2019 TSSTC 7

Date : 2019-03-27

Dossier : 2018-08

Entre :

Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd., appelante

Indexé sous : Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd.

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est modifiée.

Décision rendue par : M. Olivier Bellavigna-Ladoux, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Julian Molinari, Menzies Aviation Fuelling Ltd.

Référence : 2019 TSSTC 7

Motifs de la décision

[1] Les présents motifs concernent une demande déposée aux termes du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail, LRC (1985), ch L-2 (le Code), par Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd. à l’encontre d’une instruction émise par Mme Elizabeth Porto, en qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (la déléguée ministérielle), le 23 février 2018.

Contexte

[2] L’instruction faisant l’objet de l’appel a été émise à la suite d’un incident survenu le 16 janvier 2018, à l’Aéroport international Lester B. Pearson-Toronto (l’aéroport). L’incident mettait en cause un préposé au ravitaillement employé par l’appelante (l’employé) qui était en train de ravitailler un aéronef situé à la porte C25 du terminal 3 de l’aéroport. L’employé a remarqué que l’embout sur l’aéronef fuyait. Pendant qu’il tentait de rajuster l’embout, celui-ci s’est détachée de l’aéronef et a aspergé le visage de l’employé de carburant. L’employé a eu du carburant dans les yeux, le nez et la bouche.

[3] Le même jour, le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada a été informé de l’incident par un inspecteur du ministère du Travail de l’Ontario. L’agent de service du Programme du travail a par la suite communiqué avec l’appelante et a parlé avec un gestionnaire, M. Marc Day. L’agent de service a avisé le gestionnaire de l’obligation de l’appelante de soumettre un Rapport d’enquête de situation comportant des risques au ministre dans les 14 jours qui suivent l’incident, conformément à l’article 15.8 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304 (Règlement).

[4] Le Programme du travail n’a pas reçu le Rapport d’enquête de situation comportant des risques dans ce délai. Il a donc chargé la déléguée ministérielle d’enquêter sur l’incident. La déléguée ministérielle s’est rendue sur le lieu de travail le 20 février 2018. Par suite de son enquête, la déléguée ministérielle a conclu qu’au moment de l’incident, l’employé ne portait pas de protecteur facial adéquat pour prévenir une exposition au carburéacteur. L’employé portait des lunettes de sécurité de catégorie 1A. Toutefois, la déléguée ministérielle a constaté que la fiche signalétique fournie par l’appelante indiquait que les écrans faciaux constituaient l’équipement de protection approprié contre l’exposition à du carburéacteur. À la suite de ses conclusions, la déléguée ministérielle a émis l’instruction suivante à l’appelante :

[Traduction] dans l’affaire du Code canadien du travail

Partie II — Santé et Sécurité au Travail
Instruction a l’employeur en vertu du paragraphe 145(1)

Le 20 février 2018, la représentante déléguée par le ministre du Travail soussignée a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 5600 Silver Dart Dr, C.P. 6058 AMF, Mississauga (Ontario) LSP 1B2, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Menzies Aviation.

Ladite représentante déléguée par le ministre du Travail est d’avis qu’une contravention à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été commise :

No : 1

Alinéa 125(1)(l) – Partie II du Code canadien du travail;
Article 12.6 – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

L’employeur a omis de fournir un dispositif protecteur du visage aux employés exposés au carburéacteur pendant le ravitaillement d’un aéronef.

Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention le 9 mars 2018 au plus tard.

De plus, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par la représentante déléguée par le ministre du Travail, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
Instruction émise à Mississauga, Ontario, ce 23 jour de février 2018.

[Signé]
Elizabeth Porto
Représentante déléguée par le ministre du Travail
[…]

[5] Le 19 mars 2018, la demanderesse a déposé une demande d’appel, accompagnée d’une demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction visée par l’appel. La demande de suspension a été entendue le 5 avril 2018 dans le cadre d’une conférence téléphonique et le 6 avril 2018, j’ai informé la demanderesse de ma décision d’accorder la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction.

[6] J’ai entendu l’appel sur son bien-fondé, à Toronto, le 4 juillet 2018. J’ai entendu les témoignages de la déléguée ministérielle, de l’appelante et de M. Alex Medina, le responsable de la formation pour l’appelante. Ni l’employé blessé ni son syndicat n’ont participé à ces procédures.

