2021 TSSTC 1

Date : 2021-05-13

Dossier : 2018-13 et 2018-14

Entre :

Jean-François Bergeron et al., appelants

et

Service Correctionnel du Canada, intimée

Indexé sous : Bergeron c. Service Correctionnel du Canada

Affaire: Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

Décision: La décision d’absence de danger est confirmée.

Décision rendue par :  M. Olivier Bellavigna-Ladoux, agent d’appel

Langue de la décision : Français

Pour l’appelante : Me François Ouellette, avocat et conseiller syndical, CSN

Pour l’intimée :  Me Kétia Calix, avocate, ministère de la Justice

Référence :  2021 TSSTC 1

Motifs de décision

[1] La présente décision concerne un appel déposé le 14 mai 2018 par M. Jean-François Bergeron et al., à l’encontre d’une décision d’absence de danger rendue le 5 mai 2018 par Mme Vicky Mathieu, déléguée officielle du ministre (déléguée ministérielle), conformément au paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code).

[2] L’employeur, le Service correctionnel du Canada (SCC), soutient que la décision de la déléguée ministérielle concluant en l’absence de danger devrait être maintenue puisque la preuve n’a pas démontré de menace imminente ou sérieuse.

[3] À la suite de la téléconférence préparatoire à l’audience qui a eu lieu le 14 août 2019, les dossiers 2018-13 (Jean-François Bergeron et al. et Service correctionnel du Canada) et 2018-14 (Daniel Vaillancourt et al. et Service correctionnel du Canada) ont été joints.

Contexte

[4] Les faits établis par la déléguée ministérielle, tels qu’ils sont relatés dans le rapport d’enquête, font état du contexte général. Les appelants sont des agents correctionnels (AC) en milieu d’établissements à sécurité maximale. Les appelants ont exercé un refus de travail collectif le matin du 3 mai 2018, découlant du fait que l’employeur avait modifié les procédures d’urgences et retiré la brigade incendie (BI). Ce refus de travail incluait 85 employés du Service correctionnel du Canada aux pénitenciers de Donnacona et de Port-Cartier. Avant son abolition, la BI était composée de 15 personnes à Donnacona et de 12 à Port-Cartier.

[5] Au moment du refus, les employés exerçaient leur travail normal, soit leurs tâches quotidiennes en tant que AC. Tout ce qui avait changé au moment du refus de travailler était le retrait de la BI.

[6] Ils ont affirmé qu’en cas d’incendie, ils risqueraient de se retrouver piégés et incapables d’évacuer, et le service d’incendie pourrait refuser d’intervenir si la population carcérale n’est pas contrôlée. Le danger signifié au ministre du Travail était formulé ainsi :

Suite à la dissolution de la brigade incendie institutionnelle qui était composé d’agents correctionnels-pompiers, la nouvelle procédure et méthode de travail mise en place (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage de moi-même et des autres occupants de mon lieu de travail, lorsque des détenus sont présents, si je suis piégé ou incapable d’évacuer par moi-même d’un secteur à risque pour ma vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques) représente un danger pour la vie (blessures corporelles graves ou la mort), car le service d’incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maîtrisée ou peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel d’incendie ou de sauvetage.

[7] Le 4 mai 2018, la déléguée ministérielle a effectué une enquête concernant le refus de travailler des employés du SCC dans le lieu de travail situé à Donnacona dans la province de Québec.

[8] Dans son rapport d’enquête, elle note en premier lieu qu’il est bien établi que la possibilité qu’un AC soit confronté à de la violence de la part des détenus, à des armes ou à une agression de la part des détenus constitue des conditions normales de l’emploi au sens du Code.

[9] Elle ajoute que ces conditions sont liées au caractère imprévisible du comportement humain et au contexte particulier du milieu carcéral et qu’elles sont clairement énoncées dans la description du poste d’AC.

[10] En ce qui a trait aux changements dans les procédures de l’employeur relativement aux BI, il s’agissait d’une décision de nature politique relevant du ressort exclusif de l’employeur.

[11] En 2009, selon le manuel sur la sécurité-incendie (manuel de 2009), la décision d’établir une BI relevait de la discrétion des directeurs des établissements. Au Canada, seulement cinq pénitenciers avaient une BI.

[12] Le rôle des BI était de contribuer à maîtriser les incendies qui ne pouvaient pas être éteints au moyen d’extincteurs manuels et de robinets d’incendies armés en attendant l’arrivée du service d’incendie municipal. Généralement, les BI n’étaient appelées à intervenir que lorsqu’elles risquaient peu de subir des blessures ou d’être investies par les flammes.

[13] Le manuel de 2009 indique que les BI devaient recevoir une formation adéquate, sans offrir de définition de ce qu’on entend par « formation adéquate ».

[14] L’édition de 2016 du manuel (manuel de 2016) a été élaborée par l’employeur et son objectif est de définir les procédures et pratiques uniformes qui permettront le maintien des standards élevés de rendement relatif à la sécurité-incendie et par le fait même réduire au minimum les risques de décès et de pertes matérielles.

[15] Selon le manuel de 2016, lorsqu’un incendie est considéré « maitrisable », les employés peuvent éteindre l’incendie par leurs propres moyens. Dans les autres cas, le manuel prévoit que les employés doivent entamer sans délai les procédures de sécurité-incendie dans l’établissement. Le service d’incendie municipal doit être avisé.

[16] Ce changement de procédures d’urgence pour l’évacuation ainsi que pour la recherche et le sauvetage aurait créé un danger accru qui est imputable à l’employeur suite à l’abolition de la BI industrielle et en transférant la responsabilité à la municipalité.

[17] Suite à l’enquête qui a été menée le 4 mai 2018 au pénitencier de Donnacona relativement au refus de travailler des appelants, la déléguée ministérielle a rendu la décision suivante conformément au paragraphe 129(4) du Code :

Absence de danger

Par conséquent, prenez note qu’en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail, les employés susmentionnés ne sont pas autorisés aux termes de l’article 128 à continuer de refuser d’exercer leur travail d’agent correctionnel dans leur lieu de travail car la nouvelle procédure et méthode de travail mise en place (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage de lui-même ou des autres occupants du lieu de travail lorsque des détenus sont présents, si l’agent est piégé ou incapable d’évacuer par lui-même d’un secteur à risque pour sa vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques) représente un danger pour la vie, car le service incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maîtrisée ou ne peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel incendie ou de sauvetage.

[18] Il s’agit de la décision qui fait l’objet du présent appel.

[19] Lors du témoignage de M. Davidson le 23 octobre 2019, la procureure de l’intimé a fait la demande de mettre sous scellés les pièces P-5, P-6, P-7, P-8, P-9, P-10 et P-11. J’ai accueilli la demande de l’intimé par ordonnance durant l’audience et les pièces ont été mises sous scellés.

La preuve testimoniale

[20] Les témoins des parties ont été entendus lors de l’audience qui a eu lieu les 22, 23, 24 et 25 octobre 2019, et au cours de la suite de l’audience les 9, 10 et 11 mars 2020. La déléguée ministérielle n’a pas comparu comme témoin et un seul témoin expert a été entendu.

