2020 TSSTC 6

Date : 2020-09-21

Dossier : 2018-38

Entre :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, appelante

et

Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l'énergie, des services et industries connexes, intimée

Indexé sous : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Syndicat des travailleurs unis de la métallurgie

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l'encontre d'une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

Décision:  : L'instruction est confirmée.

Décision rendue par : M. Peter Stranhlendorf, agent d'appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l'appelante : Me Andy Pushalik, Dentons Canada LLP

Pour l'intimée : Mes Robert Healey et Cathy Braker, service juridique du Syndicat des travailleur unis de la métallurgie

Référence : 2020 TSSTC 6

Motifs de décision

[1] Les motifs de la présente décision portent sur un appel interjeté par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN ou l'employeur) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d'une instruction émise le 19 octobre 2018 par Mme Michelle Sterling, en qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (déléguée ministérielle) d'Emploi et Développement social Canada (EDSC). L'instruction a été émise en vertu du paragraphe 141(1) du Code, à la suite d'une enquête menée par la déléguée ministérielle sur une plainte concernant la violence dans le lieu de travail.

[2] La plaignante était une employée auprès du CN, une société de compétence fédérale en matière de santé et sécurité au travail. Elle a allégué qu'un collègue de travail avait adopté un comportement violent à son égard dans le lieu de travail. En vertu du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) adopté en vertu du Code, l'employeur doit nommer un enquêteur pour faire enquête sur les allégations. L'enquêteur doit être une « personne compétente » pour mener l'enquête. Selon la définition du terme « compétence », retrouvée au Règlement, la personne doit être impartiale et être considérée comme telle par les parties dans le lieu de travail.

[3] La plaignante a rejeté 13 enquêteurs proposés par l'employeur. Ces 13 personnes étaient toutes des employées de l'employeur. La déléguée ministérielle a émis une instruction qui ordonnait à l'employeur de présenter une liste d'enquêteurs potentiels qui ne sont pas à son emploi.

[4] L'employeur interjette appel à l'encontre de cette instruction, soutenant que le rejet de tous les enquêteurs qu'il a proposés constituait un abus de droit de la part de la plaignante et que la déléguée ministérielle avait commis une erreur dans sa décision d'émettre cette instruction. L'intimé estime que l'instruction devrait être confirmée. Il ne s'agit pas de déterminer si, ou comment, la plaignante aurait été victime de violence au travail. Les parties estiment qu'il s'agit d'une affaire de nature procédurale. Le litige est axé sur l'exigence que la personne nommée aux fins de l'enquête dans le lieu de travail soit « compétente », et plus particulièrement sur l'exigence d'impartialité de l'enquêteur nommé.

[5] L'appelante a demandé que les détails concernant la plainte pour violence dans le lieu de travail ainsi que le nom de l'auteur présumé de la violence restent confidentiels. Selon l'appelante, les allégations pourraient causer un préjudice important à l'auteur présumé de la violence, qui n'est pas partie au présent appel et n'a pas eu la possibilité de contester la version des faits donnée par la plaignante.

[6] L'appelante soutient que le principe de la publicité des débats judiciaires ne serait pas remis en cause si le nom de l'auteur présumé de la violence restait confidentiel, car les détails des allégations ne sont pas pertinents puisque le présent appel porte sur la procédure et non sur la question de savoir s'il y a eu violence.

[7] L'intimé ne s'oppose pas à ce que le nom de l'auteur présumé de la violence reste confidentiel, mais insiste pour que le nom de la plaignante le soit également, au motif que les recherches révèlent que les femmes qui allèguent avoir été victimes de harcèlement ou de violence dans le lieu de travail en subissent souvent des répercussions importantes. L'intimé souligne que la plaignante a déjà connu de telles répercussions.

[8] En ce qui concerne la demande de l'employeur que les détails des allégations de violence dans le lieu de travail restent confidentiels, l'intimé déclare que si sa préoccupation concerne la réputation de l'employeur, cette préoccupation ne constitue pas un motif légitime pour accorder une ordonnance de confidentialité.

[9] Bien que les audiences d'appel soient normalement ouvertes au public, un agent d'appel a le pouvoir d'émettre une ordonnance de mise sous scellés ou une ordonnance de confidentialité. Le critère de confidentialité que l'on l'appelle communément le critère « Dagenais/Mentuck » a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, au paragraphe 26. Une ordonnance limitant le principe de la publicité des débats judiciaires ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l'absence d'autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l'accusé à un procès public et équitable, et sur l'efficacité de l'administration de la justice.

[10] Cette question ne peut pas être réglée par l'accord des parties puisqu'elle concerne l'intérêt du public dans l'administration de la justice.

[11] J'estime qu'il est approprié, dans les circonstances de l'espèce, de rendre anonymes les noms des 2 employés impliqués dans la plainte. En conséquence, la plaignante sera appelée Mme Y et l'auteur présumé de la violence sera appelé M. X.

[12] En ce qui concerne les détails des allégations de la plaignante, j'estime que les préoccupations soulevées par l'appelante ne l'emportent pas sur l'intérêt public de la population à la tenue d'une audience publique. L'une des nombreuses fonctions de la jurisprudence dans un système juridique est l'éducation. La violence dans le lieu de travail n'était pas considérée comme un problème de santé et de sécurité au travail (SST) il y a plusieurs décennies. Les temps évoluent. Il est cependant probable qu'il y ait encore beaucoup de malentendus sur la nature et l'importance de la violence dans le lieu de travail. Il est important que les observateurs aient la possibilité d'évaluer ce qui pourrait constituer de la violence dans le lieu de travail et de comprendre la gravité du risque que peut représenter cette violence. Je ne suis donc pas convaincu qu'une ordonnance de confidentialité soit nécessaire en ce qui concerne les détails des allégations de la plaignante.

Contexte

[13] Mme Y a commencé à travailler pour le CN au début de 2016. Mme Y et M. X étaient tous 2 membres du même syndicat, et tous 2 travaillaient à la remise d'outillage du CN à Brantford, en Ontario. Tous 2 étaient soudeurs. Comme M. X n'était pas membre de la direction, Mme Y lui faisait rapport en tant que contremaître.

[14] En plus de proférer des commentaires négatifs et dénigrants, ainsi que des jurons, M. X aurait jeté des outils et claqué des portes de camion. Cela aurait créé un environnement de travail dangereux pour Mme Y. Un rapport sur un tel comportement présumé semblerait, à première vue, correspondre à la définition de la violence au travail, et donc devrait déclencher une réaction de la part de l'employeur.

[15] Le 19 avril 2018, Mme Y a appelé Mme Jessica-Anne Smith (Mme J-A Smith), responsable des ressources humaines du CN, dans l'intention de dénoncer la conduite de M. X. Mme J-A Smith n'était pas disponible, et Mme Y lui a laissé un message.

[16] Le lendemain, Mme Y s'est plainte auprès de son supérieur, M. Lawrence Clark, du comportement de M. X. Plus tard dans la journée, elle a rencontré M. Clark et le directeur général, M. Ben McRae, pour discuter de sa plainte. Selon le témoignage de Mme Y, elle a quitté cette réunion avec le sentiment que ni M. Clark ni M. McRae ne prenaient sa plainte au sérieux. Elle a eu le sentiment qu'ils mettaient en doute son intégrité et elle a eu le sentiment d'avoir fait [traduction] « quelque chose de mal » en se plaignant.

[17] Le 20 avril 2018 également, Mme J-A Smith a rendu son appel du 19 avril. Mme Y a décrit le comportement de M. X. Mme J-A Smith lui a demandé de déposer sa plainte par écrit et de la lui envoyer.

[18] Le 23 avril 2018, Mme Y a envoyé par courriel sa plainte à Mme J-A Smith, déclarant qu'elle avait fait l'objet d'un incident de violence au travail. Elle a indiqué qu'elle avait le sentiment que M. Clark et M. McRae n'avaient pas pris sa plainte au sérieux et qu'ils lui avaient fait sentir qu'elle avait [traduction] « fait quelque chose de mal en soulevant la question » avec eux.

[19] Le 23 avril 2018 également, Mme Y a demandé à M. Clark de la retirer du lieu de travail de Brantford et de l'affecter ailleurs, car elle ne voulait pas travailler avec M. X. Sa demande a été rejetée et Mme Y est retournée sur le lieu de travail de Brantford.

[20] Mme J-A Smith a nommé M. McRae pour enquêter sur cette affaire. Le 27 avril 2018, Mme Y a été convoquée à une réunion avec M. Clark et M. X, à laquelle M. McRae a participé par téléphone. Mme Y a été informée par M. McRae que : 1) M. X a nié avoir été agressif avec elle; 2) M. McRae ne croyait pas que le comportement de M. X constituait de la violence au travail; 3) Mme Y devrait continuer à travailler avec M. X; et 4) Mme Y devrait [traduction] « passer à autre chose », c'est-à-dire prendre un nouveau départ. En fin de compte, M. McRae n'a pas pu terminer l'enquête, car il n'a pas pu rencontrer Mme Y, qui avait commencé un congé de maladie.

[21] Le 30 avril 2018, Mme Y a contacté la représentante des relations de travail, Mme Shelly Smith, et à la demande de cette dernière, a envoyé une copie du courriel qu'elle avait précédemment envoyé à Mme J-A Smith.

[22] Le 2 mai 2018, Mme Y a reçu une « convocation » de M. Clark pour le 4 mai. Un « avis de comparution » fait partie du processus disciplinaire du CN. Il indique que l'employeur tiendra une réunion d'enquête. L'avis a été adressé à Mme Y, M. X et 2 des collègues de Mme Y. Le lendemain, la réunion du 4 mai 2018 a été annulée par l'employeur.

[23] Le 10 mai 2018, Mme Y a été affectée à un certain secteur du lieu de travail de Brantford, car il lui est apparu que personne ne voulait travailler avec elle en raison de sa plainte. Elle se sentait isolée et ostracisée par ses collègues. Elle a été bouleversée et a appelé le programme d'aide aux familles des employés du CN. Elle a parlé avec un conseiller de crise. Elle a rencontré le conseiller le lendemain. On lui a conseillé d'aller à l'hôpital. Le médecin urgentiste de l'hôpital lui a dit qu'elle souffrait d'un traumatisme psychiatrique dû au harcèlement qu'elle avait subi dans le lieu de travail. Le médecin a dit à Mme Y de prendre 2 semaines de congé. Elle a été orientée vers un psychiatre. Mme Y est restée en arrêt de travail avec des prestations d'invalidité de courte durée jusqu'au 2 octobre 2018.

[24] Le 15 juillet 2018, Mme Y a déposé une plainte auprès d'ESDC, alléguant qu'elle avait été victime de violence au travail et que son employeur n'avait pas donné suite à sa plainte.

