Archivé - Décision : 03-022, 03- 023
Code canadien du travail Partie II
Santé et sécurité au travail

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Fédéral Express
et
Courrier Purolator
demandeurs
___________________________
Décisions no 03-022, 03-023

La présente affaire a été entendue par Michèle Beauchamp, agent d'appel, à Montréal, Québec, le 19 mars 2003.

Ont comparu

pour Fédéral Express
Douglas G. Gilbert, avocat, Heenan Blaikie
Pierre Balayk, directeur de la sécurité
Jack Latino, gestionnaire principal de l'exploitation

pour Courrier Purolator Ltd.
George J. Pollack, avocat, Gowling Lafleur Henderson LLP
Harry Philips, Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF)
Denis Rock, directeur général, bureau de service d'Anjou
Mark Tilden, vice-président, Ingénierie et Installations

Agent de santé et de sécurité
Jacques Maltais

[1]  Cette affaire concerne les deux appels suivants, déposés en vertu de la partie II du Code canadien du travail (le Code) :

  • appel déposé par l'employeur, Courrier Purolator, en vertu du paragraphe 146(1), visant l’annulation d’une instruction écrite (annexe A) émise le 12 juin 2002 par l'agent de santé et de sécurité Jacques Maltais;
  • appel déposé par l'employeur, Fédéral Express, en vertu du paragraphe 146(1), visant l’annulation d’une instruction écrite (annexe B) émise le 17 juillet 2002 par l'agent de santé et de sécurité Jacques Maltais.

[2]  Les deux appels déposés par Courrier Purolator et Fédéral Express concernaient des instructions semblables, que l'agent de santé et de sécurité Jacques Maltais avaient formulées en vertu du paragraphe 145(1) du Code relativement à la même situation.

[3]  Selon ces instructions, les employeurs contrevenaient à l'alinéa 125(1)k) du Code et au paragraphe 14.16 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le RCSST), car dans une aire occupée par des employés, des camionnettes circulaient en marche arrière sans être équipées d'un klaxon ou d'un avertisseur sonore du même genre fonctionnant automatiquement durant le déplacement en marche arrière.

[4]  À la demande des parties, les deux appels ont été entendus lors d'une seule audience. Également à leur demande, l'audience a été tenue en français et en anglais avec un service d'interprétariat simultané.

[5]  Les parties sont convenues que M. Douglas Gilbert serait le premier à interroger l'agent de santé et de sécurité Maltais et les témoins et à présenter les arguments de Fédéral Express, suivi de M. Pollack pour Courrier Purolator.

[6]  Les syndicats représentant les employés de Courrier Purolator et de Fédéral Express n'ont fait aucune déclaration, ni par écrit ni à l'audience.

[7]  Les faits qui ont motivé la formulation des instructions sont les mêmes dans les deux affaires et n'ont pas été contestés. En bref, l'agent de santé et de sécurité Maltais a visité les deux lieux de travail visés par les instructions et a reçu une promesse de conformité volontaire1 concernant diverses infractions qu’il y a trouvé. Les deux employeurs ont rectifié la situation conformément au Code.

1. Une promesse de conformité volontaire est un engagement écrit que donne formellement à un agent de santé et de sécurité la personne responsable du lieu de travail qui est investie du pouvoir de corriger dans le délai prévu des contraventions à la partie II du Code canadien du travail.

[8]  Toutefois, et Courier Purolator et Fédéral Express ont refusé d'admettre qu'ils contrevenaient à l’article 14.16 du RCSST et, par conséquent, au Code parce leurs camionnettes de messagerie n'étaient pas munies d'avertisseurs de marche arrière alors qu’elles circulaient dans des aires occupées par des employés. L'agent de santé et de sécurité Maltais leur a donc donné des instructions, que tous deux ont contestées auprès de l'agent d'appel.

