2019 TSSTC 15
Date : 2019-06-11
Dossier : 2019-15
Entre:
Agence des services frontaliers du Canada, demanderesse
et
Caroline Maurice, intimée
Indexé sous: Agence des services frontaliers du Canada c. Maurice
Affaire: Demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail
Décision : La demande est rejetée.
Décision rendue par : Ginette Brazeau, Agente d’appel
Langue de la décision : Français
Pour la demanderesse : Richard Fader, avocat-conseil, groupe du droit du travail et de l’emploi, ministère de la Justice du Canada
Pour l’intimée : Me David Bessette, Avocat, Bessette Avocats Inc.
Référence : 2019 TSSTC 15
Motifs
[1] La présente affaire a trait à une demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code). La demanderesse demande à être relevé du défaut d’interjeter appel, dans le délai de trente jours prescrit par le Code, d’une instruction émise le 1 mars 2019 par M. Olivier Gadoua, représentant délégué par le ministre du Travail (délégué ministériel).
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
Contexte
[3] Le 27 novembre 2018, l’intimée a logé une plainte au Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada. La plainte concerne la façon dont une enquête sur des allégations de violence faites à l’égard de l’intimée en juin 2018 a été menée. L’intimée est superintendante au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle. Son employeur est l’Agence des services frontaliers du Canada, la demanderesse dans la présente affaire. L’enquête sur les allégations de violence a été menée par une personne compétente telle que définie à la Partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement).
[4] Suite à la réception de la plainte de l’intimée, le Programme du travail a mandaté le délégué ministériel pour enquêter sur la plainte. L’enquête du délégué ministériel a révélé que l’intimée affirme ne pas avoir eu la possibilité de réfuter ou de commenter les éléments de preuve recueilli en son absence et les conclusions préliminaires de la personne compétente; ne pas avoir eu accès à l’entièreté du rapport final de la personne compétente; et ne pas avoir eu la possibilité d’aborder les allégations qui s’apparentent à de la violence dans le lieu de travail avec la personne compétente.
[5] Le 11 janvier 2019, au terme de son enquête, le délégué ministériel a remis un formulaire de promesse de conformité volontaire à la demanderesse, la sommant de se conformer au paragraphe 20.9(3) du Règlement ainsi qu’à l’alinéa 125(1)(z.16) du Code. La demanderesse a refusé de signer ce document, tel qu’en témoigne un courriel daté du 25 janvier 2019.
[6] Le 1 mars 2019, suite au refus de la demanderesse de signer la promesse de conformité volontaire, le délégué ministériel a émis l’instruction suivante :
Dans l'affaire du Code Canadien du Travail
Partie II - Sante et Securite au Travail
Instruction a l'agence des services frontaliers du Canada en vertu du paragraphe 145.(1)
Le 10 janvier 2019, l'agent des affaires du travail soussigne a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploite par l'Agence des services frontaliers du Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 400, place d'Youville à Montréal. Le lieu de travail d'où origine la plainte est toutefois situé au 501 Autoroute 15, St-Bernard-de-Lacolle, Québec, JOJ 1VO.
Ledit agent des affaires du travail est d'avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail et ont été enfreintes par l'employeur.
No. / No : 1
125.(l) (z.16) - Partie II du Code canadien du travail
20.9 (3) - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
L'employeur n'a pas veillé à ce que la plaignante puisse (1) faire des représentations sur toute preuve recueillie par la personne compétente en son absence et (2) commenter les conclusions de la personne compétente avant que son rapport d'enquête ne soit transmis à l'employeur, conformément aux principes élaborés dans le jugement de la Cour fédérale Pronovost c. Agence du Revenu du Canada
(2017 CF 1077).
Item / Article :
No. / No: 2
125.(l)(z.16) - Partie II du Code canadien du travail
20.9 (3) - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
Item / Article :
L'employeur refuse de transmettre directement à la plaignante une copie caviardée du rapport de la personne compétente sans qu'elle ne fasse une demande d'accès à l'information en ce sens. Le fait pour la plaignante de ne pas pouvoir prendre connaissance de l'ensemble du rapport de la personne compétente en temps opportun, dès que l'employeur recevra la copie finale de ce rapport, constitue une violation des principes de justice naturelle.
Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l'alinéa 145.(l)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 31 mars 2019.
Fait à Montréal, ce 1er jour de mars 2019.
