2019 TSSTC 14

Date :  2019-06-11

No de dossier : 2019-16

Entre :

Swissport Canada Handling Inc, demanderesse

et

Section locale nº 419 des Teamsters, intimée

Indexé sous : Swissport Canada Handling Inc. c. Section locale nº 419 des Teamsters

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

Décision : La demande de suspension est accordée.

Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour la demanderesse : M. Robert W. England, avocat, Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée : M. Harjinder Badial, secrétaire-trésorier, Section locale 419 du syndicat des Teamsters

Référence : 2019 TSSTC 14

Motifs de la décision

[1] Les présents motifs concernent une demande déposée par Swissport Canada Handling Inc. (Swissport) aux termes du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code) afin d'obtenir une suspension de la mise en œuvre d'une instruction émise le 6 mars 2019 par Mme Elizabeth Porto, en qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (la déléguée ministérielle).

[2] L’instruction a été émise à l’encontre de Swissport conformément au paragraphe 145(1) du Code, et elle se lit comme suit :

Dans l’affaire du Code Canadien du Travail
Partie II – Santé et Sécurité au Travail

Instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(1)

[Traduction] Le 21 février 2019, la représentante déléguée par le ministre du Travail soussignée a procédé à une inspection dans le lieu de travail exploité par Swissport Handling Canada Inc, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au terminal 3, local AH103K, Aéroport international Lester B. Pearson, Mississauga (Ontario) L5P 1A2, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Swissport Ground Handling Inc.

Ladite représentante déléguée par le ministre du Travail est d’avis qu’une contravention à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été commise :

No / No : 1

Alinéa 125(1)(k) – partie II du Code canadien du travail

Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève, de veiller à ce que les véhicules et l’équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires.

Paragraphe 14.9(1) - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

L’appareil de manutention motorisé qui est utilisé régulièrement à l’extérieur doit être muni d’un toit ou d’une autre structure pour protéger l’opérateur des intempéries qui présentent un risque pour sa santé ou sa sécurité.

L’employeur a omis de veiller à ce que l’appareil de manutention motorisé, qui est utilisé régulièrement à l’extérieur, soit muni d’un toit ou d’une autre structure pour protéger l’opérateur des intempéries, comme la neige, la pluie, la pluie verglaçante et la grêle. (La liste des appareils de manutention motorisés devant être munis d’un toit ou d’une autre structure est jointe à l’annexe A.)

Par conséquent, il vous est donné instruction par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention le 30 avril 2019 au plus tard.

De plus, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)(b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre, dans le délai imparti par la représentante déléguée par le ministre du Travail et au plus tard le 30 avril 2019, les mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Toronto (Ontario) le 6 mars 2019.

(s)  Elizabeth Porto
Représentante déléguée par le ministre du Travail

[3] Le 5 avril 2019, l'employeur a présenté un avis d’appel conformément au paragraphe 146(1) du Code et a simultanément déposé sa demande de suspension de l’instruction jusqu’à ce qu’une décision sur le fond de l’appel ait été rendue.

[4] La demande a été entendue par téléconférence le 23 mai 2019.

[5] Les parties ont été informées de ma décision d'accorder la suspension le 24 mai 2019, les motifs devant suivre. J'ai rendu ma décision après avoir dûment examiné les observations des parties et la documentation déposée pour appuyer la demande. Je rends par les présentes les motifs de ma décision.

Contexte

[6] Je décrirai brièvement le contexte factuel ayant mené à l'instruction, décrit dans le rapport d'enquête de la déléguée ministérielle et l'avis d'appel.

[7] La demanderesse fournit des services au sol dans le secteur de l'aviation à l'Aéroport international Toronto Pearson à Toronto (Ontario) (l'Aéroport Pearson). Les services fournis par Swissport comprennent le chargement et le déchargement du fret et des bagages des passagers des avions qui décollent de l'Aéroport Pearson et y atterrissent.

[8] Swissport fournit ces services à un certain nombre de transporteurs internationaux, notamment Air France, Air Italy, Alitalia, British Airways et plusieurs autres. Pour fournir ces services, Swissport utilise de l'équipement de manutention au sol. Cet équipement comprend de l'équipement motorisé, y compris des remorqueurs, ou chariots, et des chargeurs à tapis roulant. À l'Aéroport Pearson, Swissport possède 50 remorqueurs et 28 chargeurs de bagages.

[9] À la date de l'appel, Swissport avait 1 008 employés à l'Aéroport Pearson, dont 386 participent au chargement et au déchargement du fret et des bagages de passagers dans les avions (les employés à l'extérieur). Les employés à l'extérieur qui participent à ces activités se partagent trois quarts de travail par jour, sept jours par semaine. En moyenne, les travailleurs de Swissport utilisent 42 remorqueurs, et 25 chargeurs de bagages sont utilisés lors de chaque quart de travail.

