Archivée - Decision: 92-011 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SECURITE ET SANTE AU TRAVAIL

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Révision, en vertu de l'article 146 de la Partie II du
Code canadien du travail, d'une instruction donnée
par un agent de sécurité


Partie Demanderesse: Canadien National (CN)  
                                  Matériel Remorqué 
                                  Montréal, Québec  
                                  Représentée par: M Marc Laliberté  
                                  Surintendant

Partie Intéressée: Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA)  
                           Division des chemins de fer
                           Section locale 100  
                           Représentée par: M John Merritt  
                           Coordonnateur juridique

Mis en Cause:  M André Lamer   
                        Agent de sécurité   
                        Travail Canada

Devant:   M Serge Cadieux              
               Agent régional de sécurité


Une audience a été tenue le 8 septembre 1992 à Montréal.  Il a été convenu à la fin de l'audience de permettre à M Merritt de présenter des soumissions écrites, en sus de la preuve verbale, dans un délai acceptable aux parties.  La partie demanderesse s'est prévalue de son droit de répondre aux points soulevés.


Historique

Le 24 mars 1992, l'agent de sécurité, M André Lamer, se rend sur les lieux de travail exploité par le Canadien National, au triage Taschereau, Atelier matériel remorqué à Montréal (Québec).  M Lamer se rendait alors au bureau de Monsieur Berrada, surintendant adjoint, matériel remorqué.  C'est à ce moment que l'agent de sécurité a noté qu'un employé s'affairait sous un wagon à une opération d'oxycoupage à l'acétylène.  L'oxycoupage est une opération de découpage des métaux en utilisant un chalumeau.  L'attention de l'agent de sécurité fut surtout attirée par le fait que l'employé qui coupait le métal avait la tête dans la fumée.

L'agent a poursuivi son chemin jusqu'au au bureau de M Berrada où il est demeuré en réunion environ une demi-heure.  À son retour, l'agent a constaté que l'employé coupait toujours sous le wagon, la tête dans la fumée, sans protection respiratoire et sans ventilation locale i.e. une ventilation à la source qui vise à capter la fumée chargée de particules en suspension et de gaz au moment où elle est produite par le procédé d'oxycoupage.  Il lui a signifié qu'il ne trouvait pas cette situation normale.  Cette ventilation était absente à ce moment, selon M Laliberté, parce qu'il est impossible de placer un appareil de ventilation locale à cet endroit.  Après vérification auprès de l'employé, l'agent de sécurité confirme que l'employé n'a pas reçu de formation en ce qui concerne les appareils respiratoires.

L'agent fut d'avis que le CN contrevenait au Code canadien du travail, Partie II en permettant à cet employé de travailler de la sorte sans protection respiratoire et sans formation adéquate.  Le 30 mars 1992, l'agent émet une instruction, qui fait présentement l'objet d'une révision.  L'instruction précise que le CN contrevient au Code et à la partie XII (Matériel, Equipement, Dispositifs, Vêtements de sécurité) du Règlement du Canada sur l'hygiène et la sécurité au travail (ci-après Règlement) de la façon suivante: 

"Dans l'atelier du matériel remorqué un employé brûlait (coupait) sous un wagon sans protection respiratoire (masque) et n'avait pas reçu de formation et d'entraînement sur l'utilisation de masques."


Arguments

L'agent de sécurité nous a fait valoir à l'audience qu'il connaît bien les risques associés à la fumée dégagée durant l'opération d'oxycoupage.  Il nous a expliqué que cette fumée est constituée de très petites poussières qui se déposent dans les poumons et éventuellement, une certaine proportion se retrouve dans le sang.  Cette fumée, nous explique l'agent, est constituée, en grande majorité, d'oxydes de fer dont la tolérance est très basse.  De plus, la décomposition, sous l'effet de la chaleur, de la peinture et des huiles qui recouvrent les métaux à découper, libèrent des produits de décomposition toxiques tels des composés de plomb, de zinc de même que des vapeurs nocives.  L'agent était d'avis que l'employé qui coupait sous le wagon depuis un bon moment, la tête dans la fumée, sans protection respiratoire et sans ventilation locale, était surexposé.

M Merritt, du syndicat des TCA, nous propose que l'agent de sécurité a émis l'instruction parce qu'il croyait que l'employé était en situation de danger.  M Merritt était en outre préoccupé par la présence possible, dans la peinture des wagons, de BPC (biphényls polychlorés) susceptibles de produire par décomposition sous l'effet de la chaleur, des substances hautement toxiques.