[25] Le 1er août 2018, la déléguée ministérielle Sterling a informé l'appelante que Mme Y ne considérait pas M. McRae comme impartial, et l'a donc rejeté en tant que personne compétente aux fins de l'enquête sur sa plainte. La déléguée ministérielle Sterling a demandé à l'appelante de fournir des noms supplémentaires d'enquêteurs possibles.

[26] Le 31 août 2018, l'appelante a proposé 2 nouvelles personnes qu'elle croyait pouvoir être des enquêteurs compétents, M. John Abernot et M. Eric Laframboise. Ces 2 personnes sont des superviseurs dans d'autres sites du CN en Ontario.

[27] Le 6 septembre 2018, la plaignante a informé la déléguée ministérielle Sterling qu'elle rejetait les 2 personnes proposées comme personnes compétentes pour enquêter. La plaignante ne croyait pas que les employés du CN pouvaient être des enquêteurs impartiaux.

[28] Le 12 septembre 2018, la plaignante a demandé à la déléguée ministérielle qu'une personne extérieure au CN soit nommée enquêteur. Le 13 septembre 2018, la déléguée ministérielle a informé Mme J-A Smith que Mme Y avait rejeté M. Abernot et M. Laframboise parce qu'elle ne les croyait pas impartiaux.

[29] L'appelante a ensuite proposé 10 personnes supplémentaires, qui étaient toutes des employés du CN, et qui semblaient toutes occuper un poste de direction ou de supervision. Cependant, aucune d'entre elles ne travaillait avec Mme Y ou M. X. Quatre des 10 personnes étaient situées en Nouvelle-Écosse ou en Colombie-Britannique.

[30] La déléguée ministérielle Sterling a fourni la liste de l'appelante à Mme Y le 1er octobre 2018. Dans les 3 heures qui ont suivi, Mme Y a informé la déléguée ministérielle Sterling qu'elle rejetait les 10 personnes au motif qu'elle pensait qu'elles ne seraient pas des enquêteurs impartiaux. Mme Y a indiqué à la déléguée ministérielle Sterling qu'elle voulait un enquêteur externe au CN.

[31] Le 5 octobre 2018, la déléguée ministérielle Sterling a demandé à l'appelante de fournir les noms des enquêteurs proposés en dehors du CN. La déléguée ministérielle Sterling a donné à l'appelante la date limite du 12 octobre 2018. Le CN n'a pas fourni de noms en réponse.

[32] Le 19 octobre 2018, la déléguée ministérielle Sterling a émis une instruction en vertu de l'alinéa 141(1)a) du Code exigeant que l'appelante propose des enquêteurs qui n'étaient pas des employés du CN.

[33] La partie pertinente de l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling est la suivante :

[traduction] [...] mener une « enquiry » (vérification), sur les personnes potentiellement compétentes qui ne sont pas des employés de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et qui répondent aux exigences des alinéas 20.9(1)b) et c) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, et fournir une liste de ces personnes potentiellement compétentes au plaignant, au plus tard le 19 novembre 2018.

[34] Le 19 novembre 2018, l'appelante a interjeté appel de cette instruction auprès du Tribunal de santé et de sécurité au travail Canada (le Tribunal). L'audience s'est tenue devant moi en juin 2019 à Toronto.

Questions en litige

[35] Selon les parties, l'appel soulève les questions suivantes :

  • L'instruction doit-elle être annulée parce que la plaignante a abusé de la procédure en rejetant tous les enquêteurs proposés par l'employeur ?
  • La déléguée ministérielle a-t-elle commis une erreur en donnant l'instruction de fournir des candidats extérieurs à l'organisation du CN et n'a donc pas donné au CN la possibilité de proposer d'autres candidats internes?

[36] Comme nous le verrons, une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) du Code n'est pas ce que l'on appelle communément une instruction de contravention. L'instruction de la déléguée ministérielle Sterling du 19 octobre 2018 n'exigeait pas expressément que l'appelante se conforme au Règlement. Par conséquent, à mon avis, le présent appel soulève une question supplémentaire qui doit d'abord être traitée. Cette question est liée à la nature d'une instruction au titre du paragraphe 141(1) et peut être résumée comme suit : la question de savoir si l'instruction relevait de l'autorité conférée par le paragraphe 141(1) du Code et si elle était incorrecte ou erronée.

Observations des parties

Observations de l'appelante

[37] La thèse de l'appelante est que l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling devrait être annulée parce qu'elle était :

  • le résultat d'un abus de droit de la part de Mme Y; ou
  • le résultat d'une erreur de la part de la déléguée ministérielle en ce que celle-ci n'a pas donné à l'employeur la possibilité de nommer des enquêteurs internes.

[38] Au soutien de son argument d'abus de droit, l'appelante s'appuie sur la décision de l'agent d'appel Hamel dans l'affaire Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs (SCFP, locale 375), 2016 TSSTC 14 (Association des employeurs maritimes). Bien que l'agent d'appel dans la décision Association des employeurs maritimes ait formulé un critère d'« abus de droit » pour l'article 20.9 du Règlement, l'agent d'appel n'a pas constaté de refus systématique ou de refus fondé sur des facteurs abusifs. Il a été constaté que l'employé dans Association des employeurs maritimes avait des raisons de se méfier de la direction et qu'il n'abusait donc pas de ses droits en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement en rejetant 2 enquêteurs proposés comme personnes compétentes au motif qu'ils étaient des employés de la direction.

[39] En l'espèce, la thèse de l'appelante est que le rejet par Mme Y des personnes compétentes proposées est [traduction] « précisément le type d'abus de procédure contre lequel l'agent d'appel Hamel avait mis en garde ». La plaignante [traduction] « a refusé systématiquement d'accepter les enquêteurs proposés par le CN simplement parce qu'ils travaillaient pour le CN ».

[40] L'appelante a fait valoir les points suivants pour distinguer l'affaire en cause des faits de la décision Association des employeurs maritimes et établir ainsi qu'il y a eu un abus de droit de la part de Mme Y :

  • le CN a présenté un total de 13 candidats, qui ont tous été rejetés (il n'y avait que 2 candidats dans le cas de la décision Association des employeurs maritimes);
  • à l'exception de M. McRae, aucune des personnes compétentes proposées par le CN ne connaissait Mme Y, ou M. X, ni n'avait de connaissance préalable de l'affaire;
  • pour la liste des 10 candidats, Mme Y a mis moins de 3 heures pour décider qu'ils étaient tous inacceptables, le manque de considération étant le signe d'un abus systématique des droits;
  • contrairement à la décision Association des employeurs maritimes, l'auteur présumé des actes de violence, M. X, n'était pas un employé de la direction. S'agissant d'un litige entre 2 employés syndiqués, Mme Y n'avait aucune raison de croire qu'un candidat proposé par l'employeur aurait un parti pris en faveur de l'un ou l'autre;
  • contrairement à la décision Association des employeurs maritimes, il n'y avait pas d'antécédents de litiges entre l'employé et l'employeur. Il n'y avait aucune raison pour que Mme Y se méfie de la direction;
  • rien n'indique que l'une des personnes compétentes proposées était partiale ou avait préjugé de l'affaire;
  • il n'y avait aucune raison de rejeter les candidats, si ce n'est qu'ils étaient des employés du CN, et ce motif de rejet n'est pas raisonnable.

[41] En résumé, l'appelante estime que l'affaire en cause est différente à de nombreux égards de la décision Association des employeurs maritimes, dans laquelle il n'y a pas eu d'abus de droit, mais les faits de l'affaire actuelle correspondent au critère d'« abus de droit » énoncé par l'agent d'appel Hamel dans la décision Association des employeurs maritimes.

[42] L'appelante fait également valoir que le fait d'obliger les employeurs à nommer des enquêteurs externes plutôt que leurs propres employés aurait de graves effets préjudiciables sur les employeurs :

  • permettre à un employé de rejeter des candidats uniquement parce qu'ils sont des employés permettrait aux plaignants de [traduction] « tenir les employeurs en otage sous la menace de coûts déraisonnables et substantiels »;
  • le CN dispose d'un [traduction] « système solide de politiques » concernant le processus d'enquête, qui offre une [traduction] « possibilité d'encadrement » dans le cadre de laquelle des professionnels des ressources humaines et des relations de travail travaillent en étroite collaboration avec les gestionnaires sur des questions sensibles. Ce processus, et la capacité de gestion du CN, seraient compromis si [traduction] « des enquêteurs externes étaient nécessaires dans tous les cas »;
  • la confiance entre le CN et ses employés serait érodée [traduction] « si chaque enquête devait être sous-traitée »;
  • l'activité du CN est unique et compliquée. Les enquêteurs externes seraient tenus d'apprendre les affaires du CN. Les enquêtes menées par les enquêteurs internes seraient [traduction] « plus rapides et plus efficaces »;
  • le CN [traduction] « traite des milliers d'enquêtes chaque année ». Exiger que le CN [traduction] « fasse appel à un enquêteur externe pour chacune de ces enquêtes » serait prohibitif du point de vue des coûts.

[43] L'appelante conteste la position de Mme Y selon laquelle, puisque tous les candidats proposés ont reçu la même formation que M. McRae et qu'elle estimait que M. McRae n'avait pas bien traité sa plainte, elle était d'avis que tous les candidats étaient incapables de mener une enquête impartiale. L'objection de l'appelante est fondée sur les motifs suivants :

  • la plaignante a soulevé la question de la formation pour la première fois lors de l'audience;
  • la plaignante n'avait aucune information sur la formation des enquêteurs jusqu'à ce qu'elle entende un témoin à l'audience témoigner sur la formation;
  • rien n'indique que la plaignante ait déjà soulevé la question de la formation des enquêteurs auprès de la déléguée ministérielle Sterling ou de toute autre personne impliquée.

[44] Comme alternative aux arguments concernant le prétendu abus de droit de la plaignante, l'appelante soutient que la déléguée ministérielle Sterling a commis une erreur en émettant l'instruction. Comme l'appel d'une instruction est un appel de novo, le Tribunal peut modifier ou annuler une instruction en se fondant sur l'erreur de la déléguée ministérielle.

[45] L'appelante allègue que la déléguée ministérielle aurait commis une erreur en ordonnant à l'appelante de ne proposer que des enquêteurs externes, sans fournir d'autre possibilité à l'appelante. Lors de l'audience, Mme Y a déclaré qu'elle aurait pu accepter qu'un membre de l'équipe des relations de travail ou des droits de la personne du CN, ou même un membre de l'unité de négociation soit nommé à titre d'enquêteur. Le CN a clairement fait savoir à la déléguée ministérielle Sterling avant l'instruction qu'il s'opposait à un enquêteur externe, mais la déléguée ministérielle n'a jamais donné au CNR la possibilité de proposer un autre type d'enquêteur interne.

[46] Selon l'appelante, l'instruction devrait être annulée ou modifiée parce qu'il est déraisonnable d'exiger [traduction] « que les employeurs engagent les frais importants d'un enquêteur externe alors que les parties conviennent qu'un employé interne pourrait être une personne compétente ». L'appelante s'inquiétait de [traduction] « l'application future de cette législation ».

