Archivée - Decision: 94-007-R CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II : SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision en vertu de l’article 146 du Code canadien du travail
partie II, d’une instruction émise par un agent de sécurité


Décision no. 94-007(R)


Demandeur:  Air Canada              
                    Aéroport international de Montréal (Dorval) Montréal, Québec       
                    Représenté par: Me Louise-Hélène Sénécal        
                    Avocate


Partie intéressée: Syndicat canadien de la fonction publique
                          Representé par: Reynoud Wijtman             
                          Coprésident, Comité de sécurité et de santé


Mise-en-cause:  Pierre Doucet             
                         Agent de sécurité        
                         Transport Canada, Aviation


Devant:   Serge Cadieux                  
               Agent régional de sécurité    
               Développement des ressources humaines Canada

 

Le 6 juillet 1994, l'agent de sécurité Pierre Doucet donne une instruction (voir l'Annexe) en vertu des alinéas 145(2)(a) et (b) du Code canadien du travail, Partie II à Air Canada.  Le 7 juillet 1994, suite à une demande de révision de cette instruction par Air Canada, j'ai visité un avion de type DC-9 et j'ai inspecté de près les sièges faisant l'object de l'instruction contestée.  Les parties ont par la suite eu l'occasion de me faire part de leurs soumissions dans cette affaire.


Résumé des faits

Le problème des sièges utilisés par les agents de bord1, lors des vols commerciaux à bord des appareils de type DC-9 d'Air Canada, est un problème qui existe depuis plusieurs années selon l'agent de sécurité.  L'agent de sécurité Pierre Doucet est intervenu dans cette affaire suite à une plainte de M. Wijtman, à la fois coprésident du comité de sécurité et de santé à Air Canada et représentant du Syndicat canadien de la fonction publique. 

L'agent de sécurité explique que le 13 avril 1994, il fait enquête dans cette affaire et visite, en compagnie d'un ingénieur d'Air Canada et de représentants d'employés, un DC-9 de la compagnie Air Canada.  L'agent a constaté que deux personnes ne pouvaient s'asseoir comfortablement sur les sièges en question.  Après discussion sur ce sujet avec les parties en cause, l'agent conclut qu'advenant certaines éventualités, telles un écrasement de l'avion, un attérissage difficile ou même lors de turbulences, les agents de bord assis sur lesdits sièges pourraient subir des blessures soit à la tête, soit au corps en général.

Bien que le 4 mai 1994, le dossier de la plainte fut réactivé à des fins administratives, ce n'est que le 6 juillet 1994 que l'agent de sécurité remet à Air Canada une instruction en vertu des alinéas 145(2)(a) ET (b) du Code canadien du travail, partie II.  À toutes fins pratiques, l'agent de sécurité mettait un scellé sur les sièges jusqu'à ce que Air Canada se conforme à l'instruction.

Air Canada a fait une demamde de révision verbale à l'agent régional de sécurité le 7 juillet 1994 et a fait valoir l'urgence de sa demande.  Ayant reconnu le bien-fondé de l'urgence de la demande de révision et puisque l'agent régional de sécurité n'a pas le pouvoir de suspendre l'exécution d'une instruction, j'ai procédé à une enquête sommaire ce même jour à Montréal, Québec.


Soumission de l'employeur

Me Sénécal fait valoir que l'agent de sécurité a émis une instruction pour une situation qui ne constituait pas un danger tel que le prévoit le Code.  En somme, selon Me Sénécal:

1. les sièges dont fait l'objet l'instruction sont conformes à la FAA (Federal Aviation Agency) et certifiés par le constructeur Douglas;
2. ces sièges existent depuis 40 ans et sont utilisés régulièrement depuis 25 ans par Air Canada;
3. il n'y a jamais eu de rapport d'accident soumis à Air Canada concernant l'usage de ces sièges et aucune réclamation d'indemnisation a été faite durant toutes ces années et jusqu'à date;
4. l'agent de sécurité a fait son enquête trois mois plus tôt et même s'il considérait qu'un problème existait à ce moment il ne voyait pas de risque immédiat puisqu'il n'a émis son instruction que le 6 juillet 1994 sans d'ailleurs en aviser l'employeur ni en lui proposant de délai pour se "conformer";
5. l'impact de cette instruction est lourd de conséquences économiques dans une industrie déjà anémique et Air Canada ne peut supporter un tel fardeau.  De plus Me Sénécal affirme que cette instruction coûte au bas mot à Air Canada 400,000 dollars par jour étant donnée la période achalandée pendant laquelle l'instruction s'applique;
6. l'agent de sécurité, comme le représentant du comité de sécurité et de santé, ont réagi dans cette affaire sans tenir compte qu'Air Canada avait décidé de faire certains changements, telles des surfaces coussinées, suite aux discussions de comité de sécurité et de santé.