[10] Le 21 février 2019, la déléguée ministérielle s'est présentée sur le lieu de travail de Swissport à l'Aéroport Pearson dans le but de mener une inspection , « précise ». Le dossier indique qu'il n'y a pas eu d'incident particulier, de refus de travailler ou d'autre événement ayant amené la déléguée ministérielle au lieu de travail. Pendant la téléconférence, elle a mentionné que cette inspection lui avait été assignée par son gestionnaire.

[11] Il incombe de mentionner que l'inspection et l'instruction émise par la déléguée ministérielle le 6 mars 2019 sont similaires à l'inspection qu'elle a menée une semaine plus tôt au lieu de travail de l'aire de trafic et bagages d'Air Canada à l'Aéroport Pearson. Cette inspection précédente a donné lieu à l'émission d'une instruction à l'encontre d'Air Canada, selon les mêmes motifs que l'instruction actuelle. Air Canada a porté l'instruction émise en appel et a aussi demandé sa suspension. J'ai accordé la demande de suspension d'Air Canada le 18 avril 2019 pour les motifs énoncés dans la décision Air Canada c. Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, section locale 2323, 2019 TSSTC 10 (Air Canada). 

[12] La déléguée ministérielle mentionne dans son rapport que les conditions météorologiques observées au moment de son inspection étaient mauvaises, avec de la forte poudrerie et de la pluie verglaçante, et que, selon elle, la sécurité offerte par les chariots était compromise pendant leur utilisation. À la suite de cette observation, Mme Porto a noté une contravention au paragraphe 14.9(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement).

[13] En raison de l'incidence probable de ses constatations sur les activités de l'employeur, la déléguée ministérielle a consulté des conseillers du Programme du travail avant d'émettre son instruction. Au moment de l'émission de son instruction, la déléguée ministérielle s'est appuyée sur une décision touchant Air Canada publiée en 1997 (décision no 97-007) par un agent régional de sécurité (ARS), prédécesseur du TSSTC. L'ARS a conclu que, par l'adoption de l'alinéa 14.9(1), « le législateur a voulu que les employés opérant un appareil motorisé utilisé régulièrement à l’extérieur aient une protection supplémentaire étant donné que les éléments pouvaient affecter leur jugement lors de la conduite de l’appareil ou simplement leur santé ».

[14] La déléguée ministérielle a par la suite émis son instruction le 6 mars 2019 assortie d'une date de conformité établie au 30 avril 2019. Les mesures correctives que l'employeur doit prendre pour se conformer à l'instruction et aux exigences du paragraphe 14.9(1) du Règlement, soit de munir les chariots d'un « toit ou d’une autre structure », constituent une tâche considérable puisqu'elle vise les 61 chariots à bagages et chargeurs à tapis roulant qui devraient être modifiés. Comme l'a expliqué la déléguée ministérielle au cours de la téléconférence, la date de conformité du 30 avril 2019 était la date la plus éloignée possible aux termes de la Politique de conformité du Programme du travail. Cette date a également été fixée en tenant compte de la présomption selon laquelle un agent d’appel pourrait modifier la date de conformité si l'employeur présentait un plan d'action acceptable en vue de la conformité, présumant ainsi également que l'employeur contesterait uniquement la date de conformité de l'instruction et non son bien-fondé.

[15] Comme dans la décision Air Canada dont il est question précédemment, il est indiscutable qu'il n'était pas possible que Swissport se conforme au paragraphe 14.9(1) du Règlement dans le délai fixé par la déléguée ministérielle.

Analyse

[16] Le pouvoir conféré à un agent d’appel d’accorder une suspension de la mise en œuvre d’une instruction repose sur le paragraphe 146(2) du Code :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[17] Les agents d’appel ont un très grand pouvoir discrétionnaire pour déterminer si une suspension doit être accordée (Brink’s Canada Ltée. c. Childs et Unifor, 2017 TSSTC 4; Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 TSSTC 36). Cette discrétion doit être exercée d’une façon qui appuie les objectifs du Code et dépend largement du contexte dans lequel l’instruction est donnée et de ses conséquences sur les activités de l’employeur. De ce fait, chaque cas dépend d’un ensemble de faits qui lui sont propres. La jurisprudence du Tribunal a établi un critère comprenant divers facteurs que les agents d’appel doivent prendre en considération lorsqu’ils traitent une demande de suspension; ces facteurs servent de cadre analytique approprié pour les agents d’appel afin qu'ils puissent exercer leur pouvoir discrétionnaire dans chaque cas : voir S.G.T. 2000 Inc. c. Teamsters Québec, local 106, 2012 TSSTC 15, au paragraphe 5. Énoncé au départ par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores), le critère est fondé sur les facteurs suivants :

1. la demanderesse doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole ou vexatoire.

2. la demanderesse doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre l’application de l’instruction lui causera un préjudice important.

3. la demanderesse doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension était accordée, des mesures seraient mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

[18] J’examinerai chaque critère, un par un, comme il est requis.

La question à trancher est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[19] La demanderesse a déposé des observations écrites au Tribunal pour appuyer sa demande de suspension, comprenant une description assez détaillée de ses activités. Je résumerai les aspects des observations que je juge pertinentes à la présente demande, par opposition au bien-fondé de l'appel, ainsi que les observations verbales des parties présentées pendant la téléconférence.

