Archivée - Decision: 94-010 CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II
SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail partie II, des instructions données par un agent de sécurité


Décision no 94-010

Demandeur:  CN Amérique du Nord («CN Rail»)
                    Concord (Ontario)
                    Représenté par: Me Kenneth R. Peel

Partie intéressée: M. J.L. Crawford
                          Mécanicien de locomotive
                          Représenté par : M. J.H. Houston
                          Fraternité internationale des ingénieurs de locomotives


Mise-en-cause:  M. W.B. Armstrong
                          Agent de sécurité
                          Transports Canada - Surface


Devant:   M. Serge Cadieux
               Agent régional de sécurité
               Développement des ressources humaines Canada

 

Une audition a eu lieu le 25 août 1994 à Toronto (Ontario).


Les faits

Les détails de la présente affaire ont été décrits en long et en large par les parties et sont consignés.  Je me contenterai de dire que le 14 mai 1994, le mécanicien de locomotive
Jeffrey L. Crawford s'est prévalu de son droit de refuser de travailler en vertu de la Partie II du Code canadien du travail (le «Code»).  L'Exposé du refus de travailler que M. Crawford a signé se lit, littéralement, comme suit:

LE MÉCANICIEN CRAWFORD A DÉCLARÉ QU'IL REFUSAIT DE CONDUIRE LE TRAIN B411 DANS LA SUB DE GUELPH ACCOMPAGNÉ D'UN CHEF DE TRAIN QUI NE CONNAISSAIT PAS BIEN CETTE SUBDIVISION (DE SILVER À LA JONCTION D'ENTRÉE DE LONDON). IL A JUGÉ QUE LA CONDUITE DU TRAIN DE FAÇON SÉCURITAIRE ET CONFORMÉMENT AU REFC COMPORTAIT SUFFISAMMENT DE RESPONSABILITÉS SANS QU'IL AIT EN PLUS CELLE  DE REMPLIR LES FONCTIONS DE CHEF DE TRAIN PENDANT QU'IL CONDUISAIT SUR CE TERRITOIRE.

Dans son rapport narratif sur le refus de travailler, l'agent de sécurité dit ceci:

«Le mécanicien Crawford a déclaré qu'il refusait de conduire le train B411 dans la subdivision de Guelph parce que le chef de train n'avait encore fait aucun voyage sur ce territoire, et qu'il avait demandé qu'un pilote1 soit affecté à leur train.  Il a lui-même admis qu'il n'avait fait qu'un voyage sur ce terrain au cours des six derniers mois et seulement trois, quatre peut-être, au cours des cinq dernières années.»

Après son enquête sur cette affaire, l'agent de sécurité a conclu que «la conduite de trains de marchandises dans la Subdivision de Guelph avec un ou des membres d'équipage qui ne connaissent pas bien le territoire, constituait un danger pour la sécurité des employés au travail à bord du train». En vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code, il a donné à CN Rail des instructions lui enjoignant de «prendre des mesures immédiates pour protéger l'employé (les employés) du danger en affectant à ce train un employé compétent qui connaît le territoire en question (un pilote) pour le(s) accompagner dans cette subdivision».

Il est à noter à ce point que l'agent de sécurité a affirmé dans son témoignage qu'il n'y avait pas danger immédiat pour l'équipage ni pour M. Crawford lorsqu'il a fait enquête sur le refus de travailler à la Cour de Malport.  Le danger n'aurait existé qu'au moment d'entrer dans la subdivision de Guelph.  L'agent de sécurité a déclaré que sa décision était fondée sur son expérience relativement au territoire de la subdivision de Guelph.


Exposé de l'employeur

Les allégations détaillées de M. Peel figurent au dossier.  Un Résumé des principales allégations de l'employeur était inclus dans l'exposé écrit de l'employeur.  Il se lit comme suit :

1. Aucun «danger» au sens donné à ce terme au paragraphe 122(1) de la Partie II du Code canadien du travail n'existait à la période pertinente, c'est-à-dire au moment du refus de travailler et quand l'agent de sécurité a fait enquête et a donné ses instructions;