[47] En résumé, l'appelante demande que l'instruction soit annulée ou, à titre subsidiaire, modifiée [traduction] « pour refléter le fait que [Mme Y] aurait accepté un enquêteur interne et que, par conséquent, la nomination d'un enquêteur externe était inutile ».

Observations de l'intimé

[48] La position de l'intimé est que l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling devrait être maintenue car elle est conforme aux exigences du paragraphe 20.9(1) du Règlement. En outre, le rejet par Mme Y des candidats proposés par le CN était raisonnable compte tenu de la manière dont les superviseurs et les gestionnaires de l'employeur ont traité sa plainte initiale.

[49] L'intimé souligne que Mme Y a eu le sentiment d'avoir été maltraitée par M. Clark et M. McRae lors de ses premières rencontres. En particulier, la conduite de M. McRae lui a fait comprendre qu'il ne pouvait pas être impartial dans une enquête. Son raisonnement était que si M. McRae était un exemple de la manière dont les cadres du CN étaient formés pour traiter les questions de harcèlement, alors elle ne pensait pas non plus que les autres enquêteurs du CN pouvaient être impartiaux.

[50] Lors de l'audience, Mme Y a témoigné qu'elle n'aurait pas nécessairement rejeté tous les candidats internes du CN. Elle a déclaré qu'elle aurait pu envisager un candidat des services des relations de travail ou des ressources humaines du CN. Elle rejetait les superviseurs et les cadres du CN en raison du comportement de M. McRae.

[51] La thèse de l'intimé est que la déléguée ministérielle Sterling a à juste titre évalué la situation. L'intimé a cité l'analyse effectuée par la déléguée ministérielle dans sa lettre du 5 octobre 2018 à l'employeur :

[traduction] Lors de notre appel, j'ai indiqué que les parties internes du CN pouvaient être rejetées par la plaignante parce qu'elles ne répondaient pas aux critères d'impartialité. Bien que la législation n'exige pas qu'une personne compétente provienne d'une source externe, j'ai indiqué que la plaignante a le droit de déterminer si elle estime ou non que la partie proposée est impartiale et que la plaignante peut croire qu'une partie interne n'est pas considérée comme impartiale. C'est à cette époque que je vous ai remis une copie des Interprétations, politiques et guides (IPG) du Programme du travail 943-1-IPG-081 intitulés « Prévention de la violence dans le lieu de travail ». L'article 11.1 du IPG est rédigé ainsi :

Il suffit qu'une partie conteste l'impartialité de la personne proposée pour que cette personne ne puisse être nommée à titre de personne compétente. Le cas échéant, l'employeur ne peut contester l'objection soulevée par la partie en cause; il doit plutôt proposer d'autres personnes compétentes jusqu'à ce que toutes les parties estiment que l'une d'elles est acceptable, faute de quoi il contrevient à l'alinéa 20.9(1)a) et au paragraphe 20.9(3) du RCSST.

À aucun moment je n'ai déclaré, comme il est écrit dans votre lettre du 27 septembre 2018, que [traduction] « seul un tiers externe serait considéré comme une personne compétente », car il ne m'appartient pas de déterminer qui une partie à la plainte considérerait comme impartial, mais plutôt que seules les parties impliquées dans la plainte seraient en mesure de le faire. J'essayais simplement d'indiquer que si la plaignante ne croyait pas que les parties internes étaient impartiales, il fallait alors proposer une source externe.

[Soulignement ajouté]

[52] L'intimé soutient que l'alinéa 20.9(1)a) contient à la fois un élément objectif et un élément subjectif. Objectivement, une personne compétente doit être réellement impartiale. En outre, subjectivement, une personne compétente doit être considérée par les parties comme étant impartiale. Selon l'intimé, la composante subjective signifie que toute partie peut rejeter un candidat comme n'étant pas impartial pour quelque raison que ce soit.

[53] L'intimé s'appuie sur la décision Association des employeurs maritimes, dans laquelle l'agent d'appel Hamel a déclaré que l'alinéa 20.9(1)a) comporte un élément subjectif, et que cette exigence subjective d'impartialité conduit à la conclusion que les parties doivent s'entendre sur l'impartialité de la personne compétente proposée.

[54] La plaignante a également fait référence à la décision rendue par l'agent d'appel Hamel dans Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs postaux, 2019 TSSTC 5 (Postes Canada), tout d'abord pour l'importance générale du processus de sélection de la personne compétente et ensuite sur l'existence d'un élément à la fois objectif et subjectif de l'impartialité :

[88] Le résultat de l'enquête de la personne compétente est un élément important des obligations qui incombent à l'employeur de maintenir et d'évaluer l'efficacité des contrôles et des mesures de prévention de façon continue, conformément aux exigences du Règlement. Le rapport de la personne compétente, qui doit contenir des conclusions et des recommandations formulées à la suite d'une enquête « en bonne et due forme » et « officielle » de la plainte de l'employé, vise à aider l'employeur à s'acquitter de son obligation, en plus de fournir un redressement au plaignant, comme la Cour l'a expliqué. L'importance du processus mené par la personne compétente et de son résultat dans le régime global de prévention dans le lieu de travail ne doit pas être minimisée et doit être à l'avant-plan quand on interprète et applique le libellé de l'alinéa 20.9(1)a).

[89] Cette disposition fait référence à l'exigence d'impartialité. Elle prévoit que le concept doit être examiné en tenant compte de deux dimensions, l'une objective et l'autre subjective. Comme l'agent d'appel l'a souligné dans la décision Ressources naturelles Canada, la personne qui doit être nommée doit satisfaire les critères des deux dimensions. Comme je l'ai indiqué dans la décision Association des employeurs maritimes, la première dimension peut être difficile à évaluer à l'étape de la nomination, étant donné que le concept d'impartialité relève de l'état d'esprit de la personne, qui doit posséder la capacité d'effectuer l'enquête avec un esprit ouvert et de façon neutre et désintéressée. La personne doit avoir une propension à soupeser les faits et les opinions de façon juste et sans faire preuve de favoritisme ou de préjugés envers l'une des parties Un tel état d'esprit peut être difficile à évaluer au moment de la nomination. À mon avis, c'est la raison pour laquelle le législateur a ajouté une dimension subjective pour garantir l'impartialité du processus. J'ai déclaré ce qui suit dans la décision Association des employeurs maritimes, aux paragraphes 54 à 56 [...]

[90] Les agents d'appel et les tribunaux ont donc utilisé des mots comme « acceptation » et « choisie par » dans le contexte de la nomination de la personne proposée, notamment en ce qui a trait à son impartialité. La nécessité d'assurer l'impartialité est à ce point un élément important du régime que l'acceptation doit, à mon avis, être claire, sans équivoque, éclairée et sans réserve pour qu'elle atteigne l'objectif visé par le législateur. Mon interprétation de cette exigence est soutenue par les IPG du Programme du travail, annexe C (Modèle d'un rapport rédigé par une personne compétente), qui fournit au point 6 des détails sur la « personne compétente », y compris la phrase suivante : « Le plaignant est en accord avec le choix de la personne compétente (Oui – Non) » [italiques ajoutés]. Les IPG ne lient pas l'agent d'appel, mais peuvent offrir des instructions utiles pour interpréter et comprendre le cadre législatif du Code (Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273).

[91] Par conséquent, je me pencherai d'abord sur l'élément subjectif de l'impartialité, selon lequel la personne doit être « considérée comme telle [comme impartiale] par les parties » [italiques ajoutés], ce qui, à mon avis, est une question déterminante pour l'appel. M. King a-t-il exprimé clairement et sans équivoque qu'il acceptait que M. Stienke fût impartial?

[92] Les intimés font valoir qu'il incombe à l'employeur de s'acquitter du fardeau de prouver une telle acceptation. À mon avis, la question n'est pas de savoir à quelle partie revient le fardeau de la preuve, comme il a été déclaré dans un certain nombre de décisions d'appel depuis Canadian Freightways Ltd c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 391. Je dois plutôt être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, et après avoir examiné les circonstances de l'instruction et les motifs sous-jacents (paragraphe 146.1[1] du Code), que la nomination de M. Stienke était acceptable pour toutes les parties.

[55] Selon l'intimé, la question est alors de savoir si les personnes proposées par l'appelante étaient ou non « acceptables pour toutes les parties » dans la présente instance. Il est clair que Mme Y n'a pas trouvé les candidats proposés acceptables et, selon l'intimé, [traduction] « cela devrait être la fin de l'affaire » – l'instruction devrait être confirmée.

[56] L'intimé est en désaccord avec l'avis de l'appelante selon lequel la déléguée ministérielle Sterling aurait dû évaluer la « bonne foi » de l'opinion subjective de Mme Y. En particulier, l'intimé est en désaccord avec le fait que la déléguée ministérielle Sterling aurait dû conclure que le rejet des candidats internes par Mme Y constituait un abus de droit. Même si l'agent d'appel dans la décision Association des employeurs maritimes a pu décrire la possibilité d'abus de droit, il était d'avis qu'un plaignant n'a pas à justifier son rejet d'un candidat :

[59] Je suis donc en accord avec l'interprétation qu'a fait Mme Perrault des exigences de l'alinéa a) : il suffit qu'une partie ne considère pas la personne proposée pour faire l'enquête comme étant impartiale, pour que cette personne ne puisse agir aux termes de cet article. Ceci ne signifie pas que j'accepte la prétention que Mme Charbonneau ou M. Pratt ne sont pas impartiaux : il ne m'appartient pas de me prononcer sur cette question, le Règlement exigeant l'accord mutuel des parties sur cette qualité pour agir. Ainsi, je ne souscris pas à la prétention de l'appelante selon laquelle un refus de considérer une personne impartiale doit être motivé et justifié : une telle approche ajoute selon moi une condition de fond au texte de loi, que je considère sans équivoque et ne se prêtant à aucune interprétation ou réserve. Il n'y a pas de tel accord en l'espèce, comme la preuve le révèle. Il en résulte donc que l'employeur n'a pas nommé une « personne compétente » comme lui enjoint de le faire les dispositions du paragraphe 20.9(3).

[57] L'intimé a également cité l'affaire Emploi et développement social Canada c. Syndicat de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, 2018 TSSTC 11 (la décision d'EDSC) dans laquelle l'agente d'appel Néron a confirmé une instruction selon laquelle un enquêteur devait être nommé en dehors du Gouvernement du Canada du fait que la plaignante pensait qu'aucun employé du gouvernement ne pouvait être un enquêteur impartial.

[58] L'intimé est d'avis que puisqu'il a été jugé dans des décisions antérieures du Tribunal que les objections fondées sur des critères tels que ceux de la décision d'EDSC sont raisonnables, alors ces objections ne peuvent pas être abusives en soi.

