2019 TSSTC 19

Date : 2019-09-25

Dossier : 2018-06

Entre :

Patrick Jordan, appelant

et

Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., intimée

Indexé sous : Jordan c. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd.

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre de décisions rendues par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : Les décisions selon lesquelles aucun danger n’existe sont confirmées.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Me Jodie Gauthier, avocate, Koskie, Glavin, Gordon, avocats

Pour l’intimée : Me Paul Fairweather, avocat, Harris & Company LLP

Me Alyssa Paez, avocate, Harris & Company LLP

Référence : 2019 TSSTC 19

Motifs de la décision

[1] Les présents motifs portent sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre de deux décisions d’absence de danger rendues le 8 février 2018 par le capitaine Nicholas Teoh à titre de délégué officiel du ministre du Travail (délégué ministériel). Les deux décisions ont été rendues à la suite de deux refus de travailler exercés par l’appelant relativement au même problème, le même jour.

Contexte

[2] Les refus de travail de l’appelant concernaient les passerelles d’embarquement utilisées par Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd. (Neptune) et le raccordement de ces passerelles à un navire. Neptune est une entreprise de transport maritime de vrac située à North Vancouver, en Colombie-Britannique. Neptune effectue le chargement et le déchargement de marchandises en vrac comme le charbon, la potasse et la phosphorite, entre les wagons de train et les navires. Les navires arrivent dans une partie du terminal de Neptune composée de trois postes à quai à Burrard Inlet, appelés les quais 1, 2 et 3. Les navires restent dans ces trois postes à quai quelques jours à la fois, pendant leur chargement ou déchargement. Il semblerait qu’environ neuf navires arrivent au terminal de Neptune et en repartent chaque semaine. Ces navires viennent de partout autour du monde, la majorité venant de Chine; beaucoup de navires semblent relativement neufs et quelques-uns sont plus vieux.

[3] Bien qu’il puisse être possible, dans certains cas, d’accéder à un navire à quai à l’aide de l’échelle d’embarquement du navire plutôt qu’une passerelle d’embarquement portative (une situation qui se produit fréquemment au quai 3 de Neptune), il faut accéder aux navires amarrés aux quais 1 et 2 (et parfois au quai 3) à l’aide d’une passerelle amovible appartenant à Neptune qui est levée et mise en place à l’aide du chargeur de navire du terminal ou de la grue du navire. Quand la passerelle est en place, l’une de ses extrémités est appuyée sur le quai et l’autre extrémité est appuyée sur le navire. Dans bon nombre de cas, voire la majorité, l’extrémité de la passerelle du côté du navire est placée sur les mains courantes (rampes) du navire et tenue en place par des épontilles verticales soudées au pont.

[4] Il semblerait que la passerelle était fixée de cette façon au moins dans le cas des deux navires concernés par les refus de travailler de l’appelant. Un court escalier est fixé à l’extrémité de la passerelle du côté du navire qui mène au pont du navire, pour combler la distance (environ un mètre) entre le haut de la rampe et le pont. L’extrémité de la passerelle d’embarquement qui repose sur le quai est dotée de roues qui roulent de l’avant à l’arrière pour s’adapter aux mouvements de haut en bas du navire qui sont causés par les marées, ainsi qu’aux mouvements causés par le chargement ou le déchargement du navire qui font varier la hauteur de flottaison du navire, ce qui modifie la distance qui sépare le quai du pont et, par conséquent, l’angle de la passerelle d’embarquement. Cet angle ne peut pas être supérieur à 40 degrés, peu importe l’état de la marée ou le tirant d’eau du navire.

[5] Les mots employés par l’appelant sur le formulaire d’enregistrement du refus de travailler étaient les suivants : [traduction] « le raccordement de la passerelle d’embarquement au navire ne respecte pas le Code ». Sur ce formulaire, il y a également une réponse affirmative à la question de savoir si des mesures correctives ont été prises après le refus de l’appelant, cette réponse précisant que [traduction] « la préparation de plans d’ingénierie est en cours ». Le rapport d’enquête en milieu de travail sur le refus de travailler contient un peu plus de détails, car il indique que [traduction] « les passerelles d’embarquement aux trois postes à quai ne respectent pas le Code, [le Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime (Règlement)], partie 2, article 12, Moyen d’accès, alinéa 4a) », et précise, sous la rubrique [traduction] « Événements ayant donné lieu au refus », que [traduction] « la préoccupation a été soulevée auprès du CMSST [Comité mixte de santé et de sécurité au travail] il y a plus de 18 mois. La question n’a pas encore été résolue. »

[6] Plus précisément, le refus de travailler concernait la pratique qui consistait à appuyer une passerelle d’embarquement sur les mains courantes d’un navire se faisant charger ou décharger au terminal de Neptune, en se servant d’un crochet de gaffe attaché sous la passerelle pour empêcher celle-ci de glisser. Pour parvenir à une décision d’absence de danger dans les deux cas, le délégué ministériel a brièvement décrit comme suit ce que l’enquête avait dévoilé : [traduction] « L’extrémité de la passerelle d’embarquement appuyée sur le quai se termine par un crochet [de gaffe]. Des plaques sont placées sous le crochet [de gaffe] pour répartir le poids de la partie supérieure de la passerelle. Cette partie est appuyée sur la rampe du navire et supportée par des épontilles verticales soudées au pont du navire. »

[7] Pour rendre ses décisions, le délégué ministériel n’a mentionné aucun autre motif ni formulé aucune autre justification. L’appelant fait valoir, dans son avis d’appel, que la pratique susmentionnée constitue un manquement à l’obligation de l’intimée, au titre de l’alinéa 125(1)(a)du Code, de « veiller à ce que tous les ouvrages et bâtiments permanents et temporaires [comme les passerelles d’embarquement] soient conformes aux normes réglementaires » et aux normes sous-jacentes prescrites par les paragraphes 12(1) et 12(3) et l’alinéa 12(4)(a) du Règlement, qui prévoient ce qui suit :

12(1) Le moyen d’accès utilisé pour monter à bord d’un bâtiment ou en descendre offre un passage sûr entre le bâtiment et la terre ou entre deux bâtiments, le cas échéant;

12(3) Si le moyen d’accès mène à un endroit, à bord d’un bâtiment, situé à plus de 0,35 m au-dessus du pont, un escalier, une échelle ou une autre structure similaire sont prévues pour permettre l’accès au pont en toute sécurité;

12(4) L’escalier, l’échelle ou l’autre structure similaire sont, à la fois :

  • a) solidement fixés au bastingage de manière à ne pas bouger, glisser ou pivoter;

[8] L’avis d’appel contenait également des allégations de manquement aux alinéas 12(5)(b), (d), (e) et (f) du Règlement, ainsi qu’aux paragraphes 12(7), (8), (9) et (10) du Règlement.

[9] Une audience sur le bien-fondé du présent appel a été tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) du 29 au 31 janvier 2019. Compte tenu du peu de renseignements fournis par le délégué ministériel dans son rapport d’enquête, les deux parties ont demandé que le délégué ministériel soit appelé à témoigner à l’audience. En plus du témoignage du délégué ministériel, j’ai également entendu les témoignages de l’appelant et ceux de M. John Hardwicke et de M. Rod Calelle, contremaîtres des opérations au terminal de Neptune, et M. David Foy, gestionnaire des opérations de Neptune. M. Alfonso Sotres, un ingénieur se spécialisant dans l’architecture navale, a également témoigné à titre de témoin expert.

[10] À l’audience, le délégué ministériel a exprimé l’opinion selon laquelle une variation de l’angle de la passerelle d’embarquement fixée au navire modifie le poids qui repose sur les rampes. Le délégué ministériel a expliqué que, lorsqu’un navire est à quai, il est amarré à l’aide de quatre à six lignes d’amarre attachées aux deux extrémités du navire afin d’empêcher le navire d’avancer ou de reculer. Selon le délégué ministériel, les passerelles d’embarquement utilisées au terminal de Neptune ont été construites par l’intimée, sont faites d’aluminium et consistent en une planche et des rampes, et la présence de ces rampes fait en sorte qu’il est inutile d’installer un filet de sécurité sous la passerelle quand elle est en place.

[11] Selon le délégué ministériel, chaque partie d’un navire, y compris ses rampes, doit respecter certaines spécifications ou normes établies par un regroupement d’organismes appelé la « société de classification », et c’est en se fondant sur ces spécifications ou règles de classification que le délégué ministériel est parvenu à ses décisions, et non en se fondant sur le Règlement. Il convient de signaler que le délégué ministériel n’a fourni aucune précision dans son rapport ou son témoignage sur le contenu de ces spécifications ou règles de classification. On peut déduire, à partir des éléments de preuve présentés à l’audience, que la situation prévalant le jour des refus de travailler de l’appelant et la situation relative aux navires se trouvant à quai, ainsi que l’installation des passerelles d’embarquement n’étaient pas différentes ce jour-là de tout autre jour, et qu’il est pratique courante, dans l’industrie maritime, d’appuyer une passerelle d’embarquement sur une main courante soutenue par des épontilles, surtout depuis que la plupart des navires n’ont plus de bastingage.

[12] Durant son bref témoignage à l’audience, le délégué ministériel a également indiqué ne pas connaître le nom ou l’âge des navires visés par la présente affaire, leur registre, leur lieu de construction ou leur port d’attache, et qu’il n’a pas parlé aux équipages et n’a pas vérifié si les navires étaient endommagés. Essentiellement, selon sa perception, les deux navires semblaient avoir déjà visité le port de Vancouver.

[13] Quant aux éléments de la question à trancher, le délégué ministériel a indiqué qu’il a inspecté (visuellement) les mains courantes et les épontilles sur lesquelles les passerelles d’embarquement étaient appuyées et qu’il a noté qu’elles étaient sécuritaires, mais il n’a pas fait lever ces passerelles pour regarder sous le crochet de gaffe afin de vérifier l’état des mains courantes d’appui en dessous, pour voir si elles étaient endommagées ou avaient été récemment peintes, peut-être pour dissimuler de la rouille, et n’a pas non plus vérifié sur quelle largeur le crochet de gaffe s’étendait de part et d’autre de la passerelle ou si les mains courantes ou les épontilles des navires avaient été conçues pour supporter une passerelle d’embarquement.

[14] Selon le délégué ministériel, les passerelles d’embarquement ont une largeur de 4 pieds, tandis que le crochet de gaffe, qui est en forme de demi-lune, a une largeur de 6 pieds, ce qui signifie qu’il dépasse de 1 pied de part et d’autre de la passerelle et qu’il répartit ainsi la pression sur une partie de la rampe qui est supportée ou renforcée par deux épontilles, qui elles, selon le délégué ministériel, doivent être placées à une distance de 5 pieds l’une de l’autre.

[15] En ce qui a trait à l’exigence d’assurer un « accès au pont en toute sécurité » aux termes du paragraphe 12(3) du Règlement et de l’exigence selon laquelle « l’escalier, l’échelle ou l’autre structure similaire » doivent être « solidement fixés » pour les empêcher de bouger, de glisser ou de pivoter, comme le prévoit l’alinéa 12(4)(a) du Règlement, le délégué ministériel a conclu son témoignage à l’audience en déclarant qu’il ne connaissait aucun règlement qui précise le type de [traduction] « raccordement au navire » à utiliser pour assurer un accès en toute sécurité, et qu’il était convaincu que les passerelles d’embarquement utilisées par Neptune satisfaisaient l’exigence de prévention des mouvements.

[16] Les conclusions du délégué ministériel étaient des conclusions propres au navire. Les éléments de preuve ont également établi le fait que la position initiale de l’appelant était que la passerelle d’embarquement ne devait pas être placée sur les mains courantes parce qu’elle devait, conformément au Règlement, être fixée au bastingage (la partie du navire qui surplombe le pont). Cependant, le délégué ministériel a mentionné à l’appelant qu’il est rare de voir des bastingages de nos jours, ce qui a été confirmé par M. Sotres, et que ceux-ci sont remplacés par des mains courantes qui remplissent la même fonction, mais qui pèsent moins lourd. Dans son témoignage, l’appelant a indiqué être en désaccord avec le délégué ministériel et M. Sotres sur ce qui constitue un bastingage, mais il n’a fourni aucune précision sur ce qu’il considérait comme un bastingage.

