Archivé - Décision : 03-13, 03-014, 03-015, Code canadien du travail Partie II Santé et sécurité au travail

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Forest Products Terminal Corporation Ltd.
et
Association internationale des débardeurs (AID), section locale 273
demandeurs
___________________________
Décision no 03-13, 03-014, 03-015
Le 20 juin 2003

La présente affaire a été entendue par Michèle Beauchamp, agent d'appel, à Saint John (Nouveau-Brunswick), le 10 décembre 2002.

Personnes présentes à l'audiencees

Pour l'employeur
Bruce Harding, directeur général de l'exploitation, Forest Products Terminal Corporation Ltd.
Sandy Thompson, co-président du Comité de santé et de sécurité de Forest Products Terminal Corporation Ltd.
Doug Beckington, co-président du Comité de santé et de sécurité de Furncan Marine

Pour les employés
Michael Godin, AID, section locale 273
Brian Straight, AID, section locale 273
Pat Riley, secrétaire-trésorier et agent d'affaires de l'AID, section locale 273
Brian Duplessis, président et agent d'affaires de l'AID, section locale 273, et co président du Comité de santé et de sécurité de Forest Products Terminal Corporation Ltd.

Agents de santé et de sécurité Gavin Insley, Transports Canada (TC), Transport maritime
Ian Rennie, TC, Transport maritime
Stephen Cann, TC, Transport maritime

[1]  Cette affaire concerne les trois appels suivants, déposés en vertu de la partie II du Code canadien du travail (le Code) :

  • appel déposé par l'employeur, Forest Products Terminal Corporation Ltd., en vertu du paragraphe 146(1), relativement à une instruction (annexe A) formulée par écrit le 21 novembre 2001 par l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann;
  • appel déposé par Michael Godin, employé de Forest Products Terminal Corporation Ltd., en vertu du paragraphe 129(7), relativement à une décision d'absence de danger rendue par écrit par l'agent de santé et de sécurité Gavin Insley le 15 février 2002, par suite du refus de travailler de l'employé;
  • appel déposé par Brian Straight, employé de Forest Products Terminal Corporation Ltd., en vertu du paragraphe 129(7), relativement à une décision d'absence de danger rendue par écrit par l'agent de santé et de sécurité Ian Rennie le 18 mars 2002, par suite du refus de travailler de l'employé.

[2]  L'appel déposé par Forest Products Terminal Corporation Ltd. se rapportait à l'instruction suivante formulée par l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann en vertu du paragraphe 145(1) du Code :

[TRADUCTION] Ledit agent de santé et de sécurité est d'avis que les dispositions suivantes de la Partie II du Code canadien du travail ne sont pas respectées :

1.  alinéa 125(1)l) de la Partie II du Code canadien du travail;
2.  alinéa 125(1)w) de la Partie II du Code canadien du travail;
3.  article 10.4 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires).

L'employeur n'a pas veillé à ce que tous les employés et les personnes admises sur les lieux de travail possèdent et portent un casque protecteur.

En conséquence, il est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES audit employeur, conformément au paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention au plus tard le 21 novembre 2001.

[3]  L'appel déposé par l'employé Michael Godin concernait la décision d'absence de danger rendue par l'agent de santé et de sécurité Gavin Insley le 15 février 2002, après enquête sur le refus de travailler de M. Godin.

[4]  M. Godin a refusé de travailler pour les raisons suivantes, telles qu'elles sont mentionnées dans le rapport d'enquête de l'agent de santé et de sécurité Insley :

[TRADUCTION] M. Godin a déclaré qu'il ne se sentait pas en sécurité quand il portait le casque protecteur, car il lui obstruait la vue. Il a mentionné qu'une personne portant le casque avait été tuée et que lui-même ne voulait pas figurer dans ces statistiques. Il a expliqué qu'il souffrait d'emphysème et que le port du casque l'empêchait de mettre le capuchon de la combinaison thermique qu'il portait et que cela nuirait à sa santé s'il ne pouvait garder la tête au chaud.

[5]  L'appel déposé par l'employé Brian Straight se rapportait à la décision d'absence de danger rendue par l'agent de santé et de sécurité Ian Rennie le 18 mars 2002, après enquête sur le refus de travailler de M. Straight.

[6]  M. Straight a refusé de travailler pour les raisons suivantes, telles qu'elles figurent dans le rapport d'enquête de l'agent de santé et de sécurité Rennie :

[TRADUCTION] Cela (le port du casque protecteur) réduisait sa mobilité et la souplesse de ses mouvements quand il accrochait les conteneurs de pâte de bois au palonnier. Le navire oscillait et cela rendait la tâche plus difficile.

[7]  Le refus de travailler des deux employés était directement lié à l'instruction présentée précédemment à leur employeur, Forest Products Terminal Corporation Ltd., le 21 novembre 2001. Forest Products Terminal Corporation Ltd. avait déposé un appel relativement à cette instruction auprès d'un agent d'appel, mais s'y était cependant conformée, par respect du Code, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue à ce sujet.

[8]  Comme les trois affaires étaient directement liées, j'ai tenu, les 16 et 24 octobre 2002, deux téléconférences préliminaires à l'audience avec les parties et les agents de santé et de sécurité concernés. Le but principal de ces téléconférences était de décider si les trois appels seraient traités en trois audiences distinctes ou en une seule.