[59] L'intimé note que même si l'appelante a soutenu que Mme Y était déraisonnable puisque sa plainte ne concernait pas un membre de la direction, qu'elle n'avait pas de différends avec la direction et que les candidats proposés par la direction ne connaissaient pas Mme Y ni M. X, il souligne que l'appelante n'a pas traité l'explication de Mme Y concernant le rejet des candidats proposés par le CN, qui avait trait à sa mauvaise expérience avec M. Clark et M. McRae lorsqu'elle a initialement déposé sa plainte. Il était raisonnable pour Mme Y de conclure que les superviseurs et les gestionnaires du CN en général ne pouvaient pas être impartiaux puisqu'ils auraient la même formation que M. McRae pour mener de telles enquêtes.

[60] L'intimé n'estime pas que les préoccupations de Mme Y concernant la formation et les connaissances des enquêteurs proposés ont été soulevées pour la première fois lors de l'audience, car il existait des éléments de preuve documentaires de ses préoccupations avant l'audience.

[61] Quant à l'argument de l'appelante selon lequel le fait de demander à l'employeur de retenir les services d'enquêteurs externes entraînerait des coûts prohibitifs, puisque le CN mène des « milliers » d'enquêtes de ce type chaque année, l'intimé suggère que le CN pourrait envisager d'être plus proactif dans le traitement des problèmes de violence au travail. L'intimé avait d'autres suggestions utiles à faire à l'employeur pour veiller à ce que les coûts de l'enquête ne soient pas excessifs.

[62] Sur la question de la modification de l'instruction de manière à ce que l'employeur puisse avoir la possibilité de proposer un candidat interne, l'intimé s'y oppose en faisant valoir que l'employeur aurait pu proposer, dès le départ, d'autres types d'enquêteurs internes, tels qu'un employé des relations de travail ou des ressources humaines, mais qu'il a choisi de ne pas le faire. Quoi qu'il en soit, l'employeur, au moment des observations, n'avait toujours pas, selon l'intimé, répondu de manière adéquate aux préoccupations de Mme Y.

[63] L'intimé soutient que l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling devrait être confirmée.

Réplique

[64] Dans sa réplique, l'appelante conteste les explications de l'intimé selon lesquelles l'employeur aurait retardé la fin de l'enquête ou n'aurait pas respecté l'instruction. Certains détails concernant l'embauche d'un enquêteur externe ont été fournis.

[65] L'appelante maintient sa position selon laquelle la formation des personnes compétentes proposées n'est pas pertinente. L'appelante déclare que le dossier ne montre pas que Mme Y ait déjà soulevé la question de la formation avant l'émission de l'instruction.

[66] L'appelante souligne qu'à l'audience, j'ai répondu à la question des éléments de preuve supplémentaires quant à la formation en déterminant que l'audience portait sur l'alinéa 20.9(1)a) concernant l'impartialité et non sur les alinéas b) et c) qui concernent les aspects de la compétence liés à la formation. J'ai indiqué que les éléments de preuve concernant la formation ne pouvaient être pertinents que sur la question de l'impartialité.

[67] L'appelante conteste également l'interprétation de l'intimé quant à l'article 20.9 du Règlement. En bref, permettre à un plaignant de rejeter des candidats sans avoir à fournir d'explication conduirait à un processus inapplicable et injuste.

[68] L'appelante a souligné le dilemme qui pourrait être créé si toutes les parties avaient un droit de veto, en utilisant comme exemple : [traduction] « [...] un plaignant qui a commis des actes de violence sur le lieu de travail pourrait retarder et empêcher les enquêtes sur sa conduite simplement en déclarant qu'il ne considère pas comme impartiale une personne compétente proposée ». L'appelante affirme qu'une interprétation du paragraphe 20.9(1) qui accorde un droit de veto à toutes les parties pourrait conduire à une impasse, ce qui [traduction] « ne favoriserait pas les objectifs du Règlement ».

[69] En outre, l'appelante fait valoir que l'interprétation de l'intimé de l'article 20.9 ne traite pas toutes les parties de la même manière. L'employeur estime qu'il perd son droit de refuser la personne compétente.

[70] Le principal fondement de l'argument de l'appelante est que les parties qui sont d'avis que toute personne compétente proposée n'est pas [traduction] « considérée comme impartiale » doivent fonder leur avis sur un fondement rationnel.

[71] L'appelante n'a pas directement traité la position adoptée dans des affaires antérieures du Tribunal selon laquelle l'alinéa 20.9(1)a) comporte un aspect objectif et un aspect subjectif. L'appelante semble être d'avis que le paragraphe 20.9(1) énonce un critère complètement objectif pour les personnes compétentes.

[72] L'appelante a répété qu'elle était d'avis que la déléguée ministérielle Sterling a commis une erreur en émettant une instruction exigeant qu'une personne externe soit nommée.

Analyse

[73] Il s'agit d'un cas inhabituel puisqu'il traite d'un appel d'une instruction émise en vertu de l'alinéa 141(1)a) du Code et qu'il ne s'agit pas d'une instruction de contravention habituelle en vertu du paragraphe 145(1), ni d'une instruction relative à un danger en vertu du paragraphe 145(2).

[74] L'alinéa 141(1)a) du Code se lit ainsi :

Pouvoirs accessoires

141 (1) Dans l'exercice de ses fonctions et sous réserve de l'article 143.2, le ministre peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l'entière autorité d'un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail, il peut :

a) effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections ou ordonner à l'employeur de les effectuer;

[Soulignement ajouté]

[75] La partie pertinente de l'instruction de la déléguée ministérielle en vertu du paragraphe 141(1) est la suivante :

[traduction] [...] mener une « enquiry » (vérification) sur les personnes potentiellement compétentes qui ne sont pas des employés de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et qui satisfont aux exigences des alinéas 20.9(1)b) et c) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, et fournir une liste de ces personnes potentiellement compétentes à la plaignante, au plus tard le 19 novembre 2018.

[Soulignement ajouté]

[76] L'objet de la partie II du Code est énoncé à l'article 122.1 :

Prévention des accidents et des maladies

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions.

[77] Conformément à l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, les questions d'interprétation doivent être guidées par l'objectif de la législation. La partie II du Code (et son Règlement) doit être interprétée libéralement afin de prévenir (en l'espèce) les maladies relatives au lieu de travail. Le sens d'une disposition en particulier ne doit pas être évalué seul, mais dans le contexte de l'ensemble de la partie II du Code (et de son Règlement).

[78] Le paragraphe 141(1) du Code contient une longue liste de « pouvoirs », similaires à ceux d'autres types d'inspecteurs ou d'agents de réglementation. Le paragraphe ne « dépend pas du règlement » dans le sens où les pouvoirs du ministre ne sont pas liés au Règlement. Il n'est pas nécessaire de chercher une prescription dans le Règlement quant aux détails sur le moment où le ministre doit exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 141(1) et sur la façon dont il doit les exercer.

[79] L'esprit général de la partie II du Code repose sur ce qu'on appelle en SST le « système de responsabilité interne » (SRI) – la philosophie de la résolution interne et consensuelle des problèmes de SST par toutes les parties du lieu de travail. La SST consiste en : 1) des devoirs, pour l'employeur et pour tous les employés en tant que personnes; 2) des droits des employés (comme le droit de refuser un travail dangereux); et 3) la participation de comités et de représentants sur le lieu de travail. L'objectif du Code (article 122.1) est d'être réalisé principalement en utilisant le SRI. Si le SRI fonctionne bien, le risque est réduit et les employés sont protégés. Si le SRI échoue ou ne fonctionne pas bien, c'est à ce moment que l'autorité externe, le délégué ministériel, joue un rôle essentiel.

[80] Compte tenu de ce SRI, l'objectif du paragraphe 141(1) devient clair. Si le SRI fonctionnait correctement, les préoccupations, les plaintes et les suggestions seraient encouragées et les problèmes seraient cernés par les parties sur le lieu de travail et des mesures appropriées seraient prises par ces dernières. Mais si le SRI ne fonctionne pas bien, des problèmes potentiels ne seraient pas traités. C'est à ce moment que l'autorité extérieure, le délégué ministériel, est nécessaire.

[81] Selon le SRI, chaque employé a des devoirs et des droits. L'alinéa c) du paragraphe 126(1) du Code contient une obligation générale pour les employés et l'alinéa g) de ce même paragraphe contient une obligation de signalement des dangers :

126 (1) L'employé au travail est tenu :

[...]

c) de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre santé et sa propre sécurité,

[...]

g) de signaler à son employeur tout objet ou toute circonstance qui, dans un lieu de travail, présente un risque pour sa santé ou sa sécurité, [...]

[82] Lorsqu'un employé prend connaissance d'un problème potentiel de violence dans le lieu de travail, il a l'obligation d'agir et, plus particulièrement, de signaler les circonstances à l'employeur. Le signalement déclenche à la fois l'obligation générale de l'employeur en vertu de l'article 124 et les obligations plus précises et pertinentes de l'article 125.

[83] Des dispositions expresses concernant la violence dans un lieu de travail ont été ajoutées au Code et à son Règlement. L'alinéa 125(1)z.16) du Code est une obligation se rattachant à la réglementation. Les prescriptions se trouvent dans la partie XX du Règlement. L'alinéa125(1)z.16) du Code se lit ainsi :

Obligations spécifiques

125 (1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

[...]

z.16) de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail;

[84] Si les parties du lieu de travail suivent les étapes du Règlement, le problème sera probablement résolu. Si le SRI ne fonctionne pas bien, surtout s'il y a une impasse, l'autorité externe, le délégué ministériel, est alors nécessaire. Une instruction peut être nécessaire.

[85] Pour en revenir au paragraphe 141(1), le mot « ordonner » dans l'alinéa 141(1)a) donne-t-il le pouvoir d'émettre une instruction ? La réponse doit être « oui » puisque le paragraphe 141(2) fait référence aux « ordres » donnés en vertu du paragraphe 141(1) :

Instructions données à distance

141(2) Le ministre peut donner les ordres prévus au paragraphe (1) même s'il ne se trouve pas physiquement dans le lieu de travail.

[Soulignement ajouté]

[86] Bien que ce soit inhabituel, ce n'est pas la première fois qu'un délégué ministériel émet une instruction en vertu du paragraphe 141(1). Dans la décision Monam Industries Inc., 2010 TSSTC 14, l'agente d'appel Néron a confirmé une instruction en vertu du paragraphe 141(1) qui demandait à l'employeur de faire effectuer une inspection par une personne qualifiée des pneus d'un chariot élévateur afin de s'assurer qu'il n'y avait aucun danger. Aucune violation du Règlement ou existence d'un danger réel n'a été mentionnée. L'agente d'appel Néron s'est contentée de constater qu'un problème potentiel nécessitait une inspection.

