Archivée - Decision: 94-009 Code CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II
SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision en vertu de l'article 146 du  Code canadien du travail,
partie II, des instructions données par un agent de sécurité

 

Décision no 94-009

Demandeur :   Transports Canada
                      Aéroport international de Gander
                      Gander, Terre-Neuve
                      Représenté par : M. Hilyard Rossiter

Parrtie intéressée : M. Gary Hiscock, pompier
                             Représenté par : M. Gary Bannister
                             Représentant de la santé et de la sécurité
                             Alliance de la Fonction publique du Canada

Mise-en-cause :  M. Ron J. Dooley
                           Agent de sécurité
                           Développement des ressources humaines
                           Canada
                           Section Travail

Devant :    M. Serge Cadieux
                Agent régional de sécurité
                Développement des ressources humaines
                Canada
                Section Travail

 


Une audition a eu lieu le 28 juin 1994 à Gander, Terre-Neuve.


Les faits

Dans le rapport sommaire qu'il a établi dans le cadre de cette enquête, l'agent de sécurité a fait l'observation suivante :

"La présente affaire est une plainte de longue date qu'il a fallu transmettre au palier actuel afin de pouvoir la régler..."

Le 10 janvier 1994, M. Gary Hiscock, pompier à l'Aéroport international de Gander, s'est prévalu de son droit de refuser de travailler.  L'Exposé du refus de travailler que M. Hiscock a déposé se lit comme suit :

 

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On m'a demandé de faire du travail supplémentaire qui aurait nécessité de ma part 34 heures de travail consécutives.  J'ai jugé que cela constituait un danger pour ma sécurité et celle de mes collègues.  J'ai refusé pour cette raison.

Le supérieur immédiat de M. Hiscock lui a demandé de "faire le poste de nuit (14 heures) ce qui signifiait qu'il aurait dû rester  en fonction pour une période continue de 34 heures.  Il faisait le poste de nuit ce jour-là (l0 heures) et son propre poste normal de dix heures aurait recommencé à la fin du poste de l4 heures qu'on lui demandait de faire". 

L'agent de sécurité a commencé son enquête le lendemain.  Il a consulté plusieurs personnes sur la question de la durée du travail des pompiers.  Le l7 janvier l994, il y a eu une réunion au cours de laquelle les représentants de l'employeur et de l'employé ont tous les deux présenté leur position.  L'agent de sécurité a fait remarquer que la caserne de pompiers de Gander est la seule de la région de l'Atlantique qui applique une surveillance téléphonique de quatre heures. La surveillance téléphonique signifie la présence d'un pompier désigné, en service, dans la salle d'alarme pour une période de 4 heures.  Du personnel est présent dans la salle d'alarme 24 heures par jour.

À la suite de son enquête sur cette affaire, l'agent de sécurité a conclu qu'il y avait un danger pour M. Hiscock.  Il a donné des instructions à Transports Canada en vertu de l'alinéa l45(2)a) du Code canadien du travail, Partie II (le Code) afin d'écarter immédiatement ce danger.  Le danger a été décrit comme suit:

"Les pompiers de l'Aéroport de Gander sont parfois tenus de faire trois postes consécutifs ce qui signifie une période de travail continue de trente-quatre (34) ou trente-huit (38) heures selon le cycle d'alternance.  Pour les employés tenus de faire ces trois postes consécutifs, cela constitue un danger de fatigue pouvant nuire au rendement et au degré de sensibilisation en matière de sécurité.

Les présentes instructions font suite au refus de travailler invoqué par le pompier Gary Hiscock."

Exposé de l'employeur

M. Rossiter indique que les instructions de l'agent de sécurité préoccupent beaucoup la direction qui craint que si une période de 34 heures de travail est considérée comme un danger pour la sécurité, une période de 24 heures puisse l'être aussi.  Selon    M. Rossiter, la question qu'il faut trancher est la suivante : si on juge qu'une période de 34 heures n'est pas sécuritaire, alors


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combien d'heures aurait une période jugée sécuritaire?

En outre, la question de la surveillance téléphonique soulevée au cours de l'enquête de l'agent de sécurité n'a jamais causé de problèmes auparavant puisque la direction n'a jamais reçu de plaintes à cet égard. Il n'a jamais été mentionné qu'il s'agissait d'un problème.  M. Rossiter déclare que dans le pire des scénarios, la période de repos minimale serait de six heures et demie.