Observations des parties

Observations de l’appelant

[17] L’appelant croit que la façon dont les passerelles sont installées au terminal de Neptune ne garantit pas un accès sécuritaire au navire et qu’il s’agit donc d’un danger et d’un manquement manifeste au Code et au Règlement. L’appelant souligne qu’avant l’enquête sur les refus de travailler, deux membres du comité local de santé et de sécurité, dont un représentant de l’employeur et un représentant des employés, avaient convenu que la pratique contestée par les refus de travailler n’était pas sécuritaire. La question avait fait l’objet de discussions au sein de Neptune et il s’agissait d’une préoccupation de membres du comité local de santé et de sécurité depuis un certain temps, mais aucun autre moyen d’accéder aux navires n’a été mis en place.

[18] Cependant, selon l’appelant, cette préoccupation existante ne pourrait pas, en définitive, le priver de son droit d’exercer un refus de travailler. Plus précisément, il est d’avis qu’une fois que la passerelle d’embarquement est appuyée sur la main courante, il est impossible de savoir si cette main courante peut supporter le poids ou si elle est endommagée jusqu’à ce qu’une personne arrive en haut de la passerelle. Variant d’un navire à l’autre et en fonction de facteurs comme la rouille, les dommages et l’usure, l’état d’un navire ne peut pas être vérifié jusqu’à ce que le navire arrive à quai. De plus, l’appelant fait valoir qu’il n’est pas toujours possible de placer la passerelle de façon égale entre les épontilles et qu’une main courante n’est pas un bastingage, comme l’exige le Règlement. Cela étant dit, l’appelant soutient qu’en l’absence d’un bastingage, on ne peut pas utiliser n’importe quel moyen pour relier la passerelle et le navire.

[19] Notant que les politiques de l’intimée exigent que les employés déterminent si une main courante est en assez bon état ou non pour soutenir la passerelle d’embarquement et que, si celle‑ci est visiblement corrodée ou que son intégrité structurelle a été compromise, la passerelle doit être replacée à un endroit où la main courante est en bon état, l’appelant fait valoir comme argument pour appuyer sa thèse principale qu’il est en fait impossible d’évaluer l’état des mains courantes avant de la mettre en place et de s’en servir pour accéder au navire, étant donné qu’il est souvent difficile d’inspecter visuellement la main courante en raison de la distance qui sépare les personnes qui installent la passerelle des mains courantes et en raison des conditions d’éclairage au moment de l’opération.

[20]  L’appelant soutient également que d’autres éléments comme la rouille ou les soudures sont invisibles au moment de l’installation, qu’on ne peut pas inspecter les mains courantes sous la passerelle et le crochet de gaffe une fois que ceux-ci sont en place, et que des problèmes comme des flexions et des bosses de différentes tailles et des fissures qui peuvent compromettre l’intégrité structurelle d’une main courante peuvent être peints et ainsi dissimuler les défectuosités. Pour sa part, l’appelant a justifié son allégation selon laquelle l’accès au navire au moyen de la passerelle d’embarquement installée sur la main courante n’était pas sécuritaire et ne respectait pas la partie 2 (Structures) du Règlement en faisant valoir les points suivants dans son témoignage :

[21] Compte tenu des éléments soulevés dans le témoignage de l’appelant, ce dernier est d’avis que lui et les autres employés de Neptune étaient exposés à un danger en raison de la pratique de l’intimée. De plus, l’appelant laisse entendre que je dois également examiner la question de savoir si la pratique d’installation des passerelles d’embarquement elle-même pose un danger selon la définition du Code, en tenant compte de l’obligation générale imposée aux employées, au titre de l’article 124 du Code, d’assurer la protection de la santé et de la sécurité des employés au travail, malgré les obligations particulières énoncées à l’article 125 et au Règlement, cette obligation générale devant être interprétée de façon large (Western Stevedoring Co. c. International Longshoremen's and Warehousemen's Union, section locale 500, décision no 97-011).

[22]  À cet égard, l’appelant fait référence au libellé évocateur utilisé dans la loi qui montre l’importance accordée par le législateur à l’obligation générale et à la déclaration suivante de l’agent régional de sécurité dans la décision précitée :

[...] [L]’article 124 oblige chaque employeur à faire en sorte que l’environnement, l’administration, les procédures, le matériel et les outils soient conçus, établis, utilisés, contrôlés et maintenus de manière à assurer la santé et la sécurité des personnes qui ont accès au lieu de travail. À l’article 125 se trouvent une définition et une explication des exigences dans la mesure où le Parlement a pu prévoir les risques présents dans le lieu de travail et a pu établir des normes détaillées. Dans ces cas, l’article 125 s’applique, mais là encore la loi précise que rien dans l’article 125 ne limite la portée générale de l’article 124.

[23] Selon l’appelant, en vertu du Code, un agent d’appel jouit de vastes pouvoirs qui lui permettent de « modifier, annuler ou confirmer » une instruction visée par un appel et de donner toute instruction que l’agent d’appel estime nécessaire.

[24]  En ce qui a trait à une situation soulevée par un refus de travailler, l’appelant soutient qu’en plus du libellé du Code qui autorise un agent d’appel à se renseigner sur les circonstances et les motifs des constats d’un délégué ministériel, la jurisprudence stipule que, dans le cadre du deuxième volet du pouvoir d’un agent d’appel, celui-ci doit rendre la bonne décision du point de vue de la santé et de la sécurité.

[25] Notant que la première condition à remplir en vertu de la loi pour justifier le recours à un refus de travailler est que l’employé qui refuse [traduction] « doit avoir un motif raisonnable de croire » que lui ou un autre employé est exposé à un danger, l’appelant soutient que la première question que le soussigné doit trancher n’est pas celle de savoir s’il y avait un danger réel, au moment où l’appelant devait accéder aux navires au terminal de Neptune au moyen d’une passerelle d’embarquement appuyée sur des mains courantes, mais seulement celle de savoir si l’appelant avait un motif raisonnable de croire qu’un danger était présent, et que la jurisprudence précise que le seuil à satisfaire pour établir cette croyance est nécessairement peu élevé, pour s’assurer que les travailleurs peuvent réellement exercer leurs droits (Court c. John Grant Haulage ltée, 2010 CCRI 498, au paragraphe 107). À cet égard, les dispositions du Code, y compris la définition du mot « danger » qui y figure, doivent être interprétées de façon large, en gardant à l’esprit l’objectif de la loi, qui est de nature corrective (Keith Hall & Sons Transport Limited c. Wilkins, 2017 TSSTC 1 [Keith Hall]).

[26] Cette définition, ou plutôt sa plus récente version qui est entrée en vigueur en 2014, précise qu’une menace imminente ou sérieuse est un risque, une situation ou une tâche qui constituerait un « danger », ces qualificatifs ayant été interprétés comme signifiant, dans le cas d’une menace imminente, une menace qui pourrait vraisemblablement entraîner rapidement des blessures ou une maladie, peu importe la gravité de ces blessures ou de cette maladie, tandis que dans le cas d’une menace sérieuse, il s’agit d’une menace qui pourrait vraisemblablement causer des blessures ou une maladie graves à un moment donné à l’avenir, soit des semaines, des mois ou même des années plus tard (Service correctionnel du Canada c. Ketcheson, 2016 TSSTC 19 [Ketcheson] et Keith Hall). Pour évaluer l’existence d’un danger, il faut appliquer un critère qui comporte trois questions et qui a été énoncé dans la décision Ketcheson comme suit :

[27] La notion d’attente raisonnable de survenance s’applique à l’un ou l’autre des types de menaces. L’appelant fait valoir que cette notion a été abordée de la façon suivante dans la décision Keith Hall :

[40] Il convient également de noter que le concept d’attente raisonnable (c’est-à-dire, les mots « pourrait vraisemblablement ») demeure inclus dans la définition modifiée. Tandis que l’ancienne définition exigeait que l’on tienne compte des circonstances aux termes desquelles une situation, une tâche ou un risque est susceptible de causer des blessures à une personne ou de la rendre malade, la nouvelle définition exige plutôt que l’on examine si la situation, la tâche ou le risque pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée. À mon avis, pour conclure qu’il y a présence d’un danger, il faut donc qu’il y ait plus qu’une menace hypothétique. Une menace n’est pas hypothétique si elle peut vraisemblablement causer un préjudice, ce qui signifie, dans le contexte de la Partie II du Code, qu’elle peut causer des blessures à des employés ou les rendre malades.

[41] Pour qu’il y ait présence d’un danger, il faut donc qu’il y ait une possibilité raisonnable que la menace alléguée se matérialise, c.-à-d. que la situation, la tâche ou le risque causeront bientôt des blessures à une personne ou la rendront malade (en l’espace de quelques minutes ou de quelques heures) dans le cas d’une menace imminente; ou qu’elle causera des blessures sévères à une personne ou la rendra gravement malade à un moment donné dans l’avenir (que ce soit dans les jours, les semaines ou les mois, voire peut-être les années, à venir) dans le cas d’une menace sérieuse. Il convient de mettre l’accent sur le fait que, dans le cas d’une menace sérieuse, il faut évaluer non seulement la probabilité que la menace puisse entraîner un tort, mais également la gravité des conséquences indésirables potentielles de la menace. Seules les menaces susceptibles de causer des blessures sévères à une personne ou de la rendre gravement malade peuvent constituer des menaces sérieuses à la vie et à la santé des employés.

[28] En ce qui a trait à la possibilité d’un effondrement de la main courante dans le cas des deux navires visés par les refus de l’appelant, ce dernier soutient que l’évaluation d’une telle possibilité (c’est-à-dire qu’une main courante ne puisse pas soutenir le poids d’une passerelle d’embarquement) n’aurait été qu’un coup de dés, mais que cette possibilité n’est pas hypothétique, comme l’ont montré les deux effondrements survenus au cours des dernières années; donc, si une main courante devait s’effondrer pendant qu’une personne se tient sur la passerelle d’embarquement, le risque de blessures serait important.

[29] L’appelant soutient qu’il a présenté des éléments de preuve montrant que des dommages aux mains courantes ont déjà été observés, que des passerelles d’embarquement sont placées sur ces mains courantes endommagées ou délabrées, et que ces mains courantes sont souvent endommagées durant le chargement ou le déchargement, la qualité des réparations effectuées à la suite des dommages antérieurs étant souvent inconnue. L’appelant reconnaît que, même si le risque d’un effondrement imminent des mains courantes, qu’il soit évalué de façon générale ou dans le cas des deux navires visés par le refus, serait ou aurait été difficile à prédire, l’appelant est d’avis que la pratique de l’intimée présente indéniablement une menace sérieuse pour la vie ou la santé à long terme, particulièrement parce que les contremaîtres des opérations et les autres employés n’ont aucun autre moyen d’accéder aux navires et n’ont d’autre choix que de déplacer les passerelles sur une autre partie d’une main courante qui s’est effondrée pour continuer d’accéder à un navire.

[30] L’appelant est d’accord avec l’intimée pour dire que, dans la plupart des cas, les navires qui arrivent au terminal de Neptune sont en état acceptable, bien que leur état puisse varier. Cependant, il est d’avis que l’état d’un navire importe peu parce que, indépendamment de cet état, les employés sont forcés d’utiliser les mains courantes pour accéder aux navires, même si cela va à l’encontre de leur meilleur jugement en matière de sécurité.

[31] L’appelant reconnaît que l’intimée a fourni des éléments de preuve dans son propre dossier par l’intermédiaire de M. Sotres, qui est reconnu comme un expert de l’architecture maritime et qui, en général, a appuyé la thèse de l’intimée concernant l’installation d’une passerelle d’embarquement sur les mains courantes d’un navire. Toutefois, l’appelant est d’avis que le rapport de M. Sotres est insuffisant pour démontrer que la pratique de l’intimée est sécuritaire, parce que M. Sotres a seulement regardé des photos de l’un des navires en cause, a examiné les dimensions des mains courantes d’un seul des navires et n’était pas en mesure d’examiner d’autres facteurs, comme la question de savoir si les mains courantes avaient été endommagées, avaient été bien soudées ou avaient été peintes pour couvrir la rouille.