[87] Dans la décision André Schauz c. Tudhope Cartage Ltd., 2012 TSSTC 32, l'agent de santé et de sécurité (agent de SST), terme utilisé à l'époque dans le Code, a émis une instruction en vertu des alinéas 141(1)h) et i) exigeant que l'employeur fournisse des documents concernant un processus interne de règlement des différends. L'agent d'appel Wiwchar a confirmé l'instruction en déclarant :

[18] [Ces] pouvoirs [...] sont des pouvoirs discrétionnaires de l'Ag. SS. Autrement dit, ces pouvoirs découlent non pas du constat d'une contravention au Code, mais du pouvoir discrétionnaire conféré à l'Ag. SS de déterminer ce qui est nécessaire à la conduite de son enquête dans une affaire de santé et de sécurité au travail qui a pris naissance en vertu de la partie II du Code.

[88] Le paragraphe 146(1) du Code dispose qu'une personne lésée par une instruction a le droit d'interjeter appel de cette instruction :

Procédure

146 (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par le ministre sous le régime de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit au Conseil.

[Soulignement ajouté]

[89] Le droit d'une personne lésée d'interjeter appel d'une instruction prévue au paragraphe 146(1) n'est pas propre aux instructions de contravention et aux instructions relatives à un danger de l'article 145, mais indique simplement « une instruction », c'est-à-dire une instruction de tout type, y compris une instruction prévue au paragraphe 141(1).

[90] Dans le paragraphe 146.1(1), l'obligation de l'agent d'appel de mener une enquête sur un appel fait référence à l'article 146 et, comme nous venons de le voir, l'article 146 comprend une instruction prévue au paragraphe 141(1).

Enquête

146.1 (1) Saisi d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) ou de l'article 146, le Conseil mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu'il juge indiquées.

[Soulignement ajouté]

[91] L'agent d'appel peut modifier, annuler ou confirmer une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1), mais il peut seulement émettre (expressément) une nouvelle instruction pour une instruction relative à un danger et non (expressément) pour une instruction de contravention ou un autre type d'instruction. Une partie n'a pas à demander qu'une nouvelle instruction soit émise; c'est à la discrétion de l'agent d'appel. Dans le cas présent, je ne vois aucune raison d'envisager une nouvelle instruction, et je n'ai donc pas à décider s'il existe un pouvoir implicite d'émettre une nouvelle instruction.

[92] Une modification de l'instruction de la déléguée ministérielle est toutefois en cause, puisque l'appelante a fait valoir un autre argument selon lequel l'instruction devrait être modifiée pour lui permettre de proposer des personnes compétentes internes.

[93] Les instructions émises en vertu des paragraphes 145(1) et (2) ont pour condition préalable qu'un délégué ministériel constate une contravention ou qu'un élément constitue un danger. La seule condition préalable pertinente et expresse pour une instruction d'enquête au titre du paragraphe 141(1) est que le délégué ministériel « exerce les fonctions du ministre ». Il ne fait aucun doute que le délégué ministériel exerçait les fonctions du ministre en s'occupant d'une plainte d'un employé sur la manière dont une enquête sur des actes de violence au travail était menée.

[94] Normalement, le délégué ministériel ordonnant à un employeur d'« effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections » en vertu du paragraphe 141(1) pourrait permettre de découvrir immédiatement qu'il existe ou non une contravention ou un danger. La décision du délégué ministériel d'émettre ensuite une instruction en vertu du paragraphe 145(1) ou (2) est une mesure tout à fait distincte.

[95] En d'autres termes, l'effet immédiat d'une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) est relativement faible comparativement à celui d'une instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) ou (2). Dans ce dernier cas, l'employeur devrait normalement consacrer du temps, de l'argent et de l'énergie pour corriger la contravention ou éliminer le danger. L'effet immédiat d'une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) sur l'employeur est le temps, l'argent et l'énergie consacrés pour effectuer l'examen, l'essai, l'enquête ou l'inspection. Il est vrai que de telles activités peuvent souvent être coûteuses, mais elles ne le sont généralement pas autant que la réparation des problèmes découverts. Il est possible qu'aucune autre dépense ne soit engagée après avoir effectué ce qui précède s'il s'avère qu'aucun problème n'avait à être résolu. L'enjeu peut être important dans le cas d'un appel d'une instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) ou (2). Toutefois, il est normalement moins important pour un appel d'une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1).

[96] On peut dire que le paragraphe 141(1) a pour objet la nécessité de déterminer s'il y a un problème, tandis que les paragraphes 145(1) et (2) ont pour objet de corriger une contravention ou d'éliminer un danger. Le pouvoir du délégué ministériel en vertu de l'alinéa 141(1)a) ne repose pas sur une condition préalable qu'il y ait effectivement un problème. Par exemple, un délégué ministériel a le pouvoir de se rendre au hasard sur des lieux de travail pour effectuer des inspections en vertu du paragraphe 141(1) – pour voir comment les choses se passent – sans avoir à formuler des soupçons comme condition préalable à l'inspection.

[97] Si le délégué ministériel peut exercer son pouvoir en vertu de l'alinéa 141(1)a) sans satisfaire à aucune condition préalable (autre que le fait d'effectuer les fonctions du ministre et d'entrer dans tout lieu de travail à toute heure convenable), alors on pourrait dire que le délégué ministériel a le pouvoir d'ordonner à l'employeur d'effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections sans satisfaire à aucune condition préalable importante.

[98] La raison pour laquelle le paragraphe 141(1) est formulé de cette manière, conférant au délégué ministériel le pouvoir d'ordonner à un employeur d'effectuer des examens, est que le délégué ministériel maîtrise le Code et le Règlement et a une connaissance approfondie des dangers et des contrôles dans le domaine de la SST. Toutefois, le délégué ministériel n'est normalement pas un expert dans certains des sous-domaines de la SST. Le délégué ministériel n'est normalement pas un ergonome, un hygiéniste du travail, un ingénieur en sécurité ou un médecin du travail ou un infirmier. Pourtant, le délégué ministériel doit être en mesure de voir que quelque chose peut présenter un problème relatif à l'ergonomie, à l'hygiène du travail, à l'ingénierie, etc. et qu'un spécialiste est nécessaire pour déterminer s'il y a présence d'un problème, et dans un tel cas, la gravité du problème et comment y remédier. EDSC peut engager des employés experts pour être sur place, ou payer des consultants, ou le délégué ministériel peut ordonner à l'employeur d'embaucher et de payer toute expertise nécessaire. Tous les 3 sont possibles, mais c'est le paragraphe 141(1) qui confère au délégué ministériel le pouvoir de choisir la dernière option.

[99] Plus précisément, en ce qui concerne les consultants externes, la plupart des employeurs ne disposent probablement pas d'un éventail complet de spécialistes en matière de SST au sein de leur personnel. Si un employeur a retenu les services d'un spécialiste, le délégué ministériel peut simplement ordonner qu'un certain type d'essai ou d'enquête, etc. soit effectué, et l'employeur utiliserait ses propres employés pour effectuer ce qui précède. Mais très souvent, le délégué ministériel ordonnera qu'une étude soit réalisée par un type particulier de spécialiste – un ingénieur, un ergonome, etc. – qui n'est pas embauché par l'employeur. L'employeur devra alors embaucher et payer un consultant externe.

[100] Si un délégué ministériel, lors d'une visite de routine ou d'une visite sur un lieu de travail pour une autre raison, observe des cris, des jurons, de l'intimidation, des bousculades, etc. et que, sans aucun plaignant, il soulève la question de la violence au travail avec l'employeur, cela déclencherait le début du processus d'enquête en vertu de l'article 20.9 du Règlement, en commençant par une première tentative de résolution de la question en vertu du paragraphe 20.9(2) :

20.9(2) Dès qu'il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d'une telle violence, l'employeur tente avec l'employé de régler la situation à l'amiable dès que possible.

[101] Le paragraphe 20.9(2) n'exige pas qu'il y ait un plaignant. Le point très important est que le délégué ministériel a le pouvoir, en vertu du paragraphe 141(1), d'ordonner immédiatement à l'employeur de retenir les services d'experts pour enquêter sur la possibilité de violence au travail. Le paragraphe 141(1) figure dans le Code, et non dans le Règlement, et il ne fait pas partie de l'article 20.9 du Règlement et il n'y est pas mentionné. Rien dans le paragraphe 141(1) du Code ne dépend de quoi que ce soit dans le Règlement. Rien dans l'article 20.9 du Règlement ne peut restreindre le pouvoir du délégué ministériel prévu au paragraphe 141(1) du Code.

[102] La situation n'est pas différente du cas où le délégué ministériel avait ordonné à l'employeur de retenir les services d'un hygiéniste industriel agréé pour enquêter sur l'exposition à un produit chimique, à du bruit ou à un stress thermique, ou du cas où le délégué ministériel avait ordonné à l'employeur de retenir les services d'un ingénieur de structures professionnel pour examiner un bâtiment ou d'un ingénieur mécanique pour examiner ou tester certaines machines.

[103] Y a-t-il des limites importantes au pouvoir du délégué ministériel prévu au paragraphe 141(1) ? Y a-t-il des motifs potentiels d'appel ? Le délégué ministériel pourrait faire preuve de mauvaise foi (mala fides), en utilisant son pouvoir à une autre fin que celles auxquelles il a été accordé (p. ex., ordonner à l'employeur de retenir les services d'un ami du délégué ministériel comme expert, ou recevoir un « pot-de-vin » d'un expert consultant). En l'espèce, rien de tel n'a été allégué ou n'existe.

[104] Un autre motif d'appel possible pour une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) est qu'il n'y a pas de lien rationnel entre l'instruction et ce qui se passe sur le lieu de travail; qu'aucune personne raisonnable à la place du délégué ministériel ne penserait qu'il y a une raison d'examiner plus en détail le simple soupçon d'un problème, ou aucun soupçon du tout.

[105] Une indication du fait que le délégué ministériel a besoin de peu pour émettre une instruction en vertu du paragraphe 141(1) est que, selon le paragraphe 141(2), le délégué ministériel n'a pas besoin d'être sur le lieu de travail lorsque l'instruction est émise. Ce serait vraisemblablement pour les situations d'urgence ou d'autres questions pratiques. Le délégué ministériel n'a pas besoin de prendre l'avion hebdomadaire jusqu'à la baie Resolute dans le Haut-Arctique pour mener une enquête sur un problème lié au hangar de l'aéroport.

[106] Un autre motif d'appel possible pour une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) est que ce qui est ordonné à l'employeur n'est pas rationnellement lié au type de problème potentiel initialement décelé. Par exemple, le délégué ministériel peut raisonnablement penser qu'il y a un problème potentiel d'exposition à un bruit, soit parce qu'il y a eu une plainte, soit parce que le délégué ministériel a personnellement entendu le bruit. Cependant, au lieu d'effectuer les essais de bruit, le délégué ministériel ordonne alors à l'employeur de mener une enquête sur de la violence dans le lieu de travail. Ce ne serait pas une bonne instruction. Dans le cas présent, il y a eu une plainte pour violence dans le lieu de travail et l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling portait sur une enquête sur de la violence dans le lieu de travail.