Exposé de l'employé

M. Bannister appuie les instructions de l'agent de sécurité parce que, à son avis, aucun employé ne devrait travailler pendant une période de plus de 24 heures.  Des règlements et des normes appuient son affirmation, notamment le Règlement sur la sécurité des véhicules automobiles, les règlements établis en vertu de la Loi sur la marine marchande ainsi que la convention collective liant Transports Canada et les contrôleurs de la circulation aérienne.  La fatigue touche les pompiers tout autant que les contrôleurs de la circultation aérienne et ces deux emplois devraient être traités sur un même pied.

En raison des surveillances téléphoniques, des cycles de sommeil différents d'autres employés ainsi que de l'agitation qui règne dans une caserne de pompiers, l'employé ne dort pas bien.  Par conséquent, il ne peut pas accomplir adéquatement ses fonctions de pompier. Dans certains cas, les employés qui ont travaillé pendant de trop longues périodes ont été blessés ou ont été à l'origine de blessures causées à d'autres.  De fait, il n'est pas humainement possible de travailler pendant un si grand nombre d'heures de façon régulière.

Décision

À mon avis, la question qu'il faut trancher en l'occurrence est la suivante : la fatigue occasionnée par une période de travail d'une longueur excessive est-elle dangereuse et constitue-t-elle par conséquent un danger au sens où l'entend le Code?  Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'examiner attentivement les dispositions qui s'appliquent dans la présente affaire.

Le paragraphe 128(1) du Code prévoit ce qui suit :

128(1)  Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose ou de travailler dans un lieu s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
a)  l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre
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  employé;
b)  il y a danger pour lui de travailler dans le lieu.

Par conséquent, le paragraphe 128(1) du Code vise uniquement deux catégories de situations qui permettent à un(e) employé(e) d'exercer son droit de refuser de travailler.  La première catégorie a trait à l'utilisation ou au fonctionnement d'une machine ou d'une chose.  Dans la seconde, il doit y avoir présence d'un danger dans un lieu.  Dans les deux cas, la situation doit constituer un danger assez grave pour justifier la décision de l'employé de ne pas travailler dans ces circonstances.

En l'occurrence, M. Hiscock n'a pas refusé d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose.  Il a refusé de travailler pendant une période trop longue parce qu'il a jugé qu'il était dangereux de le faire.  Si M. Hiscock avait accepté de travailler pendant 34 heures consécutives comme l'employeur le lui avait demandé, il aurait très bien pu aussi refuser, à un moment ou l'autre au cours de cette période, d'utiliser ou de faire fonctionner du matériel de lutte contre l'incendie.  Ce n'est toutefois pas la question dont je suis saisi ici puisque, le jour du refus, M. Hiscock n'a pas fait les heures supplémentaires demandées.

En ce qui a trait au fait que M. Hiscock ait refusé de travailler parce qu'il y avait danger pour lui dans le lieu, ce point n'est pas pertinent dans le cadre de la présente affaire puisque le danger en question aurait dû être précisément lié au lieu de travail.  Or ici, c'est l'état physique personnel de M. Hiscock qui aurait, prétend-on, causé une situation dangereuse.  C'est la fatigue qui est en cause et non le lieu de travail.

Néanmoins, on pourrait soutenir que M. Hiscock a refusé de travailler parce que s'il avait travaillé autant d'heures, sa fatigue aurait été telle qu'elle aurait peut-être pu entraîner un accident grave s'il avait été appelé à utiliser ou à faire fonctionner du matériel de lutte contre l'incendie.  Cette possibilité est de toute évidence hypothétique et, selon moi, elle n'est pas visée par le droit de refuser de travailler prévu par le Code.

J'ai traité du concept de danger dans un grand nombre de décisions.  Dans Air Canada c. le Syndicat canadien de la Fonction publique, décision non publiée no 94-007, j'ai écrit ce qui suit :

"Pour répondre à ces questions, je dois consulter la définition du terme "danger" que l'on retrouve au paragraphe 122(1) du Code et appliquer cette définition en regard de la jurisprudence existante.  "Danger" est définit comme suit :


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"danger"  Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié.  (Mon soulignement.)

Les tribunaux ont eu l'occasion maintes fois d'interpréter la portée du terme danger.  Il s'est dégagé de cette jurisprudence deux points forts importants qui m'ont guidé dans ma décision.

Le premier point est que le danger doit être immédiat.  Ainsi, l'expression "avant qu'il ne puisse y être remédié" a été associée à la notion de "danger imminent" qui existait avant que le Code ne soit modifié en 1984.  Dans l'affaire Pratt, le vice-président du Conseil canadien des relations du travail, Hugh R. Jamieson écrivait :

"[...]le Parlement a retiré le mot "imminent" de la notion de danger [...], mais il l'a remplacé par une définition qui a pratiquement le même sens."

