Archivée - Decision: 93-011 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision, en vertu de l'article 146 de la Partie II
du Code canadien du travail,
d'une instruction émise par un agent de sécurité


Demandeur:  Société canadienne des postes
                    Centre postal de Halifax
                    Halifax, Nouvelle-Écosse
                    Représenté par :  M. Harold L. Doherty
                    Conseiller juridique

Partie intéressée: Mme Wendy Vandersteen
                          Employée
                          Représentée par :  M. Fred Furlong
                          Syndicat des postiers du Canada (SPC)

Mis en cause:  M. Robert Muzzerall
                       Agent de sécurité
                       Travail Canada

Devant:   M. Serge Cadieux
               Agent régional de sécurité
               Travail Canada


Le 6 juillet 1993, à Halifax, Nouvelle-Écosse, une audience a eu lieu concernant le refus de travailler qu'a opposé Mme Vandersteen.  Mme Vandersteen n'était pas présente bien qu'elle ait été dûment avisée de la date de l'audience indiquée plus haut.  Son absence était justifiée par M. Furlong qui a demandé, au nom de Mme Vandersteen, que l'audience débute sans plus tarder.

Résumé des faits

Le 30 avril 1993, Mme Vandersteen a exercé son droit de refuser de travailler en vertu de la Partie II du Code canadien du travail.  Mme Vandersteen refusait de déplacer un lourd chariot de métal utilisé pour les gros colis appelé chariot à conteneurs, parce qu'elle ne portait pas de chaussures de sécurité.  Elle a estimé que cette situation constituait un danger.

L'agent de sécurité, M. Muzzerall, s'est penché sur le refus de travailler de Mme Vandersteen et a affirmé avoir examiné le lieu de travail, le matériel et les procédures.  Il en est arrivé à la conclusion que Mme Vandersteen courait effectivement un danger et a ordonné à la Société canadienne des postes, en vertu de l'alinéa 145(2) a) du Code, de cesser d'enfreindre certaines dispositions du Code qu'il n'a pas précisées.  Voici un extrait de l'instruction:


«L'agent de sécurité (...) ayant effectué une enquête concernant le refus de travailler de Mme Wendy Vandersteen qui a refusé de déplacer un chariot à conteneurs parce qu'elle ne portait pas de chaussures de sécurité, estime que les dispositions suivantes du Code canadien du travail. partie II, sont enfreintes, c'est-à-dire:

L'employée ne porte pas les chaussures de protection appropriées qui réduiraient ou élimineraient le risque de blessure si l'une des roues du chariot à conteneurs, du bac roulant C-3, du chariot C-8, du chariot à corbeilles E-2 ou du C-40 heurtaient le pied de l'employée.


EN CONSÉQUENCE, IL EST ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES audit employeur, conformément à l'alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, Partie II, de mettre fin aux infractions conformément aux instructions verbales données le 30 avril 1993 pour parer au danger.»

Fait à Halifax le 7 mai 1993.

L'agent de sécurité a indiqué dans le résumé qu'il a préparé pour l'audience qu' «une raison possible du refus est qu'une nouvelle convention collective a été signée et que la Société canadienne des postes est d'avis que la décision arbitrale Bruce Outhouse1 vieille de cinq ans n'est désormais plus valide.  Le syndicat semble vouloir poursuivre dans cette veine afin que ses membres soient protégés ou du moins pour réduire le nombre de blessures aux pieds.»

Remarque : M. Doherty a protesté avec véhémence contre toute référence à la décision arbitrale Bruce Outhouse.  Il a expliqué que lorsqu'un agent de sécurité examine un refus de travailler, il ne doit pas prendre en compte les dispositions d'une convention collective.  L'agent de sécurité peut seulement déterminer si la situation présente ou non un danger.


Preuve de l'employeur

L'employeur soutient qu'en aucun moment Mme Vandersteen n'a couru le risque de se blesser le jour de son refus de travailler.  On avait demandé à Mme Vandersteen de déplacer un chariot de métal de type chariot à conteneurs, mais aucun des autres types de chariot mentionnés dans l'instruction.  Le chariot à conteneurs était placé contre un mur dans un couloir, et qui plus est, affirme l'employeur, il était vide.  Selon M. Doherty, les nombreuses décisions rendues par le Conseil canadien des relations du travail qu'on a présentées en preuve et qui constituent la jurisprudence actuelle en la matière précisent que l'employé doit se trouver dans une situation de danger immédiat pour que le refus de travailler soit justifié.  La Société canadienne des postes prétend que Mme Vandersteen ne s'est jamais trouvée dans une situation où elle risquait de se blesser.  De plus, elle n'était pas en danger «à ce moment précis» lorsque l'agent de sécurité a procédé à son enquête.

