Archivée - 02-009 Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

Informations archivées

Les informations archivées sont fournies aux fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elles ne sont pas assujetties aux normes Web du gouvernement du Canada et n'ont pas été modifiées ou mises à jour depuis leur archivage. Pour obtenir ces informations dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Agence Parcs Canada, employeur
et
M. Doug Martin, employé
et
Alliance de la Fonction publique du Canada, syndicat
et
Bob Grundie, agent de santé et de sécurité

Décision no 02-009

Le 23 mai 2002

Les audiences se sont tenues à Calgary le 21 août 2001 et à Ottawa du 29 octobre au 2 novembre 2001, du 26 au 30 novembre 2001 et du 14 au 18 janvier 2002.

Ont comparu aux audiences :

À la demande de l’agent d’appel, ci‑après appelé le tribunal : l’agent de santé et de sécurité Bob Grundie, qui a remis les relieurs à feuilles mobiles suivants, enregistrés comme Pièce U-1.

Le Relieur 1, Motifs de décision[1], contient les sections suivantes :

· Mandat d’application de la loi des gardes de parcs;

· Direction stratégique du Programme d’application de la loi de Parcs Canada;

· Degré de diligence;

· Niveau de service;

· Plans d’application de la loi;

· Risque;

· Études/Évaluations;

· Actuel équipement de protection individuel;

· Problème d’« image »;

· Programme provisoire – Atténuation des risques pour la sécurité des agents (adopté le 12 juillet 2000);

· Risque : Modèle d’intervention pour la gestion des incidents (MIGI).

Le Relieur 2 contient diverses études et évaluations.

Le Relieur 3 contient divers protocoles d’entente entre Parcs Canada et des services de police du Canada, ainsi que des documents ayant trait à la question de l’armement des gardes de parcs.

Le Relieur 4 contient un grand nombre de constats et de pièces justificatives concernant des incidents impliquant des gardes de chaque parc national.

Pour l’employeur, représenté par M. Kirk N. Lambrecht et M. G. Sanderson Graham, avocats :

Nikita Lapoukhine, directeur général, Direction générale des parcs nationaux;

Brian Evans, directeur, Rendement, Vérification et Examen, Parcs Canada;

Professeur Phillip C. Stenning, Département de criminologie, Université de Toronto;

Inspecteur R. Keith Clark, Direction générale de la GRC, Sous-direction de la planification et des politiques stratégiques, Ottawa;

Gendarme Lew Simms, patrouille cycliste de la GRC, détachement de Nanaimo, (C.‑B.).

Pour M. Martin et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), représentés par M. Andrew Raven, avocat :

Randy Fingland, coordonnateur principal de l’application de la loi, Parc national Jasper;

Duane Martin, spécialiste régional de l’application de la loi, Calgary (Alberta);

Garry Francis Bogdan, agent fédéral de protection des espèces sauvages, Environnement Canada, Service canadien de la faune;

David Allan Hanna, agent de conservation des parcs et aires protégées du district de Kananaskis, Alberta Community Development (Alberta);

John Robert Ervin, sergent, dépôt de la GRC, Regina;

Chris Butler, gendarme, police de Calgary;

David Jivcoff, spécialiste principal de l’application de la loi, Administration centrale de Parcs Canada, Ottawa.

ENQUÊTE DE L’AGENT DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ

[1] Le 5 juin 2000, M. Bob Grundie a été saisi d’une plainte venant de M. Doug Martin, garde du parc national Banff et employé de l’Agence Parcs Canada (ci‑après appelée Parcs Canada ou l’Agence). Comme sa qualité d’agent de santé et de sécurité affecté au parc national Banff lui donnait compétence pour recevoir ladite plainte, il a entrepris d’enquêter en la matière.

[2] La plainte de M. Martin repose sur le fait qu’il n’a pas obtenu tout l’équipement de protection individuel qui lui est nécessaire pour faire appliquer la loi. Dans le formulaire d’enregistrement de la plainte signé par M. Martin figurent les détails suivants :

JE SUIS UN AGENT DE LA PAIX DÉSIGNÉ PAR LA LOI SUR LES PARCS NATIONAUX POUR FAIRE APPLIQUER LE RÈGLEMENT AFFÉRENT À CETTE LOI ET ASSURER L’ORDRE PUBLIC DANS LES PARCS NATIONAUX.

JE N’OBTIENS PAS TOUT LE MATÉRIEL DE DÉFENSE CORRESPONDANT AU DEGRÉ DE DILIGENCE IMPOSÉ À DES AGENTS DE LA PAIX CANADIENS QUAND ILS EFFECTUENT DES TÂCHES ANALOGUES AUX MIENNES POUR FAIRE APPLIQUER LA LOI SUR LA CONSERVATION DES RESSOURCES.

Plusieurs auteurs d’études de Parcs Canada et équipes désignées par sa direction ont reconnu que les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi devaient recevoir tout le matériel de défense, ainsi que la formation y afférente, correspondant au degré de diligence imposé aux agents de conservation des ressources au Canada, y compris une arme de poing.

[3] L’agent de santé et de sécurité déclare qu’avant d’être saisi de la plainte de M. Martin, il a assisté, en février 2000, à une réunion organisée à Canmore (Alberta) par des gardes de parcs du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie‑Britannique en vue de parler, entre autres, du port d’une arme de poing. Le débat a porté en grande partie sur l’application à cette affaire de la Partie II du Code canadien du travail (le Code). Des réunions semblables se sont tenues aussi en d’autres endroits du pays. L’agent de santé et de sécurité n’a donc pas été surpris par la plainte de M. Martin. Il savait dès le début de l’enquête que cette affaire était de portée nationale.

[4] M. Grundie fait observer que le port d’une arme de poing est depuis assez longtemps à l’ordre du jour de Parcs Canada et sujet à beaucoup de controverses. Le Rapport Buker/Frey de 1992[2], qui exprime avec éloquence les mêmes préoccupations que lui en l’espèce, se trouve être un bon exemple. Plus récemment, M. David Jivcoff, coordonnateur national d’application de la loi de Parcs Canada, s’est livré à une analyse[3] de la question en 1999. Il y a abordé le problème de l’armement dans son contexte, en soulevant des points pertinents et en définissant les paramètres à prendre en considération pour le comprendre et le résoudre. Il a, toutefois, précisé que cette analyse était principalement un ensemble de faits recueillis pour améliorer l’actuelle politique d’armement et mettre en œuvre l’armement partiel des services de garde.

[5] L’agent de santé et de sécurité explique que, durant son enquête, il a rassemblé de nombreux documents sur l’armement des gardes de parcs. Quelques‑uns ont été conservés pour les besoins de l’enquête, d’autres rendus à leurs auteurs et d’autres détruits!

[6] M. Grundie déclare avoir parlé avec plusieurs personnes du port d’armes des gardes de parcs, mais il admet avoir gardé très peu de notes de ces conversations. Il a, par exemple, parlé avec des représentants de services de police canadiens, y compris de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), et avec des gardes de parcs fédéraux, des agents chargés de faire appliquer la loi sur l’environnement et les espèces sauvages, des agents provinciaux de conservation, trois représentants de Parcs Canada (dont deux gardes de parcs en chef) et un gestionnaire chargé de veiller à la conformité avec le Programme de travail de Développement des ressources humaines Canada (DRHC).

[7] L’agent de santé et de sécurité admet qu’il n’a pas interrogé M. Fisher, directeur d’unité de gestion à Banff et surveillant de M. Martin, au sujet du port d’armes parce qu’il considérait cette affaire comme ayant une portée nationale. Il a aussi choisi de ne pas en parler officiellement avec le comité local de santé et de sécurité de Banff. Il déclare avoir voulu placer cette affaire dans un contexte plus général, qui lui paraissait dépasser les capacités de ce comité.

[8] L’agent de santé et de sécurité explique que les gardes de parcs ont deux fonctions dans l’application de la loi : l’une consiste à gérer les ressources et l’autre à maintenir l’ordre public. Leur fonction de gestion des ressources les oblige à faire appliquer et exécuter la Loi sur les parcs nationaux du Canada et le règlement y afférent. En vertu de la Loi les ayant qualifiés d’agents de la paix, ils sont chargés de maintenir l’ordre public, ce qui veut dire qu’ils veillent à l’application du Code criminel. L’article 25 du Code criminel autorise les agents de la paix à employer la force « …avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves…».

[9] Les gardes de parcs ont également pour mandat de faire respecter d’autres lois, par exemple les mêmes que les agents du service de la pêche et de la faune d’Environnement Canada et, en plus, la Loi sur les pêches fédérale. Dans certaines provinces, ils ont un statut spécial de gendarme, tandis que dans d’autres ils ont le pouvoir de veiller à l’exécution des lois provinciales sur les espèces sauvages.

[10] Il existe un protocole d’entente entre Parcs Canada et la GRC stipulant que les gardes de parcs ont pour domaine de responsabilité principal la gestion des ressources et qu’ils interviennent également dans le maintien de l’ordre public quand ils arrivent en premier sur les lieux. En revanche, la GRC a pour domaine de responsabilité principal le maintien de l’ordre public et elle intervient aussi dans la gestion des ressources quand elle arrive en premier. La GRC est « le service de police qui a l’autorité première » pour les questions relevant du Code criminel.

[11] L’agent de santé et de sécurité mentionne dans ses motifs de décision que Parcs Canada a admis clairement ce chevauchement des responsabilités dans son Bulletin de gestion[4] 2.1.9 :

[Traduction]…il y a des moments où les circonstances sont telles que chacun est appelé à jouer un rôle prédominant dans le domaine de responsabilité principal de l’autre.

L’agent de santé et de sécurité fait observer qu’en raison de l’isolement des parcs, les gardes sont obligés de travailler dans des lieux solitaires et des secteurs éloignés tels que les « arrière‑pays ». Ils doivent faire respecter la loi en utilisant leurs propres ressources, en sachant que les distances sont telles que le service de police compétent risque de ne pas pouvoir se porter immédiatement à leur secours au cas où ils auraient besoin de lui. Ils sont très souvent les premiers à arriver sur les lieux où une infraction a été commise.

[12] Au cours de son enquête, l’agent de santé et de sécurité a appris que deux régions de Parcs Canada avaient commandé des études sur le port d’armes à des organismes extérieurs. En mars 1993, la région du Québec avait demandé au CÉGEP de Trois‑Rivières[5] d’étudier les risques inhérents aux fonctions des gardes de parcs et, en janvier 1997, la région de l’Alberta avait commandé l’étude Rescue-3[6] pour établir les « niveaux de service »[7] de certains parcs nationaux albertains. L’étude du CÉGEP a fait ressortir que les gardes de parcs couraient des risques dans leurs fonctions d’application de la loi et elle recommandait, entre autres, de les équiper d’armes de poing. L’étude Rescue-3, quant à elle, recommandait de classer tous les parcs de l’Alberta au niveau 4, ce qui voulait dire que les gardes de parcs chargés de veiller à l’application de la loi devaient être dotés d’armes de poing.

[13] Quand on lui demande comment la direction a réagi aux études ci‑dessus, M. Grundie répond que M. Gaby Fortin, directeur général pour l’Ouest du Canada, lui a fait savoir que Parcs Canada n’était pas d’accord avec les méthodes utilisées pour ces études. Il déclare que l’Agence est restée fermement sur ses positions à ce sujet, malgré le fait que le port d’une arme de poing dans cette industrie était considéré, à son avis, comme imposé par le degré de diligence voulu. Il estime que la norme de l’industrie[8] applicable aux gardes de parcs exige le port d’une arme de poing, étant donné que la plupart des agents de police du Canada ainsi que des agents provinciaux de conservation en sont dotés, opinion qui n’a pas été celle de M. Fortin.

[14] M. Grundie a également appris qu’un groupe de travail national constitué principalement de représentants de la direction de Parcs Canada (connu sous le nom de « Comité Victoria ») et créé en septembre 1999 pour étudier la question de l’armement, avait recommandé d’équiper certains gardes de parcs d’armes de poing.

[15] M. Grundie déclare avoir consulté des membres de la GRC au sujet de la sécurité des gardes de parcs et, en particulier M. Gary Bell, Ph. D., directeur de la formation de la GRC au dépôt de Regina (Saskatchewan), et auteur d’une étude[9] qu’il a prise en considération dans son enquête en l’espèce. En se renseignant sur le matériel que les gardes de parcs portent à leur ceinturon de service, c.‑à‑d. un aérosol capsique, une matraque et des menottes, il dit avoir été dérouté par le fait que l’on équipe les gardes de parcs d’un gilet pare‑balles souple (aussi appelé gilet ou veste pare‑éclats), lequel, a‑t‑il écrit, est destiné à protéger quelqu’un contre des coups de feu. Il a demandé à M. Bell comment justifier la présence de tout cet équipement, y compris un gilet pare‑balles souple, en l’absence d’une arme de poing. M. Bell lui a répondu que ce n’était pas possible et il lui a fait savoir par la suite que l’Agence approuvait le concept du MIGI[10], mais qu’elle ne fournissait pas tous les outils exigés par ce modèle, c.‑à‑d. l’arme de poing.

[16] La nécessité d’une arme de poing découle, d’après l’agent de santé et de sécurité, du Modèle d’intervention pour la gestion des incidents[11], concept enseigné par la GRC aux gardes de parcs. M. Grundie déclare que ce concept est fondé sur l’imprévisibilité du comportement humain. Dans certains cas, la simple présence d’un agent suffit à apaiser une confrontation, mais dans d’autres, il y a une escalade de la violence l’obligeant à recourir à une force mortelle. L’arme de poing est l’outil dont se servent les agents des services de police et organismes semblables du pays pour recourir à la composante Force mortelle du MIGI chaque fois qu’ils risquent des lésions corporelles graves ou la mort. Or, rappelle l’agent de santé et de sécurité, cet outil est absent de l’équipement remis aux gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi.

[17] De l’avis de M. Grundie, quand un garde de parcs arrive en premier sur les lieux d’une infraction criminelle, il doit rétablir l’ordre public et prendre immédiatement les mesures prévues par la Direction stratégique du programme d’application de la loi de Parcs Canada[12]. Il s’agit de diverses techniques d’application de la loi pouvant aller d’un simple appel à la GRC jusqu’à une arrestation si les circonstances le justifient.

[18] M. Grundie explique qu’il s’est inquiété d’autant plus de la situation précaire des gardes de parcs quand il a constaté que les agents de deux autres organismes fédéraux ayant des fonctions d’application de la loi semblables étaient équipés d’armes de poing. Ce sont les agents des pêches et les agents chargés de veiller à l’exécution des lois sur les espèces sauvages d’Environnement Canada. Il fait observer que la formation des gardes de parcs est en gros la même que celle des agents des pêches, à part le module sur le port d’une arme de poing, et que celui des agents d’Environnement Canada est plus limité que celui des gardes de parcs nationaux, alors qu’ils sont pourtant équipés d’une arme de poing. Il sait également que d’autres organismes canadiens au mandat semblable en sont équipés. Il a examiné la situation par rapport au « degré de diligence » en vigueur dans cette industrie et il en a conclu que le port d’une arme de poing en faisait partie.

[19] L’agent de santé et de sécurité parle ensuite des « niveaux de service » établis respectivement pour les divers parcs nationaux et à incorporer dans les futurs Plans d’application de la loi destinés à répondre aux besoins de chaque parc en matière d’application de la loi. On appelle « niveau de service » le niveau général à partir duquel sont établies les lignes directrices sur le type d’équipement de protection individuel à mettre à la disposition des gardes ou à leur fournir dans leurs fonctions d’application de la loi. Les « niveaux de service » sont fondés sur les critères suivants : Structure du programme, statut d’agent de la paix, tâches attribuées aux gardes, impacts sur les ressources, fréquentation des parcs, risques de troubles pour l’ordre public et les agents. L’agent de santé et de sécurité n’est pas d’accord avec les critères utilisés pour répartir les parcs entre les quatre niveaux possibles. Dans des parcs de niveau 3 et 4, les armes à feu (armes de poing) à usage restreint sont permises, tandis que dans ceux de niveau 1 et 2, seules le sont des armes à usage restreint non mortelles (p. ex. des aérosols capsiques et des matraques). Sur ce point en particulier, l’agent de santé et de sécurité a exprimé le point de vue suivant dans ses Motifs de décision sous l’en‑tête « Niveaux de service » :

Le problème, avec ce type d’évaluation, c’est que le choix et la fourniture de l’équipement de protection individuel se font sous l’influence de facteurs autres que la simple sécurité des agents et sur la base de suppositions concernant les types de visiteurs et les types d’infractions susceptibles de se présenter.

L’agent de santé et de sécurité estime que cette façon de voir les choses est contraire à tout le concept du MIGI, qui est fondé sur l’imprévisibilité du comportement humain.

[20] Quand on lui demande s’il pense que les risques de lésions corporelles graves ou de mort courus par les gardes de parcs sont liés à l’accroissement des sanctions pour non‑respect de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, l’agent de santé et de sécurité répond par l’affirmative. Au fil du temps, les amendes encourues en vertu de cette Loi sont passées de 500 $ en 1988 pour braconnage ou piégeage à un maximum de 250 000 $ et de cinq ans d’emprisonnement. M. Grundie estime que la réaction d’un contrevenant pris sur le fait est probablement à la mesure de la sanction méritée.

[21] L’agent de santé et de sécurité ajoute que les armes d’épaule dont sont dotés les gardes de parcs peuvent être employées uniquement contre les espèces sauvages, p. ex. en cas d’attaque d’un animal tel qu’un ours, et non pour leur protection personnelle. Il expose les nombreux inconvénients que présente pour les gardes le port d’une arme d’épaule, comme l’a proposé Parcs Canada, au lieu d’une arme de poing, et il maintient catégoriquement que le port d’une arme d’épaule pour la protection individuelle exige une autorisation préalable de la part du directeur général.

[22] L’agent de santé et de sécurité déclare avoir décidé de prendre des mesures dans cette affaire après avoir appris que M. Tom Lee, directeur général de Parcs Canada, avait refusé d’accepter les recommandations de son propre comité interne, à savoir le Comité Victoria. M. Lee avait écrit, en particulier, ce qui suit :

[Traduction] Le groupe de travail a consacré une partie essentielle de son rapport au port d’armes, y compris d’armes de poing. Si une telle mesure avait été adoptée, de nombreux gardes auraient maintenant le droit de porter une arme de poing. Ce n’est pas dans cette direction que nous voulons aller…

L’agent de santé et de sécurité explique que la position prise par M. Lee et exposée dans sa note de service du 28 janvier 2000 est en harmonie avec l’« image » que Parcs Canada souhaite continuer de donner de son service de garde, c.‑à‑d. :

[Traduction]…un service fourni par une collectivité et non une police. Parcs Canada et son service de garde n’ont jamais été destinés à devenir un service de police secondaire...

[23] L’agent de santé et de sécurité pose la question de savoir si Parcs Canada veut compromettre la sécurité des gardes de parcs pour préserver l’image ci‑dessus, malgré les risques avérés que ceux‑ci courent en faisant appliquer la loi. En fait, un représentant du FBI[13] a déclaré que des gardes de parcs non armés donnaient d’eux une image de faiblesse, celle d’agents risquant encore plus de devenir la cible d’actes de violence imprévisibles.