[9]  Les parties étaient d'avis qu'il serait préférable et plus efficace de tenir une seule audience traitant des trois affaires. J'étais d'accord avec elles et nous avons fixé la date de l'audience. Comme leur position sur l'obligation des débardeurs de porter un casque protecteur était très semblable, les parties ont également demandé que l'audience soit informelle pour permettre aux parties de discuter des problèmes et d'exprimer et de discuter leurs points de vue ouvertement. J'ai également acquiescé à cette demande.

[10]  Les sections suivantes présentent un résumé des circonstances qui ont mené, d'abord, à l'émission de l'instruction sur le port du casque protecteur et, ensuite, aux deux décisions d'absence de danger par les agents de santé et de sécurité.

Raisons qui ont amené l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann
à émettre une instruction à Forest Products Terminal Corporation Ltd.

[11]  L'agent de santé et de sécurité Stephen Cann a établi les fait suivants concernant les raisons qui l'ont amené à émettre une instruction relativement au port du casque protecteur. Elles sont reproduites ici à partir de son rapport d'enquête et de son témoignage à l'audience.

[12]  Le 20 novembre 2001, un surveillant de Forest Products Terminal Corporation Ltd. a communiqué avec le Bureau de la sécurité maritime de Saint John relativement au chargement du MY BBC Japan. Les agents de santé et de sécurité Stephen Cann et Lionel Comeau ont visité le BBC Japan le jour même pour évaluer la stabilité du navire et la capacité de l'équipage d'assurer la stabilité nécessaire au déchargement sécuritaire du navire.

[13]  Les travailleurs déchargeaient le navire, qui transportait diverses pièces de machines de forage. Ces pièces étaient de dimensions variables, et certaines exigeaient l'emploi de gros équipement de déchargement. La plus grosse et la plus lourde de ces pièces a nécessité l'utilisation des deux grues du navire et le transfert du ballast d'eau pour maintenir l'angle du navire dans les limites acceptables.

[14]  Le ciel était couvert, les vents légers et la température modérée. Le bastingage principal du navire était approximativement à la hauteur du quai et le navire s'élevait par rapport au quai à mesure que la marée montait et que sa charge en était retirée.

[15]  On a examiné la capacité et les papiers d'inspection des grues, ainsi que la stabilité du navire pour les déchargements en cours et les plus lourds restant à faire. L'information fournie semblait adéquate, mais pendant l'examen de celle-ci, on a dit aux agents de santé et de sécurité qu'on avait arrêté une des grues, car le navire donnait trop de la bande.

[16]  En observant le travail de la grue et des débardeurs dans la cale du navire et à terre, l'agent de santé et de sécurité Cann s'est rendu compte que les débardeurs risquaient de se blesser à la tête. Ce risque était particulièrement apparent dans le cas de ce navire, car la cargaison avait glissé pendant le transport et le navire, relativement petit, oscillait considérablement pendant le déchargement.

[17]  Le déplacement de la cargaison durant le transport avait endommagé certains conteneurs. En conséquence, des morceaux de bois et des débris divers encombraient l'équipement de déchargement. En raison de la forme irrégulière des pièces, on avait aussi dû utiliser une grande quantité de matériau d'assujettissement pour les maintenir en place. Les oscillations du navire pendant le déchargement accroissaient le balancement des charges suspendues et le risque que des matériaux libres en tombent.

[18]  Les agents de santé et de sécurité sont passés du pont principal à la passerelle pour observer la manœuvre et voir comment le capitaine utilisait les caissons latéraux pour stabiliser le navire pendant le déchargement. Ils sont ensuite revenus au pont principal du navire pour observer à nouveau le fonctionnement des grues.

[19]  Après avoir parlé avec Daryl Bettle des grues et de l'état de stabilité du navire, les agents de santé et de sécurité ont quitté les lieux à 17 h. L'agent de santé et de sécurité Cann a informé M. Bettle qu'il estimait que les employés devraient porter un casque protecteur et qu'il examinerait la situation pour émettre une instruction si nécessaire.

[20]  Le 21 novembre, après examen des compte-rendu des réunions du Comité de santé et de sécurité de Forest Products Terminal Corporation Ltd., l'agent de santé et de sécurité Cann est retourné au bureau de l'employeur et a émis une instruction à Bruce Harding, directeur général de l'exploitation, concernant l'obligation de fournir aux employés des casques protecteurs et de leur montrer comment les utiliser quand ils travaillent dans des conditions comportant des risques de blessures à la tête.

[21]  Selon l'agent de santé et de sécurité Cann, M. Harding lui a remis des documents sur une décision relative à un refus de travailler émise par un agent de santé et de sécurité concernant le port du casque protecteur et sur la décision subséquente du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI)1. M. Harding a indiqué que les débardeurs avaient invoqué cette décision pour démontrer que le CCRI n'exigeait pas le port du casque protecteur au travail.

1 Samuel L. McGuire and Forest Products Terminal Corporation Ltd., Conseil canadien des relations industrielles, décision no 28, 13 août 1999.

[22]  L'agent de santé et de sécurité Cann ne connaissait pas cette décision. Toutefois, après avoir examiné soigneusement les documents et discuté de la question avec ses collègues, il ne croyait pas que les employés ou leur employeur avaient raison de conclure que la décision du CCRI les dispensait de porter un casque protecteur au travail. De plus, à sa connaissance, les parties n'avaient pas appliqué entièrement les recommandations du CCRI.