[32] L’appelant estime que la question évaluée par M. Sotres était trop étroite, parce qu’il a examiné la question de savoir si la rampe d’un navire peut soutenir la charge verticale d’une passerelle d’embarquement ayant une capacité maximale de quatre personnes, et le calcul a été effectué à l’aide d’un ensemble particulier de critères concernant les dimensions et un type de métal en particulier, mais il n’a pas tenu compte de la robustesse des différentes parties des mains courantes sur des navires particuliers comme ceux en question dans la présente affaire. L’appelant soulève les préoccupations suivantes en ce qui a trait au rapport de l’expert :

[33] L’appelant est d’avis qu’en déclarant que la fonction principale des mains courantes est d’empêcher les membres de l’équipage de tomber hors du navire, M. Sotres a confirmé que les mains courantes ne sont pas conçues pour supporter le poids des passerelles d’embarquement, et qu’en indiquant son incapacité de nommer des [traduction] « pratiques exemplaires » pour l’installation sécuritaire d’une passerelle d’embarquement sur des mains courantes, M. Sotres a essentiellement confirmé l’absence d’études ou de directives réglementaires visant à garantir que la pratique est sécuritaire. L’appelant souligne également le commentaire formulé par M. Sotres concernant les photos de mains courantes légèrement fléchies qu’on lui a montrées à l’audience, c’est-à-dire que M. Sotres ne recommanderait pas de placer une passerelle d’embarquement sur les sections montrées sur les photos, et il interprète ce commentaire comme s’il signifiait que le rapport tenait compte uniquement de [traduction] « conditions parfaites » et non de l’état réel des mains courantes utilisées par les employés en général, et en particulier par l’appelant au terminal de Neptune.

[34] Même si l’intimée peut avoir fait allusion à la possibilité d’empêcher l’effondrement d’une passerelle d’embarquement en la faisant soutenir par une grue ou un chargeur de navire en attendant l’inspection des mains courantes, l’appelant souligne que la politique de l’intimée interdit de travailler en dessous ou à proximité d’une charge suspendue, et il a fait valoir qu’une telle proposition ne règle pas le problème en l’espèce, soit le risque fondamental lié à l’accès à un navire au moyen d’une passerelle d’embarquement appuyée sur des mains courantes après que ladite passerelle est détachée de la grue ou du chargeur de navire.

[35] Compte tenu de ce qui précède, l’appelant fait valoir que la pratique respecte le premier volet du critère établi dans la décision Ketcheson et confirmé dans la décision Keith Hall, à savoir qu’il doit y avoir une « possibilité raisonnable » que le risque en question se traduira par une blessure grave à un certain moment.

[36] L’appelant fonde sa conclusion sur les points suivants :

[37] Dans l’ensemble, l’appelant adopte la position voulant qu’il ait eu un motif raisonnable de percevoir la pratique de l’intimée comme une pratique dangereuse et contraire au Code.

[38] Outre sa conclusion selon laquelle la pratique est dangereuse et contrevient au Code, l’appelant soutient qu’elle est contraire à la réglementation pertinente qui régit les moyens d’accès, en particulier l’article 12 du Règlement, et déclare avec véhémence que le délégué ministériel n’a pas mené une enquête en bonne et due forme sur les refus de travail de l’appelant.

[39] En l’espèce, le délégué ministériel a conclu à l’absence de danger. Toutefois, l’appelant soutient qu’il ressort clairement du témoignage du délégué ministériel que ce constat a été fait sans avoir bien examiné la question de savoir si la pratique de l’intimée se conformait ou non aux lois et aux règlements applicables, et sans avoir enquêté sur les facteurs qui influent sur l’aspect sécuritaire ou dangereux de la pratique, sans avoir pris de notes sur son enquête ou sans même fournir de décision écrite allant au-delà des mots [traduction] « absence de danger ».

[40] De plus, le point qui soulève le plus de confusion pour l’appelant est le fait, comme le délégué ministériel l’a signalé au cours de son témoignage, que pour parvenir à ses conclusions, le délégué ne semble pas avoir du tout examiné la question de savoir si l’installation d’une passerelle d’embarquement sur les mains courantes d’un navire se conformait au Règlement. Même s’il a mentionné certains protocoles internationaux, le délégué ministériel ne semblait pas avoir tenu compte des exigences s’appliquant aux passerelles en vertu du Règlement ou ne semblait pas les connaître. En ce qui a trait à la décision du délégué ministériel, l’appelant fait valoir qu’il est possible de retenir les points suivants à la suite du témoignage du délégué ministériel à l’audience :

[41] Les éléments de preuve soumis à l’égard des paragraphes 12(3) et 12(4) du Règlement revêtent un intérêt particulier. L’appelant et le délégué ministériel sont tous deux d’avis qu’au moment des refus de travailler, l’appelant comprenait que le mot « bastingage » employé dans le Règlement désignait le garde-pieds d’un navire, c’est-à-dire la pièce de métal qui dépasse de quelques pouces le périmètre extérieur du pont, une compréhension que l’appelant accepte maintenant comme erronée, étant donné qu’un bastingage, comme l’a confirmé le délégué ministériel, est une partie de la structure du navire qui s’étend tout autour d’un navire, est faite de tôles de métal, n’est pas un garde-pieds et ne se trouve plus sur la plupart des navires de nos jours.

[42] L’appelant fait valoir que le délégué ministériel a déclaré, dans son témoignage, que les navires se servent maintenant de mains courantes autour d’un pont, car elles sont moins chères et plus légères qu’un bastingage, et que si la passerelle d’embarquement était appuyée sur le garde‑pieds d’un navire au lieu des mains courantes, il n’aurait pas été nécessaire d’envisager un bastingage, car la passerelle ne se trouverait pas à plus de 0,35 m au-dessus du pont et les paragraphes 12(3) et 12(4) ne s’appliqueraient pas.

[43] Cependant, le délégué ministériel, comme l’a fait valoir l’appelant, n’a pas entrepris la prochaine étape évidente de l’enquête qui consistait à déterminer si la passerelle d’embarquement, une fois mise en place, se conformait au Règlement. L’appelant soutient que ce n’était pas le cas, compte tenu des exigences des paragraphes 12(3), 12(4) et 12(8) du Règlement concernant l’accès à un navire à partir d’un point situé à plus de 0,35 m au-dessus du pont et de l’exigence selon laquelle le moyen d’accès au pont à partir de la passerelle d’embarquement doit être bien attaché au bastingage ou fixé solidement.

[44] L’appelant mentionne d’autres lacunes dans l’enquête du délégué ministériel relativement à la possibilité d’accéder en toute sécurité à un navire et indique que le délégué semble avoir mal compris un certain nombre de faits critiques qui auraient été utiles pour déterminer si la pratique de l’intimée était sécuritaire.

[45] Ainsi, l’appelant souligne l’incohérence entre la déclaration du délégué ministériel, selon laquelle un navire à quai au terminal de Neptune est fixé en place et ne se déplace pas, et le témoignage de l’appelant selon lequel un navire, même s’il est bien amarré, se déplace de l’avant à l’arrière et selon les marées de façon à exercer des charges de torsion sur les mains courantes à l’endroit où une passerelle d’embarquement est appuyée sur les mains courantes, charges qui nuisent à la sécurité de la pratique. L’appelant soutient que le témoignage du délégué ministériel montre que ce dernier n’a ni demandé si les navires bougeaient quand ils étaient à quai, ni vérifié les lignes d’amarrage, ce qui aurait été raisonnable pour trancher la question, compte tenu du libellé des alinéas 12(5)(b) et 12(5)(c) du Règlement, qui exige que les passerelles d’embarquement soient installées « de façon à limiter leurs mouvements » et soient maintenues en position « de manière à neutraliser le mouvement du bâtiment ».

[46] De plus, compte tenu des exigences contenues dans l’alinéa 12(5)(f) et les paragraphes 12(9) et 12(10) du Règlement, l’appelant fait remarquer que le délégué ministériel n’a pas vérifié si des bouées de sauvetage avaient été placées à un endroit stratégique, ni s’il y avait un filet de sécurité sous la passerelle d’embarquement dans l’un ou l’autre des cas ou s’il était possible ou nécessaire d’en installer un. Notant que les éléments de preuve montrent qu’il n’y avait pas de filet, l’appelant souligne le fait que l’intimée n’utilise pas de filets de sécurité sous ses passerelles d’embarquement et qu’il n’y a pas de raccordements secondaires entre les passerelles et les navires.

[47] Compte tenu de tout ce qui précède, l’appelant conclut que la pratique de l’intimée ne respecte pas le Règlement et ne fournit pas un moyen d’accès sécuritaire aux navires. Dans l’ensemble, l’appelant soutient que le témoignage du délégué ministériel montre que ce dernier n’a pas bien enquêté sur les préoccupations de l’appelant au sujet de la question de la sécurité, en général, et du respect des lois et règlements applicables.

[48] Ainsi, l’appelant me demande de modifier les décisions rendues par le délégué ministériel et d’émettre des instructions à l’intimée lui enjoignant de mettre fin à ses manquements au Code et à la réglementation applicable. Plus précisément, l’appelant demande que les instructions formulées par le soussigné tiennent compte des exigences du Règlement, en particulier celle voulant qu’en l’absence d’un bastingage, une passerelle d’embarquement doive être appuyée sur le pont d’un navire et au moins une des extrémités doive être solidement fixée en place.

Observations de l’intimée

[49] En général, l’intimée appuie la décision du délégué ministériel selon laquelle le moyen d’accès aux deux navires visés par la présente affaire et le raccordement des passerelles d’embarquement à ces

[50] De façon globale, les observations de l’intimée formulent une description des faits qui est essentiellement la même que celle faite par l’appelant et il n’est donc pas nécessaire de la répéter ici. Cependant, certains éléments doivent être soulignés. L’intimée soutient qu’aux quais 1 et 2 de Neptune, l’accès aux navires se fait normalement au moyen d’une passerelle d’embarquement, dont l’une des extrémités est appuyée sur le quai et l’autre extrémité est appuyée sur le navire. Selon l’intimée, dans de nombreux cas, voire la majorité des cas, l’extrémité de la passerelle du côté du navire est appuyée sur la rampe du navire.

[51] Pour ce qui est des refus de travailler de l’appelant, l’intimée signale que ce dernier l’a informée de ses refus à son arrivée au lieu de travail, avant le début de son quart de travail, en déclarant qu’il avait pris la décision de refuser de travailler durant une réunion syndicale qui avait eu lieu la veille en soirée et durant laquelle il avait dit aux personnes présentes qu’il allait [traduction] « prendre position ». Durant son témoignage, l’appelant a exprimé l’opinion selon laquelle le fait d’installer la passerelle d’embarquement sur les mains courantes d’un navire, au lieu de la fixer à un bastingage, constituait un manquement au Règlement et n’était pas sécuritaire.

[52] L’intimée soutient que, dès le début de son enquête, le délégué ministériel a informé l’appelant que des bastingages ne sont plus couramment utilisés, ce qui explique pourquoi la passerelle d’embarquement n’était pas placée sur un bastingage. De plus, selon l’intimée, tant le témoignage de l’appelant que celui du délégué ministériel indiquent qu’une fois que le délégué a parlé aux parties, il a accédé au navire au moyen de la passerelle d’embarquement, il a inspecté les mains courantes et les épontilles pour vérifier la présence de flexions, de peinture usée ou de rouille, il a tenu compte du fait que la passerelle était dotée d’un crochet de gaffe qui la tenait en place sur les mains courantes et qu’elle était appuyée sur une épontille qui était en bon état, et il a examiné les points de soudure des épontilles pour vérifier la présence de rouille ou de signes de détérioration.

[53] L’intimée fait valoir que le délégué ministériel savait que les épontilles avaient été fabriquées selon les classifications maritimes et que le fait d’appuyer une passerelle d’embarquement sur la main courante d’un navire était une pratique courante, et qu’il a noté la présence d’un escalier menant de l’extrémité de la passerelle au pont du navire 1, ce qui constituait un moyen d’accès sécuritaire. L’intimée est d’avis que le délégué ministériel est parvenu à sa conclusion que la passerelle d’embarquement ne posait pas de danger au sens du Code en se fondant sur son examen de la passerelle, des mains courantes et des épontilles sur le navire 1 et sur sa connaissance des classifications maritimes.

