Archivée - 2002 TSSTC 031 - Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Jim Moore

Joe Beauchene

Demandeurs

et

Service correctionnel du Canada (SCC)

Employeur

_______________________

Décision n° 02‑031

Le 20 décembre 2002

L’affaire a été entendue par l’agent d’appel Michèle Beauchamp à Aggasiz, Colombie-Britannique, le 14 mars 2002.

Ont comparu :

Pour les demandeurs

Jim Moore, agent de correction, Service correctionnel du Canada (SCC)

Joe Beauchene, agent de correction, SCC

Jason Polesello, conseiller intérimaire en sécurité préventive, SCC

Chris de Haan, agent de libération conditionnelle, SCC

Ronan Byrne, gestionnaire de section, SCC

Mike Ruscan, surveillant, SCC

Pour l’employeur

Craig Henderson, Justice Canada

Ron Tarlton, agent de libération conditionnelle, SCC

David S, Dick, sous-directeur intérimaire, Services de gestion, SCC

M. Hammond, sous-directeur intérimaire, SCC

Agent de santé et de sécurité

Marlene Yemchuk, Programme du travail, Développement des ressources humaines Canada

[1] Le présent appel a été interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail, Partie II, (le Code), par Jim Moore et Joe Beauchene, agents de correction à l’établissement Kent, à Aggasiz (Colombie-Britannique), suite à une décision d’absence de danger rendue le 8 août 2001 par l’agent de santé et de sécurité Marlene Yemchuk après une enquête sur leur refus de travailler.

[2] Le 27 août 2001, alors qu’ils recevaient les instructions du sous-directeur intérimaire et de l’agent de sécurité préventive au sujet d’une escorte de sécurité d’un détenu devant être effectuée le jour même, les deux agents de correction ont refusé de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code, pour les raisons suivantes :

· Jim Moore a refusé d’escorter le détenu à des funérailles tenues dans la collectivité sans être armé;

· Joe Beauchene a refusé d’escorter le détenu aux funérailles de son frère sans être armé.

[3] L’agent de santé et de sécurité Yemchuk a mené enquête le même jour sur le refus de travailler des deux employés, aidée en cela par l’agent secondaire de DRHC, Melinda Lum. Elle a été accompagnée dans son enquête par : Bryden Nelmes, conseiller régional en sécurité, Ronan Byrne, responsable de section, Chris DeHaan, agent de libération conditionnelle, Jason Polesello, agent de sécurité préventive intérimaire, Irv Hammon, sous-directeur intérimaire, Ron Tarlton, agent de libération conditionnelle et Gail Pitcher, agent d’enregistrement, tous du SCC.

[4] Je retiens les éléments suivants du rapport d’enquête écrit de l’agent de santé et sécurité Yemchuk, des documents écrits soumis par les parties et des témoignages faits à l’audience par l’agent de santé et de sécurité, les employés et l’employeur.

[5] Les deux employés estimaient que le danger posé par cette permission de sortir avec escorte (PSAE) ne constituait pas un risque inhérent à leur emploi et qu’il aurait pu être évité en gérant correctement ou en ne permettant pas l’escorte.

[6] Les deux employés ont formulé les préoccupations suivantes au sujet du détenu :

· Le détenu était un criminel notoire étant donné la nature du crime qu’il avait commis. Il n’a jamais exprimé de remords pour son crime.

· Le détenu n’avait purgé que deux des quinze années de sa peine; son père et son frère étaient également des criminels.

· Après avoir suivi le Programme des aptitudes de vie cognitives et le Programme de gestion de la colère et des émotions, et parce qu’il n’avait provoqué aucun incident et n’avait fait l’objet d’aucune poursuite depuis le début de son incarcération, on lui avait donné une cote de sécurité moyenne. Toutefois, il continuait de poser un risque élevé pour la sécurité publique.

· Il s’agissait de sa première infraction à une loi fédérale. Il avait comme de nombreuses infractions juvéniles, y compris une agression sexuelle sur un membre du personnel dans un établissement pour juvéniles. En tant qu’adulte, ses antécédents criminels incluaient homicide et inobservation de l’engagement, et il devait encore répondre à des chefs d’accusation de vol par effraction, d’agression et de vol à main armée, découlant d’une invasion de domicile.

