Archivée - 2002 TSSTC 026 - Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Terminal maritime Sorel-Tracy
demandeur

et

Alain Gauvin
Francis Gagnon
agents de santé et de sécurité
________________________________
Node la décision 02-026
Le 29 octobre 2002

L'affaire a été décidée par Michèle Beauchamp, agent d'appel, sur la base des documents envoyés par l'agent de santé et de sécurité Alain Gauvin et des arguments écrits invoqués par Me André Joli-Coeur, représentant de l'employeur, Terminal maritime Sorel-Tracy.

Le Syndicat des débardeurs, section locale 4333, a été avisé de l'appel soumis par l'employeur. Il a fait savoir par téléphone qu'il n'avait rien à ajouter sur l'affaire et il n'a présenté aucune observation.

[1] Le présent appel a été interjeté le 6 juin 2001, en vertu de l'article 146 de la partie II du Code canadien du travail, par Denis Caron, Directeur, Santé et sécurité au travail, Terminal maritime Sorel-Tracy. Il vise l'instruction (en annexe) que les agents de santé et de sécurité Alain Gauvin et Francis Gagnon, de Transports Canada, Sécurité maritime, ont donnée à l'employeur le 16 mai 2001, aux termes de la partie II du Code canadien du travail.

[2] Cette instruction s'inscrit dans le cadre de l'enquête que ces agents de santé et de sécurité ont effectuée sur l'accident mortel survenu, le 14 mai 2001, à Maurice Lemoine, opérateur d'une excavatrice hydraulique pour le compte de Les Entreprises Pierreville ltée, alors qu'il travaillait au déchargement du navire Kartal 7 au Terminal maritime Sorel-Tracy.

[3] Voici un bref résumé des circonstances qui ont conduit les agents de santé et sécurité à donner leur instruction. Ce résumé est tiré du rapport d'accident envoyé par l'agent de santé et de sécurité Gauvin pour les fins de l'appel 1.