[9]  Les instructions de l’agent de santé et de sécurité Maltais relativement à l’article 14.16 du RCSST découlaient d’une note de service que le gestionnaire intérimaire, Conformité et Opérations en SST, à l’administration centrale du Programme du travail, avait fait parvenir à ce sujet au conseiller technique en santé et sécurité au travail (CT-SST) de la région du Québec.

[10]  Cette note de service visait à déterminer si les camions sont considérés comme des appareils de manutention motorisés et, en conséquence, doivent être munis d'un avertisseur sonore fonctionnant automatiquement en marche arrière quand ils circulent dans des aires occupées par des employés.

[11]  L'agent de santé et de sécurité Maltais a expliqué que la note de service apportait une interprétation de l’article 14.16 du RCSST. À ses yeux, il était évident que la note de service signifiait qu'un camion utilisé pour transporter du matériel dans une aire occupée par des employés tombait sous la définition donnée à l'article 14.1 du RCSST et, par conséquent, qu’il devait être conforme à l’article 14.16.

[12]  La note de service se lit comme suit :

Objet: CAMIONS UTILISÉS DANS LE LIEU DE TRAVAIL DE L'EMPLOYEUR ET LA PARTIE XIV DU RCSST Subject: PART XIV OF THE COSH REGULATIONS AND TRUCKS CIRCULATING IN AREAS OCCUPIED BY EMPLOYEES
Q. Q.
La question était la suivante : un camion est-il considéré comme un appareil de manutention motorisé. Plus précisément, un camion doit-il être muni d'un avertisseur sonore fonctionnant automatiquement en marche arrière, quand il circule dans des aires occupées par des employés (article 14.16 du RCSST)? The question raised was whether or not a truck is considered motorized materials handling equipment. More specifically, to determine if back-up automatic warning devices are required for trucks when they are circulating in areas occupied by employees (section 14.16 COSHR)?
R. A.
Oui, les camions sont considérés comme des appareils de manutention motorisés. En conséquence, ils doivent être conformes à la partie XIV, notamment à l’article 14.16, du RCSST. Yes, trucks are considered motorized materials handling equipment. Therefore, they must comply with Part XIV of the COSH Regulations (including section 14.16).
Cette conclusion s'appuie sur les motifs suivants : The rationale to that conclusion is as follows:
À l’article 14.1 du RCSST, « appareil de manutention » est défini ainsi : In section 14.1 of the COSHR, the "material handling equipment" definition reads as follows:
« Dispositif, y compris les structures d'appui, le matériel auxiliaire et le gréement utilisé pour transporter, lever, déplacer ou placer des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets. La présente définition exclut les appareils élévateurs installés en permanence dans un bâtiment, mais comprend les appareils mobiles utilisés pour lever, hisser ou placer les personnes. » "means equipment, including its supporting structures, auxiliary equipment and rigging devices, used to transport, lift, move or position persons, materials, goods or things and includes mobile equipment used to lift, hoist or position persons, but does not include an elevating device that is permanently installed in a building."
II n'y a aucun doute que tout camion (et tout véhicule motorisé) est un « appareil mobile »1, étant donné qu’il se déplace à l'aide d'un moteur. En conséquence, étant donné qu'un « appareil de manutention motorisé » est un appareil mû par un moteur à propulsion et possédant les caractéristiques d'un « appareil de manutention motorisé », les camions (et les autres véhicules à moteur) doivent être considérés comme des appareils de manutention motorisés. Without a doubt, trucks (and all motor vehicles) are considered "mobile equipment"2, since they are provided with a motor for propulsion. Therefore, since "motorized materials handling equipment" consists of equipment, equipped with a motor for propulsion, having the characteristics of "materials handling equipment, a truck (and all motor vehicles) would be considered motorized material handling equipment.

