Archivée - 2002 TSSTC 019 - Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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M. Jack Stone, Demandeur
et
Service correctionnel du Canada, Employeur

Décision N° 02-019

Le 6 décembre 2002

La présente cause a été entendue par Serge Cadieux, agent d’appel, les 18 et 19 septembre 2002, à Moncton (Nouveau-Brunswick). Une inspection des lieux pertinents dans l’affaire a eu lieu à Springhill dans l’avant-midi du 18 septembre 2002.

Ont comparu

M. Jack Stone, s’est lui-même chargé de sa représentation et M. George Manthorne représentait le Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CNS).

M. Richard E. Fader, conseiller, représentait le Service correctionnel du Canada.

M. Glen Grandy, agent de santé et sécurité, Développement des ressources humaines Canada, Programme du travail.

[1] M. Stone est agent de correction (CX) à l’établissement de Springhill. Le 12 février 2002, il s’est prévalu de son droit de refuser de travailler. La déclaration de refus de travailler est reproduite dans le rapport d'enquête et de décision de l’agent de santé et sécurité. Cette déclaration se lit comme suit :

[TRADUCTION] Je révoque (sic) mon droit en vertu de l’article 128.1 du Code canadien du travail de refuser tout travail dangereux. Je pose ce geste en mon nom propre et au nom de tous mes collègues de travail.

L’objet de mes inquiétudes réside dans la capacité des détenus de sortir de la marchandise des ateliers d’entretien et des ateliers industriels aux fins de contrebande. En assurant des effectifs suffisant à l’immeuble n° 26 (il s’agit plutôt du n° 20), on permettrait au personnel d’exercer un contrôle beaucoup plus efficace sur ce trafic et ainsi de réduire considérablement les risques…

[2] Durant sa déclaration d’ouverture à l’audience, M. Stone a précisé la nature de ses inquiétudes. Il a indiqué que les détenus qui travaillent dans les ateliers comme celui de l’immeuble n° 18, l’atelier des professions industrielles, ou celui de l’immeuble n° 19, l’atelier d’entretien, parviennent à voler ou à fabriquer des articles de contrebande susceptibles de mettre en danger la santé et la sécurité du personnel de l’établissement de Springhill. De surcroît, ils peuvent aussi transporter cette marchandise dans leur cellule, dans la cour intérieure, dans la cour extérieure, au gymnase ou à tout autre endroit de l’établissement accessible aux détenus, ce qui crée un danger pour tous les employés qui travaillent dans ces secteurs. M Stone estime que :

« En négligeant de doter l’entrée de service d’effectifs suffisants, le Service correctionnel du Canada n’assume pas la responsabilité qui lui est conférée par le Code canadien du travail de contrôler un risque connu. »

[3] Bien que le refus de travailler de M. Stone n’ait pas été traité comme un refus collectif, il est clair qu’il posait ce geste pour l’ensemble des agents de correction. Toutefois, l’agent de santé et sécurité, M. Glenn Grandy, a reconnu qu’aucun autre agent de correction n’avait refusé de travailler dans des circonstances similaires. Selon l’agent de santé et de sécurité, la raison du refus de travailler invoquée par M. Stone n’avait pas été traitée de façon satisfaisante par le Processus de règlement interne des plaintes décrit au paragraphe 127.1 du Code canadien du travail, Partie II (le Code).

[4] Dans le cadre de ce processus, les membres du comité de santé et de sécurité, dont M. Stone faisait partie, avaient enquêté au sujet d’une plainte déposée le 11 août, par M. Sean McLeod, un autre agent de correction de l’établissement de Springhill. M. McLeod avait demandé à ses supérieurs immédiats de lancer le Processus de règlement interne des plaintes afin d’examiner la question de la dotation du poste à l’entrée de service, un poste qui avait été éliminé par suite d’une analyse des postes effectuée au milieu des années 1990. M. McLeod estimait que

[TRADUCTION] Le poste, s’il est doté comme il se doit, pourrait sans doute mettre un terme à une grande partie de la contrebande au sein de l’établissement d’articles fabriqués dans les ateliers d’entretien. Lors de fouilles de routine dans les quartiers des détenus, on a trouvé de nombreux couteaux qui, de toute évidence, ont été fabriqués à l’atelier d’entretien. Une fois fabriquées, ces armes constituent une menace tant pour le personnel que pour les détenus.

En plus de la fouille régulière des instructeurs d’ateliers, si on réaffectait des agents de correction au poste de contrôle des déplacements des détenus à l’entrée de service, on réduirait considérablement les risques de blessures ou de décès pour le personnel et les détenus de notre établissement.

[5] Les membres du comité de santé et de sécurité en sont arrivés à la conclusion suivante :

Le risque serait considérablement réduit si le poste de contrôle des déplacements des détenus, immeuble n° 20, était doté d’au moins deux agents de correction, un pour contrôler l’ouverture des portes, et l’autre pour effectuer la fouille de tous les détenus et des véhicules qui franchissent le poste, comme le demande le plaignant…

Cependant, dans ses conclusions, le comité a souligné que :

Pour faire suite à ce que nous avons déclaré ci-dessus, les enquêteurs reconnaissent que la restauration ou l’expansion d’un poste dépasse leurs pouvoirs, car pour ce faire, il faudrait procéder, à tout le moins, à une analyse détaillée du poste.

[6] L’agent de santé et de sécurité chargé de l’enquête sur le refus de travail de M. Stone, s’est rendu sur les lieux le 18 février 2002, soit six jours après le refus de travailler initial. Selon l’agent de santé et de sécurité, le retard de cette enquête est attribuable au fait que la direction de l’établissement n’était pas prête à le recevoir.