1 L'instruction à l'employeur a été émise et signée conjointement par les agents de santé et de sécurité Alain Gauvin et Francis Gagnon. Cependant, pour les besoins de l'appel, je ferai mention uniquement de l'agent de santé et de sécurité Gauvin, car c'est lui qui, par la suite, a signé les lettres adressées à l'employeur et les documents envoyés à l'agent d'appel.
  • Le 14 mai, deux équipes de débardeurs sont arrivées au quai vers 8 h 10 pour décharger le navire Kartal 7. Des débardeurs ont descendu la première excavatrice hydraulique dans la cale no2 à l'aide du mât de charge no3 et la deuxième excavatrice dans la cale no1 avec le mât de charge no2. Chacun de ces mâts a une capacité de 22 tonnes.
  • Le déchargement a commencé vers 9 h 30. Le surintendant a indiqué aux opérateurs de treuils et mâts de charge et à l'opérateur de l'excavatrice où débuter le déchargement. Il leur a demandé de mettre quatre ou cinq godets de vrac par conteneur lorsqu'ils utiliseraient les mâts de charge no2 et no3 et d'essayer de lever la charge.
  • Dans l'avant midi, des pannes électriques sont survenues à bord du navire pendant le déchargement avec les mâts de charge no2 et no3. Elles étaient causées par une surcharge du système électrique, le navire disposant d'un groupe électrogène seulement, l'autre groupe étant en réparation.
  • Pour corriger la situation, on a poursuivi le déchargement avec les mâts de charge no1 et no4, d'une capacité de 8 tonnes chaque, en mettant deux godets de vrac par conteneur.
  • Vers 16 h, de nouvelles équipes de débardeurs ont relevé celles qui terminaient leur quart de travail. Les opérateurs d'excavatrices hydrauliques des équipes précédentes n'ont pas été remplacés.
  • Vers 17 h, l'opérateur du mât de charge no4 a descendu le conteneur au fond de la cale no2 et l'une des deux chaînes amovibles du conteneur s'est alors détachée de son crochet. M. Lemoine, l'opérateur de l'excavatrice hydraulique, a mis deux godets de vrac dans le conteneur, puis il est sorti de sa cabine pour aller replacer la chaîne, après quoi il est revenu vers son excavatrice.
  • Alors que M. Lemoine était sur la chenille gauche de son appareil et se dirigeait vers sa cabine, l'opérateur du mât de charge no4 a remonté la charge d'environ deux mètres avec le treuil de levage, en tirant le levier de droite vers lui, puis il a tiré le levier de gauche vers lui et activé les treuils d'apiquage et de brassage du mât de charge. Le conteneur s'est aussitôt déplacé vers la gauche tout en continuant de monter et il a frappé la porte entrouverte de la cabine de l'excavatrice, coinçant M. Lemoine entre celle-ci et le cadre.
  • Dès que le conteneur s'est déplacé vers la gauche, l'opérateur du mât de charge a essayé de le ramener. Après que le conteneur a frappé la porte de la cabine, il a réussi à le diriger vers l'extrême droite et à le déposer au fond de la cale, tout près du bordé. Il a alors vu M. Lemoine descendre de l'excavatrice, se diriger vers l'avant de son appareil et s'effondrer sur la cargaison de vrac. Les secours se sont organisés rapidement, mais on a constaté le décès de M. Lemoine à l'hôpital.
  • Le directeur général du Terminal maritime Sorel Tracy a arrêté le déchargement jusqu'au lendemain matin et a fait installer un périmètre de sécurité autour du lieu de l'accident. Il a informé la Garde côtière canadienne de l'accident et lui a demandé d'aviser la Sécurité maritime de Transports Canada.
  • Le 15 mai, une équipe de débardeurs a continué le déchargement dans la cale no1, avec une grue mobile hydraulique de l'entreprise Armand Guay inc. plutôt qu'avec les mâts de charge du navire.
  • Les agents de santé et sécurité Gagnon et Gauvin ont mené des essais de fonctionnement sur les treuils et les mâts de charge du navire, en présence de représentants de Terminal maritime Sorel Tracy et du navire.
  • Le 16 mai, d'autres essais de fonctionnement ont été effectués sur les treuils et les mâts de charge du navire, mais il n'y a pas eu de déchargement.
  • Le 16 mai également, les agents de santé et sécurité Gagnon et Gauvin ont remis à Rodney Corrigan, Directeur de Terminal maritime Sorel-Tracy, une instruction manuscrite en vertu du paragraphe 145.1 de la partie Il du Code canadien du travail.
  • Par cette instruction, ils l'avisaient que l'employeur avait contrevenu à l'article 124 de la partie II du Code canadien du travail en ne s'assurant pas que les employés utilisant les mâts de charge du navire Kartal 7 avaient reçu la formation et l'entraînement nécessaires à l'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire pour effectuer le déchargement. Par conséquent, Ils lui ordonnaient de prendre des dispositions immédiates avant de poursuivre le déchargement à l'aide des mâts de charge du navire.
  • Le 17 mai, une nouvelle équipe de débardeurs a recommencé à décharger les cales no1 et no2 avec les mâts de charge du navire. Ces débardeurs travaillaient pour Terminaux portuaires du Québec Inc., affiliée à Terminal maritime Sorel Tracy. Habituellement attitrés aux ports de Matane et de Gros Cacouna, ils avaient une vaste expérience sur le genre d'équipements se trouvant à bord du Kartal 7. Trois des quatre nouveaux travailleurs étaient opérateurs de mât de charge et le quatrième était opérateur de machinerie lourde.
  • Le déchargement s'est terminé le 23 mai et le navire a quitté le port de Sorel le 24 mai.