1.Pour votre information, l'article 14.16 du RCSST de 1986 ne comprenait pas le terme « appareil de manutention motorisé », mais plutôt le terme « appareil mobile ». À cette époque, « appareil mobile » était interprété comme incluant tous les véhicules motorisés. En 1996, la notion d’« appareil de manutention motorisé » a été introduite pour distinguer les appareils de manutention motorisés de ceux qui ne le sont pas.

2.For your information, section 14.16 of the 1986 COSH Regulations did not use the phrase "motorized materials handling equipment" but was using instead the phrase "mobile equipment. At the time, "mobile equipment" was interpreted as including all motor vehicles. In 1996 the new concept of "motorized materials handling equipment was introduced to differentiate between motorized and non motorized materials handling equipment.

De plus, le paragraphe 14.16(1) stipule que : Moreover, subsection 14.16(1) stipulates:
14.16(1) l’appareil de manutention motorisé qui est utilisé dans une aire occupée par des employés et qui se déplace : 14.16(1) Motorized materials handling equipment that is used in an area occupied by employees and that travels
  1. en marche avant à une vitesse de plus de 8km/h doit être muni d'un klaxon ou autre avertisseur sonore du même genre;
  2. en marche arrière doit, sous réserve du paragraphe 14.51(1), être muni d'un klaxon ou autre avertisseur sonore du même genre qui fonctionne automatiquement durant le déplacement en marche arrière.
  1. forward at speeds in excess of 8km/h shall be fitted with a horn or other similar audible warning devices; and
  2. in reverse shall, subject to subsection 14.51(1), be fitted with a horn or other similar audible warning device that automatically operates while it travels in reverse.
Donc, les camions, et les autres véhicules motorisés, doivent être munis d'un avertisseur sonore fonctionnant automatiquement en marche arrière quand ils sont utilisés dans une aire occupée par des employés. Therefore, all trucks (and all motor vehicles) must be fitted with back-up automatic warning devices when used in an area occupied by employees.

[13]  L'agent de santé et de sécurité Maltais était d'avis que, en l’espèce, les camions de messagerie étaient sans aucun doute des appareils de manutention, car ils entraient dans les lieux de travail – où travaillaient des employés – pour y être chargés, puis ils en ressortaient pour aller livrer les colis chez des clients. Il a toutefois souligné que ni chez l’une ni chez l’autre des entreprises, les fourgonnettes de messagerie servaient à transporter ou manutentionner du matériel d'un point à l'autre du lieu de travail même.

[14]  En d'autres termes, l'agent de santé et de sécurité Maltais a estimé que la présence d'employés effectuant diverses tâches dans la zone de chargement où entraient et sortaient les camionnettes suffisait pour conclure qu'elles étaient effectivement des appareils de manutention.

[15]  Présentant la position de Fédéral Express, Me Gilbert a expliqué que l'instruction concernait un terminal connu sous le nom d'« établissement de St-Hubert ». Tous les matins, des colis y sont déposés pour livraison selon les délais convenus. Les fourgonnettes pénètrent et se stationnent dans la zone de chargement et les employés y chargent les colis. Les chauffeurs des camionnettes partent en marche arrière et quittent l'établissement pour faire leur ronde de livraisons.

[16]  Plus tard dans la journée, les chauffeurs retournent à l'établissement avec les colis ramassés chez les clients et stationnent leur fourgonnette dans la zone de chargement. Les colis sont déchargés, puis sont triés et chargés dans des camions à destination des aéroports ou d'autres endroits. Les camionnettes demeurent immobiles pendant le chargement ou le déchargement et ressortent ensuite en marche arrière. Me Gilbert a souligné qu’aucun accident ne s'était jamais produit à l'établissement, ni à l'arrivée ou au départ des camionnettes, ni pendant leur chargement ou leur déchargement.

