2019 TSSTC 8
Date : 2019-03-29
Dossier : 2018-11
Entre :
Abdulkadir Hassan, appelant
et
Ville d’Ottawa (OC Transpo), intimée
Indexé sous : Hassan c. Ville d’Ottawa (OC Transpo)
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par une représentante déléguée par le ministre du Travail.
Décision : La décision selon laquelle aucun danger n’existe est confirmée.
Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelant : Lui-même
Pour l’intimé : Mme Alexandra Miculan, avocate, Services juridiques de la Ville d’Ottawa
Référence : 2019 TSSTC 8
Motifs de la décision
[1] Les motifs de la présente décision portent sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d'une décision d'absence de danger rendue le 27 mars 2018 par Mme Jennifer Stathis, en qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (la déléguée ministérielle). La décision a été rendue après le refus de travailler de l'appelant au motif qu'il était exposé à une situation dangereuse sur son lieu de travail. L'appel a été déposé auprès du Tribunal le 5 avril 2018.
[2] L'avis d'appel se lit comme suit :
[Traduction] Je n'ai pas reçu le rapport d'enquête et la décision (10 jours à compter de la date de la décision du 27 mars) comme s'y était engagée Mme Jennifer Stathis. Comme je dispose d'un délai de 10 jours pour interjeter appel de sa décision et que je n'ai toujours pas reçu son rapport complet aujourd'hui le 5 avril 2018, j'en appelle de la décision en me fondant sur sa négligence à l'égard de ses obligations de me transmettre un rapport complet de sa décision.
Étant donné que je ne dispose pas du rapport complet de sa décision (aujourd'hui le 5 avril 2018), je présume qu'elle n'a pas tenu compte des événements antérieurs similaires à ceux que j'ai soumis présentant un danger imminent pour la vie.
Mme Jennifer Stathis a commis une erreur dans l'orthographe de mon nom, comme le montrent les pièces jointes. Aussi, étant donné qu'elle a commis une erreur dans l'orthographe de mon nom et qu'elle ne m'a pas fourni le rapport complet de sa décision dans un délai raisonnable, je présume que son enquête est erronée.
De plus, l'adresse électronique figurant dans le projet de rapport de décision de Mme Stathis était erronée comme le montre la pièce jointe; j'ai tenté d'envoyer un courriel à cette adresse plus tôt aujourd'hui sans succès et j'ai finalement dû faire une recherche sur Google pour trouver la bonne adresse électronique, ce qui démontre encore la négligence de Mme Sathis à l'égard de ses obligations.
[3] L'appel a été entendu à Ottawa les 3 et 5 décembre 2018. L'appelant a déposé ses observations finales le 11 janvier 2019; l'employeur a déposé ses observations finales le 11 février 2019; l'appelant n'a pas présenté d'observations en réplique.
Contexte
[4] L'appelant est l'un des conducteurs d'autobus de l'intimée (l'employeur). Il a refusé de travailler le 5 février 2018 dans des circonstances que l'on peut résumer comme suit.
[5] À la suite d'un incident survenu le 14 octobre 2017 au cours duquel l'appelant, selon ses allégations, aurait été agressé par M. Gurb Chahal, superviseur itinérant employé de l'intimée, ainsi qu'à la suite d'une recommandation de son médecin visant à ce qu'il soit affecté à des tâches modifiées à la suite de l'incident, M. Hassan a été affecté à un travail ne l'obligeant pas à conduire, et a ainsi travaillé à titre de préposé de garage pour aider ses collègues et pour nettoyer les autobus au garage Pinecrest d'OC Transpo. Cette affectation modifiée, qui a débuté le 31 janvier 2018 dans le cadre d'un quart de travail de quatre heures, devait se terminer le 4 février 2018. M. Hassan était en congé pour raisons médicales depuis l'incident du 14 octobre 2017 et bénéficiait d'un soutien psychologique.
[6] Durant son premier quart de travail au garage Pinecrest, alors qu'il sortait des toilettes, M. Hassan a croisé M. Chahal, contre qui il avait introduit une plainte de violence dans le lieu de travail à la suite de l'incident du 14 octobre 2017. L'appelant a décrit l'interaction lors de son témoignage à l'audience de la manière suivante : quand ils se sont trouvés face à face, alors que M. Chahal entrait dans les toilettes, ce dernier lui [traduction] « a souri avec un air méprisant » et l'a [traduction] « dévisagé ». Il a indiqué que M. Chahal l'avait regardé tout en [traduction] « proférant un son ». M. Hassan a déclaré que la rencontre n'avait duré que quelques secondes. Ils ne se sont pas parlés. Il n'y a pas eu de contact physique entre les deux personnes ni aucun geste de quelque nature que ce soit. Les toilettes sont situées dans une zone publique du lieu de travail accessible à tous les employés.
[7] M. Hassan n'a pas immédiatement signalé cette [traduction] « interaction ». Le lendemain de l'incident, le 1 février 2018, il a envoyé un courriel à son superviseur, M. Greg Burnette, pour l'informer qu'il ne se sentait pas en sécurité du fait de devoir travailler au même endroit que son agresseur allégué. M. Burnette a décidé de suspendre le travail modifié de l'appelant de manière à pouvoir examiner l'incident. Le 2 février 2018, M. Burnette a déterminé qu'il n'y avait pas de problème de sécurité et a informé M. Hassan par courriel qu'il s'attendait à ce qu'il reprenne son quart de travail le 2 février 2018.
[8] M. Burnette a indiqué à tort dans son courriel que M. Chahal n'était pas basé au garage Pinecrest. Lorsqu'il a été informé de son erreur, il a appelé l'appelant plus tard dans la journée ou le lendemain pour l'en informer, tout en réitérant qu'il ne percevait toujours pas de problème de sécurité pour M. Hassan. M. Burnette a noté que même si M. Chahal travaillait au garage Pinecrest, il passait 95 à 98 % de son temps de travail sur la route pour gérer des problèmes liés aux services. Il n'y a pas de lien hiérarchique entre M. Hassan et M. Chahal.
[9] M. Hassan est retourné voir son médecin le 2 février 2018 et il a été autorisé à reprendre ses fonctions habituelles à compter du 4 février 2018. Comme il n'était pas censé travailler les 3 et 4 février 2018, son prochain quart de travail était le 5 février 2018. M. Hassan a invoqué son droit de refuser de travailler l'après-midi du 5 février 2018. Son refus fait référence à l'interaction qu'il a eue avec M. Chahal le 31 janvier 2018, à l'incident du 14 octobre 2017 et à d'autres incidents durant lesquels les appels radio avaient été ignorés et au cours desquels des agents de sécurité spéciaux n'avaient pas été dépêchés sur le lieu de l'incident alors que cela avait été demandé par un employé, situation qu'il avait lui-même connue par le passé.
[10] M. Burnette a enquêté sur le refus et a de nouveau déterminé que M. Hassan ne courait aucun danger en étant présent à son quart de travail. Dans un courriel du 2 février 2018 envoyé à M. Burnette, M. Hassan a déclaré ce qui suit :
[Traduction] […] L'intégralité de ma demande pour un accommodement modifié et des soins médicaux résulte de l'agression de M. Gurbakshish Chahal contre moi. Le problème n'est pas de savoir si M. Gurbakshish Chahal est une menace pour moi, mais mes exigences médicales relatives à un accommodement demandent à ce que je me trouve éloigné de M. Gurbakshish Chahal et à l'écart des appels radio dans les autobus ou du centre de contrôle, pendant la période d'exigence médicale de tâches modifiées.
