Archivé - Décision : 03-019  Code canadien du travail Partie II
Santé et sécurité au travail

Informations archivées

Les informations archivées sont fournies aux fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elles ne sont pas assujetties aux normes Web du gouvernement du Canada et n'ont pas été modifiées ou mises à jour depuis leur archivage. Pour obtenir ces informations dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Michael Chapman
demandeur
et
Agence des douanes et du revenu du Canada
défendeur
___________________________
No de la décision : 03-019
Le 31 octobre 2003

La présente affaire porte sur un appel interjeté en vertu du paragraphe 129.(7) du Code canadien du travail (ci-après appelé le Code ou la Partie II) en raison d'une décision d'absence de danger émise par un agent de santé et de sécurité pour un employé qui a refusé de travailler. L'affaire a été entendue à Toronto (Ontario) les 8 et 21 mai 2003.

Personnes présentes :

Pour le demandeur :

M. Michael Chapman, agent des douanes, Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC)
M. Tom Hamilton, représentant régional, Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC)
Mme Claudine Salama, représentante régionale, AFPC
M. Richard Neil Smith, agent des douanes, ADRC

Pour le défendeur :

Mme Kathryn Hucal, conseillère, Ministère de la Justice et ADRC
Mme Christine Mohr, conseillère, Ministère de la Justice et ADRC
Mme Maria Pacheco, coordonnatrice des opérations, ADRC
Dr Jeffrey Chernin, médecin en santé du travail, Programme de santé au travail et de sécurité du public, Santé Canada

M. Robert Gass, agent de santé et de sécurité, Développement des ressources humaines Canada (DRHC)

[1]  Le 16 mars 2003, M. Michael Chapman, un agent des douanes de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) qui travaillait à l'aéroport international Pearson, a refusé de travailler. Il s'est plaint que l'employeur, l'ADRC, ne lui avait pas fourni l'équipement de protection personnelle et l'information nécessaires pour protéger sa santé et sa sécurité de facteurs pathogènes inconnus qui pouvaient être présents sur les lieux de son travail. M. Chapman parlait du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

[2]  Mme Pacheco, qui est le superviseur de M. Chapman, a enquêté sur le refus de travailler et en a conclu qu'il n'y avait pas de danger. L'agent de santé et de sécurité Robert Gass a été informé que M. Chapman refusait toujours de travailler. Il est arrivé à l'aéroport international Pearson vers 17 h pour enquêter sur le refus de travailler de M. Chapman.

[3]  M. Chapman a présenté la déclaration ci-dessous à M. Gass au sujet de son refus de travailler. Il a déclaré que l'ADRC ne lui a fourni que de l'information très vague et que l'Agence a tenté de minimiser le danger.

[TRADUCTION] Je refuse de travailler dans les secteurs primaires et secondaires des douanes ainsi que dans les unités primaires ou secondaires ainsi qu'à un poste fixe ou comme patrouilleur parce qu'on ne m'a pas fourni les instruments ou les renseignements nécessaires pour effectuer ce travail d'une manière qui protège ma santé et ma sécurité. J'ai peu ou pas de protection contre des éléments pathogènes dans mon milieu de travail et, en outre, je n'ai pas reçu l'information nécessaire pour m'assurer que mon lieu de travail est sécuritaire. On ne m'a pas enseigné les protocoles adéquats pour veiller à ce que ma santé et ma sécurité soient protégés. De plus, je crois que mon employeur a fourni de l'information douteuse et vague pour tenter de minimiser les risques encourus par moi même et les autres employés.

[4]  Le 18 mars 2003, l'agent de santé et de sécurité Robert Gass a décidé qu'il n'y avait pas de danger pour M. Chapman et a informé les parties de sa décision par écrit.

[5]  M. Chapman a interjeté appel de la décision de M. Gass auprès d'un agent d'appel en vertu du paragraphe 129.(7) du Code. Une audience orale a eu lieu à Toronto les 7 et 21 mai 2003 pour examiner les circonstances de la décision d'absence de danger par l'agent de santé et de sécurité Robert Gass relativement au refus de travailler de M. Chapman.

[6]  L'agent de santé et de sécurité Robert Gass a présenté un exemplaire de son rapport d'enquête et a témoigné dans le cadre de l'audience. Je présente dans les points ci-dessous ce que je retiens de son rapport et de son témoignage.

[7]  L'agent Gass a décidé qu'il n'existait pas de danger pour M. Chapman en se fondant sur les faits suivants qu'il a rassemblés dans le cadre de son enquête :

[TRADUCTION]

  • Santé Canada a informé l'ADRC qu'il était probable que seules les personnes entrant en contact étroit et personnel avec des passagers souffrant du SRAS pourraient être infectées (p. ex. des membres de leurs familles ou des professionnels de la santé).
  • Un seul vol direct arrivait tous les jours à l'aéroport de Toronto (Cathay Pacific) en provenance de l'Asie du Sud-Est. L'autre vol en provenance de Hong Kong arrivait au Canada à l'aéroport de Vancouver.
  • Au moment de son enquête, aucun membre d'équipage, aucun employé au sol et aucun autre employé de l'aéroport n'avait été touché par le SRAS.
  • Santé Canada mettait en place des mesures de quarantaine pour les passagers qui auraient pu être infectés, et ces passagers seraient isolés avant d'arriver aux douanes.
  • Les renseignements sur le SRAS fournis par le Dr Jeffery Marc Chernin le 17 mars 2003 l'ont convaincu que M. Chapman ne courait aucun danger.

[8]  En réponse aux questions de contre-interrogatoire, l'agent de santé et de sécurité Robert Gass a confirmé qu'il se fondait sur la définition d'une personne ayant un « contact étroit » de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui se lit comme suit :

« …elle a soigné un cas de SRAS, vécu sous le même toit ou été en contact direct avec les sécrétions respiratoires, les liquides organiques et/ou les excrétions (selles) d'un cas de SRAS. »

[9]  L'agent Gass a confirmé qu'il n'avait pas inspecté les lieux du travail dans le cadre de son enquête étant donné qu'il connaissait déjà très bien les installations de l'ADRC à l'aéroport international Pearson. Il a également confirmé qu'il n'a pas examiné la description de poste des agents des douanes avant de prendre sa décision parce qu'il la connaissait déjà, y compris leurs responsabilités aux unités primaires et secondaires. Il savait donc que les agents des douanes sont responsables des fouilles pour des éléments de contrebande, des substances illégales et des articles importés excédant les limites imposées, et que, pour ce faire, ils sont habilités à mener des fouilles à nu et à mettre sous arrestation ou en détention des suspects en vertu du Code criminel du Canada.

[10]  Il croit se rappeler qu'il a posé des questions à l'ADRC sur la formation offerte à ses agents des douanes sur les maladies contagieuses, mais il peut confirmer qu'il n'a pas posé de questions sur de la formation portant spécifiquement le SRAS.

[11]  M. Chapman a présenté des raisons écrites pour son appel avant l'audience et a offert son témoignage dans le cadre de l'audience. Je présente dans les points ci-dessous ce que je retiens des documents qu'il a présentés et de son témoignage.

[12]  Le 15 mars 2003, vers 20 h 40, il a reçu un message électronique de M. James Vosper. Le message de M. Vosper portait sur une message électronique intitulé « Awareness of Asian Pneumonia » (sensibilisation à la pneumonie asiatique) qu'il avait reçu de M. Norman Sheridan. Selon le message de M. Sheridan, il venait de parler à M. Brian Jones, directeur, Division des processus d'importation (ADRC), et ce dernier lui avait dit que deux voyageurs canadiens qui étaient revenus au Canada en provenance de Hong Kong le 23 février 2003 et qui étaient passés aux douanes de l'aéroport international de Pearson avaient ensuite contracté une version de la pneumonie asiatique et étaient décédés. Selon le contenu du message, le Dr Ron St. John de Santé Canada avait informé M. Jones que les symptômes de la maladie incluaient une forte fièvre, des douleurs, de la toux, un essoufflement et de la difficulté à respirer, et il lui avait également déclaré que la période d'incubation était de deux semaines. Le Dr Ron St. John avait en outre déclaré que Santé Canada n'avait aucun plan à court terme pour surveiller ou établir des protocoles de quarantaine étant donné que le ministère ne croyait pas que le risque était élevé. Néanmoins, Santé Canada continuerait d'évaluer les risques.

[13]  Mme Pacheco a également reçu en exemplaire du message électronique de M. Sheridan, intitulé « Awareness of Asian Pneumonia » (sensibilisation à la pneumonie asiatique), et elle a ensuite demandé à M. Chapman de téléphoner à différentes pharmacies pour obtenir des masques respiratoires de qualité médicale. Cependant, aucune des entreprises avec lesquelles M. Chapman a communiqué n'en possédait. Mme Pacheco a aussi demandé à M. Chapman de se rendre au terminus no 1 pour y prendre des boîtes de gants protecteurs et des bouteilles de désinfectant pour les mains, et de les distribuer au personnel du terminus no 3.