Le deuxième point que je retire des nombreuses décisions est que l'exposition de l'employé au risque ou à la situation doit être manifestement susceptible de causer des blessures.  Par conséquent, le danger doit être plus qu'hypothétique ou avoir plus que de faibles probabilités de se réaliser.  Le danger doit être immédiat et réel et, par conséquent, il ne doit persister aucun doute sur sa réalisation imminente.  Il doit être suffisamment grave pour justifier la cessation d'utilisation, dans le cas de l'espèce, des sièges utilisés par les agents de bord."

Il y a de plus en plus de preuves portant que le travail par poste peut causer de la fatigue. Je suis absolument certain que la fatigue peut nuire au rendement et au degré de sensibilisation en matière de sécurité comme l'a fait remarquer l'agent de sécurité dans ses instructions. À mon avis toutefois, la fatigue ne constitue pas un danger tel que le définit le Code.  Seul l'effet que la fatigue peut avoir sur l'activité exercée par un pompier pourrait être considéré comme un problème de sécurité dans certaines conditions.  Cependant, un danger, au sens où l'entend le Code, n'existe que lorsque le risque ou la situation peuvent causer immédiatement une blessure et non lorsqu'ils pourraient en causer une dans un avenir lointain.

Étant donné les principes décrits ci-dessus, il ne me reste qu'à déclarer que M. Hiscock n'était pas en danger lorsqu'il a refusé de travailler, ni après l'enquête de l'agent de sécurité.  Le danger que craignait M. Hiscock était hypothétique. Il n'était ni réel ni présent lorsque l'agent de sécurité a enquêté.  Il ne s'agissait


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pas d'un danger au sens où l'entend le Code et il ne répond certainement pas aux critères dictés par les tribunaux.

La question de la durée du travail n'est pas un nouveau problème pour les parties à l'affaire dont je suis saisi.  M. Hiscock a fait des triples postes bien des fois auparavant.  L'agent de sécurité l'a reconnu :  "La présente affaire est une plainte de longue date..."  À mon avis, il n'est que raisonnable de s'attendre à ce que les problèmes de ce genre soient réglés au moyen du processus de négociation collective.  Le droit de refuser de travailler existe dans le but de résoudre les problèmes qui surviennent inopinément et qui menacent la sécurité et la santé d'un employé.  Il n'a pas été établi à l'égard des problèmes de longue date de ce genre que l'employeur ne parvient pas à régler.

Je mets néanmoins l'employeur en garde en l'occurrence.  Bien qu'il ne soit pas évident que la durée du travail puisse devenir un problème de sécurité, il faut certainement se rendre compte du fait qu'une durée du travail excessive a un effet direct sur les diverses activités exécutées par les pompiers dans le cadre de leurs fonctions.  Dans certaines conditions déterminées, cette situation deviendra probablement un problème de sécurité.  Afin de prévenir les accidents et les blessures, l'employeur est invité à discuter de ce problème et à le résoudre avec l'aide du comité de sécurité et de santé.

Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, j'ANNULE PAR LES PRÉSENTES les instructions données à Transports Canada, Aéroport international de Gander le l8 janvier l994 par l'agent de sécurité Ron J. Dooley.


Décision rendue le 7 septembre l994.

 


Serge Cadieux

 

Agent régional de sécuritéDécision no :  94-009

Demandeur :  M. Hilyard Rossiter/Transports Canada

Partie intéressée : M. Gary Hiscock/AFPC


M. Hiscock est pompier à l'Aéroport de Gander.  Le 10 janvier l994, il a refusé de faire un triple poste qui aurait exigé de sa part 34 heures de travail consécutives.  M. Hiscock a soutenu que le fait de travailler si longtemps était dangereux pour lui et pour ses collègues.  L'agent de sécurité en a convenu et a donné des instructions à Transports Canada.

L'agent régional de sécurité a fait remarquer que M. Hiscock n'avait pas refusé de travailler pour les raisons prévues par le paragraphe 128(1) du Code, c'est-à-dire qu'il n'a pas refusé d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose ou de travailler dans un lieu.  Pour ce qui est de la fatigue entraînée par cette durée du travail excessive, l'agent régional de sécurité a conclu que l'état physique personnel de M. Hiscock ne constituait pas un danger aux termes du Code.  D'après la jurisprudence, le danger doit être réel et immédiat et non hypothétique du genre de celui que craignait M. Hiscock.  En conséquence, l'agent régional de sécurité a jugé qu'il n'y avait pas danger au sens où l'entend le Code lorsque M. Hiscock a refusé de travailler ni lorsque l'agent de sécurité a fait enquête.  Il a annulé les instructions.

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