passent par elle, car M. King [traduction] « ne faisait pas confiance à la direction ».

[19] Le ou vers le 15 juin 2016, M. Stienke a communiqué avec la direction locale du poste de facteurs 1 afin de réserver une salle pour une entrevue avec M. King ainsi que pour libérer M. King et Mme Kays de leur parcours de distribution respectif. M. Stienke a eu une conversation téléphonique avec Mme Faye, qui était toujours la directrice intérimaire du poste de facteurs 1. Au moment de cet appel, M. Stienke n’avait pas eu connaissance des évènements du 25 février 2016 ni du fait que Mme Faye avait agi à titre d’enquêtrice de premier niveau. À la suite de leur appel, Mme Faye a transmis à M. Stienke son rapport d’enquête de premier niveau ainsi que ses notes d’enquête.

[20] M. Stienke s’est finalement rendu à Halifax le 22 juin 2016 pour mener l’enquête. M. King et Mme Kays ont fait part de leurs préoccupations quant au contact que M. Stienke avait eu avec Mme Faye. M. Stienke les a informés que son appel à Mme Faye visait simplement à les libérer plus facilement de leur parcours de distribution et les a aussi informés du fait qu’il ne savait pas, au moment de cet appel, que Mme Faye était déjà intervenue dans la plainte. Par ailleurs, une question a été soulevée relativement au congé demandé pour permettre à M. King et Mme Faye de se préparer à l’entretien. Comme M. Stienke n’a pas été en mesure de résoudre cette question de manière jugée satisfaisante par M. King et Mme Kays, c’est M. Gylywoychuk, le gestionnaire de M. Stienke, qui a finalement résolu cette question.

[21] Avant le début de l’enquête de M. Stienke le 22 juin 2016, le rôle de Mme Kays dans l’enquête posait un problème; M. King souhaitait que Mme Kays parle en son nom. Toutefois, M. Stienke souhaitait entendre les faits directement de la bouche de M. King. Ce problème a finalement été résolu à la suite de la conversation que M. Stienke a eue avec M. Gylywoychuk. Toutefois, avant le début de l’entrevue et après un bref caucus, M. King et Mme Kays ont exprimé leurs inquiétudes au sujet de la compétence de M. Stienke et lui ont indiqué qu’ils ne lui faisaient plus confiance, car il avait communiqué, à deux reprises, avec Mme Faye qu’ils considéraient comme partiale. M. King et Mme Kays ont présenté à M. Stienke une note manuscrite dans laquelle ils exposaient leurs préoccupations et le fait qu’ils allaient poursuivre le processus l’enquête [traduction] « avec une très grande prudence ». À aucun moment, M. Stienke n’a demandé à M. King de lui indiquer s’il le considérait comme étant impartial et par ailleurs, à aucun moment ni M. King ni Mme Kays n’ont expressément exprimé le fait qu’ils ne considéraient pas que M. Stienke était impartial.

[22] Au début de l’entrevue, M. Stienke a présenté à M. King et Mme Kays une copie de sa lettre de qualifications et a passé en revue son contenu avec eux. La lettre de qualifications précise la définition d’une « personne compétente » selon le paragraphe 20.9 du Règlement. L’extrait suivant du document présente un intérêt particulier pour la question visée par le présent appel :

Est impartiale et est considérée comme telle par les parties

Mon impartialité est établie par ce qui suit :

  • ☐ Je ne connais pas les parties en cause
  • ☐ Je ne suis pas dans une situation dans laquelle j’apporte un soutien aux parties en cause (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas directement mes clients)
  • ☐ Je n’ai aucun intérêt direct dans le dénouement de l’enquête

[23] M. Stienke avait déjà coché les cases à côté de chacun des trois indicateurs d’impartialité avant son introduction. M. Stienke a interrogé M. King les 22 et 24 juin 2016. Au cours de l’entrevue, M. King et Mme Kays ont nommé au moins six collègues comme témoins relativement aux allégations de violence dans le lieu de travail. M. Stienke s’est engagé à interroger les témoins dans le cadre de son enquête. Il a interrogé de nombreux gestionnaires de l’appelante en juin et est revenu à Halifax le 19 juillet 2016 pour interroger M. Smith. M. Stienke a changé d’avis quant au fait d’interroger les témoins suggérés par M. King et Mme Kays, estimant qu’il n’était pas nécessaire de les interroger, car il ne doutait pas des dires de M. King.

[24] Mme Kays a envoyé des courriels à M. Stienke à plusieurs reprises entre août et octobre 2016, pour s’informer de l’état d’avancement de son rapport. Dans ses réponses, M. Stienke indiquait que son rapport était en cours de vérification par son gestionnaire et son gestionnaire principal et qu’on lui avait demandé d’y apporter des modifications. Mme Kays a exprimé des inquiétudes quant au caractère approprié de cette procédure. M. Stienke lui a répondu que personne ne pouvait modifier ses conclusions et recommandations.

[25] M. Stienke a publié son rapport d’enquêteur compétent et ses recommandations (« rapport ») le 14 novembre 2016. Le rapport a rejeté l’allégation d’intimidation et a conclu que c’était M. King qui percevait le comportement de M. Smith comme de la violence dans le lieu de travail. Le rapport n’a pas traité du bien-fondé de l’allégation de M. King selon laquelle l’appel à la police de Mme Faye pour leur demander d’effectuer une vérification du bien-être constituait un acte d’intimidation. M. Stienke a jugé que cet incident ne relevait pas de son mandat du fait qu’il n’y avait pas eu d’enquête de premier niveau sur ce point.

[26] Après réception du rapport, l’appelante a en accepté les conclusions et a pris des mesures pour mettre en œuvre les recommandations préconisées.

[27] M. King et Mme Kays n’ont pas été convaincus par le résultat de l’enquête. Ils ont demandé [traduction] « qu’une enquête de troisième niveau soit menée par un enquêteur tiers accepté par toutes les parties », comme l'a indiqué la note de service de Mme Kays sous le titre [traduction] « Réponse à Greg Stienke – Rapport et recommandations de l’enquêteur de deuxième niveau ». Mme Mankovitz, gestionnaire principale, Santé et sécurité au travail de Postes Canada (poste qu’elle occupait alors), a répondu que l’appelante, en conformité avec le Règlement, n’offre pas la possibilité qu’une enquête d’une tierce partie soit menée dans le cadre de son processus.

[28] M. King et Mme Kays ont déposé une plainte auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), alléguant que l’appelante n’avait pas nommé une personne compétente pour mener l’enquête. Ils ont également soulevé des questions relativement à l’impartialité du processus d’enquête, et au fait que M. Stienke avait consulté des gestionnaires de l’appelante au sujet de son rapport. M. King et Mme Kays ont affirmé que M. King n’avait jamais convenu que M. Stienke était impartial.

[29] La déléguée ministérielle a été nommée pour faire enquête sur la plainte. Le ou vers le 30 mars 2017, l’appelante a reçu une Promesse de conformité volontaire (PVC) préparée par la déléguée ministérielle, alléguant que l’appelante n’avait pas nommé une personne compétente pour mener une enquête sur la plainte de M. King, contrevenant ainsi au paragraphe 20.9(3) du Règlement. Le 29 mai 2017, elle a finalement émis l’instruction visée par le présent appel.

[30] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’appelante avait demandé la suspension de la mise en œuvre de l’instruction faisant l’objet de l’appel, demande que j’ai rejetée. À la suite du rejet de la demande de suspension, je comprends que l’employeur a finalement respecté l’instruction. L’employeur a cherché à présenter en preuve un rapport préparé par une personne compétente nommée conformément à l’instruction. J’ai accueilli l’objection des intimés à la présentation de ce rapport. Selon moi, les mesures que l’employeur a prises conformément à l’instruction dépassent la portée du présent appel. Pour être juste avec les intimés, accepter le rapport aurait rouvert le débat sur la question du contexte de ce rapport, y compris la nomination de l’enquêteur, l’enquête et les conclusions tirées, ce qui aurait eu pour effet de prolonger indûment la présente et déjà longue procédure. Le rapport portait probablement sur le bien-fondé de la plainte de M. King, question que j’ai jugé ne pas relever de l’appel, comme je l’ai déclaré à maintes reprises au cours de la présente procédure.

[31] Les éléments de preuve présentés à l’audience ont également établi que le projet de rapport de M. Stienke avait été revu par un grand nombre de personnes avant d’être communiqué. Mme Mankovitz a expliqué qu’une telle pratique était courante et était effectuée aux fins de contrôle de la qualité. Même si cette pratique n’est pas précisément mentionnée dans la politique, elle est fréquemment utilisée dans les enquêtes, car son objectif est de garantir la cohésion du rapport, la précision des conclusions ainsi que la cohérence entre les conclusions et les recommandations pour s’assurer que [traduction] « les recommandations sont logiques ».

[32] De l’avis de Mme Mankovitz, le rôle de la personne compétente n’est pas de déterminer [traduction] « qui a tort ou a raison », si quelque chose [traduction] « constitue ou non de l’intimidation », ou si des mesures disciplinaires doivent être prises. La tâche d’un enquêteur est plutôt d’aider à trouver une solution à la situation qui fait l’objet de la plainte et de faire en sorte que le lieu de travail redevienne un environnement sain.

[33] M. Stienke a mentionné dans son témoignage qu’il avait pris contact avec deux membres de l’équipe des spécialistes de la prévention de la violence dans le lieu de travail (M. Vaden Hillier et M. Adrean Wolvers) – vers la fin du mois d’août ou au début de septembre 2016, afin d’obtenir des commentaires sur l’organisation, le style et la langue utilisés dans son projet de rapport. Les deux personnes sont membres de l’équipe des spécialistes de la prévention de la violence dans le lieu de travail et ont de l’expérience dans la rédaction de rapports écrits par une personne compétente.

[34] M. Stienke a communiqué ses projets de rapport ultérieurs à Mme Mankovitz et à M. Gylywoychuk, qui ont également formulé des observations sur la cohérence interne et la qualité générale du projet. Il convient de mentionner qu’à la suite de ces consultations, M. Stienke a apporté des changements au texte explicatif de son rapport, à ses conclusions et recommandations qui ne se limitent pas à des changements de forme. Il convient également de mentionner que M. King et Mme Kays n’ont pas été informés de cette pratique au début du processus d’enquête.

Question en litige

[35] La question soulevée par le présent appel consiste à savoir si l’appelante, en présence des allégations de violence dans le lieu de travail de M. King, a ou n’a pas nommé une personne compétente comme l'exige le paragraphe 20.9(3) du Règlement. L’instruction renvoie plus précisément à l’exigence énoncée à l’alinéa 20.9(1)(a) du Règlement concernant la question de savoir si la personne nommée était « impartiale » et était « considérée comme telle par les parties », au sens de cet alinéa.

Observations des parties

A) Observations de l’appelante

[36] L’avocat de l’appelante fournit d’abord un aperçu du cadre légal relatif à la prévention de la violence dans le lieu de travail de la partie XX du Règlement. La nomination d’une personne compétente est au cœur du présent appel. L’appelante soutient que la personne compétente n’a pas de fonction juridictionnelle, mais doit présenter un rapport précisant les constats, conclusions et recommandations à l’appelante.

[37] L’appelante souligne que le Règlement n’énonce aucune obligation concrète pour l’appelante à l’égard des conclusions de la personne compétente. L’enquête et les recommandations visent plutôt à aider l’appelante à respecter ses propres obligations en vertu de la partie XX. L’appelante s’appuie sur la décision intitulée Ressources naturelles Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2018 TSSTC 1 (Ressources naturelles Canada) pour affirmer que le rôle de la personne compétente est davantage axé sur la détermination des risques et la formulation de recommandations appropriées pour empêcher que des incidents de violence dans le lieu de travail ne se reproduisent. Par conséquent, le Règlement n’oblige pas l’appelante à accepter ou adopter l’une quelconque des recommandations présentées par la personne compétente, et la personne compétente n’a pas le pouvoir de les faire respecter. Alors, il n’y a pas de lien direct entre l’enquête de la personne compétente et un résultat ou une mesure de redressement précis; l’enquête constitue simplement l’un des éléments des obligations de prévention imposées à l’employeur en vertu de la partie XX. Il importe de garder à l’esprit ce contexte légal précis lors de l’analyse des questions d’impartialité et du processus d’enquête.