Olivier Gadoua
Agent des affaires du travail - santé et sécurité au travail
N° ON1638
[7] La demanderesse a déposé une demande d’appel de cette instruction au Tribunal le 2 avril 2019, soit 2 jours après le délai de 30 jours imparti par le Codepour interjeter appel d’une instruction émise en vertu du paragraphe 145(1). Le même jour, le registraire du Tribunal a communiqué avec la demanderesse pour lui demander de confirmer la date de réception de l’instruction émise par le délégué ministériel.
[8] Le 4 avril 2019, la demanderesse a répondu à la communication du registraire en enjoignant une demande de prorogation du délai pour interjeter appel en vertu de l’alinéa 146.2(f) du Code.
[9] La 8 avril 2019, suite à la réception de cette demande de prorogation, le registraire du Tribunal a contacté l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) afin de l’aviser des procédures intentées par la demanderesse et impliquant possiblement l’un ou l’une de ses membres. Dans une lettre datée du 15 avril 2019, l’AFPC a indiqué son intention d’agir en tant que partie intimée au dossier, et dans une seconde lettre datée du 18 avril 2019, l’AFPC a indiqué qu’elle n’allait pas prendre position par rapport à la demande de prorogation du délai déposée par la demanderesse.
[10] Suite aux correspondances du Tribunal avec l’AFPC, le délégué ministériel a contacté le Tribunal pour l’informer que la plaignante mentionnée dans l’instruction qu’il a émise n’était pas une employée représentée par l’AFPC. Le 1 mai, 2019, le délégué ministériel a fait parvenir au Tribunal le rapport en soutien à son instruction.
[11] Le 6 mai, 2019, le Tribunal a reçu un avis de comparution de la part de Mme Caroline Maurice, la plaignante dont il est question dans l’instruction selon le rapport du délégué ministériel. Mme Maurice est désormais identifiée comme partie intimée au présent dossier. Le 12 mai, 2019, l’AFPC s’est retirée du dossier.
[12] Dans une lettre du 13 mai 2019, le Tribunal a contacté l’intimée et lui a demandé des observations quant à la présente demande. L’intimée n’a soumis aucune observation.
Question en litige
[13] La question est de savoir si je dois exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère l’alinéa 146.2(f) du Code afin de proroger le délai de 30 jours prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code.
Observations de la demanderesse
[14] En soutien à sa demande de prorogation de délai, la demanderesse invoque la décision dans Riddell c. Service correctionnel du Canada, 2014 TSSTC 9 (Riddell), dans laquelle l’appelant accusait d’un retard d’une journée pour interjeter appel.Dans Riddell, l’agent d’appel avait accueilli la demande de prorogation de délai du demandeur.
[15] La demanderesse souligne que bien que le Codene précise aucun facteur à soupeser lors de l’exercice de sa discrétion de proroger un délai, l’agent d’appel dans l’affaire Riddell a analysé les critères suivants :
- la durée du délai par rapport à la période d’appel;
- la raison du retard;
- la diligence raisonnable démontrée au moment de la découverte; et
- le préjudice subi par les autres parties à l’instance.
[16] En s’appuyant sur ces critères, la demanderesse affirme n’avoir dépassé le délai de trente jour que d’une journée, en raison d’une combinaison d’erreurs administratives principalement dues au nombre élevé de litiges et de l’absence d’avocat au dossier. La demanderesse affirme aussi qu’une fois s’être rendue compte de son erreur, elle a immédiatement déposé la requête qui fait l’objet des présents motifs, et estime que le retard d’un jour ne cause pas de préjudice à l’autre partie.
[17] La demanderesse soumet finalement qu’elle ne prend pas position lorsque des requêtes semblables sont présentées dans le cadre d’appels qui l’implique et lorsque la partie adverse dépasse le délai d’appel d’une si faible marge.
Analyse
[18] Le paragraphe 146(1) du Code prévoit un délai de 30 jours pour interjeter appel d’une instruction. Le paragraphe 146(1) se lit comme suit :
146(1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par le ministre sous le régime de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.
[Je souligne]
[19] L’alinéa 146.2(f) du Code confère à l’agent d’appel le pouvoir discrétionnaire nécessaire de proroger le délai prévu pour interjeter appel :
146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :
[...]
(f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;
[20] La prorogation du délai pour déposer un appel n’est pas automatique et la demanderesse doit démontrer qu’il y a une raison exceptionnelle pour justifier son retard (Bansfield c. Service correctionnel du Canada, 2014 TSSTC 8). Bien que le Codene précise pas les éléments à prendre en considération lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’alinéa 146.2(f), les agents d’appels ont établi, tel que le suggère la demanderesse, des facteurs qui servent à guider l’agent d’appel dans l’exercice de cette discrétion. Parmi ces facteurs se retrouvent la durée du délai par rapport à la période d’appel; les explications fournies par la demanderesse pour expliquer le retard; la diligence raisonnable dont témoignent les actions de la demanderesse; et le préjudice subi par les autres parties à la procédure.