[24] M. Grundie fait savoir qu’un programme provisoire d’application des lois a été mis sur pied à la suite de la note de service de M. Lee, en vue de prendre des mesures pour atténuer les risques courus par les agents sur le plan de la sécurité. En substance, il est recommandé de constituer des patrouilles de deux gardes de parcs pour les tâches d’application de la loi prévues. L’agent de santé et de sécurité n’approuve pas ce programme, car, à son avis, celui‑ci n’a aucun effet sur la sécurité des gardes de parcs qui n’ont pas reçu la formation d’agents de la paix et ne disposent pas de l’équipement de protection individuel approprié. Dans ses Motifs de décision, il a déclaré que le MIGI reconnaissait qu’un garde risquait des lésions corporelles graves immédiatement après son arrivée sur les lieux.

[25] L’agent de santé et de sécurité en conclut que les gardes de parcs sont en danger, au sens où l’entend le Code, du fait qu’ils doivent faire appliquer la loi sans avoir sur eux l’arme de poing qui, à son avis, est un élément essentiel de l’équipement de protection individuel. Il ajoute qu’il a fondé sa décision en cette affaire sur les résultats des deux études évoquées ci‑dessus, ainsi que sur les recommandations du Comité Victoria.

[26] Dans ses Motifs de décision, l’agent de santé et de sécurité a écrit, sous l’en‑tête « Conclusion » :

[Traduction] Il s’agit de savoir si Parcs Canada fournit la formation et l’équipement de protection individuel pour un degré de diligence compatible avec celui d’autres groupes d’agents de conservation et de services de police du pays.

Dans ce contexte, en parlant d’atténuation des risques, on veut dire que toutes les mesures raisonnables sont prises pour réduire le plus possible les dangers inhérents aux fonctions d’application de la loi des gardes de parcs.

En outre, sous l’en‑tête Mesures et après avoir noté que Parcs Canada avait pour politique de refuser le port d’une arme de poing, l’agent de santé et de sécurité a écrit :

[Traduction] Je dois en conclure que l’Agence ne prend pas toutes les mesures raisonnables pour atténuer les risques inhérents aux fonctions d’application de la loi des gardes ou améliorer les conditions de sécurité.

[27] Après avoir abouti à la décision ci‑dessus, c.‑à‑d. que les gardes de parcs étaient en danger quand ils faisaient appliquer la loi, il ne restait plus à l’agent de santé et de sécurité qu’à élaborer les instructions à donner dans cette affaire. À cet effet, il s’est penché sur la nouvelle façon dont le Code récemment modifié avait défini le mot « danger »[14]. Étant donné l’adjonction du concept de « tâche » à la nouvelle définition, il a estimé que le danger venait de toute tâche existante ou éventuelle consistant à faire appliquer la loi.

[28] M. Grundie a décidé d’émettre deux instructions pour danger, en invoquant les alinéas 145(2)(a) et (b) du Code. Il a adressé la première (annexe 1) à M. Bill Fisher, directeur de l’unité de gestion du parc national Banff où travaillait M. Martin, et la seconde (annexe 2) à M. Tom Lee, directeur général de Parcs Canada. Il explique que l’instruction adressée à M. Fisher était à caractère local puisqu’elle s’appliquait expressément aux gardes du parc national Banff, tandis que celle destinée à M. Lee était de portée nationale, car elle s’appliquait à tous les gardes appelés à faire exécuter la loi. La seconde s’adressait, par conséquent, au directeur général de Parcs Canada.

[29] L’agent de santé et de sécurité précise que dans son analyse du danger, il a pris en considération l’ensemble des tâches d’application de la loi des gardes de parcs, étant donné leur extrême variété. Mais les instructions ne concernent que les gardes de parcs appelés à faire appliquer la loi puisque ce sont les seuls à recevoir une formation d’agents de la paix.

SOUMISSIONS POUR L’EMPLOYEUR

[30] M. Lambrecht présente par écrit la position adoptée par l’employeur dans cette affaire ainsi qu’une argumentation détaillée. Le tribunal juge utile d’en reproduire le texte intégralement ci‑dessous :

1. [Traduction] Rien, dans les annales des parcs, ne permet de conclure à un danger couru par les gardes en faisant appliquer la loi sans arme de poing. Les agressions sont rares, les blessures peu graves et personne n’a jamais entendu dire qu’elles avaient entraîné la mort ou des lésions corporelles graves dans les temps modernes, bien que des millions de personnes visitent chaque année les parcs et d’autres aires du patrimoine.

2. Les risques inhérents aux tâches d’application de la loi se trouvent atténués sans le port d’une arme de poing dans l’équipement normal. Les gardes de parcs se sont seulement servis de leur matraque ou de leur aérosol capsique une ou deux fois depuis qu’ils en ont été pourvus. La formation, l’équipement, la coopération interorganismes et le jugement dans la mise en application même de la loi ont été autant de moyens d’atténuer efficacement les risques et de contribuer à ce bon bilan de sécurité.

3. Le service de garde n’est pas un service de police. Il a pour principal mandat la gestion des ressources naturelles. Il dispose, toutefois, des ressources d’autres organismes dans l’exécution de son mandat principal, à savoir la gestion des ressources. En vertu de ce mandat, tout ce qui touche au Code criminel et à la circulation routière est confiée à la GRC.

4. Bien que les gardes de parcs soient des agents de la paix, ils ne sont pas obligés, de ce fait, de sacrifier leur sécurité en intervenant dans toutes les situations susceptibles de se présenter. Ils apprennent, au cours de leur formation, que leur sécurité est indispensable à la sécurité publique. Ils exercent quotidiennement leur jugement pour évaluer tous les facteurs caractérisant la situation qu’ils affrontent.

5. L’agent de santé et de sécurité a comparé les gardes de parcs à la police à tous les paliers gouvernementaux du Canada et à des agents de conservation de nombreuses provinces canadiennes. Cette comparaison est erronée à cause du mandat tout à fait particulier des gardes de parcs et des circonstances spéciales dans lesquelles ils travaillent.

6. De plus, le port d’une arme de poing ferait courir un danger aux gardes de parcs en raison des conséquences meurtrières qu’il pourrait avoir. Toute erreur de jugement à cet égard peut avoir des effets tragiques sur la santé et la sécurité du garde impliqué.

7. L’employeur demande que son appel soit accueilli et celui de l’AFPC et de M. Martin rejeté, afin que les gardes de parcs puissent reprendre leurs fonctions d’application de la loi dans les aires du patrimoine canadien.

[31] Pour étayer la position de l’employeur, plusieurs documents d’orientation et trousses d’information ainsi que des rapports et d’autres pièces justificatives ont été présentés. On trouvera ci‑après un bref résumé de l’argumentation détaillée de l’employeur en l’espèce.

[32] M. Lambrecht décrit en détail et chronologiquement l’évolution du débat sur le port d’armes en rapport avec le mandat des gardes de parcs.

Évolution du mandat des gardes de parcs et du débat

sur le port d’une arme de poing

[33] L’actuel mandat du service de garde des parcs a été fixé en 1968 à la suite du Rapport Syme-Schuler. L’accent a été mis sur une formation générale axée sur quatre missions, à savoir :

· la gestion des ressources naturelles;

· les relations publiques[15];

· la sécurité publique;

· l’application de la loi.

La gestion des ressources naturelles a été désignée comme étant la responsabilité première du service de garde.

[34] Le Rapport Syme-Schuler maintenait également que le service de garde ne devait pas être considéré comme un organisme d’application de la loi, puisque ce n’était pas son rôle principal. Le concept de la formation générale du service de garde a été confirmé en 1985 dans un document de travail faisant partie de l’EALF (Étude de l’application des lois fédérales) du gouvernement du Canada. Dans ce document, il a été question de formation, de responsabilité, de pouvoirs et de coopération interorganismes. En ce qui concerne le port d’une arme de poing par les gardes de parcs, il y était dit que la situation ne s’en trouverait pas forcément facilitée, mais qu’elle risquait même d’être exacerbée.

[35] En 1987, Parcs Canada a conclu avec la GRC un protocole d’entente rendant celle‑ci compétente avant tout autre organisme pour enquêter sur des infractions criminelles. Le protocole stipule aussi que les gardes de parcs peuvent enquêter sur des infractions à la Loi sur les parcs nationaux du Canada, et autres lois fédérales et provinciales le cas échéant, chaque fois qu’ils sont les premiers à arriver sur les lieux. M. Lambrecht comprend par là que la GRC est le principal service ayant mission d’enquêter sur les infractions criminelles et que si des gardes de parcs sont amenés à constater une infraction parce qu’ils arrivent les premiers, ils sont obligés de l’appeler pour qu’elle prenne rapidement la relève dans l’enquête.

[36] En 1988, des modifications ont été apportées à la Loi sur les parcs nationaux du Canada, entre autres l’adoption du terme « agent de la paix » et l’adjonction d’un membre de phrase chargeant les gardes de « maintenir l’ordre public dans les parcs ». La nouvelle loi a également augmenté les sanctions. Contrairement à la position prise par M. Raven à ce sujet, M. Lambrecht fait valoir que cela a eu un effet dissuasif indéniable. C’est pourquoi cette mesure rend le travail des gardes plus sûr et non pas plus dangereux.

[37] En 1989, Parcs Canada a élaboré une politique nationale d’application de la loi, qui a paru dans le Bulletin 2.1.9 et en annexe aux guides d’opérations et d’administration. M. Lapoukhine, directeur général, Direction générale des parcs nationaux, a confirmé que ces documents, bien qu’ils aient eu un caractère provisoire, restaient, de nos jours, la principale politique d’application de la loi dans les parcs nationaux. Cette politique contient des dispositions sur le matériel à usage restreint fourni aux gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi, dont la matraque, l’aérosol capsique et le gilet pare‑balles. Dans une note de service du 4 avril 2000 adressée aux directeurs et gardes de parcs en chef, l’Agence précisait que les fusils et carabines faisant partie de l’équipement normal de gestion des ressources pouvaient servir aux agents de la paix pour leur propre défense ou celle d’autrui.

[38] Début 1990, a paru l’Étude du CÉGEP évoquée plus haut. Bien que l’Agence n’ait pas été d’accord avec les méthodes employées pour cette étude, elle a accepté les recommandations visant à améliorer la formation des gardes de parcs, notamment en les envoyant au dépôt de la GRC à Regina en Saskatchewan. Cette formation, a déclaré M. Lambrecht, a mis l’accent sur la sécurité des agents et sur l’importance capitale du recours à un service de police ayant compétence pour intervenir au besoin.

[39] La formation a évolué au cours des années et, en 1995, la GRC a commencé à utiliser son propre modèle de force, connu sous le nom de Modèle d’intervention pour la gestion des incidents (MIGI). On y trouve des consignes pour juger correctement de la force à employer et bien construire son raisonnement. Depuis lors, le MIGI a toujours fait partie de la formation des gardes de parcs.

[40] En 1995, l’Agence a lancé un processus de planification axé sur l’application de la loi dans toutes les aires de patrimoine gérées par elle. La Direction stratégique était destinée à remplacer le Bulletin 2.1.9 suite à une évaluation du « niveau de service » dans chaque aire. Le gouvernement du Canada en a, toutefois, retardé la publication jusqu’en septembre 1997 à cause de l’Examen des programmes, entrepris en 1994. L’intention de cet examen étant de faire des économies, on s’est demandé si Parcs Canada devait même continuer de faire appliquer la loi ou s’il fallait confier cette tâche à la GRC. L’examen du programme d’application de la loi, mené conjointement par la GRC et Parcs Canada, a réaffirmé la différence entre le mandat de la police, qui était de faire appliquer la loi, et celui du service de garde, qui consistait à gérer les parcs et à protéger les ressources. Il a aussi confirmé que les services de la GRC et de Parcs Canada ne faisaient pas double emploi.

[41] À peu près en même temps, c.‑à‑d. en janvier 1997, la région de l’Alberta a commandé l’étude intitulée Rescue-3 évoquée ci‑dessus pour obtenir des recommandations sur les niveaux de service de ses parcs. L’expert‑conseil de l’étude a totalement désapprouvé les méthodes établies dans la Stratégie nationale pour fixer les niveaux de service et il a décidé de lier les niveaux de service au port d’une arme de poing. L’étude a recommandé de classer tous les parcs de l’Alberta au niveau 4, bien que ses auteurs aient été d’avis qu’en formulant une telle recommandation, on faisait preuve de négligence. Le mandat n’ayant pas été respecté, Parcs Canada a choisi de ne pas tenir compte de la recommandation de l’expert‑conseil. Avec la méthode de l’étude Rescue-3, un niveau 4 aurait exigé que l’on dote d’armes de poing les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi en Alberta.

[42] En 1997, suite à l’achèvement de l’Examen des programmes, la Direction stratégique a été soumise à la décision du Comité de gestion du programme (actuellement le conseil exécutif). L’étude Rescue‑3 ayant faussé la situation en associant les niveaux de service au port d’une arme de poing, le conseil exécutif a décidé de procéder à un essai d’un an pour contrôler et évaluer le système de classification des niveaux de service sans s’engager à l’égard du port d’armes. Pour diverses raisons, le processus de Direction stratégique s’est prolongé et il n’est toujours pas terminé.

[43] En juillet 1999, L’Agence a cherché à aborder et à résoudre le problème de l’armement indépendamment de la Direction stratégique. Elle a créé un groupe de travail (le Comité Victoria) ayant mission de lui adresser des recommandations sur une politique d’armement, en reconnaissant que l’arme de poing ne ferait pas partie de l’équipement normal de tous les gardes de parcs. En octobre 1999, le Comité Victoria a recommandé de procéder à un examen parc par parc sur une durée de deux ans pour juger de la nécessité d’une arme de poing. Entre temps, selon la politique d’armement du Comité Victoria, on pouvait (le soulignement est de nous) doter les gardes de parcs d’armes à feu [et non d’armes de poing] pour leur sécurité, conformément aux dispositions prises dans les Manuels nationaux d’application de la loi. De l’avis de M. Lambrecht, ce que le Comité Victoria a recommandé, ce n’est donc pas le port d’une arme de poing par les gardes de parcs comme le soutient l’agent de santé et de sécurité, mais simplement la poursuite de l’étude en la matière.

[44] En janvier 2000, M. Tom Lee, directeur général de Parcs Canada, a pris une décision définitive sur la politique d’armement. Il a refusé le port d’une arme de poing dans l’équipement normal au profit d’une modification des fonctions d’application de la loi dans le but d’atténuer et de gérer les risques. Un Programme provisoire[16] pour l’atténuation des risques a été mis sur pied en attendant la mise au point de plans d’application de la loi dans chaque parc. M. Lambrecht affirme que tous les témoins, sans exception, sont d’avis que les mesures d’atténuation exposées dans ce document augmentent la sécurité des gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi.

[45] C’est peu après le lancement du programme provisoire ci‑dessus que M. Martin a déposé sa plainte auprès de l’agent de santé et de sécurité.

Enquête de l’agent de santé et de sécurité

[46] Selon M. Lambrecht, l’agent de santé et de sécurité a cru comprendre que M. Martin se plaignait de ce que les fonctions d’application de la loi des gardes de parcs étaient dangereuses dans l’ensemble des parcs nationaux parce que l’équipement de protection individuel (c.‑à‑d. l’arme de poing) ne figurait pas dans l’équipement normal. M. Grundie a entrepris une enquête à l’échelle nationale bien qu’il n’en ait jamais mené une de cette ampleur auparavant. Ce faisant, il a recueilli une grande quantité de preuves et en a détruit quelques‑unes. Il a omis d’observer comment se déroulaient les fonctions d’application de la loi de M. Martin ou d’un autre garde de parcs. En outre, toujours selon M. Lambrecht, il n’a interrogé le représentant de la direction de l’employeur (Gaby Fortin) qu’à la toute fin de l’enquête et il a interrompu l’entretien abruptement après quelques questions.

[47] L’agent de santé et de sécurité a adressé deux instructions (voir les annexes 1 et 2) à l’Agence, instructions que celle‑ci cherche à faire annuler. Ces deux instructions visaient à mettre fin à un danger en vertu des alinéas 145(2)(a) et (b) du Code. Selon M. Lambrecht, M. Grundie a voulu parler d’une tâche puisque c’est le mot « tâche » (activity) dont il s’est servi dans ses instructions. Vu le contenu de ces dernières, il s’est référé évidemment aux tâches d’application de la loi des gardes de parcs, mais aussi à un type plus général de tâches telles que les enquêtes sur d’éventuelles infractions. En outre, dans les Motifs de décision, la référence à l’équipement de protection individuel renvoie également clairement à l’arme de poing.

[48] L’agent de santé et de sécurité a surtout mis l’accent sur le port d’armes de poing à cause de l’utilisation de l’expression « lésions corporelles graves ou mort ». D’après lui, on peut en déduire que les gardes de parcs sont parfois obligés de recourir à la force mortelle pour s’acquitter de leurs fonctions d’application de la loi s’ils se trouvent dans une situation où ils ont à se servir de cet équipement pour leur défense. M. Lambrecht déclare que l’expression « lésions corporelles graves ou mort » est associée au seuil légal d’utilisation d’une arme de poing pour l’autodéfense.

Argumentation

[49] M. Lambrecht fonde son argumentation sur le fait reconnu que les agressions contre les gardes de parcs sont rares, les blessures encore plus rares et les blessures graves encourues dans l’exercice de fonctions d’application de la loi inexistantes dans les temps modernes. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’équiper les gardes de parcs d’armes de poing pour leur faire appliquer la loi étant donné que cette tâche se fait en toute sécurité.

[50] Selon M. Lambrecht, cette affaire repose sur la distinction entre risque et danger. Un risque existe quand une personne pourrait être blessée, ce qui, souligne‑t‑il, est à la base du raisonnement de M. Martin et de l’AFPC. Ces derniers invoquent l’imprévisibilité du comportement humain. Un garde de parcs peut, à tout moment, se trouver dans une situation où il aura à tuer une autre personne pour se protéger. On peut parler de danger, au sens où l’entend le Code, quand on peut raisonnablement s’attendre à le voir apparaître avant qu’on ait eu le temps de modifier la tâche d’application de la loi elle‑même. On ne peut pas s’attendre raisonnablement à des blessures, déclare M. Lambrecht, uniquement parce qu’il y a un certain risque.

[51] Beaucoup de témoins, ajoute M. Lambrecht, disent que le port d’une arme de poing leur donnerait davantage confiance. Or, il s’agit ici de confort, question sur laquelle le présent tribunal n’a pas à trancher, puisque les armes de poing ne sont pas fournis aux gardes de parcs pour leur confort, mais pour recourir à une force mortelle en cas de besoin.

[52] M. Lambrecht aborde la définition du mot « danger » dans le contexte de l’actuel Code canadien du travail (modifié en septembre 2000) ainsi que du Code avant la modification (l’ancien Code). Il présente la jurisprudence dans le cadre de l’un et de l’autre.

[53] M. Lambrecht souligne que la jurisprudence relative à l’ancien[17] Code maintenait que le « danger » devait être réel, immédiat et présent au moment de l’enquête de l’agent de santé et de sécurité. Il fait aussi observer que celle du Code actuel retient les caractéristiques ci‑dessus, mais en reconnaissant que le « danger » peut être potentiel[18] dans des limites bien définies. Le danger ne saurait, toutefois, être hypothétique[19] ou théorique. En plus de ces caractéristiques, on doit avoir un degré raisonnable de certitude[20] quant aux blessures à venir.

