Archivée - Decision: 99-024 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II : SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL
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Révision, en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail, partie II,
d'une instruction donnée par un agent de sécurité
Décision no : 99‑024
Demandeur : Lignes aériennes Canadien International
Représentées par M. P.G. Howe,
Directeur, Sécurité, sûreté et affaires environnementales
Autres parties : M. G. Powell
Coordonnateur, Sécurité et santé au travail
Association internationale des machinistes et des travailleurs de
l'aérospatiale, district du transport 140
Mis-en-cause : Todd Campbell
Agent de sécurité
Développement des ressources humaines Canada
Devant ; Douglas Malanka
Agent régional de sécurité
Développement des ressources humaines Canada
Rappel des faits
Le 12 juillet 1999, un préposé à la manutention du fret dans la soute d'un aéronef de type F‑28 exerce son droit de refuser de travailler parce qu'il craint une nouvelle éruption cutanée passagère causée par la poussière de fibre de verre présente dans la soute. L'employé soutient que la combinaison fournie par l'employeur comporte de larges ouvertures aux poignets et aux chevilles et que, depuis environ un an, il a développé des rashs aux endroits exposés après avoir travaillé dans les soutes d'appareils de type F‑28. L'employeur communique avec un agent de sécurité de Développement des ressources humaines Canada (DRHC).
L'agent de sécurité chargé de l'enquête constate à la lecture de la fiche signalétique que l'abrasion des panneaux de revêtement en fibre de verre[1] qui tapissent l'intérieur des soutes du F‑28 peut libérer de la poussière de fibre de verre. La fiche signalétique confirme en outre que cette poussière peut provoquer une démangeaison et une irritation cutanée transitoire de type mécanique. L'inspection des panneaux de fibre de verre qui recouvrent l'intérieur de la soute du F‑28 où l'employé devait travailler révèle des marques de frottement et à certains endroits restreints de la fibre de verre non traitée. L'agent de sécurité juge que l'employé a été exposé à une situation comportant des risques lorsqu'il a été tenu d'entrer dans la soute du F‑28 sans un vêtement de protection conforme à ce que prévoit la fiche signalétique concernant les panneaux Gilliner 1066. Par conséquent, l'agent de sécurité donne une instruction à l'employeur en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, partie II, dans le but d'ordonner à ce dernier de protéger toute personne contre ce danger au plus tard le 23 juillet 1999 (voir l'annexe).
L'employeur demande par la suite, et dans le délai de 14 jours prévu à l'article 146 du Code, la révision de cette instruction, laquelle a eu lieu lors d'une audience qui s'est déroulée à Vancouver, le 8 septembre 1999.
Agent de sécurité
L'agent de sécurité Todd Campbell a fait parvenir au bureau de l'agent régional de sécurité un rapport d'enquête écrit sur ce refus de travailler et a témoigné à l'audience. Du rapport et du témoignage de l'agent de sécurité, je retiens les faits ci‑après :
Le 8 juillet 1999, M. St‑Pierre, un préposé à l'aire de trafic au service des Lignes aériennes Canadien International Ltée (Canadien), se plaint à son surveillant qu'il a eu des éruptions cutanées et des troubles respiratoires après la manutention de bagages dans la soute d'un aéronef F‑28, ajoutant qu'il ne peut plus tolérer cette situation et qu'il craint avoir développé une allergie à la poussière de fibre de verre présente dans la soute. Il fait ensuite part à son surveillant de son intention de refuser de travailler dorénavant à la manutention des bagages dans les soutes des F‑28 si on ne lui fournit pas une combinaison personnelle adéquate. Il propose également que l'aspirateur soit passé à l'intérieur des soutes.
Le 12 juillet 1999, M. St‑Pierre est affecté à la manutention des bagages dans la soute d'un aéronef de type F‑28. Il avise alors son surveillant qu'il refuse d'effectuer ce travail par crainte de nouvelles éruptions cutanées, cette crainte étant imputable en partie au fait que chaque employé ne dispose pas d'un combinaison personnelle adéquate. L'employeur communique avec un agent de sécurité de Développement des ressources humaines Canada et l'agent de sécurité Todd Campbell est chargé d'enquêter sur ce refus de travailler.