[7] Au sujet de l’escorte en tant que telle, les deux employés étaient conscients :

· que l’escorte devait se faire sans armes;

· que le transport se ferait dans une fourgonnette marquée du SCC, conduite par un des agents de correction;

· que le détenu voyagerait à l’arrière dans une cage;

· que le détenu porterait des menottes;

· que le détenu devait être gardé à portée de vue et d’ouïe en tout temps;

· que les agents de correction pouvaient mener une évaluation des risques chemin faisant et mettre des procédures d’urgence à exécution, au besoin.

[8] Les deux employés ont exprimé les préoccupations suivantes au sujet du processus décisionnel de la direction lorsqu’on a accordé cette PSAE :

· Contrairement à la procédure habituelle, le détenu savait quatre jours d’avance qu’il serait présent aux funérailles. Par conséquent, il avait la possibilité d’informer des amis et des membres de sa famille, lesquels pouvaient, à leur tour, avertir un des trois groupes de suprématie blanche auxquels il était associé. En outre, les détenus dans les quatre autres unités carcérales de l’établissement savaient qu’il assisterait aux funérailles.

· Durant le week-end, le sous-directeur intérimaire de la sécurité avait indiqué au détenu qu’il ne pourrait peut-être pas assister aux funérailles parce qu’il restait certaines démarches à faire auparavant, p. ex. avertir la victime (les victimes qui souhaitent être averties d’une PSAE figurent sur une liste de gens avec lesquels il faut communiquer).

· Les membres de l’équipe de gestion du cas n’étaient pas tous au courant de la tenue de la réunion et n’y étaient pas tous présents, contrairement au paragraphe 16, chapitre 700-16 des Pratiques d’opérations permanentes, selon lequel l’équipe doit être présidée par le responsable de section et comprendre le surveillant de la correction, l’agent de libération conditionnelle, deux agents de correction, le personnel des programmes et d’autres membres spécifiques à chaque cas.

· La police avait fait savoir qu’il ne fallait pas s’inquiéter du fait qu’on ait mentionné dans le journal qu’on avait offert la somme de 20 000 $ à quiconque abattrait le détenu. Cependant, ce journal figure sur le Web et est distribué à 350 000 personnes, il est associé à une publication distribuée partout dans la vallée du Fraser, la région du Surrey ayant une des plus fortes concentrations d’indo-canadiens en Colombie-Britannique, ce qui, en soit, suffisait à créer un risque excessif pour l’escorte. Le crime perpétré par le détenu avait fait l’objet d’une couverture médiatique internationale et on en avait discuté à l’assemblée législative provinciale et au Parlement.

· Les chapelains de l’établissement qui recommandaient que l’on accorde au détenu la permission d’assister aux funérailles ne participaient pas à l’équipe de gestion du cas et n’avaient pas non plus pris part à l’évaluation des risques.

· Les deux agents de libération conditionnelle de l’établissement avaient effectué l’évaluation des risques pour cette escorte. L’un d’eux estimait que les agents qui seraient chargés de l’escorte devraient être armés. Le directeur a décidé que les agents ne seraient pas armés, mais que le détenu porterait des fers aux pieds en plus de ses menottes.

[9] Les deux employés avaient déjà mené de nombreuses escortes et n’avaient jamais refusé de faire une escorte auparavant. Cependant, ils estimaient que, dans le cas présent, l’escorte posait un risque inutilement élevé pour eux-mêmes, pour le public ainsi que pour le détenu, et qu’on aurait pu prendre d’autres dispositions pour réduire les risques de cette sortie. Par exemple, on a suggéré au sous-directeur d’organiser un service funéraire avec la famille du détenu dans la chapelle de l’établissement.

[10] Les deux employés comprenaient les risques inhérents à leur emploi. Ils savaient que la nécessité d’évaluer des risques et de poser les gestes nécessaires pour réduire tout danger font partie intégrale de leur travail. Ils estimaient que l’équipe d’évaluation n’avait pas tenu compte de tous les facteurs et que l’escorte posait un danger qu’on ne pouvait gérer correctement, qu’elle aurait constitué un danger avec ou sans armes et qu’il pouvait en résulter des blessures graves.

[11] Pour sa part, l’employeur estimait que le refus des agents ne mettait pas tant la décision en question que le processus décisionnel, puisque l’évaluation des risques avait été retirée de la description de tâches des employés depuis quatre mois pour des raisons de contrôle de la qualité.

