2020 TSSTC 4

Date : 2020-04-16

Dossier : 2017-36

Entre :

Agence canadienne d’inspection des aliments, appelante
et
Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée

Indexé sous : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est confirmée.

Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me Spencer Shaw, Services juridiques du Conseil du Trésor, ministère de la Justice

Pour l’intimée : Me Jessica Greenwood, avocate, Ravenlaw

Référence : 2020 TSSTC 4

Motifs de la décision

[1] Les motifs de la présente décision portent sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (« ACIA » ou l’« employeur ») à l’encontre d’une instruction émise le 18 octobre 2017 par Mme Karina Sacco à titre de déléguée officielle du ministre du Travail (la « déléguée ministérielle »).

[2] L’instruction a été émise en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code et indique que l’employeur a contrevenu à l’alinéa 125(1)( z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement). La déléguée ministérielle a plus particulièrement conclu que l’employeur n’avait pas nommé une « personne compétente » comme l’oblige le paragraphe 20.9(3) du Règlement pour enquêter sur une plainte de violence dans le lieu de travail déposée par un employé, M. Jagdip Virdee.

[3] Les dispositions exécutoires de l’instruction se lisent comme suit :

L’employeur n’a pas nommé une personne compétente pour enquêter sur une plainte de violence dans le lieu de travail non résolue déposée par l’employé Jagdip Virdee.

[4] L’employeur a porté l’instruction en appel le 16 novembre 2017 et a aussi demandé sa suspension. La demande de suspension a été retirée le 17 décembre 2017. L’appel a été entendu du 24 au 27 juin 2019, à Toronto (Ontario).

Contexte

[5] M. Jagdip Virdee est un employé de l’ACIA depuis mars 2002. À ce moment, il était un spécialiste en importation pour l’appelante, travaillant au bureau de Mississauga. En 2014, M. Virdee a été blessé dans un accident de voiture qui lui a causé des problèmes de santé permanents. Par conséquent, son environnement de travail et ses conditions de travail ont dû être modifiés en raison de son état de santé.

[6] Selon la preuve produite à l’audience de l’appel, M. Virdee était insatisfait de façon générale de l’ampleur des mesures convenues par l’employeur. Il a donc déposé des griefs et des plaintes pour régler la situation. En bref, les mesures d’accommodement demandées par M. Virdee consistaient à obtenir un bureau à hauteur réglable qui serait réglé à une hauteur appropriée pour réduire les douleurs au dos que M. Virdee ressentait lorsqu’il s’assoyait pendant de longues périodes, à travailler un quart du matin (6 h à 14 h), à pouvoir faire du télétravail ou à être autorisé à travailler à un endroit différent plus près de sa maison. Ces mesures avaient toutes pour but de remédier aux limites de M. Virdee consistant à ne pas pouvoir s’asseoir pendant de longues périodes, qui était la source de ses douleurs au dos. De plus, M. Virdee a dû s’absenter à de nombreuses reprises au cours du processus d’accommodement. L’employeur a permis à M. Virdee d’utiliser un code de congé spécial 699 pour ces absences jusqu’au rajustement approprié de son bureau, pour qu’il n’ait pas à utiliser ses congés de maladie ou de vacances pour consigner le temps perdu. Sa capacité à utiliser le code 699 lui a finalement été retirée, sans que les rajustements de la hauteur de son bureau soient finalisés.

[7] Il est clair que la question relative au rajustement de son bureau de travail était une source d’irritation constante pour M. Virdee. Les discussions sur les mesures d’accommodement demandées par M. Virdee et les mesures que l’employeur était disposé à accepter se sont étirées sur quelques années et les cas allégués de violence sont survenus dans ce contexte particulier. Comme les parties l’ont reconnu, le présent appel ne vise pas à déterminer le bien-fondé de ces mesures et la mesure dans laquelle l’employeur peut avoir ou ne pas avoir respecté ses obligations pour accommoder M. Virdee. Les parties ont également convenu que le différend concernant les mesures d’accommodement ne peut pas à lui seul constituer le fondement d’une plainte de violence dans le lieu de travail. La question en litige dans les présentes porte sur la façon alléguée dont les représentants de l’employeur ont réglé la situation.

[8] Le 7 juin 2017, M. Virdee a déposé une plainte de violence dans le lieu de travail auprès de son employeur. Les allégations qu’il a énoncées dans sa plainte se rapportent à un certain nombre d’actes et de déclarations de la part des représentants de l’employeur qui l’ont mené à alléguer qu’il a fait l’objet d’actes de violence dans son lieu de travail, tels que définis dans le Code et le Règlement. Je préciserai plus particulièrement les faits allégués supportant la demande de M. Virdee plus loin dans la partie relative à l’analyse de la présente décision.

[9] L’employeur a examiné la plainte de M. Virdee et a déterminé qu’à première vue, ses allégations ne correspondaient pas à la définition de violence indiquée dans le Règlement. Dans une lettre datée du 23 juin 2017, l’employeur a informé M. Virdee que sa plainte avait été rejetée pour cette raison et il encourageait M. Virdee à utiliser le système de gestion informelle des conflits pour résoudre les problèmes soulevés dans sa plainte. Aucune tentative n’a été faite pour résoudre la plainte de façon informelle avec M. Virdee.

[10] Le 24 juillet, M. Virdee a déposé une plainte de violence dans le lieu de travail auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC). La description est essentiellement la même que celle de la plainte interne qu’il a déposée en juin, même s’il y avait un peu plus de détails sur les mots employés par les représentants de l’employeur et les actes de ceux-ci que M. Virdee considérait comme des actes de violence, tels que définis à la partie XX du Règlement. Les avis sont partagés quant à la question de savoir si les deux plaintes sont vraiment semblables, et je discuterai de ce point plus en détail dans la partie relative à l’analyse de la décision. En substance, M. Virdee fait référence dans les deux plaintes au défaut de l’employeur de lui offrir des mesures d’accommodement. Pendant cette période, il se sentait rabaissé, dénigré, intimidé et harcelé du fait des diverses interactions avec les représentants de la direction.

