2019 TSSTC 13

Date : 2019-05-29

Dossier : 2019-18

Entre : Kenza Elazzouzi, demanderesse

et

Emploi et Développement social Canada (Service Canada), intimée

Indexé sous : Elazzouzi c. Emploi et Développement social Canada (Service Canada)

Affaire : Demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel d’une décision rendue en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail

Décision : La demande est rejetée.

Décision rendue par : Eric Wildhaber, agent d’appel

Langue de la décision : Français

Pour la demanderesse : Jennifer Garvey, Représentante syndicale nationale, Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada

Pour l’intimée : Richard Fader, Avocat, Groupe du droit du travail et de l’emploi, Ministère de la Justice Canada

Référence : 2019 TSSTC 13

Motifs de la décision

[1] La présente concerne une demande de prolongation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (Code). La demanderesse cherche à être relevée du défaut d’interjeter appel, dans le délai prescrit, d’une décision d’absence de danger rendue le 25 mars 2019 par Mme. Isabelle Rioux, représentante déléguée par le ministre du travail (la déléguée ministérielle).

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse a omis d’agir en temps opportun sans raison valable – je n’ai par conséquent aucun fondement pouvant justifier une prolongation de délai. La demande de prolongation de délai est donc rejetée et l’appel est irrecevable.

Contexte

[3] Le 26 février 2019, la demanderesse a exercé son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code alléguant être incapable de voir ou de travailler dans un lieu où se trouvait sa chef d’équipe. Le 7 mars 2019, la déléguée ministérielle a débuté son enquête et elle a rendu une décision d’absence de danger datée du 25 mars 2019. La demanderesse a déposé un avis d’appel de cette décision au Tribunal le 11 avril 2019.

[4] Sur réception de l’avis d’appel, au vu des documents accompagnant cet avis et soupçonnant qu’il pouvait s’agir d’un cas de dépôt tardif, le greffier du Tribunal, selon la procédure établie par le Tribunal, a écrit à la demanderesse le 12 avril 2019. Ce courriel lui a demandé de confirmer la date à laquelle elle a reçu la décision de la déléguée ministérielle du 25 mars 2019. Le greffier du Tribunal a aussi demandé à la déléguée ministérielle de fournir la même information au Tribunal. Le même jour, soit le 12 avril 2019, la demanderesse a indiqué qu’elle « a pris connaissance de la décision le 26 mars 2019 lorsqu’elle était à l’aéroport ». Le 15 avril 2019, la déléguée ministérielle a indiqué qu’elle avait fait parvenir sa décision du 25 mars 2019 à l’adresse courriel personnelle de la demanderesse ce jour-là même.

[5] Par conséquent, le 18 avril 2019, le greffier du Tribunal a écrit à la demanderesse pour lui informer du fait que son appel semblait être déposé hors du délai prescrit au paragraphe 129(7) du Code et pour lui donner l’occasion de présenter des motifs au soutien d’une demande de prolongation de ce délai. La lettre précisait que de telles représentations, le cas échéant, devaient être faites au plus tard le 6 mai 2019.

[6] Le 30 avril 2019, le Tribunal a contacté l’intimée afin de confirmer son intention d’agir en tant que partie intimée à l’appel de la demanderesse, ou non. Le Tribunal a, par la même occasion, offert à l’intimée de fournir, le cas échéant, et au plus tard le 13 mai 2019, des observations quant à la demande de prolongation de délai déposée par la demanderesse.

[7] La demanderesse a laissé écouler le délai du 6 mai 2019 qui lui avait été imparti, sans donner suite à la correspondance du Tribunal du 18 avril 2019. Constatant ce manquement, par courriel daté du 8 mai 2019, le greffier du Tribunal a rappelé à la demanderesse la correspondance du Tribunal du 18 avril 2019, et lui a demandé d’y donner suite au plus tard le 10 mai 2019.

[8] Ce n’est que le 21 mai 2019 que la demanderesse a donné suite au courriel du greffier du Tribunal daté du 8 mai 2019 (en date du 21 mai 2019, 33 jours s’étaient écoulés depuis la correspondance originale du Tribunal du 18 avril 2019). Les représentations qui y sont faites se lisent comme suit:

Nous demandons une prolongation du délai de dépôt de l’appel car [la demanderesse] a reçu la réponse lorsqu’elle était à l’aéroport [le] 26 mars 2019 et elle n’est revenu[e] que la nuit du 2 au 3 avril 2019. Il est vrai que dans la lettre il était indiqué la réponse de l’enquête cependant sans les raisons nous n’avons pas port[é] appel. Nous avons attendu […] le rapport pour porter appel et j’aimerais porter à votre attention que dans le rapport (1 avril 2019) il est question à la page 8 des recours possibles. Donc pourquoi on parle de recours si celui-ci doit être fait seulement à la remis[e] de la décision?