[23]  Le 5 décembre, l'agent de santé et de sécurité Cann a reçu de l'information de M. Harding concernant l'instruction qu'il avait émise. Le 10 décembre, il a formulé la réponse suivante :

[TRADUCTION] (…) Merci d'avoir confirmé qu'en ce qui concerne les employés, le point un a été complété et que le point deux le sera d'ici le 31 décembre 2001. Le Code s'applique à toutes les personnes autorisées par l'employeur à accéder au lieu de travail et comprend donc toute personne participant au chargement ou au déchargement des navires.

Comme il n'est pas obligatoire de porter un casque protecteur dans tous les lieux de travail, les parties doivent savoir dans quels secteurs ou pour quels types d'activités le port du casque est exigé. Cette obligation doit être indiquée par écrit, porter la marque du Comité de santé et de sécurité au travail et être communiquée à toutes les parties, y compris les agents de santé et de sécurité de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) et de la Sécurité maritime. Cela permettra de surveiller efficacement les lieux de travail et de savoir si le non respect du règlement est attribuable à l'employeur ou aux employés.

Je crois que cette approche comporte le grave inconvénient d'exposer les employés à des risques de nature ponctuelle et, par conséquent, difficiles à identifier. Il incombe à l'employeur de veiller à la prévention des risques dans tous les secteurs des lieux de travail.

Je dois aussi vous rappeler l'obligation de l'employeur de protéger ses employés contre les risques de blessures à la tête. L'article 122.2 du Code définit comme suit les mesures préventives :

La prévention devrait consister avant tout dans l'élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d'équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d'assurer la santé et la sécurité des employés.

Par conséquent, l'employeur fera preuve de prudence en examinant d'autres mesures proactives pour assurer la sécurité de ses employés.

Je ne crois pas qu'un manque d'uniformité apparent dans l'application du Code dispenserait l'employeur ou moi-même, en tant qu'agent de santé et de sécurité, de se comporter conformément aux exigences du Code.

Raisons qui ont amené l'agent de santé et de sécurité Gavin Insley
à rendre une décision d'absence de danger à l'endroit de Michael Godin

[24]  L'agent de santé et de sécurité Gavin Insley a établi les fait suivants concernant les raisons qui l'ont amené à rendre une décision d'absence de danger à l'endroit de Michael Godin après avoir examiné les raisons invoquées par M. Godin pour refuser de travailler parce qu'on l'obligeait à porter un casque protecteur. Elles sont reproduites ici à partir de son rapport d'enquête et de son témoignage à l'audience.

[25]  Au moment du refus de travailler, on procédait au chargement du navire M. V. Celine. La cargaison était constituée de rouleaux moyens de carton ondulé maintenus par des brides de fixation à pince de serrage et embarqués au moyen d'un palonnier accroché à la grue du navire.

[26]  M. Godin travaillait sur le quai. Il plaçait les brides de fixation sur le dessus des rouleaux de carton. L'équipement de levage, le palonnier et le crochet de la grue étaient suspendus au-dessus de l'endroit où il se trouvait. Le travail a commencé à 20 h 45 et a été accompli à l'aide d'un éclairage artificiel, mais on n'a jamais mentionné ce fait pendant l'enquête.

[27]  Le représentant de l'employeur, le surveillant Bettle, a demandé à Michael Godin de porter le casque protecteur fourni par son employeur. Après en avoir discuté avec lui, l'employé a invoqué son droit de refuser, car il considérait que le port du casque menaçait sa sécurité. En conséquence, M. Bettle a demandé au bureau de Forest Products Terminal Corporation Ltd. de mener une enquête.

[28]  Michael Godin a déclaré qu'il ne se sentait pas en sécurité quand il portait le casque, qu'il lui obstruait la vue et que quelqu'un avait été tué alors qu'il en portait un et qu'il ne voulait pas s'ajouter à ces statistiques.

[29]  Michael Godin a également déclaré qu'il souffrait d'emphysème et que le casque protecteur l'empêchait de porter le capuchon de sa combinaison thermique. Il craignait de mettre sa santé en péril s'il ne pouvait pas garder la tête au chaud. Il trouvait aussi que la doublure fournie avec le casque ne tenait pas le cou au chaud.

[30]  Durant l'enquête de l'agent de santé et de sécurité Insley, M. Godin a expliqué d'un geste de la main autour de la visière du casque comment celui ci obstruait sa vision. Quand on lui a demandé s'il avait essayé de porter le casque avec la visière tournée vers l'arrière, il a répondu que oui, mais qu'elle se prenait dans ses vêtements d'hiver et l'empêchait de lever la tête.

[31]  M. Godin a déclaré qu'il avait utilisé la doublure du casque fournie par l'employeur, mais qu'elle ne le gardait pas autant au chaud que son capuchon, en particulier autour du cou. Il n'utilisait pas de foulard par-dessus la doublure du casque et ne laissait pas son capuchon reposer à plat sur son dos, la fermeture éclair ouverte, car il doutait du résultat.

[32]  Les employés avaient reçu un casque protecteur North A89/ A89R, ANSI 289.1-1997, classe E, Type II, LM102043 294.1-92. La doublure fournie était du modèle WL-1 North Winterliner.