La fiche signalétique des panneaux de type 1066 qui recouvrent l'intérieur des soutes de plusieurs aéronefs de type F‑28 indique que l'abrasion des panneaux peut entraîner la libération de poussière de fibre de verre, un irritant cutané transitoire de type mécanique. Lors de son inspection des soutes de plusieurs appareils F‑28, y compris celui auquel M. St‑Pierre était affecté lorsqu'il a exercé son droit de refuser de travailler, l'agent de sécurité Campbell est à même de constater l'abrasion subie par les panneaux et l'existence de surfaces restreintes de fibre de verre non traitée. Il fait également observer que les procédures de chargement et de déchargement des soutes des appareils F‑28 font en sorte que les employés doivent s'appuyer sur les panneaux, et sont largement responsables du fait que le corps de l'employé soit en contact direct avec les panneaux. Il estime à une trentaine de minutes environ le temps de chargement et de déchargement de la soute d'un F‑28 et que durant un quart de travail normal, une équipe de deux ou trois personnes peut être affectée aux travaux de manutention pour deux ou trois aéronefs de type F‑28.
Canadien était au courant des inquiétudes de l'employé concernant la poussière de fibre de verre depuis avril 1998. L'agent a aussi pu établir qu'il y avait eu au moins six autres incidents depuis août 1998 au cours desquels des préposés à la manutention avaient signalé des éruptions cutanées et des démangeaisons après la manutention des bagages dans les soutes d'appareils F-28. À la suite de ces incidents, Canadien avaient commandé deux études environnementales. Les études en question ont été effectuées par Agra Earth and Environment (Agra), en juin 1998 et en mars 1999. Les deux études ont révélé que la concentration de fibres dans l'air était bien inférieure à la concentration maximale admissible (TLV[2]) pour la fibre de verre et conclu qu'il était peu probable que ce niveau d'exposition puisse causer quelque dommage que ce soit au système respiratoire. À la lumière de ces résultats, l'agent de sécurité Campbell a conclu à l'absence de danger pour le système respiratoire de M. St‑Pierre.
Canadien soutient que les irritations cutanées ne posent aucun risque pour la santé des employés et a fait remarquer que M. St‑Pierre n'avait pas consulté un médecin le 8 juillet 1999 lorsqu'il s'est plaint à son surveillant des éruptions cutanées et de la poussière de fibre de verre. Canadien a néanmoins indiqué à l'agent de sécurité qu'elle avait consulté les Lignes aériennes Canadien régional Ltée, propriétaires de l'aéronef de type F‑18, pour trouver un panneau en meilleur état. Cette entreprise a fait savoir que lorsqu'un panneau de type 1066 est en piètre état (p. ex., comporte des entailles profondes) et ne peut être réparé avec du ruban adhésif et conserver sa cote de résistance au feu, il doit être remplacé par un nouveau panneau de type 1366, plus résistant à l'abrasion. Il est donc possible que les soutes du F-28 soient recouverts de deux types de panneaux différents. Canadien estime que le remplacement de tous les panneaux pourrait prendre plus de deux ans.
Au terme de son enquête, l'agent de sécurité Campbell décide que cette situation comportait des risques pour M. St‑Pierre, des risques susceptibles de lui occasionner une maladie ou des lésions avant que la situation ne puisse être corrigée. Il justifie sa décision en se fondant sur le fait que M. St‑Pierre a développé une éruption sur ses bras et ses jambes quatre jours plus tôt après avoir travaillé dans la soute du F‑28, que M. St‑Pierre devait exécuter un travail semblable dans des conditions similaires lorsqu'il a exercé son droit de refus et qu'on n'avait pas fourni à M. St‑Pierre les vêtements de protection prescrits par la fiche signalétique afin de prévenir les irritations cutanées. L'agent de sécurité Campbell a soutenu qu'une éruption cutanée constitue une lésion et que la possibilité[3] que cette lésion guérisse d'elle‑même lorsqu'elle ne sera plus en présence de l'irritant ne change rien au fait qu'il y a eu lésion. Il indique que, selon la définition de « danger » que l'on retrouve dans le Code, il n'est pas nécessaire que la lésion soit chronique, mortelle ou nécessite l'intervention d'un médecin pour guérir.