[54] L’appelant a répété son refus pour le navire 2 quand il a été informé de la décision prise à l’égard du navire 1 par le délégué ministériel et, selon l’intimée, il l’a fait sans connaître l’état du navire 2, n’ayant jamais monté sur ce navire et soulevant comme justification unique le fait que la passerelle d’embarquement était appuyée sur les mains courantes du navire 2. L’intimée soutient, au sujet du second refus, que le délégué ministériel a mené la même enquête que celle réalisée pour le navire 1, il a fait les mêmes constats et il est parvenu à la même conclusion que la passerelle d’embarquement ne posait pas de danger au sens du Code.

[55] Selon l’intimée, je dois tenir compte de trois questions pour trancher le présent appel :

[56] En ce qui a trait à la première question, l’intimée mentionne un certain nombre de principes juridiques qui doivent être appliqués, en commençant par le fait que, conformément au paragraphe 128(1) du Code, qui régit les situations dans lesquelles un employé peut refuser de travailler, la loi exige que ce droit soit exercé seulement si « l’employé au travail […] a des motifs raisonnables de croire » qu’il existe l’une ou l’autre des situations décrites dans ce paragraphe pour l’exercice du droit de refus.

[57] De plus, la présence d’un danger doit être évaluée en fonction de la définition du mot « danger » figurant dans le Code; cette définition est entrée en vigueur en octobre 2014 et a été commentée de la façon suivante dans la décision Ketcheson :

[186] En résumé, l’évolution de la définition de « danger » sur le plan législatif porte à croire que, malgré une certaine similitude sur le plan terminologique, la définition de 2014 est, de par sa nature, différente de celles qui l’ont précédée, soit les deux qui nous intéressent. Il ne s’agit ni d’un retour à la version antérieure à 2014 de l’expression « danger imminent » ni d’une simplification de la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014. Il y a deux types de « danger ». Ils comportent tous deux des risques élevés, mais pour des raisons différentes. La nouvelle définition ajoute un élément temporel afin d’évaluer la probabilité. Elle ajoute le concept de gravité du préjudice. Dans le contexte du reste du Code, un « danger » est une cause directe de préjudice plutôt qu’une cause profonde.

[58] L’agent d’appel, dans cette affaire, a formulé un critère en trois volets, qui a été décrit précédemment, afin d’évaluer la présence d’un danger, en illustrant la présence d’un délai pour faire la distinction entre une menace imminente et une menace sérieuse. Dans le cas d’une « menace imminente », l’appelant doit montrer que la situation, la tâche ou le risque pourrait vraisemblablement entraîner rapidement des blessures ou une maladie (en quelques minutes ou quelques heures); le préjudice peut être mineur (mais non banal) ou grave. Par contre, dans le cas d’une « menace sérieuse », l’appelant doit montrer que la situation pourrait vraisemblablement lui causer un préjudice grave (non mineur, mais grave) au cours des prochains jours, des prochaines semaines ou des prochains mois.

[59] L’intimée souligne que, dans une autre décision, Brink’s Canada Limitée c. Dendura, 2017 TSSTC 9, l’agent d’appel a indiqué qu’une menace alléguée ne pouvait pas être hypothétique :

[142] [P]our déterminer qu’une tâche peut « vraisemblablement présenter une [...] menace sérieuse pour la vie ou la santé de la personne qui y est exposée », il doit y avoir plus qu’une simple menace hypothétique. Une menace n’est pas hypothétique si elle peut vraisemblablement se produire et causer un préjudice, ce qui signifie, dans le contexte de la Partie II du Code, qu’elle peut causer des blessures à des employés ou les rendre malades.

[60] Pour ce qui est de la première question concernant la tâche qui présenterait un risque, l’intimée ne conteste pas la déclaration de l’appelant selon laquelle la pratique consiste à placer une passerelle d’embarquement sur la main courante d’un navire plutôt que sur un bastingage.

[61] Quant au deuxième volet du critère, qui consiste à déterminer si la tâche pourrait vraisemblablement constituer une menace imminente ou sérieuse, l’intimée souligne le fait que dans les deux cas, l’employé doit satisfaire une exigence liée au caractère raisonnable, c’est-à-dire que l’employé qui exerce le refus doit avoir un motif raisonnable de croire qu’il est face à un danger. Quant à la question de savoir s’il existait, le jour du refus, une attente raisonnable de menace imminente, l’intimée soutient que les éléments de preuve montrent clairement que ce n’était pas le cas. L’intimée fonde sa conclusion sur trois facteurs.

[62] Premièrement, l’intimée mentionne que, selon les résultats de l’inspection du délégué ministériel, aucun élément n’a soulevé de préoccupation dans l’esprit du délégué ministériel relativement à l’état des mains courantes. L’intimée reconnaît que le délégué ministériel aurait pu livrer un témoignage plus précis et détaillé, mais fait valoir que ce dernier s’est manifestement fondé sur ses connaissances des normes de construction navale et du régime réglementaire qui vise à s’assurer que les navires sont en état de navigabilité et sécuritaires pour les fins auxquelles ils doivent servir. L’intimée a ajouté qu’à son avis, les éléments de preuve fournis par M. Sotres servent à mettre en contexte le témoignage du délégué ministériel. Même si le délégué ministériel ne pouvait pas énumérer les exigences particulières s’appliquant à un navire, il savait néanmoins que les bastingages sont très rares sur ce type de navires et que la pratique en question est très répandue et sécuritaire, compte tenu des exigences strictes que les navires doivent satisfaire. L’intimée soutient notamment que l’examen des mains courantes par le délégué ministériel était exactement ce que M. Sotres avait recommandé de faire.

[63] Le deuxième facteur concerne les séjours des navires 1 et 2 aux postes à quai de Neptune. Les navires sont restés aux quais 1 et 2 pendant trois jours après les refus de travailler; les passerelles d’embarquement sont restées appuyées sur les mains courantes et ont continué d’être utilisées pendant cette période sans problème.

[64] Troisièmement, l’intimée fait valoir que la question de l’imminence doit être examinée en tenant compte des 12 années d’expérience de travail de l’appelant au terminal de Neptune. Le témoignage de M. Foy à l’audience a établi qu’en moyenne, environ 200 navires s’amarrent aux quais 1 et 2 chaque année et qu’une passerelle d’embarquement sert de moyen d’accès à ces navires dans tous les cas, ce qui signifie, selon l’appelant, qu’il a probablement emprunté une passerelle d’accès jusqu’à concurrence de 2 400 fois pour monter à bord de navires au fil des années, la grande majorité de ces navires étant dotés de mains courantes sur lesquelles la passerelle était appuyée, étant donné qu’il est plutôt rare que les navires soient dotés de bastingages et qu’un navire équipé d’un bastingage n’accoste aux quais qu’à des intervalles de quelques mois. L’intimée souligne que, malgré la fréquence à laquelle l’appelant s’est servi de passerelles d’embarquement appuyées sur des mains courantes, ce dernier n’a jamais vu une main courante se rompre sous la charge d’une passerelle et n’a jamais vu une passerelle s’effondrer. Compte tenu de ce qui précède, l’intimée se dit d’avis qu’il serait difficile de s’imaginer dans quelles circonstances, que l’intimée décrit comme un taux de succès, la vérification des mains courantes dans le but de voir si elles sont en assez bon état pour soutenir le poids de la passerelle d’embarquement constituerait une entreprise risquée (un [traduction] « coup de dés »).

[65] Quant à savoir s’il existait une attente raisonnable de menace sérieuse, l’intimée fonde ses arguments à cet égard sur la portée étroite des dispositions du Code sur le refus. L’intimée fait référence à la décision Isinger c. TSI Terminal Systems inc, 2013 CCRI 688 (TSI), qui concernait une situation dans laquelle des employés n’avaient pas désigné de danger particulier, mais prétendaient plutôt qu’ils seraient exposés à un danger en raison de changements unilatéraux apportés par l’employeur aux procédés et méthodes de travail et de son incapacité constante de se conformer aux mesures, comme les instructions et les dispositions prévues par le Code. Dans cette décision, il a été conclu que les employés ne pouvaient pas vraisemblablement se trouver face à un danger si aucun danger précis n’était allégué, les employés ayant exercé leur refus dans le seul but d’accélérer la résolution de problèmes liés à la conformité. L’intimée explique cette conclusion en invoquant la portée étroite des dispositions du Code sur le refus, qui doivent « être utilisé[es] en tant que mesure d’urgence » et qui prévoient que « la plupart des efforts visant à atténuer les risques et à protéger les employés doivent être déployés ailleurs » (Ketcheson). L’intimée soutient ainsi qu’en l’absence d’une condition dangereuse précise sur le navire 1 ou 2, le jour du refus, l’appelant n’aurait pas pu avoir un motif raisonnable de croire qu’il affrontait un danger ce jour-là.

[66] Dans le même ordre d’idées, l’intimée laisse entendre que, tout comme c’était le cas dans la décision TSI précitée, le refus de travailler qui fait l’objet du présent appel n’a pas été utilisé comme mesure d’urgence, mais plutôt pour accélérer la résolution de problèmes liés à la conformité. L’appelant lui-même a admis qu’il n’avait jamais vu les navires 1 et 2 au moment du refus, car il n’y avait rien au sujet des navires en question qui lui faisait craindre pour sa sécurité et il ne s’est pas renseigné auprès de ses collègues sur l’état des mains courantes sur ces navires. L’intimée insiste sur le fait que l’appelant n’a en aucun temps allégué que sa préoccupation portait sur l’un ou l’autre des navires. Il avait plutôt décidé, le soir d’avant, que la passerelle contrevenait au Règlement et le refus de travailler était fondé sur ce manquement allégué.

[67] L’intimée signale que, durant son contre-interrogatoire, l’appelant lui-même est allé jusqu’à admettre qu’au moment de ses refus de travailler, il ne savait pas s’il y avait réellement un danger sur les navires 1 ou 2, ce qui a établi, au moyen de son propre témoignage, qu’il n’avait pas de motif raisonnable de croire que les passerelles d’embarquement sur les navires 1 ou 2 constituaient un danger le 8 février 2018.

[68] Outre la question de l’attente raisonnable, l’intimée soulève également la question de savoir si les passerelles d’embarquement qui étaient appuyées sur les mains courantes des navires 1 et 2 constituaient réellement une menace sérieuse ou imminente. L’intimée soutient qu’il n’y avait pas de telle menace et appuie cette prétention sur la jurisprudence du Tribunal ainsi que les éléments de preuve. D’abord, dans la décision Ketcheson, l’agent d’appel a déclaré ce qui suit :

[198] [...] [L]a menace indique la probabilité d’un certain niveau de préjudice. Certains risques sont des menaces et d’autres ne le sont pas. Un risque très faible, soit en raison de sa faible probabilité ou de sa faible gravité, n’est pas une menace. La probabilité et la gravité doivent chacune atteindre un seuil minimal avant que le risque ne puisse être appelé une menace. Il est clair qu’un risque faible n’est pas un danger. Un risque élevé est un danger.

[69] L’intimée est d’avis, compte tenu de la définition de « menace », qu’un seuil d’imminence doit être appliqué et qu’il faut satisfaire les exigences liées à la probabilité et à la gravité avant qu’un risque ne soit considéré comme une menace, ce qui signifie que pour déterminer si le seuil a été atteint, il faut tenter de quantifier la probabilité que le risque se matérialise.

[70] En appliquant cette logique aux faits en l’espèce, l’intimée estime que les éléments de preuve ont établi que la probabilité que la passerelle d’embarquement se détache des mains courantes est extrêmement faible. Même si l’appelant avait peut-être une préoccupation de longue date au sujet de la pratique au terminal de Neptune et même si celle-ci pourrait se transformer en menace sérieuse à un certain moment, les refus de travailler doivent porter sur autre chose, car une pratique ne peut pas constituer un danger sauf si l’employé se trouve réellement dans une situation qui pourrait vraisemblablement entraîner des blessures graves. L’agent d’appel a précisé ce qui suit dans la décision Ketcheson :

[149] Il ne s’agirait pas d’un « danger » si un employé était préoccupé par une politique abstraite concernant la fourniture de dispositifs de protection comme les vaporisateurs de poivre et les menottes. Si la politique faisait en sorte que l’employé était, dans les faits, confronté à une situation où le vaporisateur et les menottes étaient nécessaires, l’absence de cet EPP pourrait constituer un « danger ».

