Archivée - Decision: 00-016 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II : SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
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Révision, en vertu de l'article 146 de la partie II du Code canadien du travail,
d'une instruction donnée par un agent de sécurité
Décision no : 00-016
Demandeur : Société canadienne des postes
Représentée par : W. Lynd
Santé professionnelle, Sécurité et Environnement
Défendeur : Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)
Représenté par : M. D. Knight
2e vice‑président, section locale de Vancouver
Mis-en-cause : M. Todd Campbell
Agent de sécurité
Développement des ressources humaines Canada
Devant : Douglas Malanka
Agent régional de sécurité
Développement des ressources humaines Canada
Contexte :
Le 5 juillet 2000, l'agent de sécurité Todd Campbell a procédé à une enquête sur le refus de travailler de M. Ray Hustad, facteur à la Société canadienne des postes (SCP). M. Hustad affirmait avoir refusé de travailler dans la section 3900 de la rue Frances, à Burnaby, en Colombie‑Britannique, parce qu'un résident de la rue en question refusait d'attacher ou d'enfermer ses chiens agressifs et les laissait délibérément se promener librement dans le quartier, à n'importe quel moment de la journée. M. Hustad a également affirmé que les chiens l'avaient attaqué à différentes occasions au cours des deux dernières années. Au terme de son enquête, l'agent de sécurité Campbell a conclu que M. Hustad risquait effectivement d'être attaqué par les chiens et a ordonné à la SCP de procéder immédiatement à la protection des personnes contre le danger. Une copie de l'instruction est jointe au présent document. Le 24 juillet 2000, la SCP a demandé, conformément au paragraphe 146 de la partie II du Code canadien du travail (ci‑après appelé le « Code » ou la « partie II »), que l'instruction soit révisée par un agent régional de sécurité, et une audience a eu lieu le 23 août 2000.
Agent de sécurité :
Le rapport d'enquête préparé par l'agent de sécurité Campbell a été remis aux parties et ne sera pas repris ici. Je retiens toutefois ce qui suit de son rapport et de son témoignage.
À la page 13 de son rapport, l'agent de sécurité Campbell a écrit ce qui suit :
« Section III, décision de l'agent de sécurité - Le 5 juillet 2000, une situation existant dans le lieu de travail de M. Hustad constituait un danger : il s'agissait d'un résident qui, malgré de nombreuses plaintes, continuait de laisser aller librement ses chiens agressifs dans le quartier, à n'importe quel moment de la journée. D'après les détails de cette affaire, on pourrait raisonnablement s'attendre, si M. Hustad était tenu de livrer le courrier dans ce quartier, à ce qu'il soit inévitablement attaqué de nouveau et, possiblement, à l'improviste par les chiens laissés en liberté. Le fait qu'il a échappé à cinq attaques de ce genre sans avoir été blessé jusqu'à présent est attribuable tout autant à la chance qu'à la présence d'esprit de M. Hustad. Toutefois, ce dernier ne devrait pas avoir à dépendre de ces deux facteurs pour protéger sa santé et sa sécurité face à un risque considérable qu'il court au travail. En conséquence, je conclus que M. Hustad a été exposé à une situation constituant un danger le 5 juillet 2000, lorsqu'il a été chargé de distribuer le courrier dans la section 3900 de la rue Frances. »
Au cours de son témoignage, l'agent de sécurité Campbell a répété qu'il avait jugé qu'une situation constituant un danger existait pour M. Hustad au moment de son enquête, parce que le propriétaire des chiens laissait délibérément et quand bon lui semblait les animaux se promener librement dans le quartier, sans surveillance. Il a soutenu que la clôture qui avait été construite en avant de la maison du propriétaire des chiens afin de retenir les chiens ne limitait pas le danger parce que le propriétaire détachait délibérément et quand bon lui semblait les chiens, et parce que les chiens pouvaient grimper sur des morceaux de bois placés près de la clôture derrière la maison. L'agent de sécurité Campbell estimait que ce n'était qu'une question de temps avant que les chiens attaquent M. Hustad ou un autre facteur.
Demandeur :
M. Lynd a soumis deux documents. Le premier est constitué de huit réponses à un questionnaire que la SCP, après avoir reçu l'instruction, avait envoyé aux résidents de la section 3900 de la rue Frances. Trois des résidents ont répondu que les chiens en question se promenaient souvent librement dans le quartier et que les chiens étaient menaçants. Cinq résidents ont répondu que les chiens ne présentaient aucun danger et qu'ils ne se souvenaient pas d'avoir vu les chiens en liberté ou qu'ils ne les avaient pas vus récemment.