Demandeur
Selon M. Howe, directeur, Sécurité, sûreté et affaires environnementales, Canadien se préoccupe de la solution unique prévue dans l'instruction, notamment le port obligatoire de vêtements de protection, et plus précisément d'une combinaison. Selon lui, Canadien voit à ce que tout employé sujet à des irritations cutanées porte une combinaison appropriée pour la manutention des bagages dans les soutes des appareils de type F‑28, et à ce que tous les autres employés soient sensibilisés à l'importance du port des vêtements de protection. Toutefois, il fait valoir que ce ne sont pas tous les employés qui souffrent d'éruptions cutanées après la manutention des bagages dans les soutes des F‑28 et que l'instruction ne devrait pas obliger tous les employés à porter une combinaison. Il ajoute que le port d'une telle combinaison une journée où il fait très chaud peut même créer un stress thermique, un autre problème du point de vue de la sécurité et la santé. M. Howe demande que l'instruction soit modifiée afin d'indiquer que le port de la combinaison n'est pas obligatoire pour tous les employés affectés à la manutention des bagages dans les soutes des F‑28.
Intimé
M. Powell, coordonnateur de la santé et la sécurité au travail, Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, district du transport 140, indique pour sa part que M. St‑Pierre était bel et bien exposé à un « danger » au sens du Code et que, par conséquent, l'instruction était justifiée. Par ailleurs, il ajoute que plusieurs interprètent l'instruction actuelle comme si elle s'appliquait à tous les employés préposés à la manutention des bagages dans les soutes des F‑28, ce qui en soi pourrait exposer des employés à un nouveau danger, celui du stress thermique. Il soutient que s'il est nécessaire pour les employés qui ont développé une sensibilité à la poussière de fibre de verre de porter une combinaison de protection, ce ne sont pas tous les employés qui sont aux prises avec ce problème et l'instruction ne devrait pas rendre obligatoire pour tous le port d'une combinaison de protection pour la manutention des bagages dans les soutes des F‑28. Il estime que la question du contrôle, en ce qui concerne l'équipement de protection, est une question qui doit être soulevée dans l'instruction. Il demande donc que l'instruction soit modifiée de sorte que le port d'une combinaison ne soit pas obligatoire pour tous les employés.
Décision
Dans cette affaire, je dois déterminer s'il y avait un danger au sens de la partie II pour M. St‑Pierre au moment de l'enquête menée par l'agent de sécurité. Dans le Code, le terme « danger » est défini comme suit :
« danger » Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. » [C'est moi qui souligne.]
En conséquence, pour déterminer qu'un danger existait pour M. St‑Pierre au moment où l'agent de sécurité Campbell a effectué son enquête, je dois être aussi d'avis qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que la poussière de fibre de verre puisse causer des blessures à M. St‑Pierre ou le rendre malade, conformément à la définition de danger, avant que la situation comportant des risque, ou le danger que représentait la fibre de verre, puisse être corrigée.