[54] M. Lambrecht propose de prendre en considération les points suivants pour déterminer s’il y a un danger, au sens où l’entend le Code, à accomplir des tâches d’application de la loi sans arme de poing :

· la probabilité qu’a un garde de parcs d’être blessé (c.‑à‑d. de connaître la mort ou des lésions corporelles graves);

· la probabilité qu’il a d’être blessé (c.‑à‑d. de connaître la mort ou des lésions corporelles graves) avant que la tâche d’application de la loi ait été modifiée.

[55] D’après M. Lambrecht, l’aptitude des gardes de parcs à modifier la tâche elle‑même en faisant appel à leur jugement et en appliquant ce qu’ils ont appris est d’une extrême importance pour évaluer dans quelle mesure ils risquent de connaître la mort ou des lésions corporelles graves.

[56] M. Lambrecht est également d’avis que la blessure en litige devant le tribunal est, plus particulièrement, une blessure entraînant la mort ou des lésions corporelles graves, étant donné que l’agent de santé et de sécurité a affirmé qu’une arme de poing était nécessaire pour l’autodéfense. Or, une arme de poing permet de recourir à une force mortelle dès que le seuil légal[21] de recours à une telle force est atteint.

[57] La Cour suprême du Canada a distingué trois éléments constitutifs de l’autodéfense, à savoir les suivants :

1. l’existence d’une attaque illégale;

2. une crainte raisonnable de connaître la mort ou une lésion corporelle grave;

3. une conviction raisonnable de ne pas pouvoir se protéger d’une agression autrement qu’en tuant l’adversaire.

[58] Pour savoir s’il va y avoir blessure, il faut examiner les faits tels qu’ils se présentent dans cette affaire[22]. Ce sera, toutefois, difficile, déclare M. Lambrecht, car l’agent de santé et de sécurité a été saisi d’une plainte d’ordre général au sujet de l’ensemble des tâches d’application de la loi, indépendamment de tout fait précis. M. Grundie a enquêté sur cette plainte et a rendu une décision d’ordre général et sans avoir observé comment se déroulaient les fonctions d’application de la loi de M. Martin ou d’un autre garde de parcs. De plus, la personne qui aurait pu le mieux témoigner au sujet des faits précis de cette affaire et fournir les meilleures preuves, c.‑à‑d. M. Martin lui‑même, n’a pas été entendue.

[59] M. Lambrecht examine les risques inhérents aux fonctions d’application de la loi des gardes de parcs. L’agent de santé et de sécurité ayant admis l’existence de tels risques dans ses Motifs de décision, cela veut dire que pour lui, ces fonctions présentent toujours certains risques. Le port d’une arme de poing ne supprimerait donc pas le risque de mort ou de lésions corporelles graves pour les gardes de parcs.

[60] M. Lambrecht fait valoir que la question de savoir si une arme de poing est nécessaire pour réduire jusqu’à un minimum acceptable le risque de blessure inhérent à ces tâches oblige à prendre en considération un vaste éventail de facteurs, dont les suivants :

1. les cas répertoriés d’agressions et de blessures subies par les gardes de parcs dans leurs fonctions d’application de la loi;

2. les risques liés au port d’une arme de poing par les gardes de parcs;

3. le mandat du service de garde comparé à celui d’autres organismes d’application de la loi;

4. l’équipement, la formation et le soutien interorganismes fournis aux gardes de parcs;

5. le contexte social dans lequel travaillent les gardes de parcs.

On trouvera ci‑dessous une étude plus détaillée de chacun de ces facteurs.

1. Cas répertoriés d’agressions et de blessures subies par les gardes de parcs

[61] Selon M. Lambrecht, les preuves concernant l’application de la loi permettent de conclure :

· que les agressions sur des gardes de parcs sont rares, c.‑à‑d. rares dans l’absolu, rares par rapport au nombre total de cas dans lesquels les gardes ont été appelés à faire appliquer la loi et rares par rapport au nombre de personnes visitant les parcs nationaux.

· que les blessures subies par les gardes de parcs dans ces agressions sont extrêmement rares et tout à fait mineures[23];

· que les comportements agressifs auxquels les gardes de parcs ont eu affaire jusqu’ici sont si peu nombreux que le recours à la matraque ou à l’aérosol capsique n’est presque jamais nécessaire[24].

2. Risques liés au port d’une arme de poing par les gardes de parcs

[62] La position de Parcs Canada en la matière est présentée par M. Graham, qui fait valoir que l’agent de santé et de sécurité fait erreur en présumant que le port d’une arme de poing ferait disparaître entièrement le risque. Les éléments fournis par le professeur Stenning, spécialisé dans le domaine du recours à la force par les services de police, permettent de le prouver et d’établir que les personnes se servant d’armes de poing courent d’autres risques, dont l’agent de santé et de sécurité n’a pas tenu compte. Ces risques sont les suivants :

· le risque que la police fasse l’objet d’agressions supplémentaires de la part du public du simple fait qu’elle porte une arme de poing (ce que l’on appelle l’« effet des armes »);

· le risque que la police soit la victime de sa propre arme de poing;

· le risque de blesser ou de tuer quelqu’un dans le public par inadvertance au cas où la police se servirait d’une arme de poing;

· le risque que la police tue quelqu’un pour avoir cru à tort devoir recourir à une force mortelle et qu’elle soit alors poursuivie pour homicide involontaire ou meurtre.

3. Mandat et degré de diligence du service de garde comparés à ceux d’autres organismes

[63] M. Lambrecht signale qu’il y a une distinction à faire entre un service de police faisant appliquer le Code criminel et des gardes de parcs ayant pour mandat de gérer les ressources. Il soutient que l’agent de santé et de sécurité fait erreur en comparant le service de garde à d’autres organismes canadiens chargés de faire appliquer la loi et en concluant que le degré de diligence impose le port d’une arme de poing.

[64] M. Lambrecht donne des exemples de catégories d’emplois de gardes de parcs provinciaux exerçant des fonctions d’application de la loi sans arme de poing. Il y a, notamment, près de Banff, les gardes de parcs de Colombie‑Britannique ou les agents de conservation saisonniers en Alberta. Les gardes de parcs de l’Ontario, qui ont un mandat semblable à celui des gardes de Parcs Canada, sont autorisés à exercer les pouvoirs des membres de la police provinciale de l’Ontario pour faire appliquer plusieurs lois ainsi que le Code criminel et ce, sans porter d’armes de poing. Les agents de conservation de Terre‑Neuve ne sont pas équipés d’armes de poing, pas plus que les gendarmes auxiliaires de la GRC, alors qu’ils ont des pouvoirs d’arrestation en vertu du Code criminel.

[65] M. Lambrecht explique que les gardes de parcs n’ont pas tous un certificat de désignation ministériel les autorisant à faire appliquer les articles 18 à 23 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, qui donnent des pouvoirs d’arrestation et de perquisition. Le mandat de base des gardes de parcs, déclare M. Lambrecht, les oblige à faire appliquer la Loi sur les parcs nationaux du Canada et son Règlement, et à maintenir l’ordre public dans les parcs. Les agents de la paix ne sont, toutefois, pas des policiers. Les gardes de parcs n’interviennent en présence d’infractions criminelles que s’ils arrivent sur les lieux les premiers, mais ils ne sont pas des policiers ayant pour mandat de lutter contre la criminalité et de la prévenir. Le maintien de l’ordre public n’a rien à voir avec la prévention de la criminalité.

[66] L’agent de santé et de sécurité a aussi fait erreur en comparant les gardes de parcs à des agents de conservation. M. Bogdan, du Service canadien de la faune, fait savoir, dans son témoignage, que les chasseurs sont les principaux clients de son Service et des autres organismes de conservation qu’il connaît. Le travail de son Service consiste à aborder ceux qui portent légalement un fusil et à vérifier s’ils ont un permis. Le contexte est ici tout différent de celui des parcs nationaux où, à part quelques rares lieux de chasse autochtones, le port d’armes à feu est interdit.

[67] Eu égard aux exemples ci‑dessus et à la distinction à faire entre les mandats d’application de la loi de ces autres organismes et celui de Parcs Canada, M. Lambrecht soutient que l’agent de santé et de sécurité n’a pas seulement mal employé le terme de degré de diligence, mais qu’il a eu tort de conclure à l’existence d’une « norme de l’industrie » pour le travail d’application de la loi effectué par les gardes de parcs.

4. Équipement, formation et orientations fournis aux gardes de parcs

[68] Selon M. Graham, le service de garde a un équipement convenant au niveau de risque associé à son mandat. Les gardes de parcs ont un mandat d’application de la loi fondamentalement différent de celui des services de police, qui doivent lutter contrer la criminalité. Ils ont pour équipement de protection individuel une matraque, un aérosol capsique et un gilet pare‑balles et ils peuvent se servir d’armes à feu telles que des fusils et des carabines. Ils bénéficient, de ce fait, aussi bien d’un niveau élevé de protection que de la possibilité de recourir à une force mortelle en cas de besoin. Ils ont, toutefois, peu de chances de se trouver dans des cas les exposant à des lésions corporelles graves ou à la mort. L’agent de santé et de sécurité n’a pu en citer aucun, pas plus que Parcs Canada et l’AFPC dans les études présentées à l’audience.

[69] M. Graham souligne que, dans les circonstances où le seuil légal de recours à la force mortelle est atteint, les gardes de parcs peuvent substituer à celle‑ci d’autres stratégies, telles que les interventions verbales. Le meilleur atout des gardes de parcs est leur jugement, qui leur permet de modifier la tâche d’application de la loi elle‑même, de manière à gérer efficacement les risques.

[70] Les gardes de parcs reçoivent une formation au dépôt de la GRC à Regina en Saskatchewan. M. Graham fait valoir qu’ils apprennent là à modifier leur tâche d’application de la loi avant toute probabilité raisonnable de blessure ou de mort. La formation porte sur les modèles MIGI/CAPRA[25], les techniques de contrôle mains nues ou mains fermées et le maniement de la matraque et de l’aérosol capsique.

[71] Les modèles MIGI/CAPRA sont des outils aidant à acquérir un bon jugement pour choisir la conduite à adopter. La sécurité des gardes de parcs joue un rôle clé dans ce jugement. Le modèle CAPRA est une stratégie de police communautaire essentielle au MIGI. Les gardes de parcs doivent évaluer sans arrêt les risques de la situation et, ce faisant, comprendre qu’ils ont intérêt à faire appel à des organismes tels que les services de police armés ou les organismes de conservation armés pour leurs opérations d’application de la loi (braconnage et autres opérations spéciales), car la coopération interorganismes est au centre même de la politique de Parcs Canada en la matière.

[72] M. Graham décrit le fonctionnement des modèles MIGI/CAPRA en se fondant principalement sur le témoignage de l’inspecteur Clark. Le modèle CAPRA indique le degré de résistance qu’un agent peut rencontrer avec les moyens d’intervention correspondants. Cela va de la simple présence de l’agent au recours à la force mortelle. Chaque situation exige une intervention adaptée aux circonstances. L’inspecteur Clark déclare, dans son témoignage, qu’il n’y a aucune séquence d’emploi de la force ou d’intervention à suivre à un moment particulier. Selon la déposition de M. Graham, corroborée par le témoignage de l’inspecteur Clark, le MIGI n’oblige par les gardes de parcs à appliquer le « principe du cran », c.‑à‑d. à choisir en toutes circonstances un niveau d’intervention supérieur d’un cran à celui de la résistance rencontrée.

[73] Le MIGI repose sur sept principes d’intervention. L’un d’eux est la sécurité de l’agent. Les gardes de parcs apprennent que leur propre sécurité est indispensable au maintien de l’ordre public. L’un des moyens proposés par le MIGI est l’intervention verbale. C’est l’outil le plus puissant dont dispose un garde pour résoudre les problèmes, quel que soit le niveau de résistance rencontré.

[74] La présence et le repositionnement tactique des gardes de parcs sont d’autres moyens importants à envisager pour faire appliquer la loi. La simple présence est un facteur dont il faut tenir compte dans une intervention. Les gardes de parcs ne doivent jamais oublier qu’ils n’ont pas d’arme de poing quand ils réfléchissent à la façon la plus efficace d’intervenir dans une situation donnée. Ils sont censés appeler d’autres services à l’aide en cas de besoin, mais ils ne sont pas obligés de sacrifier leur propre sécurité en intervenant. C’est là un autre principe fondamental du MIGI. Le repositionnement peut être nécessaire pour désamorcer une situation ou choisir une intervention plus efficace.

[75] Les armes de poing ne sont pas fournies pour faciliter le repositionnement tactique, étant donné que ce serait contraire au MIGI. Il serait malvenu qu’un agent se serve de son arme de poing pour gagner du temps et s’éloigner. Il n’a pas à sortir son arme en guise de menace car il risquerait plus de problèmes qu’en se retirant. Le repositionnement tactique donne, par conséquent, à l’agent suffisamment de temps pour réévaluer la situation et choisir la solution appropriée, telle qu’une intervention verbale ou l’appel à l’aide d’autres organismes d’application de la loi.

[76] Les gardes de parcs apprennent également à employer efficacement les techniques de contrôle mains nues ou fermées, p. ex. l’étranglement carotidien. M. Graham affirme que ces techniques leur permettent le recours à une force mortelle.

[77] Les gardes de parcs ont aussi dans leur équipement une matraque et un aérosol capsique pour maîtriser les personnes agressives. Selon M. Graham, ils ne sont quasiment jamais obligés de passer à ce niveau d’intervention, mais ils pourraient éventuellement se servir de la matraque comme d’une arme de mort.

[78] M. Graham déclare que l’agent de santé et de sécurité fait erreur en concluant à la nécessité d’équiper les gardes de parcs d’armes de poing et de leur apprendre à tuer avec ces armes pour les rendre capables de recourir à tous les niveaux de force prévus par le MIGI – y compris la force mortelle. Ils ont déjà accès à tous les niveaux de force du MIGI. Ce modèle n’impose pas l’utilisation d’une arme de poing pour le recours à une force mortelle. L’agent de santé et de sécurité a mal interprété les faits rapportés par M. Bell à ce sujet. Selon M. Graham, il est prouvé que les gardes de parcs n’ont jamais jugé nécessaire, dans les temps modernes, de recourir à une force mortelle, alors qu’ils en ont les moyens sans pour autant être équipés d’armes de poing.

[79] Il est particulièrement important que les gardes de parcs demandent l’aide de la police ou d’agents de conservation armés, quand ils le jugent prudent après avoir évalué la situation face à des braconniers ou dans d’autres opérations spéciales. En outre, dans ce genre d’opérations, p. ex. l’exécution d’un mandat de perquisition, les évaluations des risques ne sont confiées qu’aux gardes de parcs les plus expérimentés et qualifiés. M. Graham déclare aussi n’avoir trouvé aucune preuve que des gardes de parcs avaient été blessés dans une agression en intervenant auprès de braconniers ou dans d’autres opérations spéciales.

5. Le contexte social plus vaste dans lequel travaillent les gardes de parcs

[80] La société canadienne bénéficie de mesures législatives sur le contrôle des armes à feu et elle ne peut se prévaloir d’aucun droit constitutionnel pour le port d’armes à feu, comme c’est le cas aux États‑Unis. Ce simple fait, déclare M. Lambrecht, est un facteur important du risque couru par n’importe quel agent chargé de faire appliquer la loi. En outre, les parcs les plus visités ont des détachements de police.

Conclusion

[81] Selon M. Lambrecht, les tâches d’application de la loi sans arme de poing ne font pas courir de danger au sens où l’entend le Code. L’Agence a reconnu qu’il existait un risque inhérent à ces tâches, mais elle estime avoir pris toutes les mesures nécessaires pour le ramener à un minimum acceptable. Ce qui subsiste, déclare M. Lambrecht, c’est l’imprévisibilité du comportement humain,

[Traduction]…qui n’est ni un danger, ni une situation susceptible d’être corrigée par le recours à une force mortelle au moyen d’une arme de poing. Sinon, toute personne au contact du public serait en danger en vertu du Code canadien du travail, ou toute personne chargée de faire appliquer la loi le serait à cause du risque que fait planer l’imprévisibilité du comportement humain, aussi improbable que ce risque puisse être sur le lieu de travail.

Dans le cas de Parcs Canada, des millions de personnes visitent les parcs et d’autres aires du patrimoine chaque année et le bilan des opérations d’application de la loi en matière de sécurité est excellent.

[82] Pour finir, M. Lambrecht fait observer que c’est à l’employeur de décider en dernier ressort si les gardes de parcs doivent ou non être pourvus d’armes de poing, étant donné que c’est lui qui est responsable de l’utilisation de cet équipement.

SOUMISSIONS POUR LES EMPLOYÉS

[83] M. Raven précise que M. Martin est l’appelant, mais que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’Alliance) intervient aussi dans cette affaire. M. Martin demande que l’on ajoute aux instructions de l’agent de santé et de sécurité une ordonnance exigeant que les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi soient pourvus d’armes de poing. L’appelant et l’Alliance demandent également que l’agent d’appel mette en place une procédure pour identifier et armer les gardes de parcs exerçant de telles fonctions.

[84] M. Raven entame son argumentation en déclarant ce qui suit :

[Traduction] Dans la présente affaire, il s’agit essentiellement et fondamentalement d’un problème systémique et non d’une situation particulière à laquelle aurait été confronté Doug Martin. Nous parlons ici d’une politique et d’un principe que la haute direction de Parcs Canada maintient envers et contre tout, malgré les appels répétés au changement lancés dans plusieurs études et les efforts déployés par le personnel de garde des parcs pour régler le problème dans tout le pays.

[85] L’agent de santé et de sécurité a affirmé à plusieurs reprises que M. Martin avait déposé plainte au nom de nombreux autres gardes ayant des préoccupations analogues. C’est pourquoi tout le monde y a vu une affaire nationale. Ceci étant, M. Raven est d’avis qu’il ne serait pas utile de la traiter sur la base de faits très précis liés à un milieu de travail en particulier et à une plainte donnée.

[86] En guise de premier argument, M. Raven fait valoir qu’en examinant le MIGI, on constate ce qui suit :

…[Traduction] il devient légal et nécessaire de recourir à la force mortelle comme moyen d’action quand l’agent peut avoir raisonnablement peur que lui‑même ou d’autres personnes aient à faire face à une menace de lésions ou blessures corporelles graves ou de mort.

Parcs Canada ne conteste pas que les gardes de parcs puissent avoir besoin de recourir à la force mortelle comme moyen d’action pour s’acquitter de leurs fonctions d’application de la loi. C’est pourquoi, fait remarquer M. Raven, M. Fingland porte un gilet pare‑balles. C’est parce que l’on prévoit et admet qu’il fait parfois face à des situations présentant des dangers de lésions corporelles graves ou de mort. C’est aussi pour cela que Parcs Canada autorise les gardes de parcs à employer des armes d’épaule pour se défendre dans le cas d’une telle attaque.

[87] Parcs Canada reconnaît, à travers ses descriptions de poste, que les gardes de parcs sont menacés de lésions corporelles graves ou de mort et, par conséquent, elle les dote d’un équipement de protection individuel et elle les autorise à s’en servir. La description de poste de M. Martin a été donnée en exemple, car il y est dit clairement ce qui suit :

[Traduction] Dans l’exercice des fonctions d’application de la loi, il y a un risque d’agressions physiques, de blessures graves et peut‑être même de mort.

…les gardes risquent des confrontations physiques avec des contrevenants susceptibles de se montrer hostiles, dangereux et armés.

