Archivée - Decision: 92-006 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL
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Révision, en vertu de l'article 146 de la Partie II
du Code canadien du travail,
d'une instruction émise par un agent de sécurité
Requérant : Via Rail Canada Inc.
Dépôt de Winnipeg
Winnipeg (Manitoba)
Représenté par : Mme Anne Cartier
Avocate générale adjointe
Partie intéressée : Fraternité internationale des ouvriers en électricité
Section locale 409
Winnipeg (Manitoba)
Représenté par : M. George Woods
Assisté par : M. John Merritt, TCA
Division du chemin de fer, section locale 100
Mis en cause : M. W.H. (Bill) Huminsky
Agent de sécurité
Travail Canada
Agent régional
de sécurité : Serge Cadieux
Travail Canada
Une audience a eu lieu le 24 mars 1992 à Winnipeg, au Manitoba.
Historique
Les circonstances qui ont amené M. Harry Finley, un électricien de Via Rail Canada Inc. possédant près de 20 ans d'expérience, à refuser de travailler le 29 juin 1991 ont été décrites en détail par les parties en cause. Dans le rapport sommaire que l'agent de sécurité a préparé pour l'audience, le travail que M. Finley a refusé d'exécuter est décrit de la façon suivante :
«Selon l'annexe G, M. Finley avait été chargé de faire diverses réparations sur un certain nombre de wagons. Pour exécuter ces réparations, il lui aurait fallu travailler sous les wagons pendant un certain temps, ce qui l'aurait placé dans une situation dangereuse. Afin de se protéger pendant qu'il travaillait sous les wagons, il voulait que la voie soit isolée de la voie principale et que l'aiguille soit verrouillée. Puisque l'aiguille n'avait pas été verrouillée, il a refusé d'effectuer les travaux sous les wagons.»
Sur le formulaire de Travail Canada - Enregistrement d'un refus de travailler - signé par M. Finley et sur lequel il a souligné qu'il redoutait pour sa sécurité ce jour-là, figure l'énoncé suivant :
«EN VERTU DE L'ARTICLE 1 DE L'ENTENTE NO 4, LA VOIE DOIT ÊTRE ISOLÉE DE LA VOIE PRINCIPALE ET L'AIGUILLE Y CONTRÔLANT L'ACCÈS VERROUILLÉE. CELA N'AVAIT PAS ÉTÉ FAIT, COMME ME L'A INDIQUÉ LE CONTREMAÎTRE.»
M. Bill Humisky est l'agent de sécurité qui a été chargé de l'enquête. Il s'est rendu sur les lieux de travail, a interrogé des témoins et a examiné l'information consignée dans le Rapport de défectuosité1. L'agent de sécurité a également étudié les diverses procédures empruntées par le Dépôt de Winnipeg. Il s'agit de procédures complexes qui permettent de contrôler le trafic sur chaque voie. Je ne rendrais certes pas justice aux témoins experts qui ont comparus devant moi si j'essayais de décrire ou d'analyser ces procédures. Qu'il suffise de dire que la Règle du drapeau bleu2 qui est en cause dans la présente affaire fait partie intégrante du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC). Ce règlement, qui a été approuvé par le ministre des Transports en vertu de la Loi sur la sécurité ferroviaire de 1988, avait fait, au préalable, l'objet de consultations auprès des représentants du secteur ferroviaire et des employés.
En se fondant sur l'information recueillie pendant son enquête, l'agent de sécurité a conclu que M. Finley se trouvait en effet dans une situation dangereuse lorsqu'il travaillait sous un wagon. Dans la directive émise par l'agent en vertu du paragraphe 145(2) du Code, le danger est décrit en les termes suivants :
«Les employés se trouvent dans une situation dangereuse lorsqu'ils effectuent des réparations ou qu'ils procèdent à l'entretien du matériel (c'est-à-dire sous les wagons). En effet, ils ne sont pas suffisamment protégés par la Règle du drapeau bleu, puisque celle-ci ne leur assure pas une protection effective quant ils sont sous les wagons».
Dans son rapport sommaire, l'agent de sécurité a souligné qu'il avait interrogé M. Finley afin d'établir s'il fondait son refus de travailler sur des dispositions de sa convention collective. Le plaignant a répondu qu'il le fondait sur des dispositions du Code canadien du travail, mais qu'il avait consulté la convention collective afin d'établir qu'il s'agissait bien d'une situation dangereuse. On lui a demandé si c'était parce que seule la Règle du drapeau bleu était appliquée. Le plaignant a une fois de plus répondu par la négative; il refusait de travailler parce l'aiguille n'était pas verrouillée. Il ne contestait pas la Règle du drapeau bleu (c'est moi qui souligne).»
M. Finley a également répété cette affirmation à plusieurs reprises pendant l'audience.
L'agent de sécurité a de plus noté dans son rapport sommaire que «la Direction a expliqué comment la CCT avait garé le train sur la voie et, par conséquent, elle savait que la voie était occupée. De plus, afin de resserrer encore davantage les mesures de sécurité, des drapeaux bleus ont été placés aux deux extrémités du train. La Direction a confirmé que la voie no 6 n'était pas munie de dérailleurs.»