[11] L’affaire a été confiée à Mme Karina Sacco, agissant à titre de déléguée ministérielle aux termes du Code pour enquêter sur la plainte. Bien qu’elle ait informé M. Virdee que les problèmes se rapportant à l’accommodement ne relevaient pas du champ d’application du Code en soi, ses allégations de préjudice psychologique, d’intimidation et de harcèlement pourraient être évaluées pour déterminer s’il y a eu violation de la partie XX du Règlement.

[12] Mme Sacco a organisé une téléconférence avec M. Virdee et des représentants de l’employeur pour déterminer si la nomination d’une personne compétente était nécessaire. La téléconférence a eu lieu le 11 octobre 2017, pendant laquelle les parties ont discuté du comportement et des gestes qui ont été perçus par M. Virdee comme du harcèlement. En plus de la téléconférence, selon les allégations de M. Virdee et plus particulièrement relativement aux incidents allégués impliquant Mme Campbell et Mme Pinsent, Mme Sacco était d’avis que l’employeur était en violation du paragraphe 20.9(3) du Règlement puisqu’il n’avait pas nommé une personne compétente comme l’exige ce paragraphe.

[13] Il doit également être noté que Mme Sacco a refusé la demande de l’employeur de lui fournir une copie de la plainte déposée auprès d’EDSC, au motif que le document était confidentiel aux termes du Code et qu’il était considéré comme un document protégé « B » selon les politiques sur la sécurité des documents du gouvernement. L’employeur a finalement obtenu une copie de la plainte, qui faisait partie des documents déposés par Mme Sacco auprès du Tribunal relativement à l’appel de

La question en litige

[14] La question soulevée par le présent appel est de déterminer si l’employeur était tenu en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement de nommer une personne compétente pour enquêter sur les allégations de violence dans le lieu de travail de M. Virdee dans les circonstances de la présente affaire. Le présent appel soulève plus particulièrement la question de savoir s’il est « évident » – un critère énoncé dans les décisions Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273 (AFPC 2) et Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1066 (AFPC 1) – que la plainte ne porte pas sur la violence dans le lieu de travail, auquel cas, cette obligation de nomination ne s’appliquerait pas.

Observations de parties

Observations de l’appelante

[15] L’appelante a d’abord souligné que le processus d’appel est un processus de novo. L’agent d’appel n’est pas lié par les constatations de faits ou les conclusions de la déléguée ministérielle et il peut apprécier tous les éléments de preuve pertinents se rapportant aux circonstances qui prévalaient à l’époque de l’instruction, y compris des éléments de preuve qui peuvent ne pas avoir été mis à la disposition de la déléguée ministérielle ou dont elle n’a pas tenu compte.

[16] L’appelante se reporte à la partie XX du Règlement et au fondement de cette partie du Règlement tel que l’a indiqué la Cour d’appel fédérale (CAF) dans le jugement qu’elle a rendu dans la décision AFPC 2 et dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié dans la Gazette du Canada lors de l’adoption de la partie XX.

[17] L’appelante soutient que la décision de la CAF, lue dans son ensemble, indique clairement que le régime du Règlement stipule que les employeurs doivent affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail. Ce régime a été élaboré par un groupe de travail nommé par le Congrès du travail du Canada en 1999 peu de temps après une fusillade survenue dans un lieu de travail fédéral. C’est dans ce contexte que le régime et l’objet de la partie XX deviennent apparents, puisque les législateurs et les intervenants répondaient à un acte extrême de violence dans le lieu de travail. Cependant, les législateurs ont réalisé que ce ne sont pas tous les actes qui équivalent à de la violence dans le lieu de travail. Seuls les actes qui pourraient vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à un employé constitueraient de la violence dans le lieu de travail.

[18] L’appelante résume le critère indiqué par la CAF lors d’un examen aux termes de la partie XX du Règlement. La CAF a retenu les importants principes suivants qui devraient guider un employeur lorsqu’il filtre les plaintes de violence dans le lieu de travail. La CAF a d’abord reconnu ce qui suit :

[...] le Règlement ne peut avoir eu comme objectif d’obliger les employeurs à nommer une personne compétente pour faire enquête sur chaque plainte dès que l’employé la désigne comme portant sur la violence dans le lieu de travail. Ceci banaliserait sans doute les droits et devoirs importants inscrits à la partie XX du Règlement.

La CAF reconnaît que la plainte de violence dans le lieu de travail de l’employé doit être filtrée et analysée. La CAF a conclu que les employeurs « peuvent certainement passer en revue une plainte en vue d’établir si, à première vue, elle correspond à la définition de violence dans le lieu de travail prévue à l’article 20.2 du Règlement ».

[19] L’appelante soutient que la CAF a trouvé que cette détermination était limitée, et a conclu que le « seuil devrait être bas » et que l’employeur devrait nommer une personne compétente « à moins qu’il soit évident que les allégations ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail, même en admettant qu’elles soient vraies ». Dans l’affaire examinée par la CAF, il n’était pas évident que les faits, tels qu’ils ont été rapportés, n’équivalaient pas à de la violence dans le lieu de travail. La plainte n’était pas manifestement vexatoire ou frivole, et il ne revenait pas à l’employeur de décider si tôt, sans même rencontrer l’employé, si le comportement particulier allégué était suffisamment grave dans les circonstances pour constituer de la violence dans le lieu de travail.