[21] Les appelants ont fait comparaître cinq témoins, dont un témoin expert :

  1. Jean Girard, Directeur du service de sécurité incendie à Cap-Santé
  2. Jean-François Bergeron, Agent correctionnel à l’établissement Donnacona
  3. Jean-François Davidson, Agent correctionnel à l’établissement Donnacona
  4. Nicolas Proulx, Directeur-adjoint sécurité civile MRC de Shannon et Ville de Shannon
  5. Jean-Philippe Trottier, agent correctionnel à l’établissement Donnacona

[22] L’intimé a aussi fait comparaître cinq témoins :

  1. David Lamarre, Directeur du service de sécurité incendie de Port-Cartier
  2. Karl Léveillé, Directeur-adjoint aux opérations à l’établissement Donnacona
  3. Éric Amyot, Directeur du service de sécurité incendie de Donnacona
  4. Michael Kruszelnicki, ingénieur en protection incendie
  5. François Hamel, agent régional en sécurité incendie du Service Correctionnel du Canada

[23] Le tribunal a apprécié l’ensemble de la preuve testimoniale présentée lors de l’audience. Afin de faciliter l’organisation des témoignages, le tribunal a regroupé ces derniers en trois sujets et résume les principaux éléments comme suit.

1- La description, l’importance et l’abolition des BI

[24] À titre de témoin expert en tant que Directeur du service d’incendie de Cap-Santé et ancien Chef de la BI de l’établissement Donnacona, M. Jean Girard est venu témoigner du fait que selon lui il est préférable qu’un établissement carcéral soit doté d’une BI. Ceci permet en effet, selon lui, d’offrir un support opérationnel aux pompiers et de diminuer les délais d’intervention.

[25] Dans la deuxième partie de son rapport, M. Girard aborde la question du rôle de la BI et si elle contribue à mitiger les risques sur la santé et sécurité des employés.

[26] Il note que le secteur industriel au Québec, ou ailleurs au pays, n’est pas assujetti à l’obligation de maintenir une BI. Toutefois, on retrouve ce type de brigade dans différents secteurs industriels et elles ont généralement comme objectif de protéger les installations et les employés.

[27] Les établissements à sécurité maximum possèdent des mécanismes d’autoprotection comme le système de détection incendie, des réservoirs de plusieurs milliers de gallons d’eau et de pompes incendies pouvant pomper plusieurs gallons minutes, un réseau de poteaux incendie, des gicleurs et des cabinets incendie. Malgré tout, l’expert note que cela n’empêche en rien les possibilités de vandalisme, sabotage ou neutralisation de certains éléments ou composantes des systèmes de détection par des détenus.

[28] M. Girard est d’avis que les BI contribuent à mitiger les risques et dangers liés à la dynamique particulière du milieu carcéral de détention maximale. Cette conclusion repose sur les éléments suivants :

[29] L’expert conclut sans équivoque que la présence de BI peut prévenir, atténuer et éviter certains risques pour la santé, la sécurité et la sauvegarde de la vie des occupants et des employés.

2- Les risques suite à l’abolition des BI et la règle de la visibilité

[30] Dans son rapport, M. Girard fait état des risques sur la santé et sécurité des employés relativement aux incendies dans les établissements de détention à sécurité maximum. Les éléments essentiels notés dans le rapport sont les suivants :

[31] M. Jean-François Davidson, AC niveau 1 à Donnacona depuis une vingtaine d’années et membre du comité local de santé et sécurité au travail, est venu témoigner des types spécifiques de risques d’incendie en milieu carcéral à sécurité maximale, ainsi que de l’inquiétude et de la déception des gaz toxiques suite à l’abolition de leur BI.

[32] En tant que responsable régional en sécurité publique (mesures d’urgence), AC à Donnacona et lui aussi ancien chef de la BI de l’établissement Donnacona, M. Nicolas Proulx est venu témoigner des conséquences de l’abolition de la BI de l’établissement. Lui aussi est d’avis que la présence d’une BI dans un établissement carcéral à sécurité maximale améliore techniquement la sécurité des lieux en cas d’incendie, entre autres du fait que la ventilation (évacuation de la fumée) peut être amorcée bien avant l’arrivée des pompiers.

[33] M. David Lamarre, Directeur du service de sécurité incendie de Port-Cartier, a aussi témoigné sur les risques qui font suite à l’abolition des BI.

[34] En tant que pompier à Port-Cartier depuis 2005 et de directeur du service d’incendie depuis environ une année et demie, M. Lamarre est venu témoigner de ses expériences passées lors des quelques (quatre à cinq) interventions pour des incendies auxquels il a participé à l’établissement carcéral de Port-Cartier au cours des 14 dernières années (feu de cuisine, incendie allumé par un détenu dans sa cellule, etc.).

[35] Il confirme que sa caserne est située à environ deux kilomètres de l’établissement carcéral. Il confirme que le temps d’intervention est d’environ de deux à trois minutes (arrivée à la grille d’entrée du pénitencier), plus 10 à 15 minutes pour intervenir (avoir accès aux lieux, faire la prise d’information auprès du représentant autorisé de l’établissement, identifier les risques et élaborer un plan d’attaque spécifique). Le temps d’intervention dans ce type d’établissement est donc plus grand que la normale.

[36] Il confirme également que dans le cadre d’un protocole d’entente, un Plan d’Intervention d’Urgence (PIU) est préétabli entre son service et l’établissement carcéral de Port-Cartier. Ceci est dû à divers facteurs, dont la complexité et les délais particuliers d’accès aux lieux liés à sa vocation correctionnelle à sécurité maximale. Ce type de PIU prévoit que les détenus doivent être contrôlés (évacués des lieux et déplacés ailleurs dans l’établissement) par les employés de l’établissement avant l’intervention des pompiers, de manière à éviter les contacts avec ces derniers.

[37] En tant que Directeur-adjoint aux opérations de l’établissement Donnacona depuis deux ans, M. Karl Léveillé est venu témoigner des directives et procédures en santé et sécurité au travail qu’il supervise dans le cadre de son travail à l’établissement de Donnacona, incluant en cas d’intervention d’urgence pour un incendie.

[38] Il confirme que lors d’incidents avec génération de fumée, les AC ne sont pas autorisés à intervenir pour des opérations de recherches et/ou de sauvetage de détenus si la visibilité est de moins de 10 pieds en raison de la présence de fumée d’incendie. En effet, ces derniers ne sont ni équipés ni formés pour ce type d’intervention. Leur tâche est alors plutôt d’enfiler un appareil de protection respiratoire individuel autonome (APRIA) et de procéder à l’évacuation des détenus vers un endroit sécuritaire.

[39] De même, le témoin confirme que lorsqu’il y a risque immédiat pour la vie d’un détenu et que les AC ne peuvent intervenir en raison du critère précédent, ce sont les pompiers qui sont responsables des opérations de sauvetage.

[40] En tant que Directeur du service de sécurité incendie de Donnacona et pompier depuis une quinzaine d’années, M. Éric Amyot est venu témoigner du rôle et des tâches des pompiers dans le cadre d’interventions d’urgence à l’établissement de Donnacona et du PIU en place actuellement avec cet établissement.

[41] M. Michael Kruszelnicki est ingénieur spécialisé en prévention d’incendie œuvrant pour le SCC. Il est venu témoigner pour expliquer que les risques d’incendie dans les établissements carcéraux sont limités de par les normes de construction et d’aménagements propres à ce type d’établissement, comme, par exemple, le fait qu’il s’agit de constructions en béton et que des requis spécifiques sont appliqués pour les systèmes de ventilation. Les normes citées par l’ingénieur Kruszelnicki se retrouvent principalement dans le Code National du Bâtiment du Canada (CNBC) et le Code National de Prévention des Incendies du Canada (CNPIC).

[42] Finalement, sur ce point, le tribunal a entendu M. François Hamel, agent régional en sécurité incendie du SCC.