[107] On pourrait faire valoir que les conséquences financières de l'instruction rendent l'instruction inappropriée au motif que les coûts sont déraisonnablement élevés. Il s'agit d'une modification de l'argument voulant que le fond de l'instruction n'est pas suffisamment lié à la nature du problème potentiel. Un délégué ministériel peut demander à une partie de s'engager dans un programme d'essai de grande envergure dont la portée en ce qui a trait au temps, à l'argent et à l'énergie est déraisonnable par rapport à la portée du problème potentiel. Par exemple, il pourrait être déraisonnable d'ordonner à un employeur d'effectuer des essais exhaustifs de la qualité de l'air dans tous ses nombreux sites au Canada alors qu'il est évident qu'il y a un problème potentiel dans 1 seul et unique emplacement.

[108] Pour résumer, les motifs d'appel les plus évidents d'une instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) sont :

  • Le délégué ministériel fait preuve de mauvaise foi;
  • L'absence de lien rationnel entre l'instruction et ce qui existe ou se passe dans le lieu de travail (il n'y a aucune raison de croire qu'un problème pourrait exister);
  • Il y a une raison de croire qu'un problème pourrait exister, mais il manque un lien rationnel entre ce que le destinataire de l'instruction est invité à faire et le type de problème potentiel initialement relevé.

[109] Il convient de noter que le paragraphe 141(1) autorise le délégué ministériel à pénétrer dans des lieux de travail pour y effectuer des inspections. Le délégué ministériel n'a pas besoin d'avoir une raison de croire qu'un problème pourrait exister pour effectuer une inspection. Les inspections sont normalement des activités proactives pour voir si des problèmes potentiels existent. Des activités telles que « tester » ou « enquêter » sont normalement des activités réactives; elles sont déclenchées par une inquiétude particulière. Un délégué ministériel devrait avoir une raison d'ordonner à l'employeur d'effectuer des essais dispendieux pour détecter un contaminant atmosphérique (un soupçon suffirait, mais il faudrait qu'il y ait une raison à ce soupçon), mais rien dans ce qui a été dit précédemment ne devrait entraver le pouvoir du délégué ministériel d'entrer dans un lieu de travail pour y effectuer des inspections (même un soupçon de problème n'est pas nécessaire).

[110] C'est à ce stade que nous en arrivons à une question difficile. Si aucune contravention potentielle au Règlement n'avait été mentionnée, nous devrions alors examiner les 3 motifs ci-dessus. Aucun motif ne s'appliquerait, puis l'instruction du délégué ministériel serait confirmée.

[111] Bien que l'instruction émise en vertu du paragraphe 141(1) n'est pas une instruction de contravention, sa pertinence est liée à la question de savoir s'il semble y avoir un problème de conformité avec la partie XX du Règlement. Si l'employeur avait proposé des personnes compétentes et que le plaignant avait abusé de ses droits en rejetant tous les candidats proposés, rien ne justifierait l'émission d'une instruction ordonnant à l'employeur qu'il propose d'autres candidats présentant certaines caractéristiques acceptables pour le plaignant (un candidat ne faisant pas partie de l'entreprise de l'employeur).

[112] L'instruction de la déléguée ministérielle Sterling était pour une « enquiry » (vérification), et non une « investigation » (enquête). Il ne s'agissait pas d'une « vérification » visant à déterminer s'il y avait une infraction ou un danger. Il ne s'agissait pas non plus d'une « vérification » [traduction] « pour voir si nous avons un problème dans le cas qui nous occupe ». Il s'agissait de trouver des personnes compétentes potentielles qui seraient impartiales, formées et expérimentées. À ce titre, la vérification s'inscrivait dans la portée générale du champ d'application du paragraphe 141(1), mais de façon marginale seulement. Il est juste de dire que dans les circonstances dans lesquelles la déléguée ministérielle s'est trouvée, il aurait peut-être été plus approprié de donner une instruction de contravention fondée sur le paragraphe 145(1). Le fait que cette dernière instruction aurait été plus appropriée n'invalide pas l'instruction émise en vertu du paragraphe 141(1).

[113] Néanmoins, comme l'instruction a été émise dans le cadre d'un litige sur le respect du Règlement, la question se pose de savoir s'il y avait des motifs suffisants de croire qu'une vérification relative aux enquêteurs potentiels était nécessaire.

[114] Je vais maintenant aborder les questions soulevées par les parties dans leurs observations écrites : 1) Était-il abusif de la part de la plaignante de rejeter 13 candidats au titre de personne compétente au motif qu'ils n'étaient pas des personnes extérieures à l'organisation de l'employeur et donc non impartiales ? 2) La déléguée ministérielle a-t-elle commis une erreur en ordonnant à l'employeur de proposer des candidats extérieurs à l'organisation sans lui donner la possibilité de proposer des candidats internes ?

[115] La définition de la « violence dans le lieu de travail » figurant à l'article 20.2 du Règlement est très large. L'accent est mis sur le dommage, le préjudice ou la maladie d'un employé :

20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d'une personne à l'égard d'un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.

[116] La violence dans le lieu de travail n'est pas comparable à d'autres dangers tels que des machines non surveillées ou un liquide inflammable, en ce sens que la violence implique des personnes et peut être subtile et trompeuse. Il peut être difficile de trancher dans un sens ou dans l'autre. Cet aspect de la violence dans le lieu de travail est souligné ici parce qu'une enquête sur la violence dans le lieu de travail se concentrera sur les témoignages, la crédibilité, les préjugés et d'autres « facteurs humains ». Parce que les gens sur le lieu de travail peuvent se connaître, avoir des relations, des antécédents, des points de vue différents, etc., il devient important de savoir exactement qui est un enquêteur dans une affaire donnée. À titre de comparaison, lorsque les membres du comité de SST sont sélectionnés pour effectuer des inspections sur le lieu de travail en vertu de l'alinéa 135(7)k) du Code, il n'y a pas de préoccupation ou de processus explicite dans le Code pour garantir que les inspecteurs sur le lieu de travail sont « impartiaux ». Nous ne nous préoccupons pas tant de l'impartialité des personnes qui examinent des machines non surveillées ou des liquides inflammables que de l'impartialité des personnes qui enquêtent sur qui a dit et fait quoi à des moments et des endroits particuliers.

[117] Compte tenu de tout ce qui précède, la présente affaire ne porte pas sur la question de savoir si les actes présumés de M. X constituaient des actes de violence ou si des actes de violence ont eu lieu ni sur la nature du préjudice présumé subi par Mme Y. L'affaire porte sur la question de procédure concernant la manière dont une enquête sur une allégation de violence doit être menée.

[118] La question qui se pose à ce stade est de savoir qui est une « personne compétente » pour enquêter sur une allégation de violence dans le lieu de travail. Plus précisément, la question est de savoir qui est impartial et qui est perçu comme impartial lors de la conduite d'une enquête.

[119] Le paragraphe 20.9(1) du Règlement définit une « personne compétente » comme suit :

20.9 (1) Au présent article, personne compétente s'entend de toute personne qui, à la fois :

a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;

b) a des connaissances, une formation et de l'expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;

c) connaît les textes législatifs applicables.

[Soulignement ajouté]

[120] Il ressort clairement des décisions antérieures du Tribunal concernant l'article 20.9 qu'il existe 2 critères différents pour déterminer l'impartialité d'une personne compétente : « est impartiale » est un critère objectif et « est considérée comme telle par les parties » est un critère subjectif. Les 2 sont liés de manière conjonctive, donc si l'impartialité échoue à l'un ou l'autre de ces critères, il y a un manque d'impartialité.

[121] Dans la décision Association des employeurs maritimes, l'agent d'appel Hamel a donné l'interprétation suivante de l'alinéa 20.9(1)a) du Règlement :

[54] La formulation de l'alinéa a) nous amène toutefois dans une tout autre direction. Il me semble incontestable que le critère d'impartialité énoncé à l'alinéa a) évoque une notion subjective de l'impartialité et s'en remet à la perception des parties en cause. Le texte est clair et ne se prête à aucune interprétation, surtout lorsqu'on le compare à la formulation des exigences d'expérience, de formation et de connaissances.

[55] Le législateur a clairement privilégié une approche consensuelle sur la question de l'impartialité. En insérant les mots et est considérée comme telle par les parties après le mot impartiale, il a clairement exigé que les parties soient d'accord sur la question de l'impartialité de la personne proposée par l'employeur. La version anglaise de ce même alinéa est également claire [… is impartial and is seen by the parties to be impartial] et exige aussi que les parties considèrent la personne comme impartiale, sans réserve ou exception. À défaut d'un accord, la personne proposée ne peut tout simplement pas être nommée.

[56] On peut en conclure que le législateur considérait comme primordial que les parties soient d'accord sur l'impartialité de la personne désignée pour mener l'enquête dont les objectifs sont décrits aux paragraphes 20.9(3) et suivants du Règlement. Nul doute que l'objectif recherché par le législateur est d'assurer la crédibilité des recommandations que cette personne doit formuler au terme de son enquête et favoriser leur acceptation par toutes les parties en cause.

[Soulignement ajouté]

[122] Ce qui est en cause ici, c'est avant tout le critère subjectif. En bref, on peut dire que l'intimé estime que le critère subjectif n'a pas de limites. Un plaignant peut rejeter un candidat et « c'est la fin de l'histoire ». L'appelante, en revanche, n'est pas d'accord avec le fait que le critère subjectif n'a pas de limites. Il n'est même pas clair que l'appelante accepte qu'il y ait une dichotomie de critères dans l'alinéa 20.9(1)a) du Règlement.

[123] Comme pour beaucoup d'autres dualités et dichotomies, la réalité est plutôt un gradient. À une extrémité du gradient se trouve un critère purement objectif. La personne raisonnable dans les circonstances croirait-elle qu'un enquêteur proposé est impartial? Ce n'est que si la position du plaignant coïncidait avec ce que ferait une personne raisonnable que le plaignant pourrait obtenir le rejet d'un candidat. À l'autre extrémité du gradient, on ne se préoccupe pas de ce qui est raisonnable. Le plaignant dispose d'un droit de veto absolu. Le plaignant n'a pas besoin d'avoir un motif pour rejeter un candidat, mais s'il en avait un, ce motif pourrait être fantaisiste, déraisonnable ou même malveillant. Le rejet par un plaignant ne pourrait être contesté.

[124] À mon avis, la bonne position sur le gradient entre l'objectivité et la subjectivité est plus proche de la subjectivité dans l'expression « considérée comme telle [impartiale] par les parties ». Mais elle n'est pas absolue.