[20] Le critère peut être résumé ainsi : (1) les employeurs doivent examiner les allégations pour savoir si elles répondent à la définition de violence dans le lieu de travail, (2) les employeurs devraient rencontrer le plaignant et (3) l’employeur doit nommer une « personne compétente », à moins qu’il soit évident que les allégations ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail, même en admettant qu’elles soient vraies.

[21] L’appelante soutient en outre que la déléguée ministérielle n’a pas respecté les règles d’équité procédurale en ne fournissant pas une copie de la plainte à l’employeur. L’employeur souligne que la plainte déposée auprès d’EDSC diffère grandement de la plainte déposée à l’interne à l’ACIA. L’ACIA était désavantagée lors de la téléconférence puisqu’elle n’avait pas complètement compris la nature des allégations qui pesaient contre elle, et elle n’était donc pas en mesure d’y répondre pleinement. Il était impossible pour l’employeur d’appliquer le paragraphe 20.9(2) du Règlement, puisque ce paragraphe ne s’applique que lorsque l’employeur a connaissance de violence dans le lieu de travail.

[22] L’employeur soutient que la méconnaissance de M. Virdee de la loi, ses motifs et sa fiabilité ont nui de façon importante et négative à sa perception des incidents soulevés dans ses allégations. Le Tribunal devrait seulement examiner les allégations qui sont fidèlement décrites dans l’application du critère du caractère évident. M. Virdee demandait des mesures d’accommodement très précises et il était contrarié que l’employeur n’ait pas accepté ses demandes. Son état d’esprit a altéré sa perception des faits et a fait que sa perception n’était pas fiable. Le Tribunal devrait évaluer la crédibilité de M. Virdee en appliquant le critère du caractère évident.

[23] L’appelante soutient que le critère du caractère évident nécessite que les employeurs tiennent les allégations pour avérées, et qu’ils décident si les allégations respectent la définition de violence dans le lieu de travail. L’appelante insiste sur l’importance du mot « vraisemblablement » dans la définition de « violence dans le lieu de travail », qui qualifie les conséquences des « agissements, comportements, menaces ou gestes » selon la vraisemblance de causer un dommage, un préjudice ou une maladie. Toutefois, pour éviter l’absurdité et les abus, l’expression « tiennent pour avérées » ne doit inclure logiquement que les parties des allégations qui sont fiables. Supposer autrement n’irait qu’à l’encontre de l’objet du Règlement. Les allégations de M. Virdee doivent être tenues pour avérées seulement dans la mesure où ces allégations sont fiables. Les spéculations de M. Virdee sur les motifs ou le mécontentement d’autres personnes relativement aux problèmes d’accommodement ne doivent pas être tenues pour avérées. En outre, une évaluation de la fiabilité des allégations de M. Virdee doit tenir compte des problèmes de perception présentés par son psychologue, et le fait que M. Virdee n’avait pas d’autres choix relativement au respect de ses accommodements.

[24] L’appelante souligne qu’aucun des trois « incidents » mentionnés dans la plainte ne respecte la définition de violence. Que ce soit un membre de la direction qui utilise un « ton ferme », un membre de la direction qui remet en cause la note d’un médecin en la qualifiant de « douteuse » ou un membre de la direction qui élève la voix dans une conversation sur les mesures d’accommodement et un congé sans rémunération, ce sont tous des exemples d’exercice de droits de direction et ils ne peuvent pas vraisemblablement causer un préjudice. Ces allégations ne portent clairement et visiblement pas sur la violence dans le lieu de travail et les considérer comme telles ne respecterait pas l’objet du Règlement.

Observations de l’intimée

[25] L’avocate de l’intimée résume d’abord les faits menant aux plaintes de M. Virdee. L’avocate souligne que ce qui est en cause dans le présent appel est le comportement adopté par l’employeur tout au long du processus de détermination et d’application des mesures d’accommodement pour M. Virdee en raison de ses limites causées par un accident de voiture. Bien que l’ampleur des mesures d’accommodement ne soit pas en cause dans la présente instance, la preuve démontre que les demandes de M. Virdee sont devenues litigieuses et ont mené à des confrontations avec la direction.

[26] L’avocate de l’intimée s’appuie sur la décision AFPC 2 pour fournir le cadre dans lequel la partie XX du Règlement doit être appliquée. Elle souligne que la principale personne responsable de procéder à une recherche des faits visant les plaintes de violence dans le lieu de travail est une « personne compétente » devant être nommée à cette fin en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement. Cette « personne compétente » devrait par conséquent être nommée « à moins qu’il soit évident que les allégations ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail, même en admettant qu’elles soient vraies ».

[27] L’intimée soutient que l’appelante essaie de réintroduire la recherche des faits et les évaluations de crédibilité de façon dérobée, en soutenant que son compte rendu de la situation n’est pas fiable. Permettre aux employeurs de prendre une telle décision ne respecterait pas l’objet et l’intention du Règlement.

[28] En appliquant le critère du caractère évident à la présente affaire, l’avocate de l’intimée soutient que les allégations de M. Virdee pourraient potentiellement porter sur la violence dans le lieu de travail. La plainte de M. Virdee reposait sur le harcèlement, l’intimidation et les menaces, l’accommodement était le contexte. La question de savoir si forcer M. Virdee à travailler au bureau qui lui causait un préjudice et des douleurs constituait de la violence dans le lieu de travail est une question de fait et de fond qui doit être analysée par une « personne compétente » et dont les faits doivent être cherchés par une telle personne.

