Archivée - Decision: 00-008 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II : SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision, en vertu de l'article 146 de la partie II du Code canadien du travail, d'une instruction donnée par un agent de sécurité

 

 

Décision no :            00-008

 

Demandeur :           Clarke Road Transport Inc.

                                 Représenté par : M. Ross Langley

                                 avocat

 

Intimé :                    Mme J. King

                                 Représentée par : M. B.A. Jones

                                 avocat

 

Mis-en-cause :        M. Fougere

                                 Agent de sécurité

                                 Développement des ressources humaines Canada

 

Devant :                   Douglas Malanka

                                  Agent régional de sécurité (ARS)

                                  Développement des ressources humaines Canada

 

Contexte

 

Le 4 mai 1998, un gros camion chargé de balles de foin est arrivé à sa première destination. Lorsque le chauffeur, M. James King, a desserré les courroies d'amarrage qui maintenaient le chargement en place, à l'arrière du véhicule, il a remarqué que les balles de foin étaient déformées et pendaient. Il a attendu quelques minutes et puis il a commencé à resserrer les courroies. À ce moment‑là, trois balles de foin sont tombées sur lui et l'ont tué.

 

Un agent de sécurité de Développement des ressources humaines Canada a enquêté sur l'accident. Il a conclu que le chauffeur était un employé de Clarke Road Transport Canada Inc. (Clarke) et que cette compagnie était assujettie à la partie II du Code canadien du travail (ci‑après appelée le Code ou la partie II). Il a jugé aussi que Clarke avait enfreint l'alinéa 125.q) du Code et l'article 14.39 du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (ci‑après appelé le RCSST), puisqu'il n'avait pas élaboré une marche à suivre pour les travaux effectués dans l'aire comportant des risques qui entoure certaines cargaisons ni veillé à ce que cette marche à suivre soit respectée. Il a aussi constaté que Clarke avait enfreint l'alinéa 125.t) du Code et le paragraphe 14.3(1) du RCSST pour n'avoir pas muni l'appareil de manutention d'un dispositif permettant de protéger les employés qui utilisent cet appareil.

 

Clarke a admis qu'il était un employeur de compétence fédérale assujetti au Code, mais a soutenu que le chauffeur était un courtier[1] et non un de ses employés. La compagnie a affirmé aussi qu'elle n'avait pas enfreint le Code ni le RCSST, comme le soutenait l'agent de sécurité. Par conséquent, elle a demandé une révision de l'instruction en vertu de l'article 146 du Code. Les audiences se sont déroulées le 6 juillet 1999, à Truro et le 29 juillet et le 1er septembre 1999, à Halifax, en Nouvelle‑Écosse. Les arguments définitifs ont été soumis par écrit le 7 février 2000.

 

Agent de sécurité

 

Avant les audiences, l'agent de sécurité Mark Fougere a soumis à l'agent régional de sécurité une copie de son rapport d'enquête sur cet accident ainsi que les nombreux documents qu'il a obtenus durant son enquête. Il a aussi témoigné aux audiences. Je ne répéterai pas le contenu des documents, qui ont été versés au dossier. De ces documents et de ce témoignage, j'ai retenu les faits suivants.

 

L'agent de sécurité a déclaré qu'il considérait Clarke comme une entreprise de compétence fédérale parce qu'elle fournissait des services de transport pour compte d'autrui dans l'est du Canada, en Ontario, au Québec et aux États‑Unis. La compagnie n'a pas contesté cette conclusion. M. Fougere a dit aussi qu'il s'était servi de la formation d'agent de sécurité qu'il avait reçue au Ministère et de la jurisprudence citée dans The Law of Dismissal in Canada[2] pour établir que M. King était un employé de Clarke. Ce livre explique divers critères, notamment le critère du contrôle, le critère à quatre volets et le critère relatif à l'organisation, mais l'agent de sécurité a affirmé qu'il s'était fié essentiellement au critère à quatre volets pour prendre sa décision. Ce critère comprend les quatre volets suivants : le contrôle, la propriété des outils, les perspectives de bénéfices et les risques de pertes.

