Archivée - Decision: 92-002 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail, Partie II, d'une instruction donnée par un agent de sécurité


Demandeur:  Alberta Wheat Pool
                    Tilley (Alberta)
                    Représentée par :
                    M. P.D. Kroli
                    Administrateur - Santé et sécurité


Partie Intéressée: M. Stan Zahn
                           Directeur du terminal
                           Terminal no 1 - Alberta Wheat Pool
                           Tilley (Alberta)


Mis en cause:  M. R. G. (Bob) Grundie
                       Agent de sécurité
                       Travail Canada, Calgary (Alberta)


Devant:   Serge Cadieux
              Agent régional de sécurité

Avec l'assentiment de toutes les parties, une audition a eu lieu par conférence téléphonique, le 4 février 1992.


Contexte

Le 23 octobre 1990, l'agent de sécurité R. Grundie a effectué une inspection au terminal no 1 de l'Alberta Wheat Pool, à Tilley, en Alberta.  L'agent de sécurité avait alors remarqué qu'il n'y avait pas de toilette.  Bien que l'employeur ait proposé, comme solution de rechange, d'installer une toilette portative et de fournir de l'eau "potable", l'agent de sécurité a conclu que l'employeur avait enfreint le Code canadien du travail, Partie II, ainsi que le Règlement connexe parce qu'il n'avait pas fourni de salle de toilette.  Environ un an après l'inspection initiale, l'agent de sécurité a ordonné à l'employeur d'aménager des lieux d'aisances, conformément à l'alinéa 125 g) du Code et des paragraphes 9.12(1) et 9.19(1) de la Partie IX (Mesures d'hygiène) du Règlement du Canada sur l'hygiène et la sécurité au travail.

L'agent de sécurité a indiqué, au cours de l'audition, qu'il sait fort bien que des lieux d'aisances doivent être aménagés pour les employés à condition que la chose soit réalisable "dans la mesure du possible" (paragraphe 9.12(1) du règlement concernant les mesures d'hygiène).  Néanmoins, pour que le Ministère définisse sa position en ce qui concerne cette disposition, l'agent a donné des instructions tout en sachant que des lignes directrices pourraient être établies si les instructions étaient portées en appel.  L'agent de sécurité a également déclaré qu'il se servirait de la décision de l'agent régional de sécurité comme lignes directrices dans le cadre de ses inspections dans les silos à céréales.

Décision

Il faut préciser dès le départ que l'agent régional de sécurité n'est pas là pour établir des lignes directrices ministérielles par ses décision.  L'agent régional de sécurité représente un tribunal administratif qui fonctionne à l'intérieur d'un processus quasi-judiciaire.  Il fait donc office d'organisme indépendant à l'intérieur du Ministère et, par conséquent, n'est pas lié par les lignes directrices et les pratiques du Ministère en matière de sécurité et de santé au travail.  En fait, le Bureau de l'agent régional de sécurité a été créé en tant qu'entité afin de garantir l'indépendance et l'impartialité de ce tribunal.

Je dois également avertir l'agent de sécurité de ne pas se servir de la présente décision comme "lignes directrices" au cours de ses futures inspections dans les silos à céréales.

Les pouvoirs de l'agent régional de sécurité sont limités par le libellé du paragraphe 146(3) du Code aux termes duquel :
"146.(3) L'agent régional de sécurité mène une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et sur la justification de celles-ci.  Il peut les modifier, annuler ou confirmer ..." (le soulignement est de moi)

Ainsi, l'agent régional de sécurité est uniquement habilité à examiner les faits de l'affaire dont il a été saisi et, après avoir analysé ces faits ainsi que tout élément de preuve à l'appui de ces faits, il rend une décision sur le bien-fondé des instructions.  En conséquence, toute disposition du Code ou du Règlement connexe doit être interprétée par l'agent régional de sécurité en fonction des circonstances particulières de l'affaire dont il a été saisi.  En dernière analyse, la décision de l'agent régional de sécurité doit refléter le problème qui s'est produit et qui est à l'origine de l'émission d'une instruction.