Objections préliminaires
Trois objections préliminaires ont été soulevées à l'audience, objections qu'il fallait régler avant de se pencher sur la directive.
La première objection préliminaire a été soulevée par M. Merritt, Santé et Sécurité, coordonnateur juridique des travailleurs canadiens de l'automobile (TCA). L'agent régional de sécurité lui a refusé le statut d'intervenant car, en l'espèce, il s'agissait d'un refus de travailler exprimé par un particulier. Aussi, l'agent régional de sécurité devait se pencher sur les circonstances telles qu'elles se sont présentées le jour du refus et trancher la question en s'en tenant à la situation vécue par M. Finley, l'employé qui, ce jour-là, a exercé son droit de refuser de travailler. La préoccupation de M. Merritt était d'ordre plus général, à savoir l'application de la Règle du drapeau bleu qui vise également les employés représentés par le Syndicat des travailleurs canadiens de l'automobile.
Même si on lui avait indiqué, au moyen d'une lettre, que les intérêts des TCA étaient accessoires par rapport à ceux de M. Finley, M. Merritt a néanmoins poursuivi l'affaire en faisant valoir par écrit ses arguments contestant la décision de l'agent régional de sécurité de lui refuser le statut d'intervenant. On lui a signalé qu'en l'espèce la décision de l'agent régional de sécurité était sans appel et qu'aucune autre intervention de sa part ne s'imposait. Il a toutefois été informé qu'il pouvait conseiller M. Woods, le représentant officiel de M. Finley dans cette affaire, ce qu'il a accepté de faire.
La deuxième objection préliminaire a été soulevée par Mme Cartier, avocate de Via Rail Canada Inc. Son objection concerne «le fait que l'agent de sécurité n'était pas autorisé à accueillir la demande de M. Finley car sa plainte ne constituait pas un refus de travailler, mais plutôt une allégation qu'il y avait eu infraction à la convention collective». Ces renseignements figurent sur le formulaire de Travail Canada - Enregistrement d'un refus de travailler.
J'estime que le formulaire de Travail Canada - Enregistrement d'un refus de travailler - que M. Finley a signé constitue une déclaration écrite attestant qu'il a dûment exercé son droit de refuser de travailler en vertu de la Partie II du Code canadien du travail. La description qui y figure est une description subjective des craintes de l'employé. Elle ne doit pas nécessairement s'avérer une analyse objective de la situation. Cette tâche est du ressort de l'agent de sécurité. Aussi, que M. Finley ait décidé, en l'espèce, de décrire le danger qu'il redoutait en se reportant à une disposition de sa convention collective est tout à fait acceptable et, à mon avis, ne constitue pas un refus de travailler en vertu d'une disposition de la convention collective ou en raison d'une infraction à la convention collective. Par conséquent, la première objection préliminaire soulevée par Mme Cartier est rejetée.
La troisième objection préliminaire a également été soulevée par Mme Cartier au nom de Via Rail, à savoir que seul le ministre des Transports possède la compétence de déterminer si la Règle du drapeau bleu s'avère une mesure suffisante. Mme Cartier a soutenu ce qui suit : «La personne autorisée à statuer si l'application de la Règle du drapeau bleu au Dépôt de Winnipeg s'avère une mesure suffisante est le ministre des Transports. Ce dernier a de fait confirmé la justesse de la règle 26 en promulguant, le 26 janvier 1990, une version révisée du REFC. L'agent de sécurité n'était aucunement autorisé à statuer que la Règle du drapeau bleu était inadéquate. Par conséquent, notre deuxième objection préliminaire devrait être accueillie et l'instruction annulée.»
Eu égard à cette objection, j'inviterais encore une fois Mme Cartier à se reporter au paragraphe 123 (1) du Code, où il est stipulé :
«123. (1) Malgré les autres lois fédérales et leurs règlements, la présente partie s'applique à l'emploi :
a) dans le cadre d'une entreprise fédérale, à l'exception d'une entreprise de nature locale ou privée dans le territoire du Yukon ou les Territoires du Nord-Ouest;»
Eu égard à ce qui précède, il est stipulé à l'alinéa 2 (b) du Code :
«2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«entreprises fédérales» les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d'activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :
b) les installations ou ouvrages, entre autres, chemins de fer, canaux ou liaisons téléphoniques, reliant une province à une autre ou plusieurs autres, ou débordant les limites d'une province, et les entreprises correspondantes;» (c'est moi qui souligne).
Il est donc manifeste que le ministre du Travail a compétence exclusive sur les questions de sécurité et de santé concernant des employés qui relèvent de compétence fédérale, notamment les employés des sociétés ferroviaires, sauf s'il est stipulé expressément dans la Loi sur la sécurité ferroviaire que cette dernière Loi a préséance sur toute autre loi fédérale, y compris la Partie II du Code canadien du travail. Aucune preuve à cet effet n'a été présentée à l'audience.