[38] L’avocat de l’appelante soutient que la contravention établie par la déléguée ministérielle est étroitement centrée sur les exigences de l’alinéa 20.9(1)(a), à savoir le fait de ne pas avoir nommé une personne qui « est impartiale et est considérée comme telle par les parties ». L’appelante s’appuie sur la décision Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs (SCFP, section locale 375), 2016 TSSTC 14 (Association des employeurs maritimes) et la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie (1976), [1978] 1 RCS 369, décisions qui traitent des notions d’impartialité et de crainte raisonnable de partialité. Le critère consiste à déterminer si une personne informée qui examine la question de manière réaliste et pragmatique et qui a pris le temps de l’étudier en profondeur pourrait, en l’espèce, avoir une crainte raisonnable de partialité.

[39] L’impartialité de M. Stienke est contestée à deux égards : (1) en tant qu’employé de Postes Canada, il ne peut pas être impartial (partialité institutionnelle); (2) des problèmes ont été posés dans le cadre de la conduite de l’enquête.

[40] L’appelante soutient qu’une personne bien informée, qui examine la question de manière réaliste et pragmatique, n’aurait pas de crainte raisonnable de partialité dans de nombreuses affaires dans lesquelles l’enquêteur qui a été nommé est aussi un employé de Postes Canada. La personne compétente n’est pas chargée en soi d’enquêter sur la conduite de l’appelante ni sur sa conformité aux exigences du Code, de sorte que les intérêts de l’appelante et de la personne compétente ne sont pas totalement opposés.

[41] Par ailleurs, une personne bien informée comprendrait que le fait qu’un enquêteur nommé a des obligations en tant qu’employé envers l’appelante ne signifie pas automatiquement que l’enquêteur a les mêmes obligations envers l’une des parties à la plainte de violence dans le lieu de travail. En l’absence d’autres éléments de preuve indiquant une relation directe entre les parties et l’enquêteur découlant de son statut d’employé de Postes Canada, le simple fait qu’il soit à l’emploi de Postes Canada ne soulève en soi aucune crainte que l’enquêteur ait un parti pris pour l’une des parties.

[42] En outre, le critère principal de sélection d’une personne compétente est lié à sa situation géographique, ce qui minimise le risque d’existence d’un lien entre les parties prenantes à la plainte. Le témoignage de M. Gylywoychuk indique également que, lorsque des objections ont été formulées quant à l’inscription d’un employé sur la liste en raison de circonstances personnelles, dans ces cas, l’appelante a écarté la personne de tout examen futur.

[43] L’appelante soutient que rien dans le Règlement n’empêche un employeur de nommer l’un de ses employés pour agir comme une personne compétente. En fait, cette possibilité est expressément reconnue à l’article 11.1 des Interprétations, politiques et guides (IPG) d’EDSC intitulé « Prévention de la violence dans le lieu de travail - 943-1-IPG-081 » : « La [personne compétente] peut être un employé du lieu de travail ou un contractuel externe ». Cette même position est reprise dans les IPG du 26 août 2016. Le fait de faire appel à ses employés garantit une meilleure connaissance du lieu de travail par la personne compétente et tient ainsi compte des questions de coûts et d’efficacité du processus d’enquête.

[44] En ce qui concerne la conduite de l’enquête par M. Stienke, l’appelante soutient que le fait que M. Stienke n’a pas interrogé les témoins proposés par M. King n’a rien à voir avec son impartialité, et de ce fait, ne relève pas de la compétence de l’agent d’appel. Les notions d’impartialité et d’équité procédurale ne sont pas de même nature. En vertu du Code, un délégué ministériel n’a pas le pouvoir d’enquêter et d’émettre des instructions concernant la conduite de l’enquête par la personne compétente, et de tels arguments ne devraient pas être entendus dans le présent appel. Même s’il s’avérait qu’un délégué ministériel était compétent pour examiner des questions de procédure soulevées pendant l’enquête d’une personne compétente, l’appelante soutient que cet argument n’a pas constitué le fondement de l’instruction en l’espèce et que de ce fait, cette question n’est pas comprise dans la portée du présent appel. La contravention établie par la déléguée ministérielle porte uniquement sur l’obligation de l’appelante de nommer une personne compétente et non sur l’enquête elle-même. Ce sont de nouvelles questions qui ne relèvent pas des pouvoirs de l’agent d’appel énoncés au paragraphe 146.1(1) du Code.

[45] De plus, même si la conduite de l’enquête par M. Stienke peut être prise en compte par l’agent d’appel, les normes d’équité procédurale ne s’appliqueraient pas à la conduite d’une enquête par une personne compétente. Contrairement à l’impartialité de l’enquêteur, qui est expressément requise par l’alinéa 20.9(1)(a), le Règlement ne contient aucune disposition concernant quelque norme de procédure que la personne compétente doit suivre dans la conduite de son enquête, un point déjà souligné par l’agent d’appel dans la décision intitulée Ressources naturelles Canada. L’appelante n’est pas tenue de s’assurer que l’enquête menée par une personne compétente se déroule selon une procédure équitable et en l’absence d’une obligation expresse dans le Règlement, les questions qui sont uniquement soulevées en raison de la façon dont la personne compétente a mené l’enquête ne peuvent pas faire l’objet d’une instruction. Quoi qu’il en soit, d’après son témoignage, M. Stienke avait choisi de ne pas interroger les témoins de M. King, car il reconnaissait que les évènements décrits par M. King étaient exacts et étaient très peu remis en cause. Cela ne signifie pas que l’inspecteur est partial.

[46] Enfin, dans la mesure où des normes d’équité procédurale pourraient implicitement être incluses dans le libellé de l’article 20.9 du Règlement, l’appelante soutient que ces normes ne devraient pas être plus lourdes que celles imposées en common law. Toutefois, la common law n’imposerait pas de normes de procédure à une personne compétente menant une enquête conformément aux paragraphes 20.9(3) et (4) du Règlement. Les obligations d’équité procédurale sont réservées aux organismes publics qui déterminent les droits et obligations dans le cadre de l’exercice de pouvoirs légaux. Une personne compétente n’est pas un organisme public, car elle exerce des fonctions de nature purement privée (voir Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26). En outre, une personne compétente n’est pas chargée de déterminer les droits et obligations d’une personne ou de tenir une audience, de sorte que les exigences de l’alinéa 2(e) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, ch 44, ne s’appliqueraient pas.

[47] Même si une norme d’équité procédurale de common law pouvait être incluse implicitement dans le libellé de l’article 20.9 du Règlement, l’appelante soutient que M. Stienke a respecté ces normes (voir Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [1996] ACF no 385 (CA) (QL); Canada (Procureur général) c. Sketchley), 2005 CAF 404). La décision de la personne compétente de ne pas interroger les témoins proposés par M. King ne constitue pas nécessairement un signe de partialité, car un enquêteur n’est pas obligé d’approfondir tous les angles imaginables de la plainte (voir Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160; Tessier v. Nova Scotia (Human Rights Commission), 2014 NSSC 65).

[48] En outre, l’appelante soutient que M. Stienke a satisfait à la norme de rigueur exigée pour son enquête. Au cours de son enquête, en juin et juillet 2016, il a rencontré et a interrogé M. King et quatre autres personnes. Selon son témoignage, à la suite de son entretien avec M. Smith le 19 juillet 2016, M. Stienke a déterminé qu’il n’avait pas besoin d’interroger les témoins proposés par M. King, car il avait accepté les évènements décrits par M. King comme étant exacts. M. Stienke a évalué les éléments de preuve reçus de la part de M. King et des autres témoins, ainsi que les documents et les autres renseignements auxquels il avait accès, et a déterminé que ces éléments étaient suffisants pour lui permettre de présenter des conclusions et des recommandations dans son rapport écrit. Cette évaluation des éléments de preuve appelle la déférence et on ne peut dire que M. King a été privé d’un quelconque droit ou recours en raison d’une allégation de vice de procédure.

[49] Concernant la question de la révision du projet de rapport de M. Stienke, question qui selon les intimés soulève une crainte raisonnable de partialité, l’appelante souligne que la révision a été conforme au processus en vigueur au sein de la division Santé et sécurité au travail de Postes Canada, à savoir effectuer une révision informelle du projet de rapport de la personne compétente par les membres de la division Santé et sécurité au travail comme mesure de contrôle de la qualité. Les seules personnes ayant eu accès aux projets de rapport étaient les membres clés de l’équipe des spécialistes de la prévention de la violence dans le lieu de travail, et aucun d’entre eux n’avait un lien direct avec les parties à la plainte. Il s’agit d’une pratique acceptable qui est conçue pour améliorer la qualité et la cohérence globales du rapport. Elle ne porte pas sur les conclusions de fait ou les conclusions de la personne compétente. Il a été jugé qu’une crainte raisonnable de partialité n’est pas nécessairement soulevée parce qu’un décideur discute des détails d’une affaire avec d’autres personnes dans le cadre du processus de décision (voir SITBA, section locale 2-69 c. Consolidated Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 RCS 282 (Consolidated Bathurst); Bovbel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 190 (Bovbel).

[50] Quant à la question de savoir si les parties considéraient que M. Stienke était impartial, l’appelante soutient que M. King n’a pas jugé que M. Stienke manquait d’impartialité au moment de sa nomination ou au cours de l’enquête. L’appelante soutient plutôt que la perception présumée de partialité a seulement été soulevée après la réception du rapport écrit de M. Stienke par M. King le 14 novembre 2016.

[51] M. King reconnaît qu’il a su dès sa première conversation téléphonique avec M. Stienke, le 14 juin 2016 que celui-ci était un employé de l’appelante. Cependant, pendant ce premier appel, le ou vers le 14 juin 2016, ni M. King, ni Mme Kays n’ont informé M. Stienke qu’ils estimaient qu’il n’était pas impartial ou ne l’ont informé qu’ils s’opposaient à ce qu’il fasse enquête sur la plainte. M. Stienke a demandé à M. King et à Mme Kays s’ils souhaitaient poursuivre l’enquête, ce qu’ils ont confirmé. Encore une fois, ni M. King ni Mme Kays n’ont avisé M. Stienke, au cours de l’appel, du fait qu’ils ne le considéraient plus comme étant impartial ou incapable de mener une enquête impartiale. Pendant cet appel, ils ne sont pas non plus élevés contre son statut d’employé de Postes Canada. Les actes de M. King et de Mme Kays ne sont pas cohérents avec leur perception selon laquelle le choix de M. Stienke pour effectuer l’enquête était inacceptable du fait de son statut d’employé de Postes Canada. L’objection de M. King était déraisonnable et l’appelante a agi conformément avec les IPG en vigueur à cette date, selon lesquels il convient de répondre aux objections raisonnables.

[52] L’appelante affirme également qu’aucun poids ne devrait être accordé à la lettre datée du 15 avril 2016 que M. King et Mme Kays ont présentée à la déléguée ministérielle comme ayant été envoyée à l’appelante. Le terme [traduction] « enquêteur tiers » a manifestement été employé pour désigner la nomination d’un enquêteur externe, contrairement à l’enquête de premier niveau de Mme Faye, membre de la direction locale enquêtant sur d’autres membres de la direction locale.

[53] Au cours de la réunion du 22 juin 2016, après que M. Stienke a décrit ses qualifications et a discuté de son impartialité, ni M. King ni Mme Kays ne l’ont avisé qu’ils ne croyaient pas que ces déclarations étaient exactes ni ne l’ont avisé qu’ils estimaient qu’il ne remplissait pas l’exigence d’impartialité. Les inquiétudes exprimées par M. King et Mme Kays portaient sur l’enquête de premier niveau de Mme Faye et sur ses contacts avec M. Stienke. L’entrevue s’est en fait déroulée avec la pleine participation de M. King et de Mme Kays. La lettre manuscrite de M. King et Mme Kays datée du 22 juin 2016 confirme leur volonté de continuer à participer à l’enquête, bien qu’« avec une grande prudence ».

[54] La lettre envoyée le 22 juin 2016 est tout à fait incohérente avec ce que M. King et Mme Kays ont déclaré dans leur témoignage, à savoir qu’ils croyaient qu’ils devaient participer à l’enquête de deuxième niveau pour ensuite avoir accès à une enquête approfondie menée par une partie externe. En quoi le fait de soulever de telles préoccupations auprès de M. Stienke changerait-il quelque chose si M. King croyait réellement que M. Stienke serait partial de toute façon? En fait, ni M. King ni Mme Kays n’ont jamais indiqué à M. Stienke, ou à qui que ce soit d’autre à Postes Canada, qu’ils croyaient que M. King devait participer à l’enquête soi-disant partiale de M. Stienke afin d’accéder à une enquête approfondie menée par une partie externe. L’appelante fait valoir qu’il n’y a jamais eu de confusion dans les esprits de M. King et de Mme Kays à l’égard du processus et qu’ils comprenaient que M. Stienke était, en fait, celui qui menait l’enquête à titre de personne compétente comme le prévoit le Règlement.