[14]  Après son quart de travail le 15 mars 2003, M. Chapman est retourné chez lui et a effectué une recherche sur Internet pour trouver de l'information sur ce syndrome. Il a découvert une alerte aux voyageurs émise par l'OMS le 15 mars 2003. L'alerte aux voyageurs, intitulée « Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) », déclarait que l'OMS avait reçu, au cours de la dernière semaine, des rapports sur plus de 150 nouveaux cas présumés de SRAS, une pneumonie atypique pour laquelle on n'avait toujours pas trouvé de cause. L'avis décrivait le SRAS comme une menace internationale et soulignait les symptômes associés à cette maladie. L'avis ne conseillait pas aux voyageurs d'annuler leurs déplacements, quelle que soit leur destination, mais il recommandait à tous les voyageurs, y compris les membres d'équipage, d'être à l'affût des principaux symptômes et signes du SRAS, notamment :

[TRADUCTION]
  • une forte fièvre; et,
  • un ou plusieurs symptômes d'affectation des voies respiratoires, y compris la toux, un essoufflement, de la difficulté à respirer; et un des éléments suivants:
  • un contact étroit avec une personne dont on a diagnostiqué qu'elle avait le SRAS; ou,
  • un voyage récent dans un des endroits où on a diagnostiqué des cas de SRAS.

[15]  M. Chapman a souligné que l'avis aux voyageurs de l'OMS donnait la définition suivante d'un « contact étroit » : une personne qui « a soigné un cas de SRAS, vécu sous le même toit ou été en contact direct avec les sécrétions respiratoires, les liquides organiques et/ou les excrétions (selles) d'un cas de SRAS ». Il a en outre souligné que l'avis recommandait d'isoler les patients atteints du SRAS par des techniques de protection et de les traiter comme l'indique les règles cliniques jusqu'à ce qu'on en sache plus sur cette maladie.

[16]  Ce soir-là, M. Chapman a également trouvé sur Internet un article sur le SRAS émis par le Centre de prévention et de contrôle des maladies infectieuses. Le document du Centre recommandait que, jusqu'à ce qu'on connaisse l'étiologie et les voies de transmission de la maladie, on ajoute aux précautions habituelles des mesures de contrôle de l'infection pour les malades hospitalisés, notamment :

[TRADUCTION]
  • des précautions contre la contagion aérogène (y compris des salles d'isolation à pression négative par rapport au secteur environnant et l'utilisation de masques respiratoires N-95 pour les personnes qui doivent entrer dans cette salle);
  • des précautions pour les contacts (y compris l'utilisation de gants et de blouses d'hôpital pour tous les contacts avec le patient et leur environnement);
  • les précautions habituelles, notamment un soin attentif à l'hygiène des mains.

[17]  M. Chapman a déclaré, dans son témoignage, qu'il avait conclu des articles trouvés sur Internet que le SRAS était une maladie pathogène très dangereuse.

[18]  Peu de temps après avoir refusé de travailler, M. Chapman a reçu et lu un avis sur le SRAS émis par Santé Canada le 15 mars 2003 et préparé pour l'ADRC. Selon ce communiqué, la cause du SRAS était toujours inconnue, mais Santé Canada croyait que l'infection ne pouvait se propager que lors d'un contact de moins d'un mètre d'une personne infectée. L'avis indiquait que le risque de contracter le SRAS d'un voyageur arrivant au pays n'était pas connu, mais qu'on s'attendait à ce qu'il soit peu élevé pour de simples contacts, comme ceux que peuvent avoir les employés d'un aéroport. Santé Canada recommandait de se laver souvent les mains avec de l'eau et du savon pendant au moins de 20 à 30 secondes et, lorsque cela est possible, de maintenir une distance d'au moins un mètre avec les passagers avant qu'on en sache plus.

[19]  M. Chapman n'était pas rassuré par l'avis de Santé Canada parce qu'il recommandait seulement de maintenir une distance d'un mètre " lorsque cela était possible ". Il a affirmé que, pour presque tous les aspects de leur travail, les agents des douanes doivent s'approcher de moins d'un mètre des passagers. Comme l'avis n'obligeait pas l'ADRC à modifier son fonctionnement pour assurer cette distance d'au moins un mètre, il était convaincu que l'avis n'était pas approprié aux responsabilité de son travail. Il a ajouté que l'avis tendait à minimiser le danger, malgré tout ce qui était encore inconnu, et cela s'avérait contraire à l'approche habituelle de l'ADRC qui consiste à considérer les dangers inconnus comme des éléments de risque élevé. Selon M. Chapman, la formation de l'ADRC sur les dangers de nature biologique enseignait aux agents à éviter tout danger.

[20]  En ce qui a trait à ses responsabilités de travail le jour où il a refusé de travailler, M. Chapman a déclaré, dans son témoignage, qu'il devait travailler à l'unité primaire. Il a expliqué que les agents des douanes qui travaillent à l'unité primaire agissent également comme des agents d'immigration et que, à ce titre, ils sont responsables de la détermination de l'admissibilité des passagers au Canada. Il a affirmé que les passagers s'approchent souvent des agents des douanes à moins d'un mètre pour présenter leurs documents et fournir des renseignements personnels de manière discrète. Il a ajouté qu'on voit souvent des passagers qui tiennent leurs documents dans leur bouche pendant qu'ils mettent de l'ordre dans leurs papiers. M. Chapman a expliqué que les passagers sont immédiatement envoyés vers l'unité secondaire si un agent à des doutes, et que le temps de contact avec les passagers dans l'unité primaire varie de 30 secondes à 2 minutes.

[21]  M. Chapman a déclaré que les agents des douanes sont souvent réaffectés à des postes différents pendant leur quart, et qu'ils peuvent avoir à travailler à l'unité secondaire, à un poste fixe ou comme patrouilleur.

[22]  Selon M. Chapman, les agents des douanes de l'unité secondaire examinent de près les bagages, et cela peut inclure la manipulation d'articles et de vêtements souillés appartenant à des passagers. Lorsque les circonstances l'exigent, les agents doivent effectuer des fouilles à nu de certains passagers. Pendant une fouille à nu, les agents des douanes doivent souvent toucher aux vêtements des passagers fouillés et peuvent avoir à effectuer une fouille corporelle. Au besoin, les agents doivent parfois examiner des matières fécales à la recherche de preuves de contrebande. M. Chapman a souligné que les agents des douanes de l'unité secondaire travaillent à moins d'un mètre des passagers pour des périodes de plus de 20 minutes et peuvent être exposés aux liquides organiques de certains passagers.

[23]  Pour leur part, les agents qui travaillent à un poste fixe ou comme patrouilleurs doivent se promener dans le secteur du carrousel des bagages et faire face à des circonstances et à des comportements suspects. Leurs contacts avec les passagers peuvent avoir lieu à moins d'un mètre de distance, mais, comme le personnel de l'unité primaire, la durée du contact peut varier de 30 secondes à 2 minutes.

[24]  M. Chapman a ajouté qu'un agent des douanes peut, à n'importe quel moment, être appelé à monter à bord d'un avion qui vient d'atterrir s'il y a une urgence médicale à bord. Il a déclaré que l'agent des douanes est responsable du passage aux douanes d'une personne malade avant qu'elle puisse être transportée vers un hôpital. Il a confirmé que ce genre de passager pouvait aussi être mis en quarantaine dans une salle séparée à l'aéroport, mais il a souligné que l'infirmière responsable ne possédait pas la clé de la salle de quarantaine de l'aéroport international Pearson.

[25]  Le 16 mars 2003, M. Chapman s'est présenté au travail et a constaté que l'ADRC n'avait pas obtenu des masques respiratoires de qualité médicale pour son quart de travail. Il s'est rendu au bureau de Mme Pacheco et a refusé de travaillé en déclarant qu'on ne lui avait pas fourni d'équipement de protection personnelle (un masque) et que l'information fournie par l'ADRC ne tenait pas compte des risques associés au SRAS. Dans le cadre de l'audience, il a ajouté que les communiqués de Santé Canada auraient dû recommander de se laver les mains plus souvent avec un savon antibactérien et de permettre aux agents de l'unité primaire de quitter leurs postes pour se rendre aux lavabos des employés pour se laver les mains lorsque cela était nécessaire. Il a soutenu que ce dernier point était nécessaire parce que Santé Canada avait indiqué que les essuie-mains n'étaient qu'une mesure temporaire en attendant de pouvoir se laver les mains à fond avec de l'eau et un savon antibactérien après avoir été en contact avec un passager qui semble présenter des symptômes.

[26]  M. Chapman a déclaré qu'il avait participé à la séance d'information de l'ADRC présentée par le Dr Chernin à l'aéroport international Pearson dans l'après-midi du 17 mars 2003. Il a affirmé que la séance ne l'a pas rassuré parce qu'il a eu l'impression que le Dr Chernin minimisait les risques malgré le fait qu'on en savait très peu sur le SRAS. Il se rappelait que le Dr Chernin avait dit aux participants que Santé Canada établirait un processus de dépistage pour les transporteurs aériens, mais que, entre-temps, on s'attendait à ce que les agents des douanes soient à l'affût des passagers pouvant être atteints du syndrome et les isolent.