D’autres descriptions de poste, applicables dans tout le pays, parlent aussi des dangers à affronter par les gardes de parcs faisant appliquer la loi. Par exemple, certaines d’entre elles stipulent ce qui suit :

[Traduction] … procédant à des fouilles corporelles de contrevenants en état d’arrestation, parfois dans des endroits isolés, p. ex. dans l’arrière‑pays où on ne peut compter sur aucune aide.

Les gardes risquent de se voir infliger des blessures graves et même la mort par des animaux sauvages quand ils se portent au secours de quelqu’un ou qu’ils font appliquer la loi.

…un grand risque de subir des violences physiques de la part de braconniers armés qui savent qu’une fois reconnus coupables, ils pourraient avoir à payer des amendes allant jusqu'à 150 000 dollars[26].

[88] Les études, c.‑à‑d. celle du CÉGEP, l’étude Rescue-3, etc., invoquées comme preuves dans cette affaire, ainsi que les dépositions des témoins des employés, c.‑à‑d. M. Butler, M. Fingland, M. Martin, M. Bogdan et M. Hanna, confirment toutes qu’une arme de poing est un élément essentiel de l’équipement de protection en cas de menace raisonnable de lésions corporelles graves ou de mort. La seule question, soutient M. Raven, à laquelle le tribunal doit alors répondre est de savoir si, dans ces circonstances, il est logique, sur le plan de la sécurité, que les gardes de parcs ne soient pas équipés correctement selon la norme universellement admise, qui impose une arme de poing.

[89] M. Raven insiste sur les dispositions prises en la matière par le Code, la Loi sur les parcs nationaux du Canada (la LPNC) et le Code criminel. Pour ce qui est du Code, M. Raven se reporte au paragraphe 122.1, où figure une définition du mot danger, aux articles 124 et 125 sur les obligations expresses imposées aux employeurs, à l’alinéa 127.1(10) et aux paragraphes 145.(1), (2) et (2.1) sur les fonctions et les pouvoirs des agents de santé et de sécurité, et aux paragraphes 145.1 et 146.1 sur la compétence de l’agent d’appel. En ce qui concerne la LPNC, M. Raven souligne que les gardes de parcs ont un mandat double, c.‑à‑d. la gestion des ressources et le maintien de l’ordre public en qualité d’agents de la paix. Ils exercent les fonctions d’application de la loi stipulées dans les articles 18 et 19 de la LPNC. Ils peuvent procéder à des arrestations sans mandat ainsi qu’à des perquisitions et à des saisies en vertu des articles 21 et 22 de la Loi. Et l’article 25 du Code criminel les autorise, à titre d’agents de la paix, à recourir à une force mortelle, et il les fait bénéficier des protections de l’article 34 à cet effet.

[90] L’article 21 de la LPNC confirme expressément que les gardes de parcs sont autorisés à procéder à l’arrestation sans mandat de toute personne qu’ils prennent en flagrant délit d’infraction à la présente loi ou au Code criminel. M. Raven explique que :

[Traduction] …le moment de l’arrestation, le moment où un contrevenant potentiellement dangereux craint pour sa liberté en cas d’arrestation, est celui où se commettent des actes spontanés et imprévisibles.

Quasiment tous les organismes au mandat semblable équipent leur personnel d’armes de poing.

[91] M. Raven se reporte à la définition que le Code donne du mot danger. Il maintient que l’agent de santé et de sécurité l’a correctement interprétée et appliquée à cette affaire et il demande que le tribunal confirme ses conclusions.

[92] Le Code exige que l’on évalue le danger[27] dans le contexte de chaque industrie et lieu de travail. Le Code récemment modifié a étendu[28] le concept de danger de manière à prendre en compte des tâches, des situations ou des risques éventuels. Le danger peut être potentiel[29] dans la mesure où les risques, les situations ou les tâches sont susceptibles de se produire ou d’exister et ont pas mal de chances d’exposer une personne à des blessures ou à des maladies avant qu’ils n’aient pu être respectivement écartés, corrigés ou modifiés. Dans la décision Robin Edwards[30], le présent tribunal a également reconnu qu’il y avait danger quand la survenance d’un accident était juste une question de temps. En outre, le fait qu’il y ait des risques pour la santé et la sécurité inhérents[31] à un travail ne veut pas dire que l’employé doit tous les assumer.

[93] M. Raven compare la décision Robin Edwards à l’exemple présenté à l’audience, sur vidéo, par le gendarme Butler : un agent de police ayant arrêté une automobile pour excès de vitesse avait, en s’approchant, vu poindre une arme de poing par la vitre latérale et reçu plusieurs coups de feu dans la poitrine. La question soulevée par M. Raven est de savoir si nous devons laisser un garde de parcs s’approcher d’un véhicule dans des conditions semblables[32] armé seulement d’une matraque. Selon M. Raven, c’est ce que fait Parcs Canada.

Enquête de l’agent de santé et de sécurité

[94] M. Raven estime que l’enquête menée par l’agent de santé et de sécurité est complète et approfondie. M. Grundie y a consacré des centaines d’heures. Il a consulté divers employés de Parcs Canada, y compris des représentants de la direction et du syndicat, ainsi que des spécialistes du recours à la force tels que M. Bell, de la GRC. Il a examiné énormément de documents, y compris toutes les grandes études, évaluations et recommandations concernant l’armement des gardes de parcs.

[95] M. Grundie a passé en revue les fonctions et responsabilités attribuées aux gardes de parcs en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, du Bulletin 2.1.9 de Parcs Canada et du Code criminel. Il a pris en considération l’effet que pouvait avoir l’accroissement des sanctions pour braconnage et commerce illicite aux termes de la LPNC. Il a étudié la formation des gardes de parcs, l’équipement qui leur est attribué, le MIGI, l’imprévisibilité du comportement humain dans le contexte de l’application de la loi et il s’est interrogé sur la question de savoir si une arme de poing était plus indiquée qu’une arme d’épaule.

[96] Pour ce qui est de ce dernier point, il a comparé les caractéristiques indésirables d’une arme d’épaule aux caractéristique désirables d’une arme de poing, en les mettant en relief dans un tableau. M. Raven se reporte, en outre, à la page 12 (version anglaise) des Motifs de décision de l’agent de santé et de sécurité, où celui‑ci dit :

[Traduction] Il convient de noter que, dans la section citée précédemment (Matériel à usage restreint) du Guide des opérations pour la mise en application de la loi, on parle aussi de gilets pare‑balles souples. Or, ceux‑ci sont destinés à protéger quelqu’un contre des coups de feu. Ils sont largement distribués aux gardes chargés de faire appliquer la loi, tout comme les aérosols capsiques et les matraques.

Ensuite, après une entrevue avec M. Gary Bell, l’agent de santé et de sécurité ajoute :

[Traduction] J’ai demandé à M. Bell comment l’on pouvait justifier la présence de tout cet équipement, y compris un gilet pare‑balles souple, en l’absence d’une arme de poing. M. Bell m’a répondu que ce n’était pas possible.

[97] M. Grundie a pris en considération le problème d’« image » soulevé par Parcs Canada. Il a examiné les diverses normes relatives à l’équipement de protection en vigueur dans d’autres organismes à mandat semblable. Il a aussi passé en revue une quantité appréciable de constats, et de pièces y afférentes, établis à l’occasion d’incidents dans lesquels les gardes de parcs ont été impliqués au cours des années.

Faits

[98] Comme M. Lambrecht avant lui, M. Raven explique quel est l’objectif du Bulletin 2.1.9, qui représente l’actuelle politique nationale d’application de la loi de Parcs Canada. Il reconnaît que les responsabilités des gardes de parcs et de la GRC se chevauchent, comme il a été dit au paragraphe 11 ci‑dessus. Il fait aussi observer que Parcs Canada a parlé dans ce Bulletin de la recrudescence de la criminalité. Pour souligner ce point, M. Raven suggère au tribunal de prendre bonne note de ce qu’a dit le gendarme Butler au sujet de la « filière du trafic de drogues » qu’est devenue la grande route traversant le parc national Banff.

[99] M. Raven reconnaît que la politique d’application de la loi permet la remise d’armes à usage restreint dans certaines circonstances, mais il fait remarquer que toutes les demandes d’armes de poing faites par les gardes de parcs ont été soit rejetées, soit laissées sans réponse. Les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi sont censés imposer le respect des dispositions prises par la LPNC en matière de braconnage, de mener des enquêtes spéciales, de procéder à des arrestations et de travailler dans l’arrière‑pays, souvent seuls, sans le soutien de la GRC aux alentours. Ils font couramment des enquêtes spéciales sur le braconnage, qui les obligent à exercer une surveillance sur les braconniers, dont beaucoup sont violents. Leurs descriptions de poste reconnaissent qu’ils peuvent être exposés à des agressions physiques. On en a un bon exemple dans le cas présenté par M. Dwane Martin, où un garde de parcs du Québec avait été attaqué brutalement alors qu’il cherchait à aider des gens dont le véhicule avait calé.

[100] L’agent de santé et de sécurité a examiné des études et des évaluations sur la question de la sécurité des gardes de parcs, notamment celles mentionnées plus haut, c.‑à‑d. l’Étude Buker et Frey de 1991, celle du CÉGEP de Trois-Rivières de 1993, le rapport Rescue-3 de 1997, ainsi que l’analyse de M. Jivcoff de 1999[33] et les recommandations du Comité Victoria de 1999. Ces études et évaluations contenaient des recommandations précises sur la politique concernant les gardes de parcs, leur équipement et leur formation. M. Raven conteste, cependant, que les méthodes ou résultats de ces études n’aient jamais été remis en question avant la déposition orale faite au cours de la présente audience.

[101] En plus des études et évaluations ci‑dessus, la Direction stratégique mise sur pied en 1996 était destinée à servir de cadre à une nouvelle politique d’application de la loi pour les parcs nationaux. Bien qu’elle ait été approuvée dans le principe, elle n’a jamais été mise sous forme définitive ni exécutée. Elle prévoyait de distinguer quatre niveaux dans l’exécution du programme d’application de la loi et de répartir les parcs entre quatre catégories de niveaux de service. Dans ceux des catégories trois et quatre, les gardes ayant des fonctions d’application de la loi devaient être pourvus d’armes de poing.

[102] Durant cette même période, Parcs Canada a revu son programme d’application de la loi conjointement avec la GRC[34]. Il ressort d’un compte rendu de décision de 1998 du conseil exécutif de Parcs Canada qu’une analyse de la sécurité des agents allait être entreprise. Celle‑ci, qui, soit dit en passant, n’a jamais été achevée, devait être en harmonie avec la politique d’armement de Parcs Canada, ce qui voulait dire que les gardes de parcs ne recevraient pas d’armes de poing. En 1999, le Comité Victoria a été créé pour formuler des recommandations sur la manière d’améliorer la politique d’armement. Il a établi des critères justifiant la remise d’armes de poing aux gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi. M. Tom Lee, directeur général, a rejeté ces recommandations catégoriquement. M. Raven en conclut qu’après quatorze années de manœuvres dilatoires sur la question de l’armement, l’Agence est prête à laisser les gardes de parcs exposés au danger sans leur accorder l’équipement de protection accepté dans cette industrie, c.‑à‑d. l’arme de poing.

[103] M. Raven fait observer que la Direction stratégique se réfère expressément à un degré de diligence (« standard of care ») à fixer en conformité avec celui d’organismes à mandat semblable pour assurer la protection du personnel chargé de faire appliquer la loi. L’Agence y reconnaît aussi que le service de garde est comparable à d’autres services de conservation. Dans son Programme provisoire adopté en juillet 2000, elle admet qu’il faut faire un parallèle avec d’autres organismes à mandat semblable et elle affirme que ses normes sont en conformité avec celles d’autres organismes chargés de tâches analogues en matière de protection des ressources.

[104] À titre d’exemples d’agents de conservation équipés d’armes de poing, on peut citer ceux des provinces de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, de Nouvelle‑Écosse, du Nouveau‑Brunswick, du Québec, de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta, de la Colombie‑Britannique et du Yukon. Les agents assumant des responsabilités semblables au sein du ministère des Pêches et Océans, ainsi que les agents de protection de la faune d’Environnement Canada, sont également équipés conformément à la norme de l’industrie, qui impose une arme de poing. M. Bell[35] a conclu dans son étude que l’arme de poing devenait l’équipement normal des agents de conservation ayant le statut d’agents de la paix.

[105] M. Raven reconnaît que le MIGI et d’autres modèles semblables n’imposent pas et ne sauraient imposer le port d’une arme ou d’un outil quelconque. Néanmoins, pour conclure, il déclare :

[Traduction] Il est incontestable, toutefois, que l’arme de poing est une arme de protection de choix pour les employés de quasiment tous les organismes à mandat semblable ayant à recourir à la force mortelle comme tactique de défense.

[106] Selon les témoignages du gendarme Simms et de l’inspecteur Clark de la GRC, le repositionnement tactique est toujours une solution à la disposition des agents d’application de la loi, ce que conteste vivement M. Raven. Comme l’a dit le gendarme Butler dans son témoignage, il arrive souvent que cette solution ne soit tout simplement pas viable. L’Alberta Association of Chiefs of Police (AACP) l’admet expressément dans le programme d’étude de son modèle de recours à la force. Il y est dit que :

[Traduction] …dans certains cas, le désengagement ou le repositionnement tactique est impossible … la sécurité de l’agent de l’ordre public et d’autres agents exclut parfois la solution du désengagement.

[107] En ce qui concerne l’application de la loi, si le repositionnement est impossible, c’est parce que le comportement humain est souvent imprévisible. Ce principe a été bien compris dans le MIGI, ainsi que par M. Bell dans son étude et par le gendarme Butler, qui a déclaré, dans son témoignage, que 70 à 75 p. 100 des agressions contre des agents de la paix étaient spontanées.

[108] M. Raven fait observer que le « principe du cran »[36] évoqué par de nombreux témoins figure également dans les manuels de formation de la GRC. Ce principe est en conformité, en gros, avec la nature de l’autodéfense en général. Il donne la suprématie à la sécurité de l’agent, car si celui‑ci n’arrive pas à maîtriser la situation, la sécurité publique risque d’être compromise. M. Raven affirme que tous les modèles vont dans ce sens.

[109] M. Raven fait valoir que, du fait de leurs responsabilités, les gardes de parcs sont obligés de donner aux véhicules à risque inconnus l’ordre de stopper. Le moment d’une arrestation est considéré par les témoins comme l’aspect le plus stressant et potentiellement le plus violent du travail d’un agent de la paix. Les gendarmes Butler et Simms ont tous les deux déclaré, dans leur témoignage, qu’ils ne feraient pas stopper de véhicules sans avoir une arme de poing. Selon une étude du Federal Bureau of Investigation (FBI)[37] :

[Traduction]… les statistiques des années 1989 à 1998 incluse révèlent que les interventions en cas d’infractions au Code la route sont parmi celles où il y a eu le plus grand nombre de morts (93 sur 682) chez les agents.

Le gendarme Butler a souligné qu’en donnant aux conducteurs de véhicules à risque inconnus l’ordre de stopper pour un contrôle de routine, les agents ont affaire à des contrevenants au comportement imprévisible et potentiellement violent, allusion à la « filière du trafic de drogues » mentionnée plus haut.

[110] Quant au risque couru par les agents de se tuer avec leur propre arme, M. Raven déclare qu’à en croire les statistiques, le nombre d’agents victimes de leur arme a baissé de façon spectaculaire ces dernières années.

[111] Le problème de l’« image » n’est tout simplement pas corroboré par les preuves. M. Bogdan et M. Hanna ont déclaré, dans leur témoignage, qu’ils n’avaient jamais détecté d’attitude négative dans le public uniquement parce qu’ils portaient une arme de poing. Selon plusieurs études, dont celle de M. Bell et les articles du FBI[38], les agents donnant une impression de faiblesse incitent les contrevenants à les agresser. Les témoins ont cité de nombreux cas où ils s’étaient sentis personnellement vulnérables face au contrevenant auquel ils avaient affaire. Pour ce qui est de l’usage d’une arme d’épaule à la place d’une arme de poing, les demandeurs parlant au nom des employés ont déclaré ne pas comprendre comment des gardes de parcs arrivant sur une aire de camping équipés d’une arme d’épaule et prêts à s’en servir pourraient rehausser l’image de Parcs Canada.

[112] M. Raven parle ensuite longuement des incidents violents. Il fait observer que Parcs Canada n’a jamais réussi à mettre sur pied un système de rapport sur les incidents violents, administré à l’échelle nationale, ni à achever l’étude sur la sécurité des agents, annoncée il y des années. Deux études ont, toutefois, été lancées pour essayer de résumer les informations sur les incidents ayant posé un problème pour la sécurité des agents, c.‑à‑d.

· Le rapport de M. Evans, déposé comme Pièce E-16;

· Analyses de risque portant sur la sécurité de l’agent et Incidents relatifs à la sécurité de l’agent, déposés comme Pièce U-60.

[113] M. Raven fait valoir que le rapport de M. Evans[39] a tant de défauts fondamentaux qu’il n’est, en fin de compte, pas du tout fiable, étant donné la façon dont les incidents ont été répertoriés. Selon M. Raven, il y a trois raisons à ces défauts :

· M. Evans a refusé de s’intéresser à autre chose qu’aux données électroniques produites par le système MILE Plus et, par conséquent, d’examiner certains incidents tout à fait valables, mais dont le constat n’existait que sur papier;

· M. Evans a décidé, sans consulter personne, de laisser de côté des cas invoqués par les gardes de parcs comme étant préoccupants pour leur sécurité, alors qu’il ignore tout de ce genre de fonction;

· Le rapport de M. Evans porte sur une étude dont les données sont, pour une raison inconnue, truffées d’erreurs de programmation. On s’est aperçu que de nombreux exemples avaient échappé à la recherche par mots clés de M. Evans, alors qu’ils répondaient aux critères de recherche.

[114] En revanche, M. Raven pense que le rapport Fingland[40] est fiable. Dans cette étude, menée par les gardes du parc Jasper entre 1994 et 2000, tous les constats faits sur papier ont été pris en considération. D’après ce rapport :

[Traduction] 300 constats, sur les quelque 9 000 examinés, signalent au moins un risque pour la sécurité d’un agent.

Dans 32 p. 100 de ces 300 constats, les personnes interpellées avaient un casier judiciaire et, parmi elles, 14 p. 100 faisaient l’objet d’une mise en garde de la part de la police.

[115] À l’analyse des données, on constate que 34 p. 100 des problèmes de sécurité pour les agents se posent lors d’une arrestation. C’est l’acte jugé le plus dangereux pour eux. Parmi les autres sources de danger, il y a la présence de contrevenants ayant un casier judiciaire pour violence (22 p. 100) ou proférant des menaces contre les gardes (8 p. 100), ainsi que les problèmes de communication (9 p. 100), y compris des problèmes dans la couverture radio, la liaison avec le système du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) ou les demandes de secours en général.