[55] Le 26 septembre 2016, le représentant syndical de M. King a communiqué de nouveau avec M. Stienke concernant l’état d’avancement de son enquête, et M. Stienke l’a alors informé que son rapport provisoire avait été envoyé aux fins d’examen et que des modifications étaient en train d’être apportées à la mise en forme du rapport. Aucun élément de preuve n’indique que M. King ou Mme Kays a soulevé des objections au sujet de l’impartialité de M. Stienke après cet échange ou exprimé d’une autre manière qu’ils ne le considéraient plus comme impartial.

[56] L’appelante souligne que la personne compétente doit être considérée comme impartiale par les parties en tout temps quand elle agit à titre de « personne compétente ». Cependant, M. Stienke n’agissait plus à titre de « personne compétente » aussitôt qu’il a terminé le mandat imposé par le paragraphe 20.9(4) du Règlement, c’est-à-dire dès qu’il a terminé son enquête et fourni à l’appelante un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations. L’obligation que la personne soit « considérée comme telle [comme impartiale] par les parties » est circonscrite dans le temps.

[57] L’appelante fait valoir que les intimés ne devraient pas être autorisés à s’opposer au statut de M. Stienke en tant que personne impartiale (d’un point de vue objectif ou subjectif), étant donné que M. King n’a pas soulevé ces questions de façon claire et sans équivoque auprès de l’appelante à la première occasion, dans un délai raisonnable après avoir été mis au courant des circonstances ayant donné lieu à ces préoccupations alléguées, et qu’il faudrait conclure qu’ils ont renoncé à toute crainte de partialité qui aurait pu être soulevée (Robinson c. Comité Garderie Plein Soleil, [1992] NWTJ no 153; Bassila c. Canada, 2003 CAF 276; Association des employeurs maritimes; Ressources naturelles Canada). L’appelante fait donc valoir que, même si M. King percevait une certaine partialité durant l’enquête de M. Stienke, ce que l’appelante nie, il devrait lui être interdit de se fonder sur cette partialité parce qu’il n’a pas agi rapidement et sans équivoque pour alerter l’appelante de cet état d’esprit.

[58] L’appelante soutient également que la déléguée ministérielle n’a pas conclu que l’appelante avait contrevenu au paragraphe 20.9(3) du Règlement en ayant omis de nommer un enquêteur qui satisfaisait les exigences des alinéas 20.9(1)(b) ou (c). Par conséquent, l’appelante estime que les intimés ne peuvent pas s’attaquer maintenant au statut de M. Stienke à titre de personne compétente au motif qu’il ne possédait pas ces qualités. Il n’y a rien qui indique que M. King ou Mme Kays ait soulevé une objection, à quelque moment que ce soit, relativement à la suffisance des connaissances, de la formation ou de l’expérience de M. Stienke. Un agent d’appel ne possède pas le pouvoir d’émettre de nouvelles instructions en se fondant sur des contraventions qui n’ont pas été décelées par la déléguée ministérielle.

[59] À titre subsidiaire, l’appelante fait valoir qu’il n’y a aucun argument valide qui indiquerait que M. Stienke ne respectait pas les critères imposés par les alinéas 20.9(1)(b) et (c) du Règlement. Ni l’alinéa 20.9(1)(b), ni l’alinéa 20.9(1)(c) n’exigent un degré spécifique de connaissances, de formation et d’expérience « dans le domaine de la violence dans le lieu de travail » ou de connaissance des lois pertinentes. Il est soutenu que seule une norme minimale devrait être imposée en l’absence d’une directive claire dans le libellé du paragraphe 20.9(1).

[60] M. Stienke a témoigné au sujet de sa formation et des connaissances qu’il a acquises grâce à sa participation à l’équipe des spécialistes de la prévention de la violence dans le lieu de travail de l’appelante, à son expérience à encadrer le personnel exploitant en Ontario chargé de traiter les plaintes de violence dans le lieu de travail et d’enquêter à leur sujet, et aux dizaines d’enquêtes de premier niveau qu’il a menées. Il a aussi déclaré qu’il connaît les exigences du Code en matière de violence dans le lieu de travail et qu’il a été appelé à de nombreuses reprises à interpréter ses dispositions dans le cadre de son travail.

[61] L’appelante demande que l’instruction soit annulée.

Observations des intimés

[62] Les intimés font valoir que la déléguée ministérielle a conclu avec raison que la personne nommée par l’appelante n’était pas une « personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(3) du Règlement. De plus, l’agent d’appel doit exercer sa discrétion au titre de l’article 145 et du paragraphe 146(1) du Code pour modifier l’instruction et conclure que la personne nommée par l’appelante ne possédait pas les connaissances, la formation et l’expérience requises en vertu de l’alinéa 20.9(1)(b) et n’a pas fourni un rapport rédigé par une personne compétente comme l’exige le paragraphe 20.9(4).

[63] Plus précisément, les éléments de preuve établissent les faits suivants : (i) la personne nommée, M. Stienke, n’était pas impartiale et n’était pas considérée comme telle par les parties; (ii) la conduite de la personne nommée démontrait un manque d’impartialité durant l’enquête et la préparation du rapport d’enquête; et (iii) le contenu du rapport produit manquait d’impartialité et démontrait un manque de connaissances, de formation et d’expérience par rapport aux exigences de l’alinéa 20.9(2)(b).

[64] Les intimés font remarquer que l’appel est une procédure de novo et que l’agent d’appel jouit de tous les pouvoirs du ministre au titre du paragraphe 145.1(2), ce qui l’autorise à modifier une instruction pour inclure les contraventions qui auraient dû être incluses par la déléguée ministérielle dans l’instruction visée par l’appel (voir : Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156; Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2013 TSSTC 23; Ressources naturelles Canada).

[65] Les intimés se fondent en partie sur des lacunes dans l’enquête menée par M. Stienke et des lacunes dans le rapport d’enquête pour appuyer la conclusion que M. Stienke n’a pas respecté l’exigence d’impartialité énoncée au paragraphe 20.9(3). L’agent d’appel a le pouvoir d’examiner l’impartialité d’une personne compétente avant et après le début de l’enquête (Ressources naturelles Canada). Les exigences en matière de compétence visent à faire en sorte qu’une enquête neutre et exhaustive soit menée. Le Règlement doit être interprété et appliqué de manière à favoriser l’atteinte de cet objectif.

[66] Les intimés font valoir que le concept d’impartialité signifie que l’enquêteur doit respecter des normes de procédure et qu’il faut veiller à la neutralité et à l’exhaustivité de l’enquête.

[67] Les intimés soutiennent que, comme l’obligation de nommer une personne impartiale incombe exclusivement à l’appelante, le fardeau d’établir l’impartialité de la personne compétente qu’elle choisit revient à l’appelante. Les parties doivent estimer que la personne sera impartiale « sans réserve ou exception », faute de quoi la personne ne peut tout simplement pas être nommée (Association des employeurs maritimes). Il conviendrait que l’enquêteur proposé informe les parties qu’elles peuvent refuser d’accepter la nomination en raison d’un manque perçu d’impartialité. Les IPG du Programme du travail publiés le 26 août 2016, qui précisent que toutes les parties doivent convenir que la personne est impartiale, est une source convaincante en ce qui a trait à l’interprétation adéquate du paragraphe 20.9(3) du Règlement.

[68] Les intimés soulignent que les éléments de preuve, pris dans leur ensemble, appuient la conclusion selon laquelle M. Stienke était au courant des préoccupations au sujet de son impartialité. Néanmoins, il n’a effectué aucune démarche pour informer M. King de son droit de s’opposer à sa nomination. M. King et Mme Kays ont indiqué de façon constante que la plainte devait faire l’objet d’une enquête menée par un [traduction] « enquêteur tiers », tel qu’ils l’ont énoncé dans des documents rédigés en février 2016, en avril 2016 et en juin 2016. Ils étaient clairement et ouvertement méfiants de M. Stienke, ils avaient des préoccupations concernant son impartialité et ils l’ont informé qu’ils iraient de l’avant avec une grande prudence. Cet énoncé doit être interprété comme une expression de réserve et ne répond pas à la norme prévue dans la décision Association des employeurs maritimes pour établir l’existence d’une entente. M. Stienke comprenait bien ce manque de confiance, comme l’indiquent ses rapports d’enquête provisoires.

[69] En ce qui a trait au document que M. Stienke a présenté à M. King et à Mme Kays le 22 juin 2016, les intimés indiquent que, bien qu’il contienne des affirmations visant à démontrer l’impartialité, le document ne mentionne pas l’exigence selon laquelle la personne doit être considérée comme impartiale. Dans l’analyse définitive, les intimés ont conclu que les éléments de preuve ne montrent pas que M. King et Mme Kays étaient d’accord pour dire que M. Stienke était impartial.

[70] En réponse à l’argument concernant la renonciation et l’abus de procédure soulevé par l’appelante, les intimés font valoir qu’il incombe à l’appelante de nommer une personne qui satisfait les conditions précisées dans le paragraphe 20.9(3) du Règlement. Si la plainte de violence dans le lieu de travail mentionnait des préoccupations expresses ou implicites concernant l’impartialité de la personne proposée, et que l’employeur n’avise pas le plaignant des conséquences de la décision de procéder et n’obtient pas une entente claire selon laquelle la personne compétente proposée est considérée comme impartiale, l’appelante ne peut pas faire valoir que le plaignant a renoncé à ses droits au titre du paragraphe 20.9(3) du Règlement. Il n’y a manifestement aucun abandon d’un droit ni aucune renonciation à un droit dans la présente affaire (Marchischuk c. Dominion Industrial Supplies Ltd., [1991] 2 RCS 61).

[71] Les intimés soutiennent, en outre, qu’il y avait de graves lacunes dans l’enquête et dans le rapport qui montrent que M. Stienke ne possédait pas les compétences exigées par les alinéas 20.9(1)(a) et (b) du Règlement. Il n’a pas interrogé les témoins proposés par M. King. Ces personnes auraient pu jeter la lumière sur les situations d’intimidation alléguées par M. King et réfuter la conclusion de M. Stienke selon laquelle l’intimidation alléguée était non intentionnelle et relevait simplement d’une perception subjective de M. King. De plus, le fait de ne pas interroger les témoins suggérés était contraire aux politiques et aux pratiques en matière de violence dans le lieu de travail de l’appelante et montre le caractère arbitraire et le manque de neutralité de M. Stienke.

[72] Les intimés soutiennent que l’enquête de M. Stienke n’a pas tenu compte de l’allégation selon laquelle l’appel de l’appelante à la police pour signaler que M. King présentait un risque de suicide n’était pas justifié. Les intimés ont noté des incohérences entre le rapport de l’EIIC et les dossiers de la police concernant le signalement qui a été fait à la police au sujet de ce qui a été dit durant la réunion. Après avoir examiné les détails de cet incident qui sont contenus dans les éléments de preuve, les intimés concluent que l’appel était manifestement un acte d’intimidation et que le rapport d’enquête comporte des lacunes parce qu’il n’énonce pas et n’analyse pas tous ces faits, et parce qu’il donne lieu à une inférence de partialité.

[73] Les intimés soutiennent en outre que M. Stienke a modifié à tort les conclusions et les recommandations de son rapport provisoire après avoir consulté d’autres représentants de l’appelante. Les intimés soulignent divers aspects du rapport qui ont été modifiés en raison de discussions avec d’autres personnes et signalent que ces modifications n’étaient pas de nature purement esthétique ou stylistique. Ni la politique ni le Règlement ne permettent expressément à quiconque, à part la personne compétente, de donner son avis sur le rapport. Les restrictions en matière de confidentialité contenues dans la politique de l’appelante confirment que personne à part l’enquêteur ne peut avoir accès aux faits concernant l’incident allégué de violence dans le lieu de travail, sauf dans la mesure nécessaire pour donner suite aux recommandations. Le rapport définitif a été influencé par d’importantes contributions d’autres personnes qui ont obtenu accès à des renseignements confidentiels de manière inappropriée. La communication de renseignements confidentiels peut nuire à la confiance envers le processus et constitue un manquement à la politique.

[74] La nature étendue du processus de consultation de M. Stienke donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il faut effectuer une distinction avec les décisions Consolidated-Bathurst et Bovbel citées par l’appelante : dans ces décisions, le tribunal d’instruction a déterminé les faits et entamé volontairement une discussion sur le droit et la politique avec d’autres commissaires ou conseillers juridiques en vue d’améliorer la cohérence du processus décisionnel. Dans la présente affaire, le processus de consultation touchait les faits et les conclusions à inclure dans le rapport, et ce processus était obligatoire (Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 RCS 221).