[soulignement dans l'original]
[11] Le maintien, par M. Hassan, de sa décision de refuser de travailler, a ainsi donné lieu à une enquête du Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail, conformément au Code. Après avoir examiné les circonstances du refus, y compris les faits et les déclarations se rapportant à l'incident du 14 octobre 2017, le Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail a conclu à l'absence de danger le 1 mars 2018. Cependant, le Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail a formulé des recommandations concernant [traduction] « les processus internes en matière de relations avec les employés, de réponse immédiate et de résolution des problèmes », plus précisément des mesures visant à garantir que les employés comprennent mieux les protocoles du Centre de contrôle des opérations de transport en commun lorsqu'ils répondent à des appels d'aide, et a également formulé des recommandations sur les rapports semestriels au Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail portant sur toutes les demandes d'assistance adressées à l'Unité des agents de sécurité spéciaux et sur la manière dont elles sont traitées.
[12] M. Hassan ayant continué de refuser de travailler, le Programme du travail d'Emploi et Développement social Canada a été contacté. La déléguée ministérielle a mené son enquête sur le refus durant le mois de mars 2018. Elle a conclu que le refus [traduction] « aurait pu être résolu à l'interne si l'employeur avait correctement géré l'incident du 14 octobre 2017 » conformément aux exigences du paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement). Elle a noté dans son rapport qu'à la suite de discussions durant son enquête, l'employeur avait accepté de nommer une [traduction] « personne compétente » pour enquêter sur la plainte de violence formulée par l'employé en lien avec l'incident du 14 octobre 2017. Au moment de la rédaction de son rapport, les parties avaient convenu du choix de la personne compétente. J'ai été informé à l'audience qu'une enquête officielle avait été menée par une [traduction] « personne compétente » acceptée par toutes les parties et qu'il avait été établi que la plainte de M. Hassan n'était pas fondée.
[13] Dans son rapport, la déléguée ministérielle a également abordé certaines questions plus générales soulevées par l'incident du 14 octobre 2017, à savoir que l'employeur avait fourni des politiques détaillées précisant les différentes procédures associées aux appels de détresse des conducteurs. La déléguée ministérielle a confirmé que l'employeur allait fournir au Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail des rapports semestriels résumant les demandes rejetées d'assistance présentées par les employés à l'Unité des agents de sécurité spéciaux. L'employeur a aussi donné des conseils au Centre de contrôle des opérations de transport en commun et continuera de le surveiller pour veiller à ce qu'un agent de sécurité spécial soit dépêché à la demande d'un conducteur et pour garantir que toutes préoccupations futures soient traitées de façon appropriée.
[14] Enfin, la déléguée ministérielle a noté dans son rapport que l'employé avait été autorisé par son médecin à reprendre ses fonctions habituelles à compter du 4 février 2018 et qu'il n'était pas indiqué que l'employé évite tout contact avec M. Chahal. Le 27 mars 2018, la déléguée ministérielle a rendu sa décision oralement, concluant que M. Hassan n'était pas exposé à un danger au moment de son refus. Elle a confirmé sa décision par écrit le 5 avril 2018.
[15] Bien que je ne sois pas saisi de l'incident du 14 octobre 2017 proprement dit, une partie importante des documents versés au dossier du Tribunal (le rapport d'enquête de la déléguée ministérielle et les pièces jointes) et de la preuve présentée à l'audience font référence à cet incident. L'incident en question est important dans le contexte du présent appel. Une brève description de ce qui s'est passé, combinée au témoignage de M. Hassan et sur les documents au dossier, aidera à mieux comprendre les motifs du refus de M. Hassan et son état d'esprit à ce moment-là.
[16] M. Hassan a déclaré que le 14 octobre 2017, alors qu'il était stationné à l'arrêt d'autobus Greenboro, M. Chahal l'a informé que le Centre de contrôle avait tenté de le joindre pour lui confier un itinéraire. M. Hassan a déclaré que M. Chahal lui avait demandé de se mettre en place à Barrhaven pour commencer cet itinéraire. M. Hassan étant déjà à bord de son autobus, il a demandé à M. Chahal de venir jusqu'à son autobus, car il avait une question à lui poser. M. Chahal s'est rendu jusqu'à l'autobus, mais est resté devant les portes. L'agression alléguée a eu lieu au moment où M. Hassan s'est levé de son siège de conducteur et qu'il était sur le point de descendre de l'autobus en direction de M. Chahal. Alors qu'il s'avançait pour sortir de l'autobus, M. Chahal a levé la main, établissant ainsi un contact physique avec l'appelant, le retenant dans un premier temps, le repoussant ensuite. Au même moment, M. Chahal aurait apparemment dit quelque chose du genre [traduction] « Allez faire votre service ». Lorsque l'appelant lui a demandé pourquoi il l'avait touché et poussé, le superviseur aurait apparemment affirmé qu'il n'avait pas eu l'intention de le toucher et s'est excusé.
[17] Les documents figurant dans le dossier montrent également que M. Hassan avait demandé l'aide du Centre de contrôle des opérations de transport en commun pour traiter de l'incident. Il a demandé que des agents de sécurité spéciaux soient dépêchés sur les lieux pour gérer l'incident avec M. Chahal. Après avoir entendu la description par l'appelant de l'agression alléguée, le préposé du Centre de contrôle des opérations de transport en commun a demandé à M. Hassan de tenter de résoudre le problème par l'entremise d'une conversation avec M. Chahal.
[18] M. Hassan a indiqué qu'à la suite de l'agression alléguée, il avait eu une conversation non conflictuelle pendant environ 30 à 40 minutes avec M. Chahal à l'extérieur de son autobus. M. Chahal a toujours affirmé que l'interaction qui avait eu lieu n'était qu'un malentendu et que c'était par inadvertance qu'il avait eu un contact physique avec M. Hassan en faisant un geste de la main alors que l'employé se dirigeait vers lui. M. Hassan a continué de se sentir humilié et contrarié par le geste de M. Chahal, et il a appelé le Centre de contrôle des opérations de transport en commun pour demander l'assistance d'un agent de sécurité spécial. Finalement, un autre préposé du Centre de contrôle des opérations de transport en commun lui a demandé de se rendre à l'arrêt Billings Bridge et d'attendre la personne de l'Unité des agents de sécurité spéciaux qui serait dépêchée pour recueillir les déclarations. Dans un courriel en date du 16 octobre 2017 adressé à la direction, l'appelant a déclaré qu'il ne s'était pas senti blessé en raison de la bousculade initiale, mais parce qu'il avait l'impression que le préposé du Centre de contrôle des opérations de transport en commun protégeait M. Chahal. L'appelant a également écrit dans ce courriel qu'il se sentait rabaissé et sans défense.