[43] En tant qu’agent régional pour le Québec en sécurité incendie pour le SCC, M. Hamel est venu témoigner du contenu du Manuel de Sécurité Incendie (MSI) utilisé dans les établissements carcéraux à sécurité maximale du Canada. Ce manuel confirme que les tâches des AC n’incluent aucunement la recherche et le sauvetage de détenus en cas d’incendie. M. Hamel confirme également qu’en cas de problème de contrôle de la population carcérale lors d’un incendie, tant les pompiers que les AC ont en tout temps la possibilité de se retirer s’il y a un risque pour leur vie.

3- L’incident du 26 septembre 2019

[44] Lors de l’audience, les témoins Jean-François Bergeron, Jean-François Davidson et Jean-Philippe Trottier ont témoigné relativement à l’incident du 26 septembre 2019 survenu dans l’aile J du pénitencier.

[45] Il s’agit d’un incident découlant d’une intervention auprès d’un détenu barricadé dans sa cellule. Lors de cette intervention, une équipe spécialisée d’AC, soit l’Équipe d’Intervention d’Urgence (EIU), aurait tenté d’extirper le détenu de sa cellule en utilisant des pinces hydrauliques pour forcer la porte de la cellule. Lors de l’intervention, les membres de l’EIU auraient éventuellement utilisé une grenade assourdissante lancée à l’intérieur de la cellule. Suite à l’utilisation de ce dispositif, de la fumée aurait commencé à être générée à l’intérieur de la cellule. Une fois le détenu extirpé, la fumée aurait continué à être générée et se serait graduellement répandue dans le corridor (rangée) de l’aile J.

[46] Les pompiers municipaux auraient alors été alertés. Entre temps, des AC portant des appareils APRIA ainsi que dans certains cas leurs uniformes de pompier de la défunte BI seraient intervenus sur les lieux, entre autres pour retirer du corridor les équipements laissés sur place par les membres de l’EIU et tenter de neutraliser la source de la fumée provenant de la cellule (à l’aide d’eau et d’extincteurs). Les AC auraient retiré des lieux les pinces, le boyau d’incendie, les extincteurs et autres équipements présents et les détenus de la rangée auraient été avisés d’évacuer leurs cellules et la rangée, ce qu’ils auraient fait graduellement d’eux-mêmes, individuellement ou par petits groupes. Une importante quantité de fumée était alors présente dans la rangée.

[47] Des AC équipés de leurs uniformes de pompier de la défunte BI auraient également utilisé un ventilateur faisant partie des équipements de l’ancienne BI pour extraire la fumée envahissant la rangée en plaçant le ventilateur dans l’ouverture de la sortie de secours située à l’extrémité de la rangée. Des images vidéo des événements ont d’ailleurs été consultées lors de l’audience. Sur ces images, on voit les pompiers municipaux arriver dans la rangée alors que la fumée est déjà grandement évacuée des lieux.

[48] M. Trottier est un AC niveau 2 à Donnacona possédant huit ans d’expérience de travail dans l’établissement. Il est venu témoigner de l’incident du 26 septembre 2019 dans l’aile J de l’établissement et de l’intervention subséquente de la BI et ensuite sur celle des pompiers. Il était un des employés sur les lieux et il mentionne en particulier que la règle de visibilité de 10 pieds n’aurait pas été respectée par les AC lors de cet événement, en particulier dans la région du fond de la rangée où se trouvait la cellule à l’origine de la fumée.

Observations des parties

Arguments des appelants

[49] Selon les appelants, la notion de danger est centrale au présent litige et la définition prévue à l’article 122(1) du Codefait l’objet d’une jurisprudence abondante qui a été résumé dans la décision KetchesonNote de bas de page 1.

[50] Afin de répondre aux questions décrites dans cette affaire, les appelants soutiennent qu’il est essentiel d’analyser non seulement les faits au moment du refus de travail, mais également les événements antérieurs et postérieurs au refus de travail afin de déterminer les risques que le danger se concrétise.

[51] Étant donné l’argument de l’intimé à l’effet qu’il est improbable que le risque envisagé par les appelants se concrétise, ces derniers rappellent les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire MartinNote de bas de page 2. Dans cette affaire, la Cour indique que lorsqu’un risque futur ou éventuel est considéré, les tribunaux administratifs doivent « apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard ».

[52] Les appelants maintiennent que l’abolition des BI constitue un danger au sens du Code et de la jurisprudence relative au cadre d’analyse en trois critères élaborés dans Ketcheson.

I. Le risque allégué

[53] Les appelants soutiennent que l’abolition des BI constitue une détérioration majeure pour la santé et sécurité des employés de l’établissement Donnacona. Il s’agirait d’une situation analogue à celle de l’affaire Ketcheson parce que ce n’est pas la décision politique de retirer les brigades qui constitue le risque, mais plutôt « le résultat de celle-ci qui peut constituer une cause directe ».

[54] Les appelants résument les conséquences de l’abolition des BI de la manière suivante :

[55] Les appelants sont d’avis que cette situation crée différents risques. Notamment, l’absence de formation adéquate entraîne un risque plus élevé que les employés s’exposent à une intoxication par la fumée ou les contaminants de l’incendie. Ce risque devient exponentiel en raison de l’incapacité du personnel et des pompiers municipaux d’intervenir rapidement et efficacement sur les lieux incendiés.

[56] Ils ajoutent qu’un incendie qui n’est pas rapidement maitrisé force l’évacuation intérieure des détenus, ce qui constitue en soi un risque qui pourrait être évité par une intervention rapide et efficace des membres de la brigade.

[57] Il est allégué qu’en l’absence des brigades, le risque que les incendies dégénèrent est plus élevé, ce qui augmente les probabilités de mettre en danger la vie et la sécurité des occupants du bâtiment.

[58] Selon les appelants, le personnel est beaucoup plus prompt à commettre des erreurs qui mettraient leur sécurité en danger étant donné l’absence de formation adéquate.

[59] En conclusion sur le premier critère, les appelants indiquent que, selon la procédure actuelle, dans le cas où une personne serait prisonnière de la fumée, ni les pompiers municipaux ni le personnel ne sont habilités à effectuer de la recherche et sauvetage dans une visibilité de moins de 10 pieds. Dans une telle situation, une personne ainsi prisonnière pourrait éventuellement perdre la vie.

II. Menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé

[60] Les appelants soutiennent que l’abolition des BI constitue une menace sérieuse au sens de la définition de danger. Selon l’affaire Ketcheson, deux éléments sont nécessaires pour arriver à cette conclusion : (1) La menace doit être susceptible de causer des blessures ou une maladie grave et (2) il doit être vraisemblable que la menace se matérialise.

[61] Relativement au premier point, il est soumis que la preuve est catégorique à l’effet que l’exposition à la fumée peut entrainer des difficultés respiratoires, des lésions et même la mort. Cette fumée est encore plus dangereuse en milieu carcéral étant donné la nature du bâtiment qui garde la fumée captive et du fait que les détenus allument des feux intentionnellement. Ainsi, le danger que représentent les détenus est exacerbé par les incendies. La Cour fédérale, dans VervilleNote de bas de page 3, a établi que le comportement imprévisible des détenus correspond en soi à la définition de danger.

[62] Quant au deuxième point, les appelants soumettent, en s’appuyant sur l’affaire Keith HallNote de bas de page 4, qu’il faut une possibilité raisonnable que la menace alléguée se matérialise pour qu’il y ait présence d’un danger.

[63] Dans le cas d’une menace imminente, il s’agirait d’une situation, tâche ou d’un risque qui causeront bientôt des blessures à une personne ou la rendra malade en quelques minutes ou quelques heures.

[64] Dans le cas d’une menace sérieuse, il s’agirait d’une situation, tâche ou d’un risque qui causeront des blessures sévères à une personne ou la rendra gravement malade à un moment donné dans l’avenir, soit en quelques jours, semaines, mois et même possiblement au cours des années suivantes.

