Archivée - Decision: 01-024 CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II SANTÉ ET SÉCURITÉ

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Denis Leclair

Demandeur

et

Service correctionnel du Canada

Employeur

et

David Furlotte

Agent de santé et de sécurité 

                                                           

Décision n° 01-024

Date   le 19 novembre 2001          

La présente cause a été entendue par Serge Cadieux, agent d’appel, à Moncton (Nouveau-Brunswick), le 4 octobre 2001.

Ont comparu 

M. Vernon Brido, agent de correction, pour l’employé, M. Denis Leclair.

Mme  Anna Gaston, directrice adjointe par intérim, Service correctionnel du Canada, Établissement de l’Atlantique, Renous (N.-B.)


[1] La présente affaire porte sur un appel interjeté par M. Denis Leclair en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) contre une décision d’absence de danger rendue par David Furlotte, agent de santé et de sécurité, Développement des ressources humaines Canada, le 14 décembre 2000.

[2] L’agent de santé et de sécurité David J. Furlotte raconte qu’aux environs de 1 h 05, le jeudi 14 décembre 2000, on lui a signalé un refus de travailler à l’Établissement de l’Atlantique, à Renous (N.-B.). Un agent correctionnel à l’emploi du Service correctionnel du Canada, M. Denis Leclair, refusait de travailler parce que, selon lui, le fait qu’on ait assigné quatre détenus à nettoyer les salles de l’établissement pendant la période d’isolement normale pouvait engendrer un danger. M. Leclair a expliqué que la situation serait dangereuse pour les détenus s’il éclatait une dispute entre eux ou qu’elle pourrait devenir dangereuse pour la personne chargée de surveiller les travaux de nettoyage.

[3] L’agent de santé et de sécurité s’est rendu sur les lieux le jour même. Il a rencontré l’employé qui refusait de travailler et a visité les secteurs où les quatre détenus travaillaient. Il a constaté que les secteurs en question étaient confinés par des barrières et que les détenus n’étaient pas en contact direct avec les gardes. Leurs mouvements étaient limités aux secteurs auxquels ils étaient assignés pour s’acquitter de leurs tâches. L’agent de santé et de sécurité a également constaté qu’il y avait d’autres agents au poste de contrôle ainsi qu’un agent supplémentaire dans chaque unité et une personne, nommée agent polyvalent, qui fait des tournées. M. Leclair s’était aussi dit préoccupé pour la sécurité des gardes qui escortaient les détenus pour les amener vers les lieux de travail et les ramener puisqu’il n’y avait pas un nombre suffisant d’agents pour accompagner chaque détenu.

[4] M. Vernon Brido, le représentant de M. Leclair, a expliqué que l’Établissement de l’Atlantique à Renous est une prison à sécurité maximale. M. Brido a expliqué que lorsqu’on a ouvert l’établissement, deux agents mobiles étaient assignés au périmètre de l’établissement et un autre à la porte, situation qui a considérablement changé depuis. Il a demandé à l’agent de santé et de sécurité si ce dernier avait eu l’impression, lorsqu’il avait mené son enquête, que les gardes étaient préparés à faire face à la situation si les détenus décidaient de créer des problèmes. L’agent de santé et de sécurité a répondu que les détenus étaient confinés à leurs cellules et que, par conséquent, ils n’étaient nullement en position de créer des problèmes.

[5] M. Brido a demandé à l’agent de santé et de sécurité s’il avait parlé au surveillant de l’établissement ce soir-là afin de déterminer si ce dernier estimait que le pénitencier étaient un endroit sécuritaire. Le surveillant avait répondu qu’il estimait que le pénitencier n’était pas sécuritaire. Lorsqu’on lui a demandé si, selon lui, il avait toute l’information nécessaire pour prendre une décision ce soir-là, l’agent de santé et de sécurité a répondu qu’il estimait avoir tous les renseignements voulus puisqu’il avait rencontré tous les intéressés, c.-à-d. le surveillant, le demandeur et les membres du comité de santé et de sécurité. Après avoir rencontré ces derniers, le groupe s’était rendu dans le secteur en question pour y constater de visu quelles étaient les circonstances. Lorsque M. Brido a demandé à l’agent de santé et de sécurité s’il jugeait que les détenus constituaient un danger potentiel, l’agent de santé et de sécurité a répondu que les détenus ne représentaient pas un danger pour les agents.