[19] Durant l'enquête par le Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail et par la déléguée ministérielle ainsi qu'à l'audience, M. Hassan a très clairement exprimé le fait qu'il considérait que l'employeur n'avait pas répondu de façon appropriée à ses demandes d'aide en ne dépêchant pas immédiatement sur les lieux des agents de sécurité spéciaux au moment où cela lui était demandé. Il a évoqué plusieurs autres cas survenus au cours des années antérieures (2010, 2011, 2016 et 2017), au cours desquels l'employeur aurait omis de donner suite à des menaces qu'il avait signalées, ce qui avait entraîné chez lui un sentiment d'insécurité l'amenant au refus de travailler. Ces éléments expliquent les recommandations du Comité local de santé et de sécurité du milieu de travail à l'employeur et certaines des mesures que celui-ci avait accepté de prendre à la suite de l'enquête de la déléguée ministérielle comme il est indiqué dans son rapport d'enquête.
[20] L'appelant a déclaré qu'il avait signalé l'incident à la direction. M. Burnette, qui était alors le chef de section de M. Hassan, l'a rencontré pour discuter de l'incident et lui a ensuite remis une lettre résumant les mesures constructives prises par l'employeur à la suite de sa plainte. M. Burnette a confirmé dans son témoignage qu'il avait examiné l'incident avec une grande attention, notamment en posant des questions à l'appelant, en vérifiant s'il y avait une vidéo de l'incident (il n'y en avait pas), en examinant l'incident avec le superintendant du Centre de contrôle des opérations de transport en commun ainsi qu'avec le responsable du programme du Service de répartition et en examinant la déclaration de M. Chahal concernant l'incident que celui-ci avait remis au Centre de contrôle des opérations de transport en commun. M. Burnette a déclaré, en se fondant sur l'examen des faits, qu'il n'y avait pas eu de violence en milieu de travail. Il a déclaré qu'il avait rencontré l'appelant pour discuter des résultats de l'examen portant sur l'incident du 27 octobre 2017 et lui avait remis la lettre le 2 novembre 2017.
[21] L'appelant ne s'est pas opposé à ces conclusions, mais a indiqué que cela résultait du fait que, à ce moment-là, il était en congé pour un [traduction] « problème psychiatrique ».
[22] M. Hassan a introduit une réclamation auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (WSIB) en vue d'obtenir une indemnisation pour stress psychologique en raison des événements du 14 octobre 2017. La WSIB a rejeté sa réclamation.
[23] Au cours de l'enquête de la déléguée ministérielle, M. Hassan a fourni des explications supplémentaires sur les raisons de son refus de travailler. Dans un courriel en date du 13 mars 2018 adressé à la déléguée ministérielle, l'appelant a déclaré ce qui suit :
[Traduction][…] J'ai informé oralement la direction de tous les incidents similaires antérieurs (omission de répondre à l'appel radio demandant de dépêcher un employé de l'Unité d'agents de sécurité spéciaux), mais on m'a indiqué que l'enquête de la direction portait seulement sur l'incident du 14 octobre. À l'occasion de chacune de mes rencontres avec la direction entre le 14 octobre 2017 et le 4 février 2018, j'ai indiqué que les incidents similaires antérieurs devaient être pris en compte comme les notes de la direction et celles du syndicat devaient en attester.
Je n'avais pas décidé à 100 % de mon refus de travailler jusqu'au 2 février, date à laquelle la direction n'a pas accepté ma demande d'être éloigné du superviseur Chahal; après que je l'ai rencontré au garage où j'avais été affecté. J'ai informé la direction que mon accommodement médical était dû à l'agression de M. Chahal envers moi et je leur ai demandé de trouver un moyen pour que durant cette période (qui se terminait de toute façon le 3 février 2018) je ne sois pas au même endroit que celui-ci. Leur refus de s'adapter à mes besoins a été [traduction] « la goutte qui a fait déborder le vase ». Comme on m'en avait avisé pour des raisons de sécurité, je ne me suis pas présenté au travail modifié le 2 février 2018, car M. Chahal allait être présent au même lieu de travail. J'ai donc exercé mon droit de refuser de travailler en raison d'un danger imminent pour la vie.
[24] L'appelant n'était pas représenté par un avocat ou son syndicat. À plusieurs reprises, à mesure que l'audience progressait, j'ai expliqué à l'appelant la nature de la procédure d'appel, la portée juridique et factuelle de la question soulevée par l'appel (la présence d'un danger et la nature du motif) ainsi que les questions qui m'avaient été correctement soumises, par opposition aux questions plus larges et plus vagues soulevées par M. Hassan au cours de l'enquête de la déléguée ministérielle et dans le cadre de la présentation de son cas. J'ai également informé M. Hassan des limites de l'assistance que je pouvais lui apporter du fait de mon devoir d'impartialité, mais aussi parce que je ne devais pas être perçu comme fournissant des conseils à l'appelant concernant la présentation de son cas.
Question en litige
[25] La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si l'appelant était exposé à un danger au sens du Code lorsqu'il a exercé son droit de refuser de travailler le 5 février 2018. Plus précisément, dans la présente affaire, la question est de savoir si l'interaction qui a eu lieu entre M. Hassan et M. Chahal le 31 janvier 2018 était une situation qui représentait un danger sur le lieu de travail de M. Hassan.
Observations des parties
A) Observations de l'appelant
[26] J'estime qu'il convient de citer les observations verbatims de l'appelant telles qu'elles ont été présentées au Tribunal le 11 janvier 2019 :
[Traduction] Dans mon résumé final, j'ai indiqué que mon employeur avait mis ma vie et ma santé en danger en ne favorisant pas un milieu de travail sécuritaire. Mon employeur n'a pas enquêté de façon appropriée ou n'a pas enquêté du tout sur ma plainte d'agression, de harcèlement et d'intimidation. Mon employeur n'a pas réussi à me tenir éloigné de la personne contre laquelle j'ai déposé une plainte pour agression. Mon employeur a apporté un témoignage contraire à la preuve au moyen de courriels envoyés au Tribunal et d'un témoignage sous serment d'un témoin à la barre. Mon employeur a enfreint la loi fédérale en ne respectant pas les prescriptions du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail en matière de violence et de harcèlement au travail énoncées au paragraphe 20.9(3). Par conséquent, mon employeur n'a pas pris les mesures appropriées pour empêcher tout harcèlement supplémentaire.
Mon employeur n'a pas enquêté de façon appropriée sur ma plainte de violence et de harcèlement de la part de M. Chahal, associée à des événements survenus entre le 14 octobre 2017 et le 31 janvier 2018. Par ailleurs, la preuve présentée au Tribunal indique clairement que M. Chahal n'a pas été contacté pour documenter l'incident afin d'en permettre une évaluation adéquate pour satisfaire aux exigences de sécurité au travail. De plus, mon employeur a répondu le 1 février 2018 (p. 92 à 428) que l'affaire faisait l'objet d'une enquête et que M. Chahal n'était pas présent au garage Pinecrest. M. Burnette a témoigné devant le Tribunal que les renseignements qu'il avait fournis par courriel le 1 février 2018 (p. 92 à 428) étaient erronés et qu'il avait découvert quelques jours plus tard que M. Chahal était présent au garage Pinecrest. Il a également indiqué que [traduction]« le fait de ne pas interroger M. Chahal sur l'incident faisait en sorte qu'on ne pouvait pas considérer qu'il y avait eu une véritable enquête ». Pour cette raison, mais aussi parce que mon employeur m'a envoyé sa réponse par courriel en moins de 24 heures, cette situation a suscité chez moi un sentiment d'insécurité m'empêchant de suivre l'ordre de mon employeur. Comme vous pouvez le constater, mon employeur n'a pas suivi une procédure appropriée même après qu'il ait été clairement établi que M. Chahal était dans le garage de Pinecrest.