[20] La demanderesse observe que les motifs de l'appel sont sérieux et ne sont pas frivoles ni vexatoires et que la probabilité qu'elle ait gain de cause est très élevée. Swissport soutient que le paragraphe 14.9(1) du Règlement ne s'applique pas à l'appareil de manutention motorisé en question et qu'il n'est pas nécessaire d'installer des structures de protection. L'employeur répète la position avancée par Air Canada, résumée par l'agent d’appel dans l'affaire Air Canada, voulant que le paragraphe soit rédigé d'une manière exigeant une analyse précise pour savoir si les intempéries auxquelles l'opérateur serait exposé sont dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, en tenant compte également des mesures d'atténuation que l'employeur a mises en place pour ces conditions météorologiques.

[21] La demanderesse observe que le type d'équipement en question est essentiellement le même que celui visé par la présente affaire et que la décision de l'agent d’appel au sujet du premier critère devrait être la même que dans la décision Air Canada.

[22] L'intimée observe que le paragraphe 14.9(1) s'applique aux chariots à bagages et aux chargeurs à tapis roulant afin d'offrir une protection adéquate aux opérateurs contre les intempéries. L'employeur n'a démontré aucune intention de se conformer dès le départ et n'a pas fait le suivi auprès du comité de santé et de sécurité au travail après l'émission de l'instruction.

Décision relative au premier facteur du critère

[23] Sous le titre Protection contre les intempéries, le paragraphe 14.9(1) du Règlement se lit comme suit :

14.9(1) L’appareil de manutention motorisé qui est utilisé régulièrement à l’extérieur doit être muni d’un toit ou d’une autre structure pour protéger l’opérateur des intempéries qui présentent un risque pour sa santé ou sa sécurité.

[24] Selon moi, le premier critère est respecté, pour les mêmes raisons que j'ai exprimées dans la décision Air Canada. Bien qu'il soit trop tôt pour évaluer le bien-fondé de l'appel et d'établir si le paragraphe 14.9(1) s'applique à l'appareil en question, il n'est pas injustifié que l'agent d’appel évalue les motifs et la justification de l'employeur pour appuyer l'appel afin d'évaluer si l'appel est sérieux plutôt qu'abusif ou frivole.

[25] Comme il a été mentionné à plusieurs reprises, le seuil du premier critère est plutôt bas, et je suis d'avis que la cause de l'employeur est raisonnablement défendable relativement à l'application du paragraphe 14.9(1). Je note que le paragraphe 14.9(1) semble viser la protection des employés relativement à leur exposition à des intempéries. Les observations de la déléguée ministérielle portent sur l'utilisation sécuritaire du chariot, qui est selon elle compromise par les intempéries, ce qui à son avis pourrait constituer une situation dangereuse pour les employés. Il serait selon moi possible de débattre de la question à savoir si le paragraphe 14.9(1) vise à régler ce type de danger. D'autres dispositions du Code et du Règlement peuvent imposer des obligations à l'employeur à ce sujet, mais le présent dossier ne porte pas sur cette question.

[26] L'employeur ajoute que l'établissement de la probabilité que l'exposition de l'employé aux intempéries constitue un risque pour la santé ou la sécurité de l'opérateur relève de la preuve et exige une évaluation des risques, en tenant compte d'autres mesures d'atténuation prises par l'employeur. Je ne considère pas que cet argument est frivole ou vexatoire.

[27] Comme je l'ai mentionné dans la décision Air Canada, ces questions ne semblent pas avoir été traitées directement dans la décision de l'ARS dont la déléguée ministérielle s'est servie. Je réitère que je ne fais aucune constatation relativement à ces questions; toutefois, je n'ai aucune raison de considérer que les observations sont frivoles ou vexatoires ou qu’elles équivalent à une tactique dilatoire indue visant à éviter la conformité.

[28] Pour ces raisons, selon moi, le premier facteur du critère est respecté.

La demanderesse subira-t-elle un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?

Observations de la demanderesse

[29] D'abord, la demanderesse décrit en détail les divers points de service où les employés à l'extérieur exercent leurs activités et les distances qu'ils doivent parcourir en conduisant les chariots entre les portes et les avions. Bien que cette information semble plus pertinente pour le bien-fondé de l'appel, la demanderesse souhaite démontrer que le temps passé à conduire l'équipement motorisé de manutention n'est pas très long, de trois à quatorze minutes, selon les portes visées.

[30] La demanderesse explore ensuite diverses options pour équiper d'un toit ou d’une autre structure les 37 chariots à bagages et 24 chargeurs à tapis roulant visés par l'instruction. Ce toit ou cette structure pourrait être ajouté à l'équipement existant, mais il faudrait retirer l'équipement du service pendant un certain temps, ce qui nuirait aux activités et pourrait retarder ou annuler des vols, ce qui causerait un préjudice à l'employeur et aux voyageurs.

