Archivée - 02-005 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Service correctionnel du Canada – Établissement Drumheller, demandeur
et
M. Larry DeWolfe, Coprésident du comité de la santé et de la sécurité au travail de l’établissement Drumheller (aussi appelé pénitencier Drumheller), pour les employés
et
Neil S. Campbell, agent de santé et de sécurité

Décision no 02-005

Le 9 mai 2002

L’agent d’appel a entendu cette affaire à Calgary (Alberta) du 12 au 14 décembre (inclus) 2001.

Ont participé à cette audience

M. Richard Fader, avocat de l’établissement Drumheller.

M. Larry DeWolfe, coprésident du comité de santé et de sécurité au travail de l’établissement Drumheller.

[1] Le 10 mai 2001, les agents de correction James Schellenberg et Dan Wood ont commencé leur poste du soir dans les unités résidentielles 8 et 11, respectivement, de l’établissement Drumheller. Peu après, aux environs de 15 h 45, les deux agents ont refusé de travailler, se plaignant d’un danger éventuel dû au fait que la direction n’avait pas prévu suffisamment de personnel pour leurs unités, que les tensions étaient fortes dans l’établissement et que les détenus les avaient menacés dans la journée.

[2] Après avoir mené son enquête sur ces deux refus de travailler, l’agent de santé et de sécurité Campbell a conclu à l’existence d’un danger pour les employés et donné une instruction à M. Tim Fullerton, directeur de l’établissement Drumheller. L’instruction, ci‑jointe, ordonnait à M. Fullerton de prendre immédiatement des mesures pour remédier à la situation dangereuse. Il y est dit ce qui suit :

[Traduction]…les effectifs minimums fixés par la consigne du poste de surveillance des blocs cellulaires (modifié le 9.4.2001) pour toutes les équipes ne sont pas maintenus, situation qui met en danger la santé et la sécurité des agents de correction travaillant dans les unités résidentielles. »…

[3] Le 7 juin 2001, M. Kerry Scullion, avocat du Service correctionnel du Canada, a fait appel de cette instruction en vertu de l’alinéa 146.1(1) du Code canadien du travail, Partie II (appelé ci‑après le Code ou la Partie II). Une audience s’est tenue à Calgary (Alberta) du 12 au 14 décembre inclus.

[4] L’agent de santé et de sécurité Campbell soumet son rapport à l’audience et est entendu comme témoin. Je retiens ce qui suit de son rapport et de son témoignage.

[5] Les agents de santé et de sécurité Neil Campbell et Terry Baker sont arrivés à l’établissement Drumheller aux environs de 21 h pour enquêter sur les refus de travailler. Ils ont tout d’abord rencontré le directeur Tim Fullerton qui leur a dit que le confinement aux cellules avait été décrété suite aux refus de travailler et que tout était tranquille dans les unités. Le directeur a ajouté que le niveau de tension de l’établissement Drumheller était évalué quotidiennement et n’était pas anormalement élevé ce jour‑là. Il leur a fait savoir, en outre, que même dans les cas où quatre agents de correction étaient affectés à une unité résidentielle, deux d’entre eux étaient responsables d’autres postes, ce qui ne laissait parfois que deux agents dans les unités.

[6] Les agents de santé et de sécurité ont, par la suite, rencontré les agents de correction Schellenberg et Wood qui avaient refusé de travailler. Ces derniers leur ont dit que la consigne prévoyait quatre agents de correction dans les unités résidentielles pour les postes du soir. Sur ces quatre, l’un est chargé de patrouiller dans la cour et à l’extérieur des lieux occupés par les détenus tandis que les trois autres restent dans l’unité. Avec trois agents sur place, deux peuvent intervenir en cas d’incident avec les détenus tandis que le troisième reste au poste de contrôle (couramment appelée la « bulle »). Les agents de correction font valoir qu’au nombre de trois, ils sont en danger pour s’occuper d’une unité. S’ils ne sont que deux, seul l’un d’entre eux est là pour intervenir en cas d’incident avec un ou plusieurs détenus parce que l’autre doit rester dans la bulle.

[7] L’agent Campbell note dans son rapport qu’une consigne intitulée « Cell Block Surveillance Posts », c’est‑à‑dire la consigne du poste de surveillance des blocs cellulaires, (modifiée le 9. 4. 2001) prévoit quatre agents de correction pour le soir. Il estime qu’en n’affectant que trois agents aux unités résidentielles 8 et 11, il y a danger. Il renvoie aussi à l’affaire Ken Fletcher, Claude J. Gallant, Fred W. Johnson, L.P. Leblanc, Philippe Leclerc, James A. McLeod, Steven J. Richard et J. R. Hebert et Conseil du Trésor du Canada, dossier 165-2-209 à 216, référence 2000 CRTFP 86, où le membre du Conseil Anne Bertrand avait conclu à un danger en cas d’effectifs minimums. Il fait observer que Mme Bertrand a également jugé que le danger résultant d’une réduction des effectifs à moins de deux personnes dans une unité résidentielle ne faisait pas partie des conditions de travail normales des agents de correction.