[27]  Mme Pacheco, coordonnatrice des opérations à l'aérogare 3 de l'aéroport international Pearson, a témoigné. Je retiens les points suivants de son témoignage.

[28]  Mme Pacheco a témoigné au sujet du document de la Division de la planification d'urgence, Direction des opérations, de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, intitulé L.B. Pearson International Airport - Local Response Plan for Infectious and Dangerous Diseases (aéroport international L.B. Pearson - plan de secours local pour les maladies infectieuses et dangereuses), publié en juin 2001. Elle a déclaré que le plan était en vigueur au moment où M. Chapman a refusé de travailler et qu'il exigeait qu'un agent de quarantaine soit disponible à l'aéroport pour s'occuper des urgences médicales. Elle a soutenu que, grâce au protocole, il ne serait pas nécessaire qu'un agent des douanes monte à bord d'un avion pour s'occuper d'un passager contagieux. Au cours du contre interrogatoire, elle a concédé qu'il n'y avait pas de salle de quarantaine officielle à l'aéroport international Pearson au moment où M. Chapman a refusé de travailler, mais elle a affirmé qu'une salle pouvait servir de salle de quarantaine. Elle a en outre concédé qu'elle ne se souvenait d'aucune occasion où un agent de quarantaine se serait occupé d'un passager malade conformément au plan pendant les 13 années où elle avait travaillé à cet endroit. Elle a également confirmé que le document de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto n'avait pas été distribué aux agents des douanes ou inclus dans leur formation.

[29]  Mme Pacheco était d'avis que les agents des douanes travaillant dans le secteur primaire étaient protégés de la toux et des éternuements des passagers par leurs ordinateurs. Elle a estimé que le comptoir devant les agents des douanes a une largeur d'environ deux pieds, et elle a confirmé que les agents des douanes peuvent demander aux passagers de reculer d'un pas afin de maintenir une distance d'un mètre entre les agents et les passagers. Elle a ensuite déclaré qu'elle estimait que la durée moyenne de contact avec chacun des passagers dans l'unité primaire variait de 30 secondes à deux minutes. Elle était d'avis que cette période était aussi valable pour les agents des douanes à poste fixe et les patrouilleurs, et que, si les agents de cette unité ont des soupçons au sujet d'un passager, le passager est immédiatement envoyé à l'unité secondaire.

[30]  Elle a confirmé que, dans le secteur de l'unité secondaire, les passagers peuvent subir une fouille de leurs bagages ou une fouille corporelle. Elle a affirmé qu'elle croyait que les fouilles corporelles duraient habituellement de cinq minutes à deux heures, ou même plus longtemps.

[31]  Mme Pacheco a déclaré que, lorsqu'on l'a mis au courant de l'avis sur le SRAS, elle a veillé à ce que les agents des douanes reçoivent des gants de qualité médicale et un désinfectant pour leurs mains. Elle a confirmé que les agents des douanes ont aussi reçu la directive de demander aux passagers de se tenir à une distance d'au moins un mètre. Elle a ajouté que les agents des douanes pouvaient demander aux passagers malades de rester dans le fond de la salle jusqu'à ce qu'un professionnel de la santé vienne les voir.

[32]  Le Dr Chernin, M.D., M.P.H., F.A.C.P.M., médecin en santé du travail, Direction du Programme de santé au travail et de sécurité du public (PSTSP), Santé Canada (bureau de Toronto), a témoigné à titre d'expert en santé publique. Les points suivants indiquent ce que j'ai retenu de son témoignage.

[33]  Le Dr Chernin a déclaré qu'il avait déjà travaillé avec la Division de la planification d'urgence de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto jusqu'en avril 2002. Pendant cette période, le Laboratoire de lutte contre la maladie (LLCM) de Santé Canada à Ottawa avait pour responsabilité de fournir des conseils à l'Autorité aéroportuaire de Grand Toronto lorsqu'un pilote ou un membre d'un équipage déterminait qu'un des passagers pouvait être atteint d'une maladie infectieuse. Dans le cadre d'une entente entre le LLCM et le PSTSP, le Dr Chernin agissait pour le LLCM lorsque le PSTSP rapportait un problème. Selon la gravité de la situation, le Dr Chernin pouvait recommander de laisser aller le passager et de lui faire passer le processus des douanes et de l'immigration, ou demander que le passager soit mis en quarantaine, avec ou sans tous les passagers et membres de l'équipage. Il a confirmé qu'on avait souvent fait appel à ses services.

[34]  La situation a changé en avril 2002 lorsqu'on a remplacé le LLCM par le Centre de mesures et d'interventions d'urgence (CMIU). Ce changement a retiré le PSTSP du processus; il en découle que, plutôt que de communiquer avec le Dr Chernin, l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto communique actuellement avec le CMIU à Ottawa. Le médecin de garde au CMIU à Ottawa peut, à son tour, demander qu'une infirmière désignée de Toronto se rende à l'aéroport pour évaluer l'urgence de la situation médicale. Selon le rapport clinique de l'infirmière, le médecin de garde du CMIU décide du bien-fondé d'une mise en quarantaine.

[35]  Le Dr Chernin a déclaré que c'est en octobre 2002 qu'il a entendu parler pour la première fois d'un pneumonie atypique en Asie du Sud-Est. Le 14 mars 2003, il était à Los Angeles lorsqu'il a appris grâce à un article dans le journal qu'on avait diagnostiqué deux cas de SRAS au Canada. Il est revenu au Canada le 16 mars 2003.

[36]  Le lendemain matin, soit le 17 mars 2003, le Dr Chernin a téléphoné à Mme Alice Brant, l'infirmière de garde au CMIU et il lui a demandé de se rendre à l'aéroport international Pearson pour répondre aux questions des employés et des dirigeants de l'Immigration et de l'ADRC, ce qu'elle a fait.

[37]  Pendant ce temps, il a examiné l'information sur le SRAS offerte sur Internet par le Centre for Disease Control (CDC), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et Santé Canada.

[38]  Le Dr Chernin a aussi participé à une conférence téléphonique nationale de Santé Canada qui permettait d'examiner tous les éléments connus sur le SRAS. Dans le cadre de cette téléconférence, le Dr St. John a examiné le communiqué de Santé Canada, en date du 16 mars 2003, ce qui a permis de confirmer notamment le point suivant :

[TRADUCTION] En outre, on a communiqué avec les représentants officiels des aéroports internationaux de Vancouver et Pearson afin de lancer les protocoles nécessaires pour faire le suivi des passagers qui pourraient être infectés. Santé Canada a dépêché des membres de son personnel vers ces aéroports pour aider à la gestion des cas de ces passagers.

[39]  Selon le Dr Chernin, le Dr St. John a aussi confirmé qu'on avait demandé aux transporteurs aériens d'avoir l'œil ouvert pour déceler les passagers qui pourraient présenter des symptômes du SRAS.

[40]  Il a ensuite rencontré les dirigeants et les employés de l'ADRC pour leur faire part des plus récents renseignements sur le SRAS et pour répondre à leurs questions. Selon le Dr Chernin, la séance a commencé à 15 h et a duré plus de deux heures.

[41]  Le Dr Chernin a déclaré qu'il avait dit à tous les participants, y compris l'agent de santé et de sécurité Gass, qu'on croyait que le SRAS était dû à un virus des voies respiratoires. Il a expliqué que, comme on avait tout d'abord dit que le SRAS était une « pneumonie » atypique, il en déduisait que le SRAS était probablement une maladie respiratoire. Il a dit aux participants que les infections virales sont habituellement transmises par le tractus gastro-intestinal, l'échange de liquides organiques et l'exposition à des sécrétions respiratoires. Dans le cas du SRAS, on pensait qu'il pouvait se transmettre par les gouttelettes de salive projetées par la toux et transférées vers les poumons d'une autre personne ou par le contact avec un objet que la personne infectée aurait mis dans sa bouche. Le docteur a également déclaré qu'on croyait que le virus du SRAS pouvait survivre jusqu'à 3 heures sur un objet et qu'il pouvait être transmis si une personne touchait une surface infectée et portait ensuite la main à sa bouche ou à ses yeux. Il a confirmé que c'est là la raison pour laquelle Santé Canada a recommandé au personnel de l'ADRC, dans son avis du 16 mars 2003, de maintenir une distance d'au moins un mètre avec les passagers et de bien se laver les mains pendant une période de 20 à 30 secondes sur une base régulière. Il a ajouté que les produits contenant de l'alcool sont un moyen alternatif acceptable lorsque la personne ne peut se laver les mains à l'eau et au savon.