Le deuxième document est un exemplaire de la politique sur les risques de la SCP. Le document expose les responsabilités des superviseurs et des employés en ce qui concerne les risques, notamment les chiens hostiles, et précise, entre autres, que la livraison du courrier ne doit pas être permise tant que le danger n'a pas été supprimé. M. Lynd a affirmé que la SCP se préoccupe de la sécurité de ses employés et met tout en oeuvre pour prévenir les accidents. Il a ajouté que la SCP donne une formation à ses facteurs sur l'identification des risques, leur fournit du matériel pour se défendre contre les attaques des chiens et leur donne comme consigne, aux termes de la politique sur les dangers, d'interrompre la livraison du courrier tant que le danger n'a pas été supprimé.
Mme Marian Carson, gestionnaire, Santé professionnelle, Sécurité et Environnement, SCP, a témoigné que les chiens sont un danger inhérent pour les facteurs. Elle a affirmé que les blessures attribuables aux morsures de chiens sont, après les pertes d'équilibre et les chutes, la deuxième cause la plus fréquente de blessures pour les facteurs. Elle a affirmé que la SCP aurait du mal à assurer la livraison du courrier si la distribution était suspendue chaque fois qu'un chien menaçait un facteur.
Défendeur :
M. Knight a souscrit au rapport et à la décision de l'agent de sécurité Campbell. Il n'a pas soumis d'autres documents et n'a pas présenté de témoins.
Exposé définitif :
M. Lynd a affirmé qu'il n'y avait pas de danger pour M. Hustad au moment où l'agent de sécurité a procédé à son enquête et que l'instruction devait être annulée. Il a soutenu que l'enquête menée par l'agent de sécurité Campbell ne permettait pas de déterminer si un danger existait en ce qui concerne M. Hustad. Il a prétendu que l'enquête était insuffisante parce que l'agent de sécurité n'avait pas interrogé le propriétaire des chiens ni les autres résidents de la section 3900 de la rue Frances afin de confirmer le fondement de sa décision selon laquelle il existait un danger parce que le propriétaire laissait délibérément et quand bon lui semblait ses chiens en liberté dans le quartier.
Il a souligné que la SCP avait appuyé M. Hustad lorsque ce dernier avait exprimé ses craintes au sujet des chiens et avait appliqué la sanction la plus sévère, c'est‑à‑dire la suspension de la livraison du courrier à la résidence du propriétaire des chiens ainsi que dans le voisinage. Il a témoigné que, une fois que la livraison du courrier a repris, la SCP a permis à M. Hustad d'accomplir d'autres fonctions pendant que des superviseurs et d'autres facteurs distribuaient le courrier dans la section 3900 de la rue Frances. M. Lynd a précisé que cet arrangement a duré 10 mois et que, pendant ce temps, aucun incident ou plainte n'a été documenté au sujet des chiens. Par la suite, au cours du mois de juin 2000, un représentant de la SCP a remarqué qu'une clôture avait été construite devant la maison du propriétaire des chiens, clôture qui semblait pouvoir retenir les chiens. Comme aucune attaque des chiens n'avait été signalée au cours des 10 derniers mois et compte tenu de la construction de la clôture, la SCP a réaffecté M. Hustad à la distribution du courrier dans la section 3900 de la rue Frances, à l'exception de la résidence du propriétaire des chiens. M. Lynd a répété que la SCP estimait qu'il n'y avait aucun danger et que M. Hustad pouvait recommencer à distribuer le courrier à cet endroit; aussi, M. Hustad pouvait suspendre la livraison si d'autres incidents se produisaient avec les chiens.
Enfin, M. Lynd a affirmé que tous les facteurs connaissent tôt ou tard les mêmes problèmes avec des chiens et que la possibilité d'une attaque de chien sur un itinéraire est un risque normal et inhérent au travail du facteur. M. Lynd a ajouté que les facteurs sont formés pour savoir comment réagir à des attaques de chien et disposent de matériel pour se défendre. En outre, la politique sur les risques prévoit que la livraison du courrier doit être suspendue jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de danger.