[33]  Au moment du refus, à 20 h 50, la température au port de Saint John était d'environ -10oC et le vent était léger. Michael Godin portait une chaude combinaison thermique par-dessus une doublure de peluche ou un tricot également muni d'un capuchon. Il portait aussi une tuque tricotée. Il était vêtu chaudement pour une froide nuit d'hiver.

[34]  L'agent de santé et de sécurité Insley estimait que ce type de vêtement entraverait les mouvements de tout employé. Par un judicieux choix de vêtements, l'employé aurait pu avoir chaud et conserver la liberté de mouvement nécessaire pour accomplir ses tâches tout en portant un casque protecteur.

Raisons qui ont amené l'agent de santé et de sécurité Ian Rennie
à rendre une décision d'absence de danger à l'endroit de Brian Straight

[35]  L'agent de santé et de sécurité Ian Rennie a établi les fait suivants concernant les raisons qui l'ont amené à rendre une décision d'absence de danger à l'endroit de Brian Straight après enquête sur le refus de travailler de l'employé parce qu'il devait porter un casque protecteur. Elles sont reproduites ici à partir de son rapport d'enquête et de son témoignage à l'audience.

[36]  Au moment du refus de Brian Straight, le travail à accomplir consistait à charger des balles de pâte à papier à bord du navire Looiersgracht.

[37]  À 7 h 30, le surveillant Gerald Inglehart avait informé les contremaîtres qu'il était interdit de fumer en raison des matières dangereuses à bord, et que chacun derait porter son casque protecteur. À 13 h 15, il a dit aux travailleurs qui ne l'avaient pas encore fait de porter leur casque.

[38]  À 11 h, Brian Straight a personnellement été avisé de porter son casque. Il l'a mis une fois ou deux, puis il l'a enlevé. À 13 h, on lui a redit de le porter ou de rentrer chez lui. Il a demandé à Gary Allport, chef des opérations, s'il pouvait continuer de travailler sans porter son casque. On lui a répondu qu'il s'exposait ainsi à des mesures disciplinaires.

[39]  À 13 h 25, le surveillant Inglehart a dit à Brian Straight de porter son casque. Quand Brian Straight a refusé, on lui a dit de se retirer. Une enquête a été menée en sa présence par Sandy Thompson, co-président du Comité de santé et de sécurité de l'employeur, et avec Jim Spragg, représentant syndical.

[40]  Gary Allport avait établi que Brian Straight refusait de porter le casque protecteur parce qu'il estimait qu'il entravait ses mouvements et il a avisé deux employés de remplacement du refus de Brian Straight et de la politique de l'entreprise exigeant le port du casque.

[41]  Brian Straight a déclaré qu'il n'avait pas refusé de travailler. Comme le navire oscillait et qu'il travaillait à l'intérieur des rampes d'accrochage avec un employé placé à l'extérieur, il avait de la difficulté à accrocher les charges. Il a refusé de porter le casque protecteur parce que celui-ci entravait ses mouvements et rendait plus difficile l'accrochage des balles de pâte à papier.

[42]  L'agent de santé et de sécurité Rennie a établi que le navire oscillait pendant le chargement, en partie à cause des conditions de chargement et de l'utilisation des deux grues du navire pendant l'opération. Ni l'état de la mer, ni le vent n'étaient en cause pendant le chargement. Il fallait deux personnes pour manier les crochets du palonnier, qui se trouvaient approximativement à hauteur de poitrine. Le palonnier était suspendu au-dessus de leurs têtes.

[43]  Après enquête, l'agent de santé et de sécurité Rennie a décidé que le port du casque durant le chargement ne mettait pas en péril la sécurité de Brian Straight. À son avis, le palonnier et les crochets suspendus présentaient un risque de blessures à la tête contre lequel le casque protecteur offrait une protection. Le port du casque et de vêtements de protection appropriés n'aurait pas entravé les mouvements de l'employé Brian Straight.

Position des parties sur les trois appels

[44]  L'employeur, Forest Products Terminal Corporation Ltd., le syndicat, la section locale 273 de l'Association internationale des débardeurs, qui représentaient les employés Michael Godin et Brian Straight pour l'appel, et le Comité conjoint de santé et de sécurité local ont soutenu et présenté pratiquement la même position relativement à l'obligation, pour l'employeur, d'exiger que ses débardeurs portent un casque protecteur sur le quai et, pour les employés, de le porter.

[45]  Le 12 mars 2002, Brian Duplessis et Doug Beckhingham, co présidents du Comité conjoint de santé et de sécurité local, ont présenté le texte suivant à l'agent d'appel en réaction à l'instruction émise par l'agent de santé et de sécurité Steven Cann à Forest Products Terminal Corporation Ltd. En voici la traduction :

Nous tenons d'abord à préciser que nous prenons très au sérieux la santé et la sécurité de nos compagnons de travail. Au fil des ans, nous avons dû traiter des cas difficiles, notamment des décès, dans le port de Saint John.

Le plus récent décès, et nous l'espérons, le dernier, est survenu le 21 octobre 1991. L'employé avait été heurté par un chariot élévateur. Avant cet événement malheureux, d'autres employés se déplaçant sur les quais avaient été victimes d'accidents. Le Comité de santé et de sécurité, après examen des accidents, avait approuvé la recommandation des enquêteurs d'exiger que tous les employés qui devaient se déplacer sur les quais portent une veste de sécurité voyante (voir la pièce jointe 1).