[42]  Il a en outre expliqué à l'audience qu'il n'y avait pas de test de diagnostic pour le SRAS parce que ce dernier, par définition, était un syndrome. Donc, pour diagnostiquer le SRAS, on devait constater un fièvre et des symptômes cliniques ainsi que la preuve d'un contact étroit avec une personne chez laquelle on avait diagnostiqué le SRAS ou un récent voyage en Asie du Sud-Est. Il a également confirmé que, bien qu'on ne connaissait pas la période d'incubation au moment où M. Chapman a refusé de travailler, un passager contagieux devait présenter des symptômes. À ce sujet, il a souligné la définition du SRAS offerte par l'OMS qui indiquait qu'on pouvait soupçonner la présence du SRAS lorsque :

[TRADUCTION] « …une personne qui, après le 1er février 2003, présentait une forte fièvre dépassant 38 OC et un ou plusieurs symptômes, comme une toux, un essoufflement ou de la difficulté à respirer, et qui a eu un « contact étroit » avec une personne chez laquelle on a diagnostiqué le SRAS et/ou voyagé dans des régions où on a rapporté des cas de SRAS. "

Le Dr Chernin a aussi déclaré aux participants à la séance d'information du 17 mars 2003 que, pour risquer de contracter le SRAS, il faillait être en contact étroit répétitif pendant au moins 20 minutes avec une personne présentant les symptômes. Il fallait donc plusieurs périodes de contact étroit de 20 minutes ou plus chacune. Il a répété que la définition d'un « contact étroit » offerte par l'OMS correspondait à des membres d'une famille partageant une même résidence ou des professionnels de la santé travaillant auprès de patients atteints du SRAS, et non à des agents des douanes dans l'accomplissement de leurs fonctions.

[43]  Le Dr Chernin était d'avis qu'il n'y avait pas de danger pour les agents des douanes travaillant à l'unité primaire, à l'unité secondaire ou à un poste fixe à l'aéroport international Pearson parce que, à partir du 17 mars 2003, on avait mis en place des protocoles pour composer avec tous les passagers présentant des symptômes pouvant être associés au SRAS, de près ou de loin. Dans le cadre de ces protocoles, on demandait aux agents des douanes :

  • de maintenir une distance d'un mètre entre eux et les passagers dans l'unité primaire;

  • de mettre en quarantaine tout passager présentant des symptômes et de ne pas poursuivre les processus des douanes;

  • de se laver les mains fréquemment et à fond pendant une période de 20 à 30 secondes.

[44]  En plus de ces protocoles :

  • le protocole de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, qui existait déjà depuis longtemps, était toujours en place pour composer avec des passagers malades à l'aéroport international Pearson;
  • on avait informé les passagers internationaux de l'existence du SRAS et on leur recommandait d'informer les membres de l'équipage s'ils souffraient de quelques symptômes pouvant y être associés;
  • les membres de l'équipage étaient à l'affût de ce genre de symptômes chez les passagers;
  • le Dr St. Johns avait affecté des équipes de quarantaine, composées d'un médecin et d'une infirmière, afin d'évaluer les passagers malades aux aéroports internationaux de Vancouver et Pearson.

[45]  Le Dr Chernin se souvenait que, dans la soirée du 17 mars 2003, l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto avait été informée qu'un passager à bord d'un vol qui arrivait souffrait de symptômes pouvant être associés au SRAS. Il a observé qu'on avait bien activé les protocoles et que le passager avait été mis en isolation par l'ADRC. Il a déclaré que le CMIU avait été informé de l'urgence médicale et avait envoyé une infirmière qui avait effectué une évaluation du passager dès que ce dernier était descendu de l'avion. Il a affirmé que l'infirmière avait envoyé son évaluation au Dr St. John au CMIU, lequel avait évalué l'information et ensuite relâché le passager. Le Dr Chernin en a conclu que les protocoles en place fonctionnaient.

[46]  Dans le cadre du contre-interrogatoire, le Dr Chernin a concédé qu'il n'avait pas vue de preuve que les protocoles étaient en place lors de son retour par avion au Canada, en provenance des États-Unis, le 16 mars 2003. Il a déclaré que cela pouvait découler du fait que personne à bord de l'avion ne présentait des symptômes pouvant être associés au SRAS.

[47]  Il a en outre concédé qu'il ne pouvait indiquer avec certitude à quel moment on avait informé les agents des douanes d'envoyer les passagers malades en quarantaine et de ne pas poursuivre le processus. Cependant, il a souligné qu'à partir du quatrième paragraphe du communiqué émis par Santé Canada le 16 mars 2003, les agents des douanes pouvaient en déduire qu'ils devaient envoyer en quarantaine les passagers présentant des symptômes et ne pas poursuivre les procédures des douanes. Le quatrième paragraphe se lisait comme suit :

[TRADUCTION] En outre, on a communiqué avec les représentants officiels des aéroports internationaux de Vancouver et Pearson afin de lancer les protocoles nécessaires pour faire le suivi des passagers qui pourraient être infectés. Santé Canada a dépêché des membres de son personnel vers ces aéroports pour aider à la gestion des cas de ces passagers.

[48]  Le Dr Chernin a aussi concédé que, bien que cela soit peu probable, il était techniquement possible qu'une personne atteinte du SRAS soit contagieuse avant l'apparition des symptômes du SRAS, ou que les symptômes du SRAS soient masqués par des médicaments prescrits. Néanmoins, il avait des doutes quant à la réalisation de ce genre de scénario et était d'avis que des médicaments ne pouvaient masquer des symptômes comme un essoufflement ou de la difficulté à respirer. Il a cependant avoué qu'il était possible que les risques soient plus élevés pour un agent des douanes de l'unité secondaire s'il avait à effectuer une fouille corporelle sur un passager atteint du SRAS.

[49]  M. Hamilton a soutenu que la décision d'absence de danger pour M. Chapman émise par l'agent de santé et de sécurité Gass devrait être annulée et remplacée par la conclusion qu'il existait un danger. Il a soutenu que l'enquête de M. Gass était erronée et que ce dernier s'était fondé sur des renseignements incomplets.

[50]  M. Hamilton a déclaré que l'enquête de l'agent de santé et de sécurité Gass était erronée parce que ce dernier n'avait pas tenu compte de toutes les responsabilités d'un agent des douanes et qu'il n'avait pas inspecté les lieux du travail. M. Hamilton a déclaré que, si M. Gass l'avait fait, il aurait pu se rendre compte que les agents des douanes sont exposés aux sécrétions corporelles et respiratoires des passagers parce qu'ils travaillent souvent à moins d'un mètre de ces derniers, que les passagers toussent et éternuent souvent dans la direction des agents et que les passagers mettent souvent leurs documents dans leur bouche. Il a en outre soutenu que, si l'agent de santé et de sécurité Gass avait inspecté l'unité secondaire, il aurait pu constater que les agents des douanes travaillent tout près des passagers pour des périodes de plus de 20 minutes et que cela les expose aux sécrétions corporelles et respiratoires des passagers.

[51]  M. Hamilton a soutenu que la décision de l'agent de santé et de sécurité n'était pas fondée sur les faits parce que les mesures pour mettre les passagers en quarantaine avant qu'il arrivent aux postes de douanes n'avaient pas encore été mises en place par Santé Canada au moment où M. Gass a enquêté sur le refus de travailler de M. Chapman et que, en fait, la pratique consistait alors à ce que les agents des douanes prennent en charge les urgences médicales à bord des avions afin d'évacuer les passagers malades.

[52]  Il a également soutenu que le témoignage du Dr Chernin indiquait que les symptômes du SRAS pouvaient être masqués et que, par conséquent, les agents des douanes pouvaient être exposés au syndrome avant que qui que ce soit prenne conscience qu'un passager était atteint du SRAS et contagieux.

[53]  En ce qui a trait au Code et aux décisions antérieures d'agents d'appel, M. Hamilton a déclaré que la définition modifiée du « danger » dans le Code englobe un danger éventuel, comme l'a confirmé l'agent d'appel Cadieux dans sa décision Welbourne (Welbourne v. Canadien Pacifique Limitée, [2001] C.L.C.A.O.D. no 9, décision no 01-008). M. Hamilton a répété que M. Chapman avait été affecté à l'unité primaire et qu'il aurait pu être réaffecté à l'unité secondaire, à un poste fixe ou comme patrouilleur.

[54]  Mme Hucal a soutenu qu'il n'y avait pas de danger pour M. Chapman au moment où l'agent de santé et de sécurité Gass a mené son enquête sur le refus de travailler et que cette décision devrait être confirmée.

[55]  Elle a déclaré que M. Chapman avait reçu les renseignements les plus récents sur le SRAS. Elle a indiqué que M. Chapman avait pris connaissance de la mise en garde de l'OMS publiée sur Internet le 15 mars 2003, laquelle offrait une liste des symptômes du SRAS. Elle a souligné que le communiqué indiquait que le SRAS se transmettait par un « contact étroit » et fournissait une définition de ce genre de contact.

[56]  En outre, M. Chapman avait pris connaissance du message électronique de M. Sheridan, en date du 14 mars 2003, intitulé « Awareness of Asian Pneumonia », ainsi que du communiqué de Santé Canada à l'ADRC, en date du 15 mars 2003, qui avait été transmis aux agents des douanes, y compris lui-même. Dans les documents, le Dr Ron St. John affirmait croire que rien n'indiquait qu'il existait un risque élevé ou un besoin d'une plus grande surveillance ou mise en quarantaine.

