2019 TSSTC 16
Date : 2019-07-10
Dossier : 2019-24
Entre :
Ronald Matte, demandeur
Et
Société Terminaux Montréal Gateway, intimée
Indexé sous : Matte c. Société Terminaux Montréal Gateway
Affaire : Demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail
Décision : L’appel du demandeur sera entendu par un agent d’appel.
Décision rendue par : Ginette Brazeau, agente d’appel
Langue de la décision : Français
Pour le demandeur : Me Normand Léonard, avocat, Lamoureux Morin Avocats Inc.
Pour l’intimée : Me Mélanie Sauriol, avocate, BCF Avocats d’affaires
Référence : 2019 TSSTC 16
Motifs
[1] La présente affaire a trait à une demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code). Le demandeur veut être relevé du défaut d’interjeter appel, dans le délai de 10 jours prescrit par le Code, d’une décision d’absence de danger rendue le 3 mai 2019 par M. Mohamed Leghfiri en sa qualité de représentant délégué par le ministre du Travail (délégué ministériel).
[2] Pour les motifs qui suivent, l’appel du demandeur sera entendu par un agent d’appel puisque le délai d’appel a été respecté.
Contexte
[3] Le demandeur est un opérateur de grue employé par la Société Terminaux Montréal Gateway Terminals Partnership, l’intimée à la présente demande. Le 2 mai 2019, le demandeur a exercé le droit de refuser de travailler que lui confère l’article 128 du Code. Lors de son refus de travailler, le demandeur alléguait que la grue qu’il opérait produisait un bruit et une vibration anormaux.
[4] Le 3 mai 2019, le délégué ministériel a été dépêché sur les lieux afin d’enquêter sur le refus de travailler. Le demandeur était absent lors de l’enquête. Le même jour, le délégué ministériel a rendu une décision d’absence de danger. La décision se lit comme suit :
Le [3 mai 2019], j'ai effectué une enquête concernant le refus de travailler de Ronald Matte représenté par Steve Desjardins (syndicat des débardeurs) et Céline [Laframboise] (représentante de l’employeur) qui étaient les membres enquêteurs, j’étais accompagné par Manon Perreault et France de Repentigny du [P]rogramme du travail.
Veuillez prendre note qu'aux termes du paragraphe 129(4) de la partie II du Code canadien du travail, j'ai rendu la décision suivante, il y a absence de danger.
Par conséquent, prenez note qu'en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail, l'employé susmentionné n'est pas autorisé aux termes de l'article 128 à continuer de refuser d’opérer la grue no 1.
L'employé ou le représentant désigné peuvent interjeter appel de la décision par écrit devant un agent d'appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (TSSTC) dans les dix (10) jours suivant la réception de la décision en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail. Visitez le site Web du TSSTC pour connaitre la marche à suivre : ohstc-tsstc.gc.ca.
Enfin, prenez note qu'un rapport d'enquête et la décision seront communiques dès que possible à l'employeur et a l'employé.
Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Mohamed Leghfïri
Délégué officiel du ministre du Travail
Inspecteur sécurité maritime
[5] Le 15 mai 2019, le demandeur a déposé un avis d’appel de cette décision au Tribunal. Comme la décision du délégué ministériel était datée du 3 mai 2019, l’appel semblait avoir été déposé 2 jours après le délai de 10 jours pour interjeter appel prescrit par le Code. Le 16 mai 2019, le registraire du Tribunal a contacté le demandeur afin de lui demander des observations à ce sujet. M. Desjardins, le conseiller syndical qui avait déposé l’appel au nom du demandeur, a répondu avoir reçu la décision du délégué ministériel le 3 mai 2019, mais ne l’avoir communiquée au demandeur que le 6 mai 2019.
[6] Le délégué ministériel a précisé au Tribunal qu’il avait fait parvenir la décision d’absence de danger à M. Desjardins le 3 mai 2019, car c’est M. Desjardins qui a représenté le demandeur durant l’absence de celui-ci lors de l’enquête.
Question en litige
[7] Le demandeur s’adresse au Tribunal afin d’obtenir une prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code. Par contre, compte tenu de la chronologie des évènements précédant le dépôt de l’appel, je dois d’abord déterminer à quelle date le délai de 10 jours pour interjeter appel commençait à courir.
Observations des parties
[8] En réponse à la demande d’observations du Tribunal, le demandeur a soumis qu’il croyait que le délai applicable était de 10 jours ouvrables et qu’il avait tenté de rejoindre le Tribunal sans succès afin de savoir s’il devait attendre le rapport détaillé du délégué ministériel supportant la décision avant d’en porter appel. Le demandeur affirme avoir quand même décidé de déposer son appel le 15 mai 2019 avant d’avoir reçu le rapport détaillé, croyant être dans les délais.
[9] L’intimée s’oppose à la demande. Elle prétend que les motifs allégués par le demandeur sont non fondés en faits et en droit et que le demandeur ne peut invoquer son ignorance de la loi pour en justifier le non-respect. L’intimée affirme également que l’allégation du demandeur à l’effet qu’il aurait tenté de joindre le Tribunal sans succès est douteuse et que rien ne l’empêchait de déposer son appel dans les délais prévus au Code.