[71] L’intimée soutient que les conditions de travail habituelles, comme les conditions dans lesquelles les passerelles d’embarquement sont fixées, franchiront rarement le seuil de la simple possibilité pour se transformer en possibilité raisonnable. Pour appuyer cette allégation, l’intimée mentionne la décision de l’agent d’appel dans Ville d’Ottawa (OC Transpo) c. MacDuff, 2016 TSSTC 2 (Ville d’Ottawa), dans laquelle l’instruction relative à un danger de l’agent de santé et de sécurité a été annulée parce que l’employé qui a exercé le refus ne pouvait pas nommer d’aspect particulier de ses conditions de travail le jour du refus qui aurait pu constituer une possibilité raisonnable de danger :

[156] [...] La preuve permet d’établir que les conditions qui avaient cours dans le lieu de travail de M. MacDuff correspondaient à ses conditions de travail habituelles et que la tâche qu’il était censé accomplir consistait tout simplement en son travail normal de conducteur d’autobus. Il accomplissait ces tâches depuis 13 ans.

[72] L’intimée soutient que l’appelant ne conteste pas le fait qu’il ne pouvait pas mentionner d’aspect précis des navires 1 et 2 qui pourrait constituer un danger. C’était simplement la pratique qu’il considérait comme dangereuse, malgré le fait qu’il accédait à des navires au moyen d’une passerelle d’embarquement appuyée sur des mains courantes depuis 2006, et ce, sans problème.

[73] Dans la décision Nolan c. Western Stevedoring, 2017 TSSTC 11 (Nolan), un argument similaire portant sur une préoccupation de longue date au sujet de l’utilisation d’une pièce d’équipement particulière a été invoqué pour contester une décision d’absence de danger et a incité l’agent d’appel à déclarer que cet argument semblait être davantage préoccupé par la probabilité que des blessures surviennent à un moment donné à l’avenir et non le jour du refus, ce qui était au cœur de l’appel. Néanmoins, même s’il a annulé la décision d’absence de danger, l’agent d’appel a fait remarquer que son analyse portait sur la probabilité que le risque, la situation ou la tâche allégué cause des blessures ou une maladie sérieuses, c’est-à-dire graves, dans les jours, les semaines ou les mois suivant le jour du refus, et il a justifié l’annulation en mentionnant les preuves photographiques du mauvais état de l’équipement et la survenance d’un accident avec ledit équipement seulement trois jours après le refus.

[74] L’intimée soutient que la situation est inversée dans le cas présent, étant donné que les éléments de preuve documentaires ainsi que le témoignage du délégué ministériel viennent appuyer le fait que les mains courantes étaient en bon état le jour du refus et pendant toute la durée du séjour des navires aux postes à quai de Neptune, et qu’il n’y a eu aucun problème avec l’un ou l’autre des navires.

[75] La faible probabilité d’une menace sérieuse est rendue encore plus évidente, selon l’intimée, quand le refus de travailler est examiné dans le contexte du témoignage et du rapport de M. Sotres, dans lesquels il a conclu que la main courante d’un navire peut facilement supporter la passerelle d’embarquement du terminal de Neptune (environ 3 650 lb), 4 personnes pesant 1 000 lb au total, ainsi que 1 500 lb de neige, la charge étant répartie de façon égale à l’aide d’un crochet de gaffe d’une largeur de 6 pieds qui est placé sur les épontilles, étant donné que la main courante à elle seule ne pourrait pas soutenir un tel poids. La main courante ne supportait qu’environ la moitié du poids total, tandis que l’autre moitié était soutenue par l’extrémité de la passerelle appuyée au sol.

[76] L’intimée soutient que M. Sotres a expliqué que la demi-lune de six pieds (crochet de gaffe) était utilisée pour appliquer la charge directement sur les épontilles (poteaux des mains courantes) et que, selon la réglementation, ces épontilles ne doivent pas être installées plus de cinq pieds l’une de l’autre, ce qui garantit que la charge est soutenue par au moins une épontille dans chaque cas. L’intimée signale également que les calculs de M. Sotres montrent que la capacité de charge verticale d’une épontille est de 30 214 lb dans des conditions optimales et qu’elle est faite de l’acier à plus faible teneur en carbone possible pour un navire faisant partie de la classification, cette capacité représentant près de dix fois le poids réel qui est réparti sur la passerelle d’embarquement.

[77] L’intimée souligne que M. Stores a indiqué, dans son témoignage, que dans des conditions moins optimales (les pièces doivent être faites à 90 % du métal requis pour que le navire conserve sa classification), le poteau d’une main courante soutiendrait tout de même une charge verticale ou une capacité de flambage de 22 000 lb, ce qui est considérablement supérieur au poids exercé sur les mains courantes par la passerelle d’embarquement. De plus, M. Sotres a expliqué, dans son témoignage, que la charge ou la capacité de flambage d’une épontille demeurerait la même, que l’épontille soit au milieu ou à l’extrémité du crochet de gaffe, bien que sa recommandation soit de toujours placer la passerelle d’embarquement sur deux épontilles, même si une seule est suffisante, car elle pourrait tout de même soutenir près de dix fois le poids de la passerelle, en l’absence d’un contrevent sur les épontilles qui les solidifierait et augmenterait leur charge de flambage.

[78] M. Sotres indique également, en ce qui a trait aux rampes endommagées, qu’une soudure additionnelle ou une légère flexion n’aurait pas d’incidence sur la charge de flambage, mais qu’une flexion plus prononcée pourrait en avoir une. En ce qui a trait aux photos de mains courantes pliées sur les navires en question, l’intimée souligne que M. Sotres s’est dit d’avis que, puisque les épontilles ne semblaient pas endommagées, la capacité de flambage ne serait pas diminuée et les mains courantes seraient en mesure de supporter le poids de la passerelle d’embarquement. En gros, l’intimée soutient que le témoignage de M. Sotres ainsi que l’inspection effectuée par le délégué ministériel penchent fortement en faveur de la conclusion que la probabilité que les passerelles d’embarquement fixées aux navires 1 et 2 le 8 février 2018 aient constitué une menace sérieuse est extrêmement faible.

[79] Cela étant dit, l’intimée fait valoir que cette probabilité doit également être soupesée avec les renseignements et les ressources à la disposition des employés quand ils installent la passerelle d’embarquement. Par exemple, les contremaîtres peuvent consulter la [traduction] « fiche du navire » avant que les navires n’arrivent à quai pour obtenir des renseignements sur le lieu et la date de construction du navire et déterminer si une inspection est nécessaire. De plus, l’intimée mentionne les éléments de preuve qui montrent que, même si c’est le contremaître ou le mécanicien de chantier qui indique à quel endroit la passerelle d’embarquement doit être placée, c’est l’opérateur du chargeur de navire ou de la grue du navire utilisée pour lever la passerelle pour la mettre en place qui est assis plus haut que le pont, qui regarde de haut vers les rampes en se servant de l’éclairage et qui reste en contact par radio avec le contremaître ou le mécanicien sur le quai, ce qui lui permet, du moins en théorie, d’obtenir de l’information sur l’état des rampes avant que le contremaître ou le mécanicien ne monte à bord du navire au moyen de la passerelle, contrairement au témoignage de l’appelant qui a indiqué que c’était impossible.

[80] L’intimée souligne aussi le témoignage de l’appelant selon lequel la passerelle n’est pas détachée du chargeur de navire ou de la grue jusqu’à ce que le mécanicien de chantier ou le contremaître soit monté à bord du navire à l’aide de la passerelle pour diriger l’opération, et selon lequel les employés ou ce dernier n’ont pas pour pratique ([traduction] « ce n’est pas ce que nous faisons ») d’inspecter l’état des rampes avant ou après le détachement de la passerelle, bien que les procédures d’installation des passerelles d’embarquement (documents qui ont été admis en preuve) indiquent, sous la rubrique [traduction] « Rampe du navire », qu’il faut s’assurer que les mains courantes sont en assez bon état pour soutenir la passerelle. L’intimée mentionne le témoignage d’un autre employé, Rodney Callele, qui a déclaré que s’il s’apercevait qu’une main courante était en mauvais état, il grimpait vers le haut de la passerelle d’embarquement avant le découplage et inspectait les mains courantes afin de trouver une épontille en bon état sur laquelle la passerelle pouvait être appuyée sur les mains courantes.

[81] En résumé, l’intimée soutient que le rapport et le témoignage de l’expert, l’inspection du délégué ministériel, ainsi que les ressources et les renseignements à la disposition des employés qui doivent installer la passerelle d’embarquement sur les mains courantes d’un navire appuient tous la conclusion que l’installation de la passerelle sur les mains courantes des navires 1 et 2 le 8 février 2018 ne pouvait pas vraisemblablement constituer une menace sérieuse pour la vie ou la santé de l’appelant. De plus, l’intimée fait valoir que l’appelant n’a pas mentionné de problèmes particuliers touchant les mains courantes du navire 1 ou 2 le jour du refus. Elle est d’avis que le fait que la pratique soit fréquente au terminal de Neptune sans qu’il y ait de problèmes tout comme les témoignages de M. Sotres et du délégué ministériel penchent en faveur de la conclusion selon laquelle les mains courantes étaient en bon état et qu’elles ne pouvaient vraisemblablement pas constituer une menace imminente ou sérieuse pour l’appelant le 8 février 2018.

[82] Le deuxième point soulevé par l’intimée concerne le pouvoir du soussigné d’examiner la question de savoir si le fait d’appuyer la passerelle d’embarquement sur les mains courantes constituait un manquement au Règlement. L’intimée est d’avis que le soussigné n’a pas ce pouvoir. Elle justifie cet avis en se fondant essentiellement sur la portée du pouvoir d’examen conféré à un agent d’appel. Selon l’intimée, la portée de ce pouvoir, dans le cadre d’un appel, consiste à réexaminer la décision du délégué ministériel et, par conséquent, un agent d’appel ne doit pas aborder de questions qui n’ont pas été abordées dans le rapport d’enquête du délégué ministériel. L’intimée appuie cette déclaration sur la décision Nolan, dans laquelle l’agent d’appel a formulé la conclusion suivante :

[41] [L]e délégué ministériel ne mentionne aucune contravention à la partie II du Code et [...] ne donne aucune instruction (c’est-à-dire une instruction de contravention) à l’intimée en vertu du paragraphe 145(1) du Code. Par conséquent, je conclus que la question visant à établir si l’intimée a contrevenu aux dispositions du Code, du RCSST ou du RSSTMM outrepasse la portée du présent appel.

[83] Selon l’intimée, l’agent d’appel dans la décision Ketcheson a exprimé un avis semblable quand il a déclaré qu’un manquement au Code ne justifie pas un refus de travailler :

[115] L’intimé a mentionné la violation, par l’employeur, de plusieurs articles du Code comme fondement de son refus de travailler. La violation d’une disposition du Code ou du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail [...] ne justifie pas un refus de travailler sauf si elle comporte un risque suffisamment élevé pour constituer un « danger ».

[84] À ce sujet, l’intimée souligne que la décision du délégué ministériel en l’espèce avait un effet semblable, en ce sens qu’elle se limitait à conclure qu’il n’y avait pas de danger si la passerelle d’embarquement était placée sur les mains courantes des deux navires, sans préciser l’article du Code ou du Règlement visé par le manquement.

[85] De plus, pour appuyer son allégation selon laquelle la mise en application d’une instruction ne relève pas des pouvoirs d’un agent d’appel, l’intimée fait mention du paragraphe 89 à la fin de la décision Tessier c. Société canadienne des postes, 2017 TSSTC 13, et elle fait remarquer que l’agent d’appel a attiré l’attention sur la motivation apparente de l’employé qui a exercé un refus, qui semblait « contourner la question de fait fondamentale qu’il devait établir pour obtenir gain de cause : qu’il était exposé à une menace imminente ou sérieuse au moment de son refus » [soulignement omis], la question fondamentale n’étant pas celle de savoir si l’employeur contrevenait à une norme, réglementaire ou autre. En ce qui a trait à la question du pouvoir, l’intimée conclut que la seule question qui doit être examinée dans le cadre d’un appel est celle de savoir si le fait d’appuyer les passerelles d’embarquement sur les mains courantes des navires 1 et 2 constituait un danger.