[12] À l’origine, le détenu avait une cote de sécurité maximale, mais il avait obtenu une cote de sécurité moyenne en octobre 2000. Il attendait son tranfert dans un établissement à sécurité moyenne où aucun des membres des organisations criminelles auxquelles il était affilié n’était incarcéré. Son degré d’adaptation à l’établissement était jugé modéré, on estimait qu’il représentait une menace élevée pour la sécurité publique puisqu’il avait commis deux crimes et le risque d’évasion était évalué de modéré à élevé.

[13] Pour calmer les préoccupations des employés au sujet de l’information publiée dans un journal régional concernant les rumeurs d’une récompense de 20 000 $ promise à quiconque abattrait le détenu, l’employeur a communiqué avec la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) . Ces organisations n’ont pas été en mesure de fournir le moindre renseignement pour étayer ces rumeurs, bien qu’on sache qu’une récompense de 15 000 $ avait été versée pour des renseignements ayant mené à la condamnation de ceux qui avaient participé au crime. Les funérailles avaient lieu dans un lieu à prédominance indo-canadienne et, même si le crime avait fait les manchettes à l’époque où il avait été commis, on en entendait très peu parler dans la région au moment des funérailles. La police avait donné son accord pour l’escorte et souhaitait être tenue au courant de la date et du lieu de la sortie, envisageant la possibilité d’affecter un ou deux policiers en civil pour patrouiller le secteur si le détenu assistait aux funérailles.

[14] Conformément aux dispositions de l’article 17 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, le directeur a décidé, en se fondant sur une analyse des menaces et des risques, que la permission de sortie avec escorte pour des raisons de compassion présentait un risque contrôlable quant à la sécurité du public. Le sous-directeur intérimaire a donc tenu une séance d’évaluation et d’information avec les agents de correction affectés à l’escorte le lundi 7 août à 7h, durant laquelle on a examiné les diverses questions de sécurité. Il a souligné qu’on avait sélectionné des agents de correction chevronnés pour soulager les inquiétudes dans toute la mesure du possible.

[15] Selon la Fiche de décision des PSAE, le détenu n’avait aucun antécédent d’évasion ou de tentative d’évasion. Il demeurerait en tout temps à portée de voix et de vue des agents qui l’escorteraient. On utiliserait des dispositifs de contrainte pendant toute la durée de l’escorte. Les agents chargés de l’escorte auraient le pouvoir de mettre fin à l’escorte à n’importe quel moment s’ils le jugeaient nécessaire.

[16] Le directeur n’avait pas approuvé que l’on fournisse des armes à feu aux agents de l’escorte. Sur ce point, l’article 15 du Manuel de la sécurité – Escortes de sécurité prévoit que « [Traduction] dans des circonstances normales, les agents du SCC ne porteront aucune arme à feu durant une permission de sortir avec escorte. » De même, on indique dans le manuel que « lorsqu’il est impossible d’éviter d’escorter un détenu dangereux, ou que des facteurs externes posent un risque aux employés du SCC ou aux membres du public pendant une escorte de sécurité, le chef de l’établissement pourra permettre aux membres de l’escorte de porter des armes, mais seulement dans la mesure où il le juge absolument nécessaire. »

[17] Le processus habituel pour une permission de sortir pour des raisons de compassion est le suivant : le détenu demande la PSAE, l’agent de libération conditionnelle et le responsable de la section préparent un rapport d’évaluation aux fins de décision; l’équipe d’évaluation se rencontre pour examiner le rapport et le directeur prépare une Fiche de décision des PSAE après avoir discuté du cas avec l’agent de libération conditionnelle et les deux responsables de section.

[18] En l’espèce, l’équipe d’évaluation était composée du directeur, du sous-directeur intérimaire, du responsable de section, du coordonateur de la gestion des cas, du directeur des libérations conditionnelles pour l’établissement, de l’agent de libération conditionnelle et de l’agent de sécurité préventive de l’établissement.

[19] L’équipe d’évaluation a reconnu que le détenu était un membre connu d’un groupe militant pour la suprématie blanche de Surrey, en Colombie-Britannique. L’équipe considérait que le risque pour le public était contrôlable grâce aux contrôles inhérents d’une PSAE unique, structurée et surveillée. Selon l’équipe, rien n’indiquait que le détenu poserait un risque excessif pour la collectivité durant sa PSAE. Aucune voix ne s’est élevée contre l’approbation de cette PSAE.