[8] L’agent de santé et de sécurité Campbell confirme qu’il n’a pas examiné le tableau de service ni demandé à la direction de l’établissement Drumheller s’il y avait d’autres agents, ce soir‑là, pour porter assistance à ceux des unités 8 ou 11, le cas échéant. Il confirme également qu’il n’a pas demandé à la direction de l’établissement Drumheller comment l’on avait interprété et appliqué la consigne du poste de surveillance des blocs cellulaires dans le passé à l’établissement. Enfin, il confirme qu’il ne savait pas que les agents de correction de Drumheller avaient reçu l’ordre de la direction de ne pas intervenir en cas d’incident dans une unité sans l’aide d’un autre agent. L’agent de santé et de sécurité Campbell reconnaît que les détenus ont été confinés dans leurs cellules lors de son enquête et que tout semblait en ordre.

[9] MM. Schellenberg, Wood et Roberts témoignent à l’audience. Je retiens ce qui suit de leur témoignage.

[10] M. Schellenberg répète pourquoi il a refusé de travailler le 10 mai 2001. Dans son témoignage, il déclare avoir lu dans un rapport établi ce jour‑là par un surveillant de liberté conditionnelle qu’un détenu de l’unité 8 avait menacé ce dernier un peu plus tôt. Il a aussi appris qu’un détenu de l’unité 11 avait agressé l’agent de correction Wood le jour précédent au cours d’une fouille antidrogue. Il a eu l’impression que celle‑ci avait encore plus contrarié les détenus impliqués, puisque ceux‑ci avaient ensuite été placés dans le secteur d’isolement.

[11] M. Schellenberg maintient qu’avec seulement deux agents dans l’unité, on ne doit compter sur aucune aide immédiate en cas d’attaque, puisque l’autre agent doit rester dans la bulle vitrée, et que deux minutes peuvent s’écouler avant que quelqu’un effectuant une patrouille dans la cour ou occupé dans une autre unité ou un autre bâtiment n’intervienne. Il déclare également dans son témoignage qu’il n’avait pas prévu de refuser de travailler avant de prendre son poste et qu’il n’avait été contraint par personne de le faire. Il reconnaît que le confinement aux cellules à la suite des refus de travailler s’est déroulé sans incident et que les portes des cellules de l’unité ont ensuite été fermées.

[12] M. Wood déclare qu’il est agent de correction I et qu’il n’est employé à Drumheller que depuis janvier 2000. Le 9 mai, le jour avant celui où il a refusé de travailler, il a effectué une fouille antidrogue dans l’unité 11. Au cours de cet incident, il a subi une contusion à la hanche et le détenu l’a menacé de lui faire encore plus de mal. Dans la journée, d’autres détenus de l’unité 11 ont fait des gestes menaçants à son encontre pendant ses tournées d’inspection normales dans l’unité. Il en a conclu que la nouvelle de sa fouille antidrogue s’était répandue dans toute l’unité 11 et que la tension était forte.

[13] Le jour suivant, qui était le 10 mai, il a été affecté à l’unité 11 comme agent de correction II. Quand il est arrivé pour son poste du soir, il a remarqué que 6 à 8 détenus se tenaient dans le passage couvert vers l’unité 11. Quand il est passé à côté d’eux, ils ont eu des gestes de menace à son encontre. Au cours de cette période de travail, lui et d’autres agents de correction ont dû se rendre dans un secteur de la prison interdit aux détenus pour interrompre une partie de carte prohibée. M. Wood déclare dans son témoignage qu’une vingtaine des détenus présents ont brandi des clubs de golf de façon menaçante.

[14] M. Wood répète qu’il a refusé de travailler parce que l’unité 11 fonctionnait avec des effectifs minimums ce soir‑là et parce que les incidents et les tensions étaient de plus en plus évidents dans la prison. Il ajoute qu’un détenu de l’unité 11 devait être escorté jusqu’à une réunion « AA » au cours de la soirée, ce qui aurait laissé dans l’unité deux agents de moins que la normale.

[15] M. Terrel Roberts déclare qu’il est agent de correction II à la prison Drumheller et qu’il fait partie du comité de santé et de sécurité au travail. Il déclare avoir été menacé le 9 mai 2001 et qu’il est au courant des incidents dont ont parlé les agents de correction Schellenberg et Wood dans leur témoignage. Quand il a pris son service le 10 mai, il s’est rendu compte que les unités 8 et 11 fonctionnaient avec des effectifs minimums. Comme il estimait que la violence dépassait le niveau normalement accepté, il a téléphoné aux agents de correction Schellenberg et Wood en sa qualité de représentant du comité de santé et de sécurité au travail, pour les aviser du droit que leur conférait le Code de refuser de travailler et leur donner des explications sur les dispositions figurant en la matière dans la Partie II. Il maintient fermement que le refus de travailler des agents de correction Schellenberg et Wood n’avaient été nullement prévu ni organisé.