Aux fins de l'interprétation et de l'application des dispositions du Code relatives au droit de refuser de travailler, lesquelles renvoient à la définition de «danger», il est utile d'examiner des décisions rendues par le Conseil canadien des relations industrielles[4]. À cet égard, le Conseil a toujours maintenu que les dispositions relatives au droit de refuser de travailler, conjuguées à la définition de « danger » que l'on retrouve dans le Code, constituent une mesure d'urgence visant les situations où le danger perçu par les employés est imminent ou immédiat. Dans une décision non publiée au sujet de l'affaire Terminus Maritimes Féderaux, l'agent régional de sécurité Serge Cadieux renvoie à l'affaire David Pratt & Grey Coach Lines Ltd., (1988), décision du CCRT no 686. Dans cette affaire, H. R. Jamieson, vice‑président du Conseil canadien des relations du travail, a écrit :
« Le Code définit le danger comme suit :
« danger » Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il puisse y être remédié. ».
(c'est nous qui soulignons)
Si l'on se souvient que la Partie IV du Code utilisait l'expression « danger imminent » avant l'adoption de la définition actuelle de danger en 1984, il est évident – d'après les mots soigneusement choisis de la définition – que le législateur a voulu préserver dans la notion de danger le caractère immédiat de celui‑ci. C'est dans cette acception du terme qu'il faut comprendre le droit de refuser de travailler qu'accordent à l'employé les articles 85 et 86, ainsi que les pouvoirs conférés par le paragraphe 102(2) à un agent de sécurité de donner des instructions dans des situations dangereuses.
Ce point de vue selon lequel le droit de refuser de travailler ne peut être exercé que dans des cas où l'employé est exposé à un danger immédiat est confirmé dans l'affaire Stephen Brailsford & Worldways Canada Ltd., (1992) décision no 921. Dans sa décision, Mary Rozenberg, membre du CCRT, a écrit :
« Le droit de refuser de travailler a été accordé pour être invoqué en cas d'urgence, dans les situations dangereuses qui surviennent inopinément et dans celles qui réclament des mesures immédiates, et non pas comme le principal moyen d'atteindre les objectifs de la Partie II du Code ou de régler des conflits ou des différends de longue date. Les dispositions du Code relatives à la sécurité visent à faire en sorte que les employeurs s'assurent que l'équipement et l'environnement de leurs lieux de travail sont sans danger. Le droit de refuser de travailler est censé être invoqué dans des situations où les employés font face à un danger immédiat, quand le risque de blessure ou d'accident est vraisemblablement inévitable à tout moment si le danger n'est pas éliminé. Il ne doit pas être invoqué afin de faire aboutir des conflits de longue date et, quand le refus de travailler coïncide avec d'autres différends de travail, il faut accorder une attention toute particulière aux circonstances. »
Par cette dernière phrase, Mme Rozenberg maintient également que le droit de refuser de travailler ne doit pas être exercé dans le but de régler des différends de longue date.
Cet avis selon lequel le droit de refuser de travailler conféré par le Code ne doit pas être exercé dans des situations comportant des risques permanents ou systémiques possibles, mais bien dans les cas où il existe un danger ponctuel et immédiat, est de nouveau confirmé dans l'affaire Ed. Koski et Dave Boose & Canadian Pacific Ltd., (1993) décision no 1030. Dans sa décision, le membre du CCRT Michael Eayrs a écrit :
« …Les refus de travailler visés par les décisions de l'agent de sécurité [absence de danger au sens du Code], les renvois dont celles‑ci ont fait l'objet ainsi que la présente procédure s'inscrivent dans un contexte qui, à mon sens, pourrait être qualifié de situation de risque permanent ou systémique possible, par opposition à une situation de danger ponctuel ou immédiat.
Dans le cas qui nous occupe, MM. Koski et Boose ont, de toute évidence, exercé leur droit de refuser de travailler en vue de faire débloquer les problèmes qu'ils percevaient quant à la possibilité de danger pour la santé et aux mesures de protection provisoires en vigueur à l'époque et d'obtenir ainsi, par le truchement d'une décision de l'agent de sécurité, un règlement satisfaisant de ces problèmes.