[20] Il a cependant fallu corriger un oubli dans le processus d’approbation durant le week-end : il était impossible de déterminer si les exigences quant à l’avertissement des victimes avaient été satisfaites étant donné que le Système de gestion des détenus ne fonctionnait pas. Le sous-directeur intérimaire a confirmé le samedi 4 août qu’on n’avait fait aucune saisie pour l’avertissement des victimes. Lorsqu’on lui a dit que le détenu était au courant qu’il devait assister aux funérailles, il a demandé au surveillant des activités correctionnelles d’avertir le détenu qu’on n’avait pas encore pris de décision définitive à ce sujet. Il a également avisé le chapelain de l’établissement de la situation. Ce dernier a donc décidé de parler au détenu. On s’attendait à ce que la décision reste en suspend à la réunion de gestion des cas le matin du mardi 7 août, à la suite de quoi le coordonnateur de la gestion des cas saisirait la décision du directeur.

[21] Selon le rapport de l’agent de santé et de sécurité, une entrée dans le journal confirme que l’agent de libération conditionnelle de Hann a informé le détenu le vendredi 3 août, 16 h, qu’il assisterait aux funérailles. L’agent de libération conditionnelle avait recommandé la PSAE, mais s’il avait su que le détenu serait averti quatre jours d’avance de cette permission, il aurait recommandé que les agents qui assureraient l’escorte soient armés. L’agent de libération conditionnelle était aussi d’avis que même s’il était relativement facile de contrôler le détenu à l’intérieur des murs de l’établissement, il pouvait en être tout autrement dans un contexte de groupe.

[22] En se fondant sur les faits rassemblés durant son enquête, l’agent de santé et de sécurité a décidé qu’il n’y avait pas de danger pour les deux employés chargés d’escorter, sans armes, le détenu étant donné qu’il avait une cote de sécurité moyenne et que la PSAE était soutenue par les forces de l’ordre.

**********

[23] La question qu’il convient de trancher en l’espèce consiste à savoir si les agents de correction Moore et Beauchene étaient réellement en danger au sens du Code canadien du travail, Partie II (le Code), lorsque l’agent de santé et de sécurité Marlene Yemchuck a mené son enquête sur leur refus de travailler le 8 août 2001.

[24] Au paragraphe 122(1) du Code, on définit la notion de danger comme suit :

“danger” means any existing or potential hazard or condition or any current or future activity that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected, or the activity altered, whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity, and includes any exposure to a hazardous substance that is likely to result in a chronic illness, in disease or in damage to the reproductive system.

“danger” Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[25] Depuis l’entrée en vigueur de cette définition, en septembre 2000, les agents d’appel ont rendu de nombreuses décisions liées au concept de danger. Ces décisions sont en général articulées autour des deux principes suivants, exprimés par l’agent Serge Cadieux dans Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée (décision 01-008, mars 2001):

· Le concept que la situation, la tâche ou le risque doive être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou de la rendre malade, exclut toutes les situations hypothétiques;

· Peu importe que la situation, la tâche ou le risque soient existants ou potentiels, il importe de prendre immédiatement des mesures pour les rectifier avant qu’il ne se produise des blessures.

[26] Bon nombre des décisions étaient directement liées au contexte des établissements du Service correctionnel et portaient sur le danger associé à la possibilité qu’un détenu devienne violent à l’égard des employés. Dans l’affaire Service correctionnel du Canada, établissement Drumheller et Larry DeWolfe (décision n° 02‑005, mai 2002), l’agent d’appel Douglas Malanka établit les lignes directrices suivantes pour déterminer s’il existe un danger potentiel :

[41] Pour décider s’il y a un danger, l’agent de santé et de sécurité doit prendre en compte tous les aspects de la définition du mot danger et, à l’achèvement de son enquête, décider si les faits invoqués dans cette affaire permettent de conclure à un danger au sens où l’entend le Code. Pour cela, il ne doit se fonder que sur des faits convaincants, étant donné que le droit de refus et les dispositions prises dans le Code en matière de danger sont considérés comme des mesures exceptionnelles. Pour qu’un agent de santé et de sécurité puisse conclure qu’une situation ou un risque éventuel constituait, au moment de son enquête, un danger au sens où l’entend le Code, comme dans la présente affaire, les faits invoqués doivent permettre d’établir :

· que ce risque ou cette situation se présentera;

· qu’un employé y sera alors exposé;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

· que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l’exposition à ce risque ou à cette situation.