[65] Afin de déterminer la possibilité raisonnable que le risque se produise dans l’avenir, les appelants citent l’affaire NolanNote de bas de page 5, dans laquelle le tribunal énonce le test applicable. Selon les appelants, la preuve doit être suffisante pour permettre d’établir que l’abolition des brigades pourrait vraisemblablement mener à un accident causant un préjudice sérieux à ces employés à un moment donné à l’avenir.

[66] Selon les appelants, l’historique de la BI démontre que son abolition en 2018 a créé une situation et un risque qui présentent une menace imminente et sérieuse pour la vie ou la santé des employés.

[67] Au soutien de cette prétention, les appelants font référence à un incident qui aurait vraisemblablement pu être rapidement circonscrit par la brigade mais étant donné l’abolition de cette dernière l’incident a dégénéré et l’hospitalisation de certains employés fut nécessaire.

[68] Les appelants soutiennent que les risques identifiés dans le rapport d’expert ainsi que le rôle de la BI ne sont pas hypothétiques puisqu’ils ont pu être observés à de multiples reprises lors d’événements concrets.

[69] De plus, aucun doute ne devrait perdurer quant à la probabilité que le danger se matérialise puisque l’incident craint par les appelants s’est matérialisé le 26 septembre 2019, soit quelques mois après la décision de la déléguée ministérielle.

[70] Ainsi, les appelants affirment que la décision de la déléguée ministérielle n’est pas raisonnable. En réponse à la question posée dans l’affaire Nolan, ils concluent que non seulement est-il probable qu’un événement ou un incident causant un préjudice sérieux à un employé surviendra considérant les événements passés; il s’agit d’une certitude étant donné que, dans les faits, le préjudice s’est déjà matérialisé postérieurement au dépôt de la plainte.

[71] De plus, ils affirment que la preuve démontre que les différents moyens mis en place pour pallier à l’absence de brigade et atténuer les risques liés aux incendies sont inefficaces. Malgré la mise en place de moyens par l’employeur, l’incident du 26 septembre 2019 a donné lieu à une situation qui ne s’était jamais produite pendant presque 30 ans d’existence de la brigade.

[72] À cet égard, les appelants rappellent la décision de la Cour fédérale dans Syndicat des agents correctionnels du CanadaNote de bas de page 6, dans laquelle la Cour affirme que le succès des mesures à l’égard de l’élimination du risque doit être pris en considération par l’agent d’appel.

III. Existence de la menace une fois que la situation soit corrigée, que la tâche soit modifiée ou que le risque soit écarté

[73] Les appelants soulignent que depuis l’abrogation des BI, l’employeur ne s’est pas penché sur la situation dangereuse et que ce dernier confirme ne pas avoir l’intention de rétablir la brigade.

[74] Selon les appelants, la situation dangereuse ainsi créée n’a pas été rectifiée, mais au contraire a été amplifiée par l’absence de moyen pris par l’intimé pour fixer cette brèche dans la sécurité du milieu de travail. Aucun plan de transition n’a été mis en place par l’intimé. Les appelants ajoutent que la menace pour la vie ou la santé est non seulement existante, car en effet elle s’est matérialisée le 26 septembre 2019, avant que la situation ne soit corrigée.

[75] En l’espèce, le « risque zéro » est impossible à atteindre, mais il est possible de le réduire ou de l’atténuer. À cet égard, les appelants soumettent que les autres mesures de contrôle en place dans l’établissement carcéral ne suffisent pas à réduire le risque pour le danger.

[76] En effet, le double danger présenté simultanément par les détenus et le feu nécessite une réponse humaine par des employés correctement formés et qualifiés. Ils suggèrent que les mesures prises par l’employeur sont par ailleurs inefficaces pour assurer la ventilation rapide de la fumée, l’intervention rapide sur des feux d’envergure moyenne à grande ainsi que la recherche et sauvetage des occupants.

[77] Les appelants notent aussi que les risques étaient atténués de façon substantielle par les BI, ce qui est confirmé par le témoin expert M. Girard. De plus, ils indiquent que l’utilité de la brigade a été démontrée par l’expérience vécue.

[78] En conclusion, les appelants soumettent que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires afin de réduire le risque; au contraire, il a aboli l’une des mesures essentielles de la lutte contre les incendies sans établir d’alternative viable.

[79] Pour ces motifs les appelants demandent que le tribunal : (1) accueille l’appel; (2) infirme l’instruction émise par la déléguée ministérielle du 14 mai 2018; (3) déclare l’existence d’un danger au sens du Code et (4) ordonne l’annulation de l’abolition des BI dans les pénitenciers fédéraux à sécurité maximale.

B) Arguments de l’intimé

I. Les appelants n’étaient pas exposés à un danger au sens du Code.

[80] Selon l’employeur, la décision d’absence de danger est bien fondée et la preuve n’est pas suffisante pour démontrer que les appelants étaient exposés à un « danger » au sens du Code lorsqu’ils ont exercé leur refus de travail.

[81] Les risques comprennent de très grands risques qui constituent un « danger » et qui peuvent faire l’objet d’un refus de travailler. D’autre part, on trouve les risques plus faibles ne constituant pas des « dangers » et qui sont traités au moyen d’autres mécanismes que le refus de travailler.

II. La situation alléguée

[82] Selon l’employeur, les appelants font état de deux situations alléguées au soutien de leur refus de travail.

[83] Dans les observations écrites des appelants, la situation alléguée serait le retrait de la BI aux établissements Donnacona et Port-Cartier. Or, lors du refus de travailler au terme de l’article 128 du Code, les motifs du refus de travail étaient les suivants :

Suite à la dissolution de la brigade incendie institutionnelle qui était composé d’agents correctionnels-pompiers, la nouvelle procédure et les méthodes de travail mises en place dans le manuel sur la sécurité incendie (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage d’un employé ou des autres occupants du lieu de travail lorsque des détenus sont présents, si l’employé est piégé ou incapable d’évacuer par lui-même d’un secteur à risque pour sa vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques), représentent un danger pour la vie car le service incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maitrisée ou peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel incendie ou de sauvetage.

[84] L’intimé soutient que les motifs du refus de travail ont enclenché le processus prévu selon le Code, ce qui a aussi mené à l’enquête et à la décision de la déléguée ministérielle. C’est pourquoi la situation alléguée devrait être les motifs du refus de travail exposés par les appelants lorsqu’ils ont exercé leur refus de travail.

[85] L’intimé soumet que la décision de démanteler les BI et de ne pas y faire référence dans le Manuel de 2016 est une décision de nature politique. Les BI n’étaient pas présentes dans tous les établissements à sécurité maximale. La décision de démanteler les BI constitue une cause profonde et cette décision ne peut pas constituer un risque au sens de l’article 128 du Code.

[86] L’intimé avance que les motifs invoqués par les appelants lorsqu’ils ont exercé leur refus de travail sont ceux devant être examinés dans cet appel.

III. Aucune menace imminente ou sérieuse

[87] Selon l’employeur, certaines limites s’appliquent à la notion de « danger ». Le critère juridique ne permet pas de qualifier de « danger » des scénarios hypothétiques ou génériques lorsqu’il serait préférable d’examiner de telles questions à l’aide des autres mécanismes prévus au Code.

[88] L’intimé partage l’avis des appelants à l’effet qu’il n’y a pas de menace imminente.

[89] L’intimé note qu’une menace sérieuse fait en sorte qu’il est vraisemblable que le risque cause des blessures ou une maladie grave à un moment donné à l’avenir. Le concept de « danger » se base sur la notion de ce qui pourrait vraisemblablement se présenter. Ainsi, selon l’intimé, la simple possibilité qu’un évènement ou un incident cause un préjudice sérieux est insuffisante pour conclure à l’existence d’une menace sérieuse.