[4] Dans une lettre adressée à Rodney Corrigan le 30 juillet, l'agent de santé et de sécurité Gauvin a indiqué qu'à plusieurs reprises depuis le 16 mai, il lui avait successivement demandé, à lui ou à Denis Caron, Directeur de la santé et sécurité au travail chez Terminal maritime Sorel-Tracy, les dossiers de formation des employés présents lors de l'accident, les fiches signalétiques des produits qui se trouvaient à bord du navire et la convention collective des employés et débardeurs du terminal. Il avait à chaque fois obtenu de MM. Caron ou Corrigan l'assurance qu'il recevrait ces documents sous peu, mais, au moment de sa lettre, il n'avait rien reçu d'autre que la liste des employés présents lors de l'accident. Il exigeait par conséquent que Rodney Corrigan lui envoie ces documents au plus tard le 3 août.

[5] Par ailleurs, dans une lettre adressée à l'agent d'appel le 20 juillet, l'agent de santé et de sécurité Gauvin a déclaré que " tout portait à croire que les opérateurs de mât de charge n'avaient pas toutes les habiletés pour manoeuvrer de façon sécuritaire ce type de contrôle des mâts de charge dont ce navire était équipé ". Il a ajouté qu'après des demandes à l'employeur, celui-ci " n'a pas été en mesure de [lui] fournir sur le champ les dossiers des formations déjà suivies par ses employés ".

[6] Pour sa part, dans une lettre adressée à l'agent d'appel le 4 septembre, Me André Joli-Cœur, représentant l'employeur, a invoqué les arguments suivants à l'appui de l'appel interjeté par l'employeur le 6 juin relativement à l'instruction que les agents de santé et de sécurité lui ont donnée le 16 mai.

[7] D'entrée de jeu, Me Joli-Coeur a reconnu qu'il était possible que l'agent de santé et de sécurité Gauvin ait émis par erreur son instruction manuscrite à l'employeur en vertu de l'article 145.1 du Code canadien du travail plutôt qu'en vertu du paragraphe 145(1). Il a cependant déploré que, en n'utilisant pas les formulaires gouvernementaux prévus pour émettre une instruction, il ait privé l'employeur de bien connaître ses droits et obligations sous l'article 146(1) et (2).

[8] En ce qui concerne l'instruction elle-même, Me Joli-Coeur a argué que les alinéas a) ou b) du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail impliquent soit de mettre fin à des gestes constituant une contravention soit des délais et des mesures précises. Comme l'agent de santé et de sécurité n'a ordonné à l'employeur ni de prendre une mesure précise ni de cesser quelque contravention que ce soit, Me Joli-Coeur a soumis qu'il ne peut s'agir d'une instruction dans le cadre de l'article 145(1).

[9] Selon Me Joli-Coeur, compte tenu de la nature du reproche fait à l'employeur, à savoir ne pas s'être assuré que " les employés utilisant les mâts de charge du navire Kartal 7 ont reçu la formation et l'entraînement nécessaire à I'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire pour effectuer le déchargement ", l'agent de santé et de sécurité ne pouvait lui donner une instruction reposant sur une contravention à l'article 124. En effet, a-t-il affirmé, parce qu'il énonce des obligations spécifiques, le paragraphe 125(1) a préséance sur l'article 124, qui est de portée générale. Plus précisément, l'alinéa 125(1)q) stipule les obligations de l'employeur relatives à la formation et à l'entraînement de ses employés et s'il y a eu contravention, a-t-il déclaré, ce ne pouvait être qu'à l'encontre de cette disposition.

[10] Me Joli-Coeur a également argué que l'agent de santé et de sécurité ne pouvait émettre une instruction sous le paragraphe 145(1) en se disant d'avis qu'il y avait contravention à l'article 124, puisqu'il ignorait au moment où il a donné cette instruction – et qu'il ne savait toujours pas au moment où Me Joli-Coeur a écrit cette lettre – quelle formation et quel entraînement les employés avaient reçu.