Question en litige

[7] La question dans la présente affaire consiste à savoir si l’instruction émise le 23 février 2018 par la déléguée ministérielle en vertu de l’alinéa 125(1)(l) du Code et de l’article 12.6 du Règlement est bien fondée.

Observations de l’appelante

[8] L’appelante affirme que ses activités à Toronto nécessitent plus de 100 pièces d’équipement et que chacune d’entre elles est vérifiée périodiquement. L’équipement d’avitaillement en carburant est vérifié tous les mois afin de veiller à ce que les ensembles de tuyaux et d’embouts ainsi que les systèmes de filtration permettent de ravitailler les aéronefs de façon sécuritaire.

[9] L’appelante indique que les fournisseurs et les fabricants du carburéacteur utilisé pour ravitailler l’aéronef recommandent de porter des protecteurs oculaires de catégorie 1 à 3 lorsque les employés se livrent à des manœuvres standard, et des écrans faciaux complets lorsqu’ils sont dans des situations inhabituelles.

[10] Concernant les faits à l’origine de la présente affaire, l’appelante souligne que le tuyau de ravitaillement n’était pas attaché correctement à l’aéronef ou qu’il était défectueux, et que la raison pour laquelle l’employé a été aspergé de carburant était qu’il n’avait pas réduit la pression dans le tuyau avant de rajuster l’embout. L’appelante croit que la situation aurait pu être évitée si l’embout avait été attaché correctement ou si l’employé avait arrêté le débit de carburant et attendu que la pression dans le tuyau se soit dissipée. Afin d’éviter que cette situation ne se reproduise, l’appelante soutient qu’elle a ajouté un module dans le programme de formation sur la façon de manipuler les embouts.

[11] Selon l’appelante, depuis le 1 octobre 2015, elle a ravitaillé environ 600 000 aéronefs à l’aéroport de Toronto. Chacune de ces opérations de ravitaillement nécessite au moins 4 branchements et débranchements : 2 au sol, et au moins 2 à l’aéronef. En plus des vérifications mensuelles, le nombre de branchements et de débranchements effectués par les employés de l’appelante s’élèverait à plus de trois millions. Sur ces trois millions d’opérations, depuis octobre 2015, l’appelante soutient n’avoir connaissance que d’un autre incident au cours duquel le carburant pourrait avoir été ingéré lors du ravitaillement d’un aéronef.

[12] L’appelante soutient qu’il est difficile de justifier le fait d’obliger 500 employés à porter des écrans faciaux complets dans des conditions peu clémentes, comme pendant une canicule ou des grands froids, en raison de la survenance d’un incident sur trois millions d’opérations. L’appelante indique également que les écrans faciaux pourraient déranger et gêner les employés, ce qui pourrait causer un préjudice aux employés ou des dommages à l’aéronef.

[13] L’appelante compare le ravitaillement d’un aéronef à l’alimentation d’une voiture. Elle allègue que les stations d’essence sont également équipées de tuyaux et d’embouts, et que si ceux-ci fonctionnent mal, la personne qui alimente sa voiture pourrait être aspergée de carburant. Les propriétaires de voitures mettent pourtant régulièrement de l’essence dans leur voiture sans porter de lunettes, de gants ou d’autres protections, et ce, sans inquiétude.

[14] L’appelante reconnaît que le protecteur oculaire actuel distribué à son emplacement de Toronto peut ne pas être adéquat et elle est prête à fournir à tous ses employés des protecteurs oculaires de catégorie 2B, comme il est décrit dans la norme Z94.3-M1982 de l’ACNOR intitulée Protecteurs oculaires et faciaux pour l’industrie (la norme). L’appelante souligne que la norme précise que l’écran facial constitue le niveau de protection le plus élevé, mais que celui-ci n’est pas approprié pour la nature des tâches à effectuer par les préposés au ravitaillement. L’appelante demande une solution pratique, une solution qui ne nuira pas à la capacité des employés d’accomplir leurs tâches.

[15] L’appelante me demande de modifier l’instruction émise par la déléguée ministérielle afin de donner comme directive aux employés de porter des protecteurs oculaires de catégorie 2B plutôt qu’un dispositif protecteur du visage complet.