[7] L’agent de santé et de sécurité a effectué son enquête et a conclu que M. Stone ne se trouvait pas en situation de danger au sens du Code. Il a fondé sa décision sur les faits suivants, lesquels sont énoncés dans le rapport d’enquête et de décision de l’agent de santé et de sécurité :

· La porte de service adjacente au poste n° 20 n’a pas été contrôlée à temps plein depuis 1992-1993, époque où elle servait principalement pour le contrôle des véhicules et les fouilles très limitées de certains membres du personnel.

· La porte de service sert aux déplacements spéciaux, aux activités de construction ainsi que pour les urgences.

· Le plan de fouille en vigueur à l’établissement de Springhill est révisé à intervalles réguliers et lorsqu’il se déclare une menace spécifique.

· Pour des raisons d’hygiène, on remet aux détenus des fourchettes, des cuillères et des couteaux. Il est facile pour les détenus de se procurer des articles de contrebande partout où ces derniers ont accès.

· On a examiné les dossiers de formation tant pour les employés en uniforme que pour les employés en civil. Les employés qui sont chargés du contrôle des détenus reçoivent une formation pour les fouilles et la fouille des détenus, conformément au protocole interne. Les dossiers de ceux qui ont reçu cette formation étaient disponibles.

· Nous avons observé ou interrogé les employés des immeubles nos 18 et 19 sur les procédures de fouille des détenus, et ceux-ci nous ont semblé compétents.

[8] M. Grandy a expliqué que l’établissement a pour politique de faire fouiller les détenus par les instructeurs chaque fois qu’ils quittent l’atelier. Le seul moment où les détenus ne sont pas fouillés est lorsqu’ils sortent de l’atelier pour aller fumer une cigarette. L’agent de santé et de sécurité est d’accord avec M. Stone sur le fait que, bien que les détenus soient fouillés consciencieusement par les instructeurs d’atelier, « la porte demeure ouverte et ils peuvent discrètement subtiliser des articles n’importe quand ». Il a en outre reconnu que les détenus pouvaient ramasser plus tard la marchandise destinée à la contrebande et la transporter ailleurs. En fait, l’agent de santé et de sécurité a constaté, en explorant les alentours, qu’on trouvait des clous, des bouts de sangle et des pierres dont les détenus peuvent se servir pour fabriquer des armes en tout temps.

[9] Lorsque M. Fader lui a demandé si, à sa connaissance, il s’était passé quelque chose de particulier pour justifier les inquiétudes de M. Stone, l’agent de santé et de sécurité a répondu qu’il avait eu connaissance d’un incident. Il a parlé d’un incident avec une lame de rabot[1] qui s’était produit deux ou trois semaines avant l’enquête. Lors de l’incident en question, un instructeur d’atelier a signalé la disparition d’une lame de rabot. Cette même lame a ensuite été retrouvée dans la cellule d’un détenu. M. Stone a insisté sur le fait que ce n’est qu’après l’incident de la lame de rabot qu’on a instauré la pratique de fouiller les détenus qui quittent l’atelier. L’agent de santé et de sécurité a déclaré que cet incident n’avait eu aucune portée sur sa décision. Il a également ajouté qu’il ne se passait rien d’extraordinaire à l’établissement lorsqu’il a mené son enquête.

[10] M. Ralph James Henwood travaille pour le Service correctionnel du Canada à l’établissement de Springhill en tant qu’instructeur d’atelier. Dans son atelier, neuf (9) détenus travaillent à la fabrication de meubles. Soulignons que le témoignage de M. Henwood a été corroboré par M. Morley Wood, un autre instructeur d’atelier à l’établissement Springhill.

[11] M. Henwood a déclaré que les détenus dont il a la charge se déplacent librement dans l’atelier et qu’ils ont accès à l’extérieur de l’immeuble. Il reconnaît que les détenus ont la possibilité de fabriquer des armes ou d’autres articles de contrebande dans son atelier sans qu’il en ait connaissance. Ils peuvent déposer ces articles à l’extérieur de l’immeuble et les ramasser plus tard dans la journée, après avoir été fouillés et renvoyés dans leurs quartiers. M. Henwood a indiqué en outre qu’il n’est pas inhabituel, particulièrement à l’été, de regarder à l’extérieur de l’atelier et de trouver là des détenus qui ne participent à aucun des ateliers. En fait, il a même dû à certaines occasions faire comprendre à certains détenus qui étaient entrés dans son atelier sans raison valable qu’ils devaient partir. Il existe toute une variété de raisons qui expliquent le fait que ces gens puissent se promener à leur guise, et les instructeurs d’atelier, tout comme les agents de correction, sont très préoccupés par ce phénomène. Ce qu’il cherchait à démontrer, c’est que ce ne sont pas nécessairement les détenus qui travaillent à l’atelier qui ramassent les articles laissés à l’extérieur. Il a même relaté au tribunal des incidents qui soutiennent cette théorie.

[12] M. Henwood a confirmé à M. Fader qu’il se considère comme faisant partie intégrante de l’équipe de sécurité de l’établissement et qu’il est constamment aux aguets, soit une référence subséquente de M. Wood à la sécurité dynamique[2] à l’établissement de Springhill. Par exemple, M. Henwood tâte les détenus chaque jour lorsqu’ils quittent son atelier, après s’être assuré que tous les outils de l’atelier sont bien à leur place. Il inspecte aussi l’extérieur de son atelier. S’il voit ou trouve quelque chose d’illégal ou de suspect, comme une personne qui se promène là où elle n’est pas autorisée à être, il est tenu de prendre les mesures appropriées comme interroger et fouiller la personne en question. Il doit également rédiger un rapport d’observation. Les détenus qui sont pris en possession d’articles de contrebande ou d’armes sont poursuivis. Ils sont passibles d’être mis en isolement où les détenus sont enfermés 23 heures par jour et de voir leur cote de sécurité augmenter à l’échelon maximal. Selon M. Henderson, lui-même et les autres instructeurs d’ateliers estiment que la sécurité dans les secteurs des immeubles nos 18 et 19 serait grandement améliorée si l’entrée de service était contrôle comme il se doit.