[11] L'agent de santé et de sécurité a donné une instruction par suite d'un accident spécifique, survenu dans un lieu précis et impliquant deux seules personnes, a déclaré Me Joli-Coeur. L'instruction vise cependant tous les employés utilisant les mâts de charge du navire Kartal 7, peu importe leur quart de travail ou les mâts de charge auxquels ils sont affectés. Dans les circonstances, a-t-il allégué, l'agent de santé et de sécurité ne pouvait donner une instruction portant sur autre chose que l'accident ou visant tous les employés, la formation des autres employés n'ayant rien à voir avec l'accident. D'ailleurs, a-t-il ajouté, contrairement à son avis antérieur, l'agent de santé et de sécurité était satisfait de la formation d'au moins un employé puisque, en reconstituant l'accident postérieurement à son instruction, il a utilisé, pour opérer le mât de charge de la cale où s'est produit l'accident, les services d'un autre employé qui a aussi travaillé au déchargement du Kartal 7.

[12] Puisque l'accident s'est produit pendant le déchargement du navire Kartal 7, I'instruction de l'agent de santé et de sécurité ne reposait sur aucune obligation légale dans le cadre de la partie II du Code canadien du travail, a soutenu Me Joli-Coeur. En effet, a-t-il souligné, le paragraphe 12.22(1) de la Partie XII du Règlement sur la santé et la sécurité au travail (navires) prévoit que chaque conducteur d'appareil de manutention des matériaux doit recevoir de I'employeur la formation et l'entraînement requis pour inspecter l'appareil, l'utiliser comme il convient et en toute sécurité et l'approvisionner en carburant s'il y a lieu. Cependant, a-t-il ajouté, l'article qui le précède précise que la partie XII ne s'applique pas à l'utilisation et à la mise en service de l'outillage de chargement pendant le chargement ou le déchargement des navires.

[13] En outre, a argué Me Joli-Coeur, le Code canadien du travail et ses règlements n'énoncent pas d'obligation pour l'employeur concernant la formation des opérateurs de mât de charge. Par contre, l'article 38 du Règlement concernant la protection contre les accidents des travailleurs occupés au chargement ou au déchargement des navires, adopté en vertu de la Loi sur la marine marchande, stipule à l'intention de l'employeur que " [s]eules les personnes compétentes et dignes de confiance seront employées à la conduite des appareils de levage ou de transport, à faire des signaux aux conducteurs de ces appareils ou à surveiller le camahu actionné par les tambours ou poupées de treuils ".

[14] Me Joli-Coeur a affirmé que l'opérateur du mât de charge avait reçu une formation qui dépassait les exigences du Règlement. Au moment de l'accident et de la rédaction de sa lettre à l'agent d'appel, cet opérateur était, et est, une personne compétente et digne de confiance, a-t-il déclaré. Il est classé depuis 5 ans comme treuilliste dans la convention collective régissant les relations de travail chez l'employeur et il s'est occupé pendant plus de 10 000 heures d'appareils de manutention et de levage. Même s'il a travaillé sur des appareils de levage de configurations différentes à bord de navires divers, il a opéré pendant des centaines d'heures des appareils de même nature que celui qu'il utilisait le jour de l'accident sur le Kartal 7, a-t-il ajouté.

[15] Enfin, dans une lettre adressée le 3 août 2001 à l'agent de santé et de sécurité Gauvin, Me Joli-Coeur lui a rappelé que, avant même qu'il n'émette son instruction, l'employeur lui avait offert de prendre connaissance de la formation que l'opérateur du mât de charge avait reçue. Il a en outre joint à sa lettre les résultats des examens passés par cet employé dans le cadre de la formation qu'il avait eue en 1994, précisant que ces résultats étaient antérieurs à l'année 1995, année à partir de laquelle l'agent de santé et de sécurité Gauvin demandait les dossiers de formation.

**********

[16] Selon le paragraphe 146.1(1) du Code canadien du travail, lorsqu'il est saisi d'un appel d'instruction, l'agent d'appel fait enquête sur les circonstances qui ont donné lieu à l'instruction et sur la justification de celles-ci, et il peut, entre autres, modifier, annuler ou confirmer ces instructions.