Mon employeur n'a pas réussi à trouver une solution me permettant de ne pas être en contact avec M. Chahal, comme cela avait été convenu verbalement. Depuis, j'ai déposé une plainte pour agression contre M. Chahal (p. 9, 425 à 428). Mme Jennifer Stathis d'Emploi et Développement social Canada a signalé que [traduction] « l'employeur a convenu que l'employé et le harceleur allégué continueront d'être affectés à des endroits différents en attendant les résultats des enquêtes de la personne compétente ». En outre, j'ai informé mon employeur, au moyen du certificat médical pour accommodement, qu'il convenait de tenir M. Chahal éloigné de moi. En conséquence, mon employeur n'a pas réussi à protéger ma santé et ma sécurité. Mon employeur m'a demandé de retourner au travail sans avoir mené une enquête diligente et sans prendre en compte mon allégation d'agression. Comme vous pouvez le constater, mon employeur a mis ma vie en danger en permettant que le harcèlement puisse continuer.
Mon employeur a enfreint la législation fédérale en n'appliquant pas le paragraphe 20.9(3) alors que l'affaire n'était toujours pas résolue. Mon employeur a démontré qu'il ignorait les dispositions du Code en matière de prévention de la violence en milieu de travail. [Traduction] « Ce refus de travailler aurait pu être résolu à l'interne si la plainte initiale de violence avait été gérée conformément au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. » (p. 9 à 428). J'ai eu le sentiment que ma vie et ma santé étaient en danger quand il a été clair pour moi que mon employeur n'avait pas mis en application et respecté la législation fédérale et avait mis ma vie et ma santé en danger durant le processus. Je demande également un contrôle judiciaire de mon employeur, OC Transpo, une compagnie sous réglementation fédérale, appartenant à la Corporation de la Ville d'Ottawa, qui est sous réglementation provinciale, et gérée par celle-ci.
En conclusion, mon employeur a mis ma vie et ma santé en danger en n'enquêtant pas correctement et en ne respectant pas la réglementation et les protocoles en vigueur pour prévenir la violence et le harcèlement en milieu de travail afin qu'un employé puisse travailler en toute sécurité. Alors que l'affaire était grave, mon employeur a tenté de gérer le problème à l'interne sans respecter le Code canadien du travail. Comme vous pouvez le constater, on a mis ma vie et ma santé en danger.
B) Observations de l'intimée
[27] L'avocate de l'intimée examine en premier lieu les faits relatifs à l'événement du 14 octobre 2017 et au refus de travailler de M. Hassan du 31 janvier 2018. Elle indique que l'entente entre l'appelant et l'employeur concernant les accommodements à l'égard de M. Chahal n'est pas pertinente dans le cadre du présent appel. L'avocate souligne que cette entente avait été conclue pour s'assurer que M. Hassan ne relèverait pas de M. Chahal, et qu'il ressort clairement de la preuve que c'était le cas.
[28] L'appelant doit établir que le 5 février 2018, il y avait bien une situation qui pouvait vraisemblablement être une menace imminente ou sérieuse à sa vie ou à sa santé avant qu'il ne soit remédié à cette situation. L'avocate a présenté les questions auxquelles il faut répondre pour prendre une telle décision :
- quelle était la situation alléguée
- est-ce que, à première vue, la situation alléguée représentait vraisemblablement une menace pour la vie ou la santé de l'appelant
- est-ce que l'appelant a respecté le niveau de preuve requis pour établir que la situation alléguée représentait objectivement une menace pour sa vie ou sa santé
- est-ce que cette menace était imminente ou sérieuse
- est-ce que le danger allégué existait le jour où l'appelant a refusé de travailler
[29] Après avoir examiné les faits établis dans la preuve relativement à ce qui s'était passé le 31 janvier 2018 et le 14 octobre 2017, l'intimée soutient que M. Hassan a nettement exagéré la gravité des gestes posés à son égard.
[30] L'intimée note que l'appelant a mentionné à plusieurs reprises le fait que l'employeur ne l'avait pas tenu éloigné de M. Chahal et qu'il n'avait pas enquêté de façon appropriée sur sa plainte de violence dans le lieu de travail. L'intimée soutient que la question de savoir si l'employeur n'a pas réussi à répondre aux besoins de l'appelant ou s'il a enfreint les dispositions du Code relativement à l'enquête de sa plainte ne relève pas, à proprement parler, de l'agent d'appel. L'intimée conteste les allégations selon lesquelles elle n'aurait pas répondu aux besoins de l'appelant ou qu'elle aurait enfreint les dispositions du Code. L'intimée soutient plutôt que ces allégations devraient uniquement être examinées si M. Hassan était confronté à un danger au moment où il a refusé de travailler, la question étant donc de savoir si la présence de M. Chahal le 31 janvier 2018 présentait un danger pour M. Hassan (Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19).
[31] L'intimée prétend également que le critère permettant de déterminer si un danger existe est un critère objectif et que ce point est particulièrement important lorsque la situation que l'on allègue présenter un danger est celle de violence ou de harcèlement dans le lieu de travail (Via Rail Canada Inc. c. Cecile Mulhern et Unifor, 2014 TSSTC 3). Aucun élément de preuve n'établit que l'appelant était objectivement exposé à une situation qui pouvait vraisemblablement être une menace imminente ou sérieuse et lui causer un préjudice ou le rendre malade. La preuve montre que l'interaction n'a duré que quelques secondes, sans aucune parole et aucun contact physique. L'interaction a eu lieu dans un endroit public sur le lieu de travail.
[32] L'employeur soutient qu'un [traduction] « sourire méprisant » ne peut vraisemblablement pas causer un dommage ou un préjudice à l'appelant ni le rendre malade. L'avocate reconnaît que l'interaction du 31 janvier 2018 doit être examinée à la lumière de l'interaction précédente du 14 octobre 2017 entre les deux personnes et ne remet aucunement en doute la sincérité des sentiments de M. Hassan à l'égard de M. Chahal, ni son ressenti le jour du refus de travailler. Manifestement, même dans ce contexte, la situation alléguée ne pouvait pas vraisemblablement causer un préjudice à l'appelant ou le rendre malade. Selon l'employeur, la prépondérance de la preuve indique que l'incident du 14 octobre 2017 ne constituait pas une agression ni de la violence dans le lieu de travail. Il a été notamment indiqué qu'à la suite de l'enquête officielle sur l'incident, il avait été conclu que l'allégation de violence dans le lieu de travail n'était pas fondée et que, par ailleurs, la WSIB avait rejeté la demande de l'appelant pour un stress psychologique prétendument causé par cet incident. L'intimée conclut que la décision de la WSIB selon laquelle tout dommage psychologique subi par l'appelant n'est pas causé par une situation dans le lieu de travail lie l'agent d'appel.