[90] En effet, il maintient que la preuve doit être suffisante pour démontrer que des employés pourraient vraisemblablement être assujettis à un préjudice sérieux en raison de leur exposition au risque. Ici, la preuve est insuffisante pour établir une possibilité raisonnable que la situation alléguée ne se produise.

[91] D’entrée de jeu, l’intimé soumet que la preuve testimoniale indique qu’il n’y a pas eu de situation dans laquelle un incendie serait survenu, la population carcérale n’était pas maîtrisée et un ou des membres du personnel étaient coincés et ne pouvaient pas sortir.

[92] L’intimé note que le dossier d’appel ne contient aucun rapport d’observation ou d’enquête, ni d’autres documents relatant le fait que la situation alléguée serait survenue ou qu’une situation où des employés seraient restés coincés lors d’un incendie serait survenue.

[93] Ce que la preuve établit est que, sauf pour un incendie majeur à l’établissement Donnacona il y a plusieurs années, les feux sont généralement mineurs. La preuve démontre que le service d’incendie de Donnacona n’est intervenu qu’une seule fois à l’établissement Donnacona depuis 2008, soit le 26 septembre 2019, date postérieure au refus de travail exercé par les appelants. Dans ce cas, le feu avait déjà été éteint par les AC avant l’arrivée du service d’incendie. L’intimé prétend que l’incident du 26 septembre n’est pas pertinent pour trancher la question en litige puisque la situation alléguée au soutien du refus de travail n’est pas survenue lors de cet incident.

[94] L’intimé note que, selon la preuve testimoniale, l’intervention des pompiers au cours des 14 dernières années à l’établissement Port-Cartier se limitait le plus souvent à ventiler et rechercher des points chauds. De plus, les statistiques incomplètes déposées en preuve montrent que durant la période de 2013 à 2019, les feux qui ont eu lieu dans les établissements à sécurité maximale et à niveaux de sécurité multiples étaient en grande majorité mineurs et éteints par des AC.

[95] L’intimé indique également que, malgré que certains AC soient pompiers dans un service d’incendie, ils ne sont pas embauchés à titre de pompier par l’employeur, mais plutôt à titre d’AC. Ce rôle demande, entre autres, de superviser et contrôler les activités et déplacements des détenus, de veiller à la sécurité au sein de l’établissement, de maintenir la paix dans l’établissement et de tenter de corriger des comportements inadéquats de la part des détenus. Il revient aux services d’incendie d’éteindre les incendies jugés non maîtrisables.

[96] Selon l’intimé, la preuve démontre que, dans le cas d’un feu à l’établissement Donnacona, le service d’incendie de Donnacona interviendra. Le type d’intervention possible par les pompiers est :

[97] Le service d’incendie de Donnacona ne mettra pas la vie des pompiers en danger pour sauver des vies s’il y a un risque d’embrasement. Par contre, l’intimé note que le témoignage de M. Amyot indique qu’il y a toujours quelque chose qui peut être fait par les pompiers.

[98] À l’égard du rapport d’expert de M. Girard, l’intimé argumente que peu de poids devrait y être accordé étant donné l’absence de référence à la méthodologie employée pour établir les conclusions ainsi que les faits sur lesquels les opinions sont fondées.

IV. Les mesures mises en place par l’employeur pour réduire les risques d’incendie.

[99] L’intimé note les mesures qui ont été mises en place pour réduire considérablement les risques :

[100] L’intimé note que le risque ne peut pas être éliminé, mais qu’il peut être mitigé. Le risque de propagation d’un incendie est considérablement limité par des moyens techniques et opérationnels. De plus, si un service d’incendie ne peut éteindre un feu directement de l’intérieur, il peut l’éteindre par d’autres moyens, selon la situation.

[101] En ce qui a trait à l’interprétation de l’affaire Verville par les appelants à l’effet que le comportement imprévisible des détenus constituerait en soi à la définition de danger, l’intimé ne partage pas ce point de vue. Ce n’est pas ce que cette décision établit selon l’intimé. Dans cette décision, le demandeur avait admis que sa description d’emploi faisait état du risque d’une possible prise d’otages, de possibles blessures ou d’un possible danger, lorsqu’un agent devait composer avec des détenus violents ou hostiles (constituant une condition normale d’emploi des AC).

[102] Finalement, l’intimé soumet que les faits et la preuve n’indiquent pas de menace imminente ou sérieuse. Ainsi, la décision de la déléguée ministérielle était bien fondée.

[103] Pour ces raisons, l’intimé demande au Tribunal de rejeter cet appel et de confirmer la décision de la déléguée ministérielle en date du 4 mai 2018.

C) Réplique

[104] En réplique, les appelants soutiennent que les représentations de l’intimé présentent trois arguments. Ils complètent leurs représentations principales en adressant les trois arguments ainsi que d’autres points spécifiques des représentations de l’intimé concernant la preuve.

I. Le danger identifié par les appelants est de nature hypothétique

[105] Les appelants répètent que le danger posé par le retrait de la BI est non seulement bien réel, mais s’est déjà matérialisé lors des évènements du 26 septembre 2019. Ils sont d’avis que la preuve est prépondérante à l’effet qu’il est probable que l’abolition des brigades cause des blessures ou même la mort des occupants de l’établissement correctionnel.

[106] Ils notent que l’objectif du refus de travail est précisément de remédier au danger avant qu’il se concrétise et au soutien de leur position ils citent à nouveau l’affaire Martin.

II. Les différents moyens de prévention des incendies déjà en place sont suffisants et les brigades sont vétustes, rendant ces dernières inutiles

[107] Les appelants soutiennent que ces mesures sont louables mais que la preuve est prépondérante à l’effet qu’en pratique elles sont insuffisantes et ne peuvent remplacer les BI. Ils notent une dichotomie profonde entre ce que ces procédures sont censées accomplir en théorie et leur véritable efficacité en pratique.

[108] Plusieurs exemples sont illustrés dans la réplique, quelques-uns d’entre eux sont reproduits ci-après :

[109] Les appelants argumentent que le tribunal devrait privilégier les témoignages des témoins entendus qui ont l’expérience d’intervention concrète sur les incendies à Donnacona. Ces derniers sont unanimes quant à la prétention qu’une BI est indispensable pour mitiger les risques liés aux incendies en milieu correctionnel.

[110] Les appelants s’opposent à la position de l’intimé en ce qui a trait à la vétusté des BI. Cette vétusté a justifié leur abolition par l’intimé alléguant qu’elles n’étaient pas uniformes d’un pénitencier à l’autre, que leur rôle ainsi que leurs besoins en formation n’étaient pas clairs, que leur formation n’était pas adéquate et leur équipement était vétuste. Les appelants indiquent que la preuve testimoniale de MM. Proulx et Girard contredit le témoin Hamel sur ce point.

[111] Les appelants notent qu’il incombe à l’employeur de former et d’équiper adéquatement ses employés. Le constat de la vétusté des brigades n’est pas une fatalité selon les appelants puisqu’il est loisible à l’employeur de combler les lacunes observées et qu’il est le seul à blâmer pour ne pas l’avoir fait en temps opportun.

III. Le motif sous-tendant le refus de travail n’est pas l’abolition des BI en soit, mais une situation spécifique alléguée dans le refus de travail

[112] En réplique, les appelants soutiennent que le tribunal doit rendre sa décision en se basant sur la preuve déposée lors de l’instruction de l’audience puisqu’il s’agit d’un appel de novo.