[16] Au cours d’un autre témoignage, M. Roberts déclare, en outre, que les radios bidirectionnelles dont se servent les agents de correction à Drumheller pour appeler à l’aide ne sont pas équipées d’un dispositif indiquant l’état des piles. Par conséquent, il est arrivé que les radios tombent brusquement en panne. M. Roberts ajoute que les agents de correction ne sont pas dotés d’alarmes individuelles pour appeler à l’aide en cas d’attaque.

[17] M. Goruik, qui était sous‑directeur de l’établissement Drumheller au moment de ces refus, déclare avoir travaillé à Drumheller pendant ses 35 ans de service. Il fait savoir que Drumheller est une prison à sécurité moyenne, où les agents de correction courent généralement moins de risques que dans un établissement à sécurité maximale. Comme d’autres prisons à sécurité moyenne, Drumheller est axé sur les programmes, ce qui fait que les détenus peuvent circuler dans la prison et participer à des programmes théoriques ou professionnels en atelier. Ils peuvent aussi obtenir des laissez‑passer temporaires pour s’absenter de l’établissement.

[18] Selon M. Goruik, l’établissement Drumheller procède régulièrement à des examens et à des évaluations du risque que présentent les prisonniers pour la sécurité à l’aide d’une matrice du Service correctionnel du Canada. Entre autres éléments, cette matrice prend en considération le crime initialement commis par le détenu, son comportement depuis qu’il est en prison et la bonne volonté et les efforts dont il fait preuve pour sa réadaptation. Les détenus peuvent progresser d’une catégorie de sécurité à une autre – maximale, moyenne et minimale – et régresser en sens inverse. Quand le détenu change de statut, il est transféré dans un établissement correspondant.

[19] Chaque unité résidentielle de l’établissement Drumheller se compose de trois rangées sur deux niveaux et d’un poste de contrôle ou bulle situé au milieu. Dans une prison à sécurité moyenne, il est courant de ne pas fermer la porte de la bulle à clé. Les agents qui s’y trouvent peuvent voir presque jusqu’au bout des rangées supérieures et une partie des rangées inférieures. Les parties des rangées supérieures et inférieures non visibles sont équipées de caméras vidéos surveillées à partir de la bulle. M. Goruik admet que les détenus pourraient obstruer temporairement les caméras s’ils étaient décidés à le faire.

[20] Les cellules de Drumheller sont équipées de portes d’acier et chaque rangée possède deux barrières de sécurité composées d’une porte grillagée et d’un élément coupe-feu et anti‑émeute en acier. La fermeture des ces barrières se fait à partir de la bulle. M. Goruik reconnaît, toutefois, que les détenus pourraient empêcher la fermeture de l’élément anti‑émeute en plaçant des objets sur le sol.

[21] Pour la protection des agents de correction, la bulle de contrôle de chaque unité résidentielle est équipée d’une alarme de protection individuelle, d’une radio bidirectionnelle et d’un téléphone. Cette alarme n’est pas transportée par les agents de correction, mais elle reste dans la bulle de contrôle. Une fois qu’elle est déclenchée, le son est relayé par radio bidirectionnelle à d’autres agents de l’établissement qui peuvent alors intervenir. En cas d’incident, on peut fermer la porte de la bulle à clé et les agents de correction ont la possibilité de se retirer dans un autre local de sécurité situé à l’arrière de la bulle. Ce local peut être fermé à clé et il possède une issue de secours.

[22] Pour ce qui est de la consigne du poste, le sous-directeur Goruik déclare que l’on ne déroge pas à celle‑ci en n’affectant que trois agents aux unités 8 et 11 et que cette interprétation et cette pratique sont en vigueur depuis 20 à 30 ans dans l’établissement Drumheller, sans incident. On peut augmenter les effectifs, et on les augmente en effet, si la situation est telle que l’on a besoin de personnel supplémentaire pour éviter les problèmes. M. Goruik déclare, dans son témoignage, que rien n’indiquait, le jour du refus de travailler, d’après les renseignements recueillis en matière de sécurité, que les tensions étaient anormalement élevées dans l’établissement Drumheller et qu’il fallait augmenter les effectifs. En ce qui concerne plus particulièrement le tableau de service de la prison pour ce soir‑là, il maintient que 13 à 16 personnes auraient pu intervenir en cas d’incident et que l’aide serait arrivée en quelques secondes ou tout au plus en deux ou trois minutes.

[23] Bien que ce soit contraire à la politique de l’établissement Drumheller, il sait que certains agents interviennent en cas d’incidents sans attendre les secours, sachant que l’agent de service dans la bulle les a demandés. Il est toutefois choqué d’apprendre, à l’audience, que des agents ont quitté leur unité pour répondre à un appel à l’aide dans une autre unité pendant que l’agent restant demeure enfermé dans la bulle de contrôle.

[24] M. Goruik déclare, dans son témoignage, que le confinement aux cellules a été décrété à la suite des refus de travailler et que tout était en ordre quand l’agent de santé et de sécurité Campbell a commencé son enquête sur les refus de travailler. Il ajoute qu’il est normal de côtoyer des détenus dans une prison et que cela ne constitue pas un danger.