[21] La demanderesse a invoqué l’affaire Riddell car elle soumet que tout comme dans cette affaire, elle n’a dépassé le délai d’appel que d’une journée. Je tiens à noter ici que le délai d’appel fût dépassé de deux journées, et non d’une seule tel que l’allègue la demanderesse. Il est aussi de mon avis que la présente affaire se distingue de l’affaire Riddell puisqu’elle a trait à l’appel d’une instruction sous le paragraphe 146(1) du Code, et non à l’appel d’une décision d’absence de danger sous le paragraphe 129(7) du Code.
[22] Dans le cas d’un appel sous le paragraphe 129(7), qui est déposé par un employé qui croit à l’existence d’un danger dans son lieu de travail, l’employé dispose d’un bref délai de dix jours pour appeler d’une décision d’absence de danger à un agent d’appel. En revanche, dans le cas d’un appel sous le paragraphe 146(1), tel que celui qui nous occupe, une partie qui se sent lésée par une instruction dispose d’un délai plus long pour interjeter appel, soit de 30 jours.
[23] Dans Ridell, le demandeurse représentait lui-même. L’agent d’appel avait reconnu l’intention de M. Ridell de déposer son appel dans le délai de dix jours imparti par le Codeen raison de courriels qu’il avait échangés avec l’agent de santé et sécurité au travail. Un agent d’appel a également déjà pris en considération le manque de connaissance d’un demandeur par rapport à la procédure (Len Van Roon v. Première nation Kinonjeoshtegon, CAO-07-045).
[24] Dans le cas qui nous occupe, à la différence des affaires Riddell et Len Van Roon, la demanderesse ne peut alléguer son inexpérience ou manque de connaissance afin d’être relevée de son défaut d’interjeter appel dans le délai imparti par le Code.
[25] La demanderesse doit démontrer une intention manifeste et continue de porter appel de l’instruction reçue et me convaincre que cette intention est soutenue par des mesures prises tout au long de la période entre la réception de l’instruction et le dépôt de l’appel (Veilleux c. Service correctionnel du Canada, 2017 TSSTC 23 (Veilleux)). La demanderesse doit, entre autres, expliquer son retard à l’aide de motifs raisonnables et démontrer qu’elle a fait preuve de la diligence nécessaire pour interjeter appel de manière appropriée (Zimmerman c. Service correctionnel du Canada, 2016 TSSTC 5).
[26] Il m’est difficile de conclure que la demanderesse avait l’intention manifeste et continue, tout au long du délai de trente-deux jours qui s’est écoulé entre la réception de l’instruction et le dépôt de l’appel, d’appeler de l’instruction émise le 1 mars 2019. La demanderesse allègue une combinaison d’erreurs administratives, principalement dues au nombre élevé de litiges qui l’occupent et à l’absence d’avocat au dossier. Je suis d’avis que les circonstances soulevées par la demanderesse relèvent des aléas de la vie quotidienne et ne constituent pas des circonstances particulières ou exceptionnelles (Veilleux). Je suis donc d’avis que la demanderesse n’a soulevé aucun motif raisonnable qui démontrent qu’elle a agi avec diligence, mais plutôt qu’elle a fait preuve de négligence en laissant le dossier inactif pendant une période de plus de 30 jours.
[27] Les délais prévus par le législateur à la partie II du Code s’inscrivent dans le contexte de prévention des accidents et des maladies liés à l’occupation d’un emploi. Le respect de ces délais est important afin d’assurer la finalité des mécanismes prévus par le Code,de façon expéditive, dans le but d’atteindre cet objectif de prévention. Le délai de 30 jours fixé par le législateur au paragraphe 146(1) est ferme. La partie qui demande à un agent d’appel d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 146.2(f) du Code doit soulever des motifs importants afin de justifier une prorogation du délai applicable à l’introduction de la procédure. Ici, la demanderesse n’a soulevé aucune situation impérieuse justifiant l’utilisation de cette discrétion.
[28] Pour les raisons qui précèdent, je choisis de ne pas utiliser la discrétion qui m’est conférée par l’alinéa 146.2(f) du Codepour proroger le délai de 30 jours prévu au paragraphe 146(1).
Décision
[29] La demande de prorogation du délai est rejetée.
Ginette Brazeau
Agente d’appel
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