[13] M. Carlyle Brown, agent de sécurité par intérim, ainsi que M. Chris Howard, coordinateur par intérim des activités correctionnelles, ont témoigné au nom de l’employeur. Les témoins décrivent dans leurs propres mots en quoi consiste la sécurité dynamique à l’établissement de Springhill. Fondamentalement, il s’agit de la cueillette de renseignements mettant à profit l’interaction des employés (agents de correction, instructeurs, agent de développement personnel, personnel de loisirs, etc.) avec les détenus et l’observation de ceux-ci. La sécurité dynamique est un des outils utilisés en conjonction avec la sécurité préventive, laquelle vise à prévenir et à empêcher les incidents de sécurité. L’implication du personnel auprès des détenus est cruciale puisqu’elle permet aux employés de cerner les situations potentiellement dangereuses.

[14] La principale différence entre un établissement à sécurité moyenne comme Springhill et un établissement à sécurité maximale, comme Dorchester, est l’importance accordée à la sécurité dynamique dans les établissements à sécurité moyenne par opposition à la sécurité statique, ce qui entraîne une plus grande interaction du personnel avec les détenus. Un détenu obtient une cote de sécurité moyenne après avoir subi une évaluation fondée sur divers facteurs comme la nature de son crime, le degré de violence du crime commis, son comportement, les rapports de police, le rapport du juge, etc. La cote de sécurité est révisée chaque année ou selon les besoins. M. Howard a également expliqué que la différence entre les cotes de sécurité minimale, moyenne et maximale détermine le degré de liberté à l’intérieur de l’établissement.

[15] M. Howard a indiqué que Springhill est un établissement à sécurité moyenne où environ quatre cents détenus sont incarcérés. L’établissement comprend également une section à sécurité maximale de quinze lits pour les délinquantes sous responsabilité fédérale. L’établissement de Springhill Institution est également le centre de réception régional pour la région de l’Atlantique où tous les détenus sous responsabilité fédérale, soit environ soixante à l’heure actuelle, sont envoyés aux fins d’évaluation initiale. Les autres trois cent trente détenus, dont quinze sont maintenus en isolement, constituent la population générale de l’établissement. Aucun de ces détenus, mis à part la population générale, n’ont accès aux immeubles 18 et 19 ou à l’entrée de service. Il n’y a jamais de contact entre les hommes et les femmes, comme l’a souligné M. Stone, mais les détenus peuvent établir ce contact par l’intermédiaire d’un tiers.

[16] M. Brown a expliqué que le fait d’enfermer les détenus sous prétexte de mener une fouille ne pourrait qu’accroître le degré de tension dans l’établissement. La sécurité dynamique s’en trouverait gravement compromise puisque l’augmentation de sécurité statique (isolement) entraverait la capacité du personnel d’obtenir des renseignements. M. Brown et M. Howard ont tous deux convenu que le jour où M. Stone a refusé de travailler, le degré de tension à l’établissement, lequel est établi sur une base quotidienne, était au vert, c’est-à-dire qu’il n’y avait rien d’extraordinaire à signaler.

[17] M. Howard est d’accord avec M. Fader sur le fait qu’il y a sans doute une arme dissimulée quelque part dans l’établissement à n’importe quel moment donné. Cependant, on gère ce risque en appliquant le Plan de fouille de Springhill, lequel est mis à jour à intervalles réguliers et, au besoin, de façon ponctuelle. En outre, on tient les employés au courant de tout nouveau développement. Le plan est à la disposition de tous les employés puisque ceux-ci sont tenus de s’y conformer. Par exemple, en ce qui concerne les « fouilles corporelles » le plan stipule que dans les lieux où les détenus sont appelés à utiliser des outils : Tous les ateliers où les détenus ont accès à des outils ou à du matériel pouvant être façonné pour devenir une arme seront fouillés systématiquement chaque fois qu’ils quittent l’atelier.

[18] Le poste de l’immeuble n° 20 a déjà été pleinement doté. M. Brown a expliqué que lorsqu’il était en fonction, on faisait passer les détenus par un détecteur de métal et ils n’étaient pas fouillés à moins que les agents de correction en charge du poste n’aient été informés que quelque chose devait sortir. Si le détenu ne déclenchait pas le détecteur de métal, on se contentait de lui demander où il allait, et on lui permettait de passer. Les véhicules n’étaient pas fouillés. M. Brown et M. Howard estiment bien préférable de faire fouiller les détenus à l’atelier plutôt qu’à une distance aussi grande que celle qui sépare l’entrée de service des ateliers. Le fait de charger les instructeurs d’atelier de fouiller les prisonniers ne pose aucun problème puisqu’ils font partie de l’équipe et qu’ils sont compétents pour le faire, ayant suivi une formation sur les protocoles de fouille.

[19] M. Alfred Legere est directeur adjoint à l’établissement de Springhill. M. Legere explique qu’un établissement à sécurité moyenne est un environnement où les conditions de détention visent à donner aux détenus la possibilité d’améliorer leur situation et d’acquérir un meilleur potentiel de réintégration. Il ajoute que pour comprendre la philosophie qui sous-tend la sécurité moyenne, il faut comprendre comment on obtient cette cote. La sécurité moyenne dépend de trois grands facteurs, c.-à-d. les risques d’évasion, l’adaptation à l’établissement et le risque pour la sécurité du public. Un détenu n’obtiendra pas la cote de sécurité moyenne s’il démontre de grands problèmes d’adaptation à l’établissement comme des problèmes de gestion du comportement, par exemple une tendance à agresser les autres détenus, une attitude menaçante, etc.