[25] M. Yeman, coordonnateur, Opérations correctionnelles, à l’établissement Drumheller, fait savoir, dans son témoignage, qu’il travaille là depuis 1973 et qu’il est actuellement chargé de la sécurité générale de l’établissement Drumheller. Les surveillants de poste des unités résidentielles sont tenus de remettre un rapport à son bureau à la fin de chaque poste et de signaler chaque incident provoqué par un détenu. Son bureau, à son tour, l’informe s’il y a un signe de problème éventuel. En cas de problème, il en informe le sous‑directeur et lui recommande les mesures à prendre, soit affecter du personnel supplémentaire aux unités, soit isoler les détenus et, si besoin est, les consigner aux cellules dans l’établissement. À la suite des refus de travailler, M. Yeman a examiné les constats d’incident de l’établissement Drumheller de tout le mois de mai 2001, ce qui lui a permis de déterminer qu’aucun des incidents constatés pour cette période ne venait confirmer que les tensions ou les problèmes s’étaient aggravés dans l’établissement. Il répète qu’il est normal de côtoyer des détenus dans une prison et que cela ne constitue pas un danger.

[26] M. Fader fait valoir que l’agent de santé et de sécurité Campbell a fait erreur en concluant à un danger pour les agents de correction Schellenberg et Wood parce qu’il s’est fié aux déclarations des agents de correction concernant la consigne du poste et les effectifs minimums sans consulter la direction et qu’il s’est ensuite livré à des suppositions sur la situation qui lui paraissait avoir existé au moment des refus de travailler.

[27] M. Fader maintient que, dans une enquête sur un refus de travailler, l’agent a principalement à décider si l’employé peut ou non faire le travail en question en toute sécurité. Ceci étant, la situation, la tâche ou le risque éventuel allégué par l’employé doit exister au moment où l’agent de santé et de sécurité fait son enquête sur le refus de travailler et être de ceux ou de celles que l’on peut raisonnablement s’attendre à voir occasionner une blessure ou une maladie avant d’avoir pu être corrigés ou modifiés. Il maintient que l’agent n’est pas là pour décider s’il y a eu danger dans le passé ou résoudre des problèmes posés par le travail. Pour étayer son argumentation, M. Fader me renvoie à l’alinéa 128.(1)b) et aux paragraphes 128.(8), 129.(4), (6) et (7) du Code, qui stipulent ce qui suit:

128.(1)b) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

b)...il est dangereux pour lui de travailler dans ce lieu. [Le soulignement est de moi.]

128.(8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises. [Le soulignement est de moi.]

129.(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

129.(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

129.(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle‑ci. [Le soulignement est de moi.]

[28] Au cas où je n’accepterais pas cet argument, M. Fader en avance un autre, à savoir que les faits incriminés dans cette affaire ne prouvent pas l’existence d’un danger au moment où les agents de correction Schellenberg et Wood ont refusé de travailler. Il me renvoie au point E4 de la section « operational adjustments » (ajustements) de la consigne et fait valoir que le quatrième agent du poste est dit être en surnombre et peut être affecté à d’autres tâches. La consigne est la suivante :

[Traduction ] CONSIGNE DU

POSTE DE SURVEILLANCE DES BLOCS CELLULAIRES

…Les effectifs nécessaires à ce poste sont les suivants :

Jour - Trois A.C. II

Soir - Quatre A.C. II

Matin - Un A.C. I

AJUSTEMENTS

…Dans le poste du soir, les agents affectés à l’unité ont les responsabilités suivantes :

E1 – Responsable de l’unité; surveillance des blocs cellulaires

E2 – Gestion des cas et surveillance des blocs cellulaires

E3 – Patrouille dans la cour et les lieux de loisirs plus surveillance des blocs cellulaires

E4 – Comme ce poste est un poste de soutien supplémentaire, l’agent assume des responsabilités telles que la surveillance des blocs cellulaires, les escortes plus les patrouilles dans la cour et les lieux de loisirs. [Le soulignement est de moi.]

[29] Il maintient que l’affectation de trois agents au poste du soir dans les unités 8 et 11 est en conformité avec la consigne et ne met nullement les agents en danger. Il répète que l’on interprète cette consigne ainsi depuis 20 à 30 ans dans l’établissement Drumheller, sans incident. Il rappelle aussi les témoignages du sous‑directeur Goruik et de M. Yeman, à savoir que le niveau de tension n’était pas anormalement élevé le jour des refus de travailler.

[30] Pour le cas où je n’accepterais pas ses deux arguments précédents, il avance, pour finir, que le danger existant pour les agents de correction au moment des refus était tout à fait normal pour le travail qu’ils avaient à faire.

[31] M. DeWolfe soutient qu’un danger existait pour les agents Schellenberg et Wood parce que les détenus les avaient déjà menacés le jour où ils ont refusé de travailler. Il maintient également que le niveau de tension chez les détenus de l’établissement Drumheller était élevé et ne cessait de grimper. M. DeWolfe rappelle que le Code a été récemment modifié et il fait valoir que, selon la nouvelle définition du mot danger, il n’est plus nécessaire que le risque de blessure ou de maladie soit imminent.