M. Doherty a aussi signalé que l'agent de sécurité ne s'était pas penché sur le refus de travailler de Mme Vandersteen en s'attachant aux faits, comme il aurait dû le faire dans les circonstances, mais qu'il s'était surtout fié à son expérience et à sa connaissance des pratiques courantes à la Société canadienne des postes pour rendre sa décision.  L'agent de sécurité ne s'est jamais rendu sur les lieux, n'a pas demandé de démonstration sur l'utilisation de l'équipement et n'a pas vu le chariot faisant l'objet du refus de travailler.  C'est pourquoi, suggère M. Doherty, l'agent de sécurité ne savait pas que le chariot était vide et ne constituait donc pas un danger pour Mme Vandersteen.  Par conséquent, l'instruction ne devrait pas être maintenue, puisque Mme Vandersteen n'était pas dans une situation où elle courait un danger immédiat.

De plus, d'ajouter M. Doherty, le droit de refuser de travailler n'a pas été accordé dans le but principal d'atteindre les objectifs du Code.  L'agent de sécurité a admis avec candeur dans son témoignage que l'instruction ne visait pas seulement à protéger Mme Vandersteen mais aussi tous les autres employés du centre postal.  Ce n'était pas la question à régler le jour du refus de travailler.  La seule question était de déterminer si Mme Vandersteen se trouvait bel et bien dans une situation comportant un danger immédiat.

M. Doherty a expliqué que les directives visant le déplacement de matériels de manutention non motorisés permettent aux employés de demander de l'aide si un chariot à conteneurs doit emprunter un parcours périlleux.  Règle générale, l'employé ne doit pas tirer le chariot et ainsi risquer de se blesser.  Les directives précisent que l'employé doit pousser le chariot jusqu'à l'endroit désiré, minimisant ainsi les risques de blessure.  La Société canadienne des postes soutient que si on respecte bien les directives, il n'est pas nécessaire de porter des chaussures de sécurité pour accomplir la tâche demandée à Mme Vandersteen.  Cependant, si certains employés préfèrent porter des chaussures de sécurité au travail, on les encourage à le faire, mais à leurs frais.

M. Doherty a aussi déclaré qu'à son avis, la loi n'autorise pas un agent de sécurité à donner une instruction aux termes du paragraphe 145(2) du Code et de la présenter par la suite en vertu du paragraphe 145(1) du Code, au cas où l'instruction puisse être justifiée en vertu de la deuxième disposition.  En outre, l'agent régional de sécurité doit se limiter à décider s'il y avait ou non un danger au moment de l'inspection de l'agent de sécurité.


Preuve du représentant de l'employée

M. Furlong soutient pour sa part que dans la décision arbitrale Outhouse, qu'il appuie, l'experte en santé et sécurité engagée par le syndicat, Mme Chymyck, «a déclaré sous serment, après s'être rendue au centre de la rue Almon, que selon ce qu'elle avait vu des lieux, il s'agissait d'un genre d'entrepôt où des objets étaient reçus, traités et ensuite retournés.  Elle a dit que dans tous les entrepôts qu'elle avait visités, les employés devaient porter des chaussures de sécurité et qu'elle ne voyait pas pourquoi la même chose ne s'appliquerait pas à l'établissement postal».

M. Furlong est d'avis que M. Muzzerall a agi convenablement dans ce cas, étant donné sa connaissance des circonstances et de l'équipement en cause.  M. Furlong a affirmé que le rôle d'un agent de sécurité dans une situation de refus de travailler n'est pas de déterminer le degré de risque mais seulement de déterminer l'existence d'un risque ou d'un «danger».  Par conséquent, l'agent de sécurité a pris un décision appropriée au moment du refus de travailler et son instruction est motivée par son souci de protéger les employés et d'assurer leur sécurité.  Pour toutes ces raisons, l'instruction doit être maintenue.

Décision

Dans le présent cas, la question est de décider s'il y avait bien un danger, tel que défini dans le Code canadien du travail, au moment de l'enquête de l'agent de sécurité à propos du refus de travailler de Mme Vandersteen.

La définition du mot «danger», que l'on retrouve au paragraphe 122(1) du Code, est la suivante :

danger : risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié;

Cette définition signifie qu'un danger n'est pas seulement un risque, mais un risque ou une situation défini par la loi.  A la lumière de cette définition, le risque ou la situation doit être à ce point sérieux qu'un employé est susceptible de se blesser à moins que des mesures soient prises pour le protéger.

De plus, parce que Mme Vandersteen a exercé son droit de refuser de travailler afin de résoudre ce problème, il lui incombe de prouver à l'agent de sécurité quel risque ou situation constituait un danger à ce moment précis.  La jurisprudence invoquée par l'employeur est claire sur ce point.  Le jugement rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Bonfa c. le ministère de l'Emploi et de l'Immigration affirme que le danger auquel est soumis un employé doit exister au moment de l'enquête de l'agent de sécurité.  Que le danger ait existé avant son arrivée est sans rapport avec la décision qu'il doit prendre lors de son enquête.  Il doit décider s'il y a bel et bien un danger au moment de son enquête et, le cas échéant, donner les directives nécessaires afin de protéger l'employé ou toute autre personne qui y serait exposée.

