Archivée - Decision: 00-013 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II : SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

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Révision, en vertu de l’article 146 de la partie II du Code canadien du travail,

d’une instruction donnée par un agent de sécurité

 

 

Décision no :              00-013

 

Demandeur :              United Parcel Service du Canada Ltée

                                    Représentée par Me J. Graham

 

 

Intimée :                     Mme C. Smith

                                    Employée chez United Parcel Service du Canada Ltée

 

Mis-en-cause :           Dave Furlotte

                                    Agent de sécurité

                                    Développement des Ressources Humaines Canada

 

Devant :                      Douglas Malanka

                                    Agent régional de sécurité

                                    Développement des ressources humaines du Canada (DRHC)

 

Contexte :

 

Le 24 novembre 1999, Mme Smith, une employée de United Parcel Service du Canada Ltée (UPS), a communiqué avec DRHC pour informer un agent de sécurité qu’elle exerçait son droit de refuser de travailler. L’agent de sécurité Furlotte s’est rendu sur les lieux de travail pour faire enquête au sujet du refus de Mme Smith de travailler. Il a rencontré Mme Smith alors qu’elle attendait dans le vestibule de l’immeuble. Il a constaté qu’elle ne semblait pas être malade à ce moment-là, mais a observé que, dans les quelques minutes qui ont suivi son entrée dans les lieux de travail, sa respiration est devenue laborieuse et sa voix a changé comme si elle avait un rhume. L’agent de sécurité Furlotte a décidé que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle et il a enjoint verbalement à UPS de protéger la sécurité et la santé de Mme Smith. Le 7 décembre 1999, il a donné des instructions écrites à UPS en conformité avec le paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, partie II (ci-après appelé le Code ou la partie II) (voir copie annexée de ce document). Dans ces instructions, l’agent de sécurité déclarait que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour sa santé et il ordonnait à UPS de mettre fin à cette contravention au plus tard le 24 novembre 1999. UPS a demandé la révision de ces instructions et une audience a eu lieu le 7 juin 2000.

 

Agent de sécurité :

 

Une copie du rapport de l’agent de sécurité Furlotte a été remise aux parties avant l’audience et l’agent Furlotte a témoigné à l’audience. Son rapport ne sera pas reproduit ici, mais il fait partie du dossier. Voici les éléments que je retiens de son rapport et de son témoignage.

 

Le 5 novembre 1999, Mme Smith a fait savoir à l’agent de sécurité Luc Sarrazin de DRHC qu’elle refusait de travailler à cause de ses réactions aux parfums et aux produits parfumés dans son lieu de travail. Plus tard le même jour, M. A. Noël, directeur des ressources humaines chez UPS, a communiqué avec DRHC et a confirmé qu’UPS ferait enquête sur la question auprès de Mme Smith. Le 24 novembre 1999, Mme Smith a de nouveau communiqué avec DRHC et a continué à exercer son droit de refuser de travailler. L’agent de sécurité Furlotte s’est rendu chez UPS pour faire enquête sur le refus de Mme Smith de travailler. Il a rencontré Mme Smith dans le vestibule de l’immeuble et a constaté qu’elle ne semblait pas être malade. Elle lui a dit qu’elle était sensible aux produits parfumés à son lieu de travail et lui a exhibé un certificat médical que son médecin de famille, le docteur Li, lui avait signé le 9 novembre 1999. Le certificat attestait que Mme Smith devait cesser de travailler pour une période indéterminée tant qu’on ne ferait pas disparaître de son lieu de travail les odeurs auxquelles elle était sensible. Peu de temps après, l’agent de sécurité Furlotte et Mme Smith se sont rendus sur les lieux de travail et ont rencontré M. Noël, ainsi que la représentante de l’employeur au comité de santé et de sécurité au travail, Mme R. Mills, une employée coprésidente du comité de santé et de sécurité au travail, Mme P. Chambers, et son assistante à l’orientation des employés, Mme N. Leblanc. L’agent de sécurité Furlotte a témoigné que, dans les quelques minutes qui ont suivi, la respiration de Mme Smith a commencé à être laborieuse et que sa voix a changé comme si elle avait un rhume. La détérioration rapide de sa respiration et de sa voix l’ont convaincu qu’elle était exposée à un danger « potentiel[1] » dans son lieu de travail et il a ordonné verbalement à UPS de prendre des mesures pour protéger sa santé et sa sécurité. Le 7 décembre 1999, l’agent de sécurité Furlotte a, conformément au paragraphe 145(1) du Code, confirmé par écrit les instructions qu’il avait données verbalement. Dans ses instructions écrites, il affirmait que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour sa santé et il ordonnait à UPS de s’assurer qu’elle soit protégée au travail