[125] Je ne pense pas qu'un plaignant doive fournir des motifs pour rejeter un candidat proposé. Si un plaignant fournit des motifs, ceux-ci pourraient alors servir de fondement pour limiter son droit de veto. Comme dans l'exemple de l'agent d'appel Hamel dans la décision Association des employeurs maritimes, un plaignant pourrait révéler que le motif du rejet est discriminatoire. Les personnes dans le lieu de travail doivent se conformer à la législation sur les droits de la personne et un motif de rejet discriminatoire ne serait pas une croyance subjective légitime. Un plaignant pourrait démontrer par la tendance de ses rejets qu'ils étaient subjectivement discriminatoires.

[126] Dans un autre scénario, un plaignant pourrait rejeter un grand nombre de candidats proposés avec pour seule raison que, puisqu'ils ont un droit de veto, ils seraient des fauteurs de troubles et retarderaient la procédure indéfiniment. Un plaignant pourrait être moins enclin à le faire que l'auteur présumé du harcèlement ou de la violence. Le plaignant et l'auteur présumé de la violence peuvent être les parties qui ont le droit de rejeter des candidats. Une intention malveillante déclarée ne serait pas une croyance subjective légitime. Si le plaignant rejetait un grand nombre de candidats sans donner de raison, on soupçonnerait qu'il le faisait pour des raisons subjectives malveillantes et non légitimes. Un plaignant pourrait montrer par la tendance des rejets (un grand nombre de candidats différents) qu'ils étaient malveillants.

[127] La discussion de l'agent d'appel Hamel sur la question de l'abus de droit dans la décision Association des employeurs maritimes est centrale. Il a déclaré ce qui suit aux paragraphes 60 et 61 de la décision :

[60] On a évoqué les risques d'abus que pourraient [sic] occasionner cette application dite « textuelle » de l'article. Le refus de consentir à la nomination d'une personne sans devoir en exposer les raisons ni les justifier pourrait, comme le note avec justesse l'avocate de l'appelante, être motivé par des considérations discriminatoires, sexistes ou arbitraires. Ou un employé – je pense en particulier à un employé qui serait mis en cause comme l'agresseur allégué par exemple – pourrait systématiquement refuser toute personne proposée par l'employeur, de façon capricieuse ou arbitraire.

[61] Il est un principe de droit que personne ne peut abuser de ses droits. Une telle approche abusive ou discriminatoire n'a bien sûr pas sa place et pourrait selon moi être sanctionnée par des mesures disciplinaires ou interprétée comme une renonciation aux droits que confère aux parties le paragraphe 20.9(3) du Règlement.

[128] L'intimé soutient que les commentaires de l'agent d'appel Hamel peuvent être mis de côté sans risque puisqu'ils constituent des remarques incidentes. L'appelante affirme que ses commentaires ont été déterminants pour l'issue de l'affaire, même si, en fin de compte, il n'a pas conclu qu'il a eu exercice abusif de droit. Je pense que lorsque l'agent d'appel Hamel a émis ses commentaires au sujet des abus de droit potentiels, il exprimait sa préoccupation quant à un critère subjectif absolu et sans retenue. Il a indiqué qu'il pouvait y avoir des circonstances dans lesquelles le rejet de candidats par un plaignant pouvait être abusif.

[129] L'accord de Mme Y était nécessaire. Elle n'avait pas à donner de raisons pour rejeter les candidats proposés par l'employeur. Elle n'a pas donné de raisons qui pourraient laisser supposer une motivation subjective discriminatoire ou malveillante pour ses rejets – remarques de l'agent d'appel Hamel concernant « l'abus de droit ». En outre, y a-t-il eu un comportement, en l'absence de raisons déclarées inappropriées, qui a révélé une motivation subjective inappropriée ?

[130] L'appelante a souligné le nombre de candidats proposés – 13 au total – que la plaignante a rejetés. Pour 10 d'entre eux, la plaignante n'a mis que 3 heures au total pour décider de les rejeter tous. À première vue, le rejet de 13 candidats pourrait sembler être un abus de droit, comme le prétend l'appelante. Si le rejet de 13 candidats n'était pas un abus, on pourrait se demander « combien de rejets constitueraient un abus de droit ? » 20 ? 100 ? Il convient de noter qu'au moment d'examiner la liste des 10 candidats, la plaignante avait clairement indiqué qu'elle souhaitait un enquêteur externe et l'employeur avait clairement indiqué qu'il souhaitait un enquêteur interne. L'appelante a allégué qu'en rejetant un si grand nombre de candidats, et de la manière dont elle l'a fait, Mme Y s'est livrée à un abus de droit. Mais si les plaignants n'ont pas utilisé ce langage, on pourrait alléguer que le fait de proposer une liste de 10 personnes qui étaient toutes des superviseurs et des cadres internes après que la plaignante eut déclaré que ce n'était pas ce qu'elle voulait constituait un abus de droit.

[131] Dans une grande organisation, il existe de nombreuses options pour les différents types d'enquêteurs. Il se trouve que la politique de l'appelante consiste à faire appel à des superviseurs et à des gestionnaires internes pour mener les enquêtes. Au paragraphe 20.9(1), on dit que l'employeur doit nommer un enquêteur compétent, et donc impartial, mais on ne dit pas expressément que les personnes proposées par l'employeur doivent être des cadres ou des employés, ou toute autre personne en particulier (en dehors de leur formation et de leur expérience).

[132] Le paragraphe 33(2) de la Loi d'interprétation dispose que « [l]e pluriel ou le singulier s'appliquent, le cas échéant, à l'unité et à la pluralité ». Par conséquent, le terme « personne » au paragraphe 20.9(1) pourrait signifier « personnes ». Ainsi, un comité pourrait être désigné comme « personne compétente ». Cela étant dit, un employeur peut proposer :

  • un supérieur hiérarchique ou un gestionnaire;
  • un membre du personnel, tel qu'un spécialiste des relations de travail, des ressources humaines ou de la santé et de la sécurité au travail (ou autre);
  • un employé non cadre (une personne expérimentée, de haut niveau, ayant la confiance de tous);
  • une paire ou un sous-comité patronal-syndical approuvé par le comité de SST du lieu de travail;
  • une paire ou un comité sélectionné par la direction;
  • une paire ou un comité mutuellement approuvé par les parties;
  • un enquêteur externe (de différents types).

[133] Toutes les personnes devraient être des personnes compétentes en raison de leur impartialité, de leur formation et de leur expérience – objectivement et subjectivement, aux yeux de toutes les parties.

[134] Le paragraphe 20.9(1) ne précise pas si l'employeur peut proposer des gestionnaires ou des employés. Il ne dit rien à ce sujet. Mais, comme le prévoit l'article 20.1, l'employeur qui s'acquitte de ses obligations consulte le comité d'orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, avec la participation du comité ou du représentant en cause :

Interprétation

20.1 L'employeur qui s'acquitte des obligations qui lui sont imposées par la présente partie consulte le comité d'orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, avec la participation du comité ou du représentant en cause

[135] Il y a eu peu ou pas d'implication d'un comité ou d'un représentant en l'espèce. Bien que le paragraphe 20.9(1) n'indique pas expressément que les comités ou les représentants ont un rôle à jouer dans la sélection des candidats, ou même qu'ils doivent agir à titre de candidats, la participation du comité à un titre quelconque serait conforme à l'intention de l'article 20.1.

[136] La raison de l'énumération ci-dessus des types de personnes qui pourraient être des enquêteurs n'est pas de donner des conseils aux parties pour les affaires futures, mais d'illustrer ce qui est nécessaire pour établir un abus de droit dans le contexte du Règlement. Il s'agit de savoir combien de rejets il faut pour qu'il y ait abus de droit. Si une partie recevait une liste de diverses entités et les rejetait toutes sans leur accorder toute l'attention voulue, ce serait une indication d'abus de droit. Dans le cas présent, Mme Y a reçu le nom de 13 candidats qui étaient tous du même type (en gros), soit des superviseurs et des gestionnaires. Si l'employeur proposait 100 personnes qui étaient toutes du même type, le nombre rejeté (les 100) ne serait pas nécessairement abusif. Il est particulièrement inutile de fournir une liste de candidats qui sont tous du même type que la plaignante a clairement indiqué qu'elle ne voulait pas.

[137] Il est tout à fait possible qu'il y ait un scénario de « fauteurs de troubles », en particulier lorsque l'agresseur présumé est l'une des parties aux yeux desquelles l'enquêteur doit être impartial. On peut supposer que, dans la grande majorité des cas, le plaignant souhaite que l'affaire progresse, pour qu'une enquête soit ouverte. Cependant, l'auteur présumé de l'abus n'a peut-être aucun intérêt dans une enquête et serait très heureux d'en éviter une en rejetant simplement une centaine de candidats proposés ou plus. Même si l'auteur présumé de l'abus n'a jamais donné de raison pour ses rejets, s'il y avait suffisamment de diversité dans les candidats proposés, il deviendrait évident que l'auteur présumé de l'abus agissait de mauvaise foi en rejetant tous les candidats.

[138] Dans la présente affaire, Mme Y a rejeté 13 candidats proposés par l'employeur. Ils étaient tous employés du CN. Ils semblaient tous être des superviseurs et des gestionnaires ou des supérieurs hiérarchiques et des gestionnaires. Bien qu'on ne puisse jamais être sûr à partir des noms seuls, ils semblaient tous être de sexe masculin. Il s'agissait d'un groupe très homogène à première vue.

[139] Il n'y avait pas d'antécédents de mauvaise relation entre Mme Y et la direction, si ce n'est sa mauvaise interaction avec quelques gestionnaires au début de sa plainte. Compte tenu de cette dernière interaction, il n'était toutefois pas déraisonnable que Mme Y se méfie généralement des autres superviseurs et gestionnaires du CN. Ceci est vrai sans approfondir ce que Mme Y savait ou ne savait pas sur la formation des superviseurs et des gestionnaires. Je constate que les membres des organisations ont tendance à communiquer régulièrement par courrier électronique avec les autres membres de l'organisation. Le fait que de nombreux superviseurs et gestionnaires proposés étaient géographiquement éloignés du lieu de travail de Brantford ne signifie pas nécessairement qu'ils n'étaient pas en communication avec d'autres superviseurs et gestionnaires, et plus particulièrement avec les personnes travaillant sur le site de Brantford – ce qui pourrait donc entraîner des préjugés. Il n'y avait aucune preuve d'une telle communication ou d'un tel préjugé. Le fait est qu'il n'est pas déraisonnable que Mme Y se méfie de l'impartialité des superviseurs et des gestionnaires.

[140] Mais pour être clair, Mme Y avait droit à sa croyance subjective que seul un enquêteur qui n'était pas un enquêteur du CN serait impartial. Et pour être franc, le rejet des 13 candidats par Mme Y pourrait être objectivement déraisonnable, mais néanmoins approprié. Ce n'était pas un abus de droit que de rejeter 13 candidats qui, à première vue, constituaient un groupe assez homogène. Il n'y avait aucune indication d'un motif discriminatoire ou de « fauteur de troubles » qui serait subjectivement inapproprié.