Dans le cas présent, je dois me demander quel risque ou quelle situation l'agent de sécurité a-t-il identifié pouvant l'amener à conclure de façon justifiée à l'existence d'un danger, ou en d'autres termes, à conclure qu'il y avait un danger réel et présent au moment de son enquête.  Je dois reconnaître que je ne puis répondre à cette question en me fondant sur les faits et le témoignage de l'agent de sécurité.

Mme Vandersteen était absente au moment de l'audience, et elle n'a donc pu corroborer ou nier l'affirmation selon laquelle le chariot à conteneurs était vide ou nous dire pourquoi elle craignait de le déplacer.   On a fait référence à un autre chariot durant l'audience mais on n'a pas mis en preuve dans quel état il se trouvait ou si l'on avait demandé à Mme Vandersteen de le déplacer également.  Malheureusement, l'absence de Mme Vandersteen ne lui rend pas service car elle n'a pas pu témoigner pour nous dire si elle connaissait la marche à suivre pour déplacer des matériels de manutention non motorisés et si elle savait qu'elle pouvait demander de l'aide dans certaines circonstances.

L'agent de sécurité n'a jamais vu le chariot en question et se trouve donc dans l'impossibilité de témoigner quant à son état ou quant au parcours que Mme Vandersteen devait emprunter avec le chariot.  M. Doherty a témoigné, appuyé par un témoignage non contredit d'un représentant de Postes Canada, que le chariot dont il est question était vide et en bon état, et que de toute façon, il est possible de demander l'aide d'un autre employé lorsque la situation l'exige.  Il a aussi été démontré que l'on avait affecté Mme Vandersteen à une autre tâche lorsque l'agent de sécurité est arrivé sur les lieux et que le chariot en question avait été déplacé par un autre employé.

Je ne suis pas autorisé, lorsque j'agis aux termes de l'article 146 du Code, à tenir compte de toutes les circonstances et des risques possibles existant au centre postal de la rue Almon.  Seul l'agent de sécurité peut agir ainsi aux termes du paragraphe 145(1) du Code.  Parce que le droit de refuser de travailler constitue un droit individuel, je dois examiner les seuls éléments de l'instruction qui s'appliquent au cas de Mme Vandersteen.  Il en est ainsi parce que le droit de refuser de travailler ne peut être exercé par un employé que si des circonstances imprévues mettent en danger sa vie, sa santé ou sa sécurité.  Or, la situation dans laquelle se trouvait Mme Vandersteen au moment où elle a refusé de travailler n'exigeait pas qu'une action immédiate soit prise afin de protéger sa vie, sa sécurité ou sa santé.

A la lumière de la preuve qui m'a été présentée, je peux seulement conclure que l'agent de sécurité n'a pas limité son enquête au refus de travailler de Mme Vandersteen mais a tenté de résoudre le problème qui a cours concernant le port des chaussures de sécurité au centre postal de Halifax.  A preuve, les divers bacs et chariots mentionnés par l'agent de sécurité dans son instruction.  Ces bacs et chariots, utilisés partout au centre postal, n'ont rien à voir avec le refus de travailler en question.  Selon moi, l'agent de sécurité a décidé de les inclure dans son instruction afin de résoudre la question des chaussures de sécurité en général.  Ceci est contraire aux nombreuses décisions rendues par le Conseil canadien des relations de travail, que j'appuie entièrement, et qui ont clairement établi que le droit de refuser de travailler ne peut pas et ne doit pas être utilisé dans le but de résoudre des différends et des problèmes courants de ce genre.

Je crois l'agent de sécurité lorsqu'il dit qu'il connaît très bien le travail effectué à Postes Canada et que beaucoup d'aspects de ce travail comportent des risques pour les employés.  Au risque de me répéter, j'ai déclaré à de nombreuses reprises dans des décisions antérieures qu'à titre d'agent régional de sécurité agissant aux termes de l'article 146 du Code, il m'est interdit de considérer si l'agent de sécurité aurait pu intervenir en vertu d'une autre disposition du Code afin de résoudre des problèmes de santé et de sécurité.  Je ne peux que considérer l'instruction donnée par l'agent de sécurité à la suite de son enquête et la modifier, l'annuler ou la confirmer.

Pour toute les raisons mentionnées plus haut, j'en arrive à la conclusion que Mme Vandersteen ne se trouvait pas en danger lorsqu'elle a exercé son droit de refuser de travailler et ne l'était pas non plus au moment de l'enquête de l'agent de sécurité.  J'annule donc l'instruction donnée par l'agent de sécurité Robert Muzzerall le 7 mai 1993 à la Société canadienne des postes.

Décision rendue le 30 août 1993.


Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

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