[17]  Me Gilbert a soutenu que les fourgonnettes de messagerie de Fédéral Express ne sont pas des « appareils de manutention » tel que les définit l'article 14.1 du RCSST. Il a fourni à l'appui une analyse contextuelle de la partie XIV du RCSTT et, sur demande de l’agent d’appel Serge Cadieux, qui s’est occupé de la conférence préalable à l’audience, de l'exclusion applicable aux véhicules automobiles stipulée à l'alinéa 14.2a) dudit règlement.

[18]  Pour assurer une compréhension sans équivoque de la position de l’employeur, voici une version légèrement abrégée de la lettre que Me Gilbert a envoyée à Serge Cadieux le 9 décembre 2002.

[19]  La position de Me Gilbert se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Analyse contextuelle de la partie XIV du Règlement

Un examen attentif de la partie XIV du Règlement montre clairement qu’elle vise à réglementer les appareils de manutention conçus pour « manutentionner » les matériaux dans un lieu de travail. Tout au long de la partie XIV, l'accent est mis sur les appareils ou les dispositifs conçus et utilisés pour soulever ou déplacer des objets d'un endroit à un autre dans le lieu de travail, par opposition à leur transport sur des voies publiques à destination ou en provenance du lieu de travail.

Nous croyons que cette distinction est voulue et d'une importance déterminante pour comprendre la partie XIV du Règlement. Les camionnettes de notre client ne servent pas à la manutention dans le sens où l'entend la partie XIV. Elles sont utilisées sur les voies publiques pour livrer et ramasser les colis des clients. Le cycle de cueillette et de livraison commence et finit au terminal de FedEx, quand une camionnette entre dans une zone de chargement, se stationne et est chargée ou déchargée, puis qu’elle en repart. Les camionnettes ne servent jamais à transporter du matériel d'un point à l'autre d’un même lieu de travail de Fédéral Express. À cet égard, les fourgonnettes de messagerie de Fédéral Express sont semblables à n’importe quel véhicule utilisé dans l'industrie du camionnage. Elles servent à ramasser ou à livrer des colis chez des clients, non à déplacer du matériel dans un même lieu de travail de Fédéral Express.

Nombre de dispositions de la partie XIV du Règlement confirment qu’elle vise les appareils conçus pour soulever et déplacer des objets à l'intérieur d’un même lieu de travail, notamment les dispositions ci-après.

  1. L'article 14.1 définit comme suit l’appareil de manutention :

    « Appareil de manutention » Dispositif, y compris les structures d'appui, le matériel auxiliaire et le gréement, utilisé pour transporter, lever, déplacer ou placer des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets. La présente définition exclut les appareils élévateurs installés en permanence dans un bâtiment, mais comprend les appareils mobiles utilisés pour lever, hisser ou placer les personnes.

    Le choix des termes de cette définition indique manifestement que l'intention est de réglementer les appareils comme les chariots élévateurs à fourche qui servent à soulever, à déplacer ou à placer des objets dans le cadre du processus de production, d'entreposage ou autre prenant place dans le lieu de travail de l’employeur.

    Notons que la définition précise qu’un « appareil » s’entend aussi des « structures d'appui, matériel auxiliaire et gréement », soit des termes évoquant des systèmes de levée ou de déplacement qui font partie d'un processus de production ou d'autres activités semblables. Rien de cela ne s'applique à une camionnette de messagerie.

    La définition mentionne également qu'un appareil de manutention est un dispositif « utilisé pour transporter, lever, déplacer ou placer des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets … mais comprend les appareils mobiles utilisés pour lever, hisser ou placer les personnes ». Pris dans leur ensemble, ces usages témoignent que la définition s’applique aux appareils servant à soulever, à déplacer et à placer des objets et des personnes. Il est tout aussi significatif que la définition se termine par une exclusion des « appareils élévateurs installés en permanence dans un bâtiment ». Nous soutenons que, là encore, cela révèle clairement que la partie XIV ne vise que les appareils d’acheminement du matériel dans un lieu de travail.