[31] La demanderesse décrit les dépenses importantes qu'elle devrait engager pour cette modification, soit environ 800 000 $, et le délai entre la commande et la livraison et l'installation des composantes, de 12 à 16 semaines, ce que l'employeur considère comme une projection optimiste. L'option d'acheter de nouveaux chariots et chargeurs à tapis roulant avec un toit comporte également des problèmes de coûts importants et d'échéanciers, soit environ 2,7 millions de dollars et un délai de livraison d'au moins 21 semaines. Avec les deux options, il faudrait également former les employés sur l'équipement arrangé ou nouvellement acquis.

[32] Au moment de la réception de l'instruction, Swissport a vérifié s'il était possible d'obtenir rapidement des chariots à bagages et des chargeurs à tapis roulant avec cabine, mais c'était impossible. Swissport n'a pas de chariots à bagages supplémentaires à ses points de services canadiens pouvant être envoyés à Toronto, et elle a déterminé auprès de ses fournisseurs de chariots à bagages et de chargeurs à tapis roulant qu'ils n'avaient pas d'équipement de remplacement disponibles, neufs ou usagés, que Swissport pourrait utiliser jusqu'à ce que l'appel soit entendu et que l'agent d’appel rende sa décision.

[33] La demanderesse note également qu'elle a dix points de service au Canada, y compris celui de l'Aéroport Pearson. Actuellement, Swissport a des activités similaires à celles de l'Aéroport Pearson à Vancouver, à Edmonton, à Calgary, à Winnipeg, à Ottawa, à Montréal, à Mirabel, à Québec et à Halifax. À chacune de ces installations se trouvent des chariots à bagages et des chargeurs à tapis roulant similaires à ceux utilisés par Swissport à l'Aéroport Pearson. En Amérique du Nord et en Europe du Nord, les sociétés de service au sol comme Swissport utilisent des chariots à bagages et des chargeurs à tapis roulant qui n'ont pas de toit ni d’autre structure afin d'assurer une protection contre l'exposition potentielle aux intempéries. La décision prise dans le présent appel aura donc une incidence à l'échelle nationale pour Swissport.

[34] La demanderesse reconnaît que les difficultés financières ou les coûts ne constituent pas en soi un facteur permettant à l'agent d’appel d'accorder une suspension. Cela étant dit, Swissport observe que les coûts constituent un facteur pouvant être pris en compte avec d'autres facteurs justifiant une suspension. Il est mentionné que, dans le dossier qui nous occupe, les dépenses qu'engagerait Swissport pour modifier les chariots à bagages et les chargeurs à tapis roulant pertinents ou pour acheter de nouveaux équipements et les coûts résultant de l'interruption des services de Swissport jusqu'à ce que l'équipement modifié ou neuf soit disponible sont objectivement considérables. Les ressources et le temps requis pour respecter l'instruction sont importants et ne constituent pas un simple inconvénient.

[35] Swissport observe de plus que ses concurrents à l'Aéroport Pearson utilisent le même type d'équipement visé dans le dossier qui nous occupe, sans toit ni autre structure. Si la suspension n'est pas accordée, Swissport serait tenue de prendre des mesures et d'engager des dépenses que ses concurrents n'auront pas à prendre et à engager, ce qui lui causerait un préjudice important et nuirait à sa position concurrentielle. Ces coûts ne pourraient pas être recouvrés même si elle avait gain de cause dans l'appel, ce qui rend l'appel inutile et théorique.

[36] Enfin, l'employeur ajoute qu'il exerce ses activités à l'Aéroport Pearson depuis au moins deux décennies, sans interruption, à l'aide de chariots à bagages et de chargeurs à tapis roulant sans toit ni autre structure similaire et que la déléguée ministérielle a fixé une date inacceptable de manière arbitraire sans tenir compte des délais requis pour prendre les mesures correctives.

Observations de l’intimée

[37] L'intimée observe que les employés conduisent les chariots et chargeurs à tapis roulant pendant 10 à 15 minutes, ce qui est non négligeable. Cela justifie l'ajout d'une protection supplémentaire pour gérer les intempéries, qui peuvent causer des engelures pendant l'hiver et la déshydratation pendant l'été, et la déléguée ministérielle avait raison d'ordonner le respect de l'alinéa 14.9(1) du Règlement.

[38] L'intimée observe que le fait que l'employeur utilise les chariots et chargeurs à tapis roulant sans toit depuis deux décennies ne rend pas la situation correcte. L'intimée est en désaccord avec l'argument qu'une formation supplémentaire potentiellement longue serait requise, puisque l'employeur utilise déjà de l'équipement de manutention comportant un toit et que les employés ont déjà reçu la formation requise pour les utiliser.

Décision relative au deuxième facteur du critère

[39] Les observations de la demanderesse me convainquent, essentiellement pour les mêmes raisons à la base de ma décision dans Air Canada, que je reprends ci-après.