[57]  Mme Hucal a souligné que le communiqué suivant de Santé Canada à l'ADRC recommandait seulement aux agents des douanes de se laver les mains fréquemment et de maintenir une distance d'au moins un mètre entre eux et les passagers.

[58]  Elle a ajouté que, au cours de la séance d'information du 17 mars 2003, le Dr Chernin a dit aux agents des douanes que le protocole mis en place par l'ADRC était adéquat parce que les agents des douanes devaient garder une distance de plus d'un mètre entre eux et un passager infecté, et envoyer en quarantaine tout passager qui, à leur avis, pouvait être atteint du SRAS.

[59]  En ce qui a trait aux mesures mises en place par l'ADRC pour diminuer les risques découlant du SRAS, elle a souligné que Mme Pacheco avait distribué des gants protecteurs et du désinfectant aux agents des douanes. Elle a mentionné que le protocole d'urgence médicale de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto en place au moment du refus de travailler de M. Chapman prévoyait que des médecins prennent en charge les passagers malades à leur descente de l'avion. Selon le protocole, un passager nécessitant une urgence médicale devait être isolé et évalué. Si on soupçonnait une maladie contagieuse, le personnel médical de l'aéroport devait communiquer avec Santé Canada qui prendrait une décision relativement à une mise en quarantaine.

[60]  Elle a répété que, dans le cadre de la séance d'information, le Dr Chernin avait informé les participants, y compris M. Chapman, que Santé Canada lançait un protocole de quarantaine par lequel on informerait les passagers des vols internationaux de l'existence du SRAS et on leur demanderait de communiquer avec les membres de l'équipage s'il ressentait des symptômes. Santé Canada mettait également sur pied des équipes pour répondre à toute urgence médicale cernée.

[61]  Mme Hucal a cité une décision de la Cour fédérale dans le cas Fletcher v. Canada (Conseil du Trésor), [2002] F.C.J. no 1541, dans laquelle la cour décrivait comme suit le rôle du mécanisme du refus de travailler contenu dans le Code :

Le mécanisme constitue une occasion particulière donnée aux employés, à un moment déterminé et à un endroit déterminé, de s'assurer que leur travail immédiat ne les exposera pas à une situation dangereuse. C'est la protection à court terme de l'employé qui est en jeu, non une protection hypothétique ou éventuelle.

Le mécanisme est une mesure d'urgence. C'est un outil dont dispose l'employé devant une situation qui pourrait entraîner pour lui une blessure ou une maladie avant que cette situation soit corrigée.

[62]  Elle a également cité la décision Welbourne dans laquelle l'agent d'appel Cadieux a écrit :

Donc, cette notion « d'être susceptible de causer » exclut toutes les situations hypothétiques.

En fait, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l'exposition au risque, à la situation ou à la tâche.

[63]  Enfin, elle a mentionné la décision de l'agent d'appel Serge Cadieux dans le cas Agence Parcs Canada v. Doug Martin et AFPC, [2002] C.L.C.A.O.D. no 8, décision no 02-009 (décision Parcs Canada), et ma décision dans le cas Canada (Service correctionnel) v. Schellenberg, [2002] C.L.C.A.O.D. no 6, décision no 02-005 relativement au critère permettant de déterminer l'existence ou l'absence d'un danger en vertu du Code. La fusion des deux citations se lit comme suit dans le mémoire de Mme Hucal :

[TRADUCTION] …les faits invoqués à ce moment-là indiquent :

a)  que ce risque ou cette situation se présentera;
b)  qu'un employé sera exposé à la situation ou au risque lorsqu'il se présentera;
c)  que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que :

  1. ce risque ou cette situation cause une blessure ou une maladie à l'employé qui y sera exposé;
  2. la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l'exposition à ce risque ou à cette situation.

[64]  Sur le sujet de ces critères, Mme Hucal a soutenu qu'il n'y avait aucune preuve en l'espèce que le risque était présent ou qu'il se présenterait. Elle a souligné qu'aucun élément ne corroborait qu'un passager atteint du SRAS était à bord d'un vol arrivant ou devant arriver à l'aéroport international Pearson, de sorte que M. Chapman serait exposé au SRAS. En outre, elle a souligné qu'il n'y avait aucun élément prouvant que le document de la Division de la planification d'urgence, Direction des opérations, de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, intitulé L.B. Pearson International Airport - Local Response Plan for Infectious and Dangerous Diseases (aéroport international L.B. Pearson - plan de secours local pour les maladies infectieuses et dangereuses), publié en juin 2001, était insuffisant pour cerner et isoler les passagers qui pouvaient être malades.

[65]  En ce qui a trait au second point du critère, à savoir si un employé pouvait être exposé si un risque ou une situation se présentait, Mme Hucal a soutenu que rien ne prouvait que M. Chapman serait exposé au SRAS si un passager atteint de cette maladie se présentait aux douanes à l'aéroport international Pearson. Elle a soutenu que les agents des douanes peuvent mener à bien leurs tâches en maintenant un distance sécuritaire d'un mètre entre eux et les passagers, et que les agents des douanes avaient reçu toute l'information que possédaient les agents de santé à ce moment-là sur la possibilité d'être infecté par un simple contact avec des personnes atteintes du SRAS. Elle a ajouté qu'on n'avait rapporté aucun cas de contagion d'un agent des douanes ou d'un membre d'équipage d'un vol à l'échelle internationale.

[66]  Enfin, elle a soutenu qu'on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la situation ou le risque cause des blessures ou une maladie à un employé parce que les protocoles en place faisaient en sorte que tout passager malade serait immédiatement isolé et évalué par l'infirmière de garde à l'aéroport. Elle a ajouté que, même si un passager atteint du SRAS entrait dans le secteur des douanes sans avoir été détecté par un membre de l'équipage du vol, les possibilités d'être infecté par un simple contact dans le cadre des fonctions habituelles d'un agent des douanes étaient très peu probables.

****


[67]  En l'espèce, la question consiste à déterminer s'il y avait présence ou absence de danger, comme le décrit la Partie II, pour M. Chapman au moment de l'enquête de l'agent de santé et de sécurité Gass.

[68]  Le Code définit comme suit le terme « danger » au paragraphe 122(1) :

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[69]  La Cour fédérale a récemment confirmé, dans le cas Fletcher v. Canada (Conseil du Trésor), [2002] F.C.J. no 1541, que le droit de refuser de travailler conféré par le Code constitue une mesure d'urgence donnée aux employés, à un moment déterminé et à un endroit déterminé, de s'assurer que leur travail immédiat ne les exposera pas à une situation dangereuse.

[70]  Dans l'affaire Welbourne, l'agent d'appel Cadieux a écrit au paragraphe [18] que le danger peut être éventuel dans la mesure où le risque, la situation ou la tâche peut prendre place et est susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou de la rendre malade avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Dans le paragraphe [19], il a déclaré que, puisque la situation, le risque ou la tâche existant ou éventuel doit être susceptible de causer des blessures ou une maladie à la personne qui y est exposée avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée, la notion « d'être susceptible de causer exclut toutes les situations hypothétiques. Dans le paragraphe [20], il a ajouté qu'il doit exister un niveau raisonnable de certitude qu'il y aura effectivement une blessure ou une maladie lorsque la personne sera exposée au risque ou à la situation. Ces paragraphes se lisent comme suit :

[18] Selon la définition actuelle du terme, le risque, la situation ou la tâche n'ont plus à être présents uniquement lors de l'enquête de l'agent de santé et sécurité, mais peuvent l'être éventuellement ou dans le futur. Le New Shorter Oxford Dictionary, édition 1993, définit le mot « potential (éventuel) » ainsi : « possible, par opposition à réel; capable de se produire; latent ». Le dictionnaire Black's Law Dictionary, septième édition, définit « potential » comme « capable de se produire; possible ». L'expression « future activité » (tâche éventuelle indique que cette tâche n'est pas « réellement » exécutée [en présence de l'agent de santé et sécurité], mais devra être éventuellement effectuée par une personne. Par conséquent, en vertu du Code, le danger peut aussi être éventuel dans la mesure où le risque, la situation ou la tâche peut prendre place et est susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou la rendre malade avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. [Souligné par mes soins.]

[19] La situation, la tâche ou le risque -existant ou éventuel -, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Donc, cette notion « d'être susceptible de causer » exclut toutes les situations hypothétiques. [Souligné par mes soins.]

[20] L'expression « avant que le risque soit écarté ou la situation corrigée » a été interprétée comme signifiant que des blessures ou une maladie vont probablement être causées sur place et à l'instant, c'est-à-dire immédiatement1. Toutefois, dans la définition actuelle du terme « danger », la mention de risque, de situation ou de tâche doit être interprétée en tenant compte du risque, de la situation ou de la tâche existants ou éventuels, ce qui semble éliminer de la notion précédente de danger le préalable que des blessures ou la maladie se produiront raisonnablement sur-le-champ. En fait, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l'exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Donc, étant donné la gravité de la situation, il doit y avoir un niveau raisonnable de certitude qu'il y aura effectivement une blessure ou une maladie immédiatement s'il y a une exposition au risque, à la situation ou à la tâche, à moins qu'on élimine le risque, que l'on corrige la situation ou que l'on modifie la tâche. En sachant cela, on ne peut attendre qu'un accident se produise, d'où le besoin d'agir rapidement et immédiatement dans de telles situations. [Souligné par mes soins.]