[116] Les témoins, et notamment M. Fingland, ont cité de nombreux cas de risques pour la sécurité des gardes de parcs, afin de donner une idée du type de dangers courus. M. Raven attire l’attention sur les exemples suivants :

· un homme ayant un casier judiciaire et faisant l’objet d’une mise en garde dans le CIPC pour violence, a agressé un garde et un agent de la GRC;

· un homme disposé à coopérer au début est devenu subitement agressif (l’imprévisibilité du comportement humain);

· un braconnier qui avait caché son arme d’épaule dans son camion s’en est servi ensuite pour tirer sur l’agent de la GRC après une enquête pour braconnage;

· sur une route, à un endroit où aucun repositionnement tactique n’était possible, des gardes ont eu à examiner un véhicule volé et en panne, dans lequel se trouvaient des armes utilisées pour un enlèvement et un vol qualifié;

· un homme arrêté par un garde et la GRC pour excès de vitesse a attaqué un agent de la GRC le jour suivant et a été tué par ce dernier qui craignait pour sa vie;

· sur la route traversant le parc national Jasper, un garde a été en contact avec quelqu’un qui avait fait l’objet d’une arrestation pour meurtre;

· un garde s’est fait voler son cheval dans l’arrière‑pays sous la menace d’une arme : ayant dû mettre pied à terre, il a été enfermé dans une cabane et il a vu l’homme s’enfuir sur son cheval;

· un garde a rencontré un homme qui se cachait aux confins du parc national Jasper et était accusé d’avoir tiré sur deux agents de la FBI.

Argument

[117] M. Raven fait valoir que l’agent de santé et de sécurité a correctement interprété et utilisé l’actuelle définition du mot « danger » selon l’interprétation qui en a été donnée dans la récente jurisprudence[41]. Il estime aussi que la conclusion à laquelle a abouti l’agent de santé et de sécurité, à savoir qu’il y a danger, est entièrement corroborée par les preuves rassemblées. De plus, étant donné la grande quantité d’informations recueillies et examinées par l’agent de santé et de sécurité, toutes les preuves supplémentaires présentées par les deux parties à l’audience ne font que confirmer ses conclusions initiales.

[118] M. Raven fait observer que Parcs Canada a reconnu le danger inhérent au travail des gardes de parcs. En fait, dit­‑il, les descriptions de poste des gardes de parcs spécifient que ceux‑ci courent un risque d’agressions physiques, de blessures graves et peut‑être même de mort dans l’exercice de fonctions d’application de la loi. Par conséquent, Parcs Canada ne peut plus nier que les gardes de parcs sont en danger puisque les descriptions de poste l’indiquent déjà.

[119] Les tâches courantes des gardes de parcs s’avèrent être les patrouilles routières, le recueil de renseignements, les enquêtes sur des infractions possibles et le braconnage, et les arrestations à des fins de gestion des ressources et de maintien de l’ordre. M. Raven ajoute que ce sont là des tâches que les gardes de parcs ont le pouvoir et l’obligation d’exécuter en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada et de la politique de Parcs Canada.

[120] L’on se doit de souligner, déclare M. Raven, qu’un grand nombre de ces fonctions sont couramment assumées par des gardes de parcs seuls dans l’arrière‑pays sans aucun secours immédiat de la part d’autres gardes ou de la GRC.

[121] En outre, la GRC et Parcs Canada, dans leur Protocole d’entente, reconnaissent la possibilité d’un chevauchement des responsabilités à cause de l’éloignement des parcs et de la distance à laquelle se déroulent certaines tâches d’application de la loi. M. Raven fait valoir que cela prouve que les gardes de parcs sont effectivement chargés de rétablir l’ordre public quand ils arrivent les premiers sur les lieux.

[122] Avant de décider d’intervenir dans une situation dangereuse en tant que premier arrivé sur les lieux, un garde doit réfléchir et tenir compte des risques et des circonstances. Néanmoins, dans ce genre d’évaluations, il ne peut prévoir l’escalade spontanée de la violence, cas dans lesquels une arme de poing devient un élément essentiel de l’équipement de sécurité.

[123] De tous temps, les gardes de parcs se sont trouvés dans des situations potentiellement dangereuses, par exemple face à des braconniers, à des criminels, etc. Le marché illicite des ressources fauniques, qui sont en forte demande dans le monde, est un autre facteur susceptible d’accroître le risque d’agressions contre les gardes de parcs. M. Raven fait observer que c’est vraiment une chance qu’aucun garde n’ait été blessé sérieusement ou tué ces dernières années et que ce n’est qu’une question de temps avant qu’une tragédie se produise.

[124] M. Raven soutient que tous les modèles de recours à la force tels que le MIGI indiquent une séquence de moyens d’action à pleine puissance, où le recours à d’une force mortelle est envisagé en cas de risque de lésions corporelles graves. Bien que l’Agence ait adopté le MIGI, elle interdit aux gardes de parcs de recourir à une force mortelle avec une arme de poing, imposée, selon M. Raven, par la norme dans pratiquement tous les organismes d’application de la loi à mandat semblable.

[125] M. Raven fait valoir que le repositionnement tactique s’est avéré être parfois impossible en cas d’attaque spontanée. Rien que sur cette base, si l’agent d’appel accepte la preuve apportée par le gendarme Butler à ce sujet, l’appel de Parcs Canada devrait être rejeté.

[126] M. Raven avance également qu’en limitant les fonctions d’application de la loi des gardes, on ne les protégera nullement, puisque cela ne réduira pas le danger réel qu’ils affrontent. Si c’était le cas, il ne serait pas nécessaire de les équiper de matraques et d’aérosols capsiques. M. Raven déclare également que l’Agence n’a pas bien compris les principes sous‑jacents du MIGI et qu’elle suppose à tort que les gardes de parcs peuvent simplement se désengager. Il maintient que la séquence de moyens à pleine puissance indiquée dans le MIGI constitue l’outil d’atténuation des risques idéal pour les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi, et que tous ces moyens, y compris le recours à la force mortelle avec une arme de poing, devraient être mis à leur disposition pour leur sécurité.

[127] Pour finir, M. Raven soutient que le port d’une arme de poing rehausserait l’« image » des gardes de parcs en renforçant l’autorité des agents de la paix aux yeux du public. Cela donnerait également confiance aux gardes de parcs. Selon les études menées en la matière, le manque d’équipement correct peut nuire à l’efficacité des agents en les rendant plus conscients des risques qu’ils courent.

[128] Quoiqu’en pense Parcs Canada, il existe une norme de l’industrie pour le port d’une arme de poing dans les organismes de conservation[42] de tout le Canada. L’Étude Rescue-3 de 1997 l’a reconnu. La plupart des organismes fédéraux et provinciaux chargés de la protection des ressources naturelles ayant un mandat d’application de la loi semblable équipent leurs agents d’une arme de poing.

[129] M. Raven maintient que les preuves de l’agent de santé et de sécurité confirment la nécessité d’une instruction nationale. Il soumet, en substance, la proposition suivante, à savoir que le comportement humain est imprévisible et que de nombreuses études prouvent que les rencontres les plus banales peuvent devenir dangereuses et ne laisser aucune chance de repositionnement aux gardes de parcs. Ceux‑ci risquent alors d’être en danger quel que soit le parc national concerné ou la tâche précise accomplie à ce moment‑là.

[130] M. Raven demande que le tribunal ordonne à l’employeur de prendre des mesures précises et appropriées pour équiper d’armes de poing les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi.

MOTIFS DE DÉCISION

[131] L’agent de santé et de sécurité a adressé deux instructions à Parcs Canada en vertu des alinéas 145(2) (a) et (b) du Code. Ces alinéas traitent expressément du concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code. Il est dès lors clair que la décision à prendre en cette affaire porte sur la question de savoir si les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi couraient un « danger », au sens ou l’entend le Code, au moment où l’agent de santé et de sécurité a mené son enquête. C’est pourquoi j’analyserai les soumissions des parties principalement par rapport au concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code. Cependant, vu l’énorme quantité de preuves présentées par les parties dans cette affaire, je serai aussi obligé d’aborder de nombreuses questions soulevées par elles, en rapport avec le Code, mais pas nécessairement avec le problème du « danger » au sens où l’entend le Code.

[132] Le concept de « danger » est défini comme suit dans le paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[133] En l’espèce, les instructions se réfèrent expressément à la « tâche » (activity) d’application de la loi pour décrire le « danger » allégué. Les demandeurs ont également porté leur attention sur la « tâche » d’application de la loi des gardes de parcs. Je limiterai, par conséquent, mon analyse aux tâches, en tenant compte du fait que la définition parle aussi de situations ou de risques existants ou éventuels.

[134] Dans la plainte de M. Martin et les soumissions de M. Raven, il est dit, en substance, que les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi pouvaient se trouver dans des cas présentant un risque de « lésions corporelles graves et de mort ». Selon le raisonnement tenu par l’agent de santé et de sécurité pour donner les instructions portées en appel, les gardes de parcs ayant comme tâche de faire appliquer la loi encourent des lésions corporelles graves ou la mort et ne sont pas pourvus de l’équipement de protection individuel nécessaire. M. Lambrecht a aussi estimé que les blessures envisagées dans cette affaire étaient du type grave. Comme je suis d’accord avec eux, je m’intéresserai à ce genre de blessures, c.‑à‑d. des blessures suffisamment graves pour justifier la remise d’armes de poing aux gardes.

[135] M. Lambrecht a déclaré que cette affaire reposait sur la distinction entre risque et danger. Je partage son avis sur ce point. Je trouve que l’agent de santé et de sécurité ainsi que les employés intervenant dans cette affaire ont mal compris ces concepts. L’agent de santé et de sécurité a entrepris une enquête de portée nationale, mais il a négligé de recueillir des faits précis concernant la plainte de M. Martin ou d’un autre garde de parcs chargé de faire appliquer la loi. Il a appliqué, à mon avis, un ensemble de critères qui ne respectent pas l’interprétation du concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code. Il faut, par conséquent, faire une distinction entre, d’une part le « risque » et, d’autre part le « danger » tel qu’il est défini dans le Code.

[136] Dans les soumissions de M. Lambrecht, le risque est décrit de la manière suivante : [Traduction] C’est un principe reconnu que certains emplois exposent souvent leurs détenteurs à un ou plusieurs dangers. La mort et les lésions corporelles graves en font partie et ce sont ces deux dangers que nous devons prendre en considération dans la présente évaluation. Le RISQUE, quant à lui, est le degré de probabilité de ces deux dangers [43].

[137] Bien que j’approuve de manière générale cette interprétation, je me servirai de la définition des dictionnaires, la raison en étant que si un terme n’est pas défini dans le Code, la définition faisant foi doit être celle des dictionnaires. Le terme de « risque » est défini comme suit dans la troisième édition du Multidictionnaire de la langue française : Possibilité d’accident, de malheur, et dans la dernière édition du Grand dictionnaire encyclopédique Larousse : 1. Possibilité, probabilité d’un fait ou d’un événement considéré comme un mal ou un dommage; danger. Pour résumer ce qui précède dans le contexte de cette affaire, il y a « risque » quand il y a une possibilité d’accident ou de dommage.

[138] Comme M. Raven et M. Lambrecht l’ont tous deux fait observer dans leurs soumissions, je me suis intéressé au concept de « danger » tel que le définit le Code pour rendre ma décision dans l’affaire Welbourne c. Canadien Pacifique [2001][44]. Dans cette décision, j’ai écrit ce qui suit :

[14] En l’espèce, la question est de savoir si M. Welbourne a été en danger, selon la définition du Code, quand la soufflette s’est détachée du collier. Comme le Code a été modifié récemment, c.‑à‑d. le 30 septembre 2000, il convient de se pencher attentivement sur le sens donné au mot danger dans le « nouveau » Code, afin d’appliquer les critères corrects pour savoir s’il y a danger selon les dispositions du Code.

[15] Le paragraphe 122(1) du Code définit le danger comme suit :

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

“danger” means any existing or potential hazard or condition or any current or future activity that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected, or the activity altered, whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity, and includes any exposure to a hazardous substance that is likely to result in a chronic illness, in disease or in damage to the reproductive system.

[16] Cette nouvelle définition du mot danger est analogue à celle du Code avant la modification, à savoir la suivante :

<danger> Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu’il ne puisse y être remédié.

[17] L’actuelle définition du « danger » cherche à améliorer celle de la version antérieure du Code, jugée trop restrictive pour protéger la santé et la sécurité des employés. Selon la jurisprudence qui s’est établie autour du concept précédent, le danger devait être immédiat et présent au moment de l’enquête de l’agent de sécurité. En revanche, la nouvelle définition élargit le concept de danger pour permettre la prise en compte d’une situation, d’une tâche et d’un risque éventuel. Cette façon d’aborder la question est plus conforme à l’objet du Code, tel qu’il est exposé au paragraphe 122.1, qui stipule ce qui suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[18] Dans l’actuelle définition du mot danger, le risque, la situation ou la tâche n’a plus besoin d’exister au moment où l’agent de santé et de sécurité fait son enquête, mais peut être éventuel. Le mot « éventuel » est défini comme suit dans la troisième édition du Multidictionnaire de la langue française : Possible, et dans la dernière édition du Grand dictionnaire encyclopédique Larousse : 1. Se dit de ce qui dépend des circonstances; possible. L’expression « Situation, tâche ou risque… -- … éventuel » signifie, dans le cas de la tâche, que celle‑ci n’est pas en train de s’accomplir [en présence de l’agent de santé et de sécurité], mais qu’elle est susceptible d’être exécutée par quelqu’un dans le futur. C’est pourquoi, en vertu du Code, le danger peut aussi être potentiel dans la mesure où l’on peut voir apparaître ou se concrétiser la situation, la tâche ou le risque et s’attendre raisonnablement à ce qu’ils occasionnent alors une blessure ou une maladie chez une personne, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[19] La situation, la tâche ou le risque existant ou éventuel dont il est question dans la définition doit être de celles ou de ceux que l’on peut raisonnablement s’attendre à voir occasionner des blessures ou des maladies à une personne, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. C’est pourquoi, le concept d’attente raisonnable exclut les cas hypothétiques ou théoriques.

[20] L’expression « avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée » a été interprétée comme voulant dire que la blessure ou la maladie était susceptible de se produire immédiatement[45]. Dans l’actuelle définition du danger, toutefois, toute référence à un risque, à une situation ou à une tâche doit être lue conjointement avec les termes existant ou éventuel, ce qui semble alors retirer du concept de danger précédent la nécessité que la blessure ou la maladie se produise immédiatement. En réalité, la blessure ou la maladie ne peut apparaître que s’il y a effectivement exposition au risque, existence de la situation ou accomplissement de la tâche. C’est pourquoi, étant donné que les circonstances sont graves, on doit avoir un degré raisonnable de certitude de voir apparaître la blessure ou la maladie immédiatement dès que la personne est confrontée au risque, à la situation ou à la tâche, sauf si le risque est écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Ceci étant, on ne peut attendre qu’un accident se produise, d’où la nécessité d’agir rapidement et immédiatement en pareil cas.

[21] Quant à l’expression « même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats », que l’on a ajoutée à la nouvelle définition, elle ne se rapporte pas aux circonstances de la présente affaire et je n’entrerai pas dans les détails à son sujet. Mais, dans un souci de clarté et de précision, je renvoie le lecteur à la version anglaise, qui dit « whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity ». La traduction littérale serait la suivante : …, que la blessure ou la maladie apparaisse ou non immédiatement après l’exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Enfin, je laisserai de côté les changements apportés à la définition au sujet de l’exposition à des substances dangereuses, étant donné qu’il n’en est pas question en l’espèce.

[139] La décision Welbourne a mis en évidence les importants changements apportés à la législation relative au concept de danger. Des termes nouveaux ont été ajoutés à l’« ancienne » définition du danger, qui l’ont sensiblement modifiée et ont créé un nouveau concept de danger dans la version en vigueur, concept qui demande de toute évidence à être clarifié.

[140] Comme je l’ai dit dans la décision Welbourne, supra, le « danger » peut être potentiel (prospective) dans la mesure où

…la tâche est susceptible de s’accomplir et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle occasionne une blessure ou une maladie chez une personne chargée de l’exécuter, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée (le soulignement est de moi).

[141] À mon avis, l’expression « avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée, a été et reste une source de confusion dans la définition que le Code donne du danger. Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a interprété cette expression dans plusieurs affaires comme indiqué ci‑dessus. Il est arrivé à la conclusion que si le Parlement a limité les situations et les tâches dangereuses à celles susceptibles de se produire avant d’avoir pu être corrigées, cela signifie que, dans l’ensemble, « [Traduction] …nous ne sommes qu’à quelques pas du concept de “danger imminent” »[46].

[142] Pour simplifier, disons que l’expression « avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée » veut dire que si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une situation, un risque ou une tâche cause une blessure, l’employé sera blessé dès que cette situation, ce risque ou cette tâche se présentera. La blessure se produira avant que l’on ait eu le temps d’écarter le risque, de corriger la situation ou de modifier la tâche. Par conséquent, la blessure est imminente.

[143] Une des différences entre l’« ancienne » et la nouvelle définition d’un danger réside dans le fait que l’actuelle parle aussi d’une situation, d’une tâche ou d’un risque éventuel, de sorte que cette situation, cette tâche ou ce risque n’a plus besoin d’exister au moment où l’agent de santé et de sécurité mène son enquête. Ce dernier peut donc regarder plus loin que les circonstances entourant immédiatement l’enquête qu’il est en train de mener pour décider si oui ou non un danger existe selon la définition du Code. Il y a, toutefois, certaines limites au concept de « danger » tel que le Code l’a défini.

[144] La présence du mot « éventuel » dans la définition signifie que l’on peut prendre en considération une tâche susceptible d’être exécutée dans le futur pour déclarer qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. Il y a, cependant, des limites. Pour conclure à l’existence d’un danger au moment de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité doit se faire une opinion sur les points suivants, en se fondant sur les faits recueillis au cours de ladite enquête, à savoir :

· que la tâche éventuelle en question sera accomplie[47];

· qu’un employé aura à l’exécuter le moment venu;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce :

que la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l’employé appelé à l’exécuter, et que

la blessure ou la maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.

Note : La question de la latence de la blessure ou de la maladie ne sera pas étudiée dans la présente décision, étant donné qu’elle n’a pas été soulevée en l’espèce. J’aimerais, toutefois, renvoyer le lecteur au paragraphe 21 de la décision Welbourne pour plus de clarté.

[145] Étant donné que l’agent de santé et de sécurité est obligé de procéder à une enquête sur des faits précis en tenant compte des quatre critères objectifs énumérés ci‑dessus, les cas hypothétiques et théoriques continueront d’être exclus de la définition d’un danger. Après tout, les cas, tant hypothétiques que théoriques, ne reposent sur aucun fait, ce qui est en contradiction flagrante avec le concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code. Il est important de noter ici que même si le « danger » selon la définition du Code peut ne pas exister, une infraction peut exister.

[146] À cet égard, le paragraphe 145(1) du Code autorise l’agent de santé et de sécurité à intervenir dans les cas où il a des preuves que les mesures prises par l’employeur sont insuffisantes pour protéger les employés. Le paragraphe 145(1) stipule ce qui suit :

145(1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

(a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

(b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

[147] Dans le cas présent, l’agent de santé et de sécurité avait abouti à la conclusion que l’Agence ne prenait pas les mesures qu’elle devrait raisonnablement prendre pour atténuer ou gérer les risques reconnus comme étant inhérents aux tâches d’application de la loi des gardes, ce qui revient à dire, à mon avis, que l’employeur ne s’est pas acquitté de l’obligation générale qui lui est faite, aux termes de l’article 124 du Code, de veiller à la protection de ses employés. Les dispositions de l’article 124 du Code concernent les tâches basées sur la diligence raisonnable et elles ont de vastes applications. Elles stipulent ce qui suit :

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

L’opinion exprimée par M. Lambrecht, à savoir que c’était à l’employeur de décider en dernier ressort si les gardes de parcs devaient ou non être pourvus d’armes de poing, n’est pas en conformité avec cette disposition.