    Il est vrai qu'un des usages mentionnés dans la définition est le « transport » des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets. On doit toutefois considérer cet usage dans le contexte des autres usages indiqués dans la définition (lever, hisser et placer). Autrement, il n'y aurait aucune raison de ne pas l'appliquer à un avion se dirigeant vers une porte d'embarquement ou à un navire approchant d'un quai, malgré l'absurdité d’étendre ainsi la définition.

  2. Les articles 14.46 à 14.49 portent sur l'obligation de l'employeur de s’assurer que la manutention manuelle de matériaux ne cause pas de blessures. L’analyse attentive de ces articles montre clairement que le concept de manutention manuelle équivaut à « soulever » et à « transporter » des objets d'un endroit à un autre à l'intérieur du lieu de travail. Si c'est ce qu'on entend par manutention manuelle, cela devrait être tout aussi valable pour la manutention des matériaux faite à l'aide d'appareils de manutention, qu’ils soient motorisés ou non.
  3. Il est clair que les risques associés à l'utilisation des appareils visés par les dispositions sur la manutention des matériaux sont reliés au déplacement de charges lourdes ou encombrantes d'une façon pouvant excéder les limites de sécurité des appareils. Par exemple, le paragraphe 14.4(1) traite des risques liés à la chute d'objets ou aux charges en mouvement. L'article 14.34 exige que l'opérateur garde la charge aussi près du sol que possible. Ce type de risques n'a pas grand chose à voir avec l'utilisation d'une camionnette de messagerie circulant sur la route.
  4. De même, bien des procédures et des mesures de protection exigées par le règlement se rapportent à l'instabilité inhérente d'appareils qui ne sont pas conçus pour le transport et qui peuvent devenir instables s'ils sont mal utilisés. Ainsi, l'article 14.6 traite des risques de capotage, l'article 14.232, des risques associés aux inclinaisons et l'article 14.40, des risques liés au déchargement par l'arrière. Là encore, ces risques ne sont généralement pas associés à l'utilisation d'une fourgonnette.
    2. Note de l’agent d’appel : c’est l’article 14.28, non l’article 14.23, qui traite des inclinaisons.
  5. L'article 14.30 interdit spécifiquement l'utilisation des appareils de manutention pour transporter des employés. L'habitacle des camionnettes de Fédéral Express est précisément conçu pour le transport d’employés.
  6. Les appareils visés par les dispositions du règlement sur la manutention semblent être conçus pour être utilisés dans un lieu de travail fermé. Les articles 14.44 et 14.45 concernent la conception de l'espace intérieur en fonction du dégagement requis dans les allées, les passages et les espaces libres. En fait, les rédacteurs du règlement ont jugé nécessaire de traiter spécifiquement, à l'article 14.9, de la protection des opérateurs contre les intempéries quand ils utilisent les appareils de manutention à l'extérieur. Les camionnettes de Fédéral Express sont spécialement conçues pour un usage extérieur.
  7. En outre, nombre des caractéristiques exigées pour les appareils de manutention font partie de l’équipement que l’on retrouve dans les camionnettes de transport routier, comme les vitres incassables, les systèmes d’éclairage, les rétroviseurs pour la marche arrière, les réservoir d'essence munis de protecteurs.

En résumé, le règlement semble viser des appareils de conception différente, présentant des risques d'utilisation différents de ceux d'un véhicule routier. Les fonctions que les dispositions prévoient pour ces appareils – et cela est tout aussi important – semblent être le plus souvent de soulever, de déplacer ou de placer des objets et des matériaux dans un lieu de travail. Cela n’a fondamentalement rien à voir avec l'utilisation d'une fourgonnette qu'on fait reculer à un quai de chargement et qui demeure immobile pendant le chargement ou le déchargement. Tout simplement, la fonction d'une camionnette est de transporter des colis chez les clients de Fédéral Express plutôt que de les déplacer d’un endroit à l’autre dans le lieu de travail de Fédéral Express.