1 Brailsford v. Worldways Canada Ltd. (1992), 87 di 98 (CCRT)
Bell Canada v. Travail Canada (1984), 56 di 150 (CCRT)

[71]  Dans la décision Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, j'ai écrit les paragraphes [41] et [42], qui suivent, sur l'interprétation et l'application de la définition de danger pour une situation ou un risque existant ou éventuel :

[41]  Pour décider s'il y a un danger, l'agent de santé et de sécurité doit prendre en compte tous les aspects de la définition du mot danger et, à l'achèvement de son enquête, décider si les faits invoqués dans cette affaire permettent de conclure à un danger au sens où l'entend le Code. Pour cela, il ne doit se fonder que sur des faits convaincants, étant donné que le droit de refus et les dispositions prises dans le Code en matière de danger sont considérées comme des mesures exceptionnelles. Pour qu'un agent de santé et de sécurité puisse conclure qu'une situation ou un risque éventuel constituait, au moment de son enquête, un danger au sens où l'entend le Code, comme dans la présente affaire, les faits invoqués doivent permettre d'établir :

  • que ce risque ou cette situation se présentera;

  • qu'un employé y sera alors exposé;

  • .. que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

  • que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l'exposition à ce risque ou à cette situation.

[42]  [41] Il s'ensuit que si un risque ou une situation existe au moment où l'agent de santé et de sécurité mène son enquête, les faits invoqués doivent seulement permettre d'établir :

  • qu'un employé sera exposé à ce risque ou à cette situation;

  • que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;

  • que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l'exposition à ce risque ou à cette situation.

[72]  Dans le paragraphe [40] de l'affaire Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, j'ai jeté un peu plus de lumière sur le fait que la détermination d'un danger par un agent de santé et de sécurité se fait pendant son enquête, et non au moment du refus de travailler de l'employé. Le paragraphe [40] se lit comme suit :

[40]  Selon le paragraphe 129.(1) du Code, quand un agent de santé et de sécurité est avisé qu'un employé continue de refuser de travailler, il est tenu de se livrer à une enquête sur ce refus ou de demander à un autre agent de le faire sans tarder. Une fois son enquête achevée, il doit, comme l'exige le paragraphe 129.(4), décider s'il existe ou non un danger au sens où l'entend le Code. S'il décide qu'il y en a un, il est ensuite obligé, aux termes du paragraphe 129.(6), de donner une instruction à l'employeur en vertu du paragraphe 145.(2), lui enjoignant de prendre, entre autres, des mesures pour écarter le risque, corriger la situation, modifier la tâche ou protéger les personnes contre ce danger. Il doit également donner une instruction aux employés en question, leur enjoignant de cesser de faire le travail en cause jusqu'à ce que l'employeur se soit conformé à l'instruction qu'il lui a donnée en vertu de l'alinéa 145(2)a). S'il conclut à l'absence de danger, alors, selon le paragraphe 129.(7), l'employé ne peut se prévaloir de l'article 128 pour maintenir son refus. L'agent décide évidemment s'il y a danger ou non, au sens où l'entend le Code, au moment de son enquête et, par rapport au paragraphe 145.(2.1), si les employés peuvent travailler à un endroit ou faire le travail en question.

[73]  L'agent d'appel Cadieux a écrit ce qui suit dans sa décision sur Parcs Canada au sujet de l'interprétation et de l'application de la définition du danger par rapport à une activité actuelle ou future :

[139]  La présence du mot « éventuel » dans la définition signifie que l'on peut prendre en considération une tâche susceptible d'être exécutée dans le futur pour déclarer qu'il y a « danger » au sens où l'entend le Code. Il y a, cependant, des limites. Pour conclure à l'existence d'un danger au moment de l'enquête, l'agent de santé et de sécurité doit se faire une opinion sur les points suivants, en se fondant sur les faits recueillis au cours de ladite enquête, à savoir :

  • que la tâche éventuelle en question sera accomplie2;

  • qu'un employé aura à l'exécuter le moment venu;

  • que la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l'employé appelé à l'exécuter;
    et que la blessure ou la maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.
2 La première condition est redondante dans le cas où l'agent de santé et de sécurité a constaté que la tâche était en train de s'accomplir au moment de son enquête.

[74]  Alors que l'agent d'appel Cadieux ne mentionnait que les activités actuelles ou futures dans la décision Parcs Canada et que je ne mentionnais que les risques existants et éventuels potentiels dans la décision Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, je suis actuellement d'avis que l'interprétation et l'application de la définition de danger sont à ce point semblables pour une situation ou un risque éventuels et une activité future que l'on pourrait essentiellement fusionner les critères de ces deux décisions. Cependant, avant même de penser à fusionner ce critère, il importe de tenir compte de ce qu'a déclaré l'honorable juge Tremblay Lamer dans la décision Douglas Martin et l'Alliance de la fonction publique du Canada v. Le procureur général du Canada, Citation : 2003 FC 1158, dossier T-950-02.

[75]  Au paragraphe [57] de cette décision, Madame la juge Tremblay-Lamer convient comme le juge d'appel Cadieux qu'en l'absence d'une preuve spécifique démontrant « quand » un garde de parc est susceptible de subir une blessure grave ou la mort dans l'accomplissement d'une tâche d'exécution de la loi, on doit conclure à l'absence de danger parce que la situation est hypothétique ou spéculative. Le paragraphe [57] de sa décision se lit comme suit :

[57]  J'estime comme l'agent d'appel qu'en l'absence d'une preuve spécifique démontrant quant un garde de parc est susceptible de subir une blessure grave ou la mort dans l'accomplissement d'une tâche d'application de la loi, l'agent de sécurité devra conclure en l'absence de danger, puisqu'il ferait alors face à une situation hypothétique ou spéculative. [Souligné par mes soins.]

[76]  Néanmoins, elle a souligné au paragraphe [58] que, par définition, il n'est pas nécessaire qu'on puisse raisonnablement s'attendre à ce que la tâche cause immédiatement des blessures ou une maladie à une personne qui y est exposée pour conclure à l'existence d'un danger. Ce paragraphe se lit comme suit :

[58]  On énonce aussi clairement dans la nouvelle définition, toutefois, qu'une situation, tâche ou risque pourrait constituer une danger « même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats  ». ] Je suis donc d'avis, contrairement à ce qu'a déclaré l'agent d'appel, qu'il n'est pas nécessaire qu'une tâche soit susceptible immédiatement de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, pour constituer un danger au sens du Code.

[77]  Malgré cela, l'honorable juge Tremblay-Lamer a cependant confirmé au paragraphe [59] de sa décision que la nouvelle définition exige encore un élément d'imminence parce que la blessure ou la maladie doit se concrétiser avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Ses mots exacts sont les suivants :

[59] J'estime malgré tout que la nouvelle définition rend nécessaire un élément d'imminence la blessure ou la maladie devant survenir « avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée ».

[78]  Mon interprétation de ces mots est que, pour conclure à l'existence d'un danger, il n'est pas nécessaire que les faits démontrent que la blessure ou la maladie se concrétiseraient immédiatement après l'exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Néanmoins, les faits doivent indiquer quand ou dans quelles circonstances spécifiques on peut raisonnablement s'attendre à ce que survienne une blessure grave ou la mort, de manière à ce qu'il soit raisonnable pour l'agent de santé et de sécurité de s'attendre à ce que la blessure ou la maladie survienne avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Dans le cas contraire, la situation est hypothétique ou spéculative.

[79]  Bien que je n'ai pas fait preuve d'autant de clarté que la juge Tremblay Lamer, c'est essentiellement la position que j'ai adoptée dans le décision R. Abood, J. Chan, C. Ouellette, D. Rai et B. Singh contre Air Canada, décision no 03-002, le 9 janvier 2003. Voici les paragraphes [36] et [37] que j'ai écrits dans cette décision :

[37]  Mme Elias a fait valoir que les antécédents de terrorisme en Israël et les attaques terroristes perpétrées aux États-Unis le 11 septembre 2001 rendaient le risque d'une exposition à des actes terroristes et de blessures subséquentes assez probable pour justifier que les membres d'équipage d'Air Canada refusent de travailler. Toutefois, en ce qui concerne la logique de Mme Elias en l'espèce, je me permets de faire l'analogie suivante. Au Canada, il semble qu'il se passe rarement une semaine sans qu'on voit à la télévision, qu'on entende à la radio ou qu'on lise dans les journaux des reportages sur des accidents automobiles ayant causé de graves blessures, voire la mort. On pourrait donc raisonnablement en conclure que quiconque accepte de conduire un véhicule automobile sur une de nos autoroutes, s'expose au risque d'avoir un accident d'auto susceptible de le blesser ou de le tuer. Toutefois, je doute fort que quiconque en conclue que le simple fait de conduire un véhicule sur les routes canadiennes constitue un danger pour le conducteur ou les passagers en vertu du Code. Toutefois, si, par exemple, le véhicule dans lequel la personne se déplace ou s'apprête à le faire a été fabriqué avec une composante que les experts déclareront défectueuse par la suite et qui, ayant cessé de fonctionner, aurait causé une perte de contrôle du véhicule à la vitesse approximative indiquée sur l'odomètre, il faudrait réévaluer la situation. Cette réévaluation devrait tenir compte de la fiabilité des preuves concernant les facteurs pertinents d'amplification des risques.