[148] À mon avis, si l’agent de santé et de sécurité avait abordé la question de l’armement à partir du paragraphe 145(1), son intervention aurait pu s’avérer plus indiquée, efficace et bénéfique pour tous ceux impliqués dans cette affaire. Le fait d’avoir bâti son raisonnement sur le paragraphe 145(2) du Code, comme nous allons le voir, va à l’encontre des intérêts des employés dans cette affaire.

[149] Le paragraphe 145(2) du Code dit ce qui suit :

145. (2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent :

(a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise à la prise de mesures propres :

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

(b) peut en outre, s’il estime qu’il est impossible dans l’immédiat de prendre les mesures prévues à l’alinéa a), interdire, par l’instruction écrite donnée à l’employeur, l’utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l’accomplissement de la tâche en cause jusqu’à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des instructions.

[150] En l’espèce, l’agent de santé et de sécurité a choisi d’aborder la question de la sécurité des gardes de parcs en vertu du paragraphe 145(2) du Code, dont les dispositions sont très précises en ce sens que le concept est restrictif et fondé sur une norme extrêmement rigoureuse, comme il se doit, à mon avis. Le concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code est très spécifique parce qu’il ne s’applique que dans des circonstances exceptionnelles. Il est strictement fondé sur des faits. On voit, dès lors, clairement que la déclaration faite précédemment par M. Raven, à savoir qu’il ne serait pas utile de traiter l’affaire sur la base de faits très précis liés à un milieu de travail en particulier et à une plainte donnée, est à la fois intéressée et en contradiction avec le concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code.

[151] Les gardes de parcs ont un mandat double en matière d’application de la loi : la gestion des ressources, d’une part, et le maintien de l’ordre public, d’autre part. M. Raven a passé en revue les tâches effectuées par les gardes de parcs pour faire respecter la loi. La liste est impressionnante et nombreux sont les risques. Ceux relatifs à la sécurité sont largement mentionnés dans les descriptions de poste. Il est reconnu que les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi courent des risques de par la nature même de ces fonctions. À mon avis, le fait d’être généralement exposé à ces risques constitue un danger[48] au sens le plus large donné au mot danger par les dictionnaires, qui se contentent de parler de menace d’accident. Toutefois, ce type de danger ne correspond pas au concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code, du fait que celui‑ci est fondé sur une norme plus rigoureuse. Un « danger » selon la définition du Code exige non seulement qu’il y ait un risque de blessure, mais également que l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que la tâche existante ou éventuelle visant à faire appliquer la loi cause cette blessure immédiatement.

[152] Pour déterminer si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une tâche existante ou éventuelle d’application de la loi cause une blessure et qu’une personne entreprenant une telle tâche s’expose à ladite blessure dans l’immédiat, il faut se fonder sur des critères objectifs[49]. La présente affaire présente des faiblesses sur le plan des preuves du fait qu’il est impossible d’établir objectivement s’il existe ou non un « danger » au sens où l’entend le Code. L’agent de santé et de sécurité n’a pas pu recueillir de faits dans cette affaire pour la simple raison que tout ce qui a trait au comportement criminel de contrevenants est insaisissable lorsqu’il s’agit d’êtres humains. Contrairement aux machines, ceux‑ci ont l’intelligence et le libre arbitre[50]. Une personne peut décider si elle va ou non infliger une blessure à une autre et à quel moment. Le gendarme Butler a déclaré, dans son témoignage, que 70 à 75 p. 100 des agressions contre des agents de la paix étaient spontanées. Pour ces raisons, il est quasiment impossible à un agent de santé et de sécurité de déterminer à quel moment un garde de parcs va se faire agresser et infliger des lésions corporelles graves ou la mort.

[153] Après avoir passé en revue les preuves présentées par les parties, entendu les déclarations des témoins, analysé les études et évaluations, reçu les soumissions de M. Raven et M. Lambrecht, je suis d’avis qu’il y a, dans cette affaire, un thème essentiel et prédominant. C’est l’imprévisibilité du comportement humain. Les témoins qui ont comparu devant le tribunal ont été clairs : une agression pouvait se produire à n’importe quel moment dans l’exercice de fonctions d’application de la loi. Il leur était, toutefois, impossible d’établir à coup sûr si cette agression se produira, et quand et dans quelles conditions. Il est évident que les témoins parlaient là de cas hypothétiques n’ayant rien à voir avec le concept de « danger » selon la définition du Code.

[154] M. Gary Bell de la GRC a été clair sur ce point dans son étude[51]. Il a déclaré dans son rapport, à la page 20 (anglais seulement), sous le titre Risk and Prediction of Dangerousness (Risque et prévision de la dangerosité) ce qui suit :

[Traduction] Quant à savoir à quel moment, où, dans quelles circonstances, jusqu’à quel point et avec quelles conséquences, il est impossible de le dire de façon tant soit peu fiable.

M. Bell a, en outre, parlé de l’imprévisibilité du comportement humain et fait observer, sur la même page, que c’était un facteur important :

[Traduction] De tous les arguments de poids en concurrence dans cette analyse, celui de l’imprévisibilité me paraît être le plus impérieux et le plus inéluctable.

En outre, à la page 22 du rapport, il a écrit ce qui suit :

[Traduction]… il n’y a, à part celle‑ci, aucune autre profession où la question de l’« intentionnalité » est l’élément le plus dangereux du travail à accomplir.

[155] Il ressort clairement de ce qui précède que l’on ne peut savoir de façon tant soit peu fiable si un contrevenant va ou non blesser un agent faisant appliquer la loi. Dans les affaires de ce genre, d’importants critères sont nécessaires pour pouvoir déterminer objectivement la probabilité d’une blessure et, par conséquent, d’un danger, c.‑à‑d. qu’il faut savoir de qui et de quoi il s’agit, à quel endroit on se trouve et dans quelles circonstances. Il est évident que le concept de « danger » tel que le Code l’a défini n’est pas en harmonie avec l’imprévisibilité du comportement humain, caractéristique inhérente aux fonctions d’application de la loi. Dans les professions où l’« intentionnalité » est un élément dominant du travail, c’est une gageure en soi de chercher à établir sur des faits qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. En l’absence de faits précis éliminant l’aspect d’imprévisibilité du comportement humain, l’agent de santé et de sécurité conclura probablement à l’inexistence d’un « danger » au sens où l’entend le Code, puisqu’il se trouvera, à proprement parler, en présence d’un cas hypothétique ou théorique.

[156] M. Raven a renvoyé le tribunal à une décision de la Division de la santé et de la sécurité au travail du ministère du Travail de la Saskatchewan[52]. Suite à cette décision, les agents de conservation de la Saskatchewan avaient été équipés d’armes de poing. C’est l’un des documents sur lesquels l’agent de santé et de sécurité s’était fondé pour décider qu’il y avait « danger » pour les gardes de parcs exerçant des fonctions d’application de la loi. L’agent de santé et de sécurité, ainsi que M. Raven, ont soutenu que les gardes de parcs faisaient un travail analogue à celui des agents de conservation et qu’ils devraient être dotés d’un équipement équivalent, y compris d’armes de poing. Bien que cette décision n’ait pas fait jurisprudence au niveau fédéral et qu’elle n’ait donc pas force obligatoire pour le tribunal, elle a du poids, à mon avis, parce qu’elle montre qu’en l’absence de preuves, les cas hypothétiques, c.‑à‑d. tous les « possibles », n’ont aucune fondement quand on applique des critères objectifs.

[157] Dans cette affaire, 94 agents de conservation employés par Saskatchewan Environment and Resource Management (SERM) avaient refusé de travailler en vertu de l’Occupational Health and Safety Act, 1993 (la Loi). Ils s’étaient plaints, de manière générale :

[Traduction] … de ce que l’exercice ininterrompu de fonctions d’application de la loi pourrait les placer dans des situations anormalement dangereuses.

Ils ont déclaré, et leur position est très semblable à celle des témoins des employés en l’espèce, être :

[Traduction]…mal équipés pour se protéger contre des rencontres qui pouvaient toujours donner lieu à une confrontation, éventuellement suivie de violences.

[158] L’agent de santé au travail auquel la Division de santé et de sécurité au travail du ministère du Travail de la Saskatchewan avait confié l’enquête a tranché en déclarant que treize travailleurs ayant reçu de réelles menaces de violence se trouvaient dans une situation anormalement dangereuse, selon les dispositions de la Loi, mais non les 81 autres agents de conservation qui avaient refusé de travailler sur la base de la plainte générale. Il a fait valoir ce qui suit :

[Traduction] À mon avis, l’acte ou la série d’actes que ces employés ont refusé d’accomplir est normalement sans danger pour la santé et la sécurité des travailleurs ou de toute personne occupant le poste. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de danger. Les situations décrites par ces travailleurs ne sont, toutefois, pas à considérer comme anormalement dangereuses. C’est pourquoi, ces agents de conservation n’ont plus le droit de refuser d’accomplir l'acte ou la série d’actes en vertu de l’article 23 de l’Occupational Health and Safety Act de 1993. S’ils continuent de le faire pour des motifs invoqués avant le 31 octobre, ils risquent des mesures disciplinaires.

Aucune décision favorable n’a pu être prise pour les 81 autres refus de travailler, et ce pour une ou plusieurs des raisons suivantes :

[Traduction] Les refus sont à caractère général.

Un grand nombre des répondants au questionnaire ont refusé toutes les fonctions d’application de la loi de leur poste et n’ont parlé d’aucun danger anormal. Les travailleurs sont obligés d’exécuter les tâches attribuées par l’employeur, sauf si celles‑ci les placent dans une situation anormalement dangereuse.

La législation ne prend jamais de dispositions pour des cas qui n’existent qu’à l’état d’hypothèse. Un travailleur doit avoir des raisons valables de penser que s’il reste à son poste, il aura à faire face à un danger anormal …

[159] L’agent de santé au travail a déclaré que les 81 agents de conservation ne couraient pas un « danger anormal ». Il a, toutefois, conclu son enquête en adressant un avis de contravention à SERM, pouvoir que le tribunal, comme nous le verrons plus tard, ne possède actuellement pas. Il a découvert au cours de cette enquête que SERM n’avait aucun document exposant en détail sa politique en matière de violence, comme l’exigeait sa réglementation, et il lui a ordonné d’en rédiger un. Pour des raisons que le tribunal ignore, SERM a décidé d’équiper ses agents de conservation d’armes de poing, bien que la Division de santé et de sécurité au travail ne lui en ait pas donné l’ordre.

[160] Le tribunal reconnaît que Parcs Canada a déployé de gros efforts et pris plusieurs initiatives pour protéger ses employés chargés de faire appliquer la loi, fonctions qui présentent toujours des risques de violence. Néanmoins, j’estime que cette Agence n’a pas évalué parfaitement les risques auxquels les gardes de parcs sont exposés ni élaboré de bonnes stratégies pour y remédier, en particulier parce qu’elle a pour politique de refuser le port d’une arme de poing. Elle a, par exemple, décidé d’équiper les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi d’un gilet pare‑balles, destiné à les protéger en cas de coups de feu, et non de son complément naturel, c.‑à‑d. l’arme de poing. Si, en accordant le gilet, elle a pour motif de protéger les gardes de parcs contre d’éventuels coups de feu, alors le port d’une arme de poing pourrait se justifier. Si, en revanche, elle veut seulement apaiser leurs craintes de se trouver au milieu d’une fusillade sans l’équipement de protection nécessaire, alors, à mon avis, elle ne fait, par cette décision, qu’accroître l’anxiété des gardes de parcs et leur donner une fausse impression de sécurité. Dans l’un et l’autre cas, la décision prise est discutable, du moins en l’absence d’un programme de prévention de la violence. Il n’est pas étonnant que les gardes de parcs se sentent anxieux face à des contrevenants. D’une part, leur employeur les dote d’un équipement utilisé normalement pour protéger contre des coups de feu et, d’autre part, il ne reconnaît pas que ses gardes puissent avoir à se défendre avec une arme de poing. Cette situation rend ceux‑ci moins aptes à exercer leurs fonctions d’application de la loi en toute sécurité et elle exige donc que l’on trouve une solution. Comme l’a fait observer M. Bell dans son étude, supra :

[Traduction] L’absence de cet équipement (gilet pare‑balles et arme de poing) peut devenir un sérieux obstacle au rendement quand, de ce fait, les agents en question s’estiment mal préparés et exposés à plus de risques.

…On comprend donc pourquoi, selon les données réunies dans cette étude, plus des trois quarts des agents de conservation de la Saskatchewan souffrent continuellement d’anxiété causée par la peur d’être blessé.

[161] Faute d’un incident précis reposant sur des faits qu’aurait pu rassembler l’agent de santé et de sécurité pour conclure à l’existence d’un « danger » au sens où l’entend le Code, je me suis fondé, à titre de preuves, sur des faits passés et des anecdotes ayant trait à des incidents violents. Disons plus simplement que, selon les faits passés, tels que les a rapportés M. Lambrecht, « les agressions sont rares, les blessures peu graves et personne n’a jamais entendu dire qu’elles avaient entraîné la mort ou des lésions corporelles graves dans les temps modernes… ». Les anecdotes, c.‑à‑d. des événements signalés à titre d’exemple par des témoins, au cours desquels des agents faisant appliquer la loi avaient subi des violences, confirment qu’il y a des risques inhérents à ces fonctions. Ces preuves ne sont, toutefois, utiles que pour bien faire comprendre au tribunal que ces agents courent effectivement des risques. Elles seraient très utiles dans une évaluation des risques, mais elles sont sans intérêt pour décider s’il y a ou non un « danger » au sens où l’entend le Code.

[162] Le tribunal ne peut pas conclure positivement à l’existence d’un « danger » selon la définition du Code en se fondant uniquement sur des événements passés. La notion de « danger » au sens où l’entend le Code, qui comprend le concept de « tâche éventuelle », n’autorise pas un agent de santé et de sécurité à se tourner vers le passé pour déclarer qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. Le « danger », tel que le définit le Code, est soit immédiat, soit potentiel, comme il a été expliqué ci‑dessus. Il ne peut exister rétroactivement.

[163] M. Raven a appelé mon attention sur deux études en contradiction l’une avec l’autre dans leur façon d’aborder les problèmes de sécurité des agents[53]. La première est l’Étude sur les incidents relatifs à la sécurité de l’agent, les problèmes de sécurité particuliers et les blessures en rapport avec les tâches d’application de la loi pour les années 1999 et 2000 et le mois de janvier 2001, de M. Brian Evans, qui a été remise au tribunal. Selon M. Raven, l’étude Evans est si pleine de défauts qu’à toutes fins pratiques, elle est sujette à caution en cette affaire.

[164] M. Raven a également renvoyé le tribunal à une étude menée par les gardes du parc Jasper (le Rapport Fingland). Le Rapport Fingland, intitulé Analyses de risque portant sur la sécurité de l’agent et Incidents relatifs à la sécurité de l’agent confirme que les gardes de parcs peuvent entrer en contact avec des contrevenants, dont beaucoup ont un casier judiciaire pour violences graves commises dans diverses circonstances.

[165] J’accepte les deux études parce qu’elles contribuent à bien faire comprendre le type et le niveau des risques inhérents aux fonctions d’application de la loi des gardes de parcs.

Étude de M. Evans

[166] Le tribunal admet que l’étude de M. Evans présente des défauts. Il estime, toutefois, que ceux détectés par M. Raven ne sont fatals à cette étude quand on les place dans le contexte des faits passés et des anecdotes cités à titre de preuves.

[167] M. Evans a examiné 24 023 cas tirés des données électroniques contenues dans les systèmes Mile Plus et BRAL. Les cas se sont produits sur une période de 25 mois avant l’émission des instructions portées en appel. Sur ces cas, 825 ont été considérés comme posant un problème de sécurité, l’un des neuf critères de recherche que M. Evans s’était fixés pour son analyse. Parmi eux, il y a un cas de blessure (une entorse du pouce). Comme indiqué plus haut, M. Raven a mis sérieusement en doute l’étude de M. Evans à cause des défauts qu’elle présentait.

[168] Malgré les faiblesses constatées, l’analyse de M. Evans concorde avec les faits rapportés et confirme que les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi durant cette période n’ont subi aucune blessure grave. En procédant à une contre‑interrogation, M. Raven a pu montrer qu’au moins neuf constats dressés (pour la plupart au parc Jasper) en 1999-2000, sur les 212 répertoriés par M. Evans, n’avaient pas été pris en compte dans l’étude, alors qu’ils posaient des problèmes de sécurité pour les agents, et inversement, au moins trois avaient été retenus à tort.

[169] Malgré de possibles problèmes de méthode, seuls trois cas de blessure ont pu être allégués. Dans l’un d’eux, pendant la période considérée, un garde avait contracté une entorse du pouce au cours d’une lutte, et dans les deux autres, survenus antérieurement, deux gardes avaient, dans un cas, eu des contusions et des écorchures au genou au cours d’une lutte, et dans l’autre, un des gardes présents s’était battu avec deux hommes pour leur prendre leurs armes et avait reçu des coups et subi une coupure au pouce.

[170] Comme M. Lambrecht l’a souligné plus haut, les faits passés cités à titre de preuves ne viennent pas corroborer l’allégation selon laquelle les gardes de parcs faisant appliquer la loi sont en « danger » au sens où l’entend le Code. Les gardes courent sûrement tous les jours le risque d’être blessés, mais ce risque fait partie de leur métier. C’est un risque qui a été atténué efficacement à ce jour grâce aux connaissances spécialisées et à la formation qu’ils reçoivent et à leur équipement de protection individuel.

[171] M. Raven n’a pas contesté ni nié ce qu’avait dit M. Lambrecht, à savoir que ces études avaient sans doute des défauts, mais que si une seule mort ou blessure grave était survenue dans le passé chez les gardes de parcs, il en aurait, lui ou les gardes représentés dans cette affaire, promptement informé le tribunal. Il n’a pu trouvé que des incidents mineurs parmi les cas omis par M. Evans.

Rapport Fingland

[172] M. Raven a fait valoir que les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi étaient obligés de faire stopper les véhicules à risque inconnus. Ils pouvaient ainsi se trouver face à des personnes possédant un casier judiciaire. En fait, sur les 300 constats désignés dans le Rapport Fingland comme posant des problèmes de sécurité pour les agents,

[Traduction] 32 p. 100 ont porté sur des personnes ayant un casier judiciaire, dont 14 p. 100 faisaient l’objet d’une mise en garde de la part de la police.

[173] Le fait que certaines personnes aient un casier judiciaire ne suffit pas pour justifier l’existence d’un « danger » au sens où l’entend le Code. Il faut se reporter aux faits incriminés pour décider si c’est le cas ou non : Canada (Procureur général) c. Lavoie (1998), 153 F.T.R. 297 (F.T.D.). Dans cette affaire, on avait transféré, par manque de place, deux détenus d’un pénitencier à sécurité moyenne du secteur d’isolement à celui de la population carcérale générale. Un agent de correction avait refusé de servir les repas aux deux détenus, invoquant comme motif que la politique d’isolement de l’employeur exigeait pour cela la présence de deux agents au minimum. L’agent de santé et de sécurité chargé de l’enquête, ainsi que l’agent régional de sécurité[54] ayant instruit l’appel de la décision de l’agent de santé et de sécurité, avaient conclu à l’existence d’un « danger » au sens où l’entendait le Code [avant sa modification], parce que l’employeur n’avait pas appliqué sa politique d’isolement dans cette affaire. La Cour a statué comme suit au paragraphe 24 :

[Traduction] À mon avis, l’agent de sécurité et l’agent régional de sécurité ont simplement présumé qu’il existait un danger, étant donné que le Service correctionnel avait omis de suivre la procédure applicable aux détenus du secteur d’isolement préventif. Ils n’ont pas pris en compte les informations probantes reçues, à savoir que C. et H. n’avaient jamais montré de signes d’agressivité ou de troubles mentaux ni agressé un agent de correction et qu’ils n’avaient pas été condamnés pour des crimes avec violence (le soulignement est de moi).