[141] Il convient de noter en outre que l'argument de l'appelante concernant l'abus de droit entraînant une renonciation ou une perte des droits de la plaignante ne mène nulle part. Compte tenu de l'objet de la partie II du Code (article 122.1), nous devons être prudents quant à l'idée qu'un employé puisse « perdre ses droits ». Un employé peut, malheureusement, abuser de ses divers droits prévus par la loi de plusieurs façons, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il perd ses droits, surtout lorsqu'il n'existe pas de processus statutaire de « perte de droits ». Les droits prévus par la législation sur la santé et la sécurité au travail sont censés être utilisés pour réduire les risques et prévenir les décès, les blessures et les maladies. La suppression des droits liés à la santé et la sécurité au travail ne réduirait pas les risques; elle pourrait les augmenter.

[142] Par analogie, un employé qui se livre de façon répétée au même refus de travailler frivole pourrait faire l'objet de mesures disciplinaires, mais ne perdrait pas son droit de refuser un autre cas de danger perçu. Même une personne qui fait l'objet d'une série de refus de travail frivoles et vexatoires pourrait éventuellement être confrontée à un danger très probable et très grave. L'objectif du Code ne serait pas de supprimer le droit d'un employé de refuser un travail dangereux, car cela signifierait que l'employé pourrait être tenu d'effectuer toutes sortes de tâches à haut risque, son seul espoir étant de quitter son emploi.

[143] Dans le cas d'une plainte pour violence dans le lieu de travail, un employé ne « perd pas ses droits » même s'il a abusé de son droit de rejeter des candidats. On pourrait dire qu'il perd son droit de rejeter d'autres candidats, mais seulement parce qu'un délégué ministériel va décider au nom de toutes les parties comment mener une enquête en vertu de son pouvoir sous l'article 141 du Code. Du point de vue des risques, la question principale est de savoir si la plainte de la plaignante sera examinée par un enquêteur compétent. Un employé qui a abusé de son droit de rejeter des candidats a toujours le droit de faire enquêter sa plainte. Dire qu'il n'y aura pas d'enquête pour cause d'abus de droit pourrait exposer un plaignant à un risque élevé. S'il avait été déterminé que Mme Y avait abusé de la procédure, une enquête devrait quand même être menée. L'enquêteur devrait quand même être compétent et impartial d'un point de vue objectif (première partie de l'alinéa 20.9(1)a)). À ce stade, si l'employeur avait proposé un enquêteur objectivement non impartial, la plaignante n'aurait pas perdu le droit de porter plainte auprès de la déléguée ministérielle à la première partie de l'alinéa 20.9(1)a) même si elle n'était plus entendue sur son « droit de veto » subjectif en vertu de la deuxième partie de l'alinéa 20.9(1)a).

[144] Le point principal de ce qui précède est que même s'il y avait un abus de droit, il y aurait quand même une enquête et la question se poserait de savoir si la déléguée ministérielle peut exiger que l'employeur propose un candidat externe. J'ai déjà noté que le pouvoir du délégué ministériel en vertu de l'article 141 d'exiger des employeurs qu'ils engagent des experts externes est très large, avec un niveau relativement faible de conditions préalables.

[145] Dans sa réponse, l'appelante a souligné le dilemme qui pourrait être créé si toutes les parties avaient un droit de veto, en prenant l'exemple suivant : un employé [traduction] « [...] qui a commis des actes de violence dans le lieu de travail serait en mesure de retarder et d'empêcher les enquêtes sur sa conduite simplement en déclarant qu'il ne considère comme impartiale aucune personne compétente proposée ». L'appelante affirme qu'une interprétation du paragraphe 20.9(1) qui accorde un droit de veto à toutes les parties pourrait conduire à une impasse, ce qui [traduction] « ne favoriserait pas les objectifs du Règlement ».

[146] Il n'y aurait pas d'impasse. Si l'employeur a proposé une série d'enquêteurs potentiels – de types différents – à un moment donné, le délégué ministériel pourrait émettre une instruction définissant la manière dont une enquête se déroulerait, et cela n'aurait pas nécessairement à voir avec un enquêteur externe. Le délégué ministériel a le pouvoir d'ordonner la manière dont une enquête doit être menée. Ce pouvoir est prévu dans le Code au paragraphe 141(1) et le Code a priorité sur tout ce qui se trouve dans le Règlement en cas de conflit.

[147] Il n'est pas clair que la nature de l'entreprise ou la complexité du lieu de travail ait un rapport avec l'impartialité, comme le soutient l'appelante. L'impartialité est une question de parti pris et de préjugé et celle de savoir si la personne examinée a un intérêt dans le résultat. L'appelante fait référence à un problème distinct. Il est vrai que les personnes extérieures peuvent manquer de connaissances sur l'entreprise et ses complexités, mais cela est vrai pour presque toutes les personnes extérieures. C'est le cas du délégué ministériel. Il en va de même pour d'autres types d'inspecteurs, d'agents et d'organismes de réglementation dans d'autres régimes. C'est le cas des agents d'appel. En plus de 30 ans de pratique dans le domaine de la SST, j'ai entendu des représentants de compagnies pétrolières et gazières, d'hôpitaux, de fabricants et bien d'autres dire que leur lieu de travail est unique et complexe et largement inconnu des étrangers. Cette préoccupation a un certain mérite, mais il s'agit d'un problème qui ne peut généralement pas être résolu sur un lieu de travail où l'on retrouve de multiples régimes réglementaires.

[148] L'argument peut être inversé. L'article 20.9 du Règlement concerne la violence dans le lieu de travail. Il s'agit d'un ensemble de questions unique et complexe. Une personne externe spécialisée dans les cas de violence dans le lieu de travail possède une expertise qu'un responsable qui s'occupe occasionnellement d'un incident de violence dans le lieu de travail ne possède probablement pas. Il ne fait aucun doute que les gestionnaires peuvent être formés pour être des personnes compétentes lorsqu'ils enquêtent sur des incidents de violence dans le lieu de travail. Mais il est également possible que, dans de nombreux cas, il soit préférable de faire appel à un spécialiste des affaires de violence dans le lieu de travail. Si l'on pousse un peu plus loin l'argument de l'expertise de l'employeur, on peut en déduire qu'un agent d'appel ne pourrait pas être un décideur efficace à moins d'avoir une connaissance approfondie de tous les types de lieux de travail qui ont donné lieu à une affaire.

[149] S'il ne fait aucun doute que l'appelante est préoccupée par la situation de Mme Y, il est clair qu'elle est également très préoccupée par les effets économiques et organisationnels plus larges d'une décision selon laquelle un plaignant peut rejeter de nombreux enquêteurs proposés, en attendant un enquêteur externe. Pour le dire simplement, dans sa réplique, l'appelante a déclaré que l'appel de l'instruction est pour [traduction] « clarifier les obligations du CN en vertu de [l'article 20.9] pour les affaires futures » [soulignement ajouté].

[150] Il est important de souligner que la compétence d'un agent d'appel est centrée sur la justesse de l'instruction d'un délégué ministériel. Un agent d'appel ne précise pas le sens de la loi afin d'aider les parties sur le lieu de travail dans leurs efforts futurs. Un agent d'appel interprète la loi dans la mesure nécessaire pour résoudre un cas particulier. Dans une certaine mesure, l'agent d'appel peut tenir compte de l'incidence d'une interprétation particulière, mais uniquement en ce qui concerne le caractère raisonnable de l'interprétation et, même là, sous réserve de l'objectif global de la loi.

[151] Nulle part dans la partie II du Code les agents d'appel ne sont expressément autorisés à trouver un juste équilibre entre les risques et d'autres intérêts de nature économique ou d'efficacité organisationnelle. Pour le meilleur ou pour le pire, la partie II du Code concerne la SST; rien d'autre ne figure dans l'article 122.1.

[152] Cela étant dit, certaines des préoccupations de l'appelante peuvent être atténuées en notant que cette décision concerne la situation de Mme Y et l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling. S'il est décidé que l'instruction de la déléguée ministérielle doit être confirmée – l'employeur doit proposer des candidats externes à l'organisation de l'employeur – cela ne signifie pas que ce sera « toujours » ou « chaque fois » le cas. L'employeur est parfaitement libre de proposer des candidats internes qu'il estime compétents pour les cas futurs.

[153] L'appelante s'inquiète des répercussions d'une décision parce qu'elle mène [traduction] « des milliers d'enquêtes » chaque année. Je suis sûr que l'appelante ne veut pas dire qu'elle fait des milliers d'enquêtes sur la violence dans le lieu de travail. Il est probable qu'elle mène de nombreux autres types d'enquêtes en application d'autres lois ou rendues nécessaires par des litiges de common law. On peut comprendre que si l'employeur a décidé d'avoir un seul processus d'enquête pour tous les types d'enquêtes, une décision prise en vertu du Code aura donc une incidence sur le processus d'autres types d'enquêtes, mais cette façon dont l'employeur peut avoir organisé les choses n'est pas un facteur à prendre en compte dans le cas présent. Une décision prise en l'espèce n'a aucune incidence sur la manière dont les autres types d'enquêtes sont menés.

[154] L'appelante déclare qu'elle s'est conformée à l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling et qu'un enquêteur externe a été engagé. Dans sa réponse, l'appelante a clairement indiqué que l'appel ne visait pas à [traduction] « redémarrer ou arrêter l'enquête [externe] mais plutôt à clarifier les obligations du CN en vertu de l'article 20.9 pour les cas futurs ». Sa demande de modification de l'instruction serait dans l'intérêt des cas futurs, et non pas de celui en cours. Ce n'est pas une bonne raison pour modifier l'instruction. Ce pourrait être une bonne raison si l'instruction de la déléguée ministérielle Sterling pouvait être interprétée comme signifiant que l'appelante doit toujours proposer un enquêteur externe de manière continue. Mais ce n'est pas le cas. Il a déjà été dit qu'il n'y a pas de lien nécessaire ou obligatoire entre une décision dans la présente cause et la question de savoir si un enquêteur externe doit être nommé dans des cas futurs de violence dans le lieu de travail ou dans d'autres types d'enquêtes. C'est aux futures parties du lieu de travail d'en décider. Peut-être que la majorité des futurs plaignants, s'il y en avait, trouveraient les enquêteurs internes acceptables.

[155] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la décision de la déléguée ministérielle Sterling a satisfait aux exigences du paragraphe 141(1) du Code. Il n'y avait rien d'inapproprié, d'erroné ou de déraisonnable dans son instruction.

Décision

[156] Pour ces raisons, je confirme l'instruction émise par la déléguée ministérielle Sterling le 19 octobre 2018.

Peter Strahlendorf
Agent d'appel

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