[6] M. Brido est préoccupé par le fait que, même si l’agent de santé et de sécurité est une personne qualifiée, il ne connaît pas suffisamment l’établissement, il n’est pas agent de correction, donc il traite le potentiel de danger dans l’établissement comme s’il s’agissait d’une industrie et non d’un établissement correctionnel. Sur ce point, M Brido craint que l’agent ne soit pas suffisamment au courant des mécanismes d’un établissement de ce genre et, par conséquent, qu’il ne comprenne pas les dangers qui menacent les agents de correction.

[7] Mme Anna Gaston, directrice adjointe par intérim, coprésidente pour l’employeur du Comité de santé et de sécurité à l’Établissement de l’Atlantique à Renous a indiqué que l’établissement se fie beaucoup sur le travail des détenus pour assurer le nettoyage. Durant la journée, étant donné la quantité de mouvement parmi la population des détenus, il est à toutes fins utiles impossible de faire un bon nettoyage. C’est pourquoi les détenus font le nettoyage durant le quart de nuit qui commence à 23 h et se termine à 7 h. 

[8] Mme Gaston a déposé une série de plans de l’Établissement montrant le secteur des cellules et les corridors que les détenus doivent entretenir. Elle a indiqué sur le diagramme les divers postes de contrôle armés dans les différents secteurs et elle a également signalé un poste de contrôle armé supplémentaire qu’elle a appelé le poste de contrôle Y, ajouté justement à cause des activités de nettoyage qu’il fallait confier aux détenus. Les barrières derrières lesquelles sont gardés les détenus ne s’ouvrent que manuellement, une à la fois, à partir du poste de contrôle armé. Elle a expliqué que les détenus étaient appelés à nettoyer, à divers moments, dans chacune des sections indiquées sur le diagramme. Leurs mouvements sont alors contrôlés par l’un ou l’autre des agents des postes armés.

[9] Mme Gaston a expliqué que la nuit en question, il y avait au total cinq gardes armés à l’intérieur et deux gardes armés à l’extérieur de l’établissement. Ainsi, parmi les personnes capables de réagir à n’importe quelle situation ce soir-là, il y avait :

*  un surveillant du nettoyage, M. Finnigan, qui accompagne les détenus pendant leurs corvées de nettoyage. M. Finnigan n’est pas un agent de correction; 

*                     un agent polyvalent i.e. un agent qui fait des tournées;

*                     n’importe quel des agents sur les lieux;

*                     l’agent mobile. 

[10] M. Leclair a témoigné pour son propre compte. Il a indiqué que ce soir-là il travaillait au poste de contrôle central. M. Leclair a affirmé qu’il n’y avait aucun danger direct pour lui-même à ce moment-là, mais il estimait qu’il devait veiller à la sécurité de tout le personnel, des détenus et des autres personnes présentes. M. Leclair a expliqué qu’il a commencé à s’inquiéter lorsqu’on lui a remis une note de service signalant que les détenus feraient le nettoyage de l’établissement durant le quart de nuit. M. Leclair trouvait cette situation inquiétante parce qu’il jugeait imprudent de la part de l’établissement de laisser les détenus nettoyer l’établissement durant ce quart puisqu’à ces heures-là, les détenus ne peuvent sortir de leur cellule que dans une situation d’urgence.

[11] M. Leclair a expliqué qu’en général, les détenus ne doivent pas rester à l’extérieur de leurs cellules à moins qu’il y ait deux agents pour les recevoir et les accompagner s’il survient une situation d’urgence, par exemple lorsqu’il faut se rendre à l’infirmerie ou quelque chose du genre. Seules les situations de ce genre sont jugées des situations d’urgence. M. Leclair a indiqué que le nettoyage de l’établissement n’est pas une situation d’urgence et que, par conséquent, il n’était pas justifié de laisser sortir les détenus.