M. Famery, Chef de service, Relations de travail, Air Canada  affirme qu'il y a eu des situations d'urgences avec les appareils de type DC-9 et ces situations ont eues lieu sans conséquences en ce qui concerne l'usage des sièges.  À sa connaissance et selon sa longue expérience dans le domaine du transport aérien, il n'y a jamais eu d'incident relié à ces sièges.


Soumission du représentant des employés

M. Wijtman fut impliqué dans ce dossier depuis le début à titre de représentant du comité de sécurité et de santé de même que du syndicat.  Dans un document soumis par l'agent de sécurité, M. Wijtman précise qu'il tient à participer à l'enquête de la plainte dans les termes suivants: "I want to be involved in the investigation of this complaint". 

M. Wijtman affirme que deux agents de bord ne peuvent s'asseoir adéquatement sur les sièges.  Dans l'éventualité d'une forte poussée vers l'avant, il peut en résulter une blessure au dos.  Selon M. Wijtman, ces sièges ne sont ni comfortables, ni sécuritaires et par conséquent, il ne faut pas attendre qu'un accident se produise et que quelqu'un se blesse pour réagir.


Décision

Le 7 juillet 1994, j'ai rendu la décision suivante:

"Sur la base des constatations que j'ai fait lors de mon enquête et des points de droit qui seront expliqués plus tard dans les motifs de ma décision, je décide qu'il n'existe pas de danger d'utiliser les sièges avants et arrières, pour agents de bord, dans les avions de type DC-9.
Pour cette raison, j'ANNULE l'instruction émise, en vertu des alinéas 145(2)(a) et (b) du Code canadien du travail, Partie II, le 6 juillet 1994 par l'agent de sécurité Pierre Doucet à Air Canada."

Les motifs qui suivent sont les motifs de ma décision.


Motifs de la décision

La question qui devait être tranchée dans cette affaire, suite à mon enquête, était la suivante:  Puisque l'agent de sécurité a émis son instruction en vertu des alinéas 145(2)(a) ET (b) du Code canadien du Travail, partie II (ci-après le "Code"), est-ce qu'il existait, au moment de l'enquête de l'agent de sécurité, un risque ou situation qui constituait un danger pour les employés de telle sorte que l'agent devait intervenir immédiatement pour protéger les employés?  De plus, puisque l'agent a appliqué la disposition prévue à l'alinéa 145(2)(b) du Code, je dois aussi me demander, advenant que je conclus à l'existence du danger, s'il était impossible de protéger les employés dans l'immédiat contre ce danger au point où il fallait interdire l'utilisation des sièges.

Pour répondre à ces questions, je dois consulter la définition du terme "danger" que l'on retrouve au paragraphe 122(1) du Code et appliquer cette définition en regard de la jurisprudence existente.  Danger est défini comme suit:

<<danger>> Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié.
(mon soulignement)

Les tribunaux ont eu l'occasion maintes fois d'interpréter la portée du terme danger.  Il s'est dégagé de cette jurisprudence deux points fort importants qui m'ont guidés dans ma décision.

Le premier point est que le danger doit être immédiat.  Ainsi, l'expression "avant qu'il ne puisse y être remédié" a été associée à la notion de "danger immiment" qui existait avant que le Code ne soit modifié en 1984.  Dans l'affaire Pratt, le vice-président du Conseil canadien des relations de travail, Hugh R. Jamieson écrivait:

[...]le Parlement a retiré le mot <<imminent>> de la notion de danger [...], mais il l'a remplacé par une définition qui a pratiquement le même sens.