En toute déférence pour MM. Koski et Boose et TCA‑Canada, dont le souci de sécurité est louable à bien des égards, je ne puis conclure que le refus de travailler que leur accorde le Code constitue, dans les circonstances en l'espèce, le mécanisme approprié pour atteindre les buts qu'ils visent. Le moyen de règlement indiqué pour le genre de problème de sécurité soulevé dans la présente affaire réside, à mes yeux, dans les autres dispositions de la Partie II du Code qui encouragent le recours à la concertation pour trouver une solution aux problèmes de santé et de sécurité au travail. » (traduction)
Le CCRT a également établi que le risque pour l'employé doit être grand. Dans Montani & Canadian Railway Company (1994), CCRT, décision no 1089, Mary Rozenberg, membre du CCRT, a écrit :
« Au sens du Code, le « danger » doit être perçu comme immédiat et réel. Le risque auquel sont exposés les employés doit être suffisamment sérieux pour que la machine ou la chose ou la situation engendrée ne puisse être utilisée avant qu'il ne soit remédié à la situation. » [C'est nous qui soulignons.] (traduction)
À mon avis, les décisions susmentionnées du CCRT confirment que les dispositions du Code relatives au droit de refuser de travailler, qui renvoient à la définition de danger, visent les cas où le danger perçu par l'employé qui refuse de travailler est imprévu, grave, imminent ou immédiat. Ces décisions confirment également que ces dispositions ne visent pas à forcer l'employeur à régler des problèmes de sécurité et de santé de longue date. Je suis d'accord avec ces conclusions.
D'après les faits relatés dans cette affaire, M. St‑Pierre avait développé des éruptions cutanées transitoires de type mécanique sur ses bras et ses jambes après la manutention de bagages dans les soutes d'aéronefs de type F‑28, et ce sur une période d'environ 12 mois. Par conséquent, le 12 juillet 1999, la possibilité que M. St‑Pierre développe une autre éruption cutanée après la manutention de marchandises dans la soute à bagages du F‑28 n'était ni nouvelle ni imprévue.
Le 8 juillet 1999, M. St‑Pierre s'est plaint à son surveillant qu'il avait développé un rash sur ses bras et ses jambes et qu'il avait eu de la difficulté à respirer peu après la manutention de bagages dans les soutes d'un F‑28. Il a dit souffrir d'allergie à la poussière de fibre de verre et craindre une nouvelle éruption cutanée. Il a par ailleurs indiqué qu'il refuserait tout nouveau travail de manutention des bagages dans les soutes d'appareils de type F‑28 à moins qu'on ne lui fournisse une combinaison appropriée pour son usage personnel. Toutefois, en dépit de la mise au point faite par M. St‑Pierre ce jour‑là, aucun élément de preuve n'a été soumis pour démontrer qu'il y avait eu des faits nouveaux suite aux éruptions cutanées développées après l'exposition à la poussière de fibre de verre.
Pour sa part, Canadien a fourni à l'agent de sécurité Campbell des comptes rendus d'incidents concernant d'autres employés qui s'étaient plaints d'irritations de la peau après avoir travaillé dans les soutes des F‑28. Canadien a également informé l'agent de sécurité Campbell des mesures prises pour régler les problèmes soulevés en matière de sécurité et de santé au travail. Il est donc clair que Canadien était au courant, depuis assez longtemps, que certains employés avaient eu des éruptions cutanées et des irritations après la manutention de bagages dans les soutes des F‑28. Ainsi, la question de l'irritation cutanée n'était pas un problème imprévu et immédiat nécessitant l'exercice du droit de refus de travailler afin de porter ce problème à l'attention de l'employeur.
Le matin du 12 juillet 1999, M. O'Brien, coordonnateur de la sécurité des aires de trafic, a avisé DRHC de la possibilité que M. St‑Pierre exerce son droit de refuser de travailler s'il était affecté à la manutention des bagages dans la soute d'un F‑28. L'agent de sécurité a pris des dispositions afin d'être dans le secteur au cas où cela se produirait et, vers 10 h, M. St‑Pierre a de fait exercé son droit de refuser de travailler. Ainsi, je suis d'avis que toutes les parties, en l'occurrence l'employeur, l'employé et l'agent de sécurité, ont eu le temps d'enquêter sur la situation et de prendre toute mesure correctrice nécessaire. Pour sa part, l'employé, qui prévoyait être affecté à la manutention des bagages dans la soute d'un avion de type F‑28 aurait pu porter plainte auprès du comité de sécurité et de santé ou auprès d'un agent de sécurité de DRHC et insister pour qu'on traite sa plainte sans délai.