[12] Lorsqu’on lui a demandé qui, selon lui, était en danger ce soir là, il a répondu que tous ceux qui se trouvaient sur les lieux étaient en danger, mais particulièrement M. Finnigan, le surveillant du nettoyage, puisqu’il se trouvait parmi les détenus. M. Leclair a reconnu que 99 p. 100 du temps, il ne se passe rien dans l’établissement, mais il reste ce 1 p. 100 qui représente généralement des incidents désastreux.

[13] Mme Gaston a ajouté que les quatre détenus en question avaient été choisis pour faire le nettoyage lorsque le surveillant du nettoyage s’était rendu à l’unité pour parler à l’agent de correction et lui demander quels détenus conviendraient pour ce genre de travail. L’agent de correction connaissait les détenus et avait recommandé ceux-ci au surveillant du nettoyage.

[14] Mme Gaston a reconnu que M. Leclair ne craignait pas un danger pour sa personne, mais qu’il s’inquiétait plutôt de l’établissement dans son ensemble. En l’occurrence, Mme Gaston jugeait que l’établissement avait pris des mesures de sécurité supplémentaires en instaurant le poste de contrôle Y, en veillant à ce que le surveillant du nettoyage soit présent auprès des détenus et les surveille à intervalles réguliers, et en demandant à l’agent de correction de l’unité de recommander des détenus qui pourraient sortir de leurs cellules pour faire le nettoyage. Elle jugeait qu’on avait correctement géré le risque, lequel, selon sa déclaration, était « un risque facile à assumer ».

[15] M. Leclair a fait valoir que les détenus préparent parfois des évasions et que le problème avec le fait de faire nettoyer les planchers par les détenus est que, s’il survenait une évasion, il y aurait quatre détenus avec toute la liberté de mouvement voulue pour prêter main-forte aux autres détenus qui cherchent à s’évader. En revanche, M. Leclair a admis qu’il n’avait pas reçu d’information spécifique indiquant qu’il allait se produire quelque chose en ce 14 décembre. Aucune rumeur à cet effet ne circulait dans l’établissement. En outre, M. Leclair a admis que le surveillant qui se trouvait parmi les quatre détenus ne craignait pas pour sa sécurité et que, de toute manière, chaque fois qu’il entrait travailler, il se plaçait en situation de danger potentiel. C’est là une condition normale de son poste.

[16] M. Brido a ajouté que, s’il se produisait une situation d’urgence durant le quart de nuit, l’établissement n’aurait pas accès au même nombre d’agents pour contrôler la situation étant donné qu’on fonctionne avec des effectifs réduits durant ce quart. M. Brido a clos l’audience en expliquant que les agents de correction considèrent qu’ils ont été oubliés dans le Code, bien qu’il s’agisse d’une fonction qui existe depuis 125 ans. Les gens de DRHC ne comprennent pas leur genre d’environnement. M. Brido a également indiqué qu’il y avait, à l’heure actuelle, 36 agents de correction qui restaient à la maison, à cause de maladies, de blessures ou de bien d’autres raisons du même genre, pourtant, on ne peut rien faire pour protéger ces gens. Selon M. Brido, il existe un problème sur le plan des effectifs minimum, mais personne ne semble vouloir le régler.

[17] Pour finir, Mme Gaston a ajouté que la direction ne cherchait pas à faire la sourde oreille aux demandes pour un environnement sécuritaire pour tous les employés. Cependant, a-t-elle précisé, un service correctionnel n’est pas un milieu exempt de risques. Au contraire, ce milieu comporte des risques considérables. Elle estime néanmoins que les autorités ont réagi correctement en fournissant un poste armé supplémentaire ce soir-là et juge que les effectifs étaient suffisants le soir où M. Leclair a refusé de travailler.

* * *

[18] Lorsqu’il est averti d’un refus de travailler, l’agent de santé et sécurité doit mener une enquête et décider s’il existe ou  non un danger. La définition du terme danger proposée au paragraphe 122 (1) du Code et :

« danger » Situation, tâche ou risque -- existant ou éventuel -- susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade -- même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats --, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[19] J’ai déjà eu à examiner le concept de danger après l’entrée en vigueur des modification au Code le 30 septembre 2000. Dans l’affaire Darren Welbourne c. Canadian Pacific Railway Company, j’avais expliqué :

[16] Cette nouvelle définition du terme est similaire à l’ancienne définition, stipulée avant que le Code soit modifié, et qui se lisait comme suit :

«danger» Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu’il ne puisse y être remédié.