[20] M. Legere admet que M. Stone a raison lorsqu’il affirme que dans certaines situations, la cote de sécurité d’un détenu peut être, et a déjà été, annulée par le directeur adjoint. Cependant, un détenu qui voit sa cote de sécurité passer de maximale à moyenne n’est plus un détenu à sécurité maximale, mais bien un détenu à sécurité moyenne puisque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition autorise ce changement. En outre, on héberge parfois certains détenus à sécurité maximale au centre d’accueil jusqu’à ce qu’ils soient transférés. Ainsi, certains détenus à sécurité maximale partagent certaines installations utilisées par les détenus à sécurité moyenne.

[21] M. Legere confirme les témoignages antérieurs selon lesquels la sécurité dynamique désigne l’interaction dynamique entre le personnel et les détenus. Il ajoute qu’il s’agit d’un outil crucial dans la gestion de la population carcérale. Il en existe d’autres, dont la sécurité statique. Le rapport avec les détenus permet le transfert d’une grande quantité d’information de sécurité des détenus aux employés. Plus le rapport est favorable, plus on reçoit d’information.

[22] M. Legere décrit la sécurité préventive comme étant un entonnoir pour l’information collectée. Il s’agit d’une fonction qui permet de gérer les résultats de la sécurité dynamique par l’intermédiaire d’un réseau de partage de l’information.

[23] M. Legere explique qu’il existe un équilibre dans un établissement à sécurité moyenne entre la sécurité dynamique (soit environ 70 p. 100) et la sécurité statique (environ 30 p. 100). La sécurité statique est nécessaire dans un établissement à sécurité moyenne, par exemple une clôture de sécurité doit entourer l’établissement pour empêcher et décourager les évasions. À certains moments, les mesures de sécurité statique sont nécessaires, par exemple lorsqu’on a des raisons de s’inquiéter au sujet de la sécurité. Toutefois, fonctionner dans de telles conditions en tout temps signifierait qu’on a instauré un environnement de sécurité maximale, soit une situation qui n’est ni meilleure ni souhaitable.

[24] M. Legere partage les points de vue de M. Brown et de M. Howard sur la dotation de l’immeuble n° 20. Il a déclaré qu’il tendait à faire plus confiance à une fouille à la source qu’à une fouille à distance, comme celle qui aurait lieu au poste de l’immeuble n° 20. Même si le poste de contrôle se trouvait dans un certain secteur, les détenus trouveraient un moyen de surmonter cet obstacle soit en lançant les articles de contrebande par-dessus la clôture où est situé le poste ou d’une autre manière. Il faut toutefois reconnaître que l’établissement de Springhill est un environnement à sécurité moyenne. Les détenus y sont incarcérés seulement après une évaluation du risque. Chaque situation doit donc être traitée en fonction d’une analyse ou d’une évaluation du risque.

***

[25] En l’espèce, M. Stone a prononcé son plaidoyer final devant le tribunal. Ce dernier juge utile de répéter intégralement ce plaidoyer. Il est ainsi formulé :

[TRADUCTION] « Nous estimons que les témoignages entendus aujourd’hui montrent de façon probante qu’on peut produire dans les immeubles 18 et 19, et mettre à la disposition de tous les détenus, des armes et des articles de contrebande qui posent un danger réel à la sécurité des employés de l’établissement. Nous estimons que les références aux profils des détenus ne sont pas pertinentes puisque le fait est que Springhill est un établissement où sont incarcérés des détenus à sécurité moyenne et à sécurité maximale et qu’il s’est déjà produit des incidents d’agression et des prises d’otage. Lorsque l’établissement de Springhill est entré en activité en 1967, l’entrée de service faisait partie intégrante du système de sécurité de l’établissement. Deux employés y étaient affectés durant le jour et les après-midi. Ainsi, le contrôle de la contrebande était très efficace. À cette époque, l’établissement de Springhill était un établissement à sécurité moyenne, et cette cote de sécurité n’a jamais changé en 35 ans. Nous avons, toutefois, ajouté deux unités de sécurité. En me fondant sur ma propre expérience de 35 ans en tant qu’agent de correction à l’établissement de Springhill, j’estime que le profil de notre population carcérale s’est considérablement détérioré. Les témoignages que nous avons entendu ici aujourd’hui prouvent au-delà de tout doute que les détenus ont la possibilité de sortir des articles de contrebande et des armes des immeubles 18 et 19, malgré l’application du plan de fouille en vigueur actuellement. En refusant de doter correctement le poste de contrôle qui se trouve à l’entrée de service, nous estimons que le SCC n’exerce pas la diligence raisonnable prescrite dans le Code du travail pour contrôler un risque connu. »

[26] Lorsque nous lui avons demandé s’il souhaitait désigner au tribunal les dispositions spécifiques qu’il invoquait à l’appui de ses arguments, M. Stone a répondu ce qui suit :

« J’ai choisi cette méthode pour corriger ce que je perçois comme un problème parce que je n’avais aucune autre option. Nous nous trouvions dans une situation où nous venions à peine de terminer une période de confinement aux cellules et l’établissement venait d’être fouillé de fond en combles. Ce problème existait depuis longtemps. Moi-même et bon nombre de mes collègues estimions qu’il fallait régler ce problème et, l’établissement venant d’être complètement fouillé, comme M. Legere y a fait allusion plus tôt, j’estimais que le moment était idéal puisque nous pouvions prendre des mesures pour garder l’établissement dans cet état. À ce moment, j’estimais que la situation décrite ici posait un danger pour moi et pour tous mes collègues. »

[27] M. Fader a fait valoir le fait que le jour où M. Stone a refusé de travailler, il ne s’était rien passé d’extraordinaire à l’établissement. En se fondant sur l’article 128 du Code, M. Fader a émis l’opinion suivante : « Nous traitons ici avec une question de condition de travail. » Les risques que craignaient M. Stone et les autres agents, c’est-à-dire qu’on puisse fabriquer des armes dans les ateliers sans qu’elles soient détectées et que ces armes puissent être utilisées contre eux, sont « des risques inhérents au poste d’agent de correction, des risques que l’employeur s’efforce d’atténuer en offrant de la formation, en se dotant de politiques et en instaurant des procédures ».