Analyse

[16] Le paragraphe 146.1(1) du Code décrit le pouvoir d’un agent d’appel lorsqu’une instruction émise par un délégué ministériel est portée en appel :

146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions

[17] Afin de déterminer si je vais modifier, annuler ou confirmer l’instruction émise par la déléguée ministérielle, le 23 février 2018, je dois déterminer si l’appelante contrevenait à l’alinéa 125(1)(l) du Code et à l’article 12.6 du Règlement. L’alinéa 125(1)(l) du Code se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

[…]

(l) de fournir le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui il permet l’accès du lieu de travail;

[18] Comme il est indiqué dans l’instruction de la déléguée ministérielle, le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité mentionnés à l’alinéa 125(1)(l) du Code sont détaillés à l’article 12.6 du Règlement. L’article 12.6 fait partie de la partie XII du Règlement (matériel, équipement, dispositifs, vêtements de sécurité). Cependant, l’article 12.6 du Règlement ne doit pas être lu isolément. L’agent d’appel dans Bell Mobilité Inc., 2012 TSSTC 26, a écrit au paragraphe 33 de sa décision : « avant de déterminer si l’article 12.10 du RCSST s’applique à une situation donnée, on doit examiner son article 12.1 et s’en servir pour analyser les risques potentiels pour la santé ou la sécurité en question. » Le même raisonnement s’applique à l’article 12.6 du Règlement soulevé dans le présent appel. Les parties pertinentes de la partie XII du Règlement se lisent comme suit :

12.1 Toute personne à qui est permis l’accès au lieu de travail doit utiliser l’équipement de protection réglementaire visé par la présente partie dans les cas suivants :

a) lorsqu’il est en pratique impossible d’éliminer ou de maintenir à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la santé ou la sécurité

b) lorsque l’utilisation de l’équipement de protection peut empêcher une blessure ou en diminuer la gravité

12.2 L’équipement de protection visé à l’article 12.1 :

a) doit être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni

b) ne doit pas présenter de risque

[…]

12.6 Lorsque, dans le lieu de travail, il y a risque de blessures aux yeux, au visage, aux oreilles ou au devant du cou, l’employeur doit fournir un dispositif protecteur des yeux ou du visage conforme à la norme Z94.3-M1982 de l’ACNOR intitulée Protecteurs oculaires et faciaux pour l’industrie, publiée dans sa version française en février 1983 et publiée dans sa version anglaise en mai 1982.

[C’est moi qui souligne]

[19] L’article 12.1 du Règlement dispose que la partie XII est régie par le principe de ce qui « est en pratique possible ». L’article 12.1 prévoit que dans les cas où il est en pratique impossible d’éliminer ou de maintenir à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la santé ou la sécurité, toute personne à qui est permis l’accès au lieu de travail doit utiliser l’équipement de protection réglementaire visé par la partie XII. Par conséquent, appliqués à la situation particulière de la présente affaire, les articles 12.1 et 12.6 du Règlement exigent que s’il est en pratique impossible d’éliminer ou de contrôler le risque d’être arrosé par du carburéacteur lors du ravitaillement d’un aéronef, toute personne à qui est permis l’accès au lieu de travail et qui est exposée à ce risque doit utiliser des protecteurs oculaires ou faciaux qui respectent les normes établies dans la norme.

[20] La norme mentionnée à l’article 12.6 du Règlement établit les exigences minimales de performance en ce qui a trait aux protecteurs oculaires et faciaux dans le lieu de travail. La norme se lit comme suit :

1.1 Cette norme traite des protecteurs oculaires et faciaux utilisés au travail ainsi que dans les maisons d’enseignement et écoles de métiers ou pour des activités pouvant entraîner des accidents aux yeux et au visage. Les accidents types sont imputables aux particules ou objets projetés, aux éclaboussures de liquide ou de métaux fondus, aux rayonnements ultraviolets, visibles et infrarouges. La norme ne tient pas compte des accidents imputables aux rayons X, aux rayons gamma, aux rayonnements particulaires de matière à forte énergie, ni de ceux causés par les lasers ou les masers.

1.2 Cette norme établit des exigences minimales de performance en ce qui a trait aux essais que doivent subir les protecteurs oculaires et faciaux, mais ne traite pas de facteurs de conception comme le confort, la durée de vie utile ou l’esthétique de ces protecteurs.