 

L'agent de sécurité a déclaré que les faits suivants l'ont convaincu que Clarke contrôlait le travail, possédait les outils et déterminait les perspectives de bénéfices et les risques de pertes de J's Trucking :

 

1.       Le point C de l'annexe D de l'entente de courtier indépendant de la division des camions à plate‑forme entre Clarke et J’s Trucking spécifiait que l'assurance offerte aux points A et B de l'annexe était :

 

« …accordée à la condition que le courtier soit employé par la compagnie et travaille exclusivement pour elle »;

 

2.       Le point D de l'annexe E de l'entente spécifiait que J’s Trucking devait être rémunéré au taux de 81 p. 100 des recettes brutes générées par les marchandises transportées;

 

3.       Clarke versait des cotisations pour M. King à la commission des accidents du travail de la Nouvelle‑Écosse et, après l'accident, celle-ci a versé à sa famille un règlement accompagné de documents où l'on disait que son employeur s'appelait Clarke;

 

4.       Clarke tenait, sur M. King, un dossier de courtier qui contenait 27 documents, comme la demande d'emploi de M. King, son dossier de chauffeur, des renseignements à utiliser en cas d'urgence, la liste de ses infractions aux règlements de la circulation et le rapport des inspections annuelles de son véhicule par la province. On y trouvait aussi les résultats d'examens concernant le transport des marchandises dangereuses et l'USA Motor Carrier Safety Regulations administrés par Clarke, un accusé de réception de la politique de Clarke en matière d'alcool et de drogues, un document confirmant la participation de M. King aux régimes d'assurance‑groupe de Clarke et un autre lui permettant d'utiliser la carte de crédit de Clarke. D'autres documents confirmaient que M. King avait reçu des feuilles de route, des « enveloppes » pour ses dépenses, des formulaires pour déclarer les accidents ou signaler les plaintes concernant les marchandises, des formulaires commerciaux et des avis concernant les exigences de la compagnie et du gouvernement en matière de sécurité dans les transports.

 

5.       Clarke a fourni à M. King un document intitulé « To All New Drivers re: Summary of Driver Duties and Responsibilities », qui décrit les responsabilités des conducteurs de la compagnie en ce qui concerne les cartes d'essence, les avances de fonds, les péages des traversiers, les « enveloppes » pour les voyages et les livres de bord. Il y est aussi question de la sécurité des marchandises transportées, des substances dangereuses, du poids à ne pas dépasser par essieu et des amendes en cas d'infraction, de la protection des chargements, des plaintes concernant les marchandises, des mauvaises routes, des inspections avant départ, de l'équipement de protection, des restrictions concernant l'utilisation des camions, de l'essence, des autorisations concernant les passagers, des péages et des connaissements. Ce document précisait que M. King devait communiquer tous les jours avec le répartiteur de Clarke pour lui dire où il était rendu et pour déclarer les retards causés par des pannes, la mauvaise température ou des accidents. M. King devait aussi signaler les défauts des véhicules découverts durant les inspections avant départ, les réparations effectuées, les dommages subis par les marchandises et les plaintes concernant ces dommages.

 

6.       Clarke contrôlait l'emploi du temps de M. King et tenait les livres de J’s Trucking.

 

7.       Mme King a déclaré à l'agent de sécurité Fougere que le répartiteur de Clark obligeait son mari à accepter les tâches qu'il lui confiait, s'il voulait qu'on lui en confie d'autres.

 

L'agent de sécurité Fougere a déclaré qu'il a donné une instruction à Clarke parce que le Code obligeait la compagnie à s'assurer que la remorque était munie de ridelles et que M. King savait comment se protéger.


Demandeur 

 

Avant les audiences, M. Langley a fourni au Bureau de l'agent régional de sécurité un document contenant les raisons pour lesquelles Clarke demandait l'annulation de l'instruction et il a fait comparaître deux témoins aux audiences. Ces documents sont versés aux dossiers et ne seront pas répétés ici. Cependant, je retiens les points suivants des documents et des témoignages.