[17] La définition actuelle du «danger» vise à améliorer la définition du même  terme que l’on retrouvait avant la modification du Code, qui était jugée comme trop limitative pour protéger la santé et la sécurité des employés. Selon la jurisprudence basée sur l’ancienne notion de danger, celui-ci devait être présent et immédiat au moment de l’enquête de l’agent de santé et sécurité. La nouvelle définition élargit cette notion pour tenir compte des risques, situations ou tâches éventuels.  Cette approche reflète mieux le but du Code, énoncé à

l’article 122.1:

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[18] Selon la définition actuelle du terme, le risque, la situation ou la tâche n’ont plus à être présents uniquement lors de l’enquête de l’agent de santé et sécurité, mais peuvent l’être éventuellement ou dans le futur. Le New Shorter Oxford Dictionary, édition de 1993, définit le mot «potential (éventuel)» ainsi : «possible, par opposition à réel; capable de se produire; latent.» Le dictionnaire Black’s Law Dictionary, septième édition, définit «potential» comme «capable de se produire; possible». L’expression «future activity» (tâche éventuelle) indique que cette tâche n’est pas «réellement» exécutée [en présence de l’agent de santé et sécurité], mais devra être éventuellement effectuée par une personne. Par conséquent, en vertu du Code, le danger peut aussi être éventuel dans la mesure où le risque, la situation ou la tâche peut prendre place et est susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou la rendre malade avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[19] La situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Donc, cette notion «d’être susceptible de causer» exclut toutes situations hypothétiques.  

[20] L’expression «avant que le risque soit écarté ou la situation corrigée» a été interprétée comme signifiant que des blessures ou une maladie vont probablement être causées sur place et à l’instant, c’est-à-dire immédiatement[1]. Toutefois, dans la définition actuelle du terme «danger», la mention de risque, de situation ou de tâche doit être interprétée en tenant compte du risque, de la situation ou de la tâche existants ou éventuels, ce qui semble éliminer de la notion précédente de danger le préalable que des blessures ou la maladie se produiront raisonnablement sur-le-champ. En fait, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l’exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Donc, étant donné la gravité de la situation, il doit y avoir un niveau raisonnable de certitude qu’il y aura effectivement une blessure ou une maladie immédiatement s’il y a une exposition au risque, à la situation ou à la tâche, à moins qu’on élimine le risque, que l’on corrige la situation ou que l’on modifie la tâche. En sachant cela, on ne peut attendre qu’un accident se produise, d’où le besoin d’agir rapidement et immédiatement dans de telles situations.

 [20] En l’espèce, l’agent de santé et de sécurité a examiné les faits pertinents quant au danger que craignait M. Leclair et il a décidé qu’il n’existait pas de danger. J’abonde dans le même sens que l’agent de santé et de sécurité pour les raisons suivantes.

[21] Premièrement, l’agent de santé et de sécurité a décidé qu’il n’existait pas de danger en se fondant sur les faits suivants :

·      Il a constaté que les secteurs en question étaient fermés par des barrières et que les détenus n’étaient pas en contact direct avec les gardes.

·      Les détenus ne pouvaient se déplacer que dans les secteurs où ils devaient accomplir leurs tâches. 

·      L’agent de santé et de sécurité a constaté qu’il y avait d’autres agents au poste de contrôle ainsi qu’un agent supplémentaire dans chaque unité et une personne, appelée « agent polyvalent », qui fait des tournées.

[22] Les faits rassemblés par l’agent de santé et de sécurité sont suffisants pour justifier sa décision à l’effet que les détenus ne représentaient pas un danger pour les agents de correction. L’allégation selon laquelle, dans l’éventualité d’une évasion, les détenus pourraient aider ceux qui cherchaient à s’évader, est très hypothétique. D’ailleurs, M. Leclair a dû admettre qu’il n’avait aucune raison de craindre une évasion ce soir-là et qu’il n’avait entendu aucune rumeur à cet effet. Il n’y avait tout simplement aucune raison de craindre que ces quatre détenus triés sur le volet pour nettoyer l’établissement durant le quart de nuit puissent représenter une plus grande source de danger que durant la journée, compte tenu du genre d’environnement.