[29] L’intimée n’est pas d’accord avec le fait que le rôle de l’employeur est de filtrer la plainte pour s’assurer qu’elle respecte la partie XX. Le rôle de l’employeur est plutôt de faire tout ce qui est nécessaire pour régler la plainte. L’avocate se reporte à la décision Seaspan Marine c. International Longshore and Warehouse Union, section locale 400, 2017 TSSTC 10 (Seaspan Marine), dans laquelle l’agent d’appel a précisé que l’examen préliminaire de l’employeur devrait être effectué « dans le but de régler la situation ». L’objectif de limiter le pouvoir discrétionnaire de l’employeur prévu à l’article 20.9 est d’assurer un règlement rapide et efficace ou une modification de politique dans les cas où il y a allégation de violence dans le lieu de travail.

[30] Concernant l’argument de l’appelante se rapportant à l’équité procédurale, l’avocate de l’intimée soutient que l’employeur a reçu un préavis adéquat des allégations pesant sur lui. Le Programme du travail applique des politiques qui n’autorisent pas la communication du formulaire d’enregistrement de la plainte. La nature de la plainte a été présentée pendant la téléconférence et des détails ont été fournis. Le paragraphe 20.9(2) s’applique lorsque l’employeur a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, et on ne mentionne à aucun endroit dans ce paragraphe des détails ou des faits, ce qui est logique puisque le cadre laisse à la « personne compétente » devant être nommée le pouvoir de tirer des conclusions factuelles.

[31] Finalement, l’avocate de l’intimée est en désaccord avec l’avis de l’appelante selon lequel les allégations contenues dans la plainte de M. Virdee ne peuvent raisonnablement pas causer un préjudice. Elle soutient qu’il devrait revenir à la « personne compétente » de tirer une telle conclusion. Cette personne est mieux placée pour tirer une telle conclusion, qui dépend de la personne qui dépose la plainte, le contexte du lieu de travail et la nature des incidents allégués. La complexité d’une conclusion comme la probabilité raisonnable de préjudice est précisément la raison pour laquelle l’article 20.9 nécessite que la « personne compétente » ait « des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail ».

Réplique de l’appelante

[32] L’appelante n’est pas d’accord avec la caractérisation de la preuve par l’intimée selon laquelle les représentants de l’employeur avaient déjà pris une décision avant la réunion de juin avec M. Virdee. Les témoins ont affirmé que M. Virdee n’avait rien soulevé à la réunion qui pouvait bouleverser leur examen préliminaire. Contrairement à l’employeur dans la décision AFPC 2, au paragraphe 35, l’employeur a rencontré l’employé avant de déterminer, au final, que la plainte ne portait évidemment pas sur la violence dans le lieu de travail.

[33] L’avocat de l’appelante n’est pas non plus d’accord avec l’affirmation de l’intimée selon laquelle les deux plaintes sont semblables. Deux des trois incidents allégués ne sont pas dans la plainte déposée auprès de l’employeur. L’appelante répète le rôle important de contrôle de l’employeur au titre du régime, avis qui est soutenu par les termes utilisés par la CAF dans la décision AFPC 2 au par. 33 :

[...] le Règlement ne peut avoir eu comme objectif d’obliger les employeurs à nommer une personne compétente pour faire enquête sur chaque plainte dès que l’employé la désigne comme portant sur la violence dans le lieu de travail. Ceci banaliserait sans doute les droits et devoirs importants à la partie XX du Règlement.

[34] Finalement, l’appelante répète le fait que le libellé de la plainte interne et celui de la plainte subséquente déposée auprès du Programme du travail sont très différents. Deux des incidents allégués auxquels se reporte la décision de Mme Sacco n’apparaissent pas dans la première plainte. L’employeur était donc limité dans son « rôle de contrôleur » et aurait pu mieux déterminer si une « personne compétente » avait besoin d’être nommée s’il avait été informé de toutes les allégations préalablement.

Analyse

[35] Les dispositions du Code et du Règlement qui sont pertinentes dans le cadre du présent appel sont les suivantes :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :
[...]

  • (z.16) de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail;

20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.

20.3 L’employeur élabore et affiche dans un lieu accessible à tous les employés une politique de prévention de la violence dans le lieu de travail qui fait notamment état de ses obligations, dont les suivantes :

  • a. offrir un lieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence;
  • b. affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail;
  • c. communiquer aux employés les renseignements en sa possession au sujet de ces facteurs; d. aider les employés qui ont été exposés à la violence dans le lieu de travail.

20.9(1) Au présent article, personne compétente s’entend de toute personne qui, à la fois :

  • a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;
  • b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;
  • c) connaît les textes législatifs applicables.

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dès que possible.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication et qui ne relève pas l’identité de personnes sans leur consentement.

[Soulignement ajouté]

[36] L’appelante a interjeté appel de l’instruction en vertu du paragraphe 146(1) du Code :

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par le ministre sous le régime de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.

[37] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’instruction est bien fondée et l’appel est rejeté.

[38] L’essentiel de la question soulevée par le présent appel est de savoir s’il est évident que la plainte déposée par M. Virdee ne porte pas sur la violence dans le lieu de travail comme ce terme est défini à l’article 20.2 du Règlement.

[39] Cette formulation de la question, que les parties appellent le « critère du caractère évident », provient, comme il est précédemment indiqué, d’un jugement de la Cour fédérale (CF) dans la décision AFPC 1. Dans cette affaire, un plaignant a présenté une plainte de violence dans le lieu de travail dans laquelle il soulevait des allégations de mauvaise communication, de favoritisme, d’humiliation, de traitement injuste et de manque de respect de la part de son superviseur qui ne diffèrent guère des allégations de M. Virdee dans la présente affaire. La plainte présentée par l’employé dans cette affaire ne portait pas précisément sur la « violence dans le lieu de travail » ni n’était considérée comme une plainte de violence dans le lieu de travail aux termes du Règlement. L’employeur, l’ACIA, a mené un examen initial des allégations et a conclu que même s’il y avait des problèmes de communications et de tensions non réglées entre le plaignant et son superviseur, il n’y avait aucune preuve de harcèlement, de sorte qu’une enquête plus poussée n’était pas nécessaire. Une agente de santé et de sécurité est arrivée à une autre conclusion et a émis une instruction à l’employeur pour nommer une « personne compétente » comme l’exige le paragraphe 20.9(3) du Règlement. L’employeur a porté en appel l’instruction et l’agent d’appel a annulé l’instruction, aux motifs que l’allégation de harcèlement portée par l’employé envers son superviseur ne respectait pas la définition de « violence dans le lieu de travail » et, par conséquent, l’employeur n’était pas obligé de nommer une « personne compétente ».