[C’est moi qui souligne]

[21] La norme doit être appliquée d’une façon qui est conforme à l’objet de la partie II du Code. L’objet de la partie II du Code se lit comme suit :

Prévention des accidents et des maladies

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

Ordre de priorité

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[C’est moi qui souligne]

[22] Les agents d’appel, plus récemment, dans Zimmerman c. Service correctionnel du Canada, 2018 TSSTC 14, ont appliqué la clause relative à l’objet de la partie II du Code de façon rigoureuse. Dans les circonstances de la présente affaire, l’objet de la partie II du Code exige que l’appelante atténue les risques associés aux fonctions des préposés au ravitaillement autant que possible, d’abord en éliminant les risques, puis en les réduisant, et en dernier lieu, en fournissant de l’équipement de protection individuelle visant à prévenir les risques qui n’auraient pas pu être éliminés ou atténués.

[23] L’appelante fait suivre aux préposés au ravitaillement un programme de formation de 5 semaines. De ces 5 semaines, 3 sont consacrées à la procédure de ravitaillement d’un aéronef. Tous les tuyaux de ravitaillement sont équipés d’un embout de ravitaillement conçue pour empêcher les éclaboussures de carburant pendant le ravitaillement d’un aéronef. L’appelante fournit également aux préposés au ravitaillement un équipement de protection individuel, notamment des gants, des protecteurs d’oreilles, des combinaisons, des bottes de protection et des lunettes de sécurité de catégorie 1A. Tout en gardant à l’esprit que l’instruction de la déléguée ministérielle a été émise à la suite d’un incident au cours duquel du carburant est entré dans les yeux, le nez et la bouche d’un employé, j’infère des témoignages de MM. Molinari et Medina que l’incident du 16 janvier 2018 était un incident isolé. En fait, les mécanismes et les procédures susmentionnés régissant le ravitaillement d’un aéronef font du ravitaillement une opération pratiquement exempte d’incident.

[24] Cela étant dit, la norme ne traite pas explicitement du type de protection à utiliser lors de la manutention de carburant, mais à l’appendice C de la norme, qui ne constitue pas une partie obligatoire de la norme, les risques et les protecteurs oculaires recommandés sont classés dans un tableau. La manutention de carburant fait logiquement partie du groupe D, qui comprend les éclaboussures d’acides et les brûlures imputables aux produits chimiques. La norme recommande d’utiliser des protecteurs oculaires de catégorie 2B, 3B et 6B pour les risques faisant partie du groupe D. Les protecteurs oculaires de catégorie 2B comprennent les lunettes de travail à coques; ceux de catégorie 3B comprennent les lunettes de travail à monture monobloc et ceux de catégorie 6B comprennent les écrans faciaux.

[25] Le terme « lunettes de travail » est défini à l’article 2.1 de la norme comme étant un « dispositif à pourtour étanche, maintenu en place par un bandeau ou tout autre équivalent approprié et qui sert à protéger les yeux ainsi que leur orbite ». Le terme « écran facial » est défini à l’article 2.1 de la norme comme étant un « dispositif comportant une visière transparente que l’on porte en avant du visage pour se protéger les yeux et le visage ».

[26] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’appelante fournit actuellement à ses employés des lunettes de sécurité de catégorie 1A. Ces lunettes consistent simplement en une monture munie de 2 verres sans protections latérales, et elles ne représentent pas une protection appropriée contre aucun des risques énumérés à l’appendice C de la norme, y compris la manutention de carburéacteur. L’appelante a admis à l’audience, ainsi que dans ses observations écrites finales, que les protecteurs oculaires que les employés doivent actuellement porter peuvent ne pas être appropriés pour protéger les yeux des préposés au ravitaillement. Je reconnais également que les lunettes de sécurité de catégorie 1A ne protègent pas adéquatement les yeux contre les éclaboussures de carburéacteur, et à l’instar de la déléguée ministérielle, je conclus que l’appelante a contrevenu à la norme, et par le fait même, à l’alinéa 125(1)(l) du Code et à l’article 12.6 du Règlement.