L'employeur nous a fait valoir, quant à lui, que Travail Canada avait déjà fait une évaluation du risque des fumées de soudage à l'atelier remorqué au triage Taschereau au début de 1990.  Le rapport d'Evaluation des fumées de soudage de Travail Canada, daté du 31 mars, 1992 fut déposé comme preuve.   Selon ce rapport,

"La presque majorité des soudeurs ont été exposés à des concentrations de fumées totales et métalliques (oxydes de fer, de manganèse, de chrome, de nickel et d'aluminium) inférieures aux normes retenues par l'ACGIH 1985-1986, conformément à l'article 10.21 de la Partie X (substances hasardeuses) du Règlement du Canada sur l'hygiène et la sécurité au travail (RCHST)."

M Laliberté nous souligne dans ses soumissions écrites que:

"Parmi les échantillons prélevés, on remarque que certains soudeurs n'avaient ni ventilation locale, ni protection individuelle.  Les concentrations auxquelles ils furent exposés furent tout de même inférieures aux normes prescrites."  

Lors de l'audition et en réponse aux soumissions écrites de M Merritt concernant la contamination des wagons par des peintures à base de BPC (biphényls polychlorés), M Laliberté nous informe que ces wagons ont été identifiés suite à des échantillonnages et sont bien connus de l'employeur, des comités de sécurité et de santé et des employés.  Tout travail de soudage (ou coupage) sur ces wagons est sujet à des mesures de protection très strictes incluant la ventilation locale et/ou une protection respiratoire individuelle.


Décision

Je dois décider dans le cas en l'espèce si l'instruction de
l'agent de sécurité était justifiée dans les circonstances.  Selon moi, l'instruction était justifiée pour les raisons suivantes. 

Je tiens d'abord à préciser que je suis satisfait, sur la base des représentations qui m'ont été soumises, que les BPC ne constituent pas une source de risque dans le cas présent.  Je considère donc ce sujet comme résolu.

Le paragraphe 12.7(1) de la partie XII (Matériel, Equipement, Dispositifs, Vêtements de sécurité) du Règlement stipule:

"12.7(1) Lorsqu'il y a risque de présence, dans le lieu de travail, d'air contenant des substances hasardeuses ou d'air à faible teneur en oxygène, l'employeur doit fournir un dispositif de protection des voies respiratoires qui figure dans la liste intitulée "NIOSH Certified Equipment List as of October 1, 1984", publiée en février 1985 par le National Institute for Occupational Safety and Health."

Il est important à ce stage-ci de faire une distinction entre ce qui constitue une substance hasardeuse et le niveau d'exposition permissif prévu par Règlement.  Selon le paragraphe 122(1) du Code, une substance hasardeuse est définie comme suit:

""substance hasardeuse" Sont assimilés à une substance hasardeuse un agent chimique, biologique ou physique dont une propriété présente un risque pour la sécurité ou la santé de quiconque y est exposé, et un produit contrôlé."     (je souligne)

Selon cette définition, une substance est caractérisée comme étant hasardeuse suivant une propriété que possède la substance.  Une propriété d'une substance est une qualité ou une caractéristique de la substance même, telle une propriété physique (v.g. son point d'ébullition), une propriété chimique (v.g. sa réactivité), une propriété toxicologique (v.g. ses voies d'absorption) et ainsi de suite.  Je réfère d'ailleurs le lecteur aux diverses fiches techniques préparées pour chaque substance.  Cette propriété ou caractéristique de la substance est telle qu'elle présente un risque pour la sécurité d'une personne qui y est exposée.   C'est pourquoi la seule présence de la substance hasardeuse dans l'air du lieu de travail de l'employé est suffisante pour justifier, à titre préventif, l'application de l'exigence prévue au paragraphe 12.7(1) du Règlement. 

Toutefois, une quantité quelconque de la substance dans l'air n'est pas en soi une propriété de ladite substance bien qu'elle ait manifestement un effet sur ses propriétés.   En vertu de la partie X (Substances Hasardeuses) du Règlement, un employé peut être exposé à un certain niveau de la substance hasardeuse sans qu'il y ait d'effet sur sa santé.  Puisque le Code établit des normes minimales, une surexposition à la substance hasardeuse met la sécurité et la santé de l'employé en péril.  Une évaluation du risque est donc nécessaire pour établir la concentration de la substance dans l'air de même que le niveau d'exposition du travailleur.