[40] L’agent d’appel a tiré deux conclusions fondamentales dans son analyse. Premièrement, il soutenait que les allégations de favoritisme, d’humiliation et de comportement irrespectueux de l’employé ne respectaient pas la définition de violence dans le lieu de travail, puisqu’il trouvait que les allégations ne pouvaient pas vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. Deuxièmement, il a conclu qu’une interprétation raisonnable du Règlement soutient le fait que c’est à l’employeur que revient la responsabilité de prendre la décision initiale de déterminer si l’allégation de violence dans le lieu de travail de l’employé s’avère fondée, comme l’a fait l’employeur dans cette affaire, pour prévenir des situations d’abus où toutes les allégations de violence dans le lieu de travail mèneraient à la nomination d’une personne compétente.

[41] La CF n’était pas d’accord avec les deux conclusions de l’agent d’appel et a exprimé l’avis que le harcèlement peut constituer de la violence dans le lieu de travail, selon les circonstances de chaque cas. Aux paragraphes 28 et 29, la CF a indiqué ce qui suit :

[28] […] Le libellé « tout agissement, comportement [...] ou geste » d’une personne à l’égard d’un employé « qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage [...] ou une maladie » est suffisamment vaste dans son sens simple et ordinaire pour comprendre les gestes de harcèlement d’une personne qui causent un dommage mental ou psychologique ou une maladie. [...]

[29] Par conséquent, le harcèlement comme celui qu’a subi l’employé en l’espèce peut constituer de la violence dans le lieu de travail si, au terme d’une enquête faite par une personne compétente, il est déterminé que le harcèlement comprend des agissements, un comportement ou des gestes qui pourraient vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. À mon avis, l’intimidation psychologique peut constituer au fil du temps une des pires formes de dommage qui puissent être infligées à une personne.

[Soulignement ajouté]

[42] La CF poursuit en soulignant l’importance du « déclenchement » des obligations de l’employeur en vertu de l’article 20.9. Un employeur doit être informé de la violence dans le lieu de travail ou de la violence alléguée dans le lieu de travail pour que l’enquête soit déclenchée. La CF indique par la suite l’origine du « critère du caractère évident » :

[36] Toutefois, si l’employeur ne peut supposer que toutes les plaintes de violence dans le lieu de travail alléguée doivent faire l’objet d’une enquête conformément à la partie XX du Règlement, et il serait irréaliste de traiter chaque plainte comme une allégation de violence dans le lieu de travail, il est évident que l’évaluation préliminaire faite par l’employeur doit se résumer à l’examen des faits, dans une tentative de résoudre le différend avec l’employé et de faciliter la médiation, le cas échéant, conformément au paragraphe 20.9(2) de la partie XX du Règlement.

[37] Si l’examen des faits initial ne permet pas de résoudre le différend et que l’allégation de violence dans le lieu de travail demeure une question en litige entre l’employeur et l’employé, à moins qu’il ne soit évident que la plainte ne concerne pas une situation de violence dans le lieu de travail, l’employeur a l’obligation impérative, sous le régime du paragraphe 20.9(3), de nommer une personne compétente, au sens du paragraphe 20.9(1) de la partie XX du Règlement, pour faire enquête.

[Soulignement ajouté]

[43] Après avoir indiqué ce qui précède, la CF a conclu au paragraphe 39 que l’employeur a non seulement procédé à un exercice d’évaluation préliminaire et d’examen des faits « pour déterminer la nature de la plainte et tenter de faciliter la médiation », mais il a aussi procédé à une enquête complète sur la plainte, à titre de « personne compétente » en vertu du paragraphe 20.9(3).

[44] Le terme « évident » ne se trouve pas dans le Règlement et de ce fait, mon travail n’est pas d’interpréter ce terme comme on le ferait en utilisant les règles acceptées d’interprétation juridique. Mon travail est plutôt d’essayer de trouver ce que la CF avait en tête lorsqu’elle a fait une telle déclaration. Je crois qu’en essayant de faire cela, je dois me reporter aux libellés du Code et du Règlement, ainsi qu’à leur objectif.

[45] Je déduis de l’analyse précédente que toute enquête importante sur les faits allégués dans la plainte devrait être menée par une « personne compétente » nommée en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement si l’allégation de violence dans le lieu de travail n’est pas réglée lors de l’évaluation préliminaire et qu’il reste un problème en suspens entre les parties. Une telle enquête importante comprend, selon moi, une évaluation du contexte dans lequel les faits se sont produits, de l’occurrence réelle ou non des faits, de la crédibilité des personnes impliquées comme elle peut être requise pour tirer des conclusions de fait, etc. En d’autres mots, l’appelante soutient que ce type d’enquête peut être menée de façon appropriée par l’employeur à l’étape préliminaire et elle m’exhorte à mener une telle enquête dans le présent appel. Selon moi, cette approche n’est pas soutenue par la jurisprudence et elle n’est pas une interprétation juste du régime prévu à la partie XX du Règlement.