[17] Dans le cas présent, l'agent de santé et de sécurité Gauvin a émis une instruction à l'employeur parce qu'il était d'avis que celui-ci avait contrevenu à l'article 124 de la partie II du Code canadien du travail en ne s'étant pas assuré que les employés utilisant les mâts de charge du navire Kartal 7 avaient reçu la formation et l'entraînement nécessaires à l'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire pour effectuer le déchargement. Par conséquent, il lui a ordonné de " prendre les dispositions immédiates avant de poursuivre le déchargement du navire à l'aide des mâts de charge du navire ". Même s'il a fait appel de l'instruction, l'employeur s'y est conformé en faisant terminer le déchargement par une nouvelle équipe de débardeurs habituellement affectés à d'autres ports.

[18] À titre d'agent d'appel, je dois donc m'interroger sur les circonstances qui ont conduit l'agent de santé et de sécurité à émettre cette instruction en vertu du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail et me demander si elle était justifiée.

[19] En premier lieu, l'agent de santé et de sécurité a émis à l'employeur une instruction manuscrite sous l'article 145.1 du Code canadien du travail plutôt qu'en vertu du paragraphe 145(1). Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'agent de santé et de sécurité a cité cet article par erreur et je ne crois pas que cela la rende caduque pour autant.

[20] En effet, il ressort clairement de la teneur même de l'instruction, y compris de la façon dont elle est formulée, ainsi que de la correspondance qui s'est ensuivie entre l'agent de santé et de sécurité et l'employeur, que l'agent de santé et de sécurité croyait bel et bien que son instruction était faite sous le paragraphe 145(1). À cet égard cependant, je me permettrai de souligner à quel point il est important que les agents de santé et sécurité utilisent en tout temps les formulaires que le ministère a élaborés expressément pour les instructions. Ils éviteront ainsi, comme le laisse entendre l'avocat de l'employeur, tout malentendu ou toute confusion quant aux droits et obligations incombant à la partie visée par l'instruction et quant à l'objectif d'application de la loi qu'ils poursuivent au moment où ils émettent leur instruction.

[21] En second lieu, je ne peux, en tant qu'agent d'appel, me contenter de croire sur parole que l'employeur a contrevenu à la loi en ne s'assurant pas de la formation et de l'entraînement de ses opérateurs sur l'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire. Encore faut il que des faits établissent qu'il y a effectivement eu contravention.

[22] À lire les documents qui m'ont été envoyés de part et d'autre, il m'apparaît clairement que la principale question que l'agent de santé et de sécurité cherchait à régler en émettant son instruction, c'était avant tout d'obtenir les dossiers de formation des employés, pour s'assurer s'ils avaient effectivement été formés et entraînés sur l'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire.

[23] L'agent de santé et de sécurité a mentionné dans sa lettre du 30 juillet à Rodney Corrigan qu'il lui avait demandé à plusieurs reprises, à lui et à Denis Caron, les dossiers de formation des employés. Et malgré ce qu'en dit Me Joli-Coeur à cet égard dans sa lettre du 4 septembre à l'agent d'appel, il m'importe peu à ce moment-ci de savoir qui ces employés étaient réellement. J'aurais plutôt souhaité que Me Joli-Cœur explique pourquoi un employeur comme Terminal maritime Sorel-Tracy n'avait pas les dossiers de formation de ses employés sous la main et pourquoi il n'a pu les remettre à l'agent de santé et de sécurité aussitôt que celui-ci les a demandés, que ce soit à M. Corrigan ou à M. Caron.

[24] Par ailleurs, j'aurais souhaité retrouver dans les documents de l'agent de santé et de sécurité quels témoignages ou quels faits l'avaient amené à se dire d'avis que l'employeur ne s'était pas assuré que ses employés avaient été formés et entraînés à utiliser les mâts de charge de façon sécuritaire. J'aurais également voulu qu'il explique quel sens ou quelle portée il attachait au mot " tout " lorsque, dans sa lettre du 20 juillet à l'agent d'appel, il a écrit que " tout portait à croire que les opérateurs de mât de charge n'avaient pas toutes les habiletés pour manoeuvrer de façon sécuritaire ce type de contrôle des mâts de charge dont ce navire était équipé ".