[46]  Le 25 mars 2002, dans une lettre à l'agent d'appel, Pat Riley, agent d'affaire et secrétaire-trésorier de la section locale 273 de l'AID, a exprimé le soutien de son syndicat à l'appel déposé par Forest Products Terminal Corporation Ltd. relativement à l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Cann. En voici la traduction :

La section locale 273 de l'AID, qui représente les débardeurs du port de Saint John, veut exprimer son soutien à l'appel déposé relativement à l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann le 21 novembre 2001.

Nous appuyons sans restriction le Comité conjoint de santé et de sécurité de l'Association des employeurs du port de Saint John et la section locale 273 de l'Association internationale des débardeurs en ce qui concerne l'analyse des risques qu'il a effectuée, ainsi que la position qu'il a adoptée concernant le port du casque protecteur dans le port de Saint John. Nous savons que l'analyse des risques a été menée de façon hautement professionnelle, en tenant compte des rapports d'accident pertinents, des entrevues avec les employés et les employeurs du port et d'une étude de l'information obtenue de sources locales, nationales et internationales.

Chacun des lieux de travail du port de Saint John a été examiné et on s'est penché sur chacune des tâches à accomplir. L'analyse traitait particulièrement des risques de blessures à la tête.

En conséquence, le Comité conjoint de santé et de sécurité a recommandé de rendre obligatoire le port du casque au port de Saint John pour effectuer certaines tâches, conformément aux exigences du Code canadien du travail. Par exemple, un employé assis dans la cabine d'un camion n'est pas tenu de porter un casque, mais un employé travaillant près de conteneurs munis de bouchons doit en porter un.

À notre avis, le Comité conjoint de santé et de sécurité mérite des félicitations pour avoir adopté cette position. Depuis le décès de notre compagnon Maurice Cormier, en 1979, un grand nombre d'employés du port de Saint John se sont opposés fermement au port du casque protecteur.

Les témoins du décès de M. Cormier ont indiqué que celui-ci, qui portait son de casque protecteur alors qu'il était dans la cale, s'était avancé vers l'ouverture de la cale et avait été tué par la chute d'un rouleau de câble. Avant de s'avancer vers l'ouverture, M. Cormier avait levé les yeux et n'avait pas vu qu'il y avait une charge au-dessus de lui. Apparemment, la visière de son casque avait obstrué sa vue. Un jury du coroner est arrivé à la même conclusion. Le jury a également recommandé que ceux qui travaillent dans les cales des navires puissent voir clairement et sans obstacles toutes les opérations de chargement ou de déchargement qui se déroulent autour d'eux. Cette recommandation correspondait au conseil transmis par des générations de débardeurs : « Un débardeur doit garder un œil sur son travail et l'autre au-dessus de sa tête. »

À partir de ce jour, les débardeurs se sont généralement opposés au port obligatoire du casque protecteur dans le port de Saint John. Comme l'alternative était de porter le casque protecteur partout ou de ne le porter nulle part, les débardeurs étaient entièrement convaincus que la seconde option était la meilleure. Ils ont gardé cette position jusqu'en 1997. Soulignons qu'ils justifiaient leur position en se reportant au Code canadien du travail, qui stipule que l'utilisation d'un dispositif de sécurité n'est pas obligatoire quand le résultat obtenu est contraire au but visé. Nous rappelons également que cette position était bien connue de Travail Canada et de Transports Canada et qu'aucun de ces ministères n'a tenté d'imposer le port du casque pendant toutes ces années.

Pendant les premières années, le Comité conjoint de santé et de sécurité a imposé une recommandation selon laquelle toute personne portant tout type de couvre-chef ou de casque susceptible de l'empêcher de voir au-dessus de sa tête devait soit l'enlever, soit le porter à l'envers. Malheureusement, cette recommandation est tombée dans l'oubli avec l'entrée en scène de nouveaux membres du Comité et l'apparition de nouvelles préoccupations. Sur un ton plus léger, le Comité conjoint de santé et de sécurité a probablement ainsi perdu la possibilité de revendiquer la paternité de la mode qui consiste à porter sa casquette la visière vers l'arrière.

Quoi qu'il en soit, en 1997, la question du port du casque a reçu un nouvel éclairage. L'analyse des risques suggérée par Travail Canada et menée par le Comité conjoint de santé et de sécurité prônait une approche axée sur le bon sens pour déterminer quelles tâches exigeaient le port du casque plutôt que de l'imposer partout dans le port de Saint John. En outre, elle remettait sur le tapis l'inquiétude d'avoir à porter le casque dans des situations où cela s'avérait plus dangereux que sécuritaire.

C'est la plus grande difficulté que nous a posée l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann, car elle nous replonge dans nos difficultés passées. C'est pour cette raison, plus que pour toute autre, que nous croyons qu'il faut revoir cette instruction. Nous affirmons qu'elle ne répond pas aux intentions du Code canadien du travail.

La section locale 273 de l'AID n'a que du respect pour le Code canadien du travail et pour ceux et celles qui sont responsables de son application. En soi, l'industrie du débardage comporte des risques. Les données de Statistique Canada montrent qu'elle arrive immédiatement après l'industrie minière pour le nombre d'accidents mortels par personne. Si on combine ces données avec le nombre d'accidents par personne, on peut même affirmer que c'est la plus dangereuse. Nous avons certainement besoin de lois appliquées avec rigueur pour protéger nos membres et leurs familles. C'est cette position que nous avons constamment défendue depuis 1979 et que nous continuerons à défendre.

