Archivée - Decision: 92-007 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SECURITE ET SANTE AU TRAVAIL

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Révision, en vertu de l'article 146 de la partie II du
Code canadien du travail, d'une instruction donnée
par un agent de sécurité

Requérant:  Association des employeurs maritimes 176422 Canada Inc.                            
                   Terminus de Contrecoeur, Port de Montréal      
                   représenté par: M. André Lachaine                              
                   Directeur                                     
                   Sécurité et santé au travail 


Partie intéressée: M. Jean-François Gervais                       
                          Employé, Terminus de Contrecoeur               
                          Représenté par: M. Claude Hétu                                
                          Conseiller syndical SCFP


Mis en cause:  M. André Galiay
                       Agent de sécurité                             
                       Sécurité des navires, Transport Canada


Devant:   Serge Cadieux            
               Agent régional de sécurité 
               Travail Canada


La preuve verbale a été entendue à Montréal (Québec) le 14 avril 1992.


Contexte

Le 2 octobre 1991, M. Jean-François Gervais, un employé au service de la compagnie 176422 Canada Inc. du Terminus de Contrecoeur, Port de Montréal, refuse d'opérer la grue de bord du navire "Lady Franklin".  L'opération consistait à charger des conteneurs de marchandises dangereuses, des explosifs, à bord du navire.  Le motif du refus de M. Gervais est à l'effet qu'il n'a pas la qualification et la formation nécessaires pour faire ce travail de façon sécuritaire.  L'agent de sécurité André Galiay, nommé comme tel en vertu du Code canadien du travail, partie II, fit enquête dans cette affaire.  Il conclut à la suite de son enquête "qu'il y avait risque pour la sécurité des employés affectés à cette opération de déchargement de marchandises dangereuses en utilisant la grue du navire sans que l'opérateur ait au préalable reçu la formation nécessaire." 

Le 15 octobre 1991, l'agent de sécurité donne une instruction à l'employeur en vertu de l'alinéa 145(2)(a) du Code dans laquelle il précise:

"...de prendre immédiatement des mesures qui ont été convenues en présence de toutes les parties de ne pas assigner M. J.F. Gervais ou tout autre employé à des opérations de grue de bord sans au préalable lui avoir donné la formation nécessaire."

Afin de bien se situer dans le contexte qui nous occupe, il semble approprié de citer la déclaration écrite de M. Raymond Perreault, le contremaître au Terminus de Contrecoeur présent sur les lieux du refus.  Cette déclaration nous informe comme suit:

"En commencant par J.F. Gervais je lui ai demandé d'aller opérer la grue du bateau pour le chargement de containers d'explosif dont il était au courant "containers d'explosifs".  Il m'a dit qu'il n'allait pas opérer la grue car c'était un opérateur de loader.  J'ai alors demandé à tout les autres hommes s'il voulait aller opérer la grue du bateau.

R. Tessier = Non.  Je vais opérer le 925, Martin Dulude = Non.  Claude Derrosiers = Je n'ai jamais fait cela.  R. Grand(?) = Je n'ai jamais fait ça.  R. Dansereau = Non.  A la suite de ce refus collectif j'ai rencontré mon supérieur et il fut décidé d'assigné J.F. Gervais sur la grue du bateau.  J'ai revue J.F. Gervais accompagné de Claude Desrosiers et Martin Dulude lui indiquant qu'il avait un ordre d'aller opérer la grue du bateau.  Il m'a dit que ça faisait au moin 5 mais qu'il n'avait pas touché à ça et que si je voulais qu'il y aille ça lui prendrait un instructeur.  Il fut question que si il refusait cet ordre qu'il va y avoir des suites à ce refus.  Le tout c'est fait de façon calme.  Après avoir revu mon supérieur il fut décidé qu'il serait accompagné d'un opérateur de grue de bateau.  Mr. Gervais a monté sur le bateau et nous avons commencé le chargement."
[SIC]

Décision

Il me faut juger dans cette affaire, compte tenu des circonstances, si l'instruction donnée à l'employeur était justifiée.  Selon moi, l'agent de sécurité a excédé ses pouvoirs en donnant une instruction, en vertu de l'alinéa 145(2)(a) du Code, à la compagnie 176422 Canada Inc., Terminus de Contrecoeur pour les raisons suivantes.