[25] Ceci étant dit, je me permettrai d'ouvrir la parenthèse suivante avant de rendre ma décision. Je suis persuadée que si l'employeur avait rapidement remis à l'agent de santé et de sécurité les documents qu'il avait demandés, et lui et l'agent de santé et de sécurité auraient ainsi pu consacrer à autre chose, par exemple à leur enquête respective sur les causes de ce malheureux accident, toute l'énergie qu'ils ont dépensée à discuter de cette question. Et je crois qu'il peut être utile de rappeler ici que la partie II du Code canadien du travail confie à l'employeur et à l'agent de santé et de sécurité des responsabilités qui établissent clairement leur rôle au chapitre de la santé et de la sécurité au travail. L'employeur doit protéger la santé et la sécurité de ses employés, ce qui signifie à mon sens que, dans un cas aussi triste et regrettable, il doit, entre autres, tout faire pour identifier et corriger sans délai les causes de l'accident de sorte qu'il ne se reproduise jamais. Et la collaboration d'un agent de santé et de sécurité peut constituer pour l'employeur une aide précieuse dans ces circonstances, malgré le rôle que l'agent de santé et de sécurité assume aux termes de la loi, soit de veiller à l'application de la loi et, entre autres, d'émettre les instructions qu'il juge nécessaires pour en obtenir le respect.

[26] En réalité, l'agent de santé et de sécurité disposait, aux termes de l'alinéa 141h) de la partie II du Code canadien du travail, de tous les pouvoirs dont il avait besoin pour obtenir les documents qu'il recherchait. S'il avait émis une instruction aux termes de cette disposition plutôt qu'une instruction en vertu du paragraphe 145(1), il aurait peut-être permis de dissiper le malentendu qu'il semble y avoir eu entre lui et les représentants de l'employeur et obtenu leur collaboration plus facilement.

[27] J'aurais voulu pouvoir modifier l'instruction que l'agent de santé et de sécurité a émise aux termes du paragraphe 145(1), pour la convertir en une instruction émise en vertu de l'article 141. Je suis toutefois persuadée que le Code canadien du travail ne m'y autorise pas, pas plus qu'il ne m'autorise à émettre d'autres types d'instructions que celles que, aux termes de l'alinéa 146.1(1)b), je pourrais donner en vertu des paragraphes 145(2) ou (2.1).

[28] C'est à mon avis ce qui ressort du jugement de Monsieur le juge Teitelbaum, de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans l'affaire Syndicat des débardeurs SCFP et al. v. Les terminus Maritimes Fédéraux Division Fednav Limitée, dossier T-938-99, jugement que la Cour fédérale a par la suite confirmé dans le dossier A-349-00. Monsieur le juge Teitelbaum examinait le pouvoir de révision de l'agent régional de sécurité 2, plus particulièrement la question de savoir s'il pouvait convertir une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) en une instruction émise aux termes du paragraphe 145(1). Comparant ces deux pouvoirs d'émettre une instruction que la loi avait confiée aux agents de sécurité, Monsieur le juge Teitelbaum a déclaré :

2 L'agent régional de sécurité est devenu l'agent d'appel avec l'entrée en vigueur, le 30 septembre 2000, de la « nouvelle » partie II du Code canadien du travail.

[62] Le législateur a donc délibérément choisi de diviser ces deux pouvoirs dans deux paragraphes distincts, et il y a lieu d'en tenir compte lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue du pouvoir de révision que le législateur a voulu accorder à l'agent régional au paragraphe 146(3). La Loi est ainsi construite que l'agent régional saisi d'une demande selon le paragraphe 146(1) se retrouve en révision d'une instruction émise sous l'autorité d'un paragraphe, et c'est une révision de cette instruction qu'il doit effectuer.

[63] Ainsi, dans le cadre de ses fonctions, l'agent régional est amené à analyser la source législative selon laquelle l'agent de sécurité s'est basé pour agir, et cette source, dans ce cas ci-ci, est le paragraphe 145(2). [64] Or, s'il décide de modifier une instruction émise par l'agent de sécurité en vertu du pouvoir de révision, je suis d'avis que l'agent régional doit demeurer dans les limites de la source législative en vertu de laquelle l'agent de sécurité a agi.