[46] En lisant les termes de la CF et en tenant compte de toute son analyse, je conclus que le « critère du caractère évident » ne sert qu’à comprendre la nature de la plainte et des allégations, et de les régler, rien de plus. Avec tout le respect que je lui dois, je ne souscris pas aux observations de l’appelante selon lesquelles l’examen initial peut être décrit comme du « filtrage » ou du « contrôle » pour évaluer la validité ou la crédibilité des allégations avant de procéder à une enquête par une « personne compétente ».

[47] Je souscris à la conclusion de l’agent d’appel dans la décision Seaspan Marine concernant l’objectif et le cadre serré du pouvoir d’examen de l’employeur relativement à des plaintes de violence dans le lieu de travail, aux paragraphes 47 à 49 de sa décision :

[47] Après avoir lu cette décision [AFPC c. Canada (Procureur général (CAF))], je conclus que le règlement ne permet pas aux employeurs sous réglementation fédérale qui ont connaissance d’allégations de violence dans le lieu de travail de mener leur propre enquête sur la situation et de déterminer si un incident de violence s’est produit ou non. Cette tâche incombe exclusivement à une personne compétente, au sens donné à cette expression dans le règlement.

[48] L’employeur est toutefois autorisé à effectuer un examen préliminaire de la plainte dans le but de régler la situation. Si l’employeur ne règle pas la situation, il doit nommer une personne compétente afin d’enquêter sur les allégations, sauf s’il est évident que celles-ci ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail.

[49] En l’espèce, je conclus que, contrairement à ce que l’appelante a fait valoir, ni l’employeur ni le délégué ministériel ne pouvaient mener une enquête officielle sur la plainte de M. Hoey. Je conclus également qu’on ne peut pas dire qu’il est évident que les allégations de M. Hoey ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail, au sens du règlement. Selon le témoignage de M. Hoey, celui-ci s’est senti menacé et intimidé par le comportement de son supérieur. À mon avis, il est plausible qu’une personne compétente ayant enquêté sur tous les faits puisse conclure que le comportement du capitaine ce jour-là équivalait à de la violence dans le lieu de travail.

[48] Avant que la CF rende son jugement, j'ai instruit un appel qui soulevait essentiellement le même type de questions que celles discutées en l’espèce. Dans la décision VIA Rail Canada Inc. c. Cecile Mulhern et Unifor, 2014 TSSTC 3, j’ai souscrit à l’avis de l’employeur, comme l’a fait l’agent d’appel dans la décision qui a été infirmée par la CF, selon lequel une évaluation des faits et des circonstances qui appuient l’allégation de violence dans le lieu de travail par l’employeur, puis au besoin, par le délégué ministériel, était requise avant que l’obligation de nommer une « personne compétente » ne s’applique. Un tel examen préliminaire permet de déterminer, selon moi, si le comportement allégué peut vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie. En d’autres mots, j’ai émis l’opinion que seules les plaintes alléguant de la violence dans le lieu de travail et qui établissaient prima facie l’occurrence de violence entraînaient l’application de l’obligation de recourir à une « personne compétente » pour mener une enquête et de faire des recommandations à l’employeur qui traiteraient de mesures individuelles et systémiques à mettre en place. J’étais, bien sûr, préoccupé par une interprétation qui nécessiterait que chaque plainte alléguant simplement de la violence dans le lieu de travail fasse l’objet d’une enquête par un tiers convenu par les parties, et la possibilité d’abus et de conflit avec d’autres mesures prévues par des lois ou des politiques fédérales.

[49] Il est évident que mon analyse ne s’applique plus compte tenu de la décision AFPC 1. De plus, ce jugement a été confirmé en appel, dans la décision AFPC 2 et l’analyse que j’ai proposée dans la décision Via Rail Canada a été explicitement abordée par la CAF et elle n’a pas été approuvée par la Cour. Je passe maintenant au jugement de la CAF.

[50] Après avoir résumé les faits importants, la CAF a décrit de façon assez approfondie le régime prévu à la partie XX et a circonscrit la question en l’espèce de la façon suivante : la conclusion de l’agent d’appel selon laquelle les employeurs pouvaient filtrer les plaintes qu’ils considèrent comme de la violence dans le lieu de travail est-elle raisonnable compte tenu de ce régime? Au paragraphe 22, la CAF indique ce qui suit :

[22][...] La seule question qu’il reste à trancher consiste donc à savoir si l’employeur pouvait lui-même conclure que la plainte de l’employé n’a pas créé l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête.

[51] La CAF répète l’objectif de la partie XX du Règlement de la façon suivante, au paragraphe 31 :

[31] Le Règlement a manifestement pour objectif de prévenir les accidents et les préjudices à la santé dans les lieux de travail et de protéger les employés victimes de violence dans le lieu de travail, quelle qu’en soit la forme. La nomination d’une personne compétente, c’est à dire une personne qui est impartiale et qui est considérée comme telle par les parties, est une mesure de sauvegarde importante pour assurer la réalisation de cet objectif. Tout comme l’intimée, je crois que le fait de permettre aux employeurs de mener leurs propres enquêtes à la suite de plaintes de violence dans le lieu de travail et d’établir eux mêmes si ces plaintes méritent ou non de faire l’objet d’une enquête par une personne compétente tournerait en dérision le régime réglementaire et aurait pour effet d’invalider le droit de l’employé à une enquête impartiale sur sa plainte en vue de prévenir d’autres incidents violents.

[52] La CAF poursuit plus en détail et reconnaît qu’il peut y avoir des risques d’abus et que l’objectif du Règlement ne pouvait pas être d’obliger les employeurs à nommer une « personne compétente » pour faire enquête sur chaque plainte dès que l’employé la désigne comme portant sur la violence dans le lieu de travail, puisque les droits importants prévus à la partie XX seraient banalisés.