[32] Pour ce qui est de la consigne du poste, M. DeWolfe maintient que l’habitude d’ajuster les effectifs en dessous des niveaux qui y sont indiqués pour les unités de l’établissement Drumheller ne rend pas forcément cette pratique sûre. Il ajoute que cela ne veut pas non plus dire que ce sont là des conditions normales de travail pour les agents de correction.

[33] M. DeWolfe demande, en outre, que je ne tienne pas compte du témoignage de M. Yeman, selon lequel les renseignements recueillis sur la sécurité ne viennent pas confirmer que les tensions étaient élevées le jour où les agents ont refusé de travailler. Il explique que les agents acquièrent souvent, au cours des années, un sixième sens pour percevoir les problèmes à venir, souvent sur la base d’une série d’incidents subtils et non d’un incident unique. Selon M. DeWolfe, les agents de correction rendent rarement compte de ces incidents subtils dans leurs rapports, de sorte que l’on ne peut pas toujours se fier aux renseignements sur la sécurité de l’établissement Drumheller pour évaluer les tensions qui y règnent. Il ajoute que l’établissement Drumheller a toujours eu un nombre de cas d’agitation et d’émeute supérieur à la normale par rapport à d’autres établissements et que la matrice du Service correctionnel du Canada utilisée pour évaluer les risques que présentent les détenus comporte des critères subjectifs. Enfin, il me rappelle qu’à l’exception des périodes de confinement aux cellules, les détenus sont libres de se mêler aux gardes, ce qui fait que ceux d’une rangée pourraient facilement en maîtriser un.

[34] Par ailleurs, M. DeWolfe s’est plaint auprès de moi le dernier jour de l’audience de ce que son surveillant lui ait fait savoir la veille au soir qu’il ne recevrait ni salaire, ni indemnité de déplacement pour sa participation à l’audience. M. Fader déclare ne pas savoir ce que l’employeur fera en fin de compte, mais qu’à son avis, M. DeWolfe n’agit pas comme partie à l’audience mais comme représentant des employés de l’établissement Drumheller.

***

[35] Dans cette affaire, il s’agit de décider s’il existait ou non une situation ou un risque éventuel constituant un danger, au sens où l’entend le Code, pour M. Schellenberg ou M. Wood. Si je réponds par l’affirmative, je dois aussi décider si, oui ou non, je dois modifier l’instruction donnée par l’agent de santé et de sécurité Campbell.

[36] Pour décider s’il existait un danger, au sens où l’entend le Code, pour M. Schellenberg ou M. Wood, je vais me pencher sur la législation applicable, les interprétations passées de la législation et les faits à retenir dans cette affaire.

[37] En septembre 2001, la définition du mot « danger » a été remaniée comme suit au paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

“danger” means any existing or potential hazard or condition or any current or future activity that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected, or the activity altered, whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity, and includes any exposure to a hazardous substance that is likely to result in a chronic illness, in disease or in damage to the reproductive system.

[38] L’agent d’appel M. Cadieux a interprété la nouvelle définition dans l’affaire Welbourne et CPR, décision no 01-008, du 22 mars 2001 et a constaté ce qui suit :

[16] Cette nouvelle définition du mot danger est analogue à celle du Code avant la modification, qui s’établissait comme suit :

<danger> Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu’il ne puisse y être remédié.

[17] L’actuelle définition du « danger » cherche à améliorer celle de la version antérieure du Code, jugée trop restrictive pour protéger la santé et la sécurité des employés. Selon la jurisprudence qui s’est établie autour du concept précédent, le danger devait être immédiat et présent au moment de l’enquête de l’agent de sécurité. En revanche, la nouvelle définition élargit le concept de danger pour permettre la prise en compte d’une situation, d’une tâche et d’un risque éventuel. Cette façon d’aborder la question est plus conforme à l’objet du Code, tel qu’il est exposé à l’article 122.1, qui stipule ce qui suit :

La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[18] Dans l’actuelle définition du mot danger, le risque, la situation ou la tâche n’a plus besoin d’exister seulement au moment ou l’agent de santé et de sécurité fait son enquête, mais peut aussi être éventuel. Le mot « éventuel » est défini comme suit dans la troisième édition du Multidictionnaire de la langue française : Possible, et dans la dernière édition du Grand dictionnaire encyclopédique Larousse : 1. Se dit de ce qui dépend des circonstances; possible. L’expression « Situation, tâche ou risque… -- … éventuel » signifie, dans le cas de la tâche, que celle‑ci n’est pas en train de s’accomplir [en présence de l’agent de santé et de sécurité], mais qu’elle est susceptible d’être exécutée par quelqu’un dans le futur. C’est pourquoi, en vertu du Code, le danger peut aussi être potentiel dans la mesure où l’on peut voir apparaître ou se concrétiser la situation, la tâche ou le risque et s’attendre raisonnablement à ce qu’ils occasionnent alors une blessure ou une maladie chez une personne, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[19] La situation, la tâche ou le risque existant ou éventuel dont il est question dans la définition doit être de celles ou de ceux que l’on peut raisonnablement s’attendre à voir occasionner des blessures ou des maladies à une personne, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. C’est pourquoi, le concept d’attente raisonnable exclut les cas hypothétiques ou théoriques.

