Archivée - Decision: 92-010 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SECURITE ET SANTE AU TRAVAIL

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Révision, en vertu de l'article 146 de la partie II du
Code canadien du travail, d'une instruction donnée
par un agent de sécurité


Requérant:  Les Blindés Loomis Ltée 
                  Montréal, Québec            
                  Représenté par: Mme Suzanne Thibaudeau                   
                  Avocate

Partie Intéressée: M. Claude Guilbault   
                           Garde de sécurité, messager
                           Les Blindés Loomis Ltée
                           Représenté par:  M. François Blais
                           Avocat

Mis en cause:  M. Guy Lauzon           
                       Agent de sécurité         
                       Travail Canada

Devant:   M. Serge Cadieux       
               Agent régional de sécurité      
               Travail Canada


La preuve verbale a été entendue le 23 juin 1992 à Montréal.  L'audience fut précédée d'une visite des lieux où le refus de travail a été exercé par Monsieur Guilbault le 23 mars 1992, soit le Magasin M situé au 7850 boul. Champlain à Ville LaSalle, Québec.  Toutes les parties au dossier étaient représentées lors de la visite.


Historique


La compagnie Les Blindés Loomis Ltée exerce comme activité principale le transport de valeurs mobilières, et plus spécifiquement d'argent, pour le compte de diverses entreprises à travers le Canada.  Pour ce faire, la compagnie engage et donne la formation à ses employés, dont la fonction principale est de protéger les valeurs mobilières recueillies ou livrées aux différents clients.  Tout employé de la compagnie reçoit à l'embauche un manuel intitulé "REGLEMENT D'EMPLOI".  Ce manuel, qui doit être signé, daté et co-signé par un témoin représentant la compagnie, décrit les règles applicables lors de l'exécution des fonctions des employés de Loomis.  L'observance stricte de ces règles en constitue une condition d'emploi.

La compagnie opère avec des équipes de deux personnes dans les villes du Canada où elle exerce ses activités, sauf dans des cas d'exception.  Dans ces derniers cas, elle opère avec des équipes de trois personnes, soit après six heures le soir et lorsque le montant à transporter le justifie selon les normes non dévoilées de la compagnie. 

Toutefois, la compagnie utilise sur une base régulière des équipes de trois personnes à Ottawa et partout au Québec, sauf dans la ville de Sherbrooke.  Il semble que cette pratique a été maintenue à la suite de l'achat de la compagnie qui opérait sur ce territoire antérieurement.

Les employés sont appelés à exercer des tâches spécifiques lors de la livraison ou de la cueillette des valeurs mobilières.  Ces tâches sont décrites par l'agent de sécurité dans le rapport sommaire qu'il a préparé pour l'audition de la façon suivante:

"Chauffeur: Il est la personne qui est responsable du camion et ne doit le quitter en aucun moment.

Messager:  Il est la personne qui est responsable de l'argent qui est transporté entre l'entreprise et le camion et de celui-ci à un lieu sûr.

Garde:  Il est la personne qui est responsable d'assurer la sécurité du messager.  Il est en fait "les yeux supplémentaires du messager", il s'assure et lui signale que le trajet qui doit être emprunté est sans danger."

Ces tâches, et la procédure suivie lors d'un dépôt, sont détaillées dans le Règlement d'emploi.  La même procédure s'applique aussi lorsque la course est inversée soit du camion à un lieu sûr.

La compagnie a avisé ses employés de la succursale de Montréal, le 11 mars 1992, qu'elle entendait assigner, le jour, des équipes de deux membres constituées du chauffeur et du messager, sur certaines routes.  Ces routes sont celles desservant des clients  commerciaux (exemple: restaurants, magasins), lorsque le montant en jeu est en deçà d'un certain maximum. 

La compagnie a de plus informé tous les employés qu'ils devaient suivre de nouveau le même cours de formation reçu à l'embauche.  Ce cours, il faut le préciser, était conçu en fonction d'équipes à trois personnes.  La seule modification apparente est qu'on y fait mention de l'utilisation d'un système de communication radio.  Ces radios assurent la liaison entre le chauffeur du camion et le messager.   La communication radio peut aussi, dans certains cas, être utilisée comme moyen préventif.  Par exemple, si le chauffeur détecte la présence d'individus suspects, il peut en aviser le messager.  Toutefois, dans de telles situations, le chauffeur ne quitte pas le camion.