[28] Dans la description de travail de l’agent de correction, on fait spécifiquement référence à ce genre de risque. À la page 13 de la description, sous la rubrique Environnement de travail, on stipule :

[TRADUCTION] Le titulaire est souvent exposé à des détenus susceptibles d’être agités et imprévisibles et qui peuvent tenter de l’intimider ou avoir recours à la violence.

[29] M. Fader estime qu’il s’agit de conditions de travail parfaitement normales pour un agent de correction, dans un milieu de travail où se trouvent des détenus qui, selon toute probabilité, ont accès à des armes. Sur ce point, M. Fader porte à l’attention du tribunal sur la décision 02-013 de l’agent d’appel dans l’affaire Juan Verville et coll. al et Service correctionnel du Canada, établissement Kent, où l’on traitait de la possibilité dans un environnement correctionnel, d’être victime d’une attaque à tout moment. Il a déclaré que :

« …c’est exactement et précisément la même question qu’il faut trancher aujourd’hui. Le fait d’être exposé à des détenus susceptibles de posséder des armes est une condition d’emploi normale. »

[30] Les risques que M. Stone a cernés étaient de nature générale et constituent une condition d’emploi normale pour un agent de correction. M. Fader admet qu’il est impossible d’éliminer complètement ces risques. Toutefois, selon M. Fader, l’employeur s’est doté de politiques de sécurité très poussées, à la fois dynamiques et préventives, qui atténuent efficacement le risque.

[31] Bien que la définition de danger ait été modifiée au fil des diverses modifications apportées au Code qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 2000, le concept de « danger » n’a pas changé de manière significative. À l’appui de cette position, M. Fader a porté à l’attention du tribunal la décision n° 01-008 dans Welbourne et Canadien Pacific Limitée. Dans cette décision, on confirme que bien que la nouvelle définition de danger constitue une amélioration par rapport à la définition précédente, il ne s’agit pas d’un changement radical. Cela est dû au fait qu’elle continue de se fonder sur les mêmes concepts de chances raisonnables qu’il se produise une blessure si le travailleur est exposé au danger, à la situation ou à la tâche. Les situations hypothétiques ou potentielles continuent d’être exclues de la définition de danger.

[32] Ces concepts enchâssés dans la nouvelle définition de danger ont plus tard été renforcés dans l’affaire de Parcs Canada, décision n° 02-009 de l’agent d’appel, Agence Parcs Canada et M. Doug Martin et Alliance de la Fonction publique du Canada. Cette affaire examinait la portée de la nouvelle définition de danger et comment elle s’applique en l’espèce. Selon cette définition, une activité future doit être sur le point de se produire et de causer une blessure à l’employé qui y participe. M. Fades a fait valoir que

« En l’espèce, l’activité future serait la fabrication d’une arme, la prise de possession d’une arme et son utilisation pour agresser un agent. Si on examine les faits, rien ne prouve que cette activité future aurait eu lieu ou était sur le point d’avoir lieu. »

[33] Selon M. Fader, les inquiétudes de M. Stone étaient de nature générale. Selon lui, pour qu’il existe un danger, il doit y avoir un degré de certitude raisonnable que l’exposition au danger, à la tâche ou à la situation se soldera par une blessure. À la lumière de cet énoncé, le droit de refuser de travailler reste une mesure exceptionnelle.

***

[34] La question à trancher dans cette affaire, comme dans tous les dossiers qui relèvent d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail, Partie II (le Code), consiste à savoir s’il existait un danger pour M. Stone, conformément à la définition fournie dans le Code.

[35] En l’espèce, la décision de l’agent de santé et de sécurité est strictement fondée sur les faits liés à la plainte de M. Stone sans pour autant être spécifiques à M. Stone lui-même. L’agent de santé et de sécurité a tenu compte de la définition de danger au sens du paragraphe 122(1) du Code et, en fonction des faits obtenus durant son enquête, a déterminé que M. Stone ne courait aucun danger au sens de la définition fournie dans le Code. Bien que les faits examinés par l’agent de santé et de sécurité auraient pu, à mon avis, être plus spécifiques quant au refus de travailler de M. Stone, j’estime qu’il convient de confirmer la décision d’absence de danger et ce, pour les raisons suivantes :

[36] Le terme « danger » est ainsi défini au paragraphe 122(1) du Code :

“danger” means any existing or potential hazard or condition or any current or future activity that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected, or the activity altered, whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity, and includes any exposure to a hazardous substance that is likely to result in a chronic illness, in disease or in damage to the reproductive system.

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[37] Dans l’affaire de Parcs Canada, supra, j’ai eu l’occasion d’analyser en profondeur la définition de danger et ses applications dans le domaine du maintien de l’ordre. Une analyse semblable a également été effectué dans Service correctionnel du Canada – établissement Drumheller et Larry DeWolfe, (ci-après appelé la décision Drumheller), décision 02-005 de l’agent d’appel, en ce qu’elle s’applique aux dangers existants ou potentiels ou aux situations dont il est question dans la définition de danger.

[38] Après les deux analyses mentionnées ci-dessus, on a mis au point un critère en trois points dans chaque cas pour établir les étapes que l’agent de santé et de sécurité doit suivre pour établir l’existence d’un danger au sens de la définition fournie dans le Code. Ces critères ne tiennent pas compte du caractère latent d’une blessure qui, soit dit en passant, n’est pas pertinent en l’espèce. Afin de correspondre à la définition complète de danger au sens du paragraphe 122(1) du Code canadien du travail, Partie II (le Code), c’est-à-dire un danger potentiel, une condition, une activité actuelle ou future, le critère est ainsi libellé :

Pour conclure à l’existence d’un danger au moment de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité doit se faire une opinion sur les points suivants, en se fondant sur les faits recueillis au cours de ladite enquête, à savoir :

· que la tâche éventuelle en question sera accomplie[3];

· qu’un employé aura à l’exécuter le moment venu;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce :

que la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l’employé appelé à l’exécuter, et que

la blessure ou la maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.

[39] M. Fader soutient que les préoccupations de M. Stone portaient sur «la fabrication d’une arme, la prise de possession d’une arme et son utilisation pour agresser un agent ». En revanche, au moment de son refus de travailler, M. Stone avait déclaré ce qui suit concernant ses préoccupations :

« Je suis préoccupé par la capacité des détenus de rapporter des articles de contrebande des ateliers industriels et d’entretien. En dotant le poste de contrôle n° 26 (il s’agit plutôt de 20), on permettrait au personnel de contrôler ce trafic beaucoup plus efficacement et de réduire considérablement le risque…»

Par conséquent, les préoccupations de M. Stone sont à la fois potentielles et non spécifiques.

[40] Lorsqu’on applique les faits de la présente espèce à la définition de danger, il apparaît clairement que M. Stone n’était menacé par aucune situation immédiate ou future, c’est-à-dire un risque, une situation ou une tâche, impliquant la fabrication d’une arme dans le cadre d’un réseau de contrebande non détecté susceptible de compromettre sa santé et sa sécurité, et de lui infliger des blessures dans un avenir prévisible. D’ailleurs, le fait que les détenus puissent dans le contexte d’un des ateliers fabriquer des armes susceptibles de passer inaperçues en raison de l’absence d’un poste de contrôle à un endroit précis de l’établissement n’est pas en l’espèce un élément pertinent puisqu’il ne contribue pas à établir objectivement qu’il en résulterait une agression contre M. Stone ou tout autre agent de correction. Un établissement carcéral à sécurité moyenne est un environnement de travail qui comporte des risques plus élevés que la plupart des autres milieux de travail. La description de travail de M. Stone insiste sur le fait que cette exposition à la violence fait partie intégrante des conditions de travail de son emploi. Dans cette description de travail, sous la rubrique Conditions de travail, partie 15 – Environnement de travail, on précise:

Le titulaire est souvent exposé à des détenus susceptibles d’être agités et imprévisibles, qui peuvent tenter d’intimider ou avoir recours à la violence. Le titulaire peut se voir forcer d’intervenir dans diverses situations menaçantes ou violentes impliquant des détenus, des employés ou des visiteurs, y compris des urgences (c.-à-d. des émeutes), des cas où aucune autre ressource n’est disponible pour lui prêter immédiatement main-forte et des cas où il peut être nécessaire d’avoir recours à une force mortelle. Il existe un potentiel d’agression verbale ou physique contre le titulaire, contre lesquels ce dernier est autorisé à utiliser tous les moyens pour se défendre, y compris la force mortelle (le détenu pouvant avoir l’intention de tuer)…

[41] En se fondant sur les preuves déposées dans la présente affaire, il est clair que M. Stone n’a pas refusé de travailler parce qu’il avait eu spécifiquement connaissance qu’un incident s’était produit ou était sur le point de se produire dans l’établissement qui aurait pu, à un moment précis, compromettre sa santé ou sa sécurité. Il n’y avait, au moment où M. Stone a refusé de travailler, aucun risque réel ou aucune situation susceptible de soutenir la conclusion qu’il existait bel et bien un danger. Le degré de tension dans l’établissement indiquait clairement que rien d’extraordinaire n’avait eu lieu ou n’était sur le point de se produire. M. Stone n’avait aucun renseignement, et de toute évidence pas de preuve, qu’un des détenus qui travaillent aux ateliers avait fabriqué une arme et qu’il avait l’intention de s’en servir contre lui ou contre tout autre agent de correction.

[42] Le seul incident qui a élevé de degré de conscience quant à une éventuelle menace pour la santé et la sécurité des agents de correction, y compris M. Stone, est l’incident de la lame de rabot. Cet incident avait déjà été traité avant le refus de travailler de M. Stone. La lame de rabot avait été retrouvée et retournée aux autorités de l’établissement. On ne peut s’appuyer sur un incident antérieur pour établir objectivement l’existence d’un danger. Dans la décision Parcs Canada, supra, j’aborde cette question au paragraphe n° 162, en disant :

162. Le tribunal ne peut pas conclure positivement à l’existence d’un « danger » selon la définition du Code en se fondant uniquement sur des événements passés. La notion de « danger » au sens où l’entend le Code, qui comprend le concept de « tâche éventuelle », n’autorise pas un agent de santé et de sécurité à se tourner vers le passé pour déclarer qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. Le « danger », tel que le définit le Code, est soit immédiat, soit potentiel, comme il a été expliqué ci‑dessus. Il ne peut exister rétroactivement.