Dans la présente affaire, et dans d'autres affaires semblables, l' instruction donnée par l'agent de sécurité s'applique à la situation qui a été constatée par l'agent ou au sujet de laquelle il a fait enquête.  Ainsi, l'instruction qui fait l'objet d'une révision demeure celle de l'agent de sécurité qui l'a émise; à moins que l'instruction ne soit annulée, la décision de l'agent régional de sécurité ne change rien au fait que c'est l'agent de sécurité qui est l'auteur de l'instruction finale.  Bien qu'un ministère, lorsqu'il s'agit d'élaborer des lignes directrices en matière de sécurité et de santé au travail, puisse tenir compte de décisions rendues par des tribunaux dont les attributions sont semblables à celles de l'agent régional de sécurité, il est peu probable qu'un ministère se limitera aux questions examinées dans les décisions.

Dans l'affaire en espèce, il faut déterminer si, "dans la mesure du possible", l'employeur peut aménager des lieux d'aisances dans les circonstances.  À mon avis, l'Alberta Wheat Pool ne peut, "dans la mesure du possible" aménager des lieux d'aisances, et l'instruction doit donc être annulée pour les raisons suivantes.

L'agent de sécurité a indiqué avec justesse les diverses dispositions du Code et du Règlement qui sont applicables.  De toute première importance sont les dispositions du paragraphe 9.12(1) du règlement concernant les mesures d'hygiène:

"9.12(1) Dans la mesure du possible, des lieux d'aisances doivent être aménagés pour les employés et, sous réserve de l'article 9.13, lorsque des personnes des deux sexes travaillent dans le même lieu de travail, des toilettes séparées doivent être aménagées."

Ce qu'il faut éclaircir dans la présente affaire est le sens de l'expression anglaise "reasonably practicable" (expression rendue en français dans la Loi par "dans la mesure du possible"). Il faudra ensuite appliquer les éléments de ce concept à l'affaire en l'espèce.  Comme l'expression "reasonably practicable" n'est pas définie dans la législation fédérale, c'est dans les dictionnaires que j'irai chercher la définition de cette expression.  La jurisprudence ou d'autres lois pourraient aussi m'être utiles à cet égard.

La définition que donne le Concise Oxford Dictionary, Eight Edition, 1990, du mot "practicable" est la suivante : "1 that can be done or used. 2 possible in practice". La définition de "reasonable" ("reasonably" étant la forme adverbiale) est la suivante : "having sound judgement; moderate; ready to listen to reason. 2. in accordance with reason; not absurd. 3.a. within the limits of reason; not greatly less or more than might be expected. b. inexpensive; not extortionate. c. tolerate, fair." Les autres dictionnaires consultés offrent des définitions semblables pour ces termes.

Dans une décision antérieure, The New Brunswick Telephone Company Limited v Gallant, (non publiée), j'ai indiqué ce qui suit : "Comme le paragraphe 9.12(1) oblige l'employeur à aménager des lieux d'aisances  "Dans la mesure du possible...", j'estime que le législateur voulait que, dans chaque cas, la nécessité d'aménager des lieux d'aisances soit déterminée en fonction de l'importance des travaux que cela représenterait pour l'employeur."

En outre, il est intéressant de savoir que la province de la Saskatchewan a défini cette expression dans ses lois, définition avec laquelle je suis d'accord et aux termes de laquelle :

""practicable" means physically possible in the light of current knowledge and invention"
et
""reasonably practicable" means practicable unless the person on whom a duty is placed can show that there is a gross disproportion between the benefit of the duty and the cost, in time, trouble, and money, of the measures to secure the duty."

Ainsi, compte tenu de l'information qui précède, les points suivants doivent être pris en considération en vue de déterminer si, "dans la mesure du possible", des lieux d'aisances peuvent être aménagés:

NOTE : Dans les critères suivants, le terme obligation s'entend de l'obligation d'aménager des lieux d'aisances, comme le prévoit la Loi.