 

L’agent de sécurité Furlotte a précisé dans son témoignage qu’il n’avait pas tenu compte du certificat médical du docteur Li pour décider que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle. Il a affirmé que le certificat médical l’avait seulement persuadé que la détérioration physique qu’il avait observée chez Mme Smith était authentique. Il a reconnu qu’il ne connaissait pas la nature du danger — problème de qualité de l’air ou de ventilation — auquel Mme Smith était exposée dans cet immeuble, mais il a déclaré qu’il estimait que sa priorité absolue était de garantir sa santé et sa sécurité au travail. Il a également confirmé qu’il ne possédait pas de connaissances spécialisées au sujet de la nature de la sensibilité de Mme Smith aux odeurs, et a ajouté qu’il n’avait consulté aucun expert avant de décider qu’elle était exposée à un danger. Il a en outre attesté qu’il n’avait pas interrogé d’autres employés au lieu de travail de Mme Smith pour déterminer si le lieu de travail nuisait à leur santé ou à leur sécurité au travail.

 

Demandeur : 

 

Le docteur Mathew D. Burnstein, B.Sc., MD., M.R.O., C.I.M.E., a témoigné pour le compte d’UPS à titre de témoin expert. Je retiens ce qui suit de son témoignage :

 

Le docteur Burnstein a témoigné qu’on ne peut conclure qu’un lieu de travail constitue un danger du simple fait qu’un employé semble être malade. Il a expliqué que, bien que les symptômes signalés par une personne peuvent être réels, il ne s’ensuit pas qu’ils soient imputables à des troubles organiques effectifs. Tout ce qu’on peut affirmer au sujet de la réaction que l’agent de sécurité Furlotte a observée chez Mme Smith le jour où elle a refusé de travailler est qu’elle semblait être malade ce jour-là. Suivant le docteur Burnstein, l’agent de sécurité Furlotte ne disposait tout simplement pas de suffisamment d’éléments d’information pour pouvoir conclure qu’il existait un danger et pour établir un lien entre le lieu de travail de Mme Smith et sa sensibilité.

 

Le docteur Burnstein s’est également dit d’avis que l’agent de sécurité Furlotte ne pouvait conclure que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle sur la foi du certificat médical que le docteur Li avait remis à Mme Smith. Il a affirmé que le certificat médical ne précisait pas la nature du problème médical ou du danger pour la santé ou les effets nuisibles de ce problème sur la santé ou sa gravité. Qui plus est, l’agent de sécurité ne pouvait conclure que Mme Smith était exposée à un danger sur le fondement de la note rédigée par le docteur Li, parce qu’il n’existait aucun document au sujet de la qualité de l’air et que cette note avait un caractère anecdotique. Le docteur Burnstein a fait remarquer que le syndrome des bâtiments hermétiques n’a jamais été reconnu comme une maladie organique.