Après avoir été avisé du fait que M. St‑Pierre menaçait de refuser de travailler, l'agent de sécurité pouvait et, c'est mon opinion, aurait dû enquêter sur la plainte. S'il était d'avis qu'il y avait un danger au sens de la partie II, il aurait pu donner une instruction en vertu de l'alinéa 145(2)a). Si, d'un autre côté, il estimait qu'il n'y avait aucun danger pour M. St‑Pierre au sens du Code, il aurait pu donner une instruction en vertu du paragraphe 145(1) et ordonner à l'employeur de mettre fin à la contravention à la partie II ou aux dispositions pertinentes du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail, le cas échéant. À mon avis, le problème, lorsque les agents de sécurité attendent qu'un employé exerce son refus de travailler alors qu'ils ont été mis au courant de cette menace, c'est que l'employeur peut changer d'avis à la dernière minute par crainte que son geste ne soit perçu comme un acte dirigé contre l'employeur ou parce qu'il n'est pas sûr de la procédure à suivre en cas de refus de travailler alors qu'en fait il y avait bel et bien un danger.
Dans son témoignage, l'agent de sécurité Campbell a expliqué qu'il avait consulté la quatrième édition du Mosby’s Medical Dictionary, afin de déterminer qu'une éruption cutanée constitue une lésion ou une maladie suivant la définition de « danger » que donne le Code. Toutefois, à l'exception de cela et du fait que la fiche signalétique confirme que la poussière de fibre de verre peut engendrer des démangeaisons et une irritation transitoire de type mécanique, aucune preuve médicale ou scientifique n'a été produite pour confirmer que l'irritation cutanée crainte par M. St‑Pierre le 12 juillet 1999 constituait pour lui une lésion ou une maladie immédiate qui justifiait l'exercice du droit de refuser de travailler conféré par le Code. En outre, aucune preuve médicale ou scientifique n'a été produite afin de montrer que la lésion ou la maladie immédiate crainte par M. St‑Pierre le 12 juillet 1999 constituait pour lui une lésion ou une maladie découlant de l'effet cumulatif d'exposition répétées à la poussière de fibre de verre sur une période d'environ un an. En fait, la fiche signalétique concernant les panneaux confirme l'absence d'effets chroniques.
À mon avis, Canadien a négligé de réagir correctement à la préoccupation de M. St‑Pierre concernant sa sécurité et sa santé, ce qui a engendré chez ce dernier de la frustration. J'ajouterai que le fait que Canadien ne savait pas, à l'audience, comment réagir à l'instruction donnée par l'agent de sécurité Campbell témoignait d'une incompréhension totale des obligations de l'entreprise aux termes du Code. Par exemple, en ce qui concerne le fait de savoir quand, où et par qui une combinaison devrait être portée, l'article 12.1 (Partie XII, Matériel, équipement, dispositifs, vêtements de sécurité) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail, précise :
« 12.1 Toute personne à qui est permis l'accès au lieu de travail doit utiliser l'équipement de protection réglementaire visé par la présente partie dans les cas suivants :
a) lorsqu'il est en pratique impossible d'éliminer ou de maintenir à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la sécurité ou la santé;
b) lorsque l'utilisation de l'équipement de protection peut empêcher une blessure ou en diminuer la gravité. » [C'est moi qui souligne.]