En terminant, nous vous demandons de tenir compte de la nature des cargaisons traitées au port de Saint John en évaluant la nécessité du port du casque. Nous croyons qu'il faut évaluer chacun des ports en fonction des cargaisons qu'ils traitent et des méthodes et de l'équipement qu'elles exigent. Un casque protecteur ne sauvera personne de la chute d'un rouleau de câble, mais il peut lui éviter des blessures graves si c'est un bouchon de conteneur qui lui tombe sur la tête. Les ports ne traitent pas tous le même type de cargaisons.

[47]  À l'audience, l'employeur et le syndicat ont défendu ensemble la position présentée dans le texte ci-dessus. Ils se sont fortement opposés à une instruction générale exigeant le port du casque en tout lieu.

[48]  Ils ont mentionné les rapports sommaires d'accident de l'employeur entre 1997 et 2001 pour confirmer que, pendant cette période, on a enregistré seulement trois blessures à la tête, et ce, uniquement en 1998.

[49]  Ils ont également mentionné la décision d'absence de danger de l'agent de santé et de sécurité Luc Sarrasin par suite d'un refus de travailler relativement au port du casque, en 1997. Ils ont rappelé que le Comité conjoint de santé et de sécurité local avait procédé à une évaluation des risques basée sur les rapports et les statistiques d'accidents, ainsi que sur les tâches à accomplir et les lieux de travail désignés, et qu'il avait identifié les secteurs et les tâches exigeant le port du casque en raison des risques de blessures à la tête qu'on y avait constatés.

[50]  Bien que les employés concernés par la décision de l'agent de santé et de sécurité Sarrasin en aient appelé de cette décision d'absence de danger auprès du CCRI, les deux parties estimaient que la décision subséquente du Conseil n'avait rien réglé.

[51]  Les parties ont soutenu que le type de cargaisons traitées par les débardeurs était un facteur crucial pour décider de la nécessité de porter ou non un casque protecteur. Elles ont aussi déclaré que le casque ne devait jamais empêcher les employés de voir ce qui se passe au-dessus de leur tête.

[52]  En outre, les parties ont soutenu qu'il n'est pas possible de porter les casques protecteurs à l'envers, contrairement à ce qui est dit à ce sujet dans la décision du CCRI. À l'appui de cet argument, le syndicat a produit un courriel envoyé par M. Ray Mullin, responsable des comptes d'entreprise et directeur de la formation de North Safety Products Ltd, un fabricant de casques protecteurs, affirmant que les tests exigés par la norme Z94.1-92 de l'ACNOR sur les casques de sécurité pour l'industrie [à la section 6.2 - Échantillonnage pour test, et à la section 10 - Test de rétention]

sont tous effectués avec la visière tournée vers l'avant. C'est dans cette position que le port du casque est recommandé. Vous ne pouvez remplacer des parties ou des éléments du casque. Ils ne sont pas interchangeables. Ces pratiques et modifications annulent l'approbation de l'ACNOR.

[53]  En résumé, les parties croyaient, comme l'a exprimé Pat Riley, agent d'affaires et secrétaire-trésorier de la section locale 273, dans une lettre adressée le 25 mars 2002 à l'agent d'appel, que l'analyse de risques menée précédemment par le Comité conjoint de santé et de sécurité local :

prônait une approche axée sur le bon sens pour déterminer quelles tâches exigeaient le port du casque plutôt que de l'imposer partout dans le port de Saint John. En outre, elle remettait sur le tapis l'inquiétude d'avoir à porter le casque dans des situations où cela s'avérait plus dangereux que sécuritaire.

C'est la plus grande difficulté que nous a posée l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann, car elle nous replonge dans nos difficultés passées. C'est pour cette raison, plus que pour toute autre, que nous croyons qu'il faut revoir cette instruction.

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[54]  Nous avons ici trois affaires, mais deux questions exigeant une décision. D'abord, je dois décider s'il y a lieu de confirmer, de modifier ou d'annuler l'instruction présentée par l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann à l'employeur, Forest Products Ltd.

[55]  Ensuite, je dois décider s'il faut annuler ou confirmer les décisions d'absence de danger des agents de santé et de sécurité Gavin Insley et Ian Rennie par suite de leur enquête sur les refus de travailler des employés Michael Godin et Brian Straight parce qu'ils devaient porter un casque protecteur au travail.

[56]  L'instruction, émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code par l'agent de santé et de sécurité Stephen Cann, indiquait que l'employeur avait contrevenu aux alinéas 125(1)l) et w) du Code canadien du travail et à l'article 10.4 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) et l'obligeait à faire en sorte que les employés et les personnes admises sur les lieux de travail possèdent et portent un casque protecteur.

[57]  Voici les dispositions du Code canadien du travail invoquées :

125(1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124 et des obligations spécifiques prévues à l'article 125, mais sous réserve des exceptions qui peuvent être prévues par règlement, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :
l) de fournir le matériel, l'équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui il permet l'accès du lieu de travail;
w) de veiller à ce que toute personne admise dans le lieu de travail connaisse et utilise selon les modalités réglementaires le matériel, l'équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires;

[58]  L'article 10.4 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) stipule que :

10.4 Lorsque, dans un lieu de travail, il y a risque de blessures à la tête, l'employeur doit fournir des casques protecteurs conformes à la norme Z94.1-M1977 de la CSA intitulée Casques de sécurité pour l'industrie, dont la version française a été publiée en avril 1980 et modifiée la dernière fois en septembre 1982 et la version anglaise, en avril 1977 et modifiée la dernière fois en septembre 1982. DORS/95-74, art. 89(F).