2. D'après les faits, le mécanicien de locomotive J.L. Crawford connaissait le territoire ferroviaire de la subdivision de Guelph et, par conséquent, n'avait pas besoin des services d'un pilote, que ce soit pour des raisons de sécurité ou pour s'assurer qu'il se conformait aux dispositions pertinentes de la convention collective applicable;

3. Le mécanicien concerné , M. J.L. Crawford, ne peut fonder sa décision sur le présumé manque de connaissance du territoire du membre d'équipage          M.J. Helps, chef de train, puisque cet autre employé n'a ni refusé de travailler, ni affirmé qu'il existait un danger;

4. Les circonstances étaient telles, puisque l'employé connaissait le territoire en question, que tout «danger» (non admis mais faisant l'objet du litige) était inhérent à son emploi ou en constituait une condition normale au sens où l'entend l'alinéa 128(2)b du Code canadien du travail;

    25. L'employeur ne reconnaît pas la bonne foi de l'exercice  du droit de refuser de travailler dans les circonstances  de la présente affaire étant donné la manière habituelle de régler les questions patronales-syndicales litigieuses;

6. L'agent de sécurité a omis d'appliquer les principes de justice naturelle, d'entendre de façon raisonnable la position de l'employeur et de déterminer toutes les circonstances pertinentes y compris les politiques, les procédures et les pratiques applicables, avant de donner ses instructions;

7. L'agent de sécurité n'a pas tenu compte du fait qu'il y a un fondement valable à la politique de l'employeur qui consiste à affecter un seul pilote, soit un employé compétent qui connaît le territoire en question, à un train pour accompagner le(s) employé(s) dans la subdivision pour les opérations «chef de train seulement», uniquement lorsque les deux employés, soit le mécanicien de locomotive et le chef de train (l'équipage pour une opération de ce genre) ne connaissent pas le territoire en question;

8. Le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, et d'autres pratiques et directives d'exploitation ferroviaire, n'exigent pas la présence d'un pilote dans des situations de ce genre;

9. Tout autre argument dont l'agent régional de sécurité peut ci-après autoriser l'examen ou selon ce qui peut sembler juste.


Exposé de l'employé

M. Houston a convenu qu'aucun danger n'existait au moment du refus de travailler et au moment où l'agent de sécurité a fait enquête et a donné ses instructions.  Il a néanmoins déclaré que le danger serait devenu évident au moment où le train serait entré dans la subdivision de Guelph.  Le danger, a-t-il déclaré «était dû au fait que Helps ne connaissait pas suffisamment la subdivision de Guelph...».

En outre, M. Houston est inflexible : M. Crawford avait un motif raisonnable de croire qu'un danger existait lorsqu'il a refusé de travailler.  Sur ce point, M. Houston a déclaré ce qui suit:  «notre thèse est que si les circonstances ont amené M. Crawford à craindre un danger c'était qu'en raison de sa connaissance des exigences applicables au poste de chef de train et à celui de mécanicien de locomotive, de sa bonne connaissance du règlement d'exploitation, des indicateurs et des besoins en matière de directives générales et de son expérience des manoeuvres, enfin de tout ce qui précède, il avait un motif raisonnable de croire à l'existence d'une situation dangereuse quand il conduirait son train dans la subdivision de Guelph et plus tard, au moment des opérations de manoeuvre».


Décision

Les parties ont décrit très en détail, dans leur témoignage oral et dans la preuve substantielle, les nombreuses responsabilités du mécanicien de locomotives, du chef de train et de la société CN Rail dans la présente affaire. Elles ont expliqué les difficultés qui peuvent se poser sur une voie ferrée et les conséquences des erreurs.  Elles ont ajouté, à mon intention, des explications concernant l'exploitation d'un train en ce qui concerne notamment les autorisations, les restrictions, la rencontre avec d'autres trains, les passages à niveau, les opérations de manoeuvre, les indicateurs, les communications visuelles et audio. En d'autres termes, elles m'ont bien expliqué la complexité de l'exploitation ferroviaire.  Cependant, je ne leur rendrais certainement pas justice si je tentais de décrire ici une exploitation si complexe.

Ma responsabilité, quand je révise des instructions, est précisée au paragraphe 146(3) du Code qui dit ceci:

146.(3) L'agent régional de sécurité mène une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et sur la justification de celles-ci.  Il peut les modifier, annuler ou confirmer et avise par écrit de sa décision l'employeur, l'employé ou le syndicat en cause. (C'est moi qui souligne).