[75] Les intimés font également valoir que les éléments de preuve dans la présente procédure permettent de conclure que M. Stienke ne possédait pas les connaissances, l’expérience ou la formation d’une personne compétente, comme l’ont montré les erreurs dans le processus d’enquête et les lacunes dans le processus de préparation du rapport et son contenu. En vertu de l’article 145 et du paragraphe 146(1), un agent d’appel a le pouvoir de déterminer si l’évaluation faite par un appelant des connaissances, de l’expérience et de la formation d’une personne compétente était adéquate. Étant donné que l’appel est une procédure de novo, il n’y a pas de restrictions temporelles qui limitent le pouvoir de la déléguée ministérielle ou de l’agent d’appel de tenir compte d’éléments de preuve relatifs à la conduite de la personne compétente après sa nomination afin de déterminer si elle possédait ces qualifications (Ressources naturelles Canada). Les intimés concluent que la conduite de M. Stienke durant l’enquête et durant la préparation du rapport démontrait qu’il possédait une expérience, des connaissances et une formation insuffisantes pour satisfaire les exigences de l’alinéa 20.9(1)(b).

[76] Les intimés demandent que l’appel soit rejeté et que l’instruction soit modifiée pour qu’elle tienne compte des manquements aux alinéas 20.9(1)(a) et (b) et aux paragraphes 20.9(3) et (4) du Règlement.

Répliques de l’appelante

[77] Dans sa réplique, l’appelante a réitéré divers aspects de ses observations initiales. De plus, l’appelante n’était pas d’accord avec l’idée que la décision Martin conférait à l’agent d’appel le pouvoir de modifier l’instruction comme le demandaient les intimés. L’appelante cite la décision Rudavsky c. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2016 TSSTC 1 (Rudavsky) pour appuyer la proposition voulant que l’agent d’appel ne puisse pas émettre de nouvelles instructions qui n’ont pas été envisagées par la déléguée ministérielle, ou qui ont été envisagées, mais que la déléguée ministérielle a choisi de ne pas formuler.

[78] L’appelante est en désaccord avec l’observation selon laquelle il incombe à l’appelante de s’acquitter du fardeau de prouver que les parties considéraient M. Stienke comme impartial. Une telle affirmation interprète mal la nature du processus d’appel, qui est une procédure de novo et qui doit être interprété comme s’il signifiait que le fardeau de la preuve n’incombe à ni l’une ni l’autre des parties à un appel au titre du paragraphe 146(1) (Canadian Freightways Ltd c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 391). Au contraire, les éléments de preuve montrent que M. King a eu de nombreuses occasions de remettre en question le manque d’impartialité de M. Stienke, s’il s’agissait là de sa perception. L’appelante allègue également que des [traduction] « problèmes de confiance » ne peuvent pas être interprétés comme des objections à l’impartialité de M. Stienke.

[79] L’appelante soutient que la décision de M. Stienke de ne pas interroger les témoins suggérés par M. King pouvait être justifiée et qu’elle n’était pas un signe d’une forme quelconque de partialité. Elle s’explique par le fait qu’il a été en mesure de déterminer les faits nécessaires à l’aide des témoins qu’il a interrogés, y compris M. King et Mme Kays. De même, le fait que M. Stienke n’a pas tenu compte de l’incident lié à la vérification du bien-être peut se justifier, car cet incident ne faisait pas partie de la plainte sur laquelle il enquêtait.

Analyse

[80] Le présent appel soulève la question de savoir si l’employeur a nommé une « personne compétente », selon la définition du Règlement, pour enquêter sur les allégations de violence dans le lieu de travail faites par M. King dans l’énoncé de plainte du 18 février 2016 qu’il a envoyé à l’employeur. Cette question, qui peut sembler assez simple à première vue, soulève un certain nombre de sous-questions de fait et de droit, qui portent sur l’interprétation de l’article 20.9 du Règlement, et plus particulièrement, qui demandent une bonne compréhension du processus énoncé dans les paragraphes 20.9(3) à (5) et de la portée de l’évaluation de ce processus par un agent d’appel.

[81] Le pouvoir de l’agent d’appel est énoncé comme suit dans le paragraphe 146.1(1) du Code :

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

  1. soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions
  2. soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées

[82] Je commencerai en déclarant qu’il n’y aucun doute que les allégations faites par M. King portent sur de la violence dans le lieu de travail et enclenchent le processus prévu aux paragraphes 20.9(2) et (3) du Règlement. Le genre de conduite qui aurait eu lieu s’apparente à l’intimidation, au harcèlement, à l’humiliation publique et à des comportements semblables, et il est clairement lié à des situations de violence alléguée, comme ce terme est défini à l’article 20.2 du Règlement et comme l’illustre également l’alinéa 20.3(b) du Règlement. Ni l’une ni l’autre des parties ne contestent cette affirmation.

[83] Par conséquent, comme l’exige le paragraphe 20.9(2), l’appelante a tenté de résoudre l’affaire avec M. King. C’est ce que l’employeur aurait fait en demandant à Mme Faye, à titre de chef d’équipe et de représentante de la direction locale, d’enquêter sur les allégations contenues dans la plainte. D’après les éléments de preuve, ce processus interne à l’échelle locale a quelque peu déraillé en raison de la décision de M. King de ne pas y participer, compte tenu de ses préoccupations concernant l’appel que Mme Faye a fait à la police pour qu’une vérification du bien-être soit effectuée au sujet de M. King. M. King était d’avis que ces actions étaient mal motivées et constituaient une forme d’intimidation de la part de la direction. Il est entendu que je mentionne l’« incident de la vérification du bien-être » seulement pour mieux comprendre le cours des événements qui ont suivi et l’état d’esprit de M. King. Tel que je l’ai déjà indiqué, toute conclusion sur les intentions que Mme Faye avait pour agir comme elle l’a fait, comme le demandent les intimés, est en dehors de la portée du présent appel.

[84] Le 7 avril 2016, Mme Faye a informé M. King qu’elle avait conclu que sa plainte de violence était non fondée. M. King n’était pas satisfait des conclusions de Mme Faye concernant ses allégations de violence dans le lieu de travail, et il va sans dire que la question n’a pas été résolue comme le prévoit le paragraphe 20.9(3).

[85] Dans un tel cas, l’employeur avait l’obligation de nommer une personne compétente, comme l’exige le paragraphe 20.9(3) du Règlement. Il n’est pas contesté qu’une telle obligation existait dans les circonstances de la présente affaire. La question au cœur du débat est celle de savoir si la personne nommée par l’employeur remplissait les conditions de la définition d’une « personne compétente » figurant au paragraphe 20.9(1) du Règlement. La déléguée ministérielle, dont l’instruction est contestée dans le présent appel, a conclu que la personne nommée, M. Stienke, n’était [traduction] « pas impartiale ni considérée comme telle par les parties en cause ». Elle ne fait aucune mention des autres qualifications que M. Stienke doit posséder en vertu des alinéas 20.9(1)(b) ou (c), et il est clair, d’après le libellé de son instruction et de son rapport narratif d’assignation, que son instruction est entièrement centrée sur l’exigence d’impartialité prescrite à l’alinéa 20.9(1)(a).

[86] Avant d’aborder les arguments des parties concernant la portée de l’appel et le pouvoir de l’agent d’appel de modifier une instruction pour y inclure des contraventions supplémentaires, je dois d’abord déterminer si la condition énoncée à l’alinéa 20.9(1)(a) du Règlement a été remplie. Cet alinéa fait partie d’un article du Règlement qui prévoit un certain nombre de mesures et d’obligations relativement à la prévention de la violence dans le lieu de travail. La Cour d’appel fédérale a décrit ces obligations de la façon suivante dans la décision Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273 :

[19] Le Règlement prescrit plusieurs obligations à l’employeur relativement à la « violence dans le lieu de travail », qu’il définit comme « tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie » (article 20.2). Le Règlement impose à l’employeur l’obligation d’élaborer une « politique de prévention de la violence dans le lieu de travail » énonçant, notamment, l’obligation d’offrir un lieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence. Il l’oblige également à « affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail » (article 20.3). Une telle politique n’existait pas au moment où l’employé a déposé sa plainte. Le régime de la partie XX exige également de l’employeur qu’il identifie les facteurs contribuant à la violence dans le lieu de travail (article 20.4), qu’il effectue une évaluation des possibilités de violence dans le lieu de travail eu égard à ces facteurs (article 20.5), qu’il conçoive et mette en place des mécanismes de contrôle systématiques afin de prévenir et de réprimer la violence dans le lieu de travail (article 20.6), qu’il évalue de temps à autre l’efficacité de ces mesures (article 20.7), et qu’il élabore une procédure de notification d’urgence en cas de violence dans le lieu de travail et qu’il la communique aux employés (article 20.8).

[20] Alors que ces diverses dispositions visent la prévention, l’article 20.9 porte sur le redressement. Son but est d’offrir un redressement aux employés victimes de violence dans le lieu de travail, afin que l’employeur règle la situation de façon appropriée.

[87] En ce qui a trait au rôle de la « personne compétente », la Cour a déclaré ce qui suit :

[31] Le Règlement a manifestement pour objectif de prévenir les accidents et les préjudices à la santé dans les lieux de travail et de protéger les employés victimes de violence dans le lieu de travail, quelle qu’en soit la forme. La nomination d’une personne compétente, c’est‑à‑dire une personne qui est impartiale et qui est considérée comme telle par les parties, est une mesure de sauvegarde importante pour assurer la réalisation de cet objectif. Tout comme l’intimée, je crois que le fait de permettre aux employeurs de mener leurs propres enquêtes à la suite de plaintes de violence dans le lieu de travail et d’établir eux‑mêmes si ces plaintes méritent ou non de faire l’objet d’une enquête par une personne compétente tournerait en dérision le régime réglementaire et aurait pour effet d’invalider le droit de l’employé à une enquête impartiale sur sa plainte en vue de prévenir d’autres incidents violents.

[32] Cette interprétation du Règlement est étayée par le Guide de prévention de la violence dans le lieu de travail publié par Ressources humaines et Développement des compétences Canada à la suite de l’adoption de la partie XX du Règlement (dossier d’appel, p. 238). Quoiqu’il ne lie pas la Cour, il est néanmoins utile en ce qu’il a été conçu pour aider les employeurs à appliquer le Règlement. Il indique clairement (à la page 258) qu’« il faut qu’une enquête officielle par une “personne compétente” ait lieu, si l’employeur s’avère incapable de résoudre la situation à la satisfaction des employés concernés ».

[…]

[34] Je suis d’accord avec le juge de première instance que le seuil devrait être très bas, et qu’un employeur a le devoir de nommer une personne compétente pour faire enquête sur la plainte si la question est non résolue, à moins qu’il soit évident que les allégations ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail, même en admettant qu’elles soient vraies. L’employeur a très peu de pouvoir discrétionnaire à cet égard. Si l’employeur choisit de procéder à un examen préliminaire de la plainte (ou à ce qu’il appelle la recherche des faits), ce processus devra alors s’opérer dans ce cadre serré et avec pour but de résoudre la question avec le plaignant de façon informelle. Toute enquête en bonne et due forme doit être laissée à une personne compétente choisie par les deux parties et possédant des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine.

[C’est moi qui souligne]

[88] Le résultat de l’enquête de la personne compétente est un élément important des obligations qui incombent à l’employeur de maintenir et d’évaluer l’efficacité des contrôles et des mesures de prévention de façon continue, conformément aux exigences du Règlement. Le rapport de la personne compétente, qui doit contenir des conclusions et des recommandations formulées à la suite d’une enquête « en bonne et due forme » et « officielle » de la plainte de l’employé, vise à aider l’employeur à s’acquitter de son obligation, en plus de fournir un redressement au plaignant, comme la Cour l’a expliqué. L’importance du processus mené par la personne compétente et de son résultat dans le régime global de prévention dans le lieu de travail ne doit pas être minimisée et doit être à l’avant-plan quand on interprète et applique le libellé de l’alinéa 20.9(1)(a).