[27] La question consiste maintenant à déterminer si les mesures précisées par la déléguée ministérielle pour empêcher la répétition de la contravention sont appropriées dans le cas prévu par la partie XII du Règlement. En d’autres mots, la déléguée ministérielle a-t-elle commis une erreur en ordonnant à l’appelante de fournir un dispositif protecteur du visage complet aux employés exposés au carburéacteur pendant le ravitaillement d’un aéronef?

[28] L’appelante a déclaré que la déléguée ministérielle s’est appuyée sur la mauvaise fiche signalétique pour émettre son instruction. La déléguée ministérielle a écrit dans le rapport appuyant son instruction qu’elle avait examiné deux fiches signalétiques en ligne et que toutes deux recommandaient des écrans faciaux complets comme protection appropriée à utiliser lors de la manutention de carburéacteur. Dans le même rapport, la déléguée ministérielle s’est apparemment appuyée sur la fiche de données de sécurité (FDS), Carburéacteur A/A-1, de Petro-Canada, qui prévoit à sa section 8 portant sur la protection des yeux qu’un employé devrait porter un « écran-facial et des vêtements de protection en cas de problèmes lors de la mise en œuvre. » [Emphase ajouté]

[29] Lors de son témoignage, M. Molinari a affirmé que l’appelante n’utilise pas le carburéacteur de Petro-Canada pour ravitailler des aéronefs, et c’est pourquoi elle me demande d’ignorer les renseignements inclus dans cette FDS. Je suis disposé à le faire, mais j’aimerais préciser que le ravitaillement d’un aéronef ne constitue pas un problème lors de la mise en œuvre, comme l’indique la FDS de Petro-Canada. Je ne considère donc pas que la recommandation de Petro-Canada de porter un écran facial et des vêtements de protection s’applique aux circonstances qui ont mené à l’incident au cours duquel un employé a été aspergé de carburéacteur.

[30] Dans le cadre de l’audience, l’appelante a présenté une preuve que la déléguée ministérielle n’avait pas examinée avant d’émettre son instruction. J’ai mené le présent appel de façon de novo, ce qui m’a permis de recevoir une nouvelle preuve, sans me demander si ces éléments avaient été pris en considération par la déléguée ministérielle pendant son enquête. La nouvelle preuve soumise par l’appelante à l’audience se compose de la FDS du carburéacteur de ses principaux fournisseurs, notamment Shell Trading Canada, BP Products North America, Chevron Phillips Chemical Company LP, U.S. Oil & Refining Co. et Imperial Oil Downstream.

[31] Relativement aux protecteurs oculaires contre le carburéacteur, les fournisseurs de l’appelante recommandent divers équipements de protection individuelle allant des lunettes de sécurité avec écrans latéraux aux écrans faciaux. Imperial Oil Downstream recommande des lunettes de sécurité munies d’écrans latéraux lorsque du carburéacteur risque d’entrer en contact avec les yeux; Shell Trading Canada recommande de porter des lunettes de travail contre les liquides et les gaz; Chevron Phillips Chemical Company LP recommande de porter des lunettes de sécurité à protection intégrale; BP Products North America recommande de porter des lunettes protectrices contre les agents chimiques et U.S. Oil & Refining Co. recommande également de porter des lunettes de sécurité contre les agents chimiques ou un écran facial.

[32] Je conclus d’après les FDS que j’ai analysées que les fournisseurs de carburéacteur de l’appelante recommandent généralement de porter des lunettes de travail à coques pour se protéger les yeux contre du carburéacteur. Ces recommandations ne se substituent pas aux exigences du Code et elles ne me lient pas, mais je trouve qu’elles fournissent une orientation utile pour résoudre le présent appel.

[33] Les lunettes de travail décrites dans les FDS sont semblables à celles des catégories 2B et 3B décrites dans la norme. L’article 8.2 de la norme est conforme aux FDS et précise qu’en ce qui a trait à l’équipement de protection personnel, les lunettes de travail de catégorie 2B et 3B assurent une protection raisonnable contre les particules de poussière fines, les projections de liquide et les chocs.

[34] D’autre part, l’article 10 de la norme prévoit ce qui suit : « Les écrans faciaux sont fabriqués pour assurer la protection du visage (par exemple la partie antérieure de la tête, y compris les yeux, le front, les joues, le nez, la bouche et le menton) et s’il y a lieu, de la partie antérieure du cou contre les particules volantes et des jets de liquides dangereux » [emphase ajouté]. La norme recommande de porter des lunettes de sécurité (catégorie 1) ou des lunettes de travail (catégorie 2) en plus d’un écran facial.