 

M. Clark, le responsable des pertes, de la sécurité et de la santé chez Clarke, a témoigné au nom de la compagnie. Il a déclaré que I'entente de courtier indépendant liait Clarke et J's Trucking, aussi appelé Virginia King[3], un courtier. Il a fait observer que l'article 7.1 de cette entente stipulait qu'elle portait sur la fourniture de services par un courtier et non sur une relation d'emploi et que l'annexe E précisait  que le courtier devait fournir tout l'équipement nécessaire pour le travail.

 

Au sujet du contrôle, il a insisté sur le fait que l'article 3.1 de l'entente permettait au courtier d'engager des employés pour l'aider à faire son travail, pourvu, et c'était la seule limite, qu'il ne les emploie pas au nom de Clarke, et qu'il n'engage pas la responsabilité de Clarke. Il a souligné le fait que Clarke ne supervisait pas le travail de M. King et que ce dernier pouvait mettre fin au contrat après un préavis de 30 jours.

 

En ce qui concerne les documents versés au dossier de courtier de M. King, M. Clark a expliqué que Clarke possédait les permis de transport routier extraprovincial que J’s Trucking utilisait quand il ne travaillait pas pour Clarke. Pour cette raison, Clarke était tenu par le Code national de sécurité et par le USA Motor Carrier Safety Regulations de faire passer des examens de compétence et de tenir des dossiers sur les chauffeurs. Ces dossiers portaient notamment sur la formation, l'inspection et l'entretien des véhicules, les livres de bord, les assurances, les examens médicaux et les tests de dépistage des drogues. M. Clark a soumis une copie du USA Department of Transportation Motor Carrier Safety Regulations et des extraits du Code national de sécurité pour appuyer cette position. Pour la même raison, J.s Trucking était tenu d'afficher le logo de Clarke et Clarke devait conserver une demande d'emploi de M. King. 

 

M. Clark a soutenu que J’s Trucking n'était pas obligé de se procurer une remorque par l'intermédiaire de Clarke, d'utiliser les cartes de crédit de Clarke pour l'essence, les réparations et les péages, ni de participer aux régimes d'assurance‑groupe de Clarke, mais qu'il a fait tout cela volontairement. Il a soutenu aussi que Clarke payait la cotisation à la commission des accidents du travail de J’s Trucking et se la faisait rembourser par M. King, parce que la loi de la Nouvelle‑Écosse stipulait qu'il était responsable, en tant qu'entrepreneur, si un courtier ne payait pas sa cotisation.

 

À propos de l'accident, M. Clark a nié que Clarke ait violé les normes de santé et de sécurité, étant donné que J’s Trucking devait fournir tous les outils nécessaires pour faire son travail et que la meilleure formation ne pouvait éliminer tous les dangers possibles.

 

Intimé

 

M. Jones a déclaré que Mme King participait à l'audience pour établir le statut d'employé de son défunt mari chez Clarke. Il a confirmé que la commission des accidents du travail de la Nouvelle‑Écosse avait considéré M. King comme un employé de Clarke et avait versé des prestations à sa famille. Il a ajouté que ma décision n'aurait aucun impact à cet égard sur Mme King.

 

Mme King a déclaré qu'elle possédait J’s Trucking avec son mari et qu'ils en étaient les deux dirigeants. Elle se considérait comme une partie à l'entente, même si elle n'avait pas participé à sa négociation avec Clarke et qu'elle ne l'avait pas signée. Elle avait préféré donner une procuration à son mari. Elle a précisé qu'elle n'avait aucun contact avec Clarke concernant le travail que son mari faisait pour cette compagnie. À son avis, c'est le répartiteur de Clarke qui disait à son mari où aller chercher et livrer la marchandise et c'est Clarke qui s'occupait de sa tenue de livres. Elle a confirmé qu'il ne pouvait pas refuser une tâche que lui confiait le répartiteur, sous peine de ne plus avoir de travail pendant des semaines. Elle a aussi déclaré qu'après l'accident, Clarke ne lui avait pas demandé sa permission pour autoriser quelqu'un d'autre à finir la tâche qui avait été confiée à son mari.