Le rapport soumis par Mme Thibaudeau précise que "Le matin du 23 mars 1992, Monsieur Claude Guilbault fut affecté comme messager sur l'une des nouvelles routes.  Aux environs de neuf heures trente (9h30), Monsieur Guilbault téléphona à la succursale de Montréal.  Il indiqua être au Magasin M situé au 7850, boul. Champlain à Ville Lasalle.  Il demanda au superviseur d'être escorté d'un garde pour sortir du Magasin M et se rendre au camion.  Après que le superviseur lui ait fait part du fait qu'un garde n'était pas requis dans les circonstances, Monsieur Guilbault déclara au superviseur qu'il refusait de travailler."

Suite à son enquête, l'agent de sécurité décide qu'il y a danger, aux termes du Code, pour Monsieur Guilbault de travailler dans le lieu en question.  L'agent définit le danger comme suit:

"Absence d'un garde pour escorter le messager qui transporte de l'argent, à partir du local de dépôt du Magasin M, situé au 7850, boul. Champlain à Ville LaSalle, jusqu'au camion blindé situé à l'extérieur de l'immeuble.  Ceci constitue une perte de protection nécessaire à la sécurité d'un employé."

Sur la base de cette décision, l'agent de sécurité donne à l'employeur l'instruction suivante:

"PAR LES PRESENTES ORDONNE audit employeur, conformément à l'alinéa 145(2)(a) du Code canadien du travail, Partie II de prendre immédiatement des mesures propres à parer au danger et à protéger quiconque contre ce danger."

La compagnie Les Blindés Loomis Ltée a demandée la révision de cette instruction.

Décision

Je dois décider dans le cas en l'espèce si l'absence du garde pour escorter Monsieur Guilbault, le messager qui transporte l'argent, créait un risque inhabituel susceptible de lui causer des blessures qui justifiait l'émission d'instructions pour le protéger.  Selon moi, l'instruction de l'agent de sécurité n'était pas justifiée dans ce cas pour les raisons suivantes.

Le travail des employés de Loomis comporte des risques indéniablement très sérieux pour leur sécurité et leur santé.  En fait, le risque d'attaque ou de vol est un risque auquel font face, à tout moment, les employés de Loomis chargés de transporter et de protéger les valeurs mobilières et principalement, l'argent.  Peu de gens nieront que ce risque est suffisamment sérieux pour le qualifier de danger au sens général du terme.  Toutefois, un tel danger ne constitue pas nécessairement un danger tel que défini au Code. 

Le risque d'attaque ou de vol fait partie intégrante des activités de ce type d'entreprise.  Il fait donc aussi partie de la tâche des employés de Loomis en ce sens qu'il constitue un risque continu et quotidien.  La compagnie a mis en place, comme il se doit en pareille situation, toute une série de mesures visant à réduire au minimum les possibilités d'attaque et de vol.  Qu'il suffise de constater les mesures prises pour protéger les valeurs mobilières pour nous convaincre du haut niveau de risque auquel sont exposés les employés de Loomis.  On utilise des camions blindés, des gardes armés et formés pour ce genre de travail, des procédures strictes et des méthodes de travail visant à décourager tout criminel qui serait tenter de perpétrer un vol d'argent.

"Danger" est défini au paragraphe 122(1) du Code selon les termes suivants:

"danger" Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié.

Plusieurs décisions du Conseil canadien des relations de travail ont été déposées par Mme Thibaudeau à titre persuasif. Ces décisions mettent l'accent sur un point très important.  Dans une situation de refus de travail, le danger auquel l'employé est exposé est consacré comme un danger sur le point de survenir.  Ainsi, le Conseil est d'avis que le terme "danger", tel que défini au Code, est à toutes fins pratiques identique au concept de "danger imminent" tel qu'il existait avant que le Code ne soit modifié.  Le Conseil utilise ce concept de danger imminent en lui associant la notion de menace immédiate contre la vie et la santé.   De plus, seuls des critères objectifs peuvent être utilisés pour confirmer l'existence effective de cette menace.

Dans le type d'entreprise qui nous concerne, le risque d'attaque ou de vol susceptible de causer des blessures se manifeste au hasard.  Ceci veut dire que la menace contre la vie et la sécurité de Monsieur Guilbault peut se concrétiser dans une minute, une journée, un mois ou un an.  Il est possible que la menace ne se concrétise jamais.  Telle est la nature du travail des employés de Loomis.  Tel est le risque accepté par ces employés.