[89] Cette disposition fait référence à l’exigence d’impartialité. Elle prévoit que le concept doit être examiné en tenant compte de deux dimensions, l’une objective et l’autre subjective. Comme l’agent d’appel l’a souligné dans la décision Ressources naturelles Canada, la personne qui doit être nommée doit satisfaire les critères des deux dimensions. Comme je l’ai indiqué dans la décision Association des employeurs maritimes, la première dimension peut être difficile à évaluer à l’étape de la nomination, étant donné que le concept d’impartialité relève de l’état d’esprit de la personne, qui doit posséder la capacité d’effectuer l’enquête avec un esprit ouvert et de façon neutre et désintéressée. La personne doit avoir une propension à soupeser les faits et les opinions de façon juste et sans faire preuve de favoritisme ou de préjugés envers l’une des parties, et sans avoir jugé la question d’avance (« Impartiality », Merriam-Webster.com, Merriam-Webster, 2018; « Impartiality », Merriam-Webster.com/legal, Merriam-Webster Law Dictionary, 2018; et « Impartiality », oed.com, The Oxford English Dictionary, 2018). Un tel état d’esprit peut être difficile à évaluer au moment de la nomination. À mon avis, c’est la raison pour laquelle le législateur a ajouté une dimension subjective pour garantir l’impartialité du processus. J’ai déclaré ce qui suit dans la décision Association des employeurs maritimes, aux paragraphes 54 à 56 :

[54] La formulation de l’alinéa a) nous amène toutefois dans une toute autre direction. Il me semble incontestable que le critère d’impartialité énoncé à l’alinéa a) évoque une notion subjective de l’impartialité et s’en remet à la perception des parties en cause. Le texte est clair et ne se prête à aucune interprétation, surtout lorsqu’on le compare à la formulation des exigences d’expérience, de formation et de connaissances.

[55] Le législateur a clairement privilégié une approche consensuelle sur la question de l’impartialité. En insérant les mots et est considérée comme telle par les parties après le mot impartiale, il a clairement exigé que les parties soient d’accord sur la question de l’impartialité de la personne proposée par l’employeur. La version anglaise de ce même alinéa est également claire [… is impartial and is seen by the parties to be impartial] et exige aussi que les parties considèrent la personne comme impartiale, sans réserve ou exception. À défaut d’un accord, la personne proposée ne peut tout simplement pas être nommée.

[56] On peut en conclure que le législateur considérait comme primordial que les parties soient d’accord sur l’impartialité de la personne désignée pour mener l’enquête dont les objectifs sont décrits aux paragraphes 20.9(3) et suivants du Règlement. Nul doute que l’objectif recherché par le législateur est d’assurer la crédibilité des recommandations que cette personne doit formuler au terme de son enquête et favoriser leur acceptation par toutes les parties en cause.

[C’est moi qui souligne]

[90] Les agents d’appel et les tribunaux ont donc utilisé des mots comme « acceptation » et « choisie par » dans le contexte de la nomination de la personne proposée, notamment en ce qui a trait à son impartialité. La nécessité d’assurer l’impartialité est à ce point un élément important du régime que l’acceptation doit, à mon avis, être claire, sans équivoque, éclairée et sans réserve pour qu’elle atteigne l’objectif visé par le législateur. Mon interprétation de cette exigence est soutenue par les IPG du Programme du travail, annexe C (Modèle d’un rapport rédigé par une personne compétente), qui fournit au point 6 des détails sur la « personne compétente », y compris la phrase suivante : « Le plaignant est en accord avec le choix de la personne compétente (Oui – Non) » [italiques ajoutés]. Les IPG ne lient pas l’agent d’appel, mais peuvent offrir des directives utiles pour interpréter et comprendre le cadre législatif du Code (Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273).

[91] Par conséquent, je me pencherai d’abord sur l’élément subjectif de l’impartialité, selon lequel la personne doit être « considérée comme telle [comme impartiale] par les parties » [italiques ajoutés], ce qui, à mon avis, est une question déterminante pour l’appel. M. King a-t-il exprimé clairement et sans équivoque qu’il acceptait que M. Stienke était impartial?

[92] Les intimés font valoir qu’il incombe à l’employeur de s’acquitter du fardeau de prouver une telle acceptation. À mon avis, la question n’est pas de savoir à quelle partie revient le fardeau de la preuve, comme il a été déclaré dans un certain nombre de décisions d’appel depuis Canadian Freightways Ltd c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 391. Je dois plutôt être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, et après avoir examiné les circonstances de l’instruction et les motifs sous-jacents (paragraphe 146.1(1) du Code), que la nomination de M. Stienke était acceptable pour toutes les parties.

[93] Les parties en cause incluent les personnes contre lesquelles la plainte est formulée, l’appelante et, bien sûr, M. King, le plaignant. L’acceptation de l’appelante est évidente, car c’est elle qui a nommé M. Stienke. L’acceptation des auteurs allégués des actes de violence n’a pas été mentionnée ni discutée par les parties à l’appel et elle n’est donc pas remise en question.

[94] M. Stienke détient un poste de direction à Postes Canada comme gestionnaire de la santé et sécurité au travail pour la région de l’Ontario. À ce titre, il est un représentant de niveau supérieur de l’employeur dans le cadre de ses fonctions normales. Lorsqu’il agit comme « enquêteur compétent », M. Stienke relève de M. Gylywoychuk, qui relève à son tour de Mme Mankovitz, qui elle-même relève d’un cadre supérieur de Postes Canada. Il ne connaît aucune des personnes concernées par la plainte et n’a pas de rapports hiérarchiques avec elles. Il faisait partie de l’équipe de spécialistes qui ont reçu la tâche d’appliquer la politique dans l’ensemble de l’organisation de l’appelante. Son nom figurait sur la liste à ce moment-là, tout comme le nom de plus de 30 autres personnes, qui sont toutes employées par l’appelante dans divers postes de direction. La liste a été préparée par l’appelante, après avoir consulté les syndicats en milieu de travail, et elle est revue à l’occasion. Il convient de signaler que la liste n’a pas fait l’objet d’une entente avec le STTP, comme c’est le cas, par exemple, pour la liste des arbitres qui peuvent intervenir au titre de la convention collective.

[95] D’abord, le simple fait que M. Stienke est un employé de l’appelante qui exerce des fonctions de direction n’est pas, à mon avis, une raison pour le disqualifier automatiquement à titre de « personne compétente ». Les intimés n’ont pas insisté sur ce point dans leur argument, et de façon générale, je ne vois aucun motif qui permettrait de dire qu’une telle personne ne pouvait pas être impartiale, à moins que cette personne n’entretienne des liens avec l’une ou l’autre des parties ou a un intérêt à leur égard. Dans la mesure où une personne dont le nom figure sur la liste est acceptable pour les parties, je ne vois rien dans le Règlement qui interdirait expressément une telle nomination. Ainsi, la question n’est pas celle de savoir si une personne employée par l’appelante peut être nommée, mais plutôt si une telle personne est acceptable pour les parties. Comme je l’ai indiqué dans la décision Association des employeurs maritimes, je suis d’avis que l’opposition d’un plaignant à la nomination d’une personne occupant un poste de direction auprès de l’employeur ne serait pas déraisonnable en soi, surtout si l’auteur de la violence alléguée est un gestionnaire de ce même employeur.

[96] Je dirai simplement, à ce stade, que je ne suis pas certain que la nomination à titre de « personne compétente » d’un employé qui s’acquitte de responsabilités de direction pour l’employeur soutienne entièrement l’objectif sous-jacent du régime prévu à l’article 20.9. À mon avis, l’hypothèse sur laquelle se sont fondés les rédacteurs du Règlement est que la personne nommée par l’employeur agirait de façon indépendante de l’employeur et sans entretenir de liens avec lui. Même si la préoccupation peut être moins grande dans un cas où l’employeur demande à une personne de mener l’enquête au titre du paragraphe 20.9(3) quand les actes de violence allégués ne concernent pas un superviseur ou un gestionnaire (par exemple, s’ils concernent un client ou un entrepreneur), ce n’est pas la meilleure approche quand la violence alléguée aurait été perpétrée par des représentants de la direction, comme le cas présent l’illustre plutôt bien. Quoi qu’il en soit, je crois que le contrôle approprié qui contrebalance la proposition de cette personne est l’exigence selon laquelle les parties doivent accepter la personne comme étant impartiale.

[97] Par conséquent, la question centrale dans la présente affaire est celle de savoir si M. King considérait M. Stienke comme impartial et s’il a accepté sa nomination de façon claire, sans équivoque et sans réserve. Les témoignages de M. King et de Mme Kays montrent clairement qu’ils avaient, à tout le moins, d’importantes préoccupations au sujet de sa nomination, au début du processus. Dans une note de service adressée à l’employeur après l’incident de la vérification du bien-être du 25 février 2016, Mme Kays a déclaré ce qui suit, entre autres, relativement aux enquêtes sur les plaintes de violence dans le lieu de travail :

[Traduction] […] J’ai aussi d’importantes préoccupations au sujet des capacités des personnes qui ont été chargées d’enquêter sur ces situations de façon juste et adéquate. Dans le cas de Brad, je crois que nous devrons avoir recours à une tierce partie pour que celle-ci mène une enquête adéquate sur cette affaire dans son ensemble ou demander à un représentant du STTP d’enquêter avec la direction, de transmettre leurs conclusions et de s’assurer qu’une enquête juste est menée.

[98] Plus loin dans sa note de service, en ce qui a trait à la nécessité d’enquêter sur l’incident de la vérification du bien-être, Mme Kays a mentionné un [traduction] « représentant tiers » et réitéré la demande pour qu’un représentant du STTP enquête également et rédige un rapport avec une [traduction] « tierce partie de la direction ». Dans une note de service qu’elle a rédigée le 15 avril 2016 après avoir reçu la décision de Mme Faye au sujet de la plainte de M. King, Mme Kays conclut en demandant formellement une [traduction] « enquête d’une tierce partie ».

[99] Le 22 juin 2016, immédiatement avant le début de l’entrevue, Mme Kays et M. King ont remis à M. Stienke une note manuscrite qui indiquait qu’ils allaient de l’avant avec l’enquête [traduction] « avec une grande prudence ». M. Stienke confirme qu’ils étaient plutôt contrariés à ce moment-là. Ils ont écrit que leurs préoccupations portaient notamment sur le fait que M. Stienke avait communiqué avec Mme Faye à deux reprises. Ces préoccupations sont également énoncées dans une note de service du 20 juin 2016, soit deux jours avant l’entrevue, qui a été adressée et envoyée, mais que M. Stienke n’aurait apparemment pas reçue. Dans cette note de service, Mme Kays formule ses préoccupations ainsi :

[Traduction] […] le syndicat considère cette conversation [avec Mme Faye] comme étant non permise et nuisible. Il n’est pas déraisonnable pour M. King et son syndicat de s’attendre à une enquête juste et impartiale, et compte tenu de ce qui précède, nous ne serons pas en mesure de participer à l’enquête de deuxième niveau jusqu’à ce qu’un enquêteur tiers impartial soit nommé dans le cadre cette enquête.

[100] Les interactions de M. Stienke avec Mme Faye quand celui-ci est arrivé à Halifax pour commencer son enquête, sa réponse à leur demande de congé pour se préparer et le rôle de Mme Kays dans le processus ont soulevé des préoccupations dans l’esprit de M. King quant à la partialité possible de M. Stienke. Ces questions ont fini par être résolues par M. Gylywoychuk, qui était le gestionnaire de M. Stienke et le représentant de l’appelante qui avait nommé M. Stienke.

[101] Cette note indique l’état d’esprit de Mme Kays et de M. King en ce qui a trait au processus d’enquête, comme il est ressorti des éléments de preuve présentés à l’audience. Dans son témoignage, elle a indiqué que la discussion avec M. Stienke du 22 juin 2016 était dans la même veine; en fin de compte, ils ont accepté de participer, mais avec une grande prudence. M. Stienke comprenait que les préoccupations exprimées par les employés étaient liées à leur crainte de partialité et au fait qu’il était celui qui procédait à l’enquête. M. Stienke a déclaré qu’il était au courant du manque de confiance de M. King envers la direction. Dans sa [traduction] « Note sur la rencontre de prise de contact avec Brad et Nadine » non datée, M. Stienke mentionne que Mme Kays lui a demandé de passer par elle pour communiquer avec M. King, car il n’avait [traduction] « aucune confiance envers la direction ». Mme Kays et M. King considéraient M. Stienke comme un membre de la direction. Elle a déclaré qu’elle croyait qu’ils devaient participer à l’enquête de [traduction] « deuxième niveau » de M. Stienke et continuait d’être d’avis qu’un tiers impartial était nécessaire.