 

Conclusions finales

 

M. Langley a soutenu que l'instruction devrait être entièrement annulée par que M. King n'était pas un employé de Clarke et que le Code ne s'appliquait donc pas à ses activités. Il a fait observer que, contrairement à la partie I, la partie II du Code ne définit pas le mot « employé » par rapport au mot « entrepreneur dépendant ». Il a soutenu qu'il fallait donc s'appuyer sur la common law pour déterminer qui est un « employé » pour les besoins de la partie II et que cette décision s'appuyait essentiellement sur une évaluation des faits. À son avis, les critères appropriés selon la common law comprenaient le critère à quatre volets, le critère du contrôle et la réponse à la question « A qui appartient l'entreprise ». Il a soutenu que le critère de l'intégration de la common law devait être rejeté parce qu'il donnait toujours une réponse positive. Il a cité plusieurs exemples tirés de la jurisprudence pour appuyer son opinion selon laquelle M. King n'était pas un employé de Clarke.

 

M. Langley a soutenu que J’s Trucking était l'entreprise de Virginia King et de James King et non de Clarke. Il a déclaré que J’s Trucking était enregistrée au Nova Scotia Business and Consumer Services Registry of Joint Stock Companies comme une entreprise et il m'a rappelé que Mme King avait déclaré que l'entente liait Clarke et J’s Trucking et non Clarke et M. King et que les paiements effectués par Clarke étaient versés à J’s Trucking et non à M. King.

 

Sur la question du « contrôle », M. Langley a déclaré que M. King n'était pas tenu par l'entente d'accepter quelque tâche que ce soit ni de travailler à quelque heure ou pour quelque nombre minimum d'heures ni quelque semaine que ce soit pour Clarke. Il a contesté l'opinion de Mme King selon laquelle son mari était obligé de travailler quand le répartiteur de Clarke communiquait avec lui et il a répété qu'habituellement, ce sont les courtiers qui appelaient le répartiteur pour obtenir du travail. Il a fait observer qu'aucune disposition de l'entente n'empêchait M. King de travailler pour une autre entreprise et que le point 3.1 stipulait même que J's Trucking pouvait engager un autre chauffeur pour l'aider à faire son travail, pourvu que Clarke approuve le choix du chauffeur en question, parce que la loi fédérale l'exigeait. Il a ajouté que Clarke n'avait jamais supervisé le travail de M. King et ne lui avait jamais versé de paye de vacances, ni donné de congé ni versé de temps supplémentaire et n'avait jamais retenu la moindre somme, sur les paiements qu'il versait à J’s Trucking, pour le régime de pensions du Canada, l'assurance‑emploi ou l'impôt de M. King. Il a précisé que J's Trucking avait choisi volontairement de participer aux régimes d'assurance‑collective de Clarke, de faire payer par Clarke ses cotisations à la commission des accidents du travail, quitte à les lui rembourser, et d'utiliser les formulaires commerciaux de Clarke.

 

M. Langley a soutenu qu'aucun des documents mentionnés par la partie adverse n'établissait l'existence d'une relation employeur‑employé. Il a affirmé qu'un bon nombre de ces documents avaient trait à la participation de J's Trucking aux régimes d'assurance collective de Clarke et aux obligations imposées à Clarke par le Code national de sécurité et le USA Motor Carrier Safety Regulations. Il a insisté sur le fait que les conducteurs sont tenus de communiquer tous les jours avec le répartiteur pour que Clarke sache où en sont les livraisons, quels camions sont disponibles et, en tant que transporteur routier, assure la conformité des chauffeurs aux normes relatives à la durée normale du travail.

 

En ce qui concerne la propriété des outils, M. Langley a répété que l'entente stipulait que le courtier devait fournir tous les outils nécessaires pour faire son travail et que J’s Trucking possédait un camion et deux remorques quand l'entente a été signée et n'avait loué une remorque à plateau surbaissé de TIP, par l'intermédiaire de Clarke, que pour bénéficier du pouvoir d'achat de cette compagnie.

 

M.   Langley a soutenu que J’s Trucking avait de bonnes perspectives de bénéfices parce que la compagnie touchait 81 p. 100 des recettes brutes pour le travail effectué pour Clarke. À son avis, ces bénéfices dépendaient de l'utilisation efficace d'un véhicule moderne rentable et du volume des chargements. Il a ajouté que J’s Trucking risquait beaucoup de faire des pertes selon la manière dont ses véhicules étaient exploités et entretenus.