[20] [L’expression « avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée » a été interprétée comme voulant dire que la blessure ou la maladie était susceptible de se produire immédiatement[1]. Dans l’actuelle définition du danger, toutefois, toute référence à un risque, à une situation ou à une tâche doit être lue conjointement avec les termes existant ou éventuel, ce qui semble alors retirer du concept de danger précédent la nécessité que la blessure ou la maladie se produise immédiatement. En réalité, la blessure ou la maladie ne peut apparaître que s’il y a effectivement exposition au risque, existence de la situation ou accomplissement de la tâche. C’est pourquoi, étant donné que les circonstances sont graves, on doit avoir un degré raisonnable de certitude de voir apparaître la blessure ou la maladie immédiatement dès que la personne est confrontée au risque, à la situation ou à la tâche, sauf si le risque est écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Ceci étant, on ne peut attendre qu’un accident se produise, d’où la nécessité d’agir rapidement et immédiatement en pareil cas.

[39] Bien que je sois d’accord avec les conclusions auxquelles mon collègue a abouti dans cette affaire, je pense qu’il est nécessaire de les développer face aux arguments invoqués par M. Fader dans la présente affaire. Celui‑ci fait valoir, plus particulièrement, que pour qu’il y ait danger en vertu du Code, les circonstances créant un danger éventuel doivent exister au moment de l’enquête de l’agent de santé et de sécurité.

[40] Selon le paragraphe 129.(1) du Code, quand un agent de santé et de sécurité est avisé qu’un employé continue de refuser de travailler, il est tenu de se livrer à une enquête sur ce refus ou de demander à un autre agent de le faire sans tarder. Une fois son enquête achevée, il doit, comme l’exige le paragraphe 129.(4), décider s’il existe ou non un danger au sens où l’entend le Code. S’il décide qu’il y en a un, il est ensuite obligé, aux termes du paragraphe 129.(6), de donner une instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145.(2), lui enjoignant de prendre, entre autres, des mesures pour écarter le risque, corriger la situation, modifier la tâche ou protéger les personnes contre ce danger. Il doit également donner une instruction aux employés en question, leur enjoignant de cesser de faire le travail en cause jusqu’à ce que l’employeur se soit conformé à l’instruction qu’il lui a donnée en vertu de l’alinéa 145(2)a). S’il conclut à l’absence de danger, alors, selon le paragraphe 129.(7), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 pour maintenir son refus. L’agent décide évidemment s’il y a danger ou non, au sens où l’entend le Code, au moment de son enquête et, par rapport au paragraphe 145.(2.1), si les employés peuvent travailler à un endroit ou faire le travail en question. Les paragraphes 129.(1), (4), (6) (7) et 145.(2) et 145.(2.1) stipulent ce qui suit :

129.(1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

129.(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

129.(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

145.(2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l'agent :

a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise, à la prise de mesures propres :

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

b) peut en outre, s’il estime qu’il est impossible dans l’immédiat de prendre les mesures prévues à l’alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l’employeur, l’utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l’accomplissement de la tâche en cause jusqu’à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des instructions.

145.(2.1) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose par un employé, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche par un employé constitue un danger pour cet employé ou pour d’autres employés, l’agent interdit à cet employé, par instruction écrite, et sans préjudice des instructions données au titre de l’alinéa (2)a), d’utiliser la machine ou la chose, de travailler dans ce lieu de travail ou d’accomplir la tâche en cause jusqu’à ce que l’employeur se soit conformé aux instructions données au titre de cet alinéa.

129.(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle‑ci.

[Le soulignement est de moi.]

[41] Pour décider s’il y a un danger, l’agent de santé et de sécurité doit prendre en compte tous les aspects de la définition du mot danger et, à l’achèvement de son enquête, décider si les faits invoqués dans cette affaire permettent de conclure à un danger au sens où l’entend le Code. Pour cela, il ne doit se fonder que sur des faits convaincants, étant donné que le droit de refus et les dispositions prises dans le Code en matière de danger sont considérés comme des mesures exceptionnelles. Pour qu’un agent de santé et de sécurité puisse conclure qu’une situation ou un risque éventuel constituait, au moment de son enquête, un danger au sens où l’entend le Code, comme dans la présente affaire, les faits invoqués doivent permettre d’établir :

· que ce risque ou cette situation se présentera;

· qu’un employé y sera alors exposé;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

· que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l’exposition à ce risque ou à cette situation.

[42] Il s’ensuit que si un risque ou une situation existe au moment où l’agent de santé et de sécurité mène son enquête, les faits invoqués doivent seulement permettre d’établir :

· qu’un employé sera exposé ce risque ou à cette situation;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

· que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l’exposition à ce risque ou à cette situation.

[43] Comme M. Cadieux l’a indiqué dans la décision Welbourne et CPR, le danger peut être potentiel, mais le concept d’attente raisonnable exclut les situations hypothétiques ou théoriques. Il est important également de noter que le « danger » selon la définition du Code peut ne pas exister, contrairement à la contravention.