[174] Il est intéressant de noter que la Cour a invoqué le fait que les deux détenus n’ont pas été condamnés pour des crimes avec violence. Le CIPC signale aux gardes de parcs les personnes faisant l’objet d’une mise en garde de la part de la police. Bien que cette information, prise séparément de tout autre fait, ne suffise pas pour conclure à un « danger » au sens où l’entend le Code, elle mérite certainement une attention particulière dans une évaluation des risques. Toutefois, je ne ferais que présumer qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code si j’acceptais la proposition de M. Raven, à savoir que les gardes de parcs faisant appliquer la loi sont en « danger » simplement parce qu’ils doivent affronter des personnes susceptibles d’avoir un casier judiciaire ou de faire l’objet d’une mise en garde de la part de la police. Si c’était le cas, tous les organismes d’application de la loi actuels auraient à équiper d’armes de poing ceux de leurs employés qui exercent de telles fonctions, quel que soit le mandat, puisque ces employés auront forcément un jour affaire à des gens ayant un casier judiciaire ou connus pour leur violence. On ne peut pas conclure à un « danger » au sens où l’entend le Code en l’absence de toute preuve précise.

[175] Les études et évaluations présentées comme preuves, c.‑à‑d. l’Étude Buker et Frey de 1991, l’Étude du CÉGEP de Trois-Rivières de 1993, le Rapport Rescue-3 de 1997, l’analyse de Jivcoff de 1999 et les Recommandations du Comité Victoria de 1999, ont évoqué des risques de blessure. Elles ont recommandé de donner aux gardes de parcs faisant appliquer la loi une formation spéciale et de les équiper, dans certaines circonstances, d’armes de poing. Ces recommandations présentent de l’intérêt dans le contexte d’une évaluation des risques inhérents aux fonctions d’application de la loi, mais non dans celui du « danger » tel qu’il est défini dans le Code.

[176] Aucune des études soumises n’a fourni de preuves justifiant l’emploi d’une arme de poing dans les cas d’autodéfense où le seuil de recours à la force mortelle est atteint. Parmi les arguments importants présentés par M. Raven à cet égard, il y a la nécessité d’appliquer le « principe du cran » préconisé par la GRC. Dans les manuels de formation de la GRC, ce principe[55] est expliqué comme suit :

Pour assurer le contrôle d’un incident, le policier doit utiliser un niveau d’intervention d’un cran plus élevé que le niveau de résistance du suspect.

[177] Ce principe est en harmonie avec l’autodéfense de manière générale. Cependant, le tribunal n’a eu aucune preuve[56] qu’au travail et dans l’exercice de leurs fonctions d’application de la loi, les gardes de parcs se soient jamais trouvés dans une situation d’autodéfense où ils encouraient des lésions corporelles graves ou la mort. Je ne dispose pas non plus de preuves qu’un tel cas puisse se présenter à l’avenir. Les gardes de parcs estiment pour leur part qu’il est de l’ordre du possible et qu’il pourrait se produire à l’avenir. Bien que cette préoccupation soit légitime, elle n’est pas fondée sur des faits. L’absence de connaissances établissant incontestablement qu’un tel cas se produira n’est pas en accord avec la définition d’un « danger » telle qu’elle figure dans le Code.

[178] Dans le concept de « danger » tel que le définit le Code, le temps est un élément essentiel. M. Raven a renvoyé à la décision rendue dans l’affaire Revenu Canada et Robin Edwards [1991] C.C.T.A.R.S. no 23, où j’ai déclaré qu’il y avait « danger » quand la survenue d’un incident n’était qu’une question de temps. Dans cette affaire, un agent des douanes accompagnait un chauffeur du bureau principal dans d’importants transports de fonds à bord d’un véhicule identifié. Il avait refusé de travailler parce qu’il n’avait pas reçu la formation nécessaire pour pouvoir se protéger contre les vols qualifiés ou la violence. Les médias avaient rendu publique la nouvelle qu’un véhicule identifié appartenant aux douanes transportait de fortes sommes d’argent. La police avait conseillé de ne pas poursuivre ces transports de fonds vers des institutions financières, parce qu’ils étaient de notoriété publique. L’agent de sécurité et, lors du processus de révision, l’agent régional de sécurité, a déclaré qu’il y avait un « danger » pour l’employé. J’ai écrit ce qui suit :

[Traduction] À mon avis, dans cette affaire, le danger réside dans le fait que le risque de vol qualifié avec violence a augmenté à un point tel que M. Edwards ou la police ne le juge plus tolérable. Ce n’est pas un risque si vague qu’il est peu susceptible de se produire. Au contraire, il est quotidien et la survenue d’un vol qualifié, étant donné les circonstances du moment, n’est qu’une question de temps. J’estime que les transports journaliers et réguliers de fortes sommes d’argent, au vu et au su du public, de la part de Douanes et Accise, de Revenu Canada, dans un véhicule identifié, sans l’équipement nécessaire et le personnel compétent pour les escorter, présentent des risques de vol qualifié immédiats. M. Edwards est donc confronté, dans son milieu de travail, à une situation où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il soit blessé. Le simple fait qu’il n’y ait pas eu de vol jusqu’ici est, à mon avis, à attribuer à la chance. Mais je pense également que le temps et la chance tirent à leur fin et que M. Edwards ne devrait pas être obligé de compromettre sa sécurité et sa santé pour prouver que le danger allégué est réel.

[179] Les faits invoqués dans l’affaire Edwards étaient convaincants car l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que M. Edwards soit blessé et ce, immédiatement, dès la reprise des transports de fonds. On pouvait penser, en toute logique, que ce n’était qu’une question de temps, ce qui voulait dire que, selon toute probabilité, M. Edwards se ferait violemment agresser la prochaine fois qu’il transporterait des fonds. La décision concluant à un « danger » reposait sur plusieurs faits. Mais dans l’affaire Parcs Canada, ce sont précisément les faits qui manquent.

[180] Je souscris, toutefois, à la proposition suivante de M. Raven :

Qu’il y ait des risques ou des dangers inhérents à un travail ne veut pas dire, en soi, que le travailleur est censé assumer tous les risques pour sa sécurité et sa santé parce qu’ils font partie de son métier. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour les réduire le plus possible.

[181] Dans la présente affaire, les parties m’ont fait savoir que la question de l’arme de poing était au centre des débats depuis quatorze ans. L’Étude Buker et Frey de 1991 avait longuement insisté sur ce point. M. Lapoukhine a reconnu que l’Agence n’avait pas fait preuve de diligence en la matière. Les progrès qu’elle a réalisés ont été laborieux et émaillés de controverses, en partie peut‑être parce qu’elle a maintenu envers et contre tout une « politique » hostile au port d’une arme de poing, à en croire ses employés. Ceux‑ci ont de bonnes raisons de le penser, puisque l’Agence a, jusqu’à ce jour, rejeté toutes les demandes de dotation en armes à usage restreint (arme de poing), quelles que soient les conclusions des études présentées à l’appui. À mon avis, par cette « politique », l’Agence sape les efforts déployés et les initiatives prises par elle pour assurer la sécurité de ses gardes de parcs.

[182] M. Raven a déclaré, en outre, que l’arme de poing était l’arme de choix des employés dans quasiment tous les organismes à mandat semblable lorsqu’ils ont à recourir à la force mortelle comme tactique de défense. Si l’on se fonde sur la comparaison faite par M. Raven et M. Lambrecht avec les organismes dotés d’armes de poing et ceux qui ne le sont pas, il semblerait que M. Raven ait raison. L’immense majorité des organismes d’application de la loi à mandat semblable est équipée d’armes de poing, dont les organismes fédéraux désignés ci‑dessus. On n’est pas loin de la « norme de l’industrie » invoquée par l’agent de santé et de sécurité.

[183] Ce dernier est convaincu qu’une telle norme existe. L’Étude Rescue-3 en a reconnu l’existence. Il semble, toutefois, que le gouvernement fédéral, en tant que patron de nombreux employés ayant des fonctions d’application de la loi, n’a aucune politique uniforme en matière d’armes de poing, alors qu’il devrait en avoir une, à mon humble avis. Ceci étant, je comprends parfaitement la position adoptée à cet égard par l’agent de santé et de sécurité. Cependant, une « norme de l’industrie », même si elle existait, ne permettrait pas, à elle toute seule, de conclure qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code.

[184] Le tribunal est troublé par l’apparente inaptitude ou réticence de Parcs Canada à mener à bien une analyse des risques pour la santé et la sécurité ou « analyse de la sécurité des agents », qui aurait permis d’enterrer ce débat. C’est, à mon humble avis, le problème le plus important à résoudre. La santé et la sécurité des employés constituent l’un des principes fondamentaux du Code. Conformément au Code, cette analyse devrait être menée en consultation étroite avec le comité d’orientation de Parcs Canada crée en vertu du Code, étant donné que l’armement des gardes de parcs est de portée nationale. Elle devrait venir en complément et pas seulement en supplément de l’initiative concernant les « niveaux de service ».

[185] L’analyse de la sécurité des agents devrait placer les risques inhérents aux fonctions des gardes de parcs dans le contexte particulier de leur double mandat. Elle devrait reconnaître que même si les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi ne sont pas des policiers, ils ont un mandat les obligeant à assumer des fonctions ressemblant à celles de la police, comme de procéder à des arrestations, à des perquisitions et à des saisies, de faire des enquêtes pour braconnage, etc. Dans la réalité, la distinction peut ne pas être évidente pour le contrevenant.

[186] Parcs Canada devrait avoir comme priorité de mener à bien une analyse objective de la sécurité des agents, avant que cela ne devienne une priorité pour un autre agent de santé et de sécurité. Évidemment, cette analyse ne devrait pas être liée à la question de savoir s’il faut ou non une arme de poing. Elle ne saurait être objective sans la participation d’un agent de santé et de sécurité. Grâce à une analyse objective, Parcs Canada apprendrait sans doute quelles sont les fonctions présentant de gros risques pour les gardes de parcs et quel type de formation et d’équipement spécialisés ceux‑ci devraient recevoir pour faire leur travail en toute sécurité.

[187] Cette analyse donnerait également à l’Agence l’occasion de revoir sa politique hostile au port d’une arme de poing et de décider si elle doit continuer ou non à assumer des fonctions d’application de la loi. Elle pourrait également décider éventuellement, si l’analyse de la sécurité des agents révèle l’existence de gros risques exigeant le port d’une arme de poing, de créer un « service » de garde séparé uniquement chargé de faire appliquer la loi. Quel que soit le cas, elle devra à tout prix protéger parfaitement la santé et la sécurité de ses employés quand ceux‑ci exécutent les tâches policières dont il est question dans le Bulletin 2.1.9 :

[Traduction]… il y a des moments où les circonstances sont telles que chacun est appelé à jouer un rôle prédominant dans le domaine de responsabilité principal de l’autre (le soulignement est de moi).

[188] Il est clair que si les gardes de parcs arrivent les premiers sur les lieux où une infraction a été commise ou est en train de se commettre, ils sont censés prendre certaines mesures[57]. Beaucoup de témoins ont déclaré qu’après avoir demandé l’aide de la GRC, ils recevaient souvent l’ordre d’intervenir parce que la GRC n’avait pas d’agent disponible ou annonçait un retard. Dans ce cas, les risques étaient plus élevés pour les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi. Étant donné le nombre et la variété des tâches que ceux‑ci ont à exécuter à cet effet, il faut admettre, par pur bon sens, qu’il ne leur sera pas toujours possible de battre en retraite et de se repositionner pour évaluer la situation et décider de la conduite à tenir. De toute évidence, le moment est venu de procéder à une évaluation complète et objective des risques auxquels sont exposés les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi.

[189] Je suis d’avis que l’agent de santé et de sécurité avait suffisamment de pouvoirs en vertu du Code pour aborder la question de la sécurité des gardes de parcs sous l'angle national. Par exemple, il aurait pu demander, par la voie d’une instruction, que l’employeur lui remette une évaluation, en quantité et qualité, des risques associés aux fonctions d’application de la loi des gardes de tous les parcs nationaux. Avec ces informations, il aurait pu, en tant que professionnel et sur la base des preuves recueillies, déterminer les tâches pour lesquelles les mesures en place ne suffisaient pas à protéger les employés, d’autant plus qu’il voulait faire une enquête nationale.

[190] Au lieu de cela, il s’est livré principalement à une enquête théorique en étudiant et en analysant la politique d’application de la loi de Parcs Canada. En réalité, il n’a recueilli aucune preuve de l’existence d’un « danger », au sens où l’entend le Code, pour M. Martin ou d’autres gardes des parcs nationaux. Il a, néanmoins, émis une instruction nationale pour un « danger » au sens où l’entend le Code, mais sans appuyer ses conclusions sur des preuves. Notons aussi qu’il n’a pas adressé ensuite une instruction à chaque employé touché par les instructions émises précédemment, comme l’exige le paragraphe 145(2.1) du Code, qui stipule ce qui suit :

(2.1) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose par un employé, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche par un employé constitue un danger pour cet employé ou pour d’autres employés, l’agent interdit à cet employé, par instruction écrite, et sans préjudice des instructions données à l’alinéa (2)(a), d’utiliser la machine ou la chose, de travailler dans ce lieu de travail ou d’accomplir la tâche en cause jusqu’à ce que l’employeur se soit conformé aux instructions données au titre de cet alinéa.

Il pourrait s’avérer très difficile, dans certains cas, y compris en l’espèce, de respecter ces dispositions. Je pense que l’on émettra rarement des instructions nationales pour un « danger » au sens où l’entend le Code en se fondant sur le paragraphe 145(2.1). À cet effet, il faudra certainement procéder à des recueils de preuves, coordonnés à l’échelle nationale, sur l’existence d’un « danger » selon la définition du Code, et déterminer quels sont, en fait, les employés en danger.

[191] M. Raven a avancé que l’alinéa 146.1(1) du Code m‘autoriserait à modifier les instructions portées en appel ou à émettre une nouvelle instruction au cas où je le trouverais nécessaire. L’alinéa 146.1(1) stipule ce qui suit :

146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles‑ci . Il peut :

(a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

(b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[192] Bien que l’idée formulée par M. Raven ne soit pas sans fondement, elle a également des limites. L’alinéa 146.1(1) n’étend pas mes pouvoirs et ne me permet pas d’émettre une nouvelle instruction pour une infraction au titre du paragraphe 145(1) du Code, au cas où je conclurais à l’inexistence d’un « danger » au sens où l’entend celui‑ci. Cela a déjà été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Syndicat des débardeurs, SCFP Section locale 375 c. Les Terminus maritimes fédéraux, Division FEDNAV Limitée Montréal (Québec), dossier no A-349-00. Dans cette affaire, le juge en chef avait confirmé en appel la décision prise par la Section de première instance, dossier no T-938-99, de confirmer la décision no 99-010 de l’agent régional de sécurité (A.R.S.).

[193] Dans la décision A.R.S. no 99-010, j’ai annulé plusieurs instructions émises par un agent de santé et de sécurité au sujet d’un « danger » en me fondant sur le fait que les cas sur lesquels il avait enquêté ne constituaient pas un « danger » au sens où l’entendait le Code. Je suis arrivé à la conclusion que ces cas étaient des dangers au sens général du terme, ou des infractions au Code et au Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail, et que je n’avais pas les pouvoirs de convertir une instruction pour danger en une instruction pour infraction. C’est une décision importante en l’espèce du fait que l’alinéa 146.1(1) limite les pouvoirs du présent tribunal strictement à la question du « danger » dont il a été saisi.

[194] Bien que je souscrive à ce qu’a dit M. Lambrecht, à savoir :

· que les agressions sur des gardes de parcs sont rares;.

· que les blessures subies par les gardes de parcs dans ces agressions sont extrêmement rares et tout à fait mineures et

· que les comportements agressifs auxquels les gardes de parcs ont eu affaire jusqu’ici sont si peu nombreux que le recours à la matraque ou à l’aérosol capsique n’est presque jamais nécessaire,

je suis d’avis que le mérite en revient en grande partie aux gardes de parcs. Néanmoins, au vu de ces observations, je ne pense pas qu’il serait sage de conclure, sans preuves à l’appui, que les gardes de parcs faisant appliquer la loi sont en « danger » selon la définition du Code, au point de justifier le port d’une arme de poing.

[195] Je ne veux, toutefois, pas dire par là que le statu quo était satisfaisant à l’époque ou l’agent de santé et de sécurité a mené son enquête. Une part importante du travail des gardes de parcs qui ont des fonctions d’application de la loi consiste à faire respecter la Loi sur les parcs nationaux du Canada. À cet effet, ils peuvent avoir affaire, à l’occasion, à des gens ayant un casier judiciaire, qui sont violents, en infraction avec la loi, et bien décidés à ne pas se laisser arrêter. Rien que sur cette base, il devient urgent de se livrer à une analyse objective de la sécurité des agents pour déterminer dans quels cas, s’il y en a, les gardes de parcs sont exposés à des « lésions corporelles graves ou à la mort ». En ma qualité d’agent d’appel en cette affaire, j’ai dans l’idée qu’il pourrait y avoir de tels cas.

[196] Dans son analyse finale, l’agent de santé et de sécurité a établi que les gardes de parcs accomplissant des tâches visant à faire appliquer la loi étaient susceptibles d’être blessés, mais sans prendre en compte la disposition selon laquelle on devait raisonnablement pouvoir s’attendre à ce qu’ils le soient immédiatement après avoir entrepris lesdites tâches. C’est sur cette base que l’agent de santé et de sécurité a déclaré que les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi étaient en « danger » au sens où l’entendait le Code. À mon avis, il s’est fondé, pour cela, sur une hypothèse, puisqu’il n’a pas trouvé de preuve que les tâches d’application de la loi existantes ou éventuelles occasionnaient des blessures sitôt entreprises. Il a jugé, essentiellement, que les gardes de parcs faisant appliquer la loi s’exposaient à des risques et que ces risques étaient susceptibles de se traduire par des blessures. Il n’a pas démontré que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les gardes de parcs faisant appliquer la loi soient blessés, et il n’a, à coup sûr, pas prouvé que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce soit immédiatement après avoir entrepris des tâches d’application de la loi existantes ou éventuelles.

[197] Dans l’un et l’autre cas, la détermination des niveaux d’intervention en cas d’infraction à la loi et des mesures de protection à recommander pour chaque tâche incombant aux gardes de parcs est une affaire d’analyse et de contrôle des risques. Il ne sert à rien, dans le contexte de l’imprévisibilité du comportement humain, de déclarer qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code, en l’absence de toute preuve susceptible de le démontrer. Je pense qu'en fin de compte, l’agent de santé et de sécurité a confondu le risque avec le « danger » tel qu’il est défini dans le Code. Disons, d’une manière générale, qu’il a confondu ce qui pourrait arriver avec ce qui arrivera.