[33] Indépendamment de cette décision, la preuve établit que l'employeur a rencontré l'appelant et M. Chahal pour discuter et examiner l'incident. La preuve révèle également que M. Burnette a pris des mesures pour assurer le suivi auprès des autres services d'OC Transpo concernés par l'incident, notamment le Centre de contrôle des opérations de transport en commun et le Service de répartition. La preuve montre que M. Burnette a rencontré l'appelant pour discuter de ces résultats et que l'appelant ne s'est pas opposé à la réponse donnée par l'employeur à l'égard de l'incident à ce moment-là ni au moment de son retour au travail le 31 janvier 2018. Par conséquent, l'employeur a considéré la situation réglée.
[34] L'intimée soutient également qu'aucune preuve d'ordre médical ne permet d'appuyer l'allégation selon laquelle il était dangereux pour l'appelant de se trouver en présence de M. Chahal, ce qui est le fondement du refus de travailler de l'appelant. La jurisprudence du Tribunal indique clairement que pour établir qu'une situation constituait une menace pour la santé de l'employé, un employé doit fournir une preuve d'ordre médical appuyant le fait que la situation présente un danger pour sa santé. Ceci est conforme à l'exigence selon laquelle la constatation d'un danger doit être fondée sur des éléments de preuve objectifs plutôt que subjectifs. Cette exigence ayant trait à la preuve est particulièrement importante dans les cas tels que celui-ci, où la menace alléguée à la santé de l'employé semble reposer sur une expérience individuelle liée à la santé mentale de l'employé (Nina Tryggvason c. Transport Canada, 2012 TSSTC 10).
[35] L'intimée passe en revue les notions de menace « imminente » ou « sérieuse » qui sont mentionnées par l'agent d'appel dans la décision Ketcheson et soutient que la preuve n'établit pas que l'employé était exposé à une situation pouvant lui causer un préjudice sérieux ou imminent.
[36] Enfin, l'intimée affirme qu'en tout état de cause, ce danger allégué n'existait pas au moment du refus de travailler le 5 février 2018, et que l'appel pourrait être rejeté pour ce seul motif. Premièrement, il était prévu que l'appelant retourne à ses fonctions habituelles de conducteur d'autobus à cette date et non au garage Pinecrest, lieu du danger allégué. Deuxièmement, selon les propres mots de l'appelant, il avait été autorisé à reprendre toutes ses fonctions, ce qui inclut le fait de se trouver en présence de M. Chahal, après le 3 février 2018, comme il l'a reconnu dans un courriel du 15 mars 2018. Par conséquent, même si l'allégation de l'appelant d'un danger pour sa santé causé par la présence M. Chahal était acceptée, ce danger n'existait plus au moment du refus.
Analyse
[37] Je suis saisi d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code à l'encontre d'une décision prise par la déléguée ministérielle à la suite de son enquête portant sur le refus de travailler de l'appelant, dans laquelle elle a conclu que l'appelant n'était pas exposé à un danger (paragraphe 129(4) et alinéa 128(13)(c) du Code).
[38] L'appelant a exercé son droit de refuser de travailler conformément au paragraphe 128(1) du Code, qui se lit comme suit :
128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
a) l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé
b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu
c) l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé
[C'est moi qui souligne]
[39] Le « danger » est donc la notion clé dans l'exercice du droit de refuser de travailler de l'employé et dans l'exercice par le ministre de son pouvoir (par l'intermédiaire d'un délégué ministériel) de déterminer si ce danger existe après qu'un employé a exercé son droit de refuser de travailler. L'article 122 définit un « danger » de la manière suivante :
122(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
« danger » Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.
[C'est moi qui souligne]
[40] Les autres dispositions du Code qui sont pertinentes dans le cadre du présent appel sont les suivantes :
128(13) Après avoir reçu un rapport au titre des paragraphes (10.1) ou (10.2) et tenu compte des recommandations, l'employeur, s'il n'a pas l'intention de fournir des renseignements complémentaires en vertu du paragraphe (10.2), prend l'une ou l'autre des décisions suivantes :
[…]
(c) il conclut à l'absence de danger.
129(4) Au terme de l'enquête, le ministre prend l'une ou l'autre des décisions visées aux alinéas 128(13)a) à c) et informe aussitôt par écrit l'employeur et l'employé de sa décision.
[…]
(7) Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128(13)b) ou c), l'employé ne peut se prévaloir de l'article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l'entremise de la personne qu'il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d'appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.
[C'est moi qui souligne]
[41] Le paragraphe 146.1(1) du Code décrit le pouvoir d'un agent d'appel qui est saisi d'un appel :
146.1(1) Saisi d'un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l'article 146, l'agent d'appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :
(a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions
[42] Pour les raisons qui suivent, je conclus que la décision d'absence de danger rendue par la déléguée ministérielle est bien fondée et je rejette l'appel.
[43] Il a été établi depuis longtemps que le droit de refuser de travailler est un recours important, mais exceptionnel dans la panoplie des mesures prévues par le Code pour assurer la protection des employés. Dans la décision Ketcheson, l'agent d'appel résume ainsi ce point :
[143] Quand on fait le survol de l'esprit du Code, il est clair que le droit de refuser de travailler n'est pas la manière habituelle de gérer et d'atténuer les risques. Le droit de refuser de travailler est une « solution de secours » ou un mécanisme « à sécurité intégrée ».
[144] Il est important de noter que le droit de refuser de travailler n'est pas tributaire du fait que l'employé a préalablement tenté de régler le problème de SST par d'autres moyens. Un employé peut choisir de refuser de travailler lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'il y a un danger, sans égard à ce qui s'est produit auparavant. C'est un droit important et puissant. De par la manière dont le Code est conçu, il est manifeste que le refus de travailler doit être utilisé en tant que mesure d'urgence et que la plupart des efforts visant à atténuer les risques et à protéger les employés doivent être déployés ailleurs.
[44] Avant d'appliquer le critère juridique du danger à la situation actuelle, je traiterai rapidement d'une question procédurale soulevée par l'intimée à l'audience. À la fin de l'argumentation de l'appelant et avant de présenter son argumentation, l'avocate de l'employeur a précisé qu'elle était disposée à présenter une requête en non-lieu, avec ou sans choix. Selon ce que je comprends, l'objet de la requête visait à dispenser l'employer de présenter son argumentation en présumant que l'appelant ne s'était pas acquitté de son fardeau de prouver qu'il était exposé à un danger dans les circonstances de son refus. L'employeur serait néanmoins autorisé à présenter son argumentation si sa requête était rejetée. La requête vise à obtenir un jugement immédiat en se fondant sur la preuve présentée jusqu'à présent à l'audience.
[45] Les requêtes en non-lieu sont courantes dans les procédures pénales où le fardeau de la preuve des éléments matériels et intentionnels d'une infraction incombe à la poursuite, faute de quoi un tribunal peut être appelé à statuer séance tenante que ce fardeau n'a pas été respecté, ce qui entraîne l'acquittement d'un accusé. Cette notion a également été introduite dans les affaires de relations de travail nécessitant la mise en place de mesures disciplinaires par l'employeur à qui incombe la charge de prouver l'existence d'un motif valable pour l'application de la sanction.