[44] Quant aux faits invoqués dans la présente affaire, M. Schellenberg et M. Wood ont déclaré avoir refusé de travailler parce que les détenus les avaient menacés et que le niveau de tension leur paraissait élevé. Ils ont également refusé de travailler parce que les effectifs affectés à leurs unités ce soir‑là étaient inférieurs, d’après leur interprétation, à ceux prévus par la consigne en vigueur dans l’établissement Drumheller.

[45] Pour ce qui est des menaces des détenus, il n’y a aucune preuve que ceux‑ci aient été sur le point de les mettre à exécution au moment où les agents ont refusé de travailler ou que la possibilité que cela se produise plus tard ait été plus que théorique. Je ne veux pas dire par là que les peurs des agents de correction Schellenberg ou Wood aient été imaginaires ou sans fondement. M. DeWolfe a déclaré que les agents de correction acquièrent un sixième sens avec le temps à l’égard des détenus. Mais pour conclure à un danger pour M. Schellenberg ou M. Wood, il est nécessaire d’établir qu’un ou plusieurs détenus mettront leurs menaces à exécution d’un moment à l’autre. J’admets que c’est difficile dans une prison parce que l’on a affaire à l’imprévisibilité du comportement humain dans un milieu où les détenus montrent une propension à contrevenir à la loi. Toutefois, dans cette affaire, il est loin d’être prouvé qu’un détenu mettrait sa menace à exécution. Sans une telle preuve, la menace reste hypothétique ou théorique.

[46] Il n’y a pas non de preuves que les tensions aient été anormalement fortes dans l’établissement Drumheller le jour des refus de travailler et que l’on puisse parler d’une situation où d’un risque « éventuel » au sens où l’entend le Code. M. Schellenberg et M. Wood ont évoqué la fouille antidrogue du jour précédent et l’agitation qui régnait parmi les détenus. Mais les témoignages de M. Goruik et de M. Yeman, selon lesquels les tensions de l’établissement Drumheller n’étaient pas anormalement élevées, ont été corroborés par les constats d’incidents. J’accorde du poids à l’argument de M. Fader, qui a avancé que MM. Goruik et Yeman étaient plus expérimentés et mieux placés pour évaluer les tensions dans l’établissement que M. Schellenberg et M. Wood. Je considère, par conséquent, que le niveau de tension le soir en question était normal pour les tâches des agents qui ont refusé de travailler.

[47] En ce qui concerne la consigne du poste, j’ai le témoignage irréfutable du sous‑directeur Goruik, selon lequel l’affectation de trois agents aux unités 8 et 11 est conforme à celle‑ci et que cette interprétation et cette pratique sont en vigueur sans aucun incident depuis 20 à 30 ans dans l’établissement Drumheller. À mon avis, le point E4 de la consigne (voir le paragraphe 28) est quelque peu ambigu. Il confirme que quatre agents de correction sont nécessaires pour le poste du soir, mais précise que le quatrième n’a pas besoin de rester dans l’unité. Par conséquent, je ne suis pas persuadé que le fait de s’occuper d’une unité de l’établissement Drumheller avec trois agents de correction constitue, en soi, un danger. Les faits invoqués dans cette affaire ne m’ont pas non plus convaincu que la pratique adoptée de longue date par l’établissement Drumheller a abouti, le soir des refus, à une situation ou un risque éventuel que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à voir causer une blessure avant d’avoir pu être respectivement corrigée ou écarté.

[48] Pour les raisons spécifiées ci‑dessus, j’estime qu’aucun danger, au sens où l’entend le Code, n’existait pour M. Schellenberg et M. Wood et j’annule l’instruction que l’agent de santé et de sécurité Campbell a donnée à l’établissement Drumheller du Service correctionnel du Canada le 14 mai 2001 en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code.

[49] Nonobstant ma décision, j’ai entendu certains témoignages selon lesquels les radios bidirectionnelles utilisées par les agents de correction pour communiquer en cas d’urgence pouvaient tomber en panne dans des moments critiques parce qu’elles n’étaient pas pourvues d’un dispositif indiquant que la pile devait être changée incessamment. J’ai aussi appris que certains murs de cellules étaient faits de blocs de ciment et qu’ils pourraient être percés par les prisonniers. Le seul point sur lequel les parties n’étaient pas d’accord, c’était le temps nécessaire à ceux‑ci pour y parvenir. J’ai aussi entendu dire que certains agents intervenaient seuls en cas d’incidents dans les unités, et le sous‑directeur Goruik s’est dit choqué d’apprendre également à l’audience que des agents avaient quitté leur unité résidentielle pour répondre à un appel à l’aide dans une autre unité. Cela veut dire qu’un agent a été laissé tout seul dans une unité, enfermé dans la salle de contrôle. Enfin, comme je le dis dans ma décision, je suis d’avis que la consigne est un peu ambiguë pour ce qui est des effectifs assurant la sécurité des agents de correction.