Pour ce qui est de l'alinéa 12.1a), M. St‑Pierre avait suggéré à son surveillant de faire passer l'aspirateur dans les soutes à bagages et Agra, dans son rapport du 25 mars 1999 à Canadien, avait recommandé que les joints ou extrémités des panneaux soient recouverts de ruban pour sceller la partie inférieure de la soute du F‑28, qu'une mince membrane de polyuréthanne soit appliquée sur la partie inférieure des compartiments à marchandises et que les composants en fibre de verre soient recouverts de plusieurs couches de peinture durable. Je note que Canadien n'a fourni aucune preuve indiquant la prise de quelque mesure que ce soit à cet égard.
En ce qui a trait aux inquiétudes soulevées par Canadien concernant la possibilité que le port d'une combinaison de protection puisse causer un stress thermique aux employés, l'alinéa 12.2b) précise que :
« 12.2 L'équipement de protection visé à l'article 12.1 :
a) doit être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;
b) ne doit pas présenter de risque. » [C'est moi qui souligne.]
Les faits relatés dans cette affaire m'amènent à conclure que, le 8 juillet 1999, M. St‑Pierre a menacé de refuser de se charger de la manutention des bagages dans les soutes d'un F‑28 à l'avenir si l'employeur ne faisait rien pour dissiper ses préoccupations concernant sa sécurité et sa santé. Estimant que l'employeur n'avait pas réagi à ses inquiétudes, il a exercé son droit de refuser de travailler le 12 juillet 1999 afin de contraindre l'entreprise à agir. Bien que je comprenne les motifs qui l'ont poussé à agir ainsi, je ne crois pas qu'il y avait un danger au sens de la partie II du Code pour M. St‑Pierre au moment où celui‑ci a exercé son droit de refuser de travailler.
Pour ce motif, j'annule par les présentes l'instruction donnée par l'agent de sécurité Campbell aux Lignes aériennes Canadien International le 20 juillet 1999 en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, partie II.
Avant de conclure, je tiens à confirmer que la présente décision, qui annule l'instruction, ne signifie pas qu'il n'y a aucun danger, au sens général du terme, pour M. St‑Pierre. Elle ne signifie pas non plus que l'employeur n'a plus d'autre obligation sous le régime du Code. Au contraire, la disposition de déclaration d'objet précise ce qui suit :
« 122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions. »
et l'article 124 :
« 124 L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de sécurité et de santé au travail. » [C'est moi qui souligne.]
À la lumière de ces dispositions, je comprends bien la déclaration faite par l'agent de sécurité Campbell à l'audience, selon laquelle il est inacceptable qu'un employé souffre d'irritations cutanées en raison du travail effectué pour le compte de son employeur. J'invite donc Canadien à communiquer avec le comité de sécurité ou de santé ou les représentants en la matière afin de régler cette question sans délai.
Cela étant dit, je tiens à préciser que rien dans cette décision n'empêche l'agent de sécurité Campbell, ou tout autre agent de sécurité, d'approfondir la question et de prendre à cette fin toute mesure jugée appropriée, compte tenu de ses conclusions et du pouvoir qui lui est conféré par le Code.
Décision rendue le 26 octobre 1999.
Douglas Malanka
Agent régional de sécurité
ANNEXE
DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L'EMPLOYEUR EN VERTU DE L'ALINÉA 145(2)a)
Le 12 juillet 1999, l'agent de sécurité soussigné a procédé à une enquête sur le refus de travailler de Christian St-Pierre au lieu de travail exploité par les LIGNES AÉRIENNES CANADIEN INTERNATIONAL LTÉE, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis à l’Aéroport international de Vancouver, Richmond (Colombie-Britannique), ledit lieu étant parfois connu sous le nom de « Domestic Terminal Ramp ».