[40] D'abord, j'accepte l'observation de la demanderesse que la modification des appareils pour qu'ils soient conformes n'est pas une tâche facile et qu'il n'est pas possible de le faire en respectant la date de conformité établie par la déléguée ministérielle compte tenu du nombre de chariots à bagages et de chargeurs à tapis roulant touchés. Ainsi, j'accepte également l'affirmation de la demanderesse relativement à l'incidence qu'aurait un refus d'une suspension sur les activités de Swissport. Un refus de la suspension pourrait faire en sorte que Swissport se retrouve en contravention de l’instruction et du Règlement et fasse l’objet de poursuites relativement à ces deux contraventions. Swissport souhaiterait éviter de se placer en position de contrevenir à ses obligations juridiques en continuant d'utiliser l'équipement malgré tout. Comme le souligne l'avocat de la demanderesse, chaque jour constituerait probablement une nouvelle contravention du Code pouvant faire l'objet de poursuites. Il est donc clair selon moi qu’une telle situation aurait une incidence importante sur les activités de la demanderesse et de ses clients, notamment en causant des retards dans les vols, ce qui pénaliserait la demanderesse et les membres du public qui prennent l’avion.

[41] La demanderesse a reconnu que la question du coût des mesures à prendre n'a pas été acceptée par les agents d’appel comme un facteur valable pour accorder une suspension, en l’absence de tous autres facteurs à prendre en compte. Or, les coûts dont il est question ici sont objectivement considérables et l’adaptation des appareils ou l’achat d’appareils neufs ou usagers constitue un processus long et exigeant comprenant plusieurs étapes et facteurs à prendre en compte, conduisant ainsi Swissport à dépasser largement la date de conformité fixée par la déléguée ministérielle. Compte tenu de cette information, il serait inutile d'exiger la conformité immédiate à l'instruction dans ces circonstances.

[42] Dans la décision Ville d’Ottawa (OC Transpo) c. Norman MacDuff, 2013 TSSTC 27 (Ville d'Ottawa), la question des coûts financiers (16 millions de dollars) pour doter les autobus d’OC Transpo d’équipement supplémentaire afin de protéger les chauffeurs contre les agressions par des passagers a été invoquée parmi les facteurs à prendre en compte pour accorder la suspension. Je suis d'accord avec l'affirmation de l'agent d’appel sur ce point :

[20] Pour ce qui est du deuxième critère, celui du préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue, je considère que la demanderesse a démontré de façon convaincante les coûts potentiels de la conformité à l’instruction. M. MacDuff qualifie de « modestes » ces coûts par rapport au budget total de la Ville. C’est peut-être vrai en termes de pourcentage, mais cela ne me paraît pas une façon valable d’évaluer la répartition des dépenses municipales. Je suis d’accord avec le conseiller juridique de la demanderesse pour dire que les coûts de mise en œuvre des mesures correctives dont il a été question avec l’agent de SST seraient considérables.

[21] Cela dit, je suis conscient que des agents d’appel ont soutenu dans le passé que des coûts financiers ou de simples inconvénients ne suffisaient pas à respecter le critère du préjudice important. Cependant, les coûts financiers potentiels en l’espèce sont considérables et dépassent le simple inconvénient. À mon avis, la perspective que la demanderesse engage des coûts exorbitants relativement à une conclusion qu’elle conteste et qui, comme c’est le cas dans n’importe quel appel, pourrait ou non être maintenue, mérite que l’on s’y arrête.

[C’est moi qui souligne]

[43] Je suis donc d'avis que les mesures que Swissport doit prendre pour se conformer entièrement à l'instruction sont considérables et que les ressources et le temps exigés dépassent le simple inconvénient.

[44] Pour ce qui est de l'incidence de l'instruction sur les activités de l'employeur, en tenant compte du fait que l'utilisation de chariots à bagages et de chargeurs à tapis roulant ne comportant pas de toit ni toute autre structure semble être en place, du moins dans le cas des activités de Swissport à l'Aéroport Pearson, depuis deux décennies, je suis d'accord avec l'opinion exprimée par l'agent d’appel au paragraphe 22 de l'arrêt Ville d'Ottawa :

[22] La demanderesse considère que l’instruction est vague et qu’elle manque de précision. Elle soutient que les mesures à prendre pour respecter ses modalités ne sont pas claires. Selon la demanderesse, ce manque de précision pourrait lui causer un préjudice en l’exposant à des sanctions sévères en cas de non-conformité, alors même qu’elle n’aurait pas compris les mesures à prendre pour être conforme. Je souscris d’autant plus à cet argument que le délai accordé à la demanderesse pour se conformer à une instruction lourde de conséquences est court. J’estime qu’il est irréaliste de penser qu’on puisse changer en profondeur des pratiques de longue date en l’espace de quatre semaines et qu’essayer de le faire imposerait un grand stress à la demanderesse et au réseau de transport en commun. À ce sujet, le conseiller juridique a fait référence à une décision précédente du Tribunal, où la perturbation de pratiques de longue date a été prise en considération dans l’octroi d’une suspension. Bien que les faits diffèrent sensiblement, je considère tout de même comme pertinent l’argument sous-jacent dans cette affaire. (Bell Canada, 2010 TSSTC 16).