[86] Peu importe l’opinion de l’intimée sur la deuxième question qui porte sur le pouvoir, celle-ci a très sagement opté d’aborder la question de savoir si elle avait contrevenu au Règlement le jour des refus de travailler de l’appelant. Citant les paragraphes 12(1), 12(2) et 12(3) du Règlement apparaissant sous la rubrique « Moyen d’accès »,qui prévoient, de façon générale, que les employeurs doivent fournir un moyen d’accès permettant aux employés de monter à bord d’un navire et d’en descendre en toute sécurité, l’intimée s’est dite d’avis que le moyen d’accès créé en plaçant la passerelle d’embarquement sur les mains courantes ne contrevient pas au Règlement. Invoquant la longue expérience du délégué ministériel dans l’industrie maritime, sa connaissance du Règlement et l’accent qui est mis, dans l’article 12, sur un moyen d’accès sécuritaire, l’intimée attire l’attention sur la conclusion formulée par le délégué ministériel dans son témoignage selon laquelle le moyen d’accès aux deux navires était sécuritaire.

[87] Même si l’intimée reconnaît que le paragraphe 12(3), sur l’accès sécuritaire au pont au moyen d’un escalier, d’une échelle ou d’une autre structure, et le paragraphe 12(4), qui exige de fixer ce moyen d’accès au bastingage pour l’empêcher de bouger, de glisser ou de pivoter, s’appliquaient aux deux navires, l’intimée n’est pas d’accord pour dire qu’elle contrevenait au paragraphe 12(4) parce que les passerelles d’embarquement étaient placées sur des mains courantes, en invoquant l’objectif clair et inhérent de cette dernière disposition, qui est de s’assurer que l’escalier, l’échelle ou l’autre structure similaire (et non la passerelle d’embarquement) est fixée de façon à l’empêcher de bouger, de glisser ou de pivoter.

[88] Notant que l’appelant lui-même a déclaré dans son témoignage que l’escalier ne pouvait pas pivoter, l’intimée souligne la déclaration de l’appelant selon laquelle il n’était pas inquiet pour sa sécurité quand il se trouvait sur l’escalier, celui-ci étant doté de pattes en caoutchouc, car c’était la passerelle d’embarquement qui le préoccupait, et non l’escalier. En ce qui a trait au fait que, selon le témoignage, la plupart des navires ne sont plus dotés de bastingages (auxquels les escaliers doivent être fixés, selon le Règlement), l’intimée fait valoir que le législateur ne peut pas avoir eu l’intention d’adopter un règlement qui est actuellement presque impossible à respecter, compte tenu de la rareté des bastingages, et que le délégué ministériel s’est concentré sur la question de savoir s’il y avait un moyen d’accès sécuritaire, et il a conclu que c’était le cas, étant donné que l’escalier à l’extrémité de la passerelle d’embarquement était solidement fixé à la passerelle elle-même et ne pouvait donc pas pivoter, bouger ou glisser, conformément au Règlement.

[89] L’intimée demande la confirmation de la décision selon laquelle il n’existe aucun danger et le rejet de l’appel.

Réplique

[90] Dans sa réplique, l’appelant divise ses observations en trois parties qui portent sur différents sous-sujets : 1) le danger allégué; 2) la question de la croyance raisonnable; et 3) l’application du Règlement.

[91] Relativement à la notion de « danger », même si l’appelant reconnaît que les parties s’entendent concernant la tâche visée et que la définition de « danger » fait une distinction entre une menace imminente et une menace sérieuse, il fait valoir que le mécanisme de refus de travail est offert aux travailleurs même si la menace n’est pas imminente et qu’un aspect important du risque est le fait que les travailleurs ne sont souvent pas en mesure de déterminer si un risque est imminent, même s’ils savent que le risque de se trouver sur une passerelle d’embarquement qui s’effondre serait sérieux. L’appelant fait valoir, en se fondant sur les éléments de preuve, qu’il n’est pas possible d’évaluer précisément la solidité de la main courante avant l’installation de la passerelle et que l’endroit où la passerelle peut être placée est limité de nombreuses façons.

[92] En faisant référence aux éléments de preuve fournis dans les témoignages, l’appelant soutient que, malgré le témoignage de l’intimée, y compris celui de M. Sotres, selon lequel les mains courantes pouvaient soutenir des passerelles d’embarquement en toute sécurité et selon lequel les employés sur place étaient en mesure de déterminer des endroits sécuritaires où les passerelles pouvaient être installées, cela n’a pas empêché une main courante de s’effondrer.

[93] En ce qui a trait à la décision Nolan invoquée par l’intimée, l’appelant souligne le fait que l’agent d’appel dans cette décision a convenu qu’une certaine pratique constituait une menace sérieuse, en partie parce qu’un incident s’était produit quelques jours seulement après le refus, et il fait remarquer que, dans le cas présent, deux mains courantes se sont effondrées au terminal de Neptune au cours des dernières années, un élément qui sert à prouver qu’il s’agit là d’un risque réel et non hypothétique.

[94]  De plus, il n’était pas nécessaire de prouver que les conditions étaient particulièrement non sécuritaires le jour du refus, et il suffisait de montrer que les conditions à ce moment-là pouvaient vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse avant que la situation soit corrigée, le risque écarté ou la tâche modifiée (Keith Hall). En l’espèce, ce que l’appelant a décrit comme étant la situation ou la tâche dangereuse au moment du refus continue d’exister à ce jour, ce qui justifierait de rendre une ordonnance correctrice (une situation différente de celle de la décision Nolan, dans laquelle la pratique visée avait été modifiée au moment de l’appel), et les employés ont continué de suivre la même pratique depuis lesdits effondrements susmentionnés parce qu’il n’existe aucune autre option. Le fait qu’ils n’ont pas subi de blessures ne signifie pas qu’il était sécuritaire pour eux de le faire.

[95] En ce qui a trait à la conclusion du délégué ministériel selon laquelle il n’existe pas de danger, l’appelant soutient que cette conclusion pèse peu dans la balance, étant donné que le délégué ministériel n’a pas mené une enquête exhaustive et qu’il a essentiellement fondé sa conclusion sur des impressions, sans bien comprendre la réglementation applicable. Dans le même ordre d’idées, l’appelant fait valoir que la conclusion de M. Sotres selon laquelle la pratique en question est sécuritaire, une conclusion sur laquelle s’appuie l’intimée, a été formulée à l’aide de calculs qui se fondaient sur un ensemble d’hypothèses standards qui supposent l’existence de conditions quasi parfaites, ce qui est loin d’être une certitude, comme le démontrent les effondrements mentionnés par l’appelant. Notant que M. Sotres lui-même avait convenu qu’il ne fallait pas placer les passerelles d’embarquement sur des mains courantes pliées ou montrant des signes de dommages, l’appelant souligne le fait que M. Sotres lui-même ne connaissait pas l’historique des dommages ou des réparations sur le navire et que les photos fournies dans les éléments de preuve de l’intimée montrent un navire qui n’était pas en très bon état. Cette observation limite la valeur du témoignage de M. Sotres, selon l’appelant.

[96] Par ailleurs, l’appelant soutient que la suggestion selon laquelle il existe un processus de vérification pour s’assurer qu’aucun [traduction] « bateau-poubelle » ne s’amarre aux quais de Neptune ne contribue aucunement à garantir que les mains courantes seront assez sûres pour y appuyer les passerelles d’embarquement, car aucun élément de preuve n’indique que les personnes qui inspectent les navires examinent autre chose que la fonction évidente des mains courantes, qui est d’empêcher les membres de l’équipage de tomber du navire, pour s’assurer qu’elles sont en mesure de soutenir une passerelle d’embarquement. La suggestion voulant qu’une inspection des mains courantes puisse être effectuée pendant que la passerelle d’embarquement est toujours suspendue en demandant à un employé de monter à bord sur une charge suspendue ne permettrait pas de régler la question, car cela serait contraire aux politiques de l’intimée et cela constituerait une pratique non sécuritaire, ce qui renforce le fait qu’il est impossible, une fois la passerelle d’embarquement mise en place, d’inspecter de près le dessous de la main courante.

[97] Quant à la suggestion avancée selon laquelle la situation peut constituer une condition d’emploi normale, comme il a été conclu dans la décision Ville d’Ottawa, l’appelant soutient qu’il ne laisse pas entendre qu’il est toujours dangereux d’accéder à un navire, mais plutôt que le moyen d’accès en question est non sécuritaire. Soulignant qu’un risque sera considéré comme une condition d’emploi normale s’il subsiste après que l’intimée a satisfait à ce qui est appelé la hiérarchie des mesures de contrôle, l’appelant soutient que, dans le cas présent, il n’y a aucun élément de preuve montrant que l’intimée a vérifié s’il existait des mesures de rechange à la méthode actuelle qui seraient plus sécuritaires et que, même si l’intimée s’est peut-être engagée à trouver une solution de rechange plus sécuritaire, aucun élément de preuve n’indique que des solutions d’ingénierie ont été envisagées.

[98] Selon l’appelant, aucun filet ou autre dispositif antichute n’est installé et il n’y a aucune preuve qu’il existe un moyen systématique de déterminer l’état d’une main courante avant que la passerelle d’embarquement ne soit installée. C’est pourquoi l’appelant soutient que cette situation n’est pas cohérente avec l’argument voulant que le niveau de risque actuel soit une condition d’emploi normale. À cet égard, l’appelant mentionne que d’autres terminaux ont pour pratique de retirer les mains courantes et de placer la passerelle d’embarquement directement sur le pont du navire, ce qui serait conforme au Règlement. En somme, l’appelant conclut que les éléments de preuve établissent qu’il y a d’autres moyens d’accès qui peuvent réduire et éliminer les risques en question, et qu’il n’existe aucun élément de preuve montrant que la faisabilité de ces autres moyens d’accès a été examinée. Par conséquent, l’intimée ne peut pas se fonder sur l’argument voulant que la pratique actuelle soit une condition d’emploi normale pour éviter la responsabilité de modifier la pratique.

[99] Quant à la question de la croyance raisonnable, l’appelant soutient que les éléments de preuve contredisent la position adoptée par l’intimée selon laquelle il n’y avait pas de [traduction] « danger particulier » au moment du refus qui aurait pu soutenir une allégation de croyance raisonnable que l’activité constituait un danger. Selon l’appelant, il a été clairement indiqué, au moment du refus, que le danger particulier qui était invoqué était le risque de blessures physiques pouvant survenir à la suite de l’effondrement d’une main courante pendant que l’appelant et d’autres employés se trouvent sur la passerelle d’embarquement. À cet égard, l’appelant mentionne l’appui du représentant de l’intimée qui siège au CMSST ainsi que l’appui des témoins, M. Callele et M. Hardwick. Sur ce point, l’appelant mentionne le constat de danger dans la décision Keith Hall, où les conditions de travail durant chaque affectation étaient suffisantes pour conclure à l’existence d’un « danger », sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’un danger particulier relativement à une affectation de travail précise.

[100] En ce qui a trait à cette même question de croyance raisonnable, l’appelant soutient que le fait que la question en litige ait fait l’objet de discussions avec l’intimée depuis un certain temps sans qu’elle soit résolue et qu’il ait peut-être eu l’intention d’accélérer la résolution de la question n’a pas d’incidence sur l’appel, et qu’il serait déraisonnable de suggérer qu’un travailleur ne peut pas exercer un refus de travailler simplement parce qu’une question a déjà été discutée et n’a pas été résolue. Cette situation ne porterait pas atteinte aux droits individuels au titre du Code si les conditions justifiant un refus de travailler venaient à se matérialiser. Contrairement aux situations décrites dans les décisions TSI et Tessier, dans lesquelles il n’y avait aucune mention d’un danger particulier et dans lesquelles les agents d’appel ont tout de même jugé qu’il convenait de trancher la question de savoir si la question présentait un danger, l’appelant soutient qu’en l’espèce, il a clairement précisé le danger visé, c’est-à-dire l’accès aux navires au moyen d’une passerelle d’embarquement appuyée sur des mains courantes, et qu’il était raisonnable de croire que la pratique en question n’était pas sécuritaire et posait un risque sérieux qui justifiait l’exercice d’un refus de travailler.