[23] Dans un environnement à sécurité maximale, comme celui de l’Établissement de l’Atlantique, le risque de se faire attaquer par un ou plusieurs détenus violents est une réalité constante qui fait partie inhérente du travail des agents de correction. Il va de soi que les agents de correction doivent constamment être aux aguets lorsqu’ils travaillent avec les détenus et qu’ils doivent être très conscients de leur environnement. Dans un environnement à sécurité maximale, dès qu’on modifie les procédures on augmente le degré de nervosité de ceux qui sont chargés de veiller à la sécurité. Ils se mettent à craindre pour leur propre sécurité. Dans le cas de M. Leclair, il s’agissait plutôt d’une inquiétude pour la sécurité de tous les employés de l’établissement. M. Leclair a admis qu’il n’avait pas d’information spécifique ou de raison de croire qu’il allait se produire quelque chose.  Selon moi, il exprimait tout simplement son inquiétude et son désaccord, ainsi que celui des autres, face à la politique de l’établissement d’utiliser les détenus considérés comme des criminels dangereux pour nettoyer l’établissement. Cependant, les craintes de M. Leclair ne sont pas fondées sur des faits. Ses inquiétudes étaient hypothétiques et, par conséquent, ne correspondent pas au danger comme on le définit dans le Code.

[24] Deuxièmement, sur le plan technique, l’agent de santé et de sécurité n’aurait pas pu déclarer que M. Leclair était en danger après que celui-ci eut refusé de travailler. En effet, le refus de travailler signifié par M. Leclair dépassait les paramètres qui délimitent le droit de refuser de travailler. Alors qu’un agent de santé et de sécurité peut décider s’il existe un danger quelles que soient les conditions dans lesquelles l’employé a refusé de travailler, il doit d’abord décider si la situation qui fait l’objet de l’enquête constitue un danger pour l’employé ou pour tout autre employé susceptible de subir le contrecoup des gestes posés par l’employé qui refuse de travailler. En l’espèce, les dispositions qui autorisent M. Leclair à refuser de travailler ne s’appliquent pas à lui. Il s’agit notamment des paragraphes 128 (1) et (2) du Code. Ces dispositions se lisent comme suit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(2) L'employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d'une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[25] Le paragraphe 128(1) prévoit des conditions spécifiques pour qu’un employé puisse exercer ce droit dans son lieu de travail. Plus précisément, en vertu de l’alinéa 128 (1) a), l’employé peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose s’il a des motifs raisonnables de croire que l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé. En l’espèce, M. Leclair n’utilisait pas ou ne faisait pas fonctionner une machine ou une chose et, par conséquent, cet aspect du droit de refuser de travailler n’est pas pertinent. De toute évidence, l’alinéa 128(1) a) ne s’applique pas à la présente espèce.

[26] De même, en vertu de l’alinéa 128(1) b), l’employé peut refuser de travailler dans un lieu s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est dangereux pour lui de travailler dans ce lieu, l’employé, en l’espèce, étant M. Leclair. Celui-ci a clairement énoncé dans son témoignage qu’il n’y avait aucun danger direct pour lui-même et qu’il n’avait jamais eu l’impression de compromettre sa santé ou sa sécurité en occupant ce poste. Il s’agit-là d’un point important, car d’aucuns pourraient soutenir que cette disposition s’applique au cas de M. Leclair si celui-ci estimait que les décisions de l’établissement engendraient pour lui un risque de blessure. Puisqu’il n’en est rien, l’alinéa 128(1) b) ne s’applique pas non plus à M. Leclair ou à quiconque puisque l’alinéa restreint l’application à l’employé qui refuse de travailler et non aux autres employés ou aux détenus qui, soit dit en passant, ne sont pas visés par le Code. M. Leclair a refusé de travailler parce qu’il jugeait que les décisions de l’établissement, c.-à-d. permettre aux quatre détenus de nettoyer l’établissement durant le quart de nuit, créait une situation potentiellement dangereuse pour les détenus, le surveillant du nettoyage et les gardes qui accompagneraient les détenus vers leurs cellules. M. Leclair était inquiet de manière générale pour les personnes qui se trouvaient à l’intérieur de l’établissement, mais pas particulièrement pour lui-même. Par conséquent, l’alinéa 128(1) b) ne s’applique pas en l’espèce.