[C’est moi qui souligne]

[45] Je suis d'accord avec l'intimée que cette pratique, même si elle est de longue date, ne la rend pas correcte et ne libère pas l'employeur de son obligation en vertu du Code ou du Règlement, en présumant que la déléguée ministérielle a raison en décidant que l'alinéa 14.9(1) s'applique et qu'il y a eu contravention. Cependant, cet argument porte davantage sur le bien-fondé de l'appel plutôt que sur l'analyse effectuée à l'étape actuelle relativement à l'octroi de la suspension.

[46] Deuxièmement, j'évalue également la nature de l'instruction par rapport au préjudice allégué subi par la demanderesse. L'instruction ne porte pas sur une situation de danger où la santé et la sécurité des employés peuvent être compromises et où des mesures pour corriger le danger doivent être prises immédiatement. Dans la décision Les transports nationaux du Canada Limitée, 2013 TSSTC 15, j'ai exprimé l'opinion suivante :

[23] Le but de l’instruction est également un facteur dont je tiens compte dans ma décision d’accorder la suspension en l’espèce. Nous avons affaire à une instruction qui exige que la société établisse un comité local de santé et de sécurité, par opposition à une instruction émise en présence d’une situation dangereuse ou visant à corriger une violation du Code ou de ses règlements qui peuvent mettre en danger la santé et la sécurité des travailleurs. Dans ces derniers cas, je suis d’avis qu’une suspension ne devrait être accordée que pour des raisons impérieuses et exceptionnelles. Cela étant dit, je ne veux pas réduire l’importance des comités locaux de santé et de sécurité et je reconnais que la participation des employés à des questions liées à la santé et à la sécurité dans leur lieu de travail est l’un des piliers du régime conçu en vertu du Code. Cependant, je crois que la gravité relative de l’infraction et de ses conséquences est un facteur pertinent à prendre en compte pour évaluer le préjudice causé aux parties et exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 146(2).

[47] J'ai appliqué ce raisonnement dans la décision Termont Montréal Inc. c. Syndicat des Débardeurs, SCFP, section locale 375 et Syndicat des Vérificateurs, ILA section locale 1657, 2015 TSSTC 7, au paragraphe 30.

[48] Comme elle l'a fait dans le dossier Air Canada, la déléguée ministérielle a mentionné une décision d'un ASR rendue en 1997 portant sur un enjeu similaire, qui semble appuyer son instruction. Cependant, son rapport d'enquête n’indique pas que la ministre ou ses délégués ont activement cherché à faire appliquer cette décision, du moins pour les activités de Swissport à l'Aéroport Pearson, jusqu’en 2019, lorsque la déléguée ministérielle a effectué son inspection à la demande de son gestionnaire. Autrement dit, compte tenu des circonstances décrites dans le dossier du Tribunal, il ne semble pas que la situation exige que des mesures correctives soient prises dans les plus brefs délais afin d'assurer une protection contre un risque ou un danger précis. Il n'y a pas de doute que l'employeur doit se conformer aux exigences réglementaires relativement à ses appareils; cependant, dans le contexte actuel et à la date de conformité indiquée dans l'instruction et compte tenu de la contestation de l'instruction, cela causerait un préjudice important à la demanderesse.

[49] Troisièmement, la date de conformité en elle-même cause un problème. Personne n'affirme sérieusement que la date de conformité fixée par la déléguée ministérielle est réaliste. En fait, la date limite pour la conformité établie par la déléguée ministérielle, le 30 avril 2019, était déjà passée au moment où la demande a été entendue, le 23 mai 2019. La date a été établie avec la présomption que l'agent d’appel pouvait la repousser si Swissport était en mesure de présenter un plan d'action raisonnable pour devenir conforme.

[50] J'ai abordé comme suit cette question dans la décision Air Canada aux paragraphes 44 à 46 de la décision :

[44] Le problème dans l’approche de la déléguée ministérielle est qu’un agent d’appel n’a pas le pouvoir de modifier une instruction, y compris la date de conformité, à cette étape hâtive des procédures d’appel. Le pouvoir d’un agent d’appel de modifier la date de conformité découle des pouvoirs de l’agent d’appel énoncés au paragraphe 146.1(1) du Code :

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions ;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[45] Ces pouvoirs peuvent uniquement être exercés dans le cadre de l’enquête sommaire « sur les circonstances ayant donné lieu [...] aux instructions [...] et sur la justification de celles-ci », comme il est indiqué dans le préambule de ce paragraphe, c’est-à-dire sur le bien-fondé de l’appel. Ces pouvoirs sont accessoires à la compétence de l'agent d’appel pendant son enquête et dans la gestion de l'appel. Autrement dit, un agent d’appel pourrait rejeter l'appel en raison de son bien-fondé et confirmer que l'employeur contrevient à une disposition du Code ou du Règlement, mais il pourrait modifier le délai de conformité conformément à l'article 146.1, si la preuve démontre des motifs suffisants pour le faire.