[198] Comme je l’ai dit ci‑dessus, l’article 124 du Code est basé sur la diligence raisonnable. Il est aussi d’une grande force. Il dit que l’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. Je suis d’avis qu’il est suffisamment général pour englober toutes les professions où l’« intentionnalité » ou l’imprévisibilité du comportement humain est l’élément prédominant du travail. Il semblerait, toutefois, que ce soit une gageure en soi de tenter de régler des questions de santé et de sécurité où l’« intentionnalité » est la caractéristique dominante en se servant du concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code.

[199] La décision à laquelle j’ai abouti dans cette affaire, c’est qu’il n’y avait pas « danger », selon la définition du Code, pour les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi au moment où l’agent de santé et de sécurité a mené son enquête. Par conséquent, je me dois d’annuler les instructions.

[200] Pour toutes ces raisons, j’annule donc les deux instructions (annexes 1 et 2) adressées par l’agent de santé et de sécurité Robert G. Grundie à l’Agence Parcs Canada en date du 1er février 2001 en vertu des alinéas 145(2)(a) et (b) du Code. Ces instructions ont été remises à M. Bill Fisher, directeur d’unité de gestion, et à M. Tom Lee, directeur général, en leur qualité de représentants de l’Agence Parcs Canada.

__________________

Serge Cadieux

Agent d’appel


ANNEXE 1

CONCERNANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)(a) ET (b)

Le 31 janvier 2001, le soussigné, agent de santé et de sécurité, a achevé l’enquête entreprise à la suite d’une plainte déposée par Doug Martin, employé de l’Agence Parcs Canada au parc national Banff, employeur assujetti au Code canadien du travail.

Ledit agent de santé et de sécurité considère que la tâche suivante présente un danger pour les employés du parc national Banff pendant qu’ils sont au travail :

Les gardes de parcs dont la tâche consiste à faire appliquer la loi en procédant à des patrouilles, au recueil de renseignements, à des enquêtes à la suite d’infractions possibles et à des arrestations pour les besoins de la gestion des ressources et le maintien de l’ordre public, tâche dans laquelle ils encourent des lésions corporelles graves ou la mort, ne sont pas pourvus de l’équipement de protection individuel nécessaire. Or, des agents accomplissant le même genre de tâche, tels que les agents fédéraux des pêches et ceux chargés de l’exécution de la loi sur la faune d’Environnement Canada, ainsi que les agents de conservation provinciaux, sont autorisés à porter une arme de poing dans des circonstances semblables.

C’est pourquoi, JE VOUS ENJOINS, PAR LA PRÉSENTE INSTRUCTION, en vertu de l’alinéa 145(2)(a) du Code canadien du travail, Partie II, de prendre des mesures dans les six mois pour :

(a) soit écarter le risque, corriger la situation ou modifier la tâche d’application de la loi des gardes;

(b) soit protéger les gardes contre ce danger.

JE VOUS ENJOINS, EN OUTRE, PAR LA PRÉSENTE INSTRUCTION, en vertu de l’alinéa 145(2)(b) du Code canadien du travail, Partie II, de mettre fin à la tâche présentant un danger jusqu’à ce que vous vous soyez conformé à l’instruction donnée au paragraphe précédent.

Fait à Calgary le 1er jour de février 2001.

Robert G. Grundie

Agent de santé et de sécurité

No AB6041

À : Agence Parcs Canada

Unité de gestion du Parc national Banff

B.P. 900

Banff (Alberta) T0L 0C0

À l’attention de : Bill Fisher,

Directeur d’unité de gestion


ANNEXE 2

CONCERNANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)(a) ET (b)

Le 31 janvier 2001, le soussigné, agent de santé et de sécurité, a achevé l’enquête entreprise à la suite d’une plainte déposée par Doug Martin, employé de l’Agence Parcs Canada au parc national Banff, employeur assujetti au Code canadien du travail.

Ledit agent de santé et de sécurité considère que la tâche suivante présente un danger pour les employés du parc national Banff pendant qu’ils sont au travail :

Les gardes de parcs dont la tâche consiste à faire appliquer la loi en procédant à des patrouilles, au recueil de renseignements, à des enquêtes à la suite d’infractions possibles et à des arrestations pour les besoins de la gestion des ressources et le maintien de l’ordre public, tâche dans laquelle ils encourent des lésions corporelles graves ou la mort, ne sont pas pourvus de l’équipement de protection individuel nécessaire. Or, des agents accomplissant le même genre de tâche, tels que les agents fédéraux des pêches et ceux chargés de l’exécution de la loi sur la faune d’Environnement Canada, ainsi que les agents de conservation provinciaux, sont autorisés à porter une arme de poing dans des circonstances semblables.

C’est pourquoi, JE VOUS ENJOINS, PAR LA PRÉSENTE INSTRUCTION, en vertu de l’alinéa 145(2)(a) du Code canadien du travail, Partie II, de prendre des mesures dans les six mois pour :

(a) soit écarter le risque, corriger la situation ou modifier la tâche d’application de la loi des gardes;

(b) soit protéger les gardes contre ce danger.

JE VOUS ENJOINS, EN OUTRE, PAR LA PRÉSENTE INSTRUCTION, en vertu de l’alinéa 145(2)(b) du Code canadien du travail, Partie II, de mettre fin à la tâche présentant un danger jusqu’à ce que vous vous soyez conformé à l’instruction donnée au paragraphe précédent.

Fait à Calgary le 1er jour de février 2001.

Robert G. Grundie

Agent de santé et de sécurité

No AB6041

À : Agence Parcs Canada

25, rue Eddy

Hull (Québec)

K1A 0M5

À l’attention de : Tom Lee,

Directeur général

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

Décision no : 02-009

Demandeurs : Agence Parcs Canada

M. Doug Martin

Alliance de la Fonction publique du Canada

Agent de santé et de sécurité : M. Bob Grundie

Par devant : Serge Cadieux

Agent d’appel

Mots clés : Risque, danger, imprévisibilité du comportement humain, intentionnalité, arme de poing, application de la loi, tâche, fonctions, lésion corporelle grave, mort, blessure grave, enquête nationale, instruction nationale, analyse de la sécurité des agents, programme de prévention de la violence, MIGI, CAPRA, GRC, agent de la paix, gestion des ressources, études, évaluations, gilet pare‑balles, niveaux de service, norme de l’industrie, degré de diligence, braconnage, jugement, critères objectifs, agression, faits passés cités à titre de preuves, premiers arrivés sur les lieux, principe du cran, repositionnement, force mortelle, risque inhérent, image, filière du trafic de drogues, ordre donné à un véhicule de stopper, casier judiciaire, attaque spontanée.

Dispositions :

Code canadien du travail : 124, 145(1), 145(2) (a) et (b)

Résumé :

Le 1er février 2001, l’agent de santé et de sécurité Bob Grundie a adressé deux instructions pour danger à l’Agence Parcs Canada (Parcs Canada) suite à une plainte déposée par M. Doug Martin. M. Martin est un garde chargé de faire appliquer la loi dans le Parc national Banff, l’un des nombreux parcs nationaux du Canada. Il s’est dit susceptible d’encourir des blessures faute d’avoir l’équipement de protection indispensable, c.‑à‑d. une arme de poing, pour faire son travail en toute sécurité. Suite à la plainte de M. Martin, l’agent de santé et de sécurité a entrepris une enquête jusqu’au niveau national. Il a parlé à un grand nombre de personnes compétentes en la matière, recueilli beaucoup de documents et abouti à la conclusion que la politique de Parcs Canada mettait les gardes de parcs chargés de faire appliquer la loi en « danger » au sens où l’entendait le Code.

L’avocat de l’employeur, Parcs Canada, a fait valoir que les mesures prises par son client à ce jour s’étaient avérées efficaces, ayant permis de ramener les risques de blessure au minimum. Pour faire appliquer la loi, les gardes de parcs n’ont pas besoin d’une arme de poing, arme qui ne doit être employée qu’en autodéfense pour recourir à une force mortelle. L’étude des annales des parcs a prouvé qu’aucun garde, à ce jour, n’avait été blessé gravement ou tué dans l’exercice de ses fonctions. Des témoins spécialisés en la matière ont déclaré que les gardes de parcs avaient à leur disposition d’autres moyens d’affronter les contrevenants efficacement et en toute sécurité. La possibilité d’être blessé est un risque inhérent au travail d’un garde ayant des fonctions d’application de la loi. C’est, toutefois, un risque qui ne constitue pas un « danger » au sens où l’entend le Code.

L’avocat des employés a fait valoir que les gardes de parcs faisant appliquer la loi étaient susceptibles de se trouver dans des cas où ils devaient recourir à une force mortelle. À cet effet, l’instrument de choix est l’arme de poing, que lui‑même et l’agent de santé et de sécurité considèrent comme un équipement de protection individuel indispensable. Les témoins des employés ont déclaré que les gardes de parcs rencontraient des gens qui avaient un casier judiciaire, un comportement imprévisible et, très souvent, une prédisposition à être violents. Les employés ont appuyé leur raisonnement sur l’imprévisibilité du comportement humain. Dans ces conditions, les gardes de parcs ayant des tâches d’application de la loi sont en « danger » au sens où l’entend le Code, étant donné qu’ils peuvent être blessés dans l’accomplissement desdites tâches à tout moment et à chaque fois qu’ils en entreprennent une.

En appel, l’agent d’appel (également appelé le tribunal) a estimé que cette affaire pêchait par manque de preuves parce que l’agent de santé et de sécurité n’a pas enquêté sur des faits et qu’il s’est livré essentiellement à une analyse de la politique adoptée par l’employeur au sujet du port d’une arme de poing. C’est sur cette base seulement qu’il a déclaré que les gardes de parcs ayant des fonctions d’application de la loi étaient en danger au sens où l’entendait le Code. Le tribunal confirme que cette affaire repose sur la distinction entre le risque et le « danger » tel qu’il est défini dans le Code. À son avis, elle est fondée uniquement sur le concept de l’imprévisibilité du comportement humain, lequel est incompatible avec celui de « danger » selon la définition du Code, puisqu’il est pratiquement impossible de savoir quand le contrevenant va agresser le garde de parcs dans l’intention de lui infliger des lésions corporelles graves ou la mort. Le tribunal ne reconnaît donc pas qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code, mais il signale, néanmoins, que l’employeur n’a mené à bien aucune analyse objective de la sécurité des agents, qui aurait permis d’enterrer ce débat. Il déclare que l’analyse ne serait probablement pas objective sans la participation d’un agent de santé et de sécurité, étant donné que l’employeur maintient envers et contre tout sa politique en matière d’arme de poing. Il annule donc les deux instructions adressées à Parcs Canada, mais en faisant observer incidemment que le statu quo est inacceptable.

[1] Dans la présente décision, toute référence aux « Motifs de décision » de l’agent de santé et de sécurité doit s’entendre comme renvoyant au Relieur 1 de la Pièce U-1. Bien que le Relieur 1 ne soit pas formellement intitulé « Motifs de décision », cette expression a été utilisée par les parties tout au long de l’audience. Je continuerai de m’en servir ici.

[2] Officer Safety Implications to Supervisors, Administrators and the Department, de Joe Buker et Ray Frey, 1991.

[3] Analyse de la question des armes à feu, 1999.

[4] Voir le paragraphe 37.

[5] Étude sur la sécurité des gardes de parcs dans leurs fonctions d’application de la loi, 1993.

[6] Rapport final recommandant un niveau de service pour les parcs nationaux de la région de l’Alberta, 1997.

[7] Voir le paragraphe 19.

[8] L’agent de santé et de sécurité déclare, dans son témoignage, qu’il utilise les expressions « norme de l’industrie » et « degré de diligence » indifféremment et dans un sens plutôt lâche. MM. Lambrecht et Graham ont, cependant, montré qu’elles avaient des sens différents, la seconde désignant un principe tiré du droit de la négligence, qui ne s’applique pas dans ce cas. Ces expressions continueront, néanmoins, d’être utilisées indifféremment dans le texte, étant entendu que l’agent de santé et de sécurité a son propre concept de « norme de l’industrie ».

[9] Rapport concernant la sécurité des agents de conservation de la Saskatchewan dans leurs fonctions d’application de la loi, avec une insistance particulière sur le port d’une arme de poing et d’un gilet pare‑balles, 1996.

[10] Voir la note no. 11 ci-dessous.

[11] Le MIGI est un outil élaboré et utilisé par la GRC [à employer par les agents de la paix] pour évaluer les risques et faire régner l’ordre public. Tous les services de police du Canada se servent de ce modèle ou d’un autre tout à fait semblable.

[12] Processus de planification adopté par l’Agence en 1995 dans le but d’aborder sous un nouvel angle l’exécution et le respect de la loi dans toutes les aires du patrimoine gérées par elle. Voir aussi le paragraphe 40.

[13] Edward Davis, Federal Bureau of Investigation (FBI), Criminal Behaviour Science Unit, Quantico, Virginie, États‑Unis.

[14] Les modifications du Code canadien du travail, Partie II, sont entrées en vigueur le 30 septembre 2000.

[15] La fonction est confiée à un autre personnel en uniforme.

[16] Programme provisoire d’application de la loi – Atténuation des risques pour la sécurité des agents, Groupe de travail national sur l’application de la loi, 10 juillet 2000.

[17] Scott c. Montani (1994), 95 di 157 (C.C.R.T. no 1089).

Coulombe c. Empire Stevedoring Ltd. (1989), 78 di 52 (C.C.R.T. no 47).

Pratt c. Grey Coach Line Ltd. (1998), 73 di 218; 1 C.C.R.T. (2d) 310.

Air Canada c. Syndicat canadien de la fonction publique, [1994], C.C.T.A.R.S. no 8.

[18] Welbourne c. Canadien Pacifique [2001], C.C.T.A.R.S. no 9, paragraphe 18.

[19] Welbourne c. Canadien Pacifique [2001], C.C.T.A.R.S. no 9, paragraphe 19.

Page et Canada (Services correctionnels) [2001] C.C.T.A.R.S. no 16 (23 mai 2001).

[20] Welbourne c. Canadien Pacifique [2001], C.C.T.A.R.S. no 9, paragraphe 20.

Page et Canada (Services correctionnels) et Tetley [2001] C.C.T.A.R.S. no 21, (21 août 2001).

[21] R. c. Petel [1994] 1 R.C.S. 3, paragraphe 19.

[22] Employés et Syndicat uni du transport et Laidlaw Transit Ltd.- Para Transpo Division, [2001] C.C.T.A.R.S. no 19 (7 août 2001).

[23] L’étude Evans a permis de relever six agressions et une entorse du pouce en 25 mois et l’étude Jasper dix agressions et des contusions à une main comme seule blessure possible. Le relevé du Système de rapport sur les incidents violents (Violent Occurrence Reporting System – VORS) ne mentionne aucune blessure.

[24] D’après les preuves recueillies, il n’y a eu qu’un seul incident où un garde a dû faire usage d’une matraque ou d’un aérosol.

[25] CAPRA est l’acronyme de « Client, Acquire/Analyse information, Partnerships, Response et Assessment of Actions ». C’est une « stratégie de résolution de problèmes » utilisée pour l’évaluation des situations dans l’application de la loi.

[26] Sanction portée à présent à 250 000 $ et à un maximum de 5 ans d’emprisonnement.

[27] Elnicki (Stephen) (1995), 96 di 149 (C.C.R.T. no 1105) (Quicklaw - QL), p. 5.

[28] Welbourne c. Canadien Pacifique, supra, paragraphe 17.

[29] Welbourne c. Canadien Pacifique, supra, paragraphe 18.

[30] Revenu Canada et Robin Edwards [1991] C.C.T.A.R.S. no 23, p.4 (QL).

[31] Revenu Canada et Robin Edwards [1991] C.C.T.A.R.S. no 23, p.3 (QL).

[32] Le gendarme Butler a fait savoir, dans son témoignage, que la route qui traverse le parc national Banff était en train de devenir une filière du trafic de drogues.

[33] Voir le paragraphe 4.

[34] Voir le paragraphe 40.

[35] Supra

[36] Voir le paragraphe 72.

[37] FBI Law Enforcement Bulletin, juillet 2000, Pièce U-106, p. 3.

[38] FBI Law Enforcement Bulletin, juin 1999, Pièce U-105, p. 2-4.

[39] Voir la note en bas de page 24.

[40] Résumé du rapport sur les incidents survenus au parc national Jasper (3. 9. 2000), Pièce U‑60.

[41] Welbourne, supra.

[42] Voir la liste au paragraphe 104.

[43] Comité interministériel des sous-ministres, projet de document pour les consultations, Analyse sur l’acquisition d’armes à feu.

[44] L’agent de santé et de sécurité aurait pu s’inspirer ici des principes de la décision rendue dans l’affaire Welbourne c. Canadien Pacifique [2001] au sujet du concept de « danger » tel que le définit le Code. Mais comme les instructions portées en appel datent du 1er février 2001 et la décision Welbourne, supra, du 22 mars 2001, il ne pouvait évidemment pas les connaître.

[45] Brailsford c. Worldways Canada Ltd. (1992), 87 di 98 (C.C.R.T.).

Bell Canada c. Travail Canada (1984), 56 di 150 (C.C.R.T.).

[46] Guénette c. CN Rail (1988), 74 di 93 (C.C.R.T., no 696) et

Pratt c. Grey Coach Lines Ltd. (1988), 73 di 218, 1 C.C.R.T. (2e ) 310.

[47] La première condition est redondante dans les cas où l’agent de santé et de sécurité a constaté que la tâche était en train de s’accomplir au moment de son enquête.

[48] Un « Danger » au sens général du Multidictionnaire de la langue française est ce qui représente une menace, ce qui expose à un accident et, dans le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, ce qui constitue une menace ou compromet l’existence de quelqu’un.

[49] Coulombe c. Empire Stevedoring Co. (1989), 78 di 52 (Can. L.R.B.)

[50] Stephenson et al. c. Solliciteur général, C.R.T.F.P., dossier 165-2-83, 1991.

[51] Rapport sur la sécurité dans les fonctions d’application de la loi des agents de conservation de la Saskatchewan, avec une insistance particulière sur l’arme de poing et le gilet pare‑balles, 1996 (Pièce U-1, Relieur à feuilles mobiles 2).

[52] Pièce U-1, Relieur 2.

[53] L’« agent » auquel se réfèrent l’Étude Evans et le Rapport Fingland est un garde de parcs.

[54] Avant le remaniement du Code canadien du travail, Partie II, l’agent d’appel était appelé agent régional de sécurité.

[55] Document préparatoire au cours – Programme de sécurité publique et policière, Pièce E-23, p. 6.

[56] Il y a lieu d’exclure l’incident survenu au Québec (voir le paragraphe 99) qui n’est pas relié au travail. Dans cet incident isolé, un garde de parcs, qui venait de terminer sa journée de travail et rentrait chez lui, avait été agressé brutalement pendant qu’il cherchait à venir en aide à deux personnes dans un véhicule qui avait calé.

[57] Le paragraphe 6 de la version anglaise du Protocole d’entente signé entre la GRC et Parcs Canada semble indiquer que les gardes de parcs sont autorisés à intervenir quand ils arrivent les premiers sur les lieux, tandis que le paragraphe correspondant de la version française semble en faire une obligation. Voir la Pièce U-1, Relieur 3.

Détails de la page

Date de modification :