 

Enfin, M. Langley a soutenu que même si je décidais que M. King était un employé de Clarke, l'instruction devrait être annulée quand même, étant donné que Clarke avait pris toutes les mesures raisonnables pour assurer la sécurité et la santé au travail de ses chauffeurs, y compris de M. King, et que J’s Trucking avait la responsabilité de fournir tous les outils nécessaires pour faire son travail et donc pour éviter les accidents.

 

De son côté, M. Jones a cité divers documents dans lesquels M. King était, à son avis, désigné comme un employé de Clarke ou l'équivalent. Il a soutenu que les documents et les faits montraient que Clarke contrôlait qui faisait le travail, qu'est‑ce qui était transporté, où les chargements étaient livrés, quand ils étaient chargés et comment ils étaient transportés. Il a fait observer que Clarke avait loué chez TIP Leasing la remorque que M. King utilisait, qu'il lui avait fourni les formulaires commerciaux qu'il utilisait, qu'il s'occupait de sa tenue de livres et qu'il possédait le système de communication avec le répartiteur, l'entrepôt, les marchandises et le stationnement.

 

Il a répété que M. King devait communiquer tous les jours avec le répartiteur de Clarke et afficher le logo de cette compagniee sur son camion. Il a soutenu que Clarke contrôlait les perspectives de bénéfices de J’s Trucking, parce qu'il déterminait le partage des recettes générées par le travail de M. King et le calendrier d'entretien de son véhicule. Il a affirmé aussi que le risque de perte de Clarke était plus élevé que celui de M. King. Il a cité la cause M.A.N.‑B&W Diesel c. Kingsway Transport [1997] 99 O.A.C.69, de la Cour d'appel de l'Ontario et il a déclaré que même si le chauffeur était considéré comme un courtier par la compagnie, les faits montraient qu'il était en réalité son employé.

 

Décision

 

La partie II stipule au paragraphe 123.(1) que le Code s'applique seulement à l'emploi. Voici le texte de cette disposition :

 

123. (1)...Malgré les autres lois fédérales et leurs règlements, la présente partie s'applique à l'emploi :

a).dans le cadre d'une entreprise fédérale, à l'exception d'une entreprise de nature locale ou privée dans le Territoire du Yukon ou les Territoires du Nord‑Ouest;

b) par une personne morale constituée en vue de l'exécution d'une mission pour le compte de l'État canadien; [Le souligné est de moi.]

 

Dans ce cas, je dois décider si M. King était un employé de Clarke ou de J’s Trucking. Si je juge que M. King était un employé de Clarke, je dois ensuite établir si Clarke a enfreint une disposition du Code et du RCRSST ayant trait à l'accident. Et si, d'un autre côté, je juge que Clarke a engagé M. King comme un courtier indépendant, je dois annuler l'instruction, parce que, dans ce cas, le Code ne s'applique pas au travail effectué par M. King.

 

Pour juger si M. King était un employé de Clarke, je suis d'accord avec l'agent de sécurité Fougere et avec M. Langley pour dire que le critère à quatre volets et la réponse à la question « À qui appartient l'entreprise » est un instrument utile. Je crois aussi, comme M. Langley, que la réponse à cette question dépend essentiellement des faits et, pour la trouver, je dois examiner l'entente et la relation qui existait entre Clarke et J’s Trucking.

 

En ce qui concerne la question « À qui appartient l'entreprise », Mme King a confirmé que J’s Trucking était enregistrée en Nouvelle‑Écosse comme une entreprise de camionnage indépendante, et que cette entreprise était exploitée comme un courtier indépendant avant la signature de l'entente avec Clarke. Elle a aussi confirmé qu'elle avait donné une procuration à son mari et que M. King avait signé l'entente avec Clarke pour J’s Trucking. Donc, pour les besoins de cette révision, je considère J’s Trucking, Virgina King et James King comme essentiellement la même entité.