[113] Selon les appelants, ce principe implique que la preuve présentée à l’audience prévaut sur la formulation du refus de travail initial. Au soutien de cet argument, ils citent l’affaire ZimmermanNote de bas de page 7.

[114] Ils ajoutent que le témoignage de M. Bergeron était clair à l’effet que le motif sous-tendant son arrêt de travail était l’abolition des BI. Le témoignage de M. Davidson est au même effet. De plus, aucune preuve ne fut présentée à l’effet que l’intimé n’avait pas compris le danger tel qu’exprimé par ces deux témoins en début d’audience.

[115] L’interprétation par l’intimé du libellé du refus de travail à ce stade avancé des procédures ne devrait pas prévaloir sur l’intention clairement formulée de la partie appelante et de son représentant à l’effet que c’est l’abolition des brigades qui constituait à leurs yeux un danger.

[116] Ainsi, les appelants invitent le tribunal à trancher le litige à la lumière de la preuve présentée lors de l’audience, et non à se limiter à la formulation du refus de travail initial.

IV. Autres points spécifiques de l’intimé concernant la preuve

[117] En réplique, les appelants soutiennent que, contrairement aux prétentions de l’intimé, l’incident du 26 septembre 2019 est pertinent et devrait être considéré.

[118] Ils rappellent qu’il s’agit d’un appel de novo et que l’agent d’appel n’est pas lié par les conclusions de la déléguée ministérielle. Ils ajoutent que l’agent d’appel doit se baser sur la preuve présentée à l’audience, y compris les éléments de preuve qui n’étaient pas mis à la disposition de la déléguée ministérielle ou dont elle n’a pas tenu compte.

Question en litige

[119] L’abolition des BI par l’intimé constitue-t-elle un danger au sens de l’article 122(1) du Code?

Analyse

[120] Je suis saisi d’un appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code à l’encontre d’une décision d’absence de danger rendue par la déléguée ministérielle.

[121] Le paragraphe 146.1(1) du Codedéfinit le pouvoir de l’agent d’appel saisi d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision d’absence de danger :

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

(a)     soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

[122] Les appelants ont exercé un refus de travailler au terme de l’alinéa 128(1)a) du Code :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

(a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

[123] Les appelants sont d’avis que l’abolition des BI constitue un danger pour eux-mêmes et pour les employés de l’établissement Donnacona.  Le concept de danger au sens du Code est défini au paragraphe 122(1) :

122(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

danger Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[124] Pour prendre la décision de confirmer ou d’annuler la décision d’absence de danger rendue par la déléguée ministérielle, j’appliquerai le critère juridique décrit dans la décision Ketcheson aux faits du dossier qui nous occupe afin d’établir si les appelants étaient exposés à un danger au sens du Code.

[125] Le critère est décrit comme suit :

[126] Je ferai donc l’évaluation de la preuve contre ce cadre juridique.

1) Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche ?

[127] La preuve décrite ci-dessus établit que les appelants ont exercé un refus de travail collectif le matin du 3 mai 2018, découlant du fait que l’employeur avait modifié les procédures d’urgence et retiré la BI. Ce refus de travail collectif incluait 85 employés du SCC aux pénitenciers de Donnacona et de Port-Cartier.

[128] Au matin du 3 mai 2018, le seul changement dans le cadre du travail des AC était le retrait de la BI suite à la décision prise par l’intimé.

[129] En conséquence directe du retrait de la BI, les appelants allèguent que dans l’éventualité d’un incendie ils risqueraient de se retrouver piégés et incapables de procéder à l’évacuation. De plus, ils affirment que le service d’incendie pourrait refuser d’intervenir si la population carcérale n’est pas contrôlée.

[130] La preuve indique que le danger signifié au ministre du Travail était formulé ainsi :

Suite à la dissolution de la brigade incendie institutionnelle qui était composé d’agents correctionnels-pompiers, la nouvelle procédure et méthode de travail mise en place (MSI 2016) afin d’effectuer la recherche et le sauvetage de moi-même et des autres occupants de mon lieu de travail, lorsque des détenus sont présents, si je suis piégé ou incapable d’évacuer par moi-même d’un secteur à risque pour ma vie (par du feu, de la chaleur, des matières dangereuses, de la fumée et/ou autres risques) représente un danger pour la vie (blessures corporelles graves ou la mort), car le service d’incendie de la Ville ne contrôle pas les détenus et peut décider de ne pas entrer dans l’établissement si la population carcérale n’est pas maîtrisée ou peut quitter à tout moment si la menace d’un détenu ou une agitation met en danger le personnel d’incendie ou de sauvetage.

[131] Par ailleurs, le danger signifié au ministre du Travail est celui qui a enclenché le processus prévu selon le Code, lequel a aussi mené à l’enquête et à la décision d’absence de danger rendue par la déléguée ministérielle.

[132] Le rapport et le témoignage du témoin expert confirment que le risque allégué est celui tel que décrit dans l’avis signifié au ministre du Travail. En effet, M. Girard a été présenté et reconnu par le soussigné comme témoin expert dans le secteur de la prévention d’incendie en milieu carcéral à sécurité maximale. Malgré l’absence de détails relativement à la démarche scientifique utilisée par l’expert pour arriver à ses conclusions, je note que son témoignage était crédible, fiable et cohérent avec le rapport soumis en preuve.

[133] Le tribunal reconnaît l’argument de l’intimé à l’effet que la preuve de l’expert ne fait pas état de la méthodologie utilisée et que pour cette raison je devrais y accorder peu de poids. Plusieurs facteurs sont à prendre en considération dans la détermination de l’admissibilité et de la valeur du témoignage donné par un témoin expert, notamment :

[134] La question de la méthodologie n’est qu’un facteur parmi plusieurs autres à tenir compte pour évaluer la valeur probante de l’expertise. En l’espèce, et après avoir soupesé tous les facteurs pertinents, je suis d’avis que l’argument de l’intimé n’est pas suffisant pour affecter la valeur probante de l’expertise tel qu’il le suggère.

[135] En effet, les autres facteurs dont j’ai tenu compte me font accorder une grande valeur probante à l’expertise de M. Girard. Particulièrement, la preuve soumise relevait de son domaine d’expertise en tant que Directeur du Service de Sécurité incendie pour la municipalité de Cap-Santé, son témoignage était nécessaire pour aider à régler la question en litige et cette expertise a été acquise au cours de plusieurs années d’expérience tel que démontré lors de son témoignage.

[136] Pour ces raisons, je conclus que le risque est celui tel que décrit et signifié au ministre du Travail.

2) Ce risque pourrait-il présenter une menace imminente ou sérieuse?

A. Menace imminente

[137] Tel qu’énoncé dans la décision Ketcheson, une menace imminente existe quand il est vraisemblable que le risque, la situation ou la tâche alléguée entraîne rapidement (dans les prochaines minutes ou les prochaines heures) des blessures ou une maladie. Le degré de gravité du préjudice peut aller de faible (sans être négligeable) à grave. Le caractère vraisemblable implique la prise en compte des éléments suivants: la probabilité qu'une personne soit en présence du risque, de la situation ou de la tâche; la probabilité que le risque cause un évènement ou une exposition; et la probabilité que l'évènement ou l'exposition cause un préjudice à une personne.

[138] Je note que les parties s’entendent pour dire que la situation alléguée ne constitue pas une menace imminente pour la vie ou pour la santé des appelants.

[139] Par conséquent, et après avoir considéré les éléments de preuve au dossier, je partage leur avis que les faits de cette affaire ainsi que le risque allégué ne constituent pas une menace imminente pour la vie ou pour la santé des appelants.

B. Menace sérieuse

[140] Après avoir conclu qu’il n’y a pas de « menace imminente », je dois déterminer si la situation alléguée par les appelants pouvait vraisemblablement présenter une « menace sérieuse » pour la vie ou la santé des appelants.