 

Suivant le docteur Burnstein, pour établir que la qualité de l’air dans un lieu de travail constitue un danger pour une personne déterminée, il faut évaluer à la fois le lieu de travail et les antécédents médicaux de la personne concernée. En ce qui concerne le lieu de travail, il faut évaluer l’ambiance générale aux postes de travail, ainsi que le secteur précis où travaille l’employé en question. Une évaluation de l’ambiance aux postes de travail comporte le plus souvent une mesure de la qualité de l’air en vue de détecter la présence de substances dangereuses pour déterminer si les quantités de substances dangereuses relevées dépassent les limites acceptables d’exposition. Un autre test consisterait à analyser l’air ambiant pour mesurer les concentrations de gaz carbonique, un indice connu permettant de mesurer la circulation de l’air et la ventilation. On interrogerait aussi d’autres employés pour savoir s’ils ont fait l’objet de réactions ou de maladies semblables et pour savoir si la réaction ou la maladie de Mme Smith a été constante au fil des ans. Le docteur Burnstein a ajouté qu’il serait important d’inspecter le système de chauffage, ventilation, climatisation (système CVC), notamment les valves, les conduits et les débouchés pour en vérifier la propreté et l’état de fonctionnement et pour mesurer la température et l’humidité dans les locaux de travail.

 

En ce qui concerne la personne en cause, le docteur Burnstein a estimé qu’il serait nécessaire de passer en revue ses antécédents médicaux pour savoir quand la réaction ou la maladie a commencé et pour en déterminer la durée et la gravité. Il a expliqué qu’il serait également nécessaire de faire passer des examens à l’intéressé pour identifier sa maladie, pour déterminer si elle est organique ou non et pour savoir si elle est fonction de la dose administrée. Il serait également important de savoir quel traitement, s’il en est, a été appliqué. Il a affirmé qu’une fois que les renseignements portant sur les lieux de travail et la personne en cause ont été recueillis, on peut déterminer s’il existe un lien de causalité entre les deux.

 

Le docteur Burnstein a affirmé que la réaction pathologique observée par l’agent de sécurité Furlotte pouvait être attribuable à l’asthme, une réaction allergique non liée à l’asthme ou encore à un accès d’anxiété ou à une sensation de « boule » dans la gorge. Il a expliqué que l’asthme peut être déclenché par une allergie, le stress, des irritants tels que l’humidité et la température, ou par des odeurs. Le docteur Burnstein a expliqué qu’il y a une différence entre une sensibilité et une allergie. Une allergie se définit comme une réaction immunitaire (anticorps-antigène), alors qu’une sensibilité est attribuable à des irritants qui, en règle générale, ne constituent pas un danger de mort. Il a toutefois reconnu que si une personne est exposée à des concentrations suffisamment élevées d’une substance à laquelle elle est sensible, dont le parfum, cette exposition peut mettre sa vie en danger. Le docteur Burnstein a affirmé qu’il n’existe pas de test d’immunologie spécifique pour les parfums, parce qu’ils sont composés de 150 à 300 produits chimiques. On peut toutefois détecter si une personne est allergique à un parfum déterminé en l’exposant à ce parfum et en procédant à des examens fonctionnels respiratoires pour confirmer la réaction observée.

 

Intimée :

 

Mme Smith a témoigné pour son propre compte. Je retiens ce qui suit de son témoignage. En janvier 1999, elle était en communication constante avec sa surveillante et assistante en orientation des employés, Mme Isabelle Snowden, au sujet de sa sensibilité aux produits parfumés et aux parfums et aux réactions qu’elle avait éprouvées au travail. Mme Snowden a permis à Mme Smith de travailler à divers postes de travail du centre d’appel pour s’éloigner des produits parfumés et elle a demandé aux personnes travaillant dans son entourage de s’abstenir de porter des produits parfumés. Mme Smith a déclaré qu’en raison des changements de quarts de travail et de l’indice élevé de rotation du personnel, elle ne travaillait jamais en compagnie de la même personne et que cette mesure n’avait donc pas permis de trouver une solution permanente à son problème.

 

Elle s’est alors adressée à un autre superviseur, qui a fait parvenir un message électronique au personnel du Centre pour lui demander d’utiliser avec parcimonie les produits parfumés. Mme Smith a toutefois insisté pour dire qu’un usage modéré ne la soustrayait pas à toute exposition et elle a fait remarquer que la consigne n’avait pas été suivie par tous. Elle a reconnu qu’UPS lui avait fourni un respirateur dont elle pouvait se servir au travail, qu’il lui avait permis de rentrer à la maison chaque fois qu’elle était malade et qu’elle avait loué un filtre HEPA pour l’utiliser au travail.