 

En ce qui concerne le critère à quatre volets et la question du contrôle, je constate que l'entente entre Clarke et J’s Trucking mentionne plusieurs fois qu'il s'agit d'une relation pour la fourniture d'un service plutôt que d'une relation employeur‑employé. Dans le préambule, il est stipulé qu'il s'agit d'une entente avec un courtier indépendant de la division des camions à plate‑forme et que Virginia King est le courtier. Il est dit, au point 1.0 intitulé « Term and Termination », que le courtier peut mettre fin à l'entente en donnant un préavis de 30 jours à Clarke, au point 2.0, qu'il doit s'assurer pour les dommages corporels, pour les dommages à la propriété d'autrui, pour les dommages au véhicule assuré et pour la perte de ce véhicule, au point 3.0, qu'il peut engager ses propres employés pour l'aider à faire son travail, au point E de l'annexe E, qu'il doit fournir l'équipement nécessaire et au point 7.0, intitulé Nature of relationship, que :

 

« [traduction] La relation en est une de fourniture de services par un courtier indépendant et non une de partenariat ou d'emploi ».

 

À mon avis, on doit prendre au sérieux l'intention clairement exprimée des parties à une entente, à moins d'avoir la preuve que l'employeur a forcé l'employé à signer cette entente ou que les parties se sont entendues pour contourner la loi. Cependant, aucune preuve de ce genre n'a été déposée.

 

L'agent de sécurité Fougere a soutenu que le point 5.0 intitulé « Group Purchasing », le point 6.0 intitulé « Worker's Compensation » et le point C de l'annexe D de l'entente suggéraient l'existence d'une relation employeur‑employé. Cependant, comme l'a soutenu M. Langley, et Mme King ne l'a pas contredit sur ce point, je considère que J's Trucking a demandé volontairement à participer aux achats de groupe de Clarke et à ce que cette dernière paye ses cotisations à la commission des accidents du travail, quitte à les lui rembourser. Dans ce cas, la participation de J’s Trucking aux régimes d'assurance‑collective de Clarke et aux arrangements concernant le paiement des cotisations à la commission des accidents du travail ne modifient pas la nature de l'entente. En ce qui concerne le point C de l'annexe D de l'entente, je suis d'avis que la disposition qui oblige J’s Trucking à travailler exclusivement pour Clarke est une restriction imposée par la compagnie d'assurance et non une entente entre des parties liées par une relation employeur‑employé.

 

En ce qui concerne les documents contenus dans le dossier de M. King, l'agent de sécurité Fougere a déclaré que c'est l'ensemble de ces documents qui l'a convaincu, plus qu'un facteur en particulier. Je suis d'accord avec lui pour dire que le degré d'intégration des affaires de J’s Trucking et de Clarke est impressionnant. Comme l'agent de sécurité, j'ai été frappé par le fait que Clarke s'occupait des livres de J’s Trucking, des dossiers concernant l'entretien des véhicules utilisés par cette compagnie et des documents exigés par le Code national de sécurité. J'ai été impressionné aussi quand j'ai constaté que Clarke fournissait à M. King des avis concernant les douanes et accises et que ce dernier utilisait un bon nombre de ses formulaires commerciaux ou autres concernant le transport, les routes et la sécurité au travail.

 

D'un autre côté cependant, il y a le fait que la compagnie J’s Trucking était en affaires avant de signer un engagement avec Clarke, qu'elle a signé cette entente en tant que courtier et que M. King a déclaré à Clarke qu'il ne ferait pas de voyages aux États‑Unis. Je doute qu'un employé puisse imposer de telles conditions à son employeur. En outre, Clarke a soutenu qu'il n'avait jamais supervisé M. King ni pris de mesures disciplinaires contre lui, qu'il ne lui avait jamais versé de paye de vacances ni de temps supplémentaire ni accordé de congé payé, ni prélevé la moindre somme sur les paiements qu'il faisait à J’s Trucking pour le régime de pension du Canada, l'assurance‑emploi ou l'impôt de M. King. Clarke a aussi soutenu qu'il était obligé par le Code national de sécurité de tenir des dossiers sur ses chauffeurs. Étant donné que je n'ai pas la preuve, qui aurait dû être fournie idéalement par M. King lui-même, que Clarke contrôlait le travail quotidien de ce dernier au point qu'il cessait d'être un courtier, je ne peux accepter que les documents cités établissent que Clarke contrôlait le travail de M. King. Par conséquent, je considère que l'ensemble des documents sur lesquels s'est fié l'agent de sécurité n'établit pas d'une façon concluante que Clarke contrôlait le travail de M. King et que M. King était un employé de Clarke.