[46] Il existe un certain nombre de décisions dans lesquelles les agents d’appel ont modifié la date de conformité d’une instruction, y compris les décisions récentes suivantes : Handlex Inc. (Re), 2010 TSSTC 8; J.E. Culp Transport, 2012 TSSTC 20; Robert Q’s Airbus Inc., 2013 TSSTC 9; Air Georgian Limited, 2015 TSSTC 6; et Air Canada, 2016 TSSTC 9. Il importe de noter que, dans toutes ces causes, la modification de la date de conformité a été ordonnée à la suite d’une enquête d’un agent d’appel portant sur l’appel lui-même et en raison du fait que l’employeur avait accepté le bien-fondé de l’instruction et qu’il contestait uniquement le délai qu’il devait respecter. Le pouvoir de redressement décrit à l’alinéa 146.1(1) du Code pouvait donc être utilisé par l’agent d’appel. Ce n’est pas le cas ici, puisque la demanderesse conteste vivement le bien-fondé de l’instruction et l’application du paragraphe 14.9(1) du Règlement aux chariots à bagages et aux chargeurs à tapis roulant énumérés dans la liste jointe à l’instruction. Cela signifie qu’une enquête relative à l’appel exigée au titre du paragraphe 146.1(1) du Code devra avoir lieu avant que je puisse exercer mes pouvoirs de redressement.

[51] Par conséquent, à cette étape et compte tenu du fait que le bien-fondé de l'instruction est contesté, la suspension prévue aux termes du paragraphe 146(2) est la seule option offerte à un agent d’appel pour dégager l’employeur de son obligation de se conformer à l’instruction dans le délai prescrit, si, bien sûr, l'agent d’appel juge que cela est justifié.

[52] Pour tous ces motifs, je conclus que la demanderesse a satisfait au deuxième facteur du critère et a démontré qu’elle subirait un préjudice considérable si la suspension n’était pas accordée.

Quelles mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise sur le lieu de travail si la suspension est accordée?

Observations de la demanderesse

[53] La demanderesse fait valoir que, pour s'acquitter entièrement de ses obligations en vertu du Code, elle possède des politiques et programmes en matière de sécurité au travail, y compris des programmes de formation, traitant particulièrement de l'utilisation sécuritaire de l'équipement de manutention au sol, notamment les chariots à bagages et les chargeurs à tapis roulant. Swissport note que, dans le cadre de son programme de prévention des risques, elle a évalué les risques associés à l'utilisation des chariots à bagages et des chargeurs à tapis roulant à l'Aéroport Pearson et qu'elle a mis en œuvre des mesures de prévention à la suite de cette évaluation afin de réduire l'incidence des intempéries sur les employés à l'extérieur. 

[54] Elle a également tenté d'évaluer les risques associés à la modification ou au remplacement des chariots à bagages et chargeurs à tapis roulant pour que l'équipement dispose d'une cabine; cependant, il n'est pas possible d'effectuer, avant que l'équipement soit disponible, des évaluations éclairées au sujet des risques, comme la visibilité, les angles morts et les contacts accidentels causés par la proximité des avions.

[55] De plus, Swissport n’a pas été informée de plaintes à ce sujet de la part des travailleurs, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du comité de santé et de sécurité au travail, relativement à l'absence de toit sur les chariots ou chargeurs à tapis roulant. La demanderesse souligne que l’instruction a été émise après une inspection menée par la déléguée ministérielle à la demande de son gestionnaire, et non en raison d'un accident ou d'une plainte.

[56] La demanderesse met l’accent sur le fait qu’il n’y a pas eu d’incident où des opérateurs ont été exposés à des intempéries alors qu’un toit ou une autre structure était requis pour les protéger. Swissport n'a jamais reçu d'instruction par le passé ni accepté de promesse de conformité volontaire à ce sujet, contrairement à la situation dans la décision Air Canada.

[57] La demanderesse s'engageait de plus à prendre les mesures suivantes en attendant le résultat de l'appel :

Observations de l’intimée

[58] L'intimée appuie les mesures proactives ministérielles pour assurer la conformité au Code et au Règlement. Elle souligne que l’équipement de protection individuelle (ÉPI) est souvent inadéquat et n’offre pas la même protection qu’un chariot couvert. L'intimée ajoute également qu'il a été difficile pour les employés d'obtenir de l'ÉPI par le passé, comme des lunettes, une protection pour le visage (passe-montagne) ou des gants.

[59] L'intimée observe que, si la suspension est accordée, des mesures de protection spéciales devraient être mises en place afin de protéger les employés contre les intempéries. Le représentant de l'intimée s'est également dit préoccupé par le fait que des employeurs concurrents avaient le droit d'utiliser leur équipement de manutention motorisé sans toit ou autre structure. Je souligne ici que, en réponse à ma question, la déléguée ministérielle a affirmé que cette question avait été soulevée et traitée auprès d'autres sociétés fournissant des services similaires à l'Aéroport Pearson, sans donner de noms ni d'autres faits pour des raisons de confidentialité.