[35] Bien que j’aie déjà conclu que l’alinéa 125(1)(l) du Code et l’article 12.6 du Règlement ont été enfreints, je ne vois pas dans la preuve qui m’a été présentée de raison convaincante pour obliger le port d’un dispositif protecteur du visage complet pour remédier à cette contravention. L’analyse du Règlement, du Code, de la norme et des FDS ne m’amène pas à conclure que l’employeur doit fournir un dispositif protecteur du visage complet à ses employés lorsque ceux-ci ravitaillent un aéronef. Je crois que fournir un dispositif protecteur du visage complet aux préposés au ravitaillement dans de multiples aéroports partout au pays en raison d’un incident isolé pendant le ravitaillement d’un aéronef est disproportionné et va au-delà de ce qui est en pratique possible.

[36] Compte tenu du fait que la norme recommande que les employés exposés à des éclaboussures de carburéacteur portent au moins des protecteurs oculaires de catégorie 2B, et qu’un protecteur oculaire de catégorie 2B combiné aux mesures de sécurité déjà mises en place par l’appelante sont, selon moi, suffisantes pour contrôler les dangers associés au ravitaillement d’un aéronef, dans la mesure qui est en pratique possible en vertu de la partie XII du Règlement, je suis d’avis que l’appelante devrait bénéficier de plus de latitude que celle accordée par la déléguée ministérielle en ce qui a trait à la fourniture de protecteurs oculaires raisonnables à ses employés, et je ne crois pas qu’un dispositif protecteur du visage complet constitue une solution en pratique possible dans les circonstances entourant le ravitaillement d’un aéronef.

[37] Selon la preuve qui m’a été présentée, je conclus que les protecteurs oculaires de catégorie 2B ou 3B, à savoir des lunettes de travail à coques ou des lunettes de travail à monture monobloc, suffisent pour contrôler un risque de blessures couru par les préposés au ravitaillement sans aller au-delà de ce qui est en pratique possible, comme le prévoit la partie XII du Règlement. Je conclus également que fournir des protecteurs oculaires de catégorie 2B ou 3B, plutôt que le dispositif protecteur du visage complet ordonné par la déléguée ministérielle, ne va pas à l’encontre de la partie II du Code, respecte les exigences de la norme et protège de façon adéquate la santé et la sécurité des préposés au ravitaillement.

[38] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que l’instruction émise, le 23 février 2018, par la déléguée ministérielle en vertu de l’alinéa 125(1)(l) du Code et de l’article 12.6 du Règlement, n’est pas fondée.

Décision

[39] L’instruction émise par la déléguée ministérielle le 23 février 2018 est modifiée.

Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel

Annexe

[Traduction] Dans l’affaire du Code canadien du travail

Partie II — Santé et Sécurité au Travail

Instruction modifiée à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1)

Le 20 février 2018, la représentante déléguée par le ministre du Travail, Elizabeth Porto, a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Menzies Aviation Fuelling Canada Ltd., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 5600 Silver Dart Dr, C.P. 6058 AMF, Mississauga (Ontario) LSP 1B2.

La déléguée ministérielle était d’avis que l’alinéa 125(1)(l) du Code canadien du travail et l’article 12.6 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail avaient été enfreints puisque l’employeur avait omis de fournir un dispositif protecteur du visage complet aux employés exposés au carburéacteur pendant le ravitaillement d’un aéronef.

À la suite d’un appel interjeté en vertu de l’article 146 du Code canadien du travail, j’ai mené une enquête conformément à l’article 146.1 concernant l’instruction émise par la déléguée ministérielle.

À la suite de mon enquête, j’estime que les dispositions qui suivent ont été enfreintes. L’instruction émise par la représentante déléguée par le ministre du Travail est modifiée en conséquence.

Alinéa 125(1)(l) du Code canadien du travail;

Article 12.6 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

L’employeur a omis de fournir un protecteur oculaire adéquat aux employés exposés au carburéacteur pendant le ravitaillement d’un aéronef.

Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention le 29 avril 2019 au plus tard.

Modifiée à Ottawa, ce 27 jour de mars 2019.

Olivier Bellavigna-Ladoux

Agent d’appel

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