[42] Il s’ensuit que si un risque ou une situation existe au moment où l’agent de santé et de sécurité mène son enquête, les faits invoqués doivent seulement permettre d’établir :

· qu’un employé sera exposé ce risque ou à cette situation;

· que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

· que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l’exposition à ce risque ou à cette situation.

[43] Comme M. Cadieux l’a indiqué dans la décision Welbourne et CPR, le danger peut être potentiel, mais le concept d’attente raisonnable exclut les situations hypothétiques ou théoriques. Il est important également de noter que le « danger » selon la définition du Code peut ne pas exister, contrairement à la contravention.

[27] Je suis parfaitement d’accord avec ces principes et lignes directrices. Je dois donc me demander, avant tout, quels sont les dangers en l’espèce et, ensuite, si les faits parviennent à établir de manière convaincante que le danger potentiel se présentera.

[28] La réponse à la première question est évidente, c’est-à-dire que lors de l’escorte non armée d’un détenu, le danger potentiel correspond à la violence que le détenu pourrait exercer envers les agents qui l’escortent durant la sortie.

[29] Pour répondre à la deuxième question, je dois garder à l’esprit qu’en vertu de la définition actuelle de danger, le concept de l’attente raisonnable qu’un danger se présentera exclut les situations hypothétiques ou théoriques, comme l’a déclaré Serge Cadieux dans Darren Welbourne et Canadien Pacifique Limitée.

[30] Par conséquent, je dois me demander si l’on peut, avec un degré de certitude raisonnable, tenir pour acquis que le détenu adoptera un comportement violent durant l’escorte. Aurement dit, les faits sont-ils suffisants pour nous convaincre que le danger potentiel se présentera?

[31] En tant qu’employeur dont les activités sont régies par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et soumis au Code canadien du travail, le Service correctionnel du Canada doit être conscient des risques qu’engendrent les détenus et prendre des mesures pour réduire et contrôler ces risques dans toute la mesure du possible.

[32] Dans ce contexte, il incombe à l’employeur « d’évaluer et de quantifier » la possibilité qu’un détenu devienne violent lorsqu’il détermine s’il accordera une PSAE et, s’il décide de l’accorder, quelles seront les conditions de cette sortie tant pour le détenu que pour les agents chargés de l’escorter. C’est pourquoi le SCC met en applications des procédures et des critères spécifiques qui l’aident à prendre des décisions au sujet des permissions de sortie avec escorte.

[33] Ces critères prévoient qu’on tiendra compte, entre autres :

· De l’expérience et de la formation des agents concernés en matière d’escorte;

· De l’équipement qu’ils seront autorisés à utiliser;

· De l’équipement de contrainte dont on se servira sur le détenu;

· De la cote de sécurité du détenu;

· Du potentiel de violence du détenu;

· Des liens que le détenu entretient avec les milieux du crime.

En l’espèce, le Service correctionnel du Canada a appliqué chacun de ces critères.

[34] Quels sont les faits pertinents applicables en l’espèce?

· La permission de sortie avec escorte avait été accordée pour des raisons de compassion.

· Le détenu avait obtenu une cote de sécurité moyenne et attendait son transfert vers un établissement à sécurité moyenne.

· Depuis le début de son incarcération, le détenu n’avais provoqué ou participé à aucun incident et n’avait jamais tenté de s’évader.

· Le détenu devait porter des menottes et des fers aux pieds durant toute la durée de la sortie.

· Le détenu devait demeurer à portée de vue et d’ouïe des agents chargés de l’escorter pendant toute la durée de la sortie.

· Les forces de l’ordre ne craignaient pas particulièrement la présence du détenu aux funérailles, mais considéraient tout de même de garder un œil sur la situation.

· Les agents chargés de l’escorte étaient des agents chevronnés qui avaient menés de nombreuses escortes.

· Les agents chargés de l’escorte pouvaient mettre à exécution des procédures d’urgence s’ils l’estimaient nécessaire.

· En général, lorsqu’un détenu auquel on accorde une permission de sortir pose un risque qui engendre la nécessité d’armer les agents qui devront l’escorter, la permission n’est tout simplement pas accordée.