M. Kennedy a pris la parole pour la SCP et m'a renvoyé à deux décisions antérieures de l'actuel Conseil canadien des relations industrielles[1] (CCRI). Il a indiqué que, dans la décision Montani c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1994), 95 di 157, le Conseil a statué, à la page 7 de la décision, ce qui suit :
« Le droit de refuser de travailler est une mesure d'urgence. Les employés doivent y faire appel dans des situations où ils croient faire face à un danger immédiat ou à un risque imminent de blessures. Il ne peut s'agir d'un danger qui est inhérent au travail ou qui constitue une condition normale de l'emploi. La possibilité de blessures ou de danger ne constitue pas un motif suffisant pour se prévaloir des dispositions sur le refus de travailler, le danger doit bel et bien exister. »
Ainsi, a‑t‑il affirmé, la SCP prétend que l'agent de sécurité a commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'il existait une situation constituant un danger pour M. Hustad attribuable à la probabilité d'une attaque et de blessures.
Il a également cité la décision du CCRI dans l'affaire Paul du Bourg c. Canadien Pacifique Limitée, 1996, 103 di 16, dans laquelle le Conseil a statué que le « danger » doit être immédiat et réel plutôt qu'une simple possibilité de blessure dans l'avenir.
M. Knight a soutenu qu'il ne s'agissait pas d'un danger habituel créé par des chiens, étant donné qu'il s'agissait d'un problème de longue date et que le danger était non seulement attribuable aux chiens mais également à l'attitude du propriétaire des chiens. Ainsi, la situation constituant un danger n'est pas une situation qui est inhérente à l'emploi. Il a également soutenu que la situation de M. Hustad est singulière, parce que le problème demeure irrésolu depuis deux ans et que la SCP n'a jamais fait intervenir le comité de santé et de sécurité dans ce dossier. M. Knight souscrit au raisonnement de l'agent de sécurité Campbell qui l'a amené à conclure qu'il existait un danger et que le danger n'était pas un aspect inhérent du travail. M. Knight a demandé que je confirme l'instruction.
En outre, M. Knight n'a pas tenu compte des décisions du CCRI citées par M. Kennedy parce que ces décisions confirmaient une décision rendue par un agent de sécurité concernant l'absence de danger. Il m'a plutôt renvoyé aux points 4, 5 et 6 de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Alberta Wheat Pool c. Grain Workers’ Union, Local 333 (C.A.F.) ([1994] A.C.F. no 287, no du greffe A-998-91), ainsi qu'à l'affaire Ronald Clavet et Via Rail, 100 di 73, [1996] D.C.C.R.T. no 7 décision no 1158, dossier du Conseil : 950-320. M. Knight a prétendu que les affaires établissent le fondement d'une détermination de danger lorsque le hasard et l'imprévisibilité interviennent dans une situation existant au travail qui pourrait constituer un danger. Il a affirmé que M. Hustad voit de nombreux chiens sur son parcours et que la livraison du courrier n'en a pas été pour autant suspendue, parce que les propriétaires se sont conduits de façon responsable en attachant ou en enfermant leur animal. Comme le comportement du propriétaire des chiens est différent dans la présente affaire, M. Knight a soutenu que la possibilité d'une attaque est toujours présente et que l'agent de sécurité Campbell a eu raison de conclure qu'il existait une situation constituant un danger pour M. Hustad.
Décision :
Question(s) en litige :
La question en litige dont j'ai été saisi est la question de savoir s'il existait une situation constituant un danger au sens du Code au moment de l'enquête menée par l'agent de sécurité sur le refus de travailler de M. Hustad. Si je conviens qu'il existait une telle situation, il me faudra alors décider de modifier ou de confirmer l'instruction.
Dispositions applicables :
Pour trancher cette question, il faut examiner les dispositions applicables de la partie II. Celles‑ci incluent, respectivement :
La définition de « danger » au paragraphe 122(1) du Code. La définition se lit comme suit :
« Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
« danger » Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. » [Le soulignement est de moi]
Le paragraphe 129(2) du Code, qui se lit comme suit :
« 129(2)...Au terme de l'enquête, l'agent de sécurité décide s'il y a danger ou non, selon le cas :
a)...ppour quelque employé d'utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question;
b)...pour l'employé visé au paragraphe (1) de travailler dans le lieu en cause.
Il informe sans délai l'employeur et l'employé de sa décision. » [Le soulignement est de moi.]