Il est évident que l'employeur a manqué à ses obligations à plusieurs reprises dans cette affaire.  Entre autres, il a exigé d'un de ses employés qu'il agisse en tant que grutier qualifié pour charger des substances dangereuses à bord d'un navire.  Il a même invité quatre autres employés à opérer la grue sachant que tous ces employés ne possédaient pas la connaissance, la formation et l'expérience nécessaires pour faire ce travail de façon sécuritaire.  Il a de plus menacé M. Gervais de congédiement s'il n'obtempérait pas à l'ordre de son supérieur immédiat, nonobstant que ce dernier exerçait son droit de refus.

M.Lachaine nous informe qu'il ne conteste pas les motifs de M. Gervais de refuser de charger le "Lady Franklin".  En fait, selon moi, M.Gervais était tout à fait justifié de refuser une telle tâche sachant qu'il mettrait sa sécurité et celle de ses compagnons en danger s'il acceptait d'opérer la grue du bateau.  Je n'ai aucune sympathie pour l'employeur qui fait fi, avec autant de désinvolture et d'indifférence, des règles de sécurité et de santé au travail. 

Toutefois, je dois me pencher sur les raisons qui motivent ma décision dans cette affaire.  Le principe directeur qui me guide se retrouve dans la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Bonfa c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, où il est stipulé:

[TRADUCTION]
"Ces considérations sont sans rapport avec les questions auxquelles l'agent régional de sécurité devait répondre, mais particulièrement à la première de ces questions, à savoir si lorsque l'agent de sécurité a effectivement mené son enquête, le milieu de travail du répondant présentait des dangers tels que les employés étaient justifiés de ne pas travailler jusqu'à ce que la situation soit corrigée.  Le fait qu'avant l'enquête de l'agent de sécurité le répondant ait peut-être eu des motifs légitimes de refuser de faire le travail qui lui était assigné ne peut modifier la réponse à donner à cette question;..."

Selon cette décision, qui d'ailleurs rejoint les arguments présentés par M. Lachaine à l'audience, l'agent de sécurité doit décider si au moment de son enquête il existe un danger pour l'employé de travailler dans le lieu en question.  Si l'agent décide qu'il y a danger de travailler dans le lieu, il doit donner des instructions à l'employeur afin qu'il/elle prenne des mesures pour parer au danger ou pour protéger toute personne du danger.  Or si le danger n'existe plus ou a été contrôlé, il serait impossible à l'agent, à ce moment, d'émettre de telles instructions.  Par conséquent, le danger doit être réel et présent au moment où l'agent mène son enquête au même titre qu'il devrait l'être au moment où l'employé exerce son refus.

Dans le cas en l'espèce, l'employé a refusé d'opérer la grue de bord du bateau.  En faisant abstraction des tergiversations qui ont eues lieu à ce moment, M. Gervais n'a pas eu à opérer la grue en question.  C'est un matelot de bord qui l'a fait.  Bien qu'on ne connaisse pas les qualifications de ce matelot comme grutier, il n'en demeure pas moins qu'au moment de l'enquête de l'agent de sécurité, les conteneurs de marchandises dangereuses avaient été chargés à bord du "Lady Franklin".  De plus, il appert qu'au moment de son enquête, le bateau avait quitté le Port.

L'agent de sécurité nous informe aussi à l'audience que quoique M. Gervais n'était plus exposé au danger, il pouvait exister un danger "dans le futur" pour les employés qui n'ont pas la formation de grutier, de charger des conteneurs de matières dangereuses.  Nul doute que cette pensée de M. Galiay est louable et tout à son honneur.  Toutefois, avant d'émettre une telle instruction, l'agent de sécurité doit constater sur les lieux même une telle situation de danger.  Ce n'est qu'à ce moment précis que l'agent peut émettre une instruction à l'employeur, en vertu du paragraphe 145(2) du Code, de prendre des mesures pour protéger ses employés. 

Cependant, même s'il n'existe pas une situation de danger, l'agent a aussi les pouvoirs de corriger une situation s'il/elle est d'avis qu'il y a contravention à la présente partie.  Les pouvoirs qui me sont conférés en vertu de l'article 146 du Code ne m'autorisent pas d'émettre une nouvelle instruction à l'employeur.  Je ne peux que modifier, annuler ou confirmer l'instruction de l'agent de sécurité.  Cette instruction, lorsque modifiée ou confirmée, demeure la propriété de l'agent qui a émis l'instruction.

Pour toutes les raisons mentionnées ci-haut, j'annule les instructions données par l'agent de sécurité André Galiay à la compagnie 176422 Canada Inc. au Terminus de Contrecoeur le 15 octobre 1991.

Décision émise à Ottawa ce septième jour de mai 1992


Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

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