Ledit agent de sécurité estime que la santé de Christian St-Pierre a été menacée lorsque ses fonctions ont amené ce dernier à entrer dans la soute de l'avion numéro 133 de type F-28, un endroit réputé pour renfermer de la poussière de fibre de verre (un irritant cutané reconnu), sans porter de vêtement de protection conforme à ce qu'exige la fiche signalétique des panneaux de revêtement Gilliner 1066, à savoir une chemise à manches longues et un pantalon long. Au moment de son refus de travailler, M. St-Pierre portait un pantalon court et une chemise à manches courtes, ce qui aurait mis ses bras et ses jambes en contact direct avec le revêtement des panneaux de la soute de même qu'avec la poussière de fibre de verre qui s'y était accumulée. Comme M. St-Pierre avait souffert d'une éruption cutanée quatre jours auparavant lorsqu'il était entré dans la soute d'un autre avion F‑28 tapissée du même type de panneaux, il est raisonnable de croire qu'il aurait souffert d'une éruption semblable s'il était entré dans la soute de l'avion numéro 133 sans porter les vêtements adéquats.
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger toute personne contre ce danger au plus tard le 23 juillet 1999.
Fait à Surrey, le 20 juillet 1999.
Todd Campbell
Agent de sécurité
N° 1998
À : CANADIAN AIRLINES INTERNATIONAL LTD.
Mail Drop: YVR 0907
Vancouver International Airport
Richmond. B.C.
V7A 1K3
SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L'AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ
Décision no : 99-024
Demandeur : Lignes aériennes Canadien International Ltée
Intimé : Association internationale des machinistes et des travailleurs de
l'aérospatiale
MOTS‑CLÉS
Danger, poussière de fibre de verre, soute, compartiment à marchandises, aéronef de type F‑28, démangeaison et irritation cutanées, rash, éruption cutanée, lésion, combinaison, vêtement de protection, stress thermique
DISPOSITIONS
Code : 122.1, 124, 145.(1), 146
Règlement : 12.1 et 12.2
RÉSUMÉ
Le 12 juillet 1999, un préposé à la manutention du fret dans la soute d'un aéronef de type F‑28 exerce son droit de refuser de travailler. L'employé soutient que la combinaison fournie par l'employeur comporte de larges ouvertures aux poignets et aux chevilles, et il craint que la poussière de fibre de verre présente dans la soute lui occasionne un rash comme ceux qu'il a développés depuis douze mois environ aux endroits exposés après avoir travaillé dans les soutes d'appareils de type F‑28. L'agent de sécurité juge qu'un rash constitue une lésion et que l'employé a été exposé à une situation comportant des risques lorsqu'il a été tenu d'entrer dans la soute du F‑28 sans un vêtement de protection adéquat. L'agent donne donc une instruction à l'employeur en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, partie II, afin d'ordonner à ce dernier de protéger toute personne contre ce danger au plus tard le 23 juillet 1999 (voir l'annexe).
Or, l'agent régional de sécurité estime que le droit de refuser de travailler ne doit pas servir à régler les problèmes de sécurité et de santé de longue date, et annule par conséquent l'instruction qui avait été donnée à l'employeur.
[1] Il s'agit de panneaux en fibre de verre fabriqués par la M.C. Gill Corporation et appelés « panneaux Gilliner » par l'agent de sécurité.
[2] La valeur limite d'exposition (TLV) fait référence à la concentration maximale dans l'air des substances auxquelles la grande majorité des travailleurs peuvent être exposés jour après jour sans effets néfastes pour la santé.
[3] À la section VI qui porte sur les dangers pour la santé, la fiche signalétique indique que la poussière et les fibres de ce produit peuvent, en contact avec la peau, entraîner une démangeaison et une irritation transitoire de type mécanique et que les personnes souffrant d'un trouble médical pouvant généralement être aggravé par des irritants cutanés de type mécanique sont susceptibles d'aggraver leur état sous‑jacent si elles sont exposées à ce produit, mais qu'il n'y a aucun problème chronique connu découlant de l'exposition au produit. Les procédures de secours ou de premiers soins recommandent de laver la partie exposée à l'eau et au savon et d'éviter de frotter ou de gratter la zone irritée.
[4] Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a remplacé le Conseil canadien des relations du travail en 1998.
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