[101] En ce qui a trait au Règlement, ou plutôt à l’argument de l’intimée selon lequel le soussigné n’a pas le pouvoir d’examiner la question de savoir si l’intimée contrevenait au Règlement, l’appelant est d’avis que ce n’est pas le cas et cite principalement le Code lui-même, qui confère à un agent d’appel un vaste pouvoir en vue de modifier, d’annuler ou de confirmer une instruction ou une décision d’un délégué ministériel, et soutient également que les précédents cités par l’intimée sur cette question n’appuient pas une telle conclusion, en particulier la décision Tessier, dans laquelle l’agent d’appel a conclu que la situation visée par le refus ne présentait pas un danger, après avoir conclu que la question réglementaire visée n’était pas clairement liée à un problème de sécurité.

[102] En l’espèce, l’appelant soutient que, comme c’était le cas dans la décision Ketcheson, le manquement au Règlement constitue un risque suffisamment élevé pour créer un danger. Il convient d’examiner cette question de façon intrinsèque pour déterminer si la situation est dangereuse ou non, mais aussi par rapport à la réglementation adoptée pour assurer la sécurité des travailleurs quand ils doivent accéder à des navires au travail. Ainsi, étant donné que le paragraphe 12(1) du Règlement exige généralement que le moyen d’accès permette de monter à bord d’un navire et d’en descendre en toute sécurité, on ne peut pas comprendre, en l’absence d’un bastingage auquel peut être fixée la structure permettant d’accéder au pont en toute sécurité, que lorsque l’extrémité de la passerelle d’embarquement du côté du navire se situe 0,35 m au-dessus du pont (paragraphe 12(4)), l’appelant est autorisé à placer une passerelle sur quoi que ce soit d’autre que le pont du navire. L’appelant fait valoir que les parties et le délégué ministériel conviennent que l’exigence du paragraphe 12(4) n’est pas satisfaite quand l’accès à la structure du pont se fait seulement en y reliant une passerelle d’embarquement, en l’absence d’un bastingage, et en appuyant la passerelle sur les mains courantes d’un navire.

[103] En ce qui a trait aux exigences du Règlement, l’appelant signale que le fait d’appuyer une passerelle d’embarquement sur des mains courantes ne respecte pas les exigences du paragraphe 12(5) du même Règlement, car la passerelle n’est pas fixée de façon à compenser les mouvements du navire, ce qui mène au fléchissement de la main courante et à un mouvement soudain de la passerelle qui présente un danger pour ceux qui s’en servent comme moyen d’accès.

[104] Dans l’ensemble, l’appelant estime qu’un manquement aux exigences du Règlement peut entraîner des blessures pour les travailleurs, ce qui établit donc le pouvoir de l’agent d’appel d’évaluer la situation et de formuler des conclusions sur la conformité au Règlement. L’appelant fait ainsi la distinction entre la situation présente et celle qui prévalait dans la décision Nolan, dans laquelle l’agent d’appel avait noté que le délégué ministériel n’avait pas indiqué s’il y avait eu un manquement à une disposition particulière de la loi ou de la réglementation, et où la conformité réglementaire n’était pas directement liée à la question centrale visée par l’appel et les questions réglementaires n’avaient pas été considérées dans le rapport ou les éléments de preuve présentés dans le cadre de l’appel.

[105] En revanche, l’appelant soutient que le délégué ministériel a été informé de la préoccupation de l’appelant concernant le risque posé par la pratique en raison de son manquement au Règlement au moment du refus de travailler, avait fait des commentaires à l’appelant sur le chantier de travail concernant le Règlement et a fourni des éléments de preuve à ce sujet à l’audience. Les deux parties ont soulevé cette question à l’audience et présenté des observations sur ce point. Selon l’appelant, une conclusion ou des instructions concernant la conformité à la réglementation n’entraîneraient aucune injustice.

[106] En conclusion, l’appelant soutient que la décision rendue par le délégué ministériel était extrêmement brève et ne répondait pas aux préoccupations soulevées par l’appelant. L’appelant soutient que le défaut du délégué ministériel de mener une enquête adéquate et de ne pas bien consigner les résultats de l’enquête tout comme la décision qu’il a rendue ne doivent pas porter atteinte au droit de l’appelant de faire examiner la décision dans son intégralité.

Analyse

[107] Le 8 février 2018, l’appelant a signifié deux refus de travailler à l’intimée, conformément au paragraphe 128(1) du Code. Le formulaire d’enregistrement du refus de travailler indique de façon très succincte que la raison du refus était que [traduction] « le raccordement de la passerelle d’embarquement au navire ne respecte pas le Code », ce qui fait mention d’un manquement au Code, mais sans préciser la disposition du Code ou du Règlement qui est visée.

[108] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il était un représentant syndical des employés au sein du CMSST au moment des refus de travailler. Le témoignage de l’appelant ainsi que les rapports d’enquête en milieu de travail sur les refus de travailler indiquent que l’élément qui a mené aux refus était le fait que la préoccupation au sujet du placement de la passerelle d’embarquement avait été soulevée auprès du CMSST environ 18 mois auparavant, mais n’avait toujours pas été réglée au moment des refus.

[109] Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’au cours d’une réunion syndicale qui avait été tenue la veille en soirée, la question du placement de la passerelle d’embarquement avait fait l’objet d’une discussion et, étant donné qu’il s’agissait d’un problème de longue date, l’appelant avait décidé de prendre position le lendemain et de refuser de travailler. À l’audience, l’appelant a déclaré qu’à son retour au travail, après avoir été en congé les 7 et 8 février 2018, il avait été affecté à des tâches de sécurité et qu’à ce moment-là, il n’avait rien eu à voir avec les navires en question, n’était pas présent quand les passerelles d’embarquement ont été installées et n’avait rien vu.

[110] Selon le témoignage du délégué ministériel, qui a été confirmé par l’appelant, ce dernier était d’avis que les passerelles d’embarquement devaient être fixées au bastingage et ne devaient pas être placées sur des mains courantes, une situation présentée comme un manquement au Code, et le délégué ministériel, lorsqu’il a conclu à l’absence d’un danger, avait informé l’appelant du fait que peu de navires étaient toujours dotés de bastingages, que ceux-ci avaient été remplacés par des mains courantes et que la seule obligation imposée par la loi était la disposition sur « l’accès [...] en toute sécurité » de la terre au navire.

[111] Par ailleurs, l’avis d’appel concernant la décision du délégué ministériel, préparé au nom de l’appelant par un agent du syndicat de l’appelant, semble élargir, de façon pratique, le motif initial du refus de travailler en suggérant que les motifs de l’appel étaient des manquements multiples au Règlement, en plus d’un manquement à l’alinéa 125(1)(a) du Code concernant l’obligation d’un employeur de s’assurer que tous les ouvrages et bâtiments permanents et temporaires respectent les normes réglementaires.

[112] Compte tenu du fondement de ces refus et de la manière dont ils ont été exercés, il convient de faire un survol du processus de refus prévu par le Code, ainsi que de l’essence même de la définition de « danger », qui a été récemment modifiée, et du critère pour évaluer un danger qui a été reconnu par les tribunaux. En l’espèce, l’appelant a exercé un refus de travailler conformément au paragraphe 128(1) du Code avant le début de son quart de travail le 8 février 2018. Le libellé de cette disposition indique manifestement que le « danger » est le concept au cœur de ce droit de refus et que la notion de croyance raisonnable ou de « motifs raisonnables de croire » régit son application :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que [...]

[113] La notion de danger est également une notion centrale du pouvoir du ministre d’émettre, par l’intermédiaire d’un représentant délégué par le ministre, une instruction dans le cas d’une instruction de danger ou une décision d’absence de danger. Le terme « danger » est défini comme suit :

danger Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[114] Quand on les examine ensemble, on s’aperçoit qu’une notion commune relie le droit de refus et la notion de danger, c’est-à-dire la notion de « caractère raisonnable »; dans le premier cas, il s’agit d’une croyance raisonnable, et dans le second, d’une attente raisonnable.

[115] Cela étant dit, avant d’aborder la notion de danger, je crois qu’il est utile d’examiner l’essence même du processus lié au « refus de travailler » en vertu du Code. Beaucoup de choses ont été dites à cet égard au fil des années et au fil de l’évolution de la jurisprudence, mais il ne sera pas nécessaire de revoir le mécanisme de « refus de travailler » de façon exhaustive, car l’agent d’appel dans la décision Ketcheson a fait de nombreux commentaires à ce sujet et je partage les opinions qu’il a exprimées.

[116] Quand on examine le droit de refus, la prémisse veut que le libellé de la disposition du Code (l’article 128) définisse clairement ce droit comme un droit personnel, qui est propre à la personne (l’employé) qui souhaite invoquer un « danger » auquel elle est elle-même exposée dans certaines conditions ou circonstances. À cet égard, dans la décision Ketcheson, l’agent d’appel a indiqué que « la violation d’une disposition du Code ou du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail ne justifie pas un refus de travailler sauf si elle comporte un risque suffisamment élevé pour constituer un “danger” », c’est-à-dire « [une] situation, [une] tâche ou [un] risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté », le sens du mot « danger » étant mieux décrit, selon mon collègue, comme des risques qui « sont composés des très grands risques qui constituent un “danger” et qui peuvent faire l’objet de refus de travailler, et des risques plus faibles, qui ne constituent pas des “dangers” et qui sont traités au moyen d’autres mécanismes que le refus de travailler »,comme le système de responsabilité interne (SRI).

[117] À cet égard, je me fonde en particulier sur les commentaires suivants formulés par mon collègue concernant l’essence même du droit de refuser d’accomplir un travail dangereux. Au paragraphe 135 de la décision Ketcheson, l’agent d’appel déclare ce qui suit :

[135] On peut comprendre que le droit de refuser de travailler puisse être perçu par certains comme l’une des diverses mesures permettant de réaliser l’objet du Code. Ce sont les refus de travailler qui attirent l’attention des fonctionnaires, des avocats, des agents d’appel et des tribunaux. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit là d’une perception erronée. On n’assure pas la santé et la sécurité des travailleurs par des refus de travailler. On le fait principalement par le biais d’obligations. Si on assurait la santé et la sécurité des travailleurs par des refus de travailler, le travail serait paralysé.

[118] On peut clairement déduire de ce qui précède que le recours au droit de refus n’est pas illimité. Pour paraphraser les propos de mon collègue, le droit des employés de participer au processus de réduction des risques est grandement influencé par les activités de représentants des employés, à titre individuel ou comme membres des comités de santé et de sécurité au travail. Le droit des employés de refuser de travailler n’est pas la méthode normale et routinière d’élimination des risques; il s’agit d’un mécanisme de secours (à sécurité intégrée) quand les principaux éléments du SRI n’ont pas été efficaces.

[119] À ce stade-ci, il convient de rappeler que, dans son témoignage, l’appelant a indiqué qu’il a pris la décision d’exercer un refus au sein du comité et dans l’intention de prendre position et d’accélérer la résolution de cette question, compte tenu de ce qu’il a perçu comme un manque de progrès sur la question de l’installation des passerelles d’embarquement, ce qui a mené à l’intervention de l’agent de santé et de sécurité, maintenant le représentant désigné par le ministre du Travail, en vue d’obtenir une décision.

[120] La conséquence générale de l’acceptation du droit de refus comme une méthode ou un mécanisme « de secours » ou « à sécurité intégrée » ne signifie pas, en soi, que l’exercice de ce droit est possible seulement si un employé a d’abord eu recours à d’autres moyens de résolution que le refus avant d’exercer ce droit. Il existe, cependant, des paramètres qui guident un tel exercice, et à cet égard, je rappelle les propos de l’agent d’appel dans la décision Ketcheson selon lesquels ce droit n’est pas illimité :

[144] Il est important de noter que le droit de refuser de travailler n’est pas tributaire du fait que l’employé a préalablement tenté de régler le problème de SST par d’autres moyens. Un employé peut choisir de refuser de travailler lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a un danger, sans égard à ce qui s’est produit auparavant. C’est un droit important et puissant. De par la manière dont le Code est conçu, il est manifeste que le refus de travailler doit être utilisé en tant que mesure d’urgence et que la plupart des efforts visant à atténuer les risques et à protéger les employés doivent être déployés ailleurs.