 

À la recommandation de la Commission des droits de la personne, Mme Smith a suggéré à UPS des moyens de tenir compte de sa maladie. Elle a suggéré à UPS de lui permettre de travailler à la maison ou de lui permettre de travailler dans un bureau fermé équipé d’un filtre HEPA et d’en restreindre l’accès aux personnes ne portant pas de produits parfumés. Elle a déclaré  qu’elle pouvait porter un respirateur si une personne portant un produit parfumé devait entrer dans la pièce. Elle affirme qu’UPS n’a donné aucune suite à ses suggestions.

 

Mme Smith a témoigné que le docteur Li l’avait informée que plus elle s’exposerait à des produits parfumés, plus ses réactions seraient sévères. Elle a des épisodes d’essoufflement lorsqu’elle est exposée à des produits parfumés et elle craint maintenant d’avoir atteint un seuil où une réaction pourrait mettre sa vie en danger.

 

 

Prétentions et moyens des parties :

 

Me Graham invoque deux moyens au soutien du présent appel. En premier lieu, il soutient que l’agent de sécurité Furlotte n’a pas bien enquêté sur le refus de travailler de Mme Smith et qu’il ne disposait par conséquent pas de suffisamment d’éléments de preuve objectifs au sujet de ses antécédents médicaux ou sur les lieux où elle travaillait pour décider que le lieu de travail constituait un danger pour elle. Il insiste plutôt pour dire que l’agent de sécurité Furlotte s’est fondé sur son observation personnelle des réactions de Mme Smith après son entrée dans les locaux de travail, sur le certificat médical du docteur Li et sur les médicaments que prenait Mme Smith pour décider qu’elle était exposée à un danger.

 

Me Graham a cité les décisions suivantes : Bugden c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Gendarmerie royale du Canada), CRTFP no 236, (1988) (dossier de la CRTFP no 165-2-55), en présence de M. Korngold Wexler, président suppléant de la CRTPF, Gilmore c. Chemins de fer nationaux du Canada (procureur général du Canada et Chemins de fer nationaux du Canada), en présence de l’agent régional de sécurité Serge Cadieux, et Environnement Canada c. C. Hutchinson, 1977, décision no 97-003, devant l’agent régional de sécurité Douglas Malanka. Il a soutenu qu’il ressortait de ces décisions qu’une conclusion de danger doit être fondée sur des éléments de preuve objectifs tendant à démontrer qu’il existe, au lieu de travail de l’employé en cause, un danger ou une situation dangereuse et que l’existence d’un lien de causalité objectif entre le lieu de travail et la sensibilité éprouvée par la personne en question doit avoir été démontrée.

 

Le second moyen que Me Graham invoque au soutien de son appel est que le paragraphe 146(3) ne confère pas à l’agent régional de sécurité le pouvoir de modifier les instructions données en vertu du paragraphe 145(1) (contravention) en considérant qu’elles ont été données en vertu du paragraphe 145(2) (situations dangereuses). Il affirme qu’agir ainsi reviendrait à donner de nouvelles instructions, ce que je n’ai pas le pouvoir de faire.

 

Dans son résumé, Mme Smith a insisté pour dire qu’elle a constamment tenu les cadres d’UPS au courant de ses réactions aux produits parfumés et qu’ils ont pu observer ses crises et constater que celles-ci sont réelles. Elle n’est pas d’accord avec le docteur Burnstein pour dire que ses crises sont attribuables à du stress ou à de l’anxiété, soulignant qu’elle n’avait eu aucune réaction à l’audience, malgré le stress. Elle a répété que le docteur Li est son médecin de famille depuis plus de quatre ans et qu’il est personnellement au courant de ses crises. Il lui a dit que plus elle s’exposerait à des produits parfumés et à des parfums, pires seraient ses réactions. Elle craint maintenant qu’une exposition à des produits parfumés et à des parfums lui soit fatale. Elle m’a rappelé que le docteur Burnstein savait déjà que si une personne est exposée à des concentrations suffisamment élevées d’une substance à laquelle elle est sensible, elle risque d’en mourir. Elle a insisté pour dire qu’elle a un sérieux problème de santé et que, bien qu’UPS ait pris des mesures pour tenir compte de sa situation, UPS doit soit lui permettre de travailler chez elle, soit lui procurer un bureau privé hermétique équipé d’un filtre pour qu’elle puisse accomplir son travail.