J'estime toutefois que la procédure décrite dans la Loi sur la sécurité ferroviaire, c'est-à-dire la Règle du drapeau bleu, peut s'appliquer aussi dans des situations qui ne sont pas visées par le Code canadien du travail et ses règlements d'application, pourvu que ladite procédure n'aille pas dans le sens contraire des dispositions du Code. Une telle interprétation est, à mon avis, conforme avec l'objet du Code, voire l'élargie, à savoir éviter les accidents et les blessures au travail. Dans cette perspective, les deux lois sont compatibles et complémentaires.
Par ailleurs, le droit de refuser de travailler a été enchâssé dans le Code à titre de mesure d'urgence et ce droit peut être exercé par tous les employés relevant de compétence fédérale. En l'instance, l'affaire concerne le droit d'un employé de refuser d'exécuter un travail dans une situation qu'il estime dangereuse. L'agent de sécurité est autorisé, en vertu du Code, à intervenir au besoin. Chaque fois qu'un agent de sécurité est avisé d'un refus de travailler, il doit mener sans délai une enquête. S'il constate qu'il y a danger, l'agent de sécurité doit obligatoirement donner une instruction pour corriger la situation. Aussi, puisqu'il est question de danger, l'agent de sécurité est investi, en vertu du paragraphe 129 (4) du Code, des pouvoirs nécessaires pour examiner toutes les situations visées par la Règle du drapeau bleu qui pourraient porter atteinte à la sécurité et à la santé d'un employé au travail et il peut imposer, s'il y a lieu, des mesures correctives.
Il s'ensuit que le Code a préséance sur la Loi sur la sécurité ferroviaire pour ce qui est des questions de sécurité et de santé. Par conséquent, la deuxième objection préliminaire de Via Rail est rejetée.
Décision
En l'espèce, la question à trancher est de savoir si, le 29 août 1991, M. Finley se trouvait dans une situation dangereuse, selon la définition du terme «danger» énoncée dans le Code, situation justifiant l'émission d'une instruction à Via Rail Canada Inc. en vue de protéger M. Finley. J'estime qu'il n'y avait pas danger et, par conséquent, l'instruction devrait être annulée pour les motifs suivants.
M. Finley est un électricien qui cumule plusieurs années d'expérience chez Via Rail Inc. De plus, il avait exécuté à de nombreuses reprises par le passé, sans qu'il ne se produise d'incidents graves, les mêmes tâches qu'il a refusé d'exécuter le jour en question. Bien qu'il soit manifeste que M. Finley soit préoccupé par la possibilité qu'un accident se produise pendant qu'il s'emploie à effectuer des tâches bien précises sous un wagon, les circonstances, le 29 août 1991, ne différaient en rien des circonstances qui avaient régné les autres jours. La possibilité fort hypothétique qu'un train en déroute ou dévoyé entre en collision avec le wagon sous lequel il travaille ne constitue pas un danger aux termes du Code. Pour qu'il y ait danger, selon le Code, il doit y avoir un risque ou une situation susceptible de causer, sans préavis, des blessures au moment où l'employé refuse de travailler, de même qu'au moment où l'agent de sécurité mène son enquête. Le risque de blessures doit être tellement grave que si des mesures ne sont pas prises immédiatement pour protéger l'employé en cause, il y a fort à parier qu'il sera blessé.
De telles circonstances n'étaient pas présentes le 29 août 1991. De plus, la conclusion de l'agent de sécurité, selon laquelle il avait constaté, au terme de son enquête, «une situation dangereuse possible», n'est pas suffisante pour affirmer qu'il y avait danger au sens où il est entendu dans le Code. Le danger doit être réel et présent au moment où l'agent de sécurité mène son enquête. Aussi, il doit s'agir d'une enquête objective dans le cadre de laquelle l'agent doit tenir compte des circonstances propres à la situation.
Il ne faut certes pas en conclure qu'il n'y avait pas danger au sens large du terme. Il y a des risques à travailler sous un train. M. Finley et les représentants syndicaux présents à l'audience ont exprimé des craintes qui, à leur avis, n'ont pas été apaisées de façon satisfaisante. Même si la Direction sait que le wagon est en réparation et que le contrôleur du trafic ferroviaire règle l'acheminement des autres wagons en conséquence, et même si on a recours à un drapeau bleu le jour et à une lumière bleue la nuit pour signaler que des travaux sont en cours à proximité, il demeure possible, quoique peu probable, que se produise un accident grave. Malgré qu'il soit fort simple de bloquer l'accès à une voie où des travaux sont en cours, je suis étonné et quelque peu préoccupé du manque de sensibilité de Via Rail à l'égard de la demande de ses employés. En posant un geste positif, Via Rail pourrait rassurer ses employés et leur faire valoir que leur milieu de travail est sécuritaire. Un tel geste favoriserait certes une attitude plus positive chez les employés du secteur ferroviaire.
Pour tous les motifs précités, j'annule, par la présente, l'instruction émise le 30e jour d'août 1991 par l'agent de sécurité W. H. (Bill) Humisky à Via Rail Canada Inc.
Décision rendue à Ottawa ce 1er jour de mai 1992.
Serge Cadieux
Agent régional de sécurité
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