[121] Si un employé choisit d’invoquer un « danger » au moyen du processus de refus, le seuil à respecter est plus élevé qu’il ne le serait pour le recours à d’autres moyens prévus par le Code.

[122] En l’espèce, les parties ont montré qu’elles s’entendaient sur la signification et l’interprétation de la notion de « danger » qui figure dans le Code, ainsi que sur le critère à appliquer, qui est encore une fois défini dans la décision Ketcheson, afin de déterminer s’il existait un danger dans les circonstances soulevées par l’appelant. De plus, les plaidoyers finaux des parties démontrent qu’elles s’entendent pour dire qu’il était peu probable, voire improbable, que l’appelant puisse avoir été exposé à une menace imminente, comme la jurisprudence récente l’a définie, au moment de son refus de travailler.

[123] Au départ, comme l’introduction de la présente décision l’indique, l’appelant a formulé son refus de travailler en déclarant que [traduction] « le raccordement de la passerelle d’embarquement au navire ne respecte pas le Code » et, malgré cette formulation très générale, il s’agit du risque au cœur de la présente affaire. Ayant examiné le rapport d’enquête interne ainsi que l’avis d’appel, je suis disposé à accepter, aux fins de clarté et de compréhension des mots [traduction] « ne respecte pas le Code », et reconnaissant l’objectif de la loi, qu’une telle description initiale peut être interprétée comme si elle suggérait des manquements à l’alinéa 125(1)(a) du Code et à l’alinéa 12(4)(a) du Règlement, et par conséquent, je considérerai qu’il s’agit d’une description adéquate du risque potentiel qui est invoqué pour justifier le refus exercé par l’appelant.

[124] Ainsi, l’installation de la passerelle est fondée sur la pratique de fonctionnement habituelle de l’intimée; on peut donc considérer que le risque invoqué concernait la pratique de l’intimée. Cependant, cela ne modifie pas la nature substantielle du risque proposé, à savoir les manquements au Code et au Règlement. Néanmoins, j’ai souligné ci-dessus que l’avis d’appel déposé au nom de l’appelant, préparé et signé par une autre personne, en l’occurrence un agent de son syndicat, suggérait de nombreuses infractions supplémentaires au Règlement, des infractions qui n’avaient évidemment pas été soulevées de façon précise dans le document de refus original et qui, si l’on doit croire le témoignage du délégué ministériel en l’absence d’un rapport d’enquête explicatif, ainsi que le témoignage de l’appelant et d’autres, n’étaient pas la principale préoccupation en ce qui a trait à l’installation des passerelles d’embarquement.

[125] Par conséquent, je conclus que ces manquements supplémentaires allégués dépassent la portée du présent appel. Quoi qu’il en soit, on ne peut ignorer le fait que l’appelant a choisi d’exercer un refus de travailler quand il l’a fait, et cela est indiqué clairement par les mots utilisés par l’appelant sur son formulaire de refus et encore plus dans son témoignage à l’audience, même s’il a admis qu’essentiellement, il n’était pas au courant de la situation réelle de l’un ou l’autre des navires, non pas parce qu’il faisait face à une menace imminente ou sérieuse, mais parce qu’il était frustré par l’absence de réponse à ses préoccupations concernant la pratique d’installation des passerelles d’embarquement de l’intimée, ce qui constitue une défaillance du SRI qu’il a caractérisée, tout au long de la procédure, comme un manquement au Code et, par extension, au Règlement.

[126] Ceci étant dit, et sans tenir compte de ce qu’on pourrait décrire comme le contexte et de ce que je considère comme la motivation discutable de l’appelant quand il a exercé le droit personnel de refuser de travailler dans des circonstances qui sont présentées comme une situation lui posant un danger, on doit examiner la question de savoir s’il y avait une menace imminente ou sérieuse pour l’appelant au moment de son refus.

[127] Comme je l’ai mentionné précédemment, le droit de refus et le concept de danger ont en commun la notion de « caractère raisonnable, et le critère à appliquer est fondé sur la notion d’« attente raisonnable ». Ayant déterminé ci-dessus que le risque à évaluer est la pratique d’installation des passerelles d’embarquement au terminal de Neptune, la question à se poser consiste à savoir si ce risque aurait vraisemblablement pu constituer une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou la santé de l’appelant le 8 février 2018.

[128] Dans la décision Ketcheson, l’agent d’appel a indiqué qu’une « attente raisonnable » comprend trois éléments : la probabilité que le risque ait lieu en présence de quelqu’un, la probabilité que le risque cause un événement ou une exposition, et la probabilité que l’événement ou l’exposition cause un préjudice à la personne. Je suis d’accord avec cette définition. J’ajouterai à ceci que les éléments hypothétiques sont exclus.

[129] À mon avis, il fait peu de doute qu’un préjudice, mineur ou grave, est possible dans le scénario mentionné par l’appelant, c’est-à-dire l’effondrement d’une main courante sur laquelle une passerelle d’embarquement serait placée. Là n’est pas la question, cependant, car une possibilité n’équivaut pas à une attente raisonnable. Aucun élément de preuve devant moi ne montre qu’il était vraisemblable que l’appelant serait exposé à un tel risque le jour où il a refusé de travailler et qu’il subisse un préjudice en raison de ce risque.

[130] Dans son propre témoignage, l’appelant a indiqué que le jour de son refus officiel, après avoir formé son intention de recourir à un refus de travailler la veille, il n’avait rien eu à voir avec le premier navire, n’avait pas été présent quand la passerelle d’embarquement a été installée et n’avait rien vu par rapport à la situation. Pour ce qui est du deuxième navire, lorsqu’il a été informé que la décision du délégué ministériel était propre au cas, l’appelant a également déclaré qu’il n’avait jamais vu le navire.

[131] À tous les points de vue, il est manifeste que c’est la pratique elle-même que ce dernier considère comme dangereuse. Par ailleurs, il a reconnu que durant ses années à l’emploi de Neptune, y compris trois années comme contremaître des opérations, aucune passerelle d’embarquement n’est jamais tombée d’un navire. Ayant travaillé avec plus de 2 400 navires durant ce temps, l’appelant a reconnu que cette pratique n’est pas limitée à Neptune et qu’il s’agit d’une pratique courante dans d’autres terminaux. De plus, l’appelant a reconnu que, lorsqu’il a refusé de travailler, il se fondait sur son interprétation et sa compréhension du Règlement qui, selon ce qu’il avait compris à l’époque, exige que la passerelle d’embarquement soit placée sur le bastingage, quoiqu’il ait fini par comprendre qu’il ne s’agissait pas là de l’intention du Règlement, et il a reconnu que sa décision n’était pas fondée sur les conditions qui existaient sur les navires touchés ou sur les passerelles d’embarquement comme telles.

[132] L’appelant a également reconnu, dans le cas d’au moins un navire qui est resté à quai pendant trois jours (du 5 au 8 février 2018), que les mains courantes sur lesquelles la passerelle d’embarquement avait été placée ne se sont pas effondrées ou n’ont pas plié. Il a aussi précisé que durant les trois années qu’il a passé à travailler comme contremaître des opérations, il avait vu trois mains courantes pliées et que, dans au moins deux de ces cas, ce n’était pas l’installation de la passerelle d’embarquement qui avait plié les mains courantes, cette situation étant extrêmement rare. De plus, il convient de souligner le fait que l’appelant a choisi de recourir à un refus de travailler quand il l’a fait non pas en raison d’une menace imminente, comme elle a été définie précédemment, mais parce qu’il croyait que les longues discussions sur la question au sein du CMSST n’avaient pas porté ses fruits et qu’il devait prendre position pour accélérer la résolution de la situation.

[133] Il est vrai qu’une personne n’a pas à attendre qu’elle soit face à une situation réelle avant d’invoquer un « danger »; cependant, le critère pour déterminer la présence d’un « danger » prenant la forme d’une menace imminente ou même sérieuse ne permet pas, pour reprendre les propos de mon collègue dans la décision Ketcheson,de « qualifier de “danger” des scénarios génériques ou hypothétiques lorsqu’il serait préférable d’examiner de telles questions à l’aide des autres mécanismes de résolution de problème prévus dans le Code ». Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il n’y avait aucune menace imminente pour l’appelant au moment de son refus.

[134] Après avoir répondu à la question relative à la menace imminente par la négative, il reste à établir si ces mêmes conditions pouvaient vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou la santé de l’appelant.

[135] Une menace sérieuse est une attente raisonnable que le risque, la situation ou la tâche, soit la pratique suivie au terminal de Neptune dans ce cas particulier, cause des blessures ou une maladie grave à un moment donné à l’avenir (dans les jours, les semaines, les mois ou, dans certains cas, les années à venir). Une chose qui est peu probable dans quelques minutes peut être très probable lorsqu’un laps de temps plus long est pris en compte. Le préjudice n’est pas mineur; il est grave. À mon avis, une attente raisonnable s’applique au-delà d’une simple possibilité (car il y a toujours une possibilité) et comprend la prise en compte de la probabilité que le risque ait lieu en présence de quelqu’un, la probabilité que le risque cause un événement ou une exposition, et la probabilité que l’événement ou l’exposition cause un préjudice à une personne.

[136] Les éléments de preuve qui ont servi à tirer la conclusion d’absence de menace imminente sont également pertinents pour la présente évaluation de l’existence d’une menace sérieuse. De plus, je ne peux pas omettre le fait qu’au départ, l’action intentée par l’appelant était fondée, du moins en partie, sur une mauvaise interprétation du règlement applicable. De plus, j’estime que le témoignage de M. Sotres est convaincant et je tiens compte du fait qu’aucune contre-expertise n’a été présentée, sauf pour une déclaration de l’appelant qui exprimait son désaccord avec l’opinion de M. Sotres et du délégué ministériel quant à la définition d’un bastingage.

[137] Je considère également de façon un peu dubitative la réplique de l’appelant dans laquelle il a suggéré qu’il serait possible pour le mécanicien de chantier, qui est le premier à accéder à un navire à partir d’une passerelle d’embarquement fixée et suspendue, d’examiner de près l’état d’une main courante et des épontilles sur lesquelles la passerelle doit être placée. La prétention de l’appelant selon laquelle [traduction] « ce n’est pas ce que nous faisons » et sa remise en question de la compétence du mécanicien de chantier pour effectuer cette tâche, alors que c’est le contremaître des opérations qui a pour fonction de déterminer l’endroit où il faut placer ladite passerelle, semblent peu tenir compte du fait que, même si le Code établit les obligations de l’employeur en matière de prévention, l’article 126 du Code établit des obligations parallèles pour les employés, qui doivent se conformer aux instructions de l’employeur en matière de santé et de sécurité.

[138] L’appelant a semblé accorder beaucoup d’importance au fait que deux mains courantes s’étaient effondrées sous le poids d’une passerelle d’embarquement au cours des dernières années. Toutefois, aucun détail ou élément précis n’a été fourni au sujet des conditions dans lesquelles ces incidents se sont produits, et c’est pourquoi cette information a peu de valeur probante. Au risque de me répéter, il faut tenir compte du fait que l’appelant n’a participé d’aucune façon à l’installation des passerelles d’embarquement sur les deux navires ni, par extension, à l’évaluation de la sécurité de leur installation. Comme je l’ai noté ci-dessus, l’appelant a soutenu, de façon très générale, que la pratique d’installation des passerelles d’embarquement au terminal de Neptune constitue un danger. Toutefois, l’évaluation de l’existence d’une menace sérieuse au moment du refus doit concerner l’appelant.

[139] Après avoir examiné la totalité des éléments de preuve qui m’ont été présentés, j’en suis venu à la conclusion que l’appelant n’était pas exposé à une menace sérieuse pour sa vie ou sa santé au moment du refus.

[140] Étant parvenu à cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’évaluer le dernier élément du critère applicable, soit la question de savoir si la menace pour la vie ou la santé sera présente avant que le risque ne soit écarté ou que la tâche ne soit modifiée.

[141] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l’appelant n’était pas exposé à un danger le jour où il a exercé son droit de refuser de travailler.

Décision

[142] Pour ces motifs, je confirme la décision d’absence de danger qui a été rendue par le délégué ministériel le 8 février 2018.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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