 

 

Décision :

 

Question(s) en litige :

 

Il y a deux questions litigieuses à trancher en l’espèce. La première m’amène à me demander si je suis d’accord avec l’agent de sécurité Furlotte pour dire que Mme Smith était exposée à un danger au moment de son enquête, le 24 novembre 1999. Si je conclus qu’il existait effectivement un danger au moment de son enquête, je dois alors décider si l’article 146 du Code m’autorise à considérer que l’agent de sécurité Furlotte a donné ses instructions en vertu du paragraphe 145(2), plutôt qu’en vertu du paragraphe 145(1), étant donné que c’est en vertu de ce dernier paragraphe qu’il a donné ses instructions.

 


Dispositions législatives applicables :

 

Pour trancher ces questions, il est nécessaire d’examiner les dispositions législatives applicables contenues à la partie II et dans le Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (RCSST). Citons les dispositions suivantes :

 

Article 122.1.

Cet article définit l’objet de la partie II du Code et précise que la partie II s’applique aux accidents et maladies directement liés au travail.

Voici le texte de l’article 122.1 :

 

 

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions. 

 

Le paragraphe 122(1).

On y trouve la définition du terme « danger » dans le Code. La définition précise les deux éléments qui doivent être réunis pour qu’on puisse conclure qu’il existe un danger au sens du Code. Le premier élément est l’existence d’un risque ou d’une situation qui, pour reprendre le libellé de l’article 122.1, est lié à l’occupation d’un emploi dans un lieu de travail. Le second élément qui doit être respecté est que ce risque ou cette situation doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. À mon avis, cette seconde condition nécessite la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le danger ou la situation détectée et la maladie ou la blessure causée à la personne qui y est exposée. Le terme « danger » est ainsi défini :

 

122. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

 

 «danger» Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. [C’est moi qui souligne.]

 

 

Le paragraphe 128(1).

 

Ce paragraphe permettait à Mme Smith de refuser de travailler au motif qu’il y avait pour elle un danger de travailler dans ce lieu de travail. Le paragraphe 128(1) est ainsi libellé :

 

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose ou de travailler dans un lieu s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

 

a) l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même

ou un autre employé;

 

b) il y a danger pour lui de travailler dans le lieu.  [C’est moi qui souligne.]

 

 

Le paragraphe 129(1).

 

Ce paragraphe précise que, sur réception d’un avis l’informant qu’un employé refuse de travailler, l’agent de sécurité doit faire enquête sur le refus de travailler. Le paragraphe 129(1) est ainsi libellé :

 

 

129. (1) En cas de maintien du refus [de l’employé de travailler], l'employeur et l'employé notifient sans délai le refus à l'agent de sécurité lequel, dès la réception de l'un ou l'autre des avis, effectue une enquête sur la question en présence de l'employeur et de l'employé ou du représentant de celui-ci, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de sécurité.  [C’est moi qui souligne.]

 

[Le Petit Robert définit comme suit le mot « enquête » :

 

« Recherche méthodique reposant notamment sur des questions et des témoignages. »]

 

Le paragraphe 129(2).

 

Ce paragraphe précise que l’agent de sécurité doit faire enquête pour décider si une chose ou un lieu constitue un danger. En voici le texte :

 

 

129.(2) Au terme de l'enquête, l'agent de sécurité décide s'il y a danger ou non, selon le cas :

 

a) pour quelque employé d'utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question;

 

b) pour l'employé visé au paragraphe (1) de travailler dans le lieu en cause.