[46] J'ai décidé que cette notion n'est pas pertinente dans le contexte des procédures du présent appel et je n'ai pas reçu la requête. J'ai refusé de me prononcer sur la question de savoir si l'appel de M. Hassan avait respecté le critère de la présomption pour pouvoir obtenir gain de cause. L'agent d'appel est maître de sa procédure en vertu de l'alinéa 146.2(h) du Code, qui se lit comme suit :
146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l'agent d'appel peut :
[…]
(h) fixer lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie la possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier;
[47] Dans une procédure d'appel, le fardeau de la preuve n'incombe à aucune des parties en particulier. Ce principe a été affirmé dans un certain nombre de décisions d'appel depuis la décision Canadian Freightways Ltd c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 391. L'agent d'appel doit plutôt enquêter sur les circonstances ayant donné lieu à la décision et aux motifs de celle-ci, comme l'exige le paragraphe 146.1(1) du Code, et présenter des constatations selon la prépondérance des probabilités. J'ai informé l'avocate de l'employeur qu'elle était libre de décider d'appeler ou non des témoins et de présenter ses observations en fonction des éléments de preuve déposés au dossier jusqu'à présent par l'appelant et répertoriés dans le rapport d'enquête de la déléguée ministérielle. À la lumière de ma décision et après une brève suspension d'audience, l'avocate de l'employeur a choisi de présenter des éléments de preuve et a appelé M. Burnette à témoigner.
[48] Le critère juridique à appliquer pour déterminer si un employé est exposé à un danger, selon la nouvelle définition de cette notion de « danger » entrée en vigueur le 31 janvier 2014, a été discuté en détail dans la décision Ketcheson invoquée par l'employeur. Les facteurs à analyser autour de cette notion peuvent être décrits comme suit :
- quel est le risque allégué, la situation ou la tâche
-
- a) ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée
- Ou
- b) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée
- La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté
[49] Depuis, les agents d'appel ont fait preuve de cohérence dans l'application de l'interprétation de la notion de danger élaborée dans la décision Ketcheson (voir Keith Hall & Sons, 2017 TSSTC 1 (Keith Hall & Sons); Arva Flour Mills Ltée, 2017 TSSTC 2; Brink's Canada Limited c. Dendura, 2017 TSSTC 9; Service correctionnel du Canada c. Laycock, 2017 TSSTC 21; Section locale 419 de Teamsters c. Corporation GardaWorld Services Transport de Valeurs Canada, 2018 TSSTC 2; Service correctionnel du Canada c. Courtepatte, 2018 TSSTC 9; Madysta Télécom Ltée, 2018 TSSTC 12; Zimmerman c. Service correctionnel du Canada, 2018 TSSTC 14).
[50] La Cour fédérale a également examiné cette façon de déterminer l'existence d'un danger dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Laycock, 2018 CF 750. Après avoir exposé le critère juridique comme je l'ai décrit ci-dessus, la Cour a déclaré ce qui suit :
[15] En l'espèce, l'arbitre a rigoureusement examiné les éléments de preuve. Il a ensuite appliqué ces éléments de preuve à une interprétation très raisonnable et très bien établie de la disposition législative. Il s'agissait d'un exercice basé sur des faits qui a mené à la détermination de la probabilité d'un préjudice sérieux.
[C'est moi qui souligne]
[51] La première question est donc d'identifier la « situation » qui est prétendue être une menace pour la vie ou la santé de M. Hassan. Quelle est situation qui a été à l'origine du refus de travailler de M. Hassan? Cela nous amène à la nécessité de définir la portée de l'appel, car plusieurs événements survenus au cours de plusieurs mois ont été invoqués par M. Hassan pour justifier son allégation selon laquelle il était exposé à un danger lorsqu'il a refusé de travailler.
[52] En ce qui concerne la cause immédiate, le refus découle d'une « interaction » entre M. Hassan et M. Chahal qui s'est produite le 31 janvier 2018 dans le garage Pinecrest d'OC Transpo. J'ai précédemment fait une description détaillée de la rencontre entre les deux personnes dans les présents motifs. Bref, la preuve présentée par M. Hassan – M. Chahal n'a pas témoigné – établit que M. Chahal lui [traduction] « a souri avec un air méprisant » alors qu'il sortait des toilettes et que M. Chahal y entrait. M. Hassan a décrit le [traduction] « sourire méprisant » comme un regard et un ronflement proféré par M. Chahal. Il n'y a eu aucun contact physique, aucune parole, aucun geste. L'interaction n'a duré que quelques secondes.
[53] J'ai de la difficulté à qualifier cette situation de menace. Il est peu probable qu'une personne raisonnable observant la scène conclut que cette rencontre constitue une menace pour la santé. Dans la décision Ketcheson, l'agent d'appel définit la notion de « danger » comme suit :
[198] Dans le New Shorter Oxford English Dictionary (1993), le mot « threat » est défini comme suit [traduction] : « une personne ou une chose considérée comme étant susceptible de causer un préjudice ». On peut donc dire que, selon cette définition, la menace indique la probabilité d'un certain niveau de préjudice. Certains risques sont des menaces et d'autres ne le sont pas. Un risque très faible, soit en raison de sa faible probabilité ou de sa faible gravité, n'est pas une menace. La probabilité et la gravité doivent chacune atteindre un seuil minimal avant que le risque ne puisse être appelé une menace. Il est clair qu'un risque faible n'est pas un danger. Un risque élevé est un danger.
[54] Je note également que M. Hassan n'a pas refusé de travailler immédiatement après cette rencontre. Il a signalé la situation le lendemain. Il a consulté son médecin le 2 février 2018 et a été autorisé à reprendre ses fonctions habituelles de conducteur d'autobus. Il n'était pas prévu qu'il travaille avant le 5 février 2018, date à laquelle il a exercé son refus de travailler sans aucun lien apparent avec le travail ou les conditions de travail dans lesquelles il devait reprendre ses fonctions habituelles ce jour-là. Par conséquent, si l'on considère les circonstances existantes entre le 31 janvier et le 5 février 2018, il n'existe tout simplement aucun fondement pour conclure que M. Hassan était exposé à un danger.
[55] Toutefois, il est clair que la rencontre du 31 janvier 2018 doit être examinée dans son contexte et non de manière isolée. M. Hassan explique que cette interaction apparemment inoffensive a mis sa santé en danger parce que M. Chahal est la personne contre laquelle il a introduit une plainte de violence en milieu de travail à la suite de l'incident du 14 octobre 2017.
[56] La preuve établit que M. Hassan a été effectivement traumatisé par l'incident du 14 octobre 2017, ce qui l'a amené à s'absenter pour un arrêt maladie sur une longue période de temps. Par conséquent, l'employeur a accepté d'éviter, dans la mesure du possible, de mettre les deux personnes dans des situations où ils pourraient être amenés à interagir. L'incident du 14 octobre 2017 ne relève pas de l'appel et n'est pertinent que pour fournir davantage de contexte au refus de travailler du 5 février 2018. Il est pertinent pour déterminer si la simple présence de M. Chahal pouvait objectivement être considérée comme une menace pour la santé de M. Hassan, du fait de cet événement passé.