[59]  Dans la présente affaire, il semble, d'après le rapport de l'agent de santé et de sécurité Cann, que certains conteneurs avaient été endommagés durant le transport. En conséquence, des morceaux de bois et des débris divers encombraient l'équipement de déchargement. En raison de la forme irrégulière des pièces, on avait aussi dû utiliser une grande quantité de matériau d'assujettissement pour les maintenir en place. Les oscillations du navire pendant le déchargement accroissaient le balancement des charges suspendues et le risque que des matériaux libres en tombent.

[60]  Durant l'audience, l'agent de santé et de sécurité Cann a déclaré qu'il avait observé la présence de débris de bois. « C'est contre ce genre de choses qu'un casque protecteur est utile, pas contre les grosses pièces de cargaison… », a-t-il déclaré. C'est pourquoi il a demandé à l'employeur d'exiger que ses employés portent un casque protecteur.

[61]  Il ne fait pas de doute pour moi que les débardeurs courent des risques de blessures à la tête quand ils chargent ou déchargent un navire. Je suis également convaincue que l'employeur et le Comité de santé et de sécurité connaissent ces risques, comme le démontrent les documents présentés à l'audience et diverses présentations faites pour l'appel.

[62]  L'agent de santé et de sécurité Cann craignait, parce qu'ils sont exposés à des risques ponctuels, que les débardeurs ne soient pas protégés si on ne les oblige pas à porter un casque protecteur dans tous leurs lieux de travail. C'est pourquoi il a écrit à l'employeur :

Je crois que cette approche [de confier au Comité de santé et de sécurité la mission de déterminer quels sont les lieux de travail où le port du casque protecteur doit être obligatoire] comporte le grave inconvénient d'exposer les employés à des risques de nature ponctuelle et, par conséquent, difficiles à identifier. Il incombe à l'employeur de veiller à la prévention des risques dans tous les secteurs des lieux de travail.

[63]  L'inquiétude de l'agent de santé et de sécurité Cann est tout à fait compréhensible. Toutefois, l'employeur, Forest Products Terminal Corporation Ltd., devra tenir compte des articles 10.1 et 10.2 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) pour voir comment se conformer à l'instruction.

[64]  Les articles 10.1 et 10.2 se lisent comme suit :

10.1 Toute personne à qui est permis l'accès au lieu de travail doit utiliser l'équipement de protection prévu par la présente partie lorsque :

a) d'une part, il est en pratique impossible d'éliminer ou de restreindre à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la sécurité ou la santé;

b) d'autre part, l'utilisation de l'équipement de protection peut empêcher les blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravité. DORS/95-74, art. 58(F).

10.2 L'équipement de protection doit à la fois :

a) être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;

b) ne pas présenter de risque en soi.

[65]  En d'autres termes, il faut satisfaire à deux conditions concernant l'équipement de protection - dans le cas présent, les casques protecteurs - à utiliser s'il est impossible d'éliminer un risque ou de le contrôler et si cet équipement peut prévenir ou amoindrir les blessures que peut entraîner ce risque. En outre, cette protection doit être choisie adéquatement et ne doit pas, de par sa nature, créer elle-même un risque.

[66]  Les blessures à la tête sont généralement causées par la chute d'objets ou par un choc contre un objet fixe. Dans l'affaire qui nous occupe, l'employeur et le Comité conjoint de santé et de sécurité ont examiné chacune des tâches accomplies dans le port de Saint John et décidé [TRADUCTION] « qu'il devrait être obligatoire de porter un casque pour exécuter certaines d'entre elles ».

[67]  Idéalement, l'employeur doit réévaluer chacun des risques aussi souvent que l'exige l'arrivée au port d'une nouvelle cargaison, de nouveaux navires ou de nouveaux équipements de manutention. Toutefois, dans un environnement comme le port de Saint John, je crois qu'il serait extrêmement exigeant de procéder ainsi et qu'il ne serait pas « raisonnablement faisable » d'espérer éliminer ou contrôler tous les risques qui pourraient entraîner des accidents causant des blessures à la tête.

[68]  Les parties ont soutenu qu'il faut tenir compte du type de cargaison traitée par les débardeurs pour décider s'il y a lieu ou non de porter un casque protecteur. Elles ont aussi affirmé qu'il ne fallait en aucun cas obstruer la vision des employés en les obligeant à porter ledit casque, particulièrement quand des charges sont soulevées au-dessus de leur tête. Je suis d'accord avec cela et je suis convaincue que c'était aussi là l'intention de l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Cann.

[69]  Contrairement à ce que croient l'employeur et le Comité conjoint de santé et de sécurité, l'instruction de l'agent de santé et de sécurité Cann ne s'applique pas sans distinction à toutes les tâches effectuées ou à tous les lieux de travail du port de Saint John. En effet, l'instruction fait référence au Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) qui, dans cette affaire, tel que c'est énoncé au paragraphe 1.3c) du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires), s'applique uniquement « aux employés qui chargent et déchargent les navires ».