[38]  Je ne tire aucune conclusion de l'exemple hypothétique proposé ci-dessus en ce qui concerne l'existence ou l'absence de danger. Je n'ai offert cet exemple que dans le seul but d'illustrer que pour conclure à l'existence d'un danger, il faut avoir des éléments de preuve suffisants pour élever le risque, la situation ou la tâche d'une possibilité potentielle à une attente raisonnable. En ce qui concerne les deux en l'espèce, les preuves n'indiquent pas assez de facteurs d'amplification du risque pour établir qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que les employés d'Air Canada qui ont refusé de travailler soient exposés à des actes de terrorisme en Israël qui auraient raisonnablement pu se solder par des blessures ou par une maladie s'ils avaient accepté de travailler. [Souligné par mes soins.]

[80]  En tenant compte de tout cela et à la lumière du critère déjà mentionné, je suis d'avis que, pour conclure à l'existence d'un danger relativement à un risque éventuel, à une situation ou à une activité future, l'agent de santé et de sécurité doit en venir à la conclusion, en se fondant sur les faits rassemblés dans le cadre de son enquête, que :

  • le risque potentiel, la situation ou l'activité future en question se présentera probablement;

  • un employé sera probablement exposé à ce risque, cette situation ou cette activité quand il se présentera;

  • l'exposition au risque, à la situation ou à la tâche se soldera probablement par une blessure ou une maladie pour l'employé qui y sera exposé;

  • la blessure ou la maladie surviendra probablement avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[81]  Il s'ensuit que, dans le cas du risque existant, d'une situation existante ou d'une tâche actuelle, l'agent de santé et de sécurité doit, en se fondant sur les faits rassemblés dans le cadre de son enquête, conclure que :

  • un employé sera probablement exposé au risque, à la situation ou à la tâche;

  • l'exposition au risque, à la situation ou à la tâche causera probablement une blessure ou une maladie à l'employé ainsi exposé;

  • la blessure ou la maladie surviendra probablement avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[82]  En l'espèce, le risque n'était pas un risque existant parce qu'aucun élément ne prouvait qu'un passager atteint du SRAS était présent aux douanes de l'aéroport international Pearson lorsque M. Chapman a refusé de travailler. Ainsi, pour conclure qu'il existait un danger pour M. Chapman, les faits doivent tout d'abord me persuader qu'un passager atteint du SRAS arriverait probablement aux douanes de l'aéroport international Pearson pendant le quart de M. Chapman et que ce dernier serait probablement exposé à ce passager. Si je conclue que c'est le cas, les faits en l'espèce doivent me persuader qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que M. Chapman subisse une blessure ou une maladie en raison de son exposition à un patient atteint du SRAS et que cette blessure ou cette maladie survienne avant que l'on puisse écarter le risque.

[83]  En ce qui a trait au premier critère, à savoir si la situation ou le risque potentiels ou la tâche future se présenterait pour M. Chapman, les faits ne m'ont pas persuadé de la probabilité qu'un passager atteint du SRAS se présente aux douanes de l'aéroport international Pearson pendant le quart de M. Chapman. Différents faits suggéraient la « possibilité » qu'un passager atteint du SRAS puisse arriver aux douanes de l'aéroport international Pearson et exposer M. Chapman à cette maladie : le fait que la mise en garde de l'OMS, en date du 15 mars 2002, indiquait qu'on avait recensé 150 nouveaux cas possibles de SRAS au Canada, en Chine, en Indonésie, aux Philippines, à Singapour, en Thaïlande et au Vietnam; le fait que des vols directs de l'Asie du Sud-Est arrivaient tous les jours à l'aéroport international Pearson; et le fait que deux passagers qui s'étaient présentés aux douanes de l'aéroport international Pearson étaient ensuite morts du SRAS. Néanmoins, aucun élément ne peut permettre d'établir qu'un passager atteint du SRAS était vraiment à bord d'un vol à destination de l'aéroport international Pearson et que ce passager arriverait aux douanes pendant le quart de M. Chapman, ou qu'un passager atteint du SRAS s'apprêtait à monter à bord d'un avion partant de cet aéroport. Je conclus donc que la peur d'être infecté par le SRAS qu'éprouvait M. Chapman n'était fondée que sur des hypothèses, et non sur des faits.

[84]  Bien que l'appel échoue sur ce point, je crois qu'il peut s'avérer utile de poursuivre l'analyse.

[85]  En ce qui a trait au deuxième critère, à savoir s'il était probable que M. Chapman soit exposé au risque, à la situation ou à la tâche lorsqu'il se présenterait, les éléments de preuve étaient un peu plus convaincants en faveur du point de vue de M. Chapman. Par exemple, je ne suis pas convaincu que le protocole adopté depuis longtemps par l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto assurerait que les passagers potentiellement atteints du SRAS seraient détectés et interceptés par des membres de l'équipage des vols en provenance des pays touchés, et qu'ils seraient mis en quarantaine avant d'arriver aux douanes. Bien que ce protocole ait existé, je ne suis pas convaincu qu'il incluait une surveillance des passagers relativement au SRAS ou aux symptômes pouvant y être associés, ainsi que les étapes nécessaires pour que les passagers soient dirigés vers une quarantaine plutôt que les douanes. Je ne suis pas non plus convaincu qu'une pièce était vraiment disponible pour une mise en quarantaine à l'aéroport international Pearson.

[86]  En outre, je ne suis pas convaincu que les mesures présentées dans le communiqué de Santé Canada, le 16 mars 2003, sous le titre " Syndrome respiratoire aigu sévère ", et qui demandaient aux membres des équipages des transporteurs aériens de surveiller les passagers atteints de SRAS ou présentant des symptômes associés au SRAS, et de les diriger vers un lieu de quarantaine avant qu'ils n'atteignent les douanes, étaient vraiment en place lorsque M. Chapman a refusé de travailler, le 16 mars 2003.

[87]  En ce qui concerne son affectation, M. Chapman a déclaré qu'il avait été affecté à l'unité primaire lorsqu'il a refusé de travailler. Néanmoins, il a déclaré, ce qui n'a pas été contesté, que les agents des douanes étaient souvent réaffectés pendant leur quart, à un point tel qu'il occupent parfois tous les postes à tour de rôle pendant un quart de travail.

[88]  Mais, bien que ces éléments soient très convaincants, je ne crois pas qu'ils permettent de conclure que M. Chapman aurait probablement été exposé si un passager atteint du SRAS était arrivé aux douanes de l'aéroport international Pearson. D'autres agents des douanes travaillaient sur ce quart lorsque M. Chapman a refusé de travailler, et rien n'indique que M. Chapman aurait dû travailler auprès de tous les passagers. Donc, une conclusion que M. Chapman pourrait être exposé à un passager atteint du SRAS aux douanes de l'aéroport international Pearson relèverait surtout de la spéculation.

[89]  En ce qui concerne le troisième critère, à savoir s'il était probable que l'exposition au risque, à la situation ou à la tâche causerait des blessures graves ou une maladie chez l'employé ainsi exposé, j'avais le témoignage de M. Chapman à l'effet qu'il était impossible pour un agent des douanes de maintenir une distance d'un mètre entre lui et les passagers en tout temps parce que les passagers s'approchent habituellement à moins d'un mètre pour présenter leurs documents à l'agent ou se penchent vers l'agent des douanes pour s'assurer que d'autres personnes ne les entendent pas lorsqu'ils lui communiquent des renseignements personnels. M. Chapman a aussi déclaré que les patrouilleurs et les agents des douanes à poste fixe et à l'unité secondaire travaillaient aussi à une distance de moins d'un mètre des passagers.

[90]  Cependant, le Dr Chernin a déclaré que le risque d'infection pour le SRAS nécessitait des situations répétitives de « contact étroit » d'au moins 20 minutes. Il a souligné qu'il était fort peu probable que cela survienne à l'unité primaire parce que les passagers n'y restaient pas plus de deux minutes avant d'être relâchés ou envoyés vers l'unité secondaire pour un examen plus approfondi. Par conséquent, M. Chapman n'aurait pas été exposé assez longtemps pour contracter le SRAS à l'unité primaire de l'aéroport international Pearson.