Le deuxième point que je retire des nombreuses décisions est que l'exposition de l'employé au risque ou à la situation doit être manifestement susceptible de causer des blessures.  Par conséquent, le danger doit être plus qu'hypothétique ou avoir plus que de faibles probabilités de se réaliser.  Le danger doit être immédiat et réel et par conséquent, il ne doit persister aucun doute sur sa réalisation imminente.  Il doit être suffisamment grave pour justifier la cessation d'utilisation, dans le cas en l'espèce, des sièges utilisés par les agents de bord.

C'est à la lumière de ces principes que j'ai rendu une décision de l'inexistence d'un danger dans cette affaire.  Par conséquent, on ne peut prétendre que le danger pourrait se matérialiser dans le futur, tel que se blesser possiblement au dos ou à la tête en utilisant lesdits sièges.  Un danger au sens du Code est un danger imminent ou immédiat, réel et présent au moment de l'enquête de l'agent de sécurité et suffisamment grave pour justifier la non utilisation des sièges dont il est question dans l'instruction.  Il est clair à ce moment qu'il existe une différence marquée entre ce que l'on entend dans l'usage courant par danger et par ce que le Code entend par danger.

La Cour d'appel fédérale a eu l'occasion de clarifier le rôle de l'agent régional de sécurité lorsqu'il siège en appel d'une instruction d'un agent de sécurité.  La Cour a repris les concepts énoncés plus haut dans l'affaire Bonfa c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration.  La Cour d'appel fédérale, sous la plume de l'Honorable juge Louis Pratte, écrivait à ce moment que:

"[...]Ces considérations étaient étrangères aux questions auxquelles l'agent régional devait répondre et, en particulier, à la première de ces questions qui était celle de savoir si le lieu de travail de l'intimé présentait, au moment où l'agent de sécurité avait fait son enquête, des dangers tels que les employés étaient justifiés de n'y pas travailler tant que l'on n'aurait pas remédié à cette situation."

Dans cette même cause, la Cour d'appel fédérale clarifiait aussi le rôle de l'agent de sécurité lorsqu'il enquête, suite à un refus de travail, afin statuer sur l'existence ou l'inexistence d'un danger.  La Cour écrivait à ce moment:

"Le rôle de l'agent de sécurité est seulement de vérifier si le lieu en cause présente, au moment où il fait son enquête, les dangers tels que les employés soient justifiés de ne pas y travailler."


Le libellé de l'instruction émise par l'agent de sécurité nous confirme que l'agent de sécurité voulait régler une situation hypothétique et qui perdurait depuis fort longtemps.  Or, la très longue expérience d'Air Canada concernant l'usage de ces sièges ne concorde définitivement pas avec la notion de ce que le législateur prévoyait constituer un danger.  Une utilisation quotidienne de ces sièges, sans incident, que ce soit au dos, à la tête ou à toute autre partie du corps pendant plus de 25 années ne peut constituer et ne constitue pas un danger au sens du Code.

Je me suis assis dans ces sièges et j'ai bouclé les ceintures de sécurité.  Ces ceintures sont, à toutes fins utiles, de vrais harnais.  S'il y a quelqu'un à bord de ces avions qui est protégé c'est, à mon avis, les agents de bord.  Il est quelque peu difficile de boucler les ceintures de sécurité qui, soit dit en passant, sont ancrées en quatre points distincts, mais une fois bouclées, il est pratiquement impossible de bouger sur le siège.  Ces ceintures rendent l'utilisation des sièges très sécuritaires.
Je concède toutefois, aux agents de bord, qu'il peut être fort incomfortable de prendre position sur ces sièges lorsqu'ils doivent partager le siège avec un confrère ou une consoeur, dépendamment de la constitution physique de chaque agent de bord.  Toutefois, il faut admettre que les agents de bord ne sont généralement assis sur ces sièges que quelques minutes, lors des décollages et des attérissages. 