Exclusion des véhicules automobiles en vertu de l'article 14.2 du règlement

Vous nous avez demandé d'analyser le lien entre l'article 14.2 et le paragraphe 14.4(4) du règlement.

Comme vous l'avez observé dans votre lettre, l'article 14.2 s’applique sous réserve du paragraphe 14.4(4). En d'autres termes, l'exclusion des véhicules automobiles stipulée à l'article 14.2 concernant l'application de la partie XIV comporte une condition. Le paragraphe 14.4(4) stipule que :

Lorsqu'il y a un risque que des matériaux, des marchandises ou des objets se déplacent et mettent les employés en danger dans un véhicule automobile acquis après le 1er juillet 1995 et ayant un poids brut inférieur à 4 500 kg, l'employeur doit installer une cloison ou tout autre dispositif pour protéger les employés.

La condition énoncée au paragraphe 14.4(4) renforce l'effet de l'article 14.2. Cet article exclut les véhicules automobiles de l'application de la partie XIV. Le paragraphe 14.4(4) n'annule pas cette exclusion et n'implique pas non plus que les véhicules automobiles en question sont des appareils de manutention. Il impose plutôt une seule condition : l'installation d'une cloison ou d'un autre dispositif pour protéger les employés contre le déplacement d'objets ou de matériel dans le véhicule. Le paragraphe 14.4(4) n'a pas d'autre effet, ce qui confirme que la partie XIV ne visait pas à exiger que les véhicules décrits à l'article 14.2 soient munis d'avertisseurs de marche arrière.

L’exception stipulée à l'article 14.2 nous aide à interpréter le règlement dans le cas de Fédéral Express. Les camionnettes de messagerie sont conçues pour circuler sur les voies publiques entre les installations des clients et celles de Fédéral Express. Les véhicules arrivent à un établissement de Fédéral Express et se stationnent à un quai de chargement pour y être déchargées des colis ou chargées. Elles ne servent jamais à manutentionner ou transporter des objets sur le lieux de travail de l’employeur. Fédéral Express possède toute une gamme d'autres appareils pour remplir cette fonction, comme des chariots élévateurs à fourche, des chariots et d'autres appareils d’acheminement des matériaux.

Conclusion

En résumé, Fédéral Express invoque deux arguments . Premièrement, une analyse de la partie XIV dans son ensemble permet d'identifier le type d'appareils pour lesquels un avertisseur sonore de marche arrière est exigé. Tout au long de la partie XIV, on parle d’appareils servant à soulever, à déplacer ou à placer des objets dans un lieu de travail. Ce n'est pas à cela que servent les camionnettes de Fédéral Express. Deuxièmement, Fédéral Express invoque l'article 14.2 du règlement, qui exclut explicitement les véhicules automobiles circulant sur la voie publique. Comme nous l'avons déjà mentionné, les camionnettes de Fédéral Express servent à ramasser et à livrer les colis des clients. Elles n’ont aucunement le rôle d’un appareil de manutention des matériaux sur les lieux de travail de Fédéral Express. Pour ces raisons, et pour d’autres raisons qui pourraient être invoquées à l’audience, Fédéral Express demande l’annulation de cette instruction.

[20]  Pour sa part, Me Pollack a présenté la position de Courrier Purolator et son argumentation dans une lettre adressée à Serge Cadieux le 21 août 2002. Il a lui aussi soutenu que les camionnettes de cueillette et de livraison de Courrier Purolator ne sont pas des appareils de manutention et, de ce fait, qu’elles ne sont pas assujetties à l'alinéa 14.16(1)b) du RCSST.

[21]  Dans ce cas également, j’ai décidé de présenter une version légèrement abrégée des arguments présentés par M. Pollack, pour m’assurer qu’ils soient compris comme il se doit.

[22]  La position de Me Pollack est la suivante :

[TRADUCTION]

Purolator est d'avis que l’expression « