Archivée - 2002 TSSTC 020 - Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

Informations archivées

Les informations archivées sont fournies aux fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elles ne sont pas assujetties aux normes Web du gouvernement du Canada et n'ont pas été modifiées ou mises à jour depuis leur archivage. Pour obtenir ces informations dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, demandeur
et
Travailleurs canadiens de l'automobile, représentants des employés
et
Paul Danton, agent de santé et de sécurité

________________________

Décision no 02-020

Le 10 octobre 2002

[1] Le 7 juillet 2000, l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent (AVMSL) a avisé par lettre ses employés que la procédure d'amarrage et de largage des navires, effectuée par trois personnes, se ferait désormais comme suit par seulement deux personnes :

À compter du 1er décembre 2000, les équipes des écluses seront formées de deux personnes par quart de travail aux écluses 2 à 4 de la région de Maisonneuve et aux écluses 1 à 7 de la région de Niagara. L'équipe de l'écluse de Saint-Lambert comprendra trois personnes par quart de travail en raison de la complexité de ses installations. L'écluse de la région du Niagara comptera une personne de plus par quart de travail pour faciliter son fonctionnement.

Quand prendra fin la saison de navigation de 2000, il y aura deux personnes par écluse par quart de travail à l'écluse Iroquois (région de Maisonneuve) et à l'écluse 8 (Région du Niagara).

Au cours de la présente saison de navigation, on élaborera des procédures et on procédera à la mise à l'essai des nouvelles méthodes et du nouvel équipement, y compris l'équipement de communication. Le but visé par ces essais est de faciliter le travail à deux personnes et de réduire au minimum l'impact sur la durée de l'éclusage.

[2] Le 16 octobre 2000, les employés MM. Robert Clocherty, Dan Warner et Jim Kelly ont refusé de travailler et de participer à un test de validation de la procédure à deux personnes organisé par l'AVMSL. Les employés ont justifié par écrit leur refus de travailler en soutenant que la procédure d'amarrage et de largage par deux personnes représentait un danger en vertu du Code. Ils ont aussi déclaré que la décision arbitraire de l'AVMSL de modifier la procédure contrevenait à diverses dispositions du Code qu'ils ont énumérées.

[3] Le comité de santé et de sécurité de l'AVMSL s'est penché sur ce refus de travailler et a écrit à la direction de l'AVMSL en novembre 2000 au sujet des inquiétudes de ces travailleurs concernant les problèmes de santé et de sécurité que pourraient entraîner les changements proposés. La direction de l'AVMSL a répondu à ces préoccupations et a demandé que le comité de santé et de sécurité présente ses recommandations finales à la Corporation avant la fin de janvier 2001. Le syndicat a publié un document au début de février 2001. Le 5 mars 2001 et le 25 avril 2001, respectivement, l'AVMSL a présenté les questions en suspens aux bureaux de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) de la région du Québec et du Sud-ouest de l'Ontario pour qu'ils les interprètent ou émettent une décision à leur sujet.

[4] L'agent de santé et de sécurité Paul Danton, de la région du Sud-ouest de l'Ontario de DRHC, et l'agent de santé et de sécurité Alain Messier, de la région du Québec, ont enquêté ensemble sur la question. Les deux agents ont observé le fonctionnement des écluses de St. Catharines, en Ontario, le 27 avril 2001, et de Montréal, au Québec, le 10 mai 2001.

[5] Par suite de l'enquête, les agents de santé et de sécurité ont conclu que les cabestans et les bittes d'amarrage de ces deux sites de l'AVMSL servant à amarrer et à larguer les navires dans les écluses étaient des « appareils de manutention motorisés » en vertu de la partie XIV du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada intitulée « Manutention des matériaux ». Ils ont aussi conclu que l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada s'appliquait aux activités de l'AVMSL quand l'opérateur d'un appareil de manutention motorisé n'a pas une vue sans obstacle de l'aire où l'appareil doit circuler.

[6] Le 18 juillet 2001, l'agent de santé et de sécurité Danton a rencontré des dirigeants de l'AVMSL et des employés de l'écluse de St. Catharines, en Ontario. Il a expliqué ses conclusions et émis des instructions à la direction de l'écluse de St. Catharines. Les instructions, faites en vertu du paragraphe 145.(1) du Code canadien du travail (ci‑après désigné par le Code ou la Partie II), signalaient 4 contraventions et demandaient à la direction d'y remédier au plus tard le 30 juillet 2001. On trouvera ci‑joint une copie des instructions. L'agent de santé et de sécurité Danton a par la suite confirmé à l'agent d’appel que les instructions concernaient uniquement la région du Niagara de l'AVMSL, mais a admis qu'elles auraient probablement un impact sur les activités de l'AVMSL dans la région du Québec.

[7] Le 10 août 2001, l'AVMSL s'est adressée à un agent d’appel en vertu du paragraphe 146.(1) du Code et a demandé que les points 2 et 4 des instructions soient revus en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code. L'AVMSL a également demandé la tenue d'une audience pour examiner le point 4 des instructions dès que possible; le point 2 pouvant être examiné plus tard. Voici le texte du point 4 des instructions :

4. Alinéas 125.(l) p) q) du Code canadien du travail, Partie II, et article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada

[TRADUCTION] L'employeur n'a pas fourni de signaleur à l'opérateur de l'appareil de manutention motorisé. Durant la procédure d'amarrage ou de largage, le travailleur perd, pendant un certain temps, le contact visuel avec le navire et les câbles d'amarrage.

[8] Une audience de révision du point 4 a été tenue à St. Catharines le 13 février 2001.

[9] L'agent de santé et de sécurité Danton a fourni une copie de son rapport d'enquête et a témoigné à l'audience. Son rapport ne sera pas repris ici, mais il a été versé au dossier. Je retiens les passages suivants de son rapport et de son témoignage.

[10] Durant son témoignage à l'audience, l'agent de santé et de sécurité Danton a précisé que les treuils motorisés à bord des navires constituent également des appareils de manutention motorisés. Il a noté que les appareils de manutention motorisés à bord des navires sont utilisés en conjonction avec les bittes d'amarrage pour positionner et immobiliser les navires dans les écluses et ramener les câbles d'amarrage après que les haleurs de câbles[1] les ont détachés des bittes d'amarrage pour libérer les navires.

[11] L'agent Danton a confirmé à l'audience que le mot « travailleur », au point 4 de ses instructions, désignait l'employé chargé de l'opération du cabestan et l'employé qui attache ou détache les câbles d'amarrage. Il était d'avis que les bittes d'amarrage sont des appareils de manutention motorisés, car elles constituent un équipement auxiliaire des cabestans servant à haler les câbles des navires remontants quand le niveau d'eau de l'écluse est bas, et un équipement auxiliaire des treuils des navires servant à positionner et à immobiliser les navires dans les écluses et à ramener les câbles d'amarrage après que les haleurs de câbles les ont détachés des bittes d'amarrage. il a soutenu qu'un signaleur était nécessaire pour attacher ou détacher les câbles d'amarrage quand l'opérateur de l'appareil de manutention motorisé à bord du navire n'a pas une vue sans obstacle du câble attaché à la bitte d’amarrage. Il a souligné qu'en vertu du paragraphe 14.26(4) du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada, un signaleur ne peut remplir d'autres fonctions que la signalisation quand il accomplit sa tâche de signaleur. Le paragraphe 14.26(4) stipule :

14.26(4) Le signaleur ne peut remplir d'autres fonctions que la signalisation pendant que l'appareil de manutention motorisé qu'il est chargé de diriger est en marche.

[12] Il a aussi confirmé à l'audience qu'il connaissait le yellow line rule[2] (règlement de la ligne jaune) de l'AVMSL dont voici une traduction :

1. BUT

Le but du « règlement de la ligne jaune » est d'assurer la conformité à deux (2) dispositions du Règlement concernant la santé et la sécurité en vertu de la Partie II du Code canadien du travail:

a. l'obligation d'utiliser des gilets de sauvetage là où il y a risque de noyade;

b. l'obligation d'utiliser un dispositif de protection contre les chutes pour une structure non protégée à plus de 2,4 m au-dessus du niveau permanent sûr le plus proche.

2. ZONE DÉLIMITÉE PAR LA LIGNE JAUNE PRÈS DES PAROIS DE L'ÉCLUSE

[Le diagramme de la copie fournie par l'AVMSL n'est pas reproduit ici. On y voit une ligne jaune peinte parallèlement au mur de couronnement et située à une distance d'un mètre de celui-ci. La zone ainsi délimitée, entre la ligne jaune et le mur de couronnement, est désignée ZONE DÉLIMITÉE PAR LA LIGNE JAUNE. Les instructions suivantes sont inscrites sous le diagramme.]

Sous réserve des conditions ci-dessous, les employés chargés de l'amarrage et du largage peuvent pénétrer dans la zone délimitée par la ligne jaune sans gilet de sauvetage ou dispositif de protection contre les chutes.

NAVIRE REMONTANT

Pour :

i. lancer un câble d'attrape;

ii. signaler à l'équipage du navire qu'un câble a été attaché;

iii. s'assurer que le navire est contre le mur avant que l'écluse soit remplie.

NAVIRE DESCENDANT

i. Pour lancer un câble d'attrape qui vient d'être largué.

Toujours utiliser les « prises d'orteils » près du mur de couronnement.

En l'absence de ligne jaune peinte sur le mur de couronnement de l'écluse ou sur un quai, on doit respecter la zone délimitée par la ligne jaune d'un (1) mètre.

Tous les membres du personnel[3] devant pénétrer dans la ZONE DÉLIMITÉE PAR LA LIGNE JAUNE d'un (1) mètre du mur d'une écluse ou du bord d'un quai doivent porter un gilet de sauvetage ou utiliser un dispositif de protection contre les chutes approprié.

RESPONSABILITÉS

Tous les travailleurs doivent respecter le règlement de la ligne jaune et rappeler à leurs compagnons de travail de faire de même.

Les coordonnateurs doivent voir au respect du règlement de la ligne jaune.

Région du Niagara

St. Catharines, Ontario

Le 23 mars 2000

[13] L’agent Danton a répété qu'il s'agissait d'une politique interne de l'AVMSL et qu'il n'avait pas à conseiller l'AVMSL relativement à l'application de son règlement de la ligne jaune en rapport avec ses instructions, ni à approuver les mesures correctives finalement prises par l'AVMSL. Il a soutenu que, comme un agent de police, le rôle d'un agent de santé et de sécurité était de déceler les contraventions et de faire respecter les règlements. Il ne croyait pas que l'alinéa 145.(1) b) du Code stipule que les agents de santé et de sécurité doivent indiquer les mesures à prendre pour éviter que les infractions continuent ou se répètent.

[14] M. Michel Drolet, vice-président de l'exploitation, région du Niagara, a affirmé dans son témoignage qu'il avait écrit à l'agent de santé et de sécurité Danton le 24 juillet 2001 et l'avait informé des mesures que prenait l'AVMSL pour se conformer à ses instructions. Relativement au point 4, il a écrit que des procédures d'amarrage avaient été ébauchées pour qu'un signaleur soit en place quand l'opérateur de cabestan ne pouvait voir le câble d'amarrage derrière le mur de couronnement, et que ces procédures seraient présentées pour validation au comité local de santé et de sécurité au travail. Dans sa lettre, M. Drolet se disait préoccupé par le fait que le point 4 des instructions forçait les employés à contrevenir au règlement de la ligne jaune bien établi à l'AVMSL. Il y soutenait qu'exiger que le signaleur se tienne longtemps dans la zone délimitée par la ligne jaune et qu'il se penche au-dessus du mur de couronnement pour voir le câble d'amarrage entraînait des risques beaucoup plus grands que l'absence de signaleur.

[15] M. Drolet a expliqué l'origine du règlement de la ligne jaune à l'AVMSL. Selon M. Drolet, en 1991, un agent de santé et de sécurité de DRHC a demandé à l'AVMSL de s'assurer que ses employés portent des gilets de sauvetage et utilisent un dispositif de protection contre les chutes pour amarrer et libérer les navires. L'AVMSL avait appelé de la décision auprès de DRHC et, par suite de l'enquête de DRHC, des représentants de DRHC s'étaient entendus avec l'AVMSL et ses employés pour ne pas appliquer le règlement dans ce cas particulier, car l'utilisation d'un dispositif de protection contre les chutes créerait en soi un danger. M. Monteith, gestionnaire de district à l'époque, avait écrit à l'AVMSL pour confirmer qu'elle n'était pas tenue de se conformer aux instructions de l'agent. Dans sa lettre, il ajoutait que l'AVMSL devait s'assurer que ses employés respectaient le règlement de la ligne jaune élaboré conjointement par l'AVMSL et ses employés.

[16] M. Daryl McDonald, coordonnateur de la région du Niagara, a témoigné à l'audience. Il a décrit en détail les procédures actuelles d'amarrage et de largage de l'AVMSL dans ses écluses au moyen de cabestans et de bittes d’amarrage. Il a précisé que le cabestan est retenu au sol par des boulons et que le tambour est activé au moyen d'une pédale. Une fois qu'un membre de l'équipage a attaché une extrémité du câble d'attrape à un câble d'amarrage, l'autre extrémité du câble est passée autour de la bitte d'amarrage et enroulée autour du tambour du cabestan. Le cabestan est mis en marche et la friction avec le câble générée par la rotation du tambour du cabestan produit la force nécessaire pour tirer le câble. L'opérateur du cabestan contrôle la force de traction exercée par le cabestan sur le câble en réglant la tension appliquée au câble enroulé autour du tambour du cabestan. Ainsi, il peut détecter immédiatement toute résistance supplémentaire subie par le câble s'il se produit un effet de recul ou si le câble se coince. L'opérateur peut réagir à la situation en relâchant le câble avant même qu'un signaleur ait observé le problème. M. McDonald a également décrit les procédures de signalisation de l'AVMSL utilisées par le haleur de câbles pour communiquer avec l'opérateur de cabestan et les membres de l'équipage quand il lance les câbles d'attrape reliés aux navires à l'amarrage et au largage.

[17] En réaction aux instructions de l'agent de santé et de sécurité Danton, le chef de l'exploitation du bureau de Cornwall, en Ontario, a élaboré des procédures pour intégrer le rôle de signaleur aux procédures de l'AVMSL et a chargé M. McDonald de mener des tests de validation des nouvelles procédures. Avant de mener les tests de validation, M. McDonald a consulté les employés devant y participer pour décider ce que le signaleur devrait observer durant l'amarrage et le largage des navires, car cela n'était pas mentionné dans les nouvelles procédures. Les employés de l'AVMSL concernés étaient d'avis que le signaleur devait voir le navire, le treuil utilisé, le membre d'équipage et le câble. Ils estimaient également que le signaleur devrait se tenir dans la zone délimitée par la ligne jaune pour y arriver. M. McDonald a déclaré dans son témoignage qu'il croyait que les instructions signifiaient que le signaleur devait observer le câble venant du navire et hissé le long du mur si le navire était remontant. Il a décidé que le signaleur ne se tiendrait pas dans la zone délimitée par la ligne jaune durant les tests de validation, car cela pourrait mettre en danger sa santé et sa sécurité. Trois tests de validation ont été effectués entre les 20 et 22 août 2001 avec des navires remontants et descendants.

[18] Mme Debra Riddle, agent de santé et de sécurité à l'AVMSL, a participé aux trois tests de validation et a pris des notes. Ses notes indiquent que les employés participant aux trois tests de validation estimaient qu'il était nécessaire de se tenir dans la zone délimitée par la ligne jaune délimitée par la ligne jaune pour garder un contact visuel avec le navire. M. McDonald a déclaré que les notes correspondaient aux commentaires des trois employés qui ont participé aux tests de validation, mais a admis que tous les participants n'étaient pas d'accord avec la conclusion indiquée dans les notes. Voici des extraits de ces notes :

Résultat des essais sur le terrain de la procédure d'éclusage des navires remontants et descendants

Région du Niagara

Premier test :

Date : le 20 août 2001, vers 12 h 30

Endroit : Écluse 3

Navire : Stephen B Roman (remontant)

· Tout en observant l'amarrage du navire, le signaleur devait se tenir dans la zone délimitée par la ligne jaune pour garder un contact visuel avec la charge. (La procédure indique que le signaleur doit se maintenir derrière la ligne jaune.)

· L'employé remplissant la fonction de signaleur a affirmé qu'il ne pouvait voir le pont du navire sans se pencher par-dessus le mur de couronnement.

· Daryl McDonald a également examiné la procédure avec le personnel des écluses 1 et 5 après l'exercice. Tous étaient d'avis qu'il était impossible au signaleur de faire son travail en restant hors de la zone délimitée par la ligne jaune.

· Tous les membres du personnel qui ont participé aux tests ou qui en ont observé le déroulement pensent que la tâche de signaleur, loin de favoriser la sécurité, entraîne plutôt des risques inutiles.

Deuxième test :

Date : le 22 août 2001, vers 14 h 25

Endroit : Écluse 1

Navire : Canadian Century (descendant)

· La seule façon pour le signaleur d'avoir un contact visuel avec le treuil du navire était de se tenir sur la passerelle, mais il était alors incapable de communiquer efficacement avec ses compagnons de travail.

· Les membres de l'équipe ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas trouver un endroit sûr où ils pouvaient voir à la fois les membres de l'équipage, le treuil et la charge halée.

· Le personnel de l'écluse a déclaré la tâche de signaleur dangereuse et inutile.

Troisième test :

Date : le 22 août 2001, vers 16 h

Endroit : Écluse 3

Navire : Halifax (remontant)

· L'employé remplissant la fonction de signaleur a déclaré qu'il ne pouvait à la fois se placer de façon sécuritaire et bien voir le déroulement des opérations.

· L'employé se tenait sur la passerelle, ce qui lui permettait de bien voir les membres de l'équipage, le pont du navire, la charge et ses compagnons de travail. Toutefois, cela n'était possible que pour le câble no 1 sur un 730.

· Les treuils nos 1 et 2 et le chaumard du navire étaient cachés par le deuxième pont.

· Durant la procédure, l'opérateur du cabestan s'est aperçu que quelque chose n'allait pas avec le câble no 1 et a désembrayé le cabestan. Le signaleur a dit à l'employé d'interrompre la manœuvre, car le capitaine a signalé un effet de recul. Le signaleur est allé au bastingage et a constaté la situation. Une fois le problème corrigé, il a dit à l'opérateur du cabestan qu'il pouvait reprendre la procédure. Fait à noter, l'opérateur de cabestan a déclaré qu'il avait désembrayé le cabestan parce que la tension du câble lui avait indiqué la présence d'un problème. Le signaleur n'a fait que constater le problème.

· Tous les membres du personnel qui ont participé à la procédure ou qui l'ont observée étaient d'avis que la fonction de signaleur comportait des risques inutiles et n'offrait aucun avantage.

[19] M. McDonald a confirmé que tous les membres des équipes de travail des écluses étaient équipés d'une radio bidirectionnelle et pouvaient entendre les échanges entre le signaleur et le capitaine. Il a déclaré qu'ils pouvaient utiliser leurs radios pour communiquer entre eux, sauf pour l'opérateur de cabestan qui pouvait difficilement le faire sans interrompre son travail.

[20] M. Jacques Cormier, employé de la région du Québec et membre du comité local de santé et de sécurité, a témoigné relativement à deux accidents survenus en 2001. Il a déclaré que le 15 avril 2001, un employé de l'écluse de Saint-Lambert, au Québec, s'était blessé en décrochant le câble de la bitte d'amarrage. Selon le rapport d'accident, le câble d'amarrage avait été relâché pour libérer le navire, mais un membre de l'équipage a mis le treuil en marche avant que l'employé puisse le décrocher de la bitte d'amarrage. L'employé s'est blessé quand le câble s'est tendu et l'a projeté au sol. Après l'accident, l’AVMSL s'est plainte à l'agent du navire que le membre d'équipage avait contrevenu aux procédures de la Voie maritime en n'attendant qu'on lui donne le feu vert pour remonter le câble d'amarrage. Un accident semblable s'est produit le 12 octobre 2001 à Brossard, au Québec. Dans ce cas, l’AVMSL a avisé le mandataire du navire que l'équipage n'avait pas respecté les procédures de la Voie maritime.

[21] Dans son témoignage, M. Tom Pinder, représentant à l'entretien et membre de l'équipe de travail de l'écluse de St. Catharines, a affirmé qu'il avait participé aux deuxième et troisième tests de validation. Il a déclaré que la fonction de signaleur avait été rendue inutile pendant les tests du fait que M. McDonald interdisait aux travailleurs de se tenir dans la zone délimitée par la ligne jaune. Il a signalé qu'il travaillait aux écluses depuis 18 ans et qu'il se sentait tout à fait à l'aise à l'idée de travailler dans cette zone avec un pied posé sur le mur de couronnement. Il a estimé entre 2 à 5 minutes le temps total passé par un signaleur dans la zone délimitée par la ligne jaune.

[22] En accord avec M. McDonald, il a confirmé que tous les travailleurs de l'écluse avaient une radio bidirectionnelle et pouvaient communiquer entre eux et entendre les échanges entre le signaleur et le capitaine ou le pilote du navire. Toutefois, il a soutenu que le haleur de câble et l'opérateur de cabestan communiquent normalement l'un avec l'autre et avec les membres de l'équipage verbalement et par des signaux manuels pendant l'amarrage et le largage des navires. Quand les travailleurs de l'écluse ne peuvent voir les opérateurs des treuils du navire, ils peuvent communiquer par radio avec un membre de l'équipage qui les dirige.

[23] M. Essiminy a déclaré que je devrais annuler le point 4 des instructions pour les raisons suivantes, qui n'apparaissent pas nécessairement dans le même ordre pendant les audiences.

[24] M. Essiminy a soutenu qu'il faut lire et interpréter de façon cohérente la partie XIV du règlement. À cet égard, il m'a renvoyé à la définition de « signaleur » qui se trouve à l'article 14.1 du règlement. La définition indique, entre autres choses, qu'un signaleur doit diriger en toute sécurité « le déplacement et la manœuvre » des appareils de manutention motorisés. M. Essiminy a affirmé que l'article14.25 ne s'applique qu'aux appareils de manutention motorisés pouvant se déplacer et non aux appareils stationnaires, comme des cabestans et des bittes d'amarrage. Pour appuyer son point de vue, il a mentionné d'autres dispositions de la partie XIV qui régissent, par exemple, les mécanismes de direction, les freins, les avertisseurs sonores, les phares et les ceintures de sécurité des appareils de manutention motorisés.

[25] Il a maintenu que le Code ne s'applique pas aux navires, aux membres d'équipage ou aux treuils des navires. Ceux-ci et les bittes d'amarrage ne peuvent donner lieu à un avis de contravention tel que constaté par l'agent de santé et de sécurité Danton.

[26] M. Essiminy a également déclaré que le point 4 des instructions devait être annulé parce que les tests menés par l’AVMSL aux écluses de St. Catharines les 20 et 22 août 2001, ont montré que le fait de se conformer aux instructions du point 4 entraînait un danger plus grand pour les travailleurs. Il a cité la décision no 21, rendue le 23 décembre 1996, relativement au Saskatchewan Wheat Pool et à la Grain Services Union, dans laquelle l'agent régional de santé et de sécurité Serge Cadieux estimait qu'il valait mieux ne pas se conformer au Code ou au règlement si cela créait un danger plus grand. M. Essiminy a ajouté que de se tenir dans la zone délimitée par la ligne jaune et de se pencher au-dessus du mur de couronnement pour observer le câble contreviendrait aux instructions de l'agent de santé et de sécurité Harold Monteith présentées à M. P. Vincelli, chef de l'exploitation d'AVMSL, le 22 novembre 1991. Il a insisté sur le fait que l'agent de santé et de sécurité Danton avait refusé de sanctionner quelque dérogation que ce soit à la lettre de l'agent Monteith et du règlement de la ligne jaune de l'AVMSL.

[27] M. Essiminy a ajouté qu'il fallait annuler le point 4 des instructions pour la simple raison que les procédures actuelles fonctionnaient bien. M. Pinder a déclaré que les signaux manuels et vocaux prévus par les procédures de l'AVMSL permettent une communication efficace entre le haleur de câbles et l'opérateur de cabestan, et entre le haleur de câbles et les membres de l'équipage. M. Essiminy a également dit que la fonction de signaleur, telle que décrite à l'article 14.25, était inutile, car l'opérateur de cabestans pouvait détecter un problème immédiatement et relâcher le câble avant que d'autres personnes s'aperçoivent du problème le cas échéant.

[28] M. Essiminy a ensuite soutenu que le point 4 des instructions devait être retiré parce que l'agent de santé et de sécurité Danton était tenu, en vertu de l'alinéa 145.(1) b) du Code, de préciser dans ses instructions les mesures à prendre pour remédier à la contravention constatée par lui, ce qu'il n'a pas faits. Il a maintenu que les principes du droit administratif et constitutionnel exigeait que le point 4 soit annulé en raison de son manque de précision et de l'absence de suggestions de mesures correctives.

[29] Il a également affirmé que le pouvoir d'un agent d’appel de modifier des instructions était limité et ne lui permet pas de réécrire des instructions. Il a soutenu que les agents d’appel doivent s'en remettre aux faits établis par l'enquête de l'agent de santé et de sécurité et, comme les faits recueillis dans cette affaire sont insuffisants pour justifier une modification du point 4 des instructions, on doit annuler celui-ci.

[30] M. Vince Hearn a soutenu que le point 4 des instructions devait être infirmé, car un cabestan est un appareil de manutention motorisé exigeant la présence d'un signaleur. Il a mentionné les paragraphes 4 et 12 d'un document remis par l’AVMSL aux coprésidents du comité régional de santé et de sécurité le 27 décembre 2000, intitulé « comments/reply and position discussion paper following niagara health and safety committee report » (commentaires, réponse et discussion sur le rapport du comité de santé et de sécurité de la région du Niagara). Dans la réponse, au paragraphe 4, intitulé « Capstan is an unguarded machine under the code (sic) » (Un cabestan est une machine non protégée en vertu du Code), l’AVMSL écrivait :

[TRADUCTION] « …Le rôle de la seconde personne pour un navire remontant est de servir de signaleur aux membres de l'équipage pour leur indiquer comment haler le câble d'amarrage du tambour, car l'opérateur du cabestan n'a pas de contact visuel avec l'équipage du navire. Pour un navire descendant, l'opérateur du cabestan a un contact visuel avec l'équipage du navire et peut communiquer verbalement, si nécessaire, car le pont du navire est au moins au niveau du sommet du mur de couronnement. »

[31] Dans la réponse, au paragraphe 12 intitulé « Possible violation – using material handling equipment without a signaleur » (violation possible – utilisation d'un appareil de manutention motorisé en l'absence d'un signaleur), l’AVMSL écrivait :

[TRADUCTION] « Une des fonctions de la seconde personne, à l'amarrage d'un navire remontant, est de servir de signaleur à l'opérateur du cabestan et à l'opérateur du treuil à bord du navire. Le signaleur s'assure que le câble d'attrape est bien attaché, il indique à l'équipage du navire le moment de dérouler le câble d’amarrage du treuil, car l'opérateur du cabestan n'a pas de contact visuel avec l'équipage du navire. Le signaleur quitte ensuite la zone délimitée par la ligne jaune. L'opérateur du cabestan a le plein contrôle de la vitesse de halage du câble et doit surveiller en tout temps l'accroissement soudain de la tension subie par le câble d'attrape et se tenir prêt à y réagir. Il doit alors désembrayer le cabestan. L’autre personne, pour les navires remontants, peut revenir dans la zone délimitée par la ligne jaune pour recommander des mesures correctives. Pour un navire descendant, l'opérateur du cabestan a un contact visuel direct avec tout l'équipement et l'équipage du navire. Dans ce cas, la présence d'un signaleur n'est pas nécessaire. »

[32] M. Hearn a également attiré mon attention sur un document de l'AVMSL intitulé « Vessel Lockage Procedures » et spécifiquement sur la section J3 du document intitulée « Communications Between Lock Crew and the Vessel » (communication entre le personnel de l'écluse et le navire). La section J3 comprend un passage sur les signaux manuels et les communications verbales.

[33] Il a soutenu que les tests de validation effectué les 20 et 22 août 2001 se sont avérés négatifs parce que l’AVMSL avait refusé de modifier le règlement de la ligne jaune et de permettre au signaleur d'observer et de diriger l'opération de l'appareil de manutention motorisé à partir de la zone délimitée par la ligne jaune. M. Pinder a déclaré qu'il arrivait très bien à voir le navire, les membres de l'équipage et l'opérateur du cabestan le pied posé sur le mur de couronnement. Il a répété qu'il n'était pas nécessaire que le signaleur voie le câble halé le long du mur, comme l'affirme l'AVMSL, et qu'il se penche par-dessus le mur de couronnement. Il a ajouté que le personnel de l'écluse porte maintenant des gilets de sauvetage et que le règlement de la ligne jaune actuel permet aux travailleurs de se placer dans la zone délimitée par la ligne jaune s'ils portent des gilets de sauvetage.

[34] Enfin, il a soutenu que la santé et la sécurité des membres du personnel des écluses est liée aux membres des équipages, aux navires et aux treuils des navires et que, par conséquent, il fallait exercer une surveillance sur ceux-ci aussi.

****

[35] La question, dans cette affaire, est de déterminer si l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada s'applique au fonctionnement des écluses de l'AVMSL, compte tenu de utilisation de cabestans, de bittes d'amarrage et de treuils à bord des navires pour l'amarrage et le largage des navires, et justifie la présence d'un signaleur quand l'opérateur d'un appareil de manutention motorisé n'a pas une vue claire de l'aire où l'appareil doit être utilisé. À cet égard, je dois d'abord décider si les appareils de manutention motorisés, les bittes d'amarrage et les treuils à bord des navires sont des appareils de manutention motorisés tels que définis dans la partie XIV du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada.

[36] Dans l'affirmative, je dois décider si, tel que soutenu par M. Essiminy, la conformité à l'article 14.25 crée pour les activités de l'AVMSL un danger plus grand, incompatible avec l'esprit du Code. Je dois aussi me pencher sur l'argument de M. Essiminy qu'il faut annuler le point 4 des instructions de l'agent de santé et de sécurité Danton, car on n'y trouve ni mesures correctives ni échéancier pour remédier à la contravention, tel qu'exigé par l'alinéa 145.(1) b) du Code. L'alinéa 145.(1) b) se lit comme suit :

145.(1) S'il est d'avis qu'une contravention à la présente partie vient d'être commise ou est en train de l'être, l'agent de sécurité et de sécurité peut donner à l'employeur ou à l'employé en cause l'instruction :

a) d'y mettre fin dans le délai qu'il précise;

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu'il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

[C'est moi qui souligne.]

[37] Pour décider si les cabestans, les bittes d'amarrage et les treuils des navires utilisés dans le cadre des activités de l'AVMSL sont des appareils de manutention motorisés, je me reporte à la définition des appareils de manutention de l'article 14.1, qui se lit comme suit :

14.1 « appareil de manutention » Dispositif, y compris les structures d'appui, le matériel auxiliaire et le gréement, utilisé pour transporter, lever, déplacer ou placer des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets. La présente définition exclut les appareils élévateurs installés en permanence dans un bâtiment, mais comprend les appareils mobiles utilisés pour lever, hisser ou placer les personnes. [C'est moi qui souligne.]

[38] Selon les faits présentés, les cabestans de l'AVMSL servent à lever et à manœuvrer les câbles d'amarrage des navires aux bittes d'amarrage, et les treuils des navires sont utilisés avec les bittes d'amarrage pour positionner et immobiliser les navires dans les écluses. Au sens large, la définition de l'appareil de manutention comprend donc les cabestans, les treuils des navires et les bittes d'amarrage servant à faire passer les navires dans les écluses. (Je traiterai plus loin de l'argument juridique de M. Essiminy selon lequel les treuils des navires ne sont pas assujettis au Code.)

[39] Ayant établi que les cabestans, les treuils des navires et les bittes d'amarrage servant à faire passer les navires dans les écluses sont des appareils de manutention, je me reporte à l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada, qui se lit comme suit :

14.25 L'employeur ne peut obliger un opérateur à manœuvrer un appareil de manutention que si cet opérateur, selon le cas :

a) est dirigé par un signaleur;

b) a une vue sans obstacle de l'aire où l'appareil doit circuler.

[40] Conformément à ce qui précède, l'article 14.25 s'applique uniquement aux appareils de manutention « motorisés », terme non défini dans le Code ou le Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada. Cela étant, les principes de l'interprétation des lois exigent qu'on se reporte à la définition courante d'un dictionnaire pour mieux comprendre le sens d'un terme dans l'esprit de la partie du Règlement. Selon le Robert, les termes « moteur » et « motoriser » se définissent comme suit :

moteur : Qui engendre le mouvement. Appareil servant à transformer une énergie quelconque en énergie mécanique.

motoriser : munir d'un moteur.

Comme le Code est de nature corrective, la plus large interprétation conforme à l'article 122.1, exposant l'objet du Code, et aux circonstances de son application. Par conséquent, je conclue que les appareils de manutention « motorisés » sont désignés tels s'ils sont munis d'un moteur qui transforme une énergie quelconque en énergie mécanique. L'objet du Code est défini comme suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions.

[41] M. Essiminy a argué au contraire que le terme « signaleur », à l'article 14.1, fait référence à « un déplacement et à une manœuvre », et que l'alinéa 14.26 5) du Règlement parle du « déplacement » des appareils de manutention. Toutefois, ces articles ne limitent pas l'application de l'article 14.25, qui mentionne uniquement « la manœuvre » d'un appareil de manutention. À mon avis, l'objet du Code énoncé à l'article 122.1 exige que le terme « manœuvre » soit interprété dans le sens le plus large qui favorise la protection de la santé et de la sécurité des employés. Par exemple, dans le cas d'une grue motorisée, il peut être possible à l'opérateur de la déplacer d'un point à un autre, de déplacer le mât de la grue verticalement ou horizontalement et de soulever ou de déposer une charge à l'aide d'un câble. Quand l'exécution d'une de ces tâches comporte des risques pour les employés parce que la vue de l'opérateur est obstruée, le bon sens exige la présence d'un signaleur.

[42] Je ne suis pas non plus persuadé, comme l'affirme M. Essiminy, que l'article 14.25 ne s'applique pas à un appareil de manutention stationnaire parce que la majeure partie des dispositions de la partie XIV du Règlement régit des pièces d'équipement comme les mécanismes de direction, les freins, les avertisseurs sonores, les phares et les ceintures de sécurité des appareils de manutention motorisés, normalement associés à des appareils de manutention motorisés mobiles. À mon avis, le Règlement s'applique aux appareils de manutention motorisés mobiles et stationnaires dans la mesure où ils doivent être régis. Je sais bien que les dispositions du Règlement relatives aux mécanismes de direction, aux freins, aux avertisseurs sonores, aux phares et aux ceintures de sécurité ne s'étendent pas aux cabestans et aux brouettes, pourtant, ces deux derniers appareils sont régis par la partie XIV du Règlement.

[43] Par conséquent, je suis d'accord avec l'agent de santé et de sécurité Danton pour dire que, techniquement, l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada s'applique à l'utilisation des cabestans et des bittes d'amarrage par les employés de l'AVMSL.

[44] Toutefois, les faits présentés dans cette affaire me portent à croire que la conformité à l'article 14.25 entraînerait un accroissement des risques pour les employés de l'AVMSL et que les pratiques antérieures s'accompagnent d'un risque d'accident relativement faible.

[45] En ce qui concerne ce dernier point, nous savons que les procédures actuelles d'amarrage et de largage des navires sont en place depuis plus de dix ans et n'ont été remises en question qu'au moment où l'AVMSL a avisé ses employés de son intention, à certaines écluses, de faire passer de trois à deux le nombre d'employés. M. Hearn a présenté deux rapports d'accident liés au largage d'un navire, mais rien relativement à des accidents ou des incidents liés à l'amarrage de navires remontants à un faible niveau d'eau. En outre, les opérateurs de cabestan contrôlent la force exercée sur le câble d'attrape par le cabestan et sa vitesse d'enroulement. Cela leur permet de détecter immédiatement une résistance, contrairement aux opérateurs d'appareils de manutention complètement motorisés, et compense dans une certaine mesure l'absence de vue dégagée pour l'opérateur du cabestan quand il hale le câble d'amarrage d'un navire remontant dans une écluse à bas niveau d'eau.

[46] Point encore plus important, l’AVMSL et ses employés étaient d'accord pour affirmer que la conformité à l'article 14.25, pour les navires remontants à faible niveau d'eau, obligerait le signaleur à se poster dans la zone délimitée par la ligne jaune pendant de longues périodes, à se pencher par-dessus le mur de couronnement pour voir le câble d'amarrage, les treuils et les membres de l'équipage préposés à leur fonctionnement. À mon avis, cette façon de faire accroîtrait les risques que l'article 14.25 vise à réduire et irait dans le sens contraire de l'objet du Code, énoncé à l'article 122.1, et de l'article 124 du Code, qui stipule que l'employeur doit veiller à la protection de la santé et de la sécurité de chacun de ses employés. Le règlement de la ligne jaune de l'AVMSL remédie à l'absence de dispositifs de protection contre les chutes et je suis en profond désaccord avec la position du syndicat, qui affirme qu'on peut se conformer aux dispositions de l'article 14.25 du Règlement en permettant aux haleurs de câbles de travailler à proximité du mur de couronnement de 1 à 5 minutes par navire, ou de se pencher par-dessus le mur de couronnement, car le risque de chute serait réduit par le port des gilets de sauvetage imposé aux membres du personnel des écluses. Comme l'a affirmé M. Essiminy, un gilet de sauvetage ne remplace pas un système de protection contre les chutes et le fait qu'un employé se sente à l'aise à l'idée de travailler près d'un mur de couronnement ou de se pencher par-dessus en y appuyant un pied n'est pas pertinent. L'article 124 se lit comme suit :

124. L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[47] À mon avis, puisque la conformité à l'article 14.25 pour l'amarrage des navires remontants à faible niveau d'eau, créerait un danger plus grand que celui qu'il vise à éviter, elle contrevient aux articles 122.1 et 124 du Code. En conséquence, j'estime qu'il n'est pas possible de conserver tel quel le point 4 des instructions.

[48] Toutefois, les articles 124 et 125 du Code précisent qu'en l'absence de prescription à l'article 125 du Code relativement à un danger spécifique, comme dans le cas qui nous occupe, et de disposition spécifique du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada applicable aux circonstances, on doit se reporter à l'article 124 du Code. Le paragraphe 125.(1) du Code se lit comme suit :

125.(1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève… [C'est moi qui souligne.]

[49] En conséquence de ces deux dispositions, même si l'article 14.25 ne s'applique pas, l'AVMSL doit quand même assurer la protection de la santé et de la sécurité de ses employés.

[50] Les faits présentés dans cette affaire indiquent que le câble peut s'accrocher au mur ou se coincer entre le mur et la coque du navire ou qu'il peut y avoir un effet de recul, toutes situations dangereuses pour les employés de l'AVMSL. En outre, on a signalé deux accidents en 2001 survenus au largage d'un navire. Par conséquent, l'AVMSL doit se conformer à l'article 124 du Code et, au minimum, faire preuve de diligence pour assurer la protection de la santé et de la sécurité de ses employés en lien avec l'amarrage et le largage des navires.

[51] En ce qui concerne les treuils des navires, je suis d'accord avec M. Essiminy que l'article 14.25 ne s'applique pas à ces appareils, car la partie XIV du Règlement concerne l'équipement qui se trouve à terre, et le Code ne peut s'appliquer à des navires enregistrés à l'étranger. Toutefois, l'alinéa 125.(1) y) du Code précise que tous les employeurs régis par le gouvernement fédéral doivent s'assurer que les activités des personnes ayant accès à leurs lieux de travail ne mettent pas en danger la santé et la sécurité de leurs employés. Donc, dans la mesure où les équipages des navires passant par les écluses de l'AVMSL peuvent mettre en danger la santé et la sécurité de ses employés, l'AVMSL doit assurer leur protection. Relativement aux treuils des navires, l'AVMSL doit veiller à protéger ses employés quand les opérateurs des treuils des navires n'ont pas une vue dégagée de l'aire où leur appareil de manutention motorisé est utilisé. La manière d'assurer cette protection est laissée à la discrétion de l'AVMSL et des navires utilisant les écluses. L'alinéa 125.(1) y) se lit comme suit :

125.(1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

y) de veiller à ce que la santé et la sécurité des employés ne soient pas mises en danger par les activités de quelque personne admise dans le lieu de travail.

[52] Pour toutes les raisons indiquées ici, je modifie le point 4 des instructions de l'agent de santé et de sécurité Danton présentées à l'AVMSL le 18 juillet 2001 en vertu de l'article 145.(1) du Code et remplace la référence aux alinéas 125. l) p) q) du Code canadien du travail et de l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada par une référence à l'article 124 du Code canadien du travail. Le point 4 des instructions est modifié comme suit :

4. L'article 124 de la partie II du Code canadien du travail.

L'employeur n'a pas pris de mesures pour protéger la santé et la sécurité de ses employés, qui pourraient subir des blessures quand l'opérateur d'appareil de manutention motorisé n'a pas une vue sans obstacle de l'aire où l'appareil doit être utilisé.

[53] M. Essiminy a argué qu'un agent d’appel a un pouvoir limité de modifier des instructions. Toutefois, dans la décision no 95-005[4], du 29 septembre 1994, concernant Vancouver Wharves Ltd. et James Edward (Ted) Mannion, l'agent de santé et de sécurité régional Serge Cadieux a modifié des instructions de l'agent de santé et de sécurité Andrew Chan et, en se basant sur des faits déjà connus, a remplacé la référence à l'alinéa 126.(1) c) du Code par l'alinéa 125. p) du Code. Bien que la décision ait été renversée par un tribunal fédéral[5], la Cour n'a pas remis en question le pouvoir de M. Cadieux en vertu du Code de modifier des instructions de la sorte. La Cour a seulement renvoyé le dossier pour permettre au demandeur de répondre à l'avis de contravention révisé. Dans cette affaire, je n'ai pas trouvé de nouvelle contravention; j'ai seulement précisé que l'article 124 du Code s'applique à défaut de dispositions plus précises.

[54] Le 9 octobre 2002, M. Essiminy et M. Hearn étaient tous deux d'avis qu'il faudra un certain temps à l'AVMSL pour analyser ma décision relativement au point 4 des instructions, pour consulter ses employés et pour mettre en place d'éventuelles procédures en fonction des instructions. Comme la présente saison de navigation se terminera à la fin de décembre 2002, j'apporte une autre modification au point 4. Le délai de conformité au point 4 des instructions passe du 30 juillet 2001 au 25 mars 2003, date correspondant à l'ouverture de la prochaine saison de navigation de l'année 2003.

[55] M. Essiminy a soutenu que l'AVMSL pourrait avoir besoin d'un délai supplémentaire si la conformité exige des dépenses importantes ou des modifications majeures à la structure des écluses. Toutefois, par souci de sécurité, je ne suis pas disposé à reporter à plus tard la date de conformité pour des considérations hypothétiques. Si l'AVMSL désire un délai supplémentaire après le 25 mars 2003, la Corporation devra présenter sa demande à un agent de santé et de sécurité de Développement des ressources humaines Canada pour éviter des sanctions.

[56] Je précise encore que, tel qu'entendu entre les parties, je demeure saisi de l'appel présenté par l'AVMSL concernant le point 2 des instructions émises par l'agent de santé et de sécurité Danton à l'AVMSL le 18 juillet 2001 en vertu du paragraphe 145.(1).

[57] Enfin, M. Essiminy a argué techniquement que les instructions devraient être annulées parce que l'agent de santé et de sécurité Danton devait, conformément à l'alinéa 145.(1) b) du Code, préciser les mesures à prendre par l'AVMSL pour remédier à la contravention et fixer un délai pour ce faire. Il a soutenu que, puisque l'agent de santé et de sécurité Danton ne s'était pas conformé à l'alinéa b), les principes de droit administratif et constitutionnel exigeaient que j'annule les instructions. Le paragraphe 145(1) du Code se lit comme suit :

145.(1) S'il est d'avis qu'une contravention à la présente partie vient d'être commise ou est en train de l'être, l'agent de santé et de sécurité peut donner à l'employeur ou à l'employé en cause l'instruction :

a).d'y mettre fin dans le délai qu'il précise;

b).de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu'il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

À mon avis, l'article 145.(1) accorde aux agents de santé et de sécurité le pouvoir d'indiquer les mesures à prendre pour éviter la continuation ou la répétition de la contravention, mais ne les oblige pas à le faire. Dans la deuxième édition de son livre, intitulé « The Composition of Legislation, Legislative Forms and Precedents », édité par le ministère de la Justice et considéré comme la norme en matière d'interprétation juridique, Elmer Driedger, Q.C., B.A., LL.B, LL.D, a écrit le passage suivant à la page 87 qui précise, relativement à l'alinéa 145.(1) b), que l'agent de santé et de sécurité peut présenter des instructions et indiquer les mesures à prendre :

[TRADUCTION] On soulève souvent des questions quant à ces conjonctions comprenant les verbes pouvoir et devoir

Il devra a), b) et c).