[50] Je trouve cela préoccupant du point de vue de la santé et de la sécurité au travail. L’article 124 du Code exige que les employeurs veillent à la protection de leurs employés en matière de santé et de sécurité. De ce fait, ils doivent consulter leurs employés pour savoir quels sont les risques du milieu de travail et déterminer les mesures à prendre pour les éliminer ou les atténuer. Bien que j’aie conclu à l’absence de danger, les points évoqués ci‑dessus pourraient bien constituer une contravention au Code. Ils me paraissent mériter sans tarder toute l’attention de la direction.

[51] Quant au statut à accorder à M. DeWolfe à l’audience, je renvoie au paragraphe 146.(1) et à l’article 146.2 du Code, où il est question de « partie ». Ces dispositions sont les suivantes :

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles‑ci par écrit à un agent d’appel.

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :

g) en tout état de cause, accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu’une des parties et pourrait être concernée par la décision;

h) fixer lui‑même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie la possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

[52] J’interprète le paragraphe 146.(1) et l’alinéa 146.2h) comme voulant dire qu’une partie peut être un employé, un employeur ou un syndicat qui se sent lésé par une instruction. L’alinéa 146.2g) autorise un agent d’appel à accorder le statut de partie à chaque personne ou groupe qui, à son avis, a plus ou moins les mêmes intérêts que l’une des parties et pourrait être touché par la décision.

[53] Dans la présente affaire, M. DeWolfe est un agent de correction directement concerné par la décision. Il a participé à l’audience en tant que porte‑parole des employés et pour présenter des éléments de preuve et des observations. Je suis d’avis que M. DeWolfe avait le statut de partie à l’audience.

­­­_______________________

Doug Malanka

Agent d’appel

ANNEXE

CONCERNE LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION ADRESSÉE À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)

Le 10 mai 2001, le soussigné, agent de sécurité, a mené une enquête sur un refus de travailler en vertu de l’alinéa 128.(1)b) du Code canadien du travail, Partie II, sur le lieu de travail du Service correctionnel du Canada, employeur assujetti au Code canadien du travail, Partie II, dans l’établissement Drumheller, aussi connu sous le nom de pénitencier Drumheller.

Ledit agent de sécurité estime que les employés au travail se trouvent dans une situation dangereuse pour eux :

Les effectifs minimums fixés par la consigne du poste de surveillance des blocs cellulaires (modifiée le 9.4.1999) pour toutes les équipes ne sont pas maintenus, situation qui met en danger la santé et la sécurité des agents de correction travaillant dans les unités résidentielles.

C’est pourquoi, JE VOUS ENJOINS PAR LA PRÉSENTE INSTRUCTION, en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, Partie II, de prendre immédiatement des mesures pour remédier à la situation qui constitue un danger.

Fait à Calgary, le 14e jour de mai 2001.

Neil S. Campbell

Agent de sécurité

No AB 1635

Au : Service correctionnel du Canada

Établissement Drumheller

B. P. 3000

Drumheller (Alberta)

T0J 0Y0

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

Décision no : 02-005

Demandeur : Service correctionnel du Canada

Employeur : Agents de correction Schellenberg et Wood, Service correctionnel du Canada

MOTS CLÉS :

Agent de correction, prison, tensions chez les détenus, menaces des détenus, effectifs, danger, situation ou risque éventuel, détermination fondée sur des faits, au moment de l’enquête.

DISPOSITIONS :

Code : 122, 128, 129, 145, 146,

RÉSUMÉ :

Le 10 mai 2001, deux agents de correction ont commencé leur poste du soir dans leurs unités résidentielles respectives à l’établissement Drumheller. Peu après, les deux agents ont refusé de travailler. Ils se sont plaints du danger qu’ils pourraient courir du fait que la direction n’avait pas prévu d’effectifs suffisants dans leurs unités, que les tensions étaient fortes dans l’établissement et que les détenus les avaient déjà menacés le jour même. L’agent de santé et de sécurité qui a enquêté sur leur refus de travailler a conclu à un danger pour eux et ordonné au directeur de prendre des mesures pour protéger la santé et la sécurité des personnes.

Après avoir examiné l’affaire, l’agent d’appel a estimé qu’aucun danger n’existait pour les agents de correction. Il a constaté que les faits invoqués ne confirmaient pas l’existence ou l’éventualité d’une situation ou d’un risque que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à voir causer une blessure ou une maladie aux agents de correction avant que le risque ait été écarté ou la situation corrigée. L’agent d’appel a confirmé qu’un agent de santé et de sécurité pouvait seulement conclure qu’une situation ou un risque éventuel constituait, au moment de son enquête, un danger au sens où l’entend le Code, comme dans la présente affaire, quand les faits invoqués permettent d’établir :

· que ce risque ou cette situation se présentera;

· qu’un employé y sera alors exposé;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

· que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l’exposition à ce risque ou à cette situation.



[1] Brailsford c. Worldways Canada Ltd. (1992), 87 di 98 (C.C.R.T.).

Bell Canada c. Travail Canada (1984), 56 di 150 (C.C.R.T.).

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