[57] Il ne m'appartient pas de tirer une conclusion sur les circonstances de l'incident du 14 octobre 2017. La preuve présentée à l'audience établit que l'employeur avait traité l'affaire au moment de l'incident et qu'elle semblait avoir été réglée à la suite de la lettre du 2 novembre 2017 adressée à l'appelant par M. Burnette. Une personne compétente a ultérieurement enquêté sur l'affaire conformément au processus établi par le paragraphe 20.9(3) du Règlement, à la suite de l'intervention de la déléguée ministérielle. La personne compétente a conclu que la plainte de M. Hassan contre M. Chahal n'était pas fondée. La WSIB n'a pas accepté la réclamation de M. Hassan pour préjudice au travail, ce qui sous-entend que la preuve établissant un lien de causalité entre un événement sur le lieu de travail et les conséquences psychologiques subies par M. Hassan était insuffisante.
[58] Compte tenu de tous ces facteurs, même en acceptant la description que fait M. Hassan de l'incident, j'ai bien de la difficulté à conclure objectivement que M. Hassan a fait l'objet d'un acte de violence dans le lieu de travail, et encore moins d'un acte qui justifierait sa prétention voulant qu'il soit exposé à un danger par la seule présence de M. Chahal trois mois plus tard dans les circonstances mises en preuve. Ma conclusion aurait pu être différente s'il avait été établi que M. Hassan avait été victime d'une agression grave par M. Chahal et que ce dernier avait montré des signes d'hostilité envers M. Hassan au moment du refus. C'est loin d'être le cas en l'espèce, puisque tous les faits relatifs à l'incident du 14 octobre 2017 illustrent un malheureux contact physique par inadvertance entre deux individus, plutôt qu'une agression ou de la violence dans le lieu de travail.
[59] J'ai réitéré la nécessité d'appliquer un critère objectif dans l'évaluation du concept de danger dans la décision VIA Rail Canada Inc. c. Cecile Mulhern et Unifor, 2014 TSSTC 3 :
[122] Je ne remets pas en doute la sincérité de l'explication de Mme Mulhern au sujet de la façon dont elle se sentait le jour du refus et lors des incidents précédents où des commentaires ont été faits au sujet de la charge de travail des préposés en raison de ses tâches adaptées. Mme Duffy et d'autres personnes ont déclaré qu'elle était visiblement bouleversée par les commentaires qu'elle a signalés. Cependant, il s'agit là de sa réaction subjective aux événements. Sa situation personnelle et professionnelle n'est pas facile et il est évident qu'elle lui a causé du stress. Je répète que je ne dois pas établir si elle avait des motifs raisonnables de croire qu'elle était en danger. Je dois plutôt être convaincu que, compte tenu de tous les faits, elle était objectivement exposée à une situation dont on pourrait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle lui cause une blessure ou une maladie. Je suis incapable d'en venir à cette constatation dans les circonstances de la présente affaire.
[60] Pour conclure à un danger dans ces circonstances, une preuve médicale très claire et convaincante aurait été nécessaire. Une telle preuve n'a pas été présentée par l'appelant. Je suis d'accord avec les observations de l'employeur voulant que la jurisprudence du Tribunal ait clairement établi que, pour démontrer qu'une situation constitue une menace à la santé d'un employé, un employé doit fournir une preuve médicale établissant le danger à sa santé. Cela est conforme à l'impératif qu'une conclusion de danger soit fondée sur une preuve objective plutôt que subjective. Cette exigence est particulièrement importante dans les dossiers comme le présent appel, où la menace alléguée se base sur une expérience individuelle et porte sur la santé mentale de l'employée ayant exercé son droit de refuser de travailler. (voir : VIA Rail Canada Inc. c. Patel, 2015 TSSTC 4). Dans Nina Tryggvason c. Transport Canada, 2012 TSSTC 10, l'agent d'appel, après avoir examiné les décisions antérieures sur le sujet, a établi ce qui suit :
[73] Par conséquent, je conclus que, pour établir une possibilité raisonnable de blessures ou de maladie dans le cas présent, comme l'exige la définition de danger, une preuve convaincante doit être présentée, sous la forme du témoignage d'un médecin ou d'un document fourni par celui-ci établissant une maladie mentale réelle ou potentielle ainsi qu'un lien entre la maladie et la situation alléguée sur le lieu de travail.
[61] Considérant tout ce qui précède, je suis incapable de conclure que l'interaction entre MM. Hassan et Chahal le 31 janvier 2018 présentait une menace pour l'appelant au sens de la définition de « danger ». La conviction de M. Hassan selon laquelle il ne se sentait pas en sécurité dans ces circonstances et il aurait été en danger s'il devait rencontrer de nouveau M. Chahal est subjective et hypothétique et ne satisfait pas au seuil requis pour établir l'existence d'une menace. Il est possible que les problèmes de santé dont M. Hassan a souffert requièrent un accommodement par son employeur aux termes des lois sur les droits de la personne ou des dispositions de la convention collective. Toutefois, selon moi, ces accommodements ne relèvent pas du cadre du droit de refus prévu au Code (voir : Canada Post Corporation et Gorge Stout, 2013 TSSTC 10; Tessier c. Canada Post Corporation, 2017 TSSTC 13). La détermination de l'existence d'un danger doit s'appuyer sur un ensemble de faits objectifs menant à une telle conclusion. Dans la définition de « danger », les termes « qui pourrait vraisemblablement présenter » expriment clairement que la présence de danger au moment du refus de travailler doit nécessairement découler d'une opinion objective. Rien dans le comportement, l'attitude ou les actions de M. Chahal ne me permet de tirer une telle conclusion.
[62] À cet égard, l'agent d'appel dans Keith Hall & Sons a souligné ce qui suit :
[40] Il convient également de noter que le concept d'attente raisonnable (c'est-à-dire, les mots « pourrait vraisemblablement ») demeure inclus dans la définition modifiée. Tandis que l'ancienne définition exigeait que l'on tienne compte des circonstances aux termes desquelles une situation, une tâche ou un risque est susceptible de causer des blessures à une personne ou de la rendre malade, la nouvelle définition exige plutôt que l'on examine si la situation, la tâche ou le risque pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée. À mon avis, pour conclure qu'il y a présence d'un danger, il faut donc qu'il y ait plus qu'une menace hypothétique. Une menace n'est pas hypothétique si elle peut vraisemblablement causer un préjudice, ce qui signifie, dans le contexte de la partie II du Code, qu'elle peut causer des blessures à des employés ou les rendre malades.