Cela indique que tout doit être fait. Si on omet un point, l'obligation demeure.

Il pourra a), b) et c).

Cela confère le pouvoir ou la permission de tout faire. Le sens normal entendu ici est que la conjonction est conjointe et multiple. Le détenteur du pouvoir ou de la permission peut faire tout ou une partie. Si, par exemple, il a reçu le pouvoir de faire des règlements sur les points a), b) et c), personne ne peut prétendre que le rédacteur des règlements peut choisir seulement un sujet ou aucun.

­­­­­­­­­­­­­­­­______________________

Douglas Malanka

Agent d’appel


ANNEXE

[TRADUCTION] CONCERNANT LA PARTIE II DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTIONS À L'EMPLOYEUR EN VERTU

DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 27 avril 2001, le soussigné agent de santé et de sécurité Paul G. Danton, accompagné par l'agent de santé et de sécurité Alain Messier, a mené une enquête sur les lieux de travail exploités par la CORPORATION DE GESTION DE LA VOIE MARITIME DU SAINT-LAURENT, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, à l'adresse suivante : CASIER POSTAL 370, 508, avenue GLENDALE, ST.CATHARINES (ONTARIO), L2R 6V8. Le lieu est parfois désigné sous le nom de VOIE MARITIME DU SAINT-LAURENT.

Ledit agent de santé et de sécurité est d'avis qu'il y a contravention aux dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail :

1. Alinéa 125.(1) p) de la partie II du Code canadien du travail, et paragraphe 2.14(3) du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada

L'employeur n'a pas maintenu des zones de passage sur les bords des écluses libres de trous, d'inégalités et d'obstacles.

2. Alinéa 125.(1) v) de la partie II du Code canadien du travail, et paragraphe 12.11(3) du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada

L'employeur n'a pas fourni des échelles descendant à au moins deux barreaux sous le niveau de l'eau. Les échelles sont fixées aux parois des écluses et distantes d'environ 60 m les unes des autres.

3. Alinéa 125.(1) l) v) de la partie II du Code canadien du travail, et paragraphe 12.11(1) du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada

L'employeur n'a pas fourni aux travailleurs des gilets de sauvetage ou des dispositifs flottants durant la procédure d'amarrage et de largage des navires pour les protéger des risques de noyade.

4. Alinéa 125.(l) p) q) de la partie II du Code canadien du travail, et paragraphe 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada

L'employeur n'a pas fourni de signaleur à l'opérateur de l'appareil de manutention motorisé. Durant la procédure d'amarrage ou de largage, le travailleur perd, pendant un certain temps, le contact visuel avec le navire et les câbles d'amarrage.

En conséquence, il vous est ORDONNÉ PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l'alinéa 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de remédier à ces contraventions au plus tard le 30 juillet 2001.

Instructions émises à London le 18 juillet 2001.

PAUL DANTON

Agent de santé et de sécurité

À : ADMINISTRATION DE LA VOIE MARITIME DU SAINT-LAURENT

CASIER POSTAL 370, 508, AVENUE GLENDALE

ST. CATHARINES (ONTARIO)

L2R 6V8

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L'AGENT D’APPEL

Décision no: 02-020

Employeur : Administration de la voie maritime du Saint-Laurent

Demandeur : CAW

Dispositions :

Code canadien du travail : 122(1), 124, 125, 145.(1) b), 146.1(1)

Règlement : 14.1, 14.25, 14.26

Mots clés : appareil de manutention, opérateur, signaleur, vue obstruée, amarrage et largage des navires, écluses, treuils des navires, navires remontants, faible niveau d'eau

Résumé :

Le 7 juillet 2000, l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent (AVMSL) a avisé par écrit ses employés que la procédure d'amarrage et de largage des navires, effectuée par trois personnes, se ferait désormais, dans certaines circonstances, par seulement deux personnes. Le 16 octobre 2000, les employés MM. Robert Clocherty, Dan Warner et Jim Kelly ont refusé de travailler et de participer à un test de validation de la procédure à deux personnes organisé par l'AVMSL.

L'agent de santé et de sécurité Paul Danton, de la région sud-ouest de DRHC, et l'agent de santé et de sécurité Alain Messier de la région du Québec de DRHC, ont enquêté sur l'affaire. Par suite de leur enquête conjointe, l'agent de santé et de sécurité Danton a conclu que les cabestans et les bittes d'amarrage servant aux sites de l'AVMSL pour amarrer et larguer les navires dans les écluses étaient des appareils de manutention en vertu de la partie XIV du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada intitulé « Manutention des matériaux ». Il a également conclu que l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada s'appliquait aux activités de l'AVMSL quand l'opération d'un appareil de manutention motorisé n'avait pas une vue sans obstacle de l'aire de travail. Il a ordonné que l'AVMSL remédie à la situation au plus tard le 30 juillet 2001.

L'agent d’appel a conclu d'après les faits présentés que la conformité à l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada entraînerait vraisemblablement des risques plus grands que ceux que l'article 14.25 vise à éviter. Toutefois, l'agent d’appel a confirmé que l'article 124 s'applique à défaut d'une obligation spécifique en vertu du paragraphe 125.(1). Il a modifié le point 4 des instructions et remplacé les références aux alinéas 125.(1) p) q) du Code canadien du travail et à l'article 14.25 du Règlement concernant la sécurité et la santé au travail du Canada par une référence à l'article 124 du Code canadien du travail.



[1] Un haleur de câbles est un employé de l'AVMSL qui lance les lignes d'attrape aux navires et qui attache ou détache les câbles d'amarrage. Il peut avoir d'autres tâches à accomplir.

[2] Ceci est une reproduction du règlement et non une copie.

[3] M. Drolet a affirmé dans son témoignage que cela s'appliquait uniquement aux travailleurs de l'entretien.

[4] Voir également la décision de l'agent régional de santé et de sécurité Serge Cadieux dans l'affaire de Vancouver Wharves Ltd., et International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union, décision no 97-004 et Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, décision no T-1125-97, Vancouver Wharves Ltd. et le ministre de la Justice et Procureur général du Canada.

[5] Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, décision no T-1391-95, Vancouver Wharves Ltd. et Serge Cadieux. Tel qu'indiqué précédemment, voir également Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, décision no T-1125-97, Vancouver Wharves Ltd. et le ministre de la Justice et Procureur général du Canada.

Détails de la page

Date de modification :