 

Il informe sans délai l'employeur et l'employé de sa décision. [C’est moi qui souligne.]

 

Le paragraphe 129(3).

 

Ce paragraphe précise que l’employeur peut forcer l’employé concerné à demeurer dans un lieu sûr avant la tenue de l’enquête et la décision de l’agent de sécurité. Il est ainsi conçu :

 

129(3) Avant la tenue de l'enquête et tant que l'agent de sécurité n'a pas rendu sa décision, l'employeur peut exiger la présence de l'employé en un lieu sûr proche du lieu en cause ou affecter celui-ci à un autre travail convenable. Il ne peut toutefois pas affecter un autre employé au poste du premier sans lui faire part du refus de celui-ci. [C’est moi qu souligne.]

 

Paragraphe 145(2).

 

Cette disposition précise que l’agent de sécurité doit « estimer » qu’une chose ou une situation constitue un danger. Le paragraphe 145.(2) dispose :

 

 

145(2) S'il estime que l'utilisation d'une machine ou chose ou qu'une situation existant dans un lieu constitue un danger pour un employé au travail, l'agent de sécurité :

 

a) en avertit l'employeur et lui enjoint, par des instructions écrites, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu'il précise :

 

(i) soit à la prise de mesures propres à parer au danger,

 

(ii) soit à la protection des personnes contre ce danger; [C’est moi qui souligne]

 

 

Le paragraphe 146(3).

 

Cette disposition habilite un agent régional de sécurité à modifier, annuler ou confirmer des instructions. Il est ainsi libellé : :

 

146(3) L'agent régional de sécurité mène une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et sur la justification de celles-ci. Il peut les modifier, annuler ou confirmer et avise par écrit de sa décision l'employeur, l'employé ou le syndicat en cause. [C’est moi qui souligne.]

 

Motifs :

 

Pour trancher la première question en litige, celle de savoir si le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger au sens du Code au moment de l’enquête de l’agent de sécurité, le 24 novembre 1999, je me fonde sur une analyse des faits de l’affaire, sur les dispositions applicables du Code et sur la jurisprudence antérieure de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et des agents régionaux de sécurité.

 

En l’espèce, Mme Smith affirme être très sensible aux odeurs émanant de plantes, de parfums et de produits parfumés et déclare que l’exposition à une odeur, au travail ou ailleurs, déclenche chez elle une réaction immédiate. Elle ne prétend pas que c’est dans son lieu de travail qu’elle a commencé à être sensible aux odeurs, mais soutient que ses réactions aux odeurs dans son lieu de travail deviennent de plus en plus graves et qu’elles sont susceptibles de mettre sa vie en danger. Elle affirme qu’elle réagit aux odeurs à des concentrations qui pourraient être indétectables pour d’autres personnes et qu’il est par conséquent indifférent que la qualité de l’air ou la ventilation dans son lieu de travail soient jugés conformes aux normes applicables. Elle considère son extrême sensibilité comme un handicap et soutient que UPS devrait tenir compte de sa situation en lui permettant de travailler chez elle ou en lui procurant un bureau fermé doté d’un filtre HEPA dont l’accès serait interdit aux personnes portant des produits parfumés à moins qu’on ne lui permette de porter un respirateur.

 

Pour ce qui est du lieu de travail, l’agent de sécurité Furlotte a témoigné qu’il n’avait pas procédé à des tests et qu’il n’avait pas obligé UPS à effectuer des tests avant de décider que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle. Il a plutôt fait reposer sa décision sur ses observations des réactions de Mme Smith après son entrée au travail. Il a estimé que la gravité de ses réactions après avoir pénétré dans les lieux de travail constituait une preuve suffisante pour conclure qu’il y avait un danger éventuel pour elle dans ce lieu de travail. Il a insisté pour dire que ni le certificat de maladie, ni la note du docteur Li n’avaient influencé ses conclusions au sujet du danger. Il a affirmé qu’il avait agi sans délai pour protéger la santé et la sécurité de Mme Smith au travail et qu’il était convaincu que la situation ou le danger à l’origine de la maladie pouvait être précisé plus tard.