Justification de la décision :
Pour trancher la première question, soit la question de savoir s'il existait une situation constituant un danger pour M. Hustad au moment de l'enquête menée par l'agent de sécurité, la définition du mot danger figurant dans le Code doit être examinée en fonction des faits de l'affaire.
En ce qui concerne le Code, la définition du terme « danger » qui y figure prévoit que, pour qu'un danger existe, il faut que le risque ou la situation soit susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. M. Sullivan m'a renvoyé à deux décisions du CCRI, qui ont déjà été évoquées, selon lesquelles le droit de refuser de travailler est une mesure d'urgence qui peut être décrétée lorsque le danger est immédiat, et non un danger futur ou éventuel. Je souscris[2] à ces conclusions. Or, M. Knight a prétendu que ces affaires ne s'appliquent pas à la présente révision, parce que les décisions citées par M. Kennedy renvoyaient à des décisions rendues par des agents de sécurité concernant l'absence de danger au sens du Code. Il a affirmé qu'en l'espèce les faits démontrent qu'il existait une situation constituant un danger pour M. Hustad.
En ce qui concerne les faits en l'espèce, l'agent de sécurité Campbell a témoigné qu'il s'était fondé sur le fait que le propriétaire des chiens avait la réputation de laisser délibérément les chiens en liberté dans le quartier, à n'importe quel moment de la journée, et qu'il avait tenu compte des attaques antérieures des chiens. Il a affirmé que ce n'était qu'une question de temps avant que M. Hustad, ou un autre facteur, fasse l'objet d'une attaque. Il a également affirmé que la clôture construite sur la propriété afin de retenir les chiens ne réduisait pas le risque d'attaque, car le propriétaire laissait délibérément les chiens en liberté.
Toutefois, même si je convenais avec M. Lynd que l'agent de sécurité Campbell aurait dû parler au propriétaire des chiens en question afin de s'assurer que sa décision quant au danger était fondée, il n'en reste pas moins qu'il n'y avait pas de chiens dans la section 3900 de la rue Francis au moment où l'agent de sécurité Campbell a mené son enquête. Ainsi, le danger d'une attaque par des chiens au moment de l'enquête était hypothétique; et même si cette éventualité était fondée, l'agent de sécurité Campbell ne pouvait conclure que le risque ou la situation était susceptible de causer des blessures à une personne qui y était exposée, avant qu'il ne puisse y être remédié.
En outre, M. Lynd a témoigné que la SCP avait réglé le problème en autorisant M. Hustad à accomplir d'autres tâches pendant que d'autres employés de la Société distribuaient le courrier dans la section 3900 de la rue Frances. M. Lynd a également témoigné que le propriétaire des chiens lui avait dit, au cours d'une rencontre qui avait eu lieu après que l'agent de sécurité Campbell avait donné l'instruction, qu'il craignait que le courrier n'était pas livré à ses voisins et qu'il voulait collaborer afin de mettre un terme à cette situation. Quant à M. Knight, il a témoigné que l'affaire n'avait pas encore été soulevée auprès du comité de santé et de sécurité en vue d'un règlement. À mon avis, ces informations confirment que la SCP et le comité de santé et de sécurité avaient les moyens de remédier à la situation constituant un danger avant que M. Hustad ne soit blessé par les chiens. Ainsi, l'agent de sécurité aurait dû faire en sorte que la SCP prenne les mesures voulues pour supprimer immédiatement le risque.
Décision :
La preuve en l'espèce démontre qu'il existait un risque permanent à cause des chiens mentionnés dans cette affaire, mais la preuve n'a pas démontré qu'il existait une situation constituant un danger pour M. Hustad au moment de l'enquête menée par l'agent de sécurité Campbell. En conséquence, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES l'instruction donnée à la Société canadienne des postes par l'agent de sécurité Campbell en vertu du paragraphe 145(2), le 12 juillet 2000.
Décision rendue le 19 septembre 2000.
[1] Auparavant le Conseil canadien des relations du travail (CCRT).
[2] Se reporter à la décision rendue par mon collègue, l'agent régional de sécurité Serge Cadieux, dans l'affaire Terminus Maritimes Fédéraux et Syndicat des débardeurs et Association internationale des débardeurs, le 29 avril 1999, numéro de décision 99‑010, ainsi que la décision que j'ai rendue dans l'affaire Lignes aériennes Canadien international et Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'Aérospatiale, le 26 octobre 1999, numéro de décision 99‑024.
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