[102] Les parties se parlaient sans s’écouter tout au long du processus. La manière dont les obligations au titre du paragraphe 20.9(3) du Règlement sont décrites dans la politique de l’employeur et les mots utilisés par l’employeur au cours des discussions avec Mme Kays contribuent, à mon avis, à ce [traduction] « dialogue de sourds » en faisant référence aux enquêtes [traduction] « de deuxième niveau » et à [traduction] « l’enquêteur compétent », des termes qui ne sont pas utilisés dans le Règlement. La politique fait référence au processus mené par la « personne compétente » en vertu de l’article 20.9 du Règlement seulement de façon indirecte, ce qui risque de créer de la confusion; à mon avis, c’est ce qui s’est produit dans le cas présent. Comme je l’ai déjà souligné, la politique ne précise pas que toutes les parties doivent accepter la personne à nommer en tant que personne impartiale. À mon avis, le processus décrit à l’article 20.9 du Règlement devrait être clairement expliqué aux employés pour qu’ils puissent exercer un jugement éclairé quant à l’acceptation de la personne à nommer.

[103] De même, Mme Kays fait référence à une [traduction] « tierce partie de la direction », mais avec la condition qu’un représentant du STTP participe à l’enquête et corédige le rapport, ce qui ne fait qu’amplifier la confusion. Dans ses discussions avec M. Kelly concernant la prochaine étape après l’enquête de Mme Faye, M. Kelly a parlé d’une [traduction] « enquête de deuxième niveau » et de la liste, qui, comme nous le savons, comprend le nom des gestionnaires de la santé et sécurité au travail de Postes Canada situés partout au Canada. Il a mentionné qu’une personne de la région de l’Ontario allait être affectée pour mener l’enquête. Dans le contexte que je viens de décrire, on pourrait très bien comprendre qu’il s’agissait d’une enquête de deuxième niveau de la direction visant à résoudre la situation [conformément au paragraphe 20.9(2)], étant donné que [traduction] « l’enquête de premier niveau » avait été menée sans la participation de M. King parce qu’il considérait que Mme Faye l’avait intimidé et se trouvait donc en situation de conflit d’intérêts. Ce point de vue ne correspond pas à la description faite par M. Stienke de son rôle à titre [traduction] « d’enquêteur compétent », qui consistait, selon lui, à rétablir le milieu de travail et non à attribuer une faute ou un blâme. En fait, il s’avère que l’enquête ressemblait davantage à une enquête menée par l’employeur qu’à une enquête par un tiers impartial.

[104] L’employeur fait valoir que M. King ou Mme Kays n’ont jamais soulevé le manque d’impartialité de M. Stienke et qu’ils ne se sont opposés à lui qu’une fois qu’il a produit son rapport, qui ne contenait pas la conclusion espérée par les intimés. Je réitère qu’il n’y a aucun document écrit dans lequel M. King a clairement indiqué qu’il était en désaccord avec la nomination de M. Stienke. Le document que M. Stienke a remis à M. King quand ils se sont rencontrés pour la première fois le 22 juin 2016 contenait trois énoncés qui, selon M. Stienke, confirmaient son impartialité. Cependant, personne n’a demandé clairement à M. King et à Mme Kays s’ils étaient d’accord que M. Stienke était impartial.

[105] Tout compte fait, je ne peux que conclure que la nomination de M. Stienke a été effectuée dans une atmosphère de méfiance et de soupçon de la part des employés concernés. À cette étape, compte tenu du contexte d’affrontement dans lequel le processus d’enquête a commencé, de l’utilisation répétée de mots comme [traduction] « manque de confiance envers la direction », [traduction] « interactions inappropriées » et [traduction] « grande prudence », ainsi que de l’absence d’une compréhension claire du processus prescrit par le Règlement, un signal d’alarme aurait dû être déclenché et la question de l’impartialité de M. Stienke et de son acceptation par les intimés aurait dû être abordée de façon claire et sans détour.

[106] À mon avis, les employés avaient, à tout le moins, exprimé de façon constante qu’ils avaient de très grandes réserves au sujet de M. Stienke et de son processus d’enquête, et il n’est pas important de savoir si leurs préoccupations étaient fondées ou non. Il n’est pas approprié pour M. Stienke de répondre que, si M. King lui avait clairement indiqué qu’il ne l’acceptait pas parce qu’il considérait que M. Stienke manquait d’impartialité, celui-ci aurait refusé de continuer le processus. Il y avait assez de procédures en place pour permettre à M. Stienke et à l’employeur de faire un bilan de la situation et de confirmer que M. King souhaitait continuer, sans réserve. À aucun moment, on a demandé à M. King s’il considérait que M. Stienke était impartial, comme le prévoit l’alinéa 20.9(3)(a), et il n’y a pas non plus de document écrit à ce sujet. Autrement dit, je conclus que M. King et son représentant n’ont pas exprimé clairement leur accord et que l’employeur n’a tout simplement pas tenu compte de ce facteur essentiel avant de permettre à M. Stienke de continuer le processus.

[107] De plus, je ne suis pas convaincu par l’argument de l’employeur selon lequel le fait que les employés avaient accepté de continuer l’entrevue équivaut à une acceptation de l’impartialité de M. Stienke en tant qu’enquêteur, au titre de l’alinéa 20.9(1)(a). Compte tenu du contexte factuel dans son ensemble et de la réserve clairement exprimée par les employés, leur volonté de participer à une entrevue est loin d’être une expression de l’acceptation de M. Stienke en tant que personne impartiale.

[108] Pour ces motifs, je conclus que les éléments de preuve n’établissent pas que M. Stienke était considéré comme impartial par M. King ou son représentant, comme l’exige la définition de « personne compétente » à l’alinéa 20.9(1)(a) du Règlement, et à cet égard, la conclusion de la déléguée ministérielle selon laquelle l’employeur avait contrevenu au paragraphe 20.9(3) du Code est bien fondée.

[109] À la lumière de ma conclusion concernant l’élément subjectif de l’exigence d’impartialité établie à l’alinéa 20.9(1)(a) du Règlement, il n’est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si M. Stienke était objectivement impartial et s’il a maintenu son impartialité tout au long du processus, étant donné que les deux éléments (objectif et subjectif) de l’exigence d’impartialité doivent être respectés avant qu’une personne ne puisse être nommée comme personne compétente.

[110] Je pourrais m’arrêter ici et trancher l’appel. Cependant, les intimés demandent que l’instruction soit modifiée pour qu’elle comprenne des infractions aux alinéas 20.9(1)(a) et (b) et aux paragraphes 20.9(3) et (4) du Règlement, un redressement qui exige que je réponde à un certain nombre d’autres questions. Ces questions portent sur : (1) le pouvoir de l’agent d’appel de modifier une instruction en ajoutant des contraventions au Code et au Règlement à la suite de l’audience d’appel; (2) le respect par M. Stienke des exigences en matière de qualifications énoncées à l’alinéa 20.9(1)(b) du Règlement; et (3) le pouvoir d’un agent d’appel d’examiner le déroulement de l’enquête d’une personne compétente et son rapport.

Contraventions supplémentaires

[111] Dans leur plaidoyer, les intimés demandent que l’instruction soit modifiée pour y inclure des contraventions à l’alinéa 20.9(1)(b) et aux paragraphes 20.9(3) et (4). Ils citent la décision de la Cour d’appel fédérale dans Martin pour appuyer cette conclusion.

[112] Le pouvoir d’un agent d’appel de modifier une instruction a récemment été examiné dans la décision Rudavsky, qui est citée dans les observations de l’appelante. Les déclarations suivantes de l’agent d’appel dans la décision Rudavsky résument bien ma compréhension de la signification de la décision Martin, ainsi que la portée et les limites du pouvoir d’un agent d’appel de modifier une instruction au titre du paragraphe 146.1(1) :

[54] Le pouvoir de modifier une instruction, conféré à l’agent d’appel en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code, peut être exercé pour remanier légèrement le libellé d’une instruction ou pour modifier la date à laquelle on doit s’y conformer, et il est suffisamment large pour permettre le remplacement d’une contravention initialement invoquée par une nouvelle contravention, pourvu que cette dernière se rapporte à la même situation (ou erreur ou au même risque ou problème) que celle qui a donné lieu à la contravention initiale.

[55] Compte tenu de la décision Vancouver Wharves, j’ai le pouvoir de modifier une instruction émise par l’agent de SST Noel en substituant une nouvelle contravention à celle initialement alléguée, pourvu que la nouvelle contravention repose sur les mêmes faits que ceux examinés par l’agent de SST. Si le problème concerne un autre manquement de l’intimé que l’agent de SST Noel n’a pas recensé ou qu’il a décidé de ne pas recenser, le fait d’invoquer une nouvelle contravention dépasserait celui de « modifier » l’instruction initiale et reviendrait à créer une nouvelle instruction.

[…]

[59] Il faut préciser que le paragraphe 146.1(1) ne confère expressément aucun pouvoir à l’agent d’appel d’émettre une instruction en vertu du paragraphe 145(1). Le seul pouvoir exprès de l’agent d’appel d’émettre une instruction est celui d’émettre une instruction relative à un danger en vertu des paragraphes 145(2) ou (2.1). Ce pouvoir est décrit à l’article 146.1, qui s’applique aux appels interjetés à l’encontre d’instructions relatives à des contraventions visées par le paragraphe 145(1) ou d’instructions relatives à des dangers visées par les paragraphes 145(2) et (2.1), et aux appels à l’encontre d’une décision d’un agent de SST dans un contexte de refus de travailler [paragraphe 129(7)].

[…]

[63] Je ne crois pas que je puisse appliquer le raisonnement du juge Rothstein de façon telle que cela me permettrait de conclure que je puisse émettre une instruction relative à une contravention en vertu du paragraphe 145(1) à l’égard d’une question dont l’agent de SST n’a pas tenu compte. Le raisonnement dans Martin ne peut être poussé au point de dire qu’il conviendrait d’affirmer qu’un agent d’appel jouit d’un pouvoir illimité d’émettre des instructions complètement nouvelles en vertu du paragraphe 145(1). Je ne suis pas habilité à émettre une instruction se rapportant à une situation que l’agent de SST n’a pas examinée, ou qu’il a examinée, mais à l’égard de laquelle il a ensuite décidé de ne pas émettre d’instruction relative à une contravention et de recevoir une PCV de la part de l’employeur. De plus, si des problèmes découlent de la mise en application d’une instruction, il ne s’agit pas de sujets dont l’agent a tenu compte ou dont il pourrait avoir tenu compte au départ, et ce ne sont donc pas des sujets qui peuvent faire l’objet d’une nouvelle instruction.

[C’est moi qui souligne]

[113] La question est donc celle de savoir dans quelle mesure la déléguée ministérielle a tenu compte des circonstances qui appuieraient une conclusion de contravention à l’alinéa 20.9(1)(b) et au paragraphe 20.9(4) du Règlement. Il me semble clair, et les parties le comprennent, que le motif sur lequel la déléguée ministérielle s’est fondée pour conclure à une contravention est limité à l’application de l’exigence selon laquelle une personne compétente doit être « impartiale et considérée comme telle », comme elle l’a indiqué dans son instruction. De plus, dans son rapport d’enquête, elle mentionne à plusieurs reprises qu’aucun élément de preuve ne montre que M. King avait accepté M. Stienke à titre d’enquêteur impartial, et elle a accepté, tout comme moi, les déclarations de M. King et de Mme Kays selon lesquelles ils ne l’ont jamais accepté comme enquêteur impartial. Par conséquent, il me semble que le fondement de l’instruction est encore plus restrictif et qu’il est lié uniquement à la dimension subjective de l’impartialité, selon laquelle la personne doit « être considérée par les parties » comme impartiale.

[114] Cela ne signifie pas, cependant, que je ne pourrais pas modifier l’instruction en y ajoutant d’autres contraventions qui découlent des mêmes circonstances que celles sur lesquelles la déléguée ministérielle a enquêté, si les circonstances le justifient. Les circonstances auxquelles je fais référence ici sont la nomination d’une « personne compétente » par l’employeur en vertu du paragraphe 20.9(3). La contravention nommée dans l’instruction est bien décrite comme une contravention au paragraphe 20.9(3). L’exigence d’impartialité de l’alinéa (a) et les qualifications exigées au titre des alinéas (b) et (c) sont énoncées dans un article contenant des définitions, à savoir le paragraphe 20.9(1). Par conséquent, il ne peut pas y avoir en soi de contravention à un article du Règlement qui contient des définitions. Ainsi, la disposition qui a été violée est l’obligation pour l’employeur de nommer une personne compétente, comme l’exige le paragraphe (3), et cette disposition est bien indiquée dans l’instruction.