[33] […] Même si le Règlement n’accorde pas expressément aux employeurs le pouvoir de mener leurs propres enquêtes avant de nommer une « personne compétente », ceux-ci peuvent certainement passer en revue une plainte en vue d’établir si, à première vue, elle correspond à la définition de violence dans le lieu de travail au titre de l’article 20.2 du Règlement.

[34] Je suis d’accord avec le juge de première instance que le seuil devrait être très bas, et qu’un employeur a le devoir de nommer une personne compétente pour faire enquête sur la plainte si la question est non résolue, à moins qu’il soit évident que les allégations ne portent pas sur la violence dans le lieu de travail, même en admettant qu’elles soient vraies. L’employeur a très peu de pouvoir discrétionnaire à cet égard. Si l’employeur choisit de procéder à un examen préliminaire de la plainte (ou à ce qu’il appelle la recherche des faits), ce processus devra alors s’opérer dans ce cadre serré et avec pour but de résoudre la question avec le plaignant de façon informelle. Toute enquête en bonne et due forme doit être laissée à une personne compétente choisie par les deux parties et possédant des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine.

[Soulignement ajouté]

[53] La CAF conclut ainsi :

[35] En l’espèce, il n’est pas évident que les faits, tels qu’ils sont rapportés, n’équivalent pas à de la violence dans le lieu de travail. La plainte n’était pas manifestement vexatoire ou frivole, et il ne revenait pas à l’employeur de décider si tôt, sans même rencontrer l’employé, si le comportement particulier allégué était suffisamment grave dans les circonstances pour constituer de la violence dans le lieu de travail. Seule une personne compétente qui comprend toutes les circonstances après avoir fait l’enquête visée au paragraphe 20.9(3) peut tirer une telle conclusion.

[38] [...] Ce n’est pas une réponse que d’affirmer, comme le fait l’appelant, que l’agent d’appel a mené une audience de novo et qu’il n’était pas lié par l’enquête initiale de l’employeur. L’agent d’appel ne peut passer outre au processus mis en place par le Règlement et établir lui même s’il y a eu violence dans le lieu de travail; il revient préférablement à la personne compétente, au sens du Règlement, de tirer une telle conclusion, étant donné qu’elle doit reposer sur une enquête qui a mis au jour toute la preuve pertinente.

[Soulignement ajouté]

[54] L’utilisation de termes aussi catégoriques fournit, selon moi, une réponse définitive au présent appel. Elle soutient ma conclusion selon laquelle le terme « évident » utilisé par le juge Manson de la CF et le juge De Montigny de la CAF devrait recevoir une connotation très restrictive. L’utilisation des termes « vexatoire et frivole » par la CAF indique que la Cour est d’avis que le seuil pour nommer une « personne compétente » est très bas, semblable à un abus de processus par un employé, et les cas marginaux devraient être tranchés de préférence en faveur de la nomination d’une telle personne. Le but de nommer une « personne compétente » est d’avoir un expert dans ce domaine, et non pas l’employeur, le délégué ministériel ou l’agent d’appel, pour tirer les conclusions factuelles nécessaires. Le processus sert l’objectif de prévention et d’acceptabilité du résultat par les parties impliquées, que l’article 20.9 cherche à atteindre. L’examen préliminaire ne sert qu’à mieux comprendre la plainte et à la régler.

[55] Appliquant cette approche aux circonstances du présent appel, je me reporte à la plainte interne présentée par M. Virdee pour informer son employeur de la violence dans le lieu de travail. M. Virdee a donné le titre : « Plainte de violence dans le lieu de travail ». Il y a des références directes à des situations de violence dans le lieu de travail, telles que :

[traduction] Je suis victime de harcèlement au travail et on ne veut pas que je réussisse. […] [page 1, en référence à son allégation selon laquelle les occasions pour faire des heures supplémentaires lui ont été refusées et l’employeur ne respecte plus l’entente selon laquelle il peut utiliser le code 699 pour les absences, et relativement à ses absences répétées]

J’ai ressenti tellement de douleur et d’anxiété, et j’avais toujours peur que des mesures disciplinaires me soient imposées pour quelque chose sur lequel je n’ai aucun contrôle […] [page 3]

Le directeur m’a dit, d’une voix menaçante, lors d’une conversation, que les mesures d’accommodement d’autres personnes ne sont pas de mes affaires [...] On m’intimide et me harcèle pour que je prenne un congé de maladie de longue durée et mentalement, les menaces m’accablent […] [page 3]

[…] Je ne tolérerai pas d’être menacé, intimé et harcelé et qu’on ne me permette pas de réussir dans le lieu de travail, en particulier lorsque je n’ai rien fait de mal [page 3]

Mon employeur m’a causé des dommages psychologiques alors que je suis une personne dont les capacités physiques et mentales sont déjà amoindries […] [page 4].

[Soulignement ajouté]

[56] M. Virdee a clairement indiqué son allégation de violence dans le lieu de travail sous le titre « violence intentionnelle dans le lieu de travail » à la page 5 de sa plainte. Il indique que l’employeur lui a intentionnellement causé un préjudice, en particulier relativement au rajustement de son bureau, qui s’est étalé sur une période de trois ans, situation dont l’employeur savait, selon lui, qu’elle lui causait des souffrances et de la détresse. Il décrit un incident lors duquel Mme Pinsent a élevé la voix contre lui dans un excès de colère. De façon générale, il allègue être victime de harcèlement et d’intimidation. Sa plainte porte également sur les effets de l’intimidation sur sa santé. Il a notamment eu des crises de panique et vécu de la peur et du stress. La note de médecin déposée comme preuve corrobore ces symptômes.

[57] Selon moi, il est loin d’être évident qu’aucune conclusion de violence ne pourrait être tirée de l’enquête sur ces allégations, et il est tout à fait plausible qu’une « personne compétente » tire une telle conclusion.