Décision relative au troisième facteur du critère

[60] Les observations de l'employeur relativement à la protection actuelle des employés dans la situation qui nous occupe me convainquent. Compte tenu des similitudes entre les enjeux, je réitèrerai les motifs que j'ai énoncés dans la décision Air Canada.

[61] L’instruction fait suite à une inspection « spécifique » de la déléguée ministérielle qui ne résulte pas d’un refus de travailler, d’une plainte d’un employé ou d’un incident particulier. La déléguée ministérielle a mentionné les intempéries (poudrerie et pluie verglaçante). Je note que la déléguée ministérielle n’a pas estimé nécessaire ou justifié d’émettre une « instruction sur le danger » conformément au paragraphe 145(2) du Code, ce qui aurait obligé l’employeur à prendre des mesures correctives immédiates pour régler la situation observée. Selon moi, cela indique que le statu quo peut se poursuivre, sous réserve de toutes les dispositions et protections existantes en vertu du Code et du Règlement, jusqu’à ce que les mesures ordonnées dans l’instruction émises soient prises.

[62] Je tiens également compte des conditions saisonnières qui ont poussé la déléguée ministérielle à émettre son instruction, soit la poudrerie et la pluie verglaçante. Alors que nous sommes au début du mois de juin au moment où j'écris les présents motifs, il est peu probable que les risques énumérés par la déléguée ministérielle se présentent à court ou à moyen terme. Je ne rejette pas les intempéries d’autres types mentionnées par l’intimée qui peuvent se présenter pendant les mois d’été ou d’automne. Cependant, elles sont de nature différente de celles de février 2019 et, selon moi, il est possible de les atténuer adéquatement.

[63] Par conséquent, pour prendre une décision relativement à la suspension en attendant la décision sur le bien-fondé de l’appel, je suis d’avis que la santé et la sécurité des employés seront protégées par le statu quo, un mode d’opération qui est en place pour cet employeur à l'Aéroport Pearson depuis 2 décennies. Dans les circonstances, je crois que, compte tenu de toutes les autres obligations de l’employeur en vertu du Code visant à éliminer ou à réduire les risques et de la capacité des employés d’exercer leurs droits, y compris le droit de refuser de travailler, si les conditions le justifient, la santé et la sécurité des employés seraient protégées pendant la suspension.

[64] Compte tenu de ce qui précède, j’en arrive à la conclusion que la demanderesse a satisfait au troisième facteur du critère. Cela étant dit, comme je l'ai mentionné dans la décision Air Canada et compte tenu des observations de l'intimée au sujet de la nécessité d'une protection supplémentaire pendant la suspension, je juge que les engagements de la demanderesse présentés dans ses observations afin d'assurer la sécurité des employés devraient être dûment intégrés dans ma décision à titre de conditions de la suspension.

[65] En résumé, j’ai conclu que la demanderesse avait répondu au critère à trois facteurs établi dans la jurisprudence du Tribunal, c’est-à-dire que l’appel n’est pas frivole ni vexatoire, que la demanderesse subirait un préjudice important si l’instruction n’était pas suspendue, compte tenu des circonstances qui ont mené à l’instruction, y compris la date établie par la déléguée ministérielle pour la conformité, et finalement que la santé et la sécurité des employés sont protégées en attendant l’appel, y compris les conditions imposées à la demanderesse dans la présente ordonnance.

Décision

[66] Pour les motifs précités, la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction donnée par Mme Elizabeth Porto le 6 mars 2019 est accordée aux conditions suivantes :

1. L'employeur, Swissport Handling Canada Inc., doit informer immédiatement les comités de santé et de sécurité au travail de la suspension de l'instruction;

2. L’employeur doit immédiatement informer par écrit les employés des risques associés aux intempéries et rappeler aux employés qui utilisent les appareils de manutention motorisés mentionnés dans l’instruction l’existence de leur droit de signaler à leur superviseur toute préoccupation relativement aux conditions météorologiques touchant l’utilisation de ces appareils, y compris leur droit de refuser de travailler, s’ils considèrent que l’utilisation de ces appareils les expose à une situation constituant une menace imminente ou sérieuse à leur santé ou à leur vie ; et

3. Comme il s’est engagé à le faire dans ses observations relatives à la demande actuelle, l’employeur doit continuer, en attendant l’appel, à :

i. Veiller à ce que des vêtements et articles de protection personnelle pertinents continuent d'être mis à la disposition des employés à l'extérieur de Swissport qui utilisent des chariots à bagages et des chargeurs à tapis roulant;

ii. En cas d'intempéries, ajuster ses activités pour en tenir compte;

iii. Continuer de surveiller attentivement et d’évaluer les conditions de travail associées à la météo;

iv. Mettre en œuvre d’autres mesures de sécurité pour tenir compte de l’évolution des conditions météorologiques.

[67] La suspension sera en vigueur jusqu'à la décision définitive relativement à l'appel.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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