[141] Comme il est énoncé dans la décision Ketcheson, une menace sérieuse existe lorsqu'il est vraisemblable que le risque, la situation ou la tâche alléguée cause des blessures ou une maladie grave à un moment donné dans l'avenir (dans les jours, les semaines, les mois ou, dans certains cas, les années à venir). Un évènement ou une chose qui est peu probable dans les prochaines minutes peut être très probable lorsqu’un laps de temps d’une plus longue durée est pris en compte. Le préjudice ne doit pas être mineur; il est grave. Le caractère vraisemblable implique la prise en compte des éléments suivants: la probabilité qu'une personne soit en présence du risque, de la situation ou de la tâche; la probabilité que le risque cause un évènement ou une exposition; et la probabilité que l'évènement ou l'exposition cause un préjudice à une personne.

[142] Après avoir pris en compte l’ensemble des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je conclus, pour les raisons suivantes, que les appelants n’étaient pas exposés à une menace sérieuse pour leur vie ou leur santé.

[143] Afin d’arriver à la conclusion que les appelants étaient exposés à une menace sérieuse pour leur santé ou leur vie, la preuve doit démontrer qu’il était vraisemblable que les appelants allaient faire face, dans les jours, les semaines ou les mois à venir, à une situation qui leur aurait causé un préjudice sérieux du fait de l’abolition de la brigade locale d’incendie.

[144] En d’autres termes, l’affaire Ketcheson nous enseigne que deux éléments sont requis pour conclure que le risque allégué constitue une menace sérieuse : (1) la menace doit être susceptible de causer des blessures ou une maladie grave et (2) il doit être vraisemblable que la menace se matérialise.

[145] Le tribunal note que les parties sont en accord quant au cadre d’analyse juridique applicable au concept de « menace sérieuse ».

[146] Relativement au premier élément d’analyse, les appelants soutiennent que la preuve est claire à l’effet que l’exposition à la fumée peut entraîner des difficultés respiratoires, des lésions et, dans les cas plus extrêmes, même la mort. Ils notent que la fumée est encore plus dangereuse en milieu carcéral étant donnée la nature du bâtiment qui garde la fumée captive et du fait que les détenus allument des feux de manière intentionnelle.

[147] D’autre part, l’intimé souligne que certaines limites s’appliquent à la notion de « danger » et que le critère ne permet pas de qualifier de « danger » des scénarios hypothétiques ou génériques.

[148] En ce qui a trait au premier élément et considérant la valeur probante accorder à l’expertise de M. Girard, le tribunal partage l’avis des appelants à l’effet que la preuve démontre que le risque allégué ou la menace pourrait potentiellement être susceptible de causer des blessures ou une maladie grave.

[149] Dans son rapport, le témoin expert fait état des risques sur la santé et sécurité des employés relativement aux incendies en milieu carcéral à sécurité maximale :

[150] En effet, il ne fait aucun doute que les risques et menaces tel que décrits par le témoin expert démontrent qu’ils sont potentiellement sérieux. Par contre, ce n’est pas suffisant en soi pour conclure que le critère de Ketcheson a été satisfait. Le caractère vraisemblable que cette menace se réalise doit aussi être démontré par la preuve.

[151] Hormis son argument sur la valeur probante de l’expertise, l’intimé n’a pas fait de représentations quant aux risques potentiels sur la santé et sécurité tel que démontré par la preuve de l’expert. Les arguments de l’intimé portent plutôt sur le deuxième élément du critère de Ketcheson, c’est-à-dire sur la vraisemblance que la menace se réalise. Il s’agit du point qui est litigieux en l’espèce et je me pencherai donc sur cet élément dans la prochaine partie de l’analyse.

[152] À ce sujet, les appelants citent l’affaire Nolan et maintiennent que la preuve doit être suffisante pour permettre d’établir que l’abolition des brigades pourrait vraisemblablement mener à un accident causant un préjudice sérieux à ces employés à un moment donné à l’avenir. Les risques identifiés dans le rapport d’expert ainsi que le rôle de la BI ne sont pas hypothétiques puisqu’ils ont pu être observés à de multiples reprises lors d’événements concrets.

[153] Selon eux, aucun doute ne devrait perdurer quant à la probabilité que le danger se matérialise puisque l’incident craint par les appelants s’est matérialisé le 26 septembre 2019, soit quelques mois après la décision faisant l’objet de cet appel. Relativement au test dans l’affaire Nolan, ils concluent que non seulement est-il probable qu’un événement ou un incident causant un préjudice sérieux à un employé surviendra considérant les événements passés; il s’agit d’une certitude étant donné que dans les faits le préjudice s’est déjà matérialisé postérieurement au dépôt de la plainte.

[154] Ils affirment aussi que la preuve démontre que les différents moyens mis en place pour pallier l’absence de brigade et atténuer les risques liés aux incendies sont inefficaces. Malgré la mise en place de moyens par l’employeur pour atténuer les risques reliés aux incendies, l’incident du 26 septembre 2019, a résulté en une situation qui ne s’était jamais produite pendant presque 30 ans d’existence de la brigade.

[155] Pour sa part, l’intimé soutient que la preuve testimoniale indique qu’il n’y a pas eu de situation dans laquelle un incendie serait survenu, la population carcérale n’était pas maîtrisée et un ou des membres du personnel étaient coincés et ne pouvaient pas sortir. Il ajoute que le dossier d’appel ne contient aucun rapport d’observation ou d’enquête, ni autre document relatant que la situation alléguée serait survenue ou qu’une situation où des employés seraient restés coincés lors d’un incendie serait survenue.

[156] L’intimé prétend aussi que l’incident du 26 septembre n’est pas pertinent pour trancher la question en litige puisque la situation alléguée au soutien du refus de travail n’est pas survenue lors de l’incident du 26 septembre.

[157] Il ajoute que, bien que certains AC soient pompiers dans un service d’incendie, ces derniers ne sont pas embauchés à titre de pompier par l’employeur, mais plutôt à titre d’AC. Ce rôle demande, entre autres, de superviser et contrôler les activités et déplacements des détenus, de veiller à la sécurité au sein de l’établissement, de maintenir la paix dans l’établissement et de tenter de corriger des comportements inadéquats de la part des détenus. Il revient aux services d’incendie d’éteindre les incendies jugés non maîtrisables, ce qui fait obstacle à la vraisemblance que le risque ou la menace se matérialise.

[158] Avant de considérer la possibilité raisonnable que la menace se réalise, je tiens d’abord à adresser l’argument de l’intimé à l’effet que l’évènement du 26 septembre 2019 ne serait pas pertinent à notre analyse. À cet égard, je partage l’avis des appelants. Ceci est un appel de novo, c’est-à-dire que de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles lors du dépôt initial du refus de travail peuvent être considérés par le tribunal. Je reste conscient du fait que le tribunal siégeant de novo n’a le droit d’entendre que des éléments de preuve pertinents et importants.

[159] Je suis d’avis que de ne pas accepter la preuve de l’évènement du 26 septembre 2019 simplement en raison du fait qu’elle s’est produite après l’événement ne concorde pas avec la nature de novo de l’audience et la grande latitude accordée aux tribunaux pour remplir leur mission qui consiste à rechercher les faits. Je note aussi que la preuve qui a été faite par rapport à l’évènement du 26 septembre est directement liée à la question que je dois résoudre, d’où sa pertinence.