[115] Dans ce cas, je suis d’avis que, dans un examen de novo de l’instruction et des circonstances qui ont mené à l’instruction comme le stipule l’article 146.1 du Code, je peux très bien examiner des arguments sur la question de savoir si la personne nommée par l’employeur satisfaisait les exigences de l’alinéa 20.9(1)(b), qui est l’un des éléments de l’obligation de fond de nommer une « personne compétente » comme le prévoit le paragraphe 20.9(3). Ces questions portent sur les caractéristiques d’une personne compétente et se rapportent de près à la disposition à laquelle l’employeur a contrevenu, selon les conclusions de la déléguée ministérielle. L’examen de ces questions ne me mènerait pas dans un territoire complètement nouveau et resterait essentiellement axé sur la même situation factuelle que celle sur laquelle la déléguée ministérielle s’est penchée, ou aurait dû se pencher, dans son enquête (voir : Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2013 TSSTC 23). Le fait que la déléguée ministérielle s’est concentrée sur le critère de l’impartialité ne m’empêche pas d’examiner la question de savoir si la personne satisfaisait objectivement les autres conditions préalables.

[116] M. Stienke possédait-il « des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail » comme l’exige l’alinéa 20.9(1)(b)? M. Stienke a fait référence au document qu’il a remis aux employés le 22 juin 2016 et qui précise ses qualifications dans le domaine de la violence dans le lieu de travail. Le Règlement ne contient pas de dispositions sur la nature et la portée des facteurs liés aux connaissances et à la formation, ni sur la durée de l’expérience requise pour satisfaire ce critère. Pour atteindre l’objectif du Règlement, il serait logique que les qualifications soient évaluées par rapport à la nature et à la complexité de la plainte sur laquelle il faut enquêter. Dans la décision Pronovost c. Canada (Agence du revenu), 2017 CF 1077 (Pronovost), la Cour fédérale était saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant à renverser une décision de l’employeur qui a rejeté la plainte de violence dans le lieu de travail de la demanderesse en fonction des conclusions et des recommandations d’une « personne compétente » nommée en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement. Les motifs à l’appui de la demande étaient des lacunes dans l’enquête menée et le manque de qualifications de cette personne. La Cour a accueilli la demande. Le juge Martineau déclare ce qui suit au paragraphe 21 :

[21] Un dernier point : il ne faut surtout pas banaliser le harcèlement et la violence en milieu de travail. Comme l’a reconnu cette Cour dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CF 1066 au paragraphe 29, « l’intimidation psychologique peut constituer au fil du temps une des pires formes de dommage qui puissent être infligées à une personne ». Naturellement, l’expérience et les qualifications des personnes compétentes nommées pour faire enquête participent à créer le niveau de confiance requis du côté de la direction et des employés. Une bonne sensibilisation à la problématique complexe du harcèlement et de ses composantes pernicieuses va de soi. Aussi, on peut se demander comment l’enquêteur – dont le curriculum vitæ n’a jamais été fourni à la demanderesse – pouvait écarter, au terme d’une enquête somme toute très sommaire, le préjudice psychologique subi par la demanderesse en raison des actes de violence et/ou de harcèlement allégués, en se fondant sur la fragilité émotionnelle de la demanderesse, alors qu’il n’avait, semble-t-il, aucune expertise médicale ou qualifications particulières pour donner cette opinion.

[C’est moi qui souligne]

[117] M. Stienke a présenté ses qualifications au moment de sa nomination, avant de commencer son enquête. Il était membre de l’équipe des spécialistes de Postes Canada depuis trois ans à ce moment-là. L’équipe était chargée d’acquérir des connaissances, une formation et une expérience pour remplir les exigences de l’article 20.9 du Code et de la politique et pour qu’ils puissent, en retour, offrir de l’encadrement et de l’aide aux membres du personnel exploitant local qui administrent la politique. Il a participé à la mise en œuvre de la politique de l’employeur, ce qui l’a amené à participer à l’élaboration des pratiques et des trousses de formation de l’employeur dans ce domaine. Il a suivi plusieurs modules de formation offerts par le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail qui, à première vue, portent sur les questions liées à la violence dans le lieu de travail. Il possède de l’expérience à encadrer le personnel exploitant en Ontario, à traiter les plaintes de violence dans le lieu de travail et à enquêter à leur sujet, et il a mené des dizaines d’enquêtes de [traduction] « premier niveau ». Il connaît les exigences du Code en matière de violence dans le lieu de travail et il a été appelé à de nombreuses reprises à interpréter ses dispositions dans le cadre de son travail. On peut dire que l’expérience professionnelle de M. Stienke l’a exposé aux questions liées à violence dans le lieu de travail pendant de nombreuses années.

[118] En ce qui a trait à la nature de la plainte, sans laisser entendre de quelque façon que ce soit que la plainte de M. King est futile ou non véridique, j’estime que le niveau de complexité d’une enquête sur une plainte de cette nature n’est pas très élevé, compte tenu des événements qui auraient eu lieu, des moments visés et de la nature des accusations.

[119] Aucun élément de preuve n’indique que M. King ou Mme Kays ont contesté ces qualifications au moment de la nomination. Comme il a été noté dans la décision Ressources naturelles Canada, ces qualifications doivent être évaluées au moment de la nomination, et si une partie s’y oppose, doivent être examinées par la déléguée ministérielle. Aucun élément de preuve n’indique qu’il y a eu une discussion ou des objections à ce sujet au début de l’entrevue. Les parties n’ont pas présenté d’observations exhaustives sur le seuil minimal de compétences ou de connaissances dans le domaine de la violence dans le lieu de travail qui serait exigé en vertu du Règlement, et je suis réticent à trancher cette question en l’absence de telles observations. Je pense qu’il suffit de dire qu’à première vue, la nature des connaissances, de la formation et de l’expérience de M. Stienke, qui sont plutôt de base, respecte le seuil minimal exigé par l’alinéa 20.9(1)(b) relativement à la plainte qui lui a été transmise aux fins d’enquête. En fait, son manque d’expérience concernait davantage les aspects procéduraux d’une enquête menée au titre du paragraphe 20.9(4) et la rédaction d’un rapport officiel contenant ses conclusions et ses recommandations.

[120] La difficulté que j’éprouve avec la position des intimés est qu’une grande partie de leur argument sur cette question est fondée sur la conduite de M. Stienke durant l’enquête et la préparation de son rapport. Les intimés citent la décision Ressources naturelles Canada pour appuyer leur position selon laquelle la déléguée ministérielle et l’agent d’appel peuvent examiner la façon dont l’enquête a été menée et les lacunes du rapport pour déterminer si la personne possédait en fait les qualifications nécessaires et si elle est restée impartiale tout au long du processus. Les lacunes notées par les intimés comprennent essentiellement la décision de M. Stienke de ne pas interroger les témoins du STTP tout en déterminant qu’il n’y avait pas de preuves de violence dans le lieu de travail, le fait qu’il n’a pas inclus l’incident de la vérification du bien-être dans son enquête et le fait que son rapport provisoire a été soumis à l’examen de plusieurs collègues et supérieurs à Postes Canada. Les intimés font valoir que ces actions montrent clairement, de façon rétrospective, que M. Stienke ne possédait pas, après tout, les qualifications exigées aux alinéas 20.9(1)(a) et (b), y compris l’impartialité nécessaire, et qu’il n’aurait pas dû être nommé.

[121] Avec égards, j’ai beaucoup de difficulté à accepter cette observation et l’analyse énoncée de façon incidente dans la décision Ressources naturelles Canada, car elles interprètent mal le processus prescrit par l’article 20.9 du Règlement.

[122] À mon avis, les paragraphes 20.9(3) à (5) établissent un processus séquentiel. L’obligation imposée à l’employeur dans le cadre du régime prévu au paragraphe 20.9(3) consiste à nommer une « personne compétente » pour qu’elle enquête sur une situation alléguée de violence dans le lieu de travail qui n’a pas été résolue par les parties concernées après leurs démarches en ce sens (paragraphe 20.9(2) du Règlement). La personne à nommer doit satisfaire les conditions prescrites dans la définition de « personne compétente » contenue au paragraphe 20.9(1). Ces conditions doivent être remplies au moment de la nomination, et toute objection ou discussion à leur sujet doit être résolue à ce moment-là.

[123] Une fois que la personne compétente est nommée, elle doit s’acquitter du devoir prévu au paragraphe 20.9(4), et l’affaire n’est plus entre les mains de l’employeur. Seule cette personne doit mener une enquête sur la plainte et rédiger des conclusions et des recommandations que l’employeur doit, à son tour, appliquer de la façon prescrite à l’alinéa 20.9(5)(c). Cette disposition n’oblige pas l’employeur ni ne lui donne le pouvoir de dicter de quelle façon le mandat doit être rempli. Il s’agit de l’essence même des arguments des intimés dans la présente affaire. Le terme « employeur » n’est pas défini aux fins du paragraphe 20.9(3), ce qui complique l’interprétation lorsque la personne nommée est employée par l’employeur. J’ai déjà exprimé le point de vue selon lequel aucune disposition du Règlement n’empêche une personne employée par l’employeur d’être nommée à titre de personne compétente, pourvu que toutes les conditions prévues à l’article 20.9 soient remplies. Cependant, le régime prévoit, dans son esprit même, qu’une fois que cette personne est nommée, elle n’agit pas à titre de représentant de l’employeur quand elle remplit son mandat en vertu du paragraphe 20.9(4). La personne compétente doit le faire de façon indépendante de l’employeur, et dans la mesure où la personne est acceptée par toutes les parties dûment informées de la situation, le processus peut, à mon avis, atteindre son objectif.

[124] Il ne fait aucun doute que la personne compétente doit agir de façon impartiale et sans influence de l’employeur quand elle remplit ce mandat, afin de garantir la crédibilité et l’acceptabilité des conclusions et des recommandations contenues dans le rapport. Voilà la prémisse sur laquelle repose le régime d’enquête prévu à l’article 20.9. Cependant, je ne suis pas persuadé par l’argument selon lequel il faut considérer qu’une telle obligation est maintenue au fil du temps comme une obligation continue qui incombe à l’employeur. Ces règles de conduite s’appliquent à la personne compétente, à l’enquête et à la préparation du rapport. L’argument des intimés reviendrait à conférer à la déléguée ministérielle et à l’agent d’appel une fonction de surveillance ou d’appel s’apparentant à un contrôle judiciaire de l’enquête et du rapport de la personne compétente. Cette personne n’agit pas en qualité d’employeur et n’est pas une entreprise fédérale visée par les dispositions de fond du Code, selon les définitions contenues à l’article 2 du Code. J’estime qu’il est difficile de souscrire à l’argument des intimés selon lequel l’employeur doit être tenu responsable des manquements allégués de la personne compétente au cours du processus d’enquête prévu par un tel régime, ce qui pourrait avoir pour conséquence d’invalider la nomination de façon rétrospective.

[125] Je suis également troublé par les implications des arguments des intimés pour une autre raison. Le fait d’accepter qu’une déléguée ministérielle et un agent d’appel puissent examiner le déroulement de l’enquête et le rapport, afin de déterminer, rétrospectivement, si la personne était en fait impartiale et qualifiée au moment de sa nomination, mène à une issue inacceptable. La conséquence logique de cet argument est que l’employeur contreviendrait au Code (paragraphe 20.9(3) du Règlement) de façon rétrospective, en raison des actions d’une personne sur laquelle il n’exerce et ne devrait exercer aucune autorité ou influence. Une contravention du Code est une infraction qui est passible de poursuite. Il n’est tout simplement pas logique qu’une partie soit accusée d’avoir contrevenu au Code si les actions visées sont celles d’un tiers en vertu du régime établi par le Règlement.

[126] De plus, selon quelle norme de contrôle un tel contrôle devrait-il être effectué? Les questions d’équité procédurale sont généralement examinées selon une norme de bien-fondé. Suivant la logique des intimés, les hauts fonctionnaires et, plus tard, l’agent d’appel pourraient examiner minutieusement le processus d’enquête et les conclusions, ce qui nuirait, selon moi, à l’efficience du régime établi en vertu de l’article 20.9 du Règlement. Je suis d’accord avec la proposition voulant que les délégués ministériels et les agents d’appel n’aient pas le pouvoir d’examiner dans quelle mesure l’employeur, qui est l’une des parties assujetties au Code, s’est bien acquitté de ses obligations au titre de cette disposition. À mon avis, cette obligation se cristallise au moment de la nomination : premièrement, l’employeur doit nommer une personne compétente qui satisfait les conditions énoncées au paragraphe 20.9(1), et deuxièmement, il doit donner suite au rapport comme le prescrit le paragraphe 20.9(5). Je suis d’accord avec les arguments de l’appelante selon lesquels ce qui se produit entre ces deux moments ne peut pas être assujetti à un contrôle de la déléguée ministérielle ou de l’agent d’appel.