 

Clarke n'a pas contesté le fait que M. King devait communiquer tous les jours avec son répartiteur. Cependant, les documents et le témoignage de M. Clark ont confirmé que les chauffeurs devaient communiquer avec le répartiteur pour lui permettre de renseigner les clients sur le moment de la livraison, pour l'aider à établir la charge de travail des courtiers et pour faciliter la tenue de leurs dossiers, conformément aux exigences des tierces parties concernant les transporteurs routiers. Plutôt que d'établir la preuve d'une relation employeur‑employé, cette exigence démontre, à mon avis, que M. King était assujetti aux normes que Clarke appliquait lui-même à ses clients et à ses activités. Étant donné que Clarke et J’s Trucking partageaient les mêmes clients, ils devaient travailler ensemble pour répondre à leurs besoins.

 

Mme King a déclaré que lorsque le répartiteur de Clarke l'appelait pour lui offrir du travail, son mari devait accepter ce qu'on lui proposait, sinon il risquait de ne pas être appelé la prochaine fois qu'il y aurait du travail. Même si cela pourrait être considéré comme une forme de sanction, il n'a pas été prouvé que c'était bien le cas. En outre, Mme King a convenu avec M. Langley que normalement c'était M. King qui appelait le répartiteur et non le contraire.

 

En ce qui concerne les risques de pertes assumés par J’s Trucking, on peut voir actuellement avec quelle rapidité la hausse du prix de l'essence ou des autres coûts liés au transport pourrait lui faire subir des pertes. En utilisant ses cartes de crédit pour l'essence, J’s Trucking pouvait profiter du pouvoir d'achat de Clarke, mais ni cela ni l'entente ne la protégeait contre les augmentations de frais opérationnels. Par conséquent, les risques de pertes étaient constants.

 

D'un autre côté, J’s Trucking avait des perspectives de bénéfices. La compagnie possédait ses propres véhicules et l'entente ne lui interdisait pas de négocier des contrats avec d'autres fournisseurs de travail ni d'engager d'autres chauffeurs pour obtenir autant de recettes que possible avec ses véhicules. Pour ce faire, elle aurait peut‑être dû louer d'autres véhicules ou s'assurer autrement qu'avec les régimes collectifs de Clarke, mais l'entente ne l'empêchait pas de le faire. En outre, tout comme J’s Trucking risquait de faire des pertes si ses frais opérationnels augmentaient, elle pouvait réaliser des bénéfices si ces derniers diminuaient. Enfin, l'agent de sécurité Fougere a admis aux audiences que les perspectives de bénéfices et les risques de pertes de J’s Trucking étaient plus élevés qu'il ne le pensait auparavant.

 

La preuve démontre que la compagnie J’s Trucking possédait son propre camion et deux semi‑remorques à plateau surbaissé avant de signer une entente avec Clarke et qu'elle a signé cette dernière en tant que courtier indépendant. Il semble qu'elle avait le contrôle de ses affaires, qu'elle possédait ses propres outils, qu'elle pouvait subir des pertes et qu'elle pouvait réaliser des bénéfices. Même si Clarke a utilisé sans autorisation le camion semi‑remorque de M. King après l'accident, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. King, pour les besoins de la partie II, était un employé de J’s Trucking et non de Clarke. L'instruction n'est donc pas fondée sur le Code. Par conséquent, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES l'instruction que l'agent de sécurité Fougere a donné à Clarke Road Transport Inc., le 24 mars 1999, conformément au paragraphe 145.(1) du Code.

 

Décision rendue le 6 juin 2000.