1. Lorsque l'obligation est prévue dans la Loi, une décision doit être prise dans chaque cas quant à la question de savoir si, "dans la mesure du possible", l'employeur peut se conformer à cette obligation.
2. Dans la présente affaire, c'est à l'employeur, Alberta Wheat Pool, qu'il incombe  de prouver qu'il ne peut "dans la mesure du possible" se conformer à l'obligation, parce que celle-ci est prévue en vertu de l'alinéa 125 g) du Code canadien du travail, Partie II et du Règlement du Canada sur l'hygiène et la sécurité au travail, Partie IX (Mesures d'hygiène).
3. Aux fins de la détermination évoquée ci-dessus, il faut tenir compte des avantages qui découlent de l'obligation par opposition aux  coûts, c'est-à-dire du temps, des efforts et des frais que représentent les mesures à prendre par l'employeur pour se conformer à l'obligation.
4. Il faut faire une évaluation en vue de déterminer s'il y a un trop grand écart entre les avantages qui découlent de l'obligation et les coûts.  Si un trop grand écart existe, il faut alors conclure qu'il n'est pas possible pour l'employeur de se conformer à l'obligation "dans la mesure du possible".

Ainsi, l'agent de sécurité aurait dû tenir compte des quatre critères précédents, ou de considérations semblables, pour déterminer si, "dans la mesure du possible", l'employeur pouvait aménager des lieux d'aisances.  Dans la présente affaire, l'agent de sécurité a admis qu'il avait ordonné à l'employeur d'aménager lesdits lieux d'aisances sans avoir tenu compte des critères ci-dessus.  Il a seulement tenu compte du fait qu'il était "possible" d'aménager des lieux d'aisances, c.-à-d. que cela pouvait être fait selon les normes actuelles, mais il ne s'est pas demandé si l'exigence était raisonnable, comme le prévoyait le Règlement.

D'autre part, l'employeur a soumis l'information suivante, que l'agent de sécurité n'a pas contestée :
1. Le terminal no 1 a été construit en 1932.
2. La partie du terminal où se trouve l'administration est constituée d'un bâtiment de deux pièces sans cave.
3. Les services municipaux (eau et égouts) sont de l'autre côté de la route où se trouve le terminal.
4. La capacité de manutention approximative du terminal     no 1 est de 15 700 tonnes.
5. Le coût approximatif des travaux d'agrandissement nécessaires à l'aménagement de lieux d'aisances permanents serait de 50 000 $ (parce qu'il faudrait ajouter une annexe au bâtiment existant).
6. L'installation actuelle, c.-à-d. le terminal no 1, pourra encore servir pendant environ cinq ans (ce qui a été confirmé par un groupe de travail créé par l'Alberta Wheat Pool dans un rapport terminé en mars 1991).

L'employeur a fait valoir que "La capacité de manutention moyenne  de cette installation n'offre pas un rendement suffisant pour justifier la dépense, et le nombre d'années pendant lequel l'installation pourra encore servir ne justifie pas non plus la dépense."  Compte tenu de l'information ci-dessus et en appliquant à celle-ci les quatre critères exposés plus tôt, je conviens avec l'employeur que l'Alberta Wheat Pool ne peut, dans la mesure du possible, se conformer à cette obligation.  Exiger que des lieux d'aisances soient aménagés à ce terminal, conformément au Règlement, ne ferait que justifier, sinon accélérer, la fermeture du terminal en raison des coûts en jeu. Ainsi, l'avantage qu'offre l'aménagement de lieux d'aisances crée certainement un écart considérable entre l'obligation prévue par le Règlement et les coûts à assumer pour y parvenir - coûts qui sont, dans le présent cas, exorbitants.

L'agent de sécurité voudra peut-être vérifier si les toilettes extérieures installées au terminal sont conformes à la législation.  Je n'ai toutefois pas été saisi de cette question pour le moment.

Pour toutes les raisons qui précèdent, j'annule par la présente l'instruction donnée, le 30 octobre 1991, par l'agent de sécurité Robert Grundie à l'Alberta Wheat Pool.

Décision rendue à Ottawa, le 18 février 1992


Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

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