[160] Ceci dit, dans Nolan, l’agent d’appel a abordé le critère de possibilité raisonnable et identifié la question qui devait être résolue en évaluant ce critère dans les termes suivants :

[61] Étant donné que la définition du mot « danger » dans le Code est fondée sur le concept de ce qui pourrait vraisemblablement se présenter, la simple possibilité qu’un évènement ou un incident cause un préjudice sérieux ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une menace sérieuse. La preuve doit être suffisante pour permettre d’établir que des employés pourraient vraisemblablement être assujettis à un préjudice sérieux en raison de leur exposition au risque, à la situation ou à la tâche en question.

[62] Il n’est pas toujours facile de déterminer si une menace pourrait vraisemblablement se matérialiser ou s’il s’agit plutôt d’une menace indirecte ou hypothétique. Dans chaque cas, c’est une question de fait qui dépend de la nature de la tâche et du contexte dans lequel elle est examinée. Sa détermination exige une appréciation des faits et une décision sur la probabilité de survenance éventuelle d’un évènement. Selon moi, l’un des moyens acceptables de procéder à cette détermination est de se poser la question suivante : une personne raisonnable dûment informée, examinant les circonstances objectivement et d’un point de vue pratique conclurait-elle qu’un évènement ou un incident causant un préjudice sérieux à un employé surviendra probablement ?

(Je souligne)

[161] Par ailleurs, la Cour fédérale, dans l’affaire LaycockNote de bas de page 8,  a récemment indiqué que malgré les modifications législatives apportées à la définition de danger, la décision dans Verville offre toujours un cadre utile lorsqu’il s’agit de déterminer si une situation pourrait vraisemblablement présenter une menace sérieuse. Dans Verville, la Cour fédérale avait affirmé ce qui suit :

[36] (…) je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[162] La jurisprudence du tribunal a établi qu’une conclusion de danger au sens du Code ne peut se fonder sur des conjectures ou des hypothèses. Une menace sérieuse est établie lorsque la preuve démontre une possibilité raisonnable de blessures graves ou de maladie à un moment donné dans le futur.

[163] Après avoir examiné la totalité de la preuve au dossier, j’estime qu’il serait contraire à la jurisprudence applicable de conclure à un danger au sens du Code simplement sur la base d’un seul incident, soit celui du 26 septembre 2019.

[164] Tout d’abord, le tribunal est satisfait que la preuve démontre que dans le cas d’un feu à l’établissement Donnacona, le service d’incendie de Donnacona interviendra. De plus, je note que le dossier d’appel ne contient aucun rapport d’observation ou d’enquête, ni autre document relatant que la situation alléguée serait survenue ou qu’une situation où des employés seraient restés coincés lors d’un incendie serait survenue.

[165] Selon le tribunal, la preuve établit que, sauf pour un incendie majeur à l’établissement Donnacona il y a plusieurs années, les feux sont généralement mineurs. La preuve démontre que le service d’incendie de Donnacona n’est intervenu qu’une seule fois à l’établissement Donnacona depuis 2008, soit le 26 septembre 2019. Dans ce cas, le feu avait été déjà éteint par les AC lors de cet incident.

[166] Le tribunal note que la preuve testimoniale a démontré que l’intervention des pompiers au cours des 14 dernières années à l’établissement Port-Cartier se limitait le plus souvent à ventiler et rechercher des points chauds. De plus, les statistiques incomplètes déposées en preuve montrent que durant la période de 2013 à 2019, les feux qui ont eu lieu dans les établissements à sécurité maximale et à niveaux de sécurité multiples étaient en grande majorité mineurs et éteints par des AC.

[167] Selon moi, la situation alléguée par les appelants révèle, au mieux, une possibilité éloignée que la menace se réalise. Ainsi, il s’agirait de la probabilité la moins élevée possible.   

[168] Afin d’établir l’existence d’une possibilité réelle de menace ou s’il s’agit plutôt d’une possibilité éloignée ou hypothétique, les données statistiques, même si elles ne sont pas les seuls facteurs déterminants, se révèlent souvent déterminantes. À cet égard, l’agent d’appel dans la décision Brinks Canada LimitéeNote de bas de page 9, a écrit ce qui suit :

[143] Il n’est pas toujours facile de déterminer s’il existe une possibilité réelle ou s’il s’agit plutôt d’une possibilité éloignée ou hypothétique. Dans chaque cas, c’est une question de fait qui dépend de la nature de la tâche et du contexte dans lequel elle est exercée. Les données statistiques sont pertinentes pour tirer une conclusion factuelle éclairée sur cette question, bien qu’en dernière analyse, il s’agisse d’une appréciation des faits et d’un jugement sur la probabilité de la survenue d’un événement futur, en l’occurrence un événement lié à un comportement humain imprévisible.

[169] À mon avis, la preuve statistique soumise soutient la conclusion qu’il s’agit en l’espèce d’une possibilité hypothétique ou éloignée plutôt qu’une possibilité réelle.

[170] De plus, cette conclusion est supportée par la preuve de toutes les mesures mis en place par l’intimé pour réduire la possibilité raisonnable. En effet, le schéma de couverture de risques en sécurité incendie ainsi que le rapport de M. Kruszelnicki font état des mesures suivantes :

[171] Selon l’ensemble de la preuve entendue, aucun élément technique ne me permet de confirmer que la sécurité des employées des établissements carcéraux à sécurité maximale est directement mise en danger par l’abolition des brigades locales d’incendie. Les procédures en place, incluant l’utilisation des APRIA par les employées ainsi que les PIU préétablis entre les services municipaux de sécurité incendie et les établissements carcéraux, apparaissent suffisantes et adéquates pour assurer la sécurité des employés, incluant les AC.

[172] La preuve au dossier est insuffisante pour établir qu’une personne raisonnable dûment informée, examinant les circonstances objectivement et d’un point de vue pratique, arriverait à conclure qu’un évènement ou un incident causant un préjudice sérieux à un employé surviendra probablement suite à l’abolition des BI. Considérant toutes les mesures mises en place par l’employeur, je suis d’avis qu’il s’agit de la seule conclusion possible.

[173] Ainsi, le tribunal n’est pas convaincu qu’il serait vraisemblable que la menace se matérialise étant donné les mesures qui ont été mises en place par l’intimé. Le deuxième élément requis pour établir l’existence d’une menace sérieuse n’a pas été démontré dans le cadre de cette affaire.

[174] Considérant tout ce qui précède, je conclus que la preuve recueillie à l’audience ne démontre pas une possibilité raisonnable que les AC qui travaillent au pénitencier de Donnacona puissent être exposés au risque énoncé dans leur refus de travail.

[175] Dans le cas spécifique de l’incident du 26 septembre 2019, tout indique que le retrait du matériel spécialisé utilisé par les membres de l’EIU aurait pu être fait par des AC équipés d’APRIA et que l’évacuation des détenus de la rangée aurait ensuite pu être faite sans que l’intervention des anciens membres de la BI ne soit nécessaire. Les pompiers municipaux auraient ensuite été en mesure d’évacuer la fumée de la rangée et de neutraliser la source de la fumée provenant d’une des cellules. Rien ne permet d’affirmer qu’en l’absence d’une BI (dans ce cas d’espèce, l’ancienne BI et ses équipements) dans l’établissement, les employés auraient été mis en danger lors de cet événement.    

[176] Étant donné la conclusion d’absence de menace sérieuse dans les circonstances de cette affaire, il n’est pas nécessaire de se tourner vers la troisième partie du critère élaboré dans Ketcheson qui consiste à savoir si la menace pour la vie ou pour la santé existe avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

Décision

[177] Par ces motifs, je confirme la décision d’absence de danger rendue le 5 mai 2018 par Mme Vicky Mathieu, déléguée officielle du ministre du Travail, conformément au paragraphe 129(7) du Code canadien du travail.

Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel

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