Dans l'affaire qui nous occupe, les circonstances ayant donné lieu aux instructions sont un droit de refuser de travailler exercé par M. Crawford et l'enquête de l'agent de sécurité qui a suivi.

Avant d'aller plus loin sur ce point, je dois d'abord régler une question qui, je l'ai remarqué, préoccupe beaucoup M. Houston.  Cette question, sur laquelle l'employeur n'a soumis aucun élément de preuve au cours de l'audition, est le caractère raisonnable du refus de travailler.  Personnellement, je suis absolument convaincu que M. Crawford était véritablement inquiet pour sa sécurité lorsqu'il a refusé de travailler et qu'il n'a agi qu'en raison de cette inquiétude.  De toute évidence, l'agent de sécurité qui a conclu qu'un danger existait pour l'employé qui a refusé de travailler en est également convaincu.  À moins de pouvoir prouver que l'agent de sécurité, une personne raisonnable et objective, avait un parti pris et a été partial et fourbe, il serait très difficile, dans quelque affaire que ce soit, d'établir le bien-fondé d'une allégation d'exercice frivole du droit de refuser prévu par le Code.

Cela dit, je dois examiner la question de l'enquête de l'agent de sécurité et déterminer si, au moment de l'enquête, un danger, au sens où l'entend le Code, existait pour M. Crawford.  La Cour d'appel fédérale a donné son opinion concernant le rôle de l'agent de sécurité lorsqu'il enquête sur un refus de travailler.  Dans l'affaire Bonfa c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, dossier no A-138-89, le juge Louis Pratte de la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit au sujet de l'enquête de l'agent de sécurité:

Le rôle de l'agent de sécurité est de juger, non pas si l'employé a eu raison de refuser de travailler à son lieu de travail, mais plutôt si, au moment où l'agent fait son enquête, il y a danger pour l'employé de travailler dans le lieu en cause.  Si l'agent conclut à la réalité du danger il doit donner, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu'il juge indiquées.

De toute évidence, dans le cadre d'un refus de travailler, la responsabilité de l'agent de sécurité consiste à déterminer si un danger existe au moment où il fait enquête.  Par conséquent, l'enquête de l'agent de sécurité doit être objective par opposition à la décision de l'employé qui refuse de travailler qui, elle, peut être fondée sur des raisons subjectives.  Donc, selon moi, l'agent de sécurité doit découvrir une situation ou un danger précis, réel et existant au moment où il enquête, une situation ou un danger si grave et imminent qu'à moins qu'il ne prenne de mesures immédiates pour protéger l'employé, celui-ci sera probablement blessé.  L'expérience générale de l'agent de sécurité concernant une subdivision particulière, comme la subdivision de Guelph, ne respecte pas les critères mentionnés ci-dessus.

J'ai traité du concept de danger dans un grand nombre de décisions.  Dans Air Canada c. le Syndicat canadien de la Fonction publique, décision non publiée no 94-007, j'ai écrit ce qui suit:

«Pour répondre à ces questions, je dois consulter la définition du terme «danger» que l'on retrouve au paragraphe 122(1) du Code et appliquer cette définition en regard de la jurisprudence existante.  «Danger» est défini comme suit:

«danger» Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. (mon soulignement)

Les tribunaux ont eu l'occasion maintes fois d'interpréter la portée du terme danger.  Il s'est dégagé de cette jurisprudence deux points fort importants qui m'ont guidés dans ma décision.

Le premier point est que le danger doit être immédiat.  Ainsi l'expression «avant qu'il ne puisse y être remédié» a été associée à la notion de «danger imminent» qui existait avant que le Code ne soit modifié en 1984.  Dans l'affaire Pratt, le vice-président du Conseil canadien des relations de travail, Hugh R. Jamieson écrivait:

«[...] le Parlement a retiré le mot «imminent» de la notion de danger [...], mais il l'a remplacé par une définition qui a pratiquement le même sens.»