 

Le docteur Burnstein a convenu que la mesure à prendre dans ces conditions était de faire sortir sur-le-champ Mme Smith des locaux en question. Il estime toutefois que l’agent de sécurité Furlotte a commis une erreur en concluant qu’il y avait un danger sans mener d’enquête sur les lieux de travail et sans enquêter sur les antécédents médicaux de Mme Smith. Il a comparé la situation à celle d’une personne qui décide que c’est la lune qui fait sortir les étoiles la nuit, parce que les deux apparaissent en même temps. Il s’est dit d’avis que l’agent de sécurité Furlotte pouvait conclure, à partir des observations qu’il avait faites ce jour-là, que Mme Smith semblait tomber malade à son lieu de travail ce jour-là. Il a laissé entendre que la réaction que l’agent de sécurité Furlotte avait observée pouvait être de l’asthme, ou une réaction allergique n’ayant aucun rapport avec l’asthme, ou encore un accès d’anxiété.

 

À mon avis, l’agent de sécurité Furlotte a probablement bien agi d’un point de vue humanitaire. Il s’est toutefois mépris en tant qu’agent de sécurité en ce qui concerne l’interprétation et l’application des dispositions de la partie II du Code en l’espèce. Il a essentiellement commis deux erreurs dans le cas qui nous occupe. Sa première erreur concerne sa décision de confirmer que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle, décision qu’il a prise en vue de la protéger pendant qu’il poursuivait son enquête. Or, cette mesure était inutile, parce que les paragraphes 128(1), 129(1) et 129(3) du Code accordaient déjà cette protection à Mme Smith. En vertu des paragraphes 128(1) et 129(1), Mme Smith pouvait refuser de travailler et continuer de refuser de travailler tant que son employeur n’avait pas pris de mesures pour assurer sa sécurité et sa santé au travail ou tant que lui, en sa qualité d’agent de sécurité, n’avait pas décidé qu’il n’y avait pas de danger.

 

L’autre erreur est celle qu’a commise l’agent de sécurité Furlotte en décidant qu’il existait dans les lieux de travail de Mme Smith un danger sans avoir d’abord conclu qu’il existait un risque ou une situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y était exposée, ou de la rendre malade, et sans conclure que cette blessure ou cette maladie était liée à son lieu de travail. Bien que le paragraphe 145(2) prévoie seulement que l’agent de sécurité doit « estimer » qu’il existe un danger, il ne s’ensuit pas pour autant que l’agent ne pas se fonder sur des faits ou exercer un jugement éclairé. Les paragraphes 129(1) et (2) confirment tous les deux que la décision doit être prise à la suite d’une « enquête ». MGraham a estimé que le bon sens commandait que toute conclusion tirée au sujet de l’existence d’un danger doit être une décision éclairée, compte tenu des larges pouvoirs dont dispose l’agent de sécurité et des incidences que peut avoir une conclusion de danger sur une entreprise lorsque l’employeur est forcé de modifier les lieux de travail sur-le-champ ou de cesser complètement ses activités. La jurisprudence citée par Me Graham confirme également qu’il doit exister un lien de causalité entre les maladies ou les blessures et la situation ou le danger constaté au lieu de travail.

 

Décision :

 

L’agent de sécurité Furlotte n’a pas établi qu’il existait au moment de son enquête un risque ou situation susceptible de causer des blessures à Mme Smith, ou de la rendre malade, ou qu’il existait un lien entre sa réaction et son lieu de travail. Étant donné qu’aucun élément de preuve de cette nature ne m’a été soumis à l’audience, il n’y a aucun fait qui justifie sa décision que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle ou qui justifie les instructions qu’il a données. Par ces motifs, J’ANNULE PAR LA PRÉSENTE les instructions que l’agent de sécurité Furlotte a données à United Parcel Service Canada le 7 décembre 1999 en vertu du paragraphe 145(1) du Code. Comme les instructions sont annulées, je ne formulerai aucune observation au sujet de mon pouvoir de modifier des instructions données en vertu du paragraphe 145(1) (contravention) en considérant qu’elles ont été données en vertu du paragraphe 145(2) (situations dangereuses).