[67] … Si le législateur avait eu l'intention de permettre à l'agent régional d'émettre de nouvelles instructions, il aurait pu l'indiquer expressément au paragraphe 146(3) du C.c.t. Il ne l'a pas fait.

[70] Par conséquent, je conclus que le pouvoir de révision envisagé par le législateur au paragraphe 146(3) du C.c.t. ne peut permettre l'émission de nouvelles instructions en vertu du paragraphe 145(1) alors que ce sont des instructions émises en vertu du paragraphe 145(2) qui font l'objet de la révision.

[29] Enfin, quant à l'instruction que l'agent de santé et de sécurité à émise le 16 mai 2001 à Terminal maritime Sorel-Tracy en vertu du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, je ne retrouve dans les documents qu'il a soumis dans le cadre de l'appel aucun témoignage et aucun fait qui me permettraient de conclure que l'employeur a effectivement contrevenu à l'article 124 du Code canadien du travail en ne s'assurant pas que ses employés avaient reçu la formation et l'entraînement nécessaires à l'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire.

[30] Par conséquent, j'ANNULE l'instruction que l'agent de santé et de sécurité a émise à Terminal maritime Sorel-Tracy en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail.



___________________________
Michèle Beauchamp
Agent d'appel


ANNEXE

M. Rodney Corrigan
Terminal Maritime Sorel-Tracy
101, rue Montcalm
St-Joseph de Sorel, Qc.

Instruction à l'employeur en vertu de l'article 145.1 de la partie II du C.c.t.

L'agent de santé et de sécurité soussigné a visité le navire Kartal 7 situé à la section 5 du Part de Sorel suite à l'accident mortel survenu à M. Maurice Lemoine, ce lieu de travail étant sous la responsabilité de Terminal Maritime Sorel-Tracy entreprise de juridiction fédérale.

Les agents de sécurité sont d'avis qu'il y a contravention à l'article 24 de la partie II du Code canadien du travail à savoir : employeur ne s'est pas assuré que les employés utilisant les mats de charge du navire Kartal 7 ont reçu la formation et l'entraînement nécessaire à l'utilisation sécuritaire des mats de charge du navire pour effectuer le déchargement.

En conséquence, il vous est ordonné de prendre les dispositions immédiates avant de poursuivre le déchargement du navire à l'aide des mats de charge du navire.



Alain Gauvin
Fancis Gagnon
Agents de santé et de sécurité
Instruction reçue par Rodney Corrigan : (signée)


Résumé de la décision de l'agent d'appel

Node la décision : 02-026

Employeur : Terminal Maritime Sorel-Tracy

Agents de santé et de sécurité : Alain Gauvin
Francis Gagnon

Devant : Michèle Beauchamp

Mots clés : Obligation de portée générale
Obligations spécifiques

Dispositions : Code 124, 125(1), 141, 145(1)
RCSST : s/o

Résumé :

Les agents de santé et de sécurité ont émis à l'employeur une instruction en vertu du paragraphe 145(1) l'avisant qu'il avait contrevenu à l'article 124 de la partie II en ne s'assurant pas que les opérateurs de mâts de charge d'un navire avaient reçu la formation et l'entraînement nécessaires à l'utilisation sécuritaire de ces mâts de charge pour effectuer le déchargement.

En réalité, il ressortait des documents fournis que l'agent de santé et de sécurité voulait surtout obtenir les dossiers de formation des employés, pour s'assurer s'ils avaient effectivement été formés et entraînés sur l'utilisation sécuritaire des mâts de charge du navire. Pour ce faire, il aurait pu utiliser les pouvoirs que lui confère l'article 141.

L'agent d'appel a annulé l'instruction parce que rien ne permettait d'établir l'existence de la contravention. En outre, l'agent d'appel ne pouvait convertir l'instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) en une instruction aux termes de l'article 141.

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