[70]  Par conséquent, pour les raisons mentionnées ci-dessus, je confirme l'instruction présentée à l'employeur par l'agent de santé et de sécurité Cann.

[71]  Quant aux appels déposés par les employés Michael Godin et Brian Straight, je dois décider s'il faut annuler ou confirmer les décisions d'absence de danger des agents de santé et de sécurité Gavin Insley et Ian Rennie par suite de leur enquête sur les refus de travailler des employés Michael Godin et Brian Straight parce qu'ils devaient porter un casque protecteur au travail.

[72]  Le danger est défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code canadien du travail :

122(1) « danger » Situation, tâche ou risque -- existant ou éventuel -- susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade -- même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats --, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[73]  Cette définition signifie que la détermination des risques, des conditions ou des activités qui constituent un danger pouvant causer des blessures ne peut être basée que sur des faits et exclut toute situation hypothétique. Elle signifie également que, peu importe que cette situation, cette activité ou ce risque ait représenté un danger existant ou éventuel au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité, il faut prendre des mesures pour y remédier avant qu'un employé subisse des blessures. Ces deux principes ont été bien exprimés dans les différentes décisions des agents d'appel depuis l'entrée en vigueur de la « nouvelle » partie II du Code canadien du travail, en septembre 2000.

[74]  Michael Godin a refusé de travailler parce :

qu'il ne se sentait pas en sécurité quand il portait le casque protecteur, car il lui obstruait la vue. Il a mentionné qu'une personne portant le casque avait été tuée et que lui-même ne voulait pas figurer dans ces statistiques. Il a expliqué qu'il souffrait d'emphysème et que le port du casque l'empêchait de mettre le capuchon de la combinaison thermique qu'il portait et que cela nuirait à sa santé s'il ne pouvait garder sa tête au chaud.

[75]  Quand l'agent de santé et de sécurité Insley a fait enquête, Michael Godin portait des vêtements épais pour se protéger contre le froid d'une nuit d'hiver. Il portait une combinaison thermique à capuchon par-dessus une doublure de peluche ou un tricot également muni d'un capuchon et une tuque tricotée. Après enquête, l'agent de santé et de sécurité Insley a décidé qu'en choisissant avec soin ses vêtements, l'employé pouvait se tenir au chaud et garder la liberté de mouvement nécessaire pour accomplir ses tâches tout en portant un casque protecteur.

[76]  Selon son rapport et son témoignage, M. Godin travaillait sur le quai, à placer les brides de fixation sur le dessus des rouleaux de carton. L'équipement de levage, le palonnier et le crochet de la grue étaient suspendus autour et au dessus de l'endroit où il se trouvait. Je crois que cette situation présente un risque de blessure à la tête dont il fallait protéger l'employé Godin.

[77]  Je suis convaincue que la seule façon de protéger M. Godin était d'exiger le port du casque protecteur. Comme l'a indiqué l'agent de santé et de sécurité Insley, avec un choix de vêtements plus judicieux, M. Godin n'aurait pas eu de problème de vision.

[78]  Par conséquent, je confirme la décision de l'agent de santé et de sécurité Insley, selon laquelle le port d'un casque protecteur au travail de constituait pas un danger pour l'employé Michael Godin.

[79]  Brian Straight a refusé de travailler parce que :

… cela (le port du casque protecteur) réduisait sa mobilité et la souplesse de ses mouvements quand il accrochait les conteneurs de pâte de bois au palonnier. Le navire oscillait et cela rendait la tâche plus difficile.

[80]  Quand l'agent de santé et de sécurité Rennie a fait enquête, le navire oscillait durant le chargement, en partie à cause des conditions de chargement du navire et de l'activité des deux grues utilisées pendant l'opération. Il fallait deux personnes pour manier les crochets du palonnier, qui se trouvaient approximativement à hauteur de poitrine. Le palonnier était suspendu au-dessus de leurs têtes.

[81]  L'agent de santé et de sécurité Rennie était d'avis que le palonnier et les crochets suspendus présentaient un risque de blessures à la tête pour les employés et que le port du casque pouvait les en protéger. Le port adéquat d'un casque protecteur, avec les vêtements appropriés, n'aurait pas entravé les mouvements de l'employé Brian Straight. Je suis d'accord avec cette conclusion.

[82]  Par conséquent, je confirme la décision de l'agent de santé et de sécurité Rennie stipulant que le port du casque protecteur ne mettait pas en péril la sécurité de Brian Straight quand il travaillait sous de l'équipement pouvant causer des blessures à la tête.

[83]  Avant de conclure, j'ajouterai que selon la documentation de santé et de sécurité sur l'équipement protecteur, plus particulièrement sur le port du casque, ainsi que les principes fondamentaux en prévention, l'employeur doit décider quel équipement de protection utiliser après avoir effectué une évaluation des risques. Il doit aussi montrer à ses employés à quoi sert l'équipement protecteur, leur apprendre à s'en servir correctement et leur en indiquer les limites. À cet égard, il importe de garder à l'esprit la déclaration de Ray Mullin, responsable des comptes d'entreprise et directeur de la formation de North Safety Products Ltd, présentée par le syndicat à l'audience, selon laquelle il ne faut jamais porter les casques avec la visière vers l'arrière.





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Michèle Beauchamp
Agent d'appel


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