[43] Selon moi, M. Stone a refusé de travailler afin de provoquer une solution à la question de la dotation du poste n° 20. En fin de compte, M. Stone a posé un geste de contestation contre la politique de l’établissement de compenser l’absence de personnel au poste n° 20 par l’exercice d’une sécurité dynamique et préventive accrue. Le genre de préoccupation que M. Stone a décrite est de nature générale. Il s’agit d’une préoccupation constante qui fait l’objet de discussions depuis 1992-1993, soit depuis que le poste n° 20 n’est plus en fonction. Cette préoccupation porte sur la possibilité qu’un détenu auquel on permet de vagabonder puisse ramasser des articles de contrebande qui pourraient servir d’arme ou servir à en fabriquer. Cette possibilité, bien qu’il s’agisse d’une réelle possibilité étant donné le contexte, demeure vague. Selon M. Stone, la contrebande ou l’arme en question pourrait également passer inaperçue dans les ateliers et éventuellement être utilisée contre les employés. Aussi, M. Stone fait-il valoir que la dotation du poste n° 20 pourrait réduire considérablement le risque que des armes ou des articles de contrebande passent inaperçus.

[44] Toutefois, ce genre de possibilité ne trouve aucune base factuelle dans la présente affaire. Du point de vue des dispositions du Code qui régissent le droit de refuser et qui exigent qu’un agent de santé et de sécurité détermine l’existence d’un danger en se fondant sur des critères objectifs[4], la proposition de M. Stone ne soulève qu’une possibilité potentielle que l’absence de personnel au poste de contrôle en question puisse engendrer des blessures pour lui-même ou d’autres agents. Cependant, les faits en l’espèce n’appuient pas cette possibilité et, par conséquent, elle demeure hypothétique. Comme je l’ai déjà dit dans la décision Parcs Canada, supra,

145. Étant donné que l’agent de santé et de sécurité est obligé de procéder à une enquête sur des faits précis en tenant compte des quatre critères objectifs énumérés ci‑dessus, les cas hypothétiques et théoriques continueront d’être exclus de la définition d’un danger. Après tout, les cas, tant hypothétiques que théoriques, ne reposent sur aucun fait, ce qui est en contradiction flagrante avec le concept de « danger » tel qu’il est défini dans le Code.

[45] En outre, M. Stone n’a aucune preuve que des armes ayant été fabriquées dans l’un ou l’autre des ateliers, ou ailleurs dans l’établissement, soient destinées à servir contre lui. On a admis qu’il y a sans doute, à n’importe quel moment donné, au moins une arme dans l’établissement. C’est une hypothèse raisonnable étant donné la nature de la population carcérale à Springhill. Il va de soi que ce fait n’aide pas à soulager les craintes de M. Stone ou des autres membres du personnel. Cependant, c’est là la nature d’un établissement carcéral à sécurité moyenne.

[46] Le risque de se voir agresser avec une arme, n’importe quel type d’arme, qu’elle ait ou non été fabriquée à partir de matériel obtenu dans un des ateliers, fait partie intégrante du travail d’un agent de correction. En revanche, ce risque est atténué par les nombreux contrôles, politiques de sécurité et procédures mis en place par le Service correctionnel du Canada. Le Plan de fouille de l’établissement de Springhill constitue un bon exemple de ce genre de procédure, un moyen efficace qui, soit dit en passant, a été activé et a donné lieu à un confinement aux cellules juste avant que M. Stone refuse de travailler. L’interaction continue avec les détenus, c.-à-d. la sécurité dynamique, constitue un autre exemple du type de mesures de sécurité dont les employés se servent pour cerner les situations potentiellement menaçantes. La sécurité préventive est un autre aspect du système de sécurité en place dans un établissement à sécurité moyenne. Il va se soi que le système de sécurité global dans ce genre de prison doit nécessairement inclure une certaine proportion de sécurité statique. La majeure partie du débat, en l’espèce, consiste à déterminer si l’absence de personnel au poste de contrôle n° 20 augmente, en fin de compte, le risque d’agression sur les agents de correction au point de constituer un danger au sens du Code.

[47] Cependant, un établissement à sécurité moyenne n’est pas un établissement à sécurité maximale et, par conséquent, les mesures de sécurité doivent refléter cette différence. En tant qu’employeur visé par les dispositions du Code, le Service correctionnel du Canada a la responsabilité, en tant qu’employeur de son personnel, de mettre au point et de mettre en application un système de sécurité susceptible de contrôler et d’atténuer le risque d’agression qui est toujours présent dans un établissement à sécurité moyenne tout en reconnaissant qu’il est impossible, pour des raisons pratiques, de l’éliminer complètement. C’est là la responsabilité générale de l’employeur en vertu de l’article 124 du Code, lequel prévoit :

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[48] Afin de se conformer à la responsabilité générale conférée par l’article 124 énoncé ci-dessus, l’employeur doit prendre toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour protéger la santé et la sécurité au travail de ses employés. Il n’y a aucune preuve en l’espèce que la direction de l’établissement a négligé de faire ce qu’il fallait dans les circonstances pour protéger la santé et la sécurité des agents de correction.

[49] Dans un établissement à sécurité moyenne, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’on puisse veiller à la protection de tous les employés en tout temps. Il va sans dire que le confinement des détenus à leur cellule 24 heures par jour n’est pas une option. Évaluer le risque posé par les détenus constitue une des mesures adoptées par le Service correctionnel du Canada pour se conformer aux prescriptions générales du Code et à son mandat en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il faut tenir compte de nombreux éléments lorsqu’on évalue les risques posés par les détenus et les meilleures mesures à adopter pour composer avec ces risques. Il n’existe toutefois aucune mesure unique susceptible de garantir la santé et la sécurité des employés.