Nous savons que l'oxycoupage à l'acétylène, tout comme l'opération de soudage, génère des produits de décomposition, tel l'oxyde de fer, qui se retrouvent concentrés dans la fumée.  De plus, d'autres produits sont générés lorsque le métal à couper est soit rouillé, soit contaminé avec des huiles ou d'autres substances.  De façon générale, il faut considérer l'opération d'oxycoupage, dans les conditions constatées par l'agent de sécurité au triage Taschereau, comme un procédé libérant des contaminants susceptibles d'affecter la santé et la sécurité des employés.  Pour affirmer le contraire, il faut, selon moi, avoir fait une évaluation objective des risques et avoir pris par la suite les mesures jugées nécessaires.

Le pouvoir de l'agent de sécurité d'émettre une instruction dans ce cas-ci est exprimé au paragraphe 145(1) du Code dans les termes suivants:

"S'il est d'avis qu'il y a contravention à la présente partie, l'agent de sécurité peut ordonner à l'employeur ou à l'employé en cause d'y mettre fin dans le délai qu'il précise et, sur demande de l'un ou l'autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens." (je souligne)

Selon moi, dans ce cas précis, l'agent de sécurité peut juger de la situation sur la base de sa formation, de ses connaissances et de son expérience pour affirmer qu'il existe effectivement un risque à la santé et la sécurité de l'employé effectuant l'oxycoupage et ordonner à l'employeur de prendre les mesures telles que prescrites.  À ce moment, l'agent émet une opinion professionnelle à l'effet qu'un risque existe tel que prévu au paragraphe 12.7(1) dudit Règlement, ce qu'il a fait dans le cas en l'espèce.  Il appartient alors à l'employeur de démontrer que le risque n'existe pas ou, du moins, qu'il est contrôlé.

Pour se décharger du fardeau de la preuve, l'employeur nous a fait valoir qu'une étude des risques avait été effectuée par Travail Canada.  Cette étude, il faut se rappeler, a examiné l'exposition de certains travailleurs à la fumée de soudage dans des conditions spécifiques et à des postes de travail précis.  L'employeur prétend qu'il a été démontré que la majorité des travailleurs n'étaient pas surexposés.  Dans le cas de l'employé (de la forge) qui fut surexposé, la compagnie CN Rail s'est empressé de se conformer à la recommandation de Travail Canada dans ce cas précis.

Je n'accepte pas cet argument de l'employeur.  Pour se décharger du fardeau de la preuve, l'employeur devait mener une enquête telle que prévue à l'article 10.2 de la partie X (Substances Hasardeuses) du Règlement et démontrer qu'il n'y a pas de risque pour l'employé de travailler à l'oxycoupage à l'acétylène dans les conditions constatées par l'agent de sécurité.  L'employeur n'a pas mené cette enquête.  L'étude de Travail Canada n'a pas considérée l'exposition d'un travailleur dans des circonstances équivalentes.  D'ailleurs, cette étude conclut que:

"Les résultats de cette enquête sont basés sur les prélèvements faits dans des conditions spécifiques qui prévalaient lors des opérations de soudage au moment de l'enquête.  Ceux-ci ne devraient être extrapolés dans aucune situation." (je souligne)

Je suis aussi d'avis qu'un employé qui fait une opération d'oxycoupage telle que décrite plus haut est placé dans une situation de risque.  En effet, lorsque le travailleur exécute son travail de coupage en position sous le train, la fumée générée par l'opération de coupage peut difficilement se dissiper.   La fumée, chargée de ses contaminants, ne peut que s'élever de quelques centimètres et retomber presqu'aussitôt dans la figure du soudeur non protégé.  Il y a concentration des contaminants et cette concentration s'accroît avec le temps d'exposition.  De plus, l'absence d'un système d'adduction d'air à la source ne fait qu'accroître la présence des contaminants.  Il y a manifestement "présence d'un risque", ce qui justifie l'application du paragraphe 12.7(1) du Règlement.  

Tant qu'on n'a pas évalué l'exposition du travailleur pour s'assurer qu'il n'est pas surexposé, l'agent de sécurité était justifié de croire, dans ces circonstances, que l'employé était dans une situation de risque.  L'agent de sécurité ne conclut pas à ce moment qu'un danger existe, comme le voudrait M Merritt.   Pour ce faire, il devra utiliser des critères plus objectifs, tel un échantillonnage précis.

En ce qui concerne la portée de l'instruction de l'agent de sécurité, un point qui préoccupait vivement M Laliberté, cette instruction ne s'applique qu'à la contravention vue et constatée par l'agent de sécurité.

Pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, je confirme l'instruction donnée le 30 mars 1992 par l'agent de sécurité, M André Lamer, à Canadien National.

Décision rendue en date du 13 octobre 1992

Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

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