[91]  En ce qui concerne la préoccupation de M. Chapman à l'effet qu'il pourrait entrer en contact étroit avec des sécrétions respiratoires en provenance de passagers atteints de SRAS parce que les passagers placent souvent leurs documents dans leur bouche, je me souviens que Mme Pacheco a prouvé qu'on avait fourni aux agents des douanes des gants et des solutions antiseptiques, et qu'on leur avait dit de se laver les mains fréquemment et à fond. M. Chapman a également déclaré qu'il portait toujours des gants.

[92]  En ce qui a trait à l'unité secondaire, le Dr Chernin a concédé qu'un agent des douanes ne pouvait être infecté par le SRAS que s'il ne détectait pas les symptômes chez un passager atteint et qu'il restait en contact étroit avec ce dernier pour plus de 20 minutes pendant une fouille corporelle, alors qu'il pourrait être exposé à des liquides organiques et à des sécrétions corporelles, ce qui est particulièrement le cas pour des agents des douanes qui doivent obtenir des échantillons de matières fécales et les examiner. Il a néanmoins déclaré qu'un agent des douanes devrait être capable de reconnaître rapidement un passager atteint de SRAS ou ayant des symptômes associés au SRAS parce que l'ADRC avait informé les agents des douanes d'envoyer immédiatement ce genre de passager en quarantaine plutôt que de poursuivre le processus des douanes.

[93]  Sur la question de la capacité de reconnaître les symptômes du SRAS, j'ai noté que M. Chapman avait visité des sites Internet mis à jour par l'OMS, l'ADRC et Santé Canada avant son refus de travailler pour en apprendre plus sur le SRAS. Comme il avait réussi à glaner de nombreux renseignements, j'en déduis qu'il connaissait bien les symptômes du SRAS et la définition de l'OMS pour les « contacts étroits ». En outre, M. Chapman a déclaré qu'un agent des douanes qui travaille à l'unité primaire agit également au nom d'Immigration Canada et que, à ce titre, il est responsable de surveiller les passagers pour détecter ceux qui sont malades. Cela signifie qu'il a au moins un certain niveau de formation et d'expérience pour détecter des symptômes de maladies. M. Hamilton a soutenu que des passagers pouvaient masquer des symptômes par l'utilisation de médicaments. Toutefois, le Dr Chernin a déclaré qu'il était peu probable que des médicaments puissent masquer un essoufflement ou de la difficulté à respirer. Je suis donc persuadé que M. Chapman était en mesure de détecter le SRAS ou des symptômes associés au SRAS.

[94]  Quant à savoir si l'ADRC afin bien informé les agents des douanes d'envoyer immédiatement à la quarantaine des passagers qui présentaient des symptômes du SRAS et de ne pas poursuivre le processus des douanes, je suis convaincu que le Dr Chernin a bien communiqué ces directives aux agents des douanes lorsqu'il a pris la parole devant le personnel et la direction de l'ADRC le 17 mars 2003. Mais aucun élément de preuve n'indique que M. Chapman avait reçu ces directives avant son refus de travailler, le 16 mars 2003. Au contraire, M. Chapman a déclaré que l'ADRC ne lui avait pas dit de maintenir une distance d'au moins un mètre, soit la recommandation de Santé Canada, ou d'envoyer les passagers affichant des symptômes en quarantaine plutôt que de poursuivre le processus des douanes.

[95]  Cependant, comme je l'ai expliqué au paragraphe [40] de l'affaire Canada (Service correctionnel) et Schellenberg, la détermination de danger par une agent de santé et de sécurité se fait au moment de son enquête, non au moment où l'employé refuse de travailler. Comme en l'espèce, l'agent de santé et de sécurité peut avoir besoin de plusieurs jours pour terminer son enquête. Néanmoins, le paragraphe 129.(4) stipule que c'est au terme de son enquête que l'agent décide s'il existe (à ce moment-là) ou non un danger. Il irait à l'encontre de l'article 122.1, la disposition de déclaration d'objet du Code, de déduire de ce paragraphe que l'agent de santé et de sécurité ne peut décider de l'existence ou de l'absence d'un danger en se fondant sur les faits rassemblés jusqu'à ce point, même si son enquête n'est pas terminée. Le paragraphe 129.(4) et l'article 122.1 se lisent comme suit :

129.(4) Au terme de l'enquête, l'agent décide de l'existence du danger et informe aussitôt par écrit l'employeur et l'employé de sa décision.

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liées à l'occupation d'un emploi régi par ses dispositions.

[96]  Lorsque M. Chapman a refusé de travailler, les événements se succédaient rapidement alors que Santé Canada travaillait à évaluer le « SRAS » afin de conseiller les ministères et organismes fédéraux sur les mesures de protection nécessaires pour protéger les employés ainsi que d'établir des protocoles visant à faciliter l'identification et le traitement des passagers atteints du SRAS qui arrivaient au Canada. Le 15 mars 2003, par exemple, Santé Canada a émis un communiqué à l'intention de l'ADRC recommandant, comme mesure de précaution, que les employés de l'ADRC se lavent souvent les mains avec de l'eau et du savon pour une période de 20 à 30 secondes, et qu'ils maintiennent, lorsque cela est possible, une distance d'au moins un mètre entre eux et les passagers. Le 16 mars 2003, Santé Canada a émis un communiqué sur le SRAS qui confirmait qu'on avait demandé aux dirigeants des aéroports internationaux de Vancouver et Pearson d'activer les protocoles visant à faire le suivi des passagers qui pouvaient être atteints du SRAS, et que Santé Canada avait affecté du personnel à ces aéroports pour aider à la gestion de ces passagers. En outre, le communiqué indiquait que Santé Canada travaillait à organiser la distribution d'avis d'alerte médicale aux passagers internationaux en provenance ou à destination directes de Hong Kong. Ces documents fourniraient de l'information et des conseils sur le SRAS, et indiqueraient aux passagers comment reconnaître les symptômes du SRAS. En attendant, on avait communiqué avec les transporteurs aériens pour qu'ils avisent les passagers pendant le vol, qu'ils communiquent avec les autorités aéroportuaires si des passagers indiquaient qu'ils avaient des symptômes, et qu'ils soient sur leur garde pour détecter tout symptôme chez leurs passagers. Le 17 mars 2003, le Dr Chernin a rencontré les dirigeants et les employés de l'ADRC et leur a fourni tous les renseignements connus sur le SRAS.

[97]  À la lumière de tous ces éléments, je suis convaincu que l'ADRC a demandé à ses agents des douanes, y compris M. Chapman, de cesser le processus des douanes pour tout passager présentant des symptômes de maladie et d'envoyer immédiatement ces passagers vers la quarantaine, et ce avant le moment où l'agent de santé et de sécurité Gass a informé les parties, le 18 mars 2003, de sa décision d'absence de danger pour M. Chapman. Par conséquent, au moment où l'agent de santé et de sécurité Gass a décidé qu'il n'y avait pas de danger, il était fort peu probable que M. Chapman subisse des blessures ou une maladie découlant d'une exposition au SRAS si un passager atteint de ce syndrome se présentait aux douanes de l'aéroport international Pearson.

[98]  Pour toutes ces raisons, je confirme la décision de l'agent de santé et de sécurité Gass, le 18 mars 2003, à l'effet qu'il n'y avait pas de danger pour M. Chapman.



______________________
Douglas Malanka
Agent d'appel



Résumé de la décision de l'agent d'appel


No de la décision : 03-019
Demandeur : Michael Chapman
Défendeur : Agence des douanes et du revenu du Canada
Mots clés : Syndrome respiratoire aigu sévère, SRAS, danger, contact étroit, fouille à nu, gants de protection, masque de qualité médicale, quarantaine, protocoles, sécrétions respiratoires, liquides organiques, lavage des mains
Dispositions : Code canadien du travail : 122(1), 128, 129.
Règlement
Résumé :

Le 16 mars 2003, un agent des douanes de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) travaillant à l'aéroport international Pearson a refusé de travailler. Il s'est plaint que son employeur, l'ADRC, ne lui avait pas fourni l'équipement de protection personnelle et l'information nécessaires pour protéger sa santé et sa sécurité de pathogènes inconnus qui pourraient être présents dans son milieu de travail. M. Chapman sous-entendaient le Syndrome respiratoire aigu sévère ou SRAS.

L'agent de santé et de sécurité qui a enquêté sur le refus de travailler de l'agent des douanes a décidé qu'il n'y avait pas de danger pour l'employé. Il a conclu à l'absence de danger parce que le travail de l'agent des douanes ne nécessitait pas un contact étroit avec les passagers, qu'il n'y avait qu'un vol quotidien en provenance direct de l'Asie du Sud-Est et que Santé Canada mettait en place des mesures pour la mise en quarantaine des passagers malades, ce qui les éloigneraient des agents avant qu'ils n'atteignent les douanes. Il a souligné qu'aucun membre d'équipage, aucun membre du personnel au sol et aucun autre employé de l'aéroport n'avait contracté le SRAS.

L'agent d'appel a confirmé la décision de l'agent de santé et de sécurité, soit l'absence de danger pour l'employé au moment de l'enquête.

Détails de la page

Date de modification :