[50] Les détenus sont des être humains dotés de libre arbitre[5] et, en tant que tel, ils peuvent décider à n’importe quel moment et ce, sans préavis, d’agresser un membre du personnel. Ce fait découle de l’imprévisibilité du comportement humain dont j’ai parlé au paragraphe 155 de la décision Parcs Canada, supra, où j’ai indiqué :

155. Il ressort clairement de ce qui précède que l’on ne peut savoir de façon tant soit peu fiable si un contrevenant va ou non blesser un agent faisant appliquer la loi. Dans les affaires de ce genre, d’importants critères sont nécessaires pour pouvoir déterminer objectivement la probabilité d’une blessure et, par conséquent, d’un danger, c.‑à‑d. qu’il faut savoir de qui et de quoi il s’agit, à quel endroit on se trouve et dans quelles circonstances. Il est évident que le concept de « danger » tel que le Code l’a défini n’est pas en harmonie avec l’imprévisibilité du comportement humain, caractéristique inhérente aux fonctions d’application de la loi. Dans les professions où l’« intentionnalité » est un élément dominant du travail, c’est une gageure en soi de chercher à établir sur des faits qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. En l’absence de faits précis éliminant l’aspect d’imprévisibilité du comportement humain, l’agent de santé et de sécurité conclura probablement à l’inexistence d’un « danger » au sens où l’entend le Code, puisqu’il se trouvera, à proprement parler, en présence d’un cas hypothétique ou théorique.

[51] Sous leur forme actuelle, les dispositions du Code sur le droit de refuser de travailler n’ont pas été conçues comme un outil pour régler des problèmes à long terme comme celui qu’a cerné M. Stone dans la présente espèce. Le droit de refuser de travailler prévu par le Code reste une mesure d’urgence prévue pour composer avec des situations où l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’employé soit blessé lorsqu’il sera exposé au danger, à la situation ou à la tâche. Toutefois, il ne peut s’agir d’un danger qui fait partie intégrante des conditions de travail normales ou des conditions normales d’emploi[6]. Cette déclaration, à elle seule, est lourde de conséquences pour les agents de correction. Étant donné que la probabilité de violence fait partie des conditions d’emploi des agents de correction, lesquels sont spécifiquement formés pour composer avec ces situations, il est très difficile d’envisager une situation, dans un tel environnement, où le risque de violence pourrait justifier un refus de travailler autrement que dans des circonstances exceptionnelles et spécifiques.

[52] Cela ne signifie aucunement que je qualifie de frivole ou sans fondement la plainte de M. Stone. Au contraire, les agents de correction et d’autres membres du personnel comme les instructeurs d’ateliers, sont très préoccupés par la question de la dotation du poste de contrôle n° 20. Ils sont également préoccupés par le risque que posent les détenus à qui l’on permet de vagabonder sans surveillance sur le terrain de l’établissement ou d’apparaître soudainement dans les ateliers industriels et d’entretien. À mon humble avis, il s’agit d’une préoccupation parfaitement légitime que l’établissement devrait normalement aborder par l’intermédiaire de son comité local de santé et de sécurité au travail.

[53] Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, je confirme la décision d’absence de danger, au sens du Code, rendue en l’espèce par l’agent de santé et de sécurité.

Serge Cadieux

Agent d’appel

SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

Décision no : 02-019

Demandeur : Jack Stone

Employeur : Service correctionnel du Canada, établissement de Springhill

MOTS CLÉS : Refus de travailler, contrebande, arme, processus de règlement interne des plaintes, fouille corporelle, procédures de fouille, instructeurs d’ateliers, sécurité dynamique, sécurité préventive, sécurité moyenne, confinement aux cellules, délinquants, détenus, sécurité statique, politique, possibilité hypothétique, détection de la contrebande, plan de fouille.

DISPOSITIONS : C.C.T : 127.1, 129(7)

SOMMAIRE :

Un agent de santé et de sécurité a mené une enquête sur le refus de travailler d’un agent de correction. Ce refus de travailler était fondé sur la capacité des détenus de rapporter des articles de contrebande des ateliers industriels et d’entretien. L’agent de correction estimait qu’en dotant correctement le poste de contrôle de l’immeuble n° 20 (l’entrée de service) on permettrait au personnel de contrôler en grande partie ce traffic et de réduire considérablement les risques. L’employeur avait effectué une analyse de ce poste et en avait conclu qu’il n’était pas nécessaire d’y affecter des effectifs étant donné que les instructeurs d’ateliers devaient fouiller les détenus chaque fois qu’ils quittaient l’atelier. L’agent de santé et de sécurité était du même avis que le Service correctionnel du Canada et a estimé qu’il n’existait aucun danger au sens du Code justifiant un refus de travailler.

En appel, l’agent d’appel s’est déclaré du même avis que l’agent de santé et de sécurité. L’agent d’appel a conclu que rien ne prouvait que l’agent de correction courrait le risque d’être blessé à cause de la vague possibilité qu’un détenu se procure des articles de contrebande pour agresser l’agent de correction en question ou un de ses collègues. L’agent d’appel a jugé que l’employé avait refusé de travailler pour contester la politique de l’employeur de remplacer les effectifs au poste de contrôle par des mesures accrues de sécurité dynamique. Le type de préoccupation exprimé par l’employé ayant refusé de travailler était de nature générale. Tout risque de violence dans un établissement à sécurité moyenne est considéré comme faisant partie intégrante des conditions d’emploi des agents de correction. L’agent d’appel a confirmé la décision d’absence de danger.


[1] Outil pour travailler le bois.

[2] M. Wood a expliqué qu’à son avis, la sécurité dynamique est l’ensemble des procédures de sécurité quotidiennes comme les fouilles et l’observation de tout ce qui sort de l’ordinaire.

[3] La première condition est redondante dans les cas où l’agent de santé et de sécurité a constaté que la tâche était en train de s’accomplir au moment de son enquête.

[4] Coulombe c. Empire Stevedoring Co. (1989), 78 di 52 (Can. L.R.B.)

[5] Stephenson et coll. c. Solliciteur général du Canada, C.R.T.F.P. Dossier 165-2-83, 1991.

[6] Montani c. Canadian National Railway (1994), 95 di 157 (C.C.R.I.)

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