[10] Le demandeur réplique que le délai prévu au paragraphe 129(7) n’est pas un délai de rigueur et que les agents d’appel peuvent utiliser le pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré par l’alinéa 146.2(f) du Codeafin de proroger le délai d’introduction de l’instance en tenant compte de la durée du retard par rapport au délai; des explications de la partie; de la diligence raisonnable; et du préjudice subi par l’autre partie (Alex Hoffman c. Canada (Agence des services frontaliers, 2013 TSSTC 9).
[11] Le demandeur mentionne également dans sa réplique que sa tentative de communiquer avec le Tribunal démontre son intention d’interjeter appel et qu’aucune allégation de préjudice ne figure dans la contestation de l’intimée. Le demandeur demande à être relevé de son retard.
Analyse
[12] Le paragraphe 129(7) du Codeprévoit un délai de 10 jours pour interjeter appel d’une décision d’absence de danger. Le paragraphe 129(7) se lit comme suit :
129(7) Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128(13)b) ou c), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin — appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de 10 jours à compter de la réception de celle-ci.
[Je souligne]
[13] Le paragraphe 129(4), qui donne au délégué ministériel le pouvoir de rendre une décision d’absence de danger telle que celle dont en appelle le demandeur, prévoit que la décision doit être communiquée par écrit à l’employé. Le paragraphe 129(4) se lit comme suit :
129(4) Au terme de l’enquête, le ministre prend l’une ou l’autre des décisions visées aux alinéas 128(13)a) à c) et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.
[Je souligne]
[14] Lors de l’analyse du dossier, j’ai constaté que le délégué ministériel n’avait jamais remis sa décision au demandeur. Il m’apparaît clair, selon les termes utilisés par le législateur, que le délégué ministériel doit communiquer sa décision à l’employé personnellement et par écrit, ce qui n’a pas été fait dans le cas qui nous occupe. Le délégué ministériel a simplement indiqué, dans un courriel daté du 3 mai 2019 à 21:30 et destiné à M. Desjardins, qu’il n’avait pas réussi à joindre le demandeur. À 21:32 le même soir, M. Desjardins a accusé réception du courriel du délégué ministériel. C’est pourquoi la date du 3 mai a été identifiée par le registraire afin de notifier le demandeur que son appel du 15 mai 2019 semblait avoir été déposé hors délai.
[15] Le libellé du paragraphe 129(4) du Code est clair quant au fait que c’est l’employé qui a refusé de travailler qui doit être mis au courant de la décision du délégué ministériel. Les agents d’appels ont statué à maintes reprises que le droit de refuser un travail dangereux est un droit individuel. Seulement l’employé qui croit à un danger tel que défini par le Codepeut refuser de travailler, et c’est à lui personnellement qu’une décision prise sous les alinéas 128(13)(a) à (c) doit être communiquée. Au stade de l’enquête menée par le délégué ministériel sur le refus de travail d’un employé, l’employé n’est pas représenté, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision du délégué ministériel. Le fait que M. Desjardins était présent lors de l’enquête ne signifiait pas que c’était à lui que la décision du délégué ministériel devait être communiquée.
[16] Le paragraphe 129(1.4) du Codeprévoit que l’enquête du délégué ministériel peut être faite en présence de l’employeur, de l’employé et du représentant en matière de santé et sécurité nommé par l’employeur. Le délégué ministériel peut toutefois procéder à l’enquête sur le refus de travail d’un employé même en l’absence de celui-ci, si l’employé décide de ne pas assister à l’enquête (paragraphe 129(3) du Code). Cependant, l’absence du demandeur lors de l’enquête ne signifie pas que les conclusions de l’enquête pouvaient être communiquées à une autre personne.
[17] Une décision prise conformément à l’un des alinéas 128(13)(a) à (c) doit être communiquée à l’employé personnellement et par écrit. L’employé peut par la suite choisir de se prévaloir, personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin, du mécanisme d’appel prévu au paragraphe 129(7) du Code. C’est donc au moment de la réception de la décision écrite du délégué ministériel par l’employé que le délai d’appel de 10 jours prévu au paragraphe 129(7) commence à courir. Puisque le délégué ministériel n’a jamais, à toute fin pratique, communiqué la décision qu’il a rendue à l’employé, il m’est impossible de déterminer à quelle date le délai d’appel commençait à courir.
[18] À la rigueur, la date du 6 mai 2019 mise de l’avant par M. Desjardins est la seule date que je puisse considérer comme point de départ pour calculer le délai d’appel. Si j’utilise le 6 mai comme date de réception de la décision d’absence de danger par le demandeur, je conclus que le demandeur avait jusqu’au 16 mai 2019 pour interjeter appel et que l’appel déposé le 15 mai 2019 a été déposé dans le délai imparti par le Code.
[19] Pour les motifs qui précèdent, je n’ai pas à utiliser la discrétion que me confère l’alinéa 146.2 (f) pour proroger le délai d’appel puisque les éléments de preuve qui sont devant moi m’amène à conclure que l’appel du demandeur a été déposé dans le délai de 10 jours prévu au paragraphe 129(7) du Code.
Décision
[20] L’appel du demandeur a été déposé dans le délai prescrit et sera entendu par un agent d’appel.
Ginette Brazeau
Agente d’appel
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