[58] Quant à la plainte déposée auprès d’EDSC, je ne partage pas l’avis de l’appelante qu’il s’agit d’une toute nouvelle plainte. J’ai lu attentivement les deux plaintes, comme me l’a exhorté l’appelante. Dans l’ensemble, l’idée directrice des deux allégations est la même dans les deux plaintes. Les mots utilisés pour décrire le fondement de ses allégations de violence sont peut-être différents, mais les allégations se résument au fait que M. Virdee sentait que les représentants de l’employeur l’avaient traité intentionnellement de façon injuste dans la manière qu’ils ont traité ses problèmes d’accommodement et par les mots qu’ils utilisaient à son égard dans ce contexte en faisant fi de sa vulnérabilité et de son état de santé. En outre, l’employeur lui causait délibérément un préjudice et le bouleversait du fait de ces actes. Selon moi, la plainte auprès d’EDSC ne modifie pas de façon importante la nature des allégations originales de M. Virdee.

[59] En résumé, j’estime que les plaintes de M. Virdee portent sur la violence dans le lieu de travail selon ma compréhension des mots de la CAF. Lues dans leur ensemble, les deux plaintes allèguent principalement que, dans le contexte des discussions portant sur les accommodements requis en raison de son accident, l’employeur isole M. Virdee en le traitant différemment, fait preuve de négligence et retarde le traitement des besoins en accommodement, sachant que M. Virdee éprouve des douleurs, et en remettant en question son intégrité relativement aux notes de médecin et aux absences alors que l’employeur sait que l’état physique et mental de M. Virdee est particulièrement vulnérable.

[60] Il est évident que ce ne sont que des allégations qui n’ont pas été confirmées. Cependant, la question à cette étape-ci est de savoir si elles sont frivoles ou vexatoires, et si elles ne peuvent pas clairement permettre de conclure à de la violence telle que définie à l’article 20.2 du Règlement. Ayant entendu la preuve de M. Virdee à l’audience, je n’ai aucune raison de conclure qu’il n’est pas sincère en croyant qu’il était traité de façon inappropriée par son employeur. De nombreux courriels échangés entre les parties au moment des événements faisant l’objet des plaintes corroborent la description de M. Virdee de sa réaction à de tels événements. Son interprétation des actes de l’employeur peut être correcte, ou il peut totalement avoir tort. L’objectif du régime de la partie XX est précisément d’avoir une « personne compétente », une personne considérée comme impartiale par les parties et qui utilise ses compétences et connaissances dans ce domaine, pour évaluer tous les éléments de preuve et tirer des conclusions, selon une norme objective, et pour déterminer s’il y a eu violence dans le lieu de travail sur le fond et faire des recommandations, le cas échéant. Comme la CF l’indique dans la décision Pronovost c. Canada (Agence du revenu), 2017 CF 1077, au paragraphe 21 :

Un dernier point : il ne faut surtout pas banaliser le harcèlement et la violence en milieu de travail. Comme l’a reconnu cette Cour dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CF 1066 au paragraphe 29, « l’intimidation psychologique peut constituer au fil du temps une des pires formes de dommage qui puissent être infligées à une personne ». Naturellement, l’expérience et les qualifications des personnes compétentes nommées pour faire enquête participent à créer le niveau de confiance requis du côté de la direction et des employés. Une bonne sensibilisation à la problématique complexe du harcèlement et de ses composantes pernicieuses va de soi. Aussi, on peut se demander comment l’enquêteur – dont le curriculum vitæ n’a jamais été fourni à la demanderesse – pouvait écarter, au terme d’une enquête somme toute très sommaire, le préjudice psychologique subi par la demanderesse en raison des actes de violence et/ou de harcèlement allégués, en se fondant sur la fragilité émotionnelle de la demanderesse, alors qu’il n’avait, semble-t-il, aucune expertise médicale ou qualifications particulières pour donner cette opinion.

[61] Si les allégations dans l’affaire examinée par les Cours indiquées précédemment ont été jugées comme n’étant pas clairement exclues de la portée de l’article 20.9, alors a fortiori , les allégations de M. Virdee sont légèrement plus explicites et portent directement, selon moi, sur la violence dans le lieu de travail. Dans la mesure où plus de détails auraient pu être fournis pour aider l’employeur à comprendre les allégations, ils auraient servi uniquement à aider l’employeur à régler éventuellement la situation aux termes du paragraphe 20.9(2). À défaut, la nomination d’une « personne compétente » était obligatoire dans les circonstances.

[62] Selon ma conclusion, il n’est pas nécessaire de répondre à la question liée à l’équité procédurale soulevée par l’employeur. Je mentionnerai simplement que le Code et le Règlement imposent clairement des restrictions sur la confidentialité des plaintes de cette nature. La CAF a, en fait, souligné l’importance de ces mesures de sécurité dans son jugement. Le rôle du délégué ministériel est de mener une enquête, de recueillir des faits et des renseignements et de déterminer si une disposition du Code a été violée. Cette tâche constitue une inspection. Il ne s’agit pas d’une tâche quasi judiciaire et elle n’est pas assujettie aux types de garanties procédurales soulevées par l’appelante. Une instruction émise après une telle enquête peut être portée en appel. La preuve qui m’est présentée établit que bien que l’employeur n’ait pas reçu de copie de la plainte reçue par EDSC, son contenu a été révélé et traité dans le cadre de la téléconférence. De plus, l’appel étant une procédure de novo, l’appelante a obtenu une copie et elle a eu l’occasion, au cours des quatre jours d’audience, de présenter une preuve et des observations.

Décision

[63] Pour les motifs susmentionnés, l’instruction est confirmée.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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