[35] La seule procédure du SCC qui n’a pas été respectée est celle qui consiste à n’avertir un détenu qu’il a obtenu sa PSAE que quelques heures d’avance. En l’espèce, le détenu a appris quatre jours à l’avance qu’il assisterait aux funérailles de son frère et, par conséquent, il avait eu l’occasion d’avertir des gens à l’extérieur de sa sortie avec escorte. Toutefois, les détenus sont conscients que les lignes téléphoniques de l’établissement sont surveillées et aucune preuve n’a été présentée à l’audience indiquant que le détenu avait cherché à faire connaître sa sortie.

[36] Dans la décision n° 01-023 concernant un cas semblable à l’établissement de Cowansville, j’ai déjà dit qu’il ne m’incombait pas de déterminer si les procédures du SCC, établies en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, devraient exiger que les agents chargés d’une escorte soient armés en tout temps lorsqu’ils doivent accompagner certaines catégories de détenus. Je m’en tiens au principe que ce genre de détermination relève uniquement de la responsabilité du SCC en l’espèce.

[37] En me fondant sur les preuves déposées et les témoignages entendus à l’audience, j’estime qu’il n’existe pas de faits qui permettent d’établir qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le risque de violence de la part du détenu se concrétise.

[38] Je crois également que le SCC a pris les mesures préventives nécessaires et fait tout ce qu’il fallait pour maintenir le risque auquel les agents d’escorte auraient à faire face à l’intérieur des paramètres normaux de leur travail, même s’ils devaient s’acquitter de cette escorte sans être armés.

[39] Cette escorte constituait-elle un danger parce qu’elle entraînait plus que l’exercice d’un emploi qui, de par sa nature, nécessite d’interagir avec des détenus pouvant potentiellement devenir violents? J’estime que non.

[40] À cet égard, il pourrait être utile de répéter les conclusions du juge Nadon, Section de première instance, Cour fédérale, dans l’affaire du Procureur général du Canada c. Mario Lavoie, décision n° T-2420-97. Le juge Nadon déclarait, en parlant du risque de violence dans un établissement correctionnel :

[25] Le risque auquel faisait face l’intimé, le 24 avril 1997, est nul autre que le risque inhérent à son travail. Ce risque, aux termes de l’alinéa 128(2)b) du Code canadien, ne permettait pas à l’intimé de refuser de travailler.

[26] Je suis entièrement d’accord avec les commentaires de la requérante que l’on retrouve aux paragraphes 39 et 75 de son mémoire.

39. En effet, une simple possibilité d’agression par deux détenus qui ne manifestaient au demeurant aucun signe d’agressivité et de désordre mental ne constituait pas dans les circonstances, pour l’intimé, une situation dangereuse dans son lieu de travail à laquelle il fallait remédier impérativement avant qu’il ne commence à travailler.

[41] L’agent de santé et de sécurité Marlene Yemchuck a mené une enquête poussée et détaillée sur le refus de travailler des deux agents de correction et a rendu une décision d’absence de danger parfaitement fondée.

[42] Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, je confirme sa décision d’absence de danger.

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Michèle Beauchamp

Agent d'appel

SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

Décision n° : 02-031

Demandeurs : Jim Moore

Joe Beauchene

Employeur : Service correctionnel du Canada

Mots clés : Refus de travailler, escorte sans armes

Dispositions : Code 129(7)

Sommaire

Deux agents de correction à l’établissement Kent, sis à Aggasiz, en Colombie-Britannique, ont refusé de travailler en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail parce qu’ils croyaient que le fait d’escorter un détenu aux funérailles de son frère sans être autorisé à porter d’armes constituait un danger. Après avoir mené une enquête, l’agent de santé et de sécurité a décidé que l’escorte sans armes ne posait pas de danger particulier pour les employés.

L’agent d’appel a confirmé la décision d’absence de danger de l’agent de santé et de sécurité parce qu’il n’existait aucune preuve que le détenu serait devenu violent à l’égard des employés. Le Service correctionnel du Canada avait pris toutes les mesures nécessaires pour maintenir le risque auquel les agents auraient à faire face durant l’escorte à l’intérieur des paramètres normaux de leur emploi, lequel, de par sa nature, entraîne l’interaction avec des détenus potentiellement violents

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