Le deuxième point que je retire des nombreuses décisions est que l'exposition de l'employé au risque ou à la situation doit être manifestement susceptible de causer des blessures.  Par conséquent, le danger doit être plus qu'hypothétique ou avoir plus que de faibles probabilités de se réaliser.  Le danger doit être immédiat et réel et par conséquent, il ne doit persister aucun doute sur sa réalisation imminente.  Il doit être suffisamment grave pour justifier la cessation d'utilisation, dans le cas de l'espèce, des sièges utilisés par les agents de bord.»

La crainte du danger ressentie par MM. Crawford et Houston mérite certainement qu'on s'y attarde et qu'on l'étudie sérieusement.  Je n'approuve certainement pas la décision de CN Rail de confier au mécanicien de locomotives des responsabilités additionnelles pendant qu'il conduit un train sur un territoire dans les cas où le fait de mal connaître ce territoire peut constituer un grave handicap.  Cependant, la crainte du danger ou la possibilité qu'un incident se produise, à un passage à niveau, sur la voie ou à tout autre moment dans la subdivision de Guelph, constitue une situation hypothétique qui, à mon avis, n'est pas visée par le droit de refuser un travail dangereux. Au cours de son enquête, l'agent de sécurité n'a rassemblé aucun élément de preuve s'appuyant sur des faits et portant qu'une situation dangereuse se présenterait.

La preuve montre que M. Crawford était, dans une certaine mesure, familier avec la subdivision de Guelph puisqu'il a lui-même admis qu'il n'avait fait qu'un voyage sur ce terrain au cours des six derniers mois et trois ou quatre voyages ces cinq dernières années.  Les caractéristiques du territoire ne changent pas radicalement pendant une si courte période.  Au cours de l'enquête de l'employeur sur le refus de travailler menée par      M. MacKenzie, on a informé M. Crawford qu'il pouvait conduire le train à vitesse réduite dans la subdivision de Guelph s'il le jugeait nécessaire ou même arrêter le train complètement.  À mon avis, étant donné ce fait et ses connaissances, sa formation et son expérience à titre de mécanicien de locomotive, ainsi que celles du chef de train qui n'a pas refusé de travailler,          M. Crawford ne se trouvait pas face à une situation dangereuse ou à un danger immédiat qui aurait menacé sa sécurité.  En outre, l'agent de sécurité n'a jamais mentionné une situation ou un danger précis qui aurait constitué un risque pour la sécurité de M. Crawford ou, d'ailleurs, pour la sécurité de qui que ce soit d'autre, s'il avait continué à conduire le train B411 dans la subdivision de Guelph.

Je juge donc qu'aucun danger n'existait lorsque M. Crawford a refusé de travailler et lorsque l'agent de sécurité a mené son enquête sur cette question.  J'ai l'impression que cette décision ne donnera pas complètement satisfaction à l'intimé en l'occurrence.  J'admets qu'il existe un problème dans les situations de ce genre. Selon moi, toutefois, le droit de refuser de travailler en vertu du Code n'est pas le mécanisme approprié pour régler ces problèmes. 

Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES les instructions données le 17 mai 1994 à CN Amérique du Nord par l'agent de sécurité W.B. Armstrong. 

Décision rendue le 28 septembre 1994.

 

Serge Cadieux
Agent régional de sécurité

 

Décision no:  94-010

Demandeur:  CN Amérique du Nord, Concord (Ontario)

Partie intéressée: M. J.L. Crawford, mécanicien de locomotive

 

M. Crawford avait refusé de conduire un train dans une subdivision particulière parce qu'il croyait que son manque de connaissance du territoire constituait un danger pour lui et d'autres employés.  L'agent de sécurité a été d'accord avec le mécanicien de locomotive principalement à cause de son expérience sur le territoire en question.

L'agent régional de sécurité n'a pas été d'accord avec l'agent de sécurité et a jugé que le fait que M. Crawford ne connaisse pas très bien le territoire ne constituait pas un danger.  L'agent de sécurité n'a jamais découvert une situation ou un danger précis qui aurait menacé la sécurité de M. Crawford.  En outre, on avait informé M. Crawford que, sur ce territoire, il pouvait conduire le train à vitesse réduite et, au besoin, l'immobiliser complètement. Étant donné ce fait joint à ses connaissances, à sa formation et à  son expérience, il n'existait aucune situation réelle et immédiate susceptible d'amener M. Crawford à se blesser.  L'agent régional de sécurité a annulé les instructions.

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