[9] Par lettre du Tribunal daté du 22 mai 2019, et faisant suite à la réception des observations de la demanderesse, le délai imparti à l’intimée pour soumettre ces observations quant à la demande fût prolongé jusqu’au 27 mai 2019.

[10] Le 27 mai 2019, la partie intimée a demandé une extension du délai pour répondre aux communications du Tribunal du 30 avril et 22 mai 2019. Le 28 mai 2019, l’intimée a indiqué son intention de participer à l’appel de la demanderesse, mais n’a soumis aucune observation quant à la demande de prolongation de délai.

[11] Le 28 mai 2019, j’ai rejeté la demande d’extension de délai de l’intimée pour produire des observations portant sur la demande de prolongation de délai déposée par la demanderesse. De manière générale, le Tribunal doit pouvoir compter sur le respect par l’intimée des délais de soumissions, à plus forte raison lorsqu’ils ont déjà été reportés. En l’espèce, j’étais d’avis qu’il y avait suffisamment d’éléments au dossiers pour que je tranche la question en litige sans attendre de soumissions par l’intimée.

Question en litige

[12] La question en litige est comme suit : y a-t-il des motifs qui justifient une prolongation du délai de dix jours prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code?

Analyse

[13] Lorsqu’un employé exerce son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code, mais qu’une enquête démontre qu’il y avait absence de danger, un employé a 10 jours de calendrier pour appeler d’une telle décision à compter du moment où il reçoit cette décision.

[14] C’est le paragraphe 129(7) du Code qui prévoit le délai de 10  jours pour interjeter appel d’une décision d’absence de danger. Le paragraphe 129(7) se lit comme suit :

129(7) Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128 (13) b) ou c), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin — appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de 10 jours à compter de la réception de celle-ci.

[15] En principe, si ce délai n’est pas respecté, le droit d’appel de l’employé prévu au Code s’éteint. L’employé peut néanmoins s’adresser à un agent d’appel pour lui demander de prolonger le délai (le « proroger » suivant le terme utilisé à l’alinéa 146.2(f) du Code).

[16] L’alinéa 146.2(f) du Code se lit comme suit :

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :

[...]

(f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;

[Emphase ajoutée].

[17] La décision d’absence de danger a été rendue le 25 mars 2019, mais la demanderesse affirme n’avoir été informée de la décision que le 26 mars 2019. Je constate ici qu’il y a un différend quant à la date exacte de communication à la demanderesse de la décision de la déléguée ministérielle. La déléguée ministérielle soumet que c’est le 25 mars 2019, alors que la demanderesse soutient qu’elle n’en a pris connaissance que le lendemain, soit le 26 mars 2019. Cette différence d’un jour est sans conséquence ici. En effet, que le point de départ pour la computation du délai de déchéance de 10 jours soit le 25 ou le 26 mars 2019, le Tribunal n’a reçu l’avis d’appel que le 11 avril 2019 et cette date est plus de 10 jours passés l’une ou l’autre des dates envisagées (soit 17 jours passés le 25 mars, ou 16 jours passés le 26 mars) pour le départ de la computation de la période d’appel.

[18] Je suis prêt à accepter que la demanderesse a été informée de la décision de la déléguée ministérielle le 26 mars 2019. Je note toutefois que la décision fait mention du délai de 10 jours pour faire appel. Avec le 26 mars comme point de départ, le délai pour interjeter appel de cette décision prenait donc fin le 5 avril 2019, soit 10 jours après la réception de la décision.

[19] Pour calculer le délai dans les circonstances qui nous occupent, il faut compter en commençant par le jour qui suit le 26 mars 2019. Ainsi, le premier jour à compter du 26 mars est le 27 mars, et ainsi de suite. Le dixième jour à compter du 26 mars était donc le 5 avril 2019. Le droit d’appel est en principe déchu à compter de minuit le 6 avril 2019. Les règles de computation de délais pour arriver à cette conclusion sont contenues dans la Loi sur l’interprétation.