[127] Il ne fait aucun doute qu’une personne compétente doit agir de façon impartiale et indépendante, et qu’elle doit réaliser son mandat en respectant la notion d’équité procédurale. La vraie question en l’espèce porte sur le pouvoir d’effectuer un contrôle du processus d’enquête si celui-ci est entaché d’erreurs, comme le font valoir les intimés. À mon avis, la partie plaignante n’est pas privée d’un recours si la « personne compétente » ne respecte pas son obligation. La personne agit au titre du paragraphe 20.9(4) du Règlement dans le cadre d’un processus qui a été décrit comme « officiel » par la Cour d’appel fédérale. Même si le rapport contient des recommandations, qui par définition ne sont pas des conclusions qui lient les parties, l’employeur est tout de même tenu d’y donner suite comme le prévoit l’alinéa 20.9(5)(c). Par conséquent, le résultat de ce processus a une incidence sur les droits reconnus par la loi, impose des obligations à l’employeur ou cause des effets préjudiciables au plaignant. Je serais porté à croire, à tout le moins, que des exigences de base en matière d’équité procédurale, de neutralité et d’exhaustivité s’appliquent à la réalisation du mandat prévu à l’article 20.9 du Règlement. Pour ces motifs, j’ai de la difficulté à balayer du revers de la main la possibilité pour les parties de contester la conduite ou les conclusions de la personne compétente devant la Cour fédérale, après avoir présenté une demande de contrôle judiciaire. Il me semblerait qu’il serait à tout le moins sensé et plus favorable à l’efficience de notre système judiciaire que la conduite de la personne compétente durant la réalisation de son mandat soit assujettie au pouvoir de surveillance de la Cour, qui appliquerait la jurisprudence qui énonce les règles concernant la portée et la norme de contrôle d’un tel processus.

[128] Par exemple, dans la décision Pronovost, la Cour fédérale était saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un employeur (l’Agence du revenu du Canada) qui a rejeté la plainte de violence dans le lieu de travail formulée par un employé. La décision de l’employeur était fondée seulement sur le rapport préparé par une « personne compétente » nommée au titre du paragraphe 20.9(3) du Règlement et constituait le suivi effectué à la suite du rapport comme l’exige l’alinéa 20.9(5)(c). Les parties s’étaient expressément entendues sur la nomination de la personne en question. Le rapport de la personne compétente était contesté essentiellement pour les mêmes motifs que ceux évoqués par les intimés dans la présente affaire, à savoir un manquement par la personne compétente à son devoir d’équité procédurale durant l’enquête et le caractère déraisonnable de ses conclusions. Au paragraphe 13, le juge Martineau déclare ce qui suit :

[13] […] Bien que le Règlement ne prévoit aucune procédure spécifique, il faut savoir que l’enquête a des conséquences importantes sur le climat des relations de travail dans le milieu visé, ainsi que sur la carrière professionnelle et la condition psychologique de la présumée victime, ainsi que toute personne visée par la plainte de violence ou de harcèlement. Ces considérations sont déterminantes en l’espèce. En effet, l’obligation d’équité procédurale est particulièrement élevée dans le contexte d’allégations de harcèlement (voir notamment Renaud c Canada (Procureur général), 2013 CF 18, conf par Renaud c Canada (Procureur général), 2013 CAF 266). Bien que l’affaire Renaud traitait [sic] d’une plainte de harcèlement en vertu de la Politique sur le harcèlement du Conseil du Trésor, la même rigueur s’applique ici, puisque le harcèlement peut constituer de la violence aux fins de la partie XX du Règlement.

[C’est moi qui souligne]

[129] La Cour prend note de certaines lacunes dans la façon dont la personne compétente a mené son enquête. Elles comprenaient le fait que la plaignante n’a pas été informée des preuves des autres témoins, ce qui lui était défavorable et l’a empêchée de réfuter les preuves en question; l’absence d’une analyse des preuves dans le dossier; et l’absence d’un raisonnement suffisant pour comprendre comment l’enquêteur est parvenu à la conclusion que les actes allégués du gestionnaire ne constituaient pas des actes de violence. En somme, il s’agissait en grande partie des mêmes questions que celles soulevées par les intimés. La Cour n’était pas convaincue que la personne compétente avait mené une analyse rigoureuse et sérieuse du dossier. La Cour a indiqué ce qui suit aux paragraphes 18 à 20 :

[18] La décision de l’employeur rejetant la plainte de violence en milieu de travail n’est pas une issue acceptable. Il est manifeste que l’enquêteur n’a pas procédé à une analyse rigoureuse et sérieuse du dossier et que son enquête est gravement déficiente. La plainte de la demanderesse fait référence à plusieurs faits et incidents [qui] – s’ils sont tenus pour avérés à ce stade – pourraient constituer de la violence au sens du Règlement […].

[19] Force est de constater que les incidents relatés au paragraphe précédent – qui ne sont pas isolés – semblent contredire la conclusion générale de l’enquêteur à l’effet que les comportements reprochés constituaient seulement des mesures administratives relatives à l’exercice du droit de gérance de l’employeur. […] Certes, les mesures administratives contestées font l’objet de griefs, et les allégations de harcèlement seront effectivement examinées dans le cadre d’une enquête distincte. Il reste que l’obligation de l’employeur en vertu de la partie II du Code d’assurer un climat exempt de violence vise des comportements possiblement différents bien qu’il peut y avoir un certain recoupement. Bref, on parle ici de l’atmosphère même du milieu de travail, qui ne doit pas être contaminée par des comportements injurieux ou agressifs des gestionnaires et des employés. L’intimidation sous quelque forme que ce soit pollue les relations interpersonnelles et contribue à créer un environnement de travail malsain, autant pour l’employeur que pour ses employés. La prévention de la violence en milieu de travail vise notamment à réprimer des incidents qui ne seraient pas nécessairement jugés contraires à la convention collective – lorsque examinés isolément dans un contexte de grief, ou qui n’équivaudraient pas nécessairement à du harcèlement psychologique, mais que le législateur a tout de même jugé nécessaire de bannir de manière générale afin d’assurer un milieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence. L’endroit, la manière et le ton utilisé par un gestionnaire pour donner un avertissement ou réprimander un employé, sont autant d’éléments importants à considérer lorsqu’une plainte de violence en milieu de travail est faite par un employé.

[20] Donc, pour résumer, l’enquêteur devait s’assurer que le milieu de travail chez l’employeur était sécuritaire, sain et exempt de violence. Toutefois, rien dans son rapport n’indique qu’un tel exercice d’enquête a effectivement eu lieu. Or, les multiples incidents allégués par la demanderesse et énumérés plus haut pourraient, à tout le moins, indiquer la présence d’un certain climat de violence, et auraient donc mérité un examen plus approfondi. L’enquêteur aurait, bien sûr, été libre dans son rapport de rejeter, ultimement, les allégations de la demanderesse – advienne que l’enquête ait révélé qu’elles étaient non fondées et que le milieu de travail était par ailleurs sain et exempt de violence.

[C’est moi qui souligne]

[130] Je cite la décision Pronovost parce qu’elle montre que le genre de lacunes que les intimés soulignent peut être examiné par la Cour fédérale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle judiciaire. Il est juste de dire que la Cour n’aurait pas exercé son pouvoir si elle était d’avis qu’une autre mesure de redressement administrative était offerte, comme l’intervention d’un délégué ministériel ou d’un agent d’appel en vertu du Code, comme le font valoir les intimés. Par conséquent, je ne suis pas convaincu par la déclaration selon laquelle la disposition portant sur le rapport d’une personne compétente est « loin de signifier » que le rapport peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, comme il est indiqué dans la décision Ressources naturelles Canada. Le jugement dans l’affaire Pronovost nous dit le contraire et implique que le processus d’enquête de la personne compétente doit posséder bon nombre des caractéristiques d’un processus quasi‑judiciaire.

[131] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je ne modifierai pas l’instruction en y ajoutant un renvoi à l’alinéa 20.9(1)(b) du Règlement, comme le demandent les intimés.

Contravention au paragraphe 20.9(4) du Règlement

[132] Il reste la demande visant à modifier l’instruction en y ajoutant une contravention au paragraphe 20.9(4) du Règlement, qui énonce le devoir de la personne compétente d’enquêter sur la violence dans le lieu de travail et de fournir à l’employeur un rapport écrit contenant des conclusions et des recommandations. Il va sans dire que M. Stienke a effectivement mené une enquête sur la plainte de violence dans le lieu de travail formulée par M. King et qu’il a rédigé un rapport contenant des conclusions et des recommandations à l’intention de l’employeur, ce qui lui a permis, en apparence, de remplir son mandat en vertu du paragraphe 20.9(4). L’argument des intimés, si je le comprends bien, est encore une fois largement fondé sur leurs observations selon lesquelles, étant donné que M. Stienke n’était pas une « personne compétente » parce qu’il ne possédait pas les connaissances, la formation et l’expérience exigées par l’alinéa 20.9(1)(b)—en plus de ne pas être impartial—comme le démontrent les lacunes nommées par les intimés, on ne peut pas dire qu’il a présenté un « rapport d’une personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(4). L’employeur a donc commis un manquement en le nommant dès le départ et il doit en assumer la responsabilité; c’est pourquoi il faut conclure qu’il a également contrevenu à ces dispositions.

[133] À mon avis, il ne convient pas d’ajouter le paragraphe 20.9(4) à l’instruction. Premièrement, le paragraphe 20.9(4) porte sur la réalisation et le résultat du processus d’enquête. Les faits qui appuient l’allégation des intimés se rapportent tous à la façon dont M. Stienke a mené son enquête. Comme je l’ai expliqué plus haut, cet aspect est en dehors de la portée d’un examen mené par un agent d’appel.

[134] Deuxièmement, étant donné que cet argument concerne davantage le résultat du processus d’enquête plutôt que la nomination d’une « personne compétente », ce qui est la question en litige dans le présent appel, je suis d’avis que les restrictions imposées à mon pouvoir de modifier une instruction, qui sont énoncées dans la décision Rudavsky et que j’ai avalisées, s’appliquent en l’espèce. La déléguée ministérielle n’a jamais tenu compte de cette disposition particulière du Règlement, ni de la façon dont l’enquête de M. Stienke a été menée. Par conséquent, cet élément nous mènerait en dehors des circonstances ayant donné lieu à l’instruction, selon les dispositions de l’article 146.1. Autrement dit, cela reviendrait à produire une nouvelle instruction, plutôt qu’à modifier l’instruction visée par l’appel.

[135] Troisièmement, je ne vois pas comment on pourrait conclure que l’employeur ne s’est pas conformé au paragraphe 20.9(4), étant donné que cette disposition concerne seulement le processus d’enquête mené par la personne compétente et son résultat. L’employeur n’a pas l’obligation ni le pouvoir de s’assurer que l’enquête menée par une « personne compétente » est menée d’une façon particulière. Comme je l’ai expliqué dans les pages qui précèdent, le régime est conçu de façon à ce que l’employeur ne joue aucun rôle dans l’enquête menée par une « personne compétente », peu importe l’identité de cette personne. La personne compétente doit préparer un rapport qui contiendra des constats, des conclusions et des recommandations à l’intention de l’employeur. L’employeur, à son tour, doit donner suite au rapport comme l’exige le paragraphe 20.9(5) et adapter ses mesures de prévention et de contrôle de la violence dans le lieu de travail en tenant compte de ces conclusions et recommandations. Je ne vois pas comment on pourrait conclure que l’employeur a contrevenu au paragraphe 20(4) du Règlement dans le cadre d’un tel régime.

[136] Quoi qu’il en soit, je suis d’avis qu’il serait redondant et inutile d’inclure un renvoi au paragraphe 20.9(4) dans l’instruction, car je considère que l’argument des intimés est lié à la contravention principale, si l’on peut dire, pour laquelle la référence appropriée est le paragraphe 20.9(3) du Règlement. J’ai déjà décidé de confirmer que l’instruction était bien fondée.

Décision

[137] Pour les motifs précités, l’appel est rejeté et l’instruction donnée par la déléguée ministérielle, Deborah Gillis-Williams, le 29 mai 2017, est confirmée.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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