Manifestement, il n'existait pas de danger en ce 6 juillet 1994 qui justifiait l'instruction émise par l'agent de sécurité.  Il n'y avait de plus aucune raison d'interdire l'utilisation des sièges.  Si l'expérience passée est garant de l'avenir, je dirais qu'il est fort peu probable qu'un employé se blesse sérieusement en utilisant ces sièges.  Et si toutefois il existe un risque éventuel qu'un agent de bord se blesse lorsqu'assis sur ces sièges, ce risque est si éloigné qu'il a pratiquement très peu de possibilités de se matérialiser.  La situation sur laquelle l'agent de sécurité s'était penchée ne présentait aucun risque réel, immédiat ou grave pour la sécurité et la santé des agents de bord.

Ceci dit, je suis d'avis que l'on pourrait trouver une solution fort simple et peu dispendieuse au problème des sièges utilisés par les agents de bord.  Air Canada a déjà développé un coussinet supplémentaire pour protéger la tête advenant une situation où la tête pourrait entrer en contact avec une partie non protégée de la carlingue de l'avion.  Je suis convaincu que toute solution au problème de l'usage des sièges devrait être discutée avec le comité de sécurité et de santé d'Air Canada en collaboration avec leurs services d'ingénierie.

Je tiens à préciser que la révision faite dans cette affaire et ma décision d'annuler l'instruction n'a pas pour but de critiquer la décision de l'agent de sécurité.  Ce dernier a rendu une décision qu'il croyait juste dans les circontances.  Il s'avère que l'agent de sécurité a erré en donnant une instruction de la sorte.  Dans les situations où cette erreur est manifeste, il appartient à l'agent régional de sécurité de corriger, sans délai, la situation.

Fait à Hull, Québec le 15 juillet 1994

 


Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

 

ANNEXE

DANS L'AFFAIRE CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L'EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) ET b)

Le 13 avril 1994, le soussigné a procédé à une enquête dans un lieu de travail, en l'occurrence un DC-9, exploité par la cie Air Canada, employeur assujetti à la partie II du Code Canadien du travail et sis au C.P. 9000 St-Laurent, Québec, H4Y 1C2, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de l'Aéroport international de Montréal, Dorval.

L'agent de sécurité estime qu'une situation existante, dans le lieu de travail mentionné ci-dessus, constitue un danger pour un employé au travail, à savoir:

Siège avant (2 places) pour Agents de bord sur DC-9.

A partir de ce jour, ce siège est restreint à seulement un agent de bord et ce dernier doit occuper, lorsque faisant face à l'arrière, le côté gauche de ce siège, en raison du fait que ce dernier n'offre pas de surface adéquate et suffisante pour être utilisé par deux agents de bord.  Dans l'éventualité d'un accident ou de tout incident impliquant une composante verticale importante (atterrissage dur), la personne n'ayant qu'une fesse sur le siège pourrait en subir de graves conséquences.  De plus dans l'éventualité d'un écrasement ou d'un incident pouvant impliquer une composante latérale d'une accélération ou décélération, ou lors de vols dans des conditions de turbulences légères, modérées ou sévères, la tête de l'agent de bord assis à proximité de la porte avant, pourrait être projetée contre celle-ci.

Siège arrière (2 places) pour Agents de bord sur DC-9.

Il est interdit à deux agents de bord de prendre place dans le siège arrière si, en raison de leur constitution respective, l'un d'eux ne pouvait s'adosser sécuritairement dans son siège.  Dans l'éventualité d'un accident ou de tout incident impliquant une composante latérale d'une accélération/décélération ou lors de vols dans des conditions de turbulences légères, modérées ou sévères, l'agent de bord assis en contorsion pourrait en subir de graves conséquences.  De plus, si la constitution physique des agents de bord permet à ceux-ci de prendre place sur le siège arrière, il existe toujours un risque de blessures à la hauteur de la tête en raison de l'absence de surfaces coussinées sur les cloisons latérales, adjacentes à ces sièges.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la partie II du Code Canadien du travail, de procéder immédiatement à la protection des personnes contre les dangers ci-dessus énumérés.

Il vous est EN OUTRE INTERDIT PAR LES PRÉSENTES, conformément à l'alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail d'utiliser ces sièges pour le personnel de cabine jusqu'à ce que ces instructions aient été exécutées.

Fait à Dorval, ce 6ième jour de Juillet 1994.

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