[20] Or, ce n’est que le 11 avril 2019, soit 6 jours après le délai de déchéance du 5 avril 2019, que la demanderesse a fait parvenir son avis d’appel au Tribunal. Je comprends que la demanderesse était en voyage jusqu’au 3 avril 2019. Il lui importait d’agir avant le 5 avril 2019 afin de préserver son droit d’appel. Cela n’a pas été fait.

[21] Aucun élément au dossier n’explique pourquoi la demanderesse a attendu jusqu’au 11 avril 2019, soit plus d’une semaine après le 3 avril 2019 (date du retour de la demanderesse), pour faire parvenir son avis d’appel au Tribunal.

[22] Une prorogation de délai ne sera normalement accordée que si l’employé peut démontrer qu’il avait l’intention de porter appel de la décision durant le délai initial, mais qu’il était dans l’impossibilité d’agir en temps opportun malgré sa diligence; si nécessaire, l’agent d’appel examinera également le préjudice qui pourrait résulter aux parties de sa décision d’accorder ou non une prorogation de délai. Ces principes sont régulièrement repris par les agents d’appel – récemment dans Lambe c. McKevitt Trucking Ltd., 2019 TSSTC 2 (Lambe).

[23] Je n’exercerai pas la discrétion qui m’est conférée par l’alinéa 146.2(f) du Code pour proroger le délai pour faire appel parce que la demanderesse n’a pas su démontrer qu’elle avait pris la décision d’appeler de la décision de la déléguée ministérielle durant la période du 26 mars au 5 avril 2019 – période durant laquelle son droit d’appel devait être exercé. La demanderesse n’a pas non plus démontré qu’elle avait entrepris des démarches diligentes pour exercer son droit d’appel durant cette période, ni qu’elle n’en a été empêchée.

[24] Les représentations faites au Tribunal ne font état d’aucune circonstance exceptionnelle pouvant justifier une prorogation de délai. Elle allègue, certes, avoir été en voyage (la destination n’est pas précisée, ni si elle disposait ou non de moyens de communication), mais être en voyage pendant quelques jours ne relève pas, en soi, de l’exceptionnel.

[25] Sans me fonder sur cela pour arriver à ma conclusion, je note tout de même que le manque de célérité de la demanderesse à répondre aux communications du Tribunal tel que décrit ci-haut est révélateur d’une absence de diligence raisonnable en ce qui a trait au traitement général de ce dossier.

[26] Le Code indique bien que le délai de 10 jours court à partir de la « réception » d’une « décision » d’un délégué ministériel. Je ne peux donc, non plus, proroger le délai du Code au motif invoqué par la demanderesse à savoir qu’elle n’était pas en possession des motifs au soutien de la décision avant une date subséquente à la date de communication de la décision elle-même. D’après le Code, la date de réception des motifs de la décision n’est tout simplement pas le moment de départ du délai pour faire appel.

[27] Si les motifs d’une décision d’absence de danger ne sont pas communiqués au même moment que la décision elle-même, afin de préserver son droit d’appel, un employé doit néanmoins faire parvenir au Tribunal un avis d’appel à l’intérieur du délai de 10 jours à compter de la réception de la décision, quitte à décider, après réception des motifs de la décision, s’il est opportun de poursuivre l’appel ou non.

[28] Étant donné que la demanderesse n’a fourni aucune raison valable pour justifier son défaut d’agir en temps opportun, ou toute preuve d’une intention d’interjeter appel durant la période prévue, les motifs qui précèdent suffisent pour disposer de ce dossier.

[29] Je profite de l’occasion pour formuler quelques suggestions envers les délégués ministériels afin qu’ils puissent aider à contrer le phénomène des avis d’appels qui sont en retard. Ils le sont pour toutes sortes de raisons, mais 2 ressortent du lot à mon avis. Une part des avis d’appels en retard le sont en raison d’inaction des appelants comme en l’espèce. Une autre l’est en raison de ce que je soupçonne être une mécompréhension des appelants quant à l’urgence d’agir avec célérité suite à la réception d’une décision de non-danger ou en raison d’une mécompréhension quant au calcul du délais d’appel (voir, par exemple, Lambe). Pour pallier à ces manquements et pour améliorer l’accès à la justice administrative, je suggère donc aux délégués ministériels d’inclure dans leurs avis de décisions une mention à l’effet que les appelants ont 10 jours « de calendrier » pour interjeter appel et que « le défaut d’agir à l’intérieur de ce délai peut entrainer la déchéance de tout droit d’appel ».

Décision

[30] La demande est rejetée. L’appel est irrecevable car il a été déposé hors délai.

Eric Wildhaber
Agent d’appel

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