 

 

 

Douglas Malanka

Agent régional de sécurité


 

 

 

 ANNEXE

 

DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL 

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION À L'EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

 

Le 4 mai 1998, l'agent de sécurité soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par CLARKE TRANSPORT CANADA INC., employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 68, rue CHAIN LAKE, PARC INDUSTRIEL BAYERS LAKE, HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE) et aussi connu sous le nom de Glenview Farms, 156, route Old Bay Bulls, St John’s (Terre-Neuve).

 

Ledit agent de sécurité est d'avis qu'il y a infraction aux dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail :

 

1.  Alinéa 125q) de la partie II du Code canadien du travail et article 14.39 de la partie Manutention des matériaux du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail. 

 

Élaborer une marche à suivre pour les travaux effectués dans l'aire comportant des risques qui entoure certaines cargaisons et veiller à ce que cette marche à suivre soit respectée.

 

2.  Alinéa 125t) de la partie II du Code canadien du travail et paragraphe 14.3(1) de la partie Manutention des matériaux du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail.

 

Munir l'appareil de manutention d'un dispositif permettant de protéger les employés qui utilisent cet appareil.

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 7 avril 1999.

 

Fait à Halifax, ce 24e jour de mars 1999.

 

MARK FOUGERE

Agent de sécurité

No 1833


À :       CLARKE ROAD TRANSPORT

            68, rue CHAIN LAKE

            PARC INDUSTRIEL BAYERS LAKE

            HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

            B3S 1A2


 

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L'AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

  

Décision no :           00-008

 

Demandeur :          Clarke Road Transport Inc.

 

Intimé :                   Virginia King

 

MOTS CLÉS             

 

Propriétaire‑exploitant, courtier, Code national de sécurité, U.S. Federal Motor Carrier Safety Regulations, commission des accidents du travail, critère à quatre volets, intégration des affaires.

 

DISPOSITIONS

 

Code : art. 123.1, et alinéas 125q) et 125t)

Règlement : paragraphe 14.3(1) et article 14.39

 

RÉSUMÉ

 

Pendant que le chauffeur déchargeait des balles de foin d'une semi‑remorque, trois balles sont tombées sur lui et l'ont blessé mortellement. L'agent de sécurité qui a enquêté sur l'accident a conclu que l'employeur avait enfreint l'alinéa 125.q) du Code canadien du travail et l'article 14.39 du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (ci-après appelé le RCSST) parce qu'il avait négligé d'élaborer une marche à suivre pour les travaux effectués dans l'aire comportant des risques qui entoure certaines cargaisons et de veiller à ce que cette marche à suivre soit respectée. Il a aussi conclu que Clarke avait enfreint l'alinéa 125.t) du Code et le paragraphe 14.3(1) du RCSST parce qu'il avait négligé de munir l'appareil de manutention d'un dispositif permettant de protéger les employés qui utilisent cet appareil. L'employeur a demandé que l'instruction soit annulée parce que le chauffeur était un courtier et non un de ses employés. Après avoir révisé cette instruction, l'agent régional de sécurité a conclu que, pour les besoins de la partie II, le chauffeur n'était pas un employé de la compagnie et il a annulé l'instruction.

 



[1] Dans cette révision, les mots « propriétaire exploitant », « courtier », « courtier indépendant » et
 entrepreneur » ont été utilisés comme s'ils étaient interchangeables dans les témoignages et les documents pour désigner J's Trucking ou M. King. Pour les besoins de cette révision, je les considère comme des synonymes et j'ai opté pour « courtier », qui est utilisé dans l'entente de courtier indépendant. »

[2] Law of Dismissal in Canada, Howard A. Levitt, B.A., LL.B., Barreau de l'Ontario, 2e édition, Canada Law Book Inc., (pages 10 à 19)

[3]Dans cette révision, les noms “J’s Trucking” et “Virginia King” ont été utilisés tous les deux dans les témoignages et les documents pour parler de J’s Trucking.  Étant donné que « J’s Trucking » est le nom qu'on trouve dans l'entente et que c'est aussi le nom sous lequel est enregistrée la compagnie appartenant à Virginia King, dans cette décision, j'appelerai cette compagnie J’s Trucking.

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