[41] Pour qu'il y ait présence d'un danger, il faut donc qu'il y ait une possibilité raisonnable que la menace alléguée se matérialise, c'est-à-dire que la situation, la tâche ou le risque causeront bientôt des blessures à une personne ou la rendront malade (en l'espace de quelques minutes ou de quelques heures) dans le cas d'une menace imminente; ou elle causera des blessures sévères à une personne ou la rendra gravement malade à un moment donné dans l'avenir (que ce soit dans les jours, les semaines ou les mois, voire peut-être les années, à venir) dans le cas d'une menace sérieuse. Il convient de mettre l'accent sur le fait que, dans le cas d'une menace sérieuse, il faut évaluer non seulement la probabilité que la menace puisse entraîner un préjudice, mais également la gravité des conséquences indésirables potentielles de la menace. Seules les menaces susceptibles de causer des blessures sévères à une personne ou de la rendre gravement malade peuvent constituer des menaces sérieuses à la vie et à la santé des employés.
[C'est moi qui souligne]
[63] Dans ses observations, l'appelant soutient que l'employeur n'a pas réagi lorsqu'il lui a demandé l'assistance de l'Unité des agents de sécurité spéciaux à la suite de l'agression alléguée du 14 octobre 2017. Il n'a reçu cette assistance que plus tard ce jour-là, à la suite de son insistance. Dans son échange de courriels avec la déléguée ministérielle, l'appelant a évoqué une série de situations où des demandes d'assistance auprès de l'Unité des agents de sécurité spéciaux n'ont pas fait l'objet d'un suivi. C'est, selon l'appelant, ce qui a suscité chez lui le sentiment d'être en danger, justifiant ainsi son refus.
[64] L'efficacité de la réponse de l'employeur aux demandes d'assistance dépasse la portée du présent appel. Il est clair que cette question s'éloigne largement des circonstances entourant les événements du 5 février 2018 et ne peut donc pas être considérée comme un facteur contribuant au danger allégué par l'appelant. À titre d'observation générale, il n'est pas inapproprié de la part de l'employeur d'évaluer les demandes d'assistance à leur face même et d'y répondre suivant un ordre de priorité qui tient compte de l'apparence de sérieux et de l'urgence relative d'une situation particulière. Il suffit de dire qu'il était peu probable que l'incident du 14 octobre 2017 puisse être considéré comme sérieux ou urgent. Quant aux autres incidents allégués par M. Hassan relativement à une prétendue réponse inappropriée de l'employeur, je ne dispose d'aucun contexte me permettant d'évaluer leur mérite. Aucun lien apparent n'existe entre ces événements et la présente situation et je considère que ceux-ci sont simplement trop éloignés pour étayer la prétention de M. Hassan selon laquelle il existait un danger imminent.
[65] Quoi qu'il en soit, M. Hassan ne se sentait pas en sécurité en raison de sa perception que toute future demande d'assistance ne serait pas traitée de façon appropriée. Toutefois, une telle perception est entièrement spéculative et ne démontre pas que l'appelant soit objectivement en danger au moment de son refus.
[66] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la preuve n'établit pas que M. Hassan ait été exposé à une condition qui pourrait vraisemblablement présenter une menace pour sa santé, il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse des autres facteurs compris dans la définition de danger prévue au Code, notamment si une menace est imminente ou sérieuse.
[67] L'appelant fait valoir que l'employeur a manqué à ses obligations prévues au Code en ne faisant pas d'enquête sur sa plainte pour violence dans le lieu de travail conformément à la Partie XX du Règlement. Il soutient que, étant donné l'intervention de la déléguée ministérielle, l'intimée avait accepté de se conformer au paragraphe 20.9(3) du Règlement et de mandater une personne compétente pour mener l'enquête sur sa plainte.
[68] Il ne relève pas du présent appel de déterminer si l'employeur a contrevenu à ses obligations en vertu du Code dans son traitement de la plainte de M. Hassan à la suite de l'incident du 14 octobre 2017. La seule question soulevée dans le présent appel est de savoir si la conclusion de la déléguée ministérielle quant à l'existence d'un danger est fondée dans les circonstances qui prévalaient au moment du refus de travailler. Je ne suis pas saisi de la question de savoir si l'employeur a adéquatement géré la plainte de violence dans le lieu de travail. En outre, à mon avis, cette question n'est pas pertinente au présent appel, lequel vise plutôt à déterminer si l'appelant était exposé à un danger le 5 février 2018. Ce point de vue est étayé dans la décision Ketcheson :
[115] L'intimé a mentionné la violation, par l'employeur, de plusieurs articles du Code comme fondement de son refus de travailler. La violation d'une disposition du Code ou du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) ne justifie pas un refus de travailler sauf si elle comporte un risque suffisamment élevé pour constituer un « danger ». Il n'y a eu aucune mention par les parties, ou par l'intervenant, de ces violations alléguées. La réponse à une contravention est une « instruction de contravention » donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code, et non une « instruction relative à un danger » en vertu du paragraphe 145(2) du Code.
[69] Enfin, M. Hassan a invoqué le défaut de l'employeur de respecter leur entente d'accommodement prévoyant de [traduction] « tenir M. Chahal loin » de lui. En fait, il semblerait que cela constitue l'essentiel de ses motifs au soutien de son refus, comme son courriel du 13 mars 2018 semble le démontrer. En effet, des discussions à cet effet ont eu lieu à la suite de l'incident du 14 octobre 2017, en présence du représentant syndical de M. Hassan, M. Norman MacDuff. Ce dernier a témoigné qu'il y a eu une promesse verbale que M. Hassan n'aurait [traduction] « aucun contact » avec M. Chahal, ou quelque chose du genre. Dans son témoignage, M. Brunette a affirmé qu'il avait accepté que l'employeur évite, dans la mesure du possible, d'affecter M. Chahal à des tâches impliquant M. Hassan. Cependant, cela ne peut pas toujours s'avérer possible, notamment lorsque M. Chahal est le seul superviseur en fonction. À ce jour, il n'existe aucune preuve médicale pouvant établir que la seule présence de M. Hassan et de M. Chahal dans une même pièce constitue un risque pour la santé de M. Hassan. Dans l'ensemble, je suis d'avis que cette description des mesures d'atténuation est plus plausible. À tout événement, rien ne confirme, selon moi, l'existence d'un danger : même si l'employeur avait consenti à ce qui précède, l'argument de l'appelant relève davantage des relations de travail entre les parties et ne permet pas d'établir l'existence d'un danger en date du 5 février 2018.
[70] Pour sa part, dans ses observations finales, l'avocate de l'employeur a soutenu que le danger devait être évalué au moment du refus, c'est-à-dire le 5 février 2018. L'altercation entre MM. Hassan et Chahal est survenue le 31 janvier 2018, au garage Pinecrest. Le motif de refus avait donc disparu avant le jour du refus, lequel ne pouvait conséquemment pas être justifié. À mon avis, cette allégation est également bien fondée. L'objectif des dispositions prévoyant le refus est d'enrayer une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne. Lorsque cette situation cesse d'être (en l'espèce, le fait pour M. Hassan d'être en présence de M. Chahal), le motif du refus disparaît aussi. Les inquiétudes de M. Hassan, même lorsqu'elles sont évaluées sous leur jour le plus favorable, sont entièrement subjectives et spéculatives et je ne peux pas considérer la situation qui m'est présentée comme étant persistante ou comme constituant une menace latente.
Décision
[71] Pour les motifs précités, je confirme la décision de la déléguée ministérielle concluant à l'absence de danger et je rejette l'appel.
Pierre Hamel
Agent d'appel
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