Dans une situation de refus, l'agent de sécurité doit déterminer, au moment de son enquête, s'il existe effectivement un danger dans le lieu de travail de l'employé qui refuse.  Pour ce faire, il doit se baser sur des critères objectifs.  D'ailleurs, l'Honorable juge Louis Pratte de la Cour d'appel fédérale a confirmé cette exigence dans la décision Bonfa c. Le Procureur général du Canada, dossier A-138-89 en précisant que:

"Ces considérations étaient étrangères aux questions auxquelles l'agent régional devait répondre et, en particulier, à la première de ces questions qui était celle de savoir si le lieu de travail de l'intimé présentait, au moment où l'agent de sécurité avait fait son enquête, des dangers tels que les employés étaient justifiés de n'y pas travailler tant que l'on n'aurait pas remédié à cette situation.  Le fait que l'intimé ait pu avoir, avant que l'agent de sécurité ne fasse son enquête, des motifs légitimes de refuser de faire le travail qu'on lui avait confié ne pouvait influer sur la réponse à donner à cette question.  Et le fait que l'agent de sécurité ait pu, en vertu du paragraphe 145(1), constater que l'employeur contrevenait à la Partie II et lui ordonner de mettre fin à cette contravention était, lui aussi, étranger au litige puisque l'agent de sécurité n'avait jamais constaté pareille contravention et n'avait jamais donné d'instruction à l'employeur en vertu du paragraphe 145(1).

Si l'agent régional s'était posé la question qu'il devait se poser, il n'aurait pu lui donner qu'une réponse, savoir que, au moment de l'enquête de l'agent de sécurité, le lieu de travail de l'intimé ne présentait aucun danger.  Il aurait donc dû tout simplement annuler les instructions qu'avait données l'agent de sécurité."
(Je souligne)

Le lieu de travail de Monsieur Guilbault dans ce cas-ci est le Magasin M situé au 7850 boul. Champlain à Ville LaSalle, Québec de même que le parcours qui le sépare du magasin et du camion.  L'enquête mené par l'agent de sécurité n'a révélé aucune circonstance anormale ou inhabituelle dans ce lieu.  Monsieur Guilbault n'était en possession d'aucune information nouvelle à l'effet qu'un vol se préparait.  De plus, le parcours qu'emprunte normalement le messager à cet endroit est suffisamment court et bien éclairé pour lui permettre d'exercer une surveillance adéquate sur ce lieu de travail.  Il n'existait donc aucune indication qu'il y avait, à ce moment, un danger pour Monsieur Guilbault de travailler dans ce lieu précis. 

Toutefois, l'agent de sécurité fut d'avis que l'absence du garde, i.e. la procédure utilisée à ce moment, était insuffisante pour protéger pleinement le messager contre des attaques éventuelles.  Bien que je sois du même avis que l'agent, cette situation ne devrait pas se régler par l'exercice du droit de refus.

Pour que le retrait du garde puisse justifier le refus de Monsieur Guilbault, il faudrait démontrer que cette pratique augmente significativement le risque d'attaque et de vol à un point tel que le risque, qui fait partie intégrante du travail de ces employés, devient inhabituel et inacceptable pour la sécurité des employés.  Or la compagnie Les Blindés Loomis Inc. a fait valoir qu'elle utilise déjà des équipes de deux personnes, sans problèmes, à travers le pays, sauf dans les cas d'exception énumérés plus haut.  Cet argument, non contredit à l'audience, est fort persuasif. 

Il est évident que le refus de travail de Monsieur Guilbault vise avant tout à corriger une méthode de travail que lui, et plusieurs de ses confrères, jugent dangereuse.  La solution à ce problème réside dans les discussions et les recommandations que peut et devrait formuler le comité de sécurité et de santé au travail. 

Le droit de refus est manifestement un véhicule inadéquat pour faire valoir les doléances de ces employés.  Quels que soient mes sentiments personnels dans cette affaire, ma décision ne peut que refléter les contraintes fixées par le Code.

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, j'annule l'instruction émise le 23 mars 1992 par l'agent de sécurité Guy Lauzon à Les Blindés Loomis Ltée.

Décision rendue à Ottawa le 31 août 1992


Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

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