 

Décision rendue le 17 août 2000.

 

 

 

Douglas Malanka

Agent régional de sécurité 

 

 

 

 

 

ANNEXE

 

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTIONS À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

 

Le 24 novembre 1999, l’agent de sécurité soussigné a mené une enquête dans les lieux de travail de UNITED PARCEL SERVICE DU CANADA LTÉE., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, au 1, FACTORY LANE, 2étage MONCTON (N.-B.), ce lieu de travail étant parfois désigné comme étant UNITED PARCEL SERVICE.

 

L’agent de sécurité en question est d’avis qu’il y a eu contravention aux dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail :

 

1.  ARTICLE 124. L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de sécurité et de santé au travail.

 

Le lieu de travail constitue un danger pour la santé de l’employée.

 

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, partie II, de mettre fin à cette contravention d’ici le 24 novembre 1999.

 

Fait à Moncton (N.-B.), ce 7 décembre 1999.

 

Dave Furlotte

Agent de sécurité

1628

 

Destinataire :     UNITED PARCEL SERVICE CANADA LTD.

                        UNITED PARCEL SERVICE CANADA LTD.         

                        1 FACTORY LANE, 2e ÉTAGE

                        MONCTON (N.-B.)

                        E1C 9M3


 

 

RÉSUME DE LA DÉCISION DE L’AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

 

Décision no :               00-013

 

Demandeur :              United Parcel Service du Canada Ltée

 

Intimée :                     Mme C. Smith

 

MOTS CLÉS :           

 

 danger, allergies, sensibilité, anxiété, produits parfumés, parfums, plantes, mesures d’adaptation.

 

DISPOSITIONS :

 

Code :                          122.1, 122(1), 124, 128(1), 128(8), 129(1), (2) et (3), 145(1), 145(2), 146

 

RÉSUMÉ :

 

Le 24 novembre 1999, Mme Smith, une employée d’United Parcel Service du Canada Ltée (UPS), a communiqué avec DRHC et a signalé à un agent de sécurité qu’elle exerçait son droit de refuser de travailler. L’agent de sécurité Furlotte s’est rendu sur les lieux de travail pour faire enquête sur le refus de travailler et a rencontré Mme Smith alors qu’elle attendait dans le vestibule de l’immeuble. Elle ne semblait pas malade, mais dans les quelques minutes qui ont suivi son entrée dans les lieux de travail, sa respiration est devenue laborieuse et sa voix a changé comme si elle avait un rhume. L’agent de sécurité Furlotte a décidé que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour elle et il a enjoint verbalement à UPS de protéger sa sécurité et sa santé. Le 7 décembre 1999, il a donné des instructions écrites à UPS en conformité avec le paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, partie II. Dans ces instructions, l’agent de sécurité a déclaré que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger pour sa santé et a ordonné à UPS de mettre fin à cette contravention au plus tard le 24 novembre 1999. UPS a demandé la révision de ces instructions et une audience a eu lieu le 7 juin 2000.

 

À la suite de la révision, l’agent régional de sécurité a décidé que l’agent de sécurité Furlotte n’avait pas établi qu’il existait dans les lieux de travail un risque ou une situation susceptible de causer des blessures à Mme Smith, ou de la rendre malade, ou qu’il existait un lien entre son lieu de travail et la réaction qu’elle avait eue le jour de son enquête. L’agent régional de sécurité a également conclu qu’aucun élément de preuve en ce sens ne lui avait été présenté. Pour ce motif, il a annulé les instructions

 



[1] Dans son témoignage, l’agent de sécurité Furlotte a précisé qu’il avait décidé que le lieu de travail de Mme Smith constituait un danger « éventuel » pour elle et qu’il avait donné des instructions à UPS. Cependant, dans ses instructions et dans son rapport, il emploie le terme « danger » sans le qualifier.

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