[27] Enfin, en vertu de l’alinéa 128(1) c), l’employé peut refuser de travailler s’il a des raisons de croire que l’accomplissement de sa tâche constitue un danger pour lui-même ou pour un autre employé. Cependant, l’activité de M. Leclair le jour de son refus de travailler était de fournir des services de sécurité essentiels au sein de l’établissement en travaillant au poste de contrôle central. Absolument rien ne porte à croire que cette activité était une source de danger pour M. Leclair ou pour qui que ce soit d’autres, c’est-à-dire M. Finnigan qui travaillait avec les détenus ou les autres gardes qui travaillaient en même temps que lui. Cette disposition aurait peut-être pu s’appliquer si M. Finnigan avait refusé de travailler avec les détenus ou si les gardes avaient refusé d’accompagner les détenus à leurs cellules, mais rien de tout cela ne s’est produit, même si je suis loin d’être certain que leur démarche aurait mieux réussi que celle de M. Leclair étant donné que ces fonctions font partie intégrante de leurs conditions d’emploi, comme il est précisé à l’alinéa 128(2) b) ci-dessus. En fin de compte, cette analyse nous apprend que l’alinéa 128(1) c) ne s’applique pas non plus au refus de travailler de M. Leclair.

[28] Les circonstances dont M. Leclair fait état ne l’autorisaient pas à exercer son droit de refuser de travailler. Cependant, puisque l’inquiétude générale exprimée par M. Leclair était des préoccupations qui dépassent clairement le cadre de l’article 128, cette question aurait dû être traitée au moyen du Processus de règlement interne des plaintes dont il est question à l’article 127.1 du Code. Ce processus a été conçu pour les plaintes plus générales exprimées par les employés hors des dispositions sur le refus de travailler.

[29] Pour toutes les raisons expliquées ci-dessus, je confirme la décision de l’agent de santé et de sécurité.

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Serge Cadieux

Agent d'appel


 

SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

Décision n° :               01-024

Demandeur :              Denis Leclair

Employeur :               Service correctionnel du Canada

MOTS CLÉS :           

Nettoyage de l’établissement, détenus (liberté de mouvements), postes de contrôle armés, quart de nuit, évasion, urgence, danger, sécurité maximale.

DISPOSITIONS :

Code :  128

Regulation: 

RÉSUMÉ :                

Un agent de correction a refusé de travailler durant le quart de nuit (de 23 h à 7 h ) parce qu’il jugeait que les employés de l’Établissement de l’Atlantique couraient un danger. La raison du refus de M. Leclair était qu’on avait choisi quatre détenus pour faire le nettoyage des salles de l’établissement, un pénitencier à sécurité maximale, pendant les heures d’isolement. M. Leclair estimait que cette situation constituait un danger au sens du Code puisque, si une évasion préméditée avait lieu, les contrevenants pourraient bénéficier de l’aide de quatre détenus ayant leur liberté de mouvement à l’intérieur de l’établissement. L’agent de santé et de sécurité a constaté que les déplacements des quatre détenus étaient limités par des barrières et qu’il y avait un nombre suffisant d’agents pour faire face à toutes les urgences. En appel, l’agent d’appel a indiqué qu’il était du même avis que l’agent de santé et de sécurité. Il a même ajouté que les raisons pour lesquelles l’agent de correction avait refusé de travailler tombaient hors du cadre de l’article 128 du Code. En l’espèce, non seulement il n’existait pas de danger, mais les conditions dans lesquelles M. Leclair aurait été dans son droit de refuser de travailler n’étaient pas présentes. Pour toutes ces raisons, l’agent d’appel a confirmé la décision d’absence de danger rendue à l’origine par l’agent de santé et de sécurité.



[1] Brailsford v . Worldways Canada Ltd. (1992), 87 di 98 (CCRT)

  Bell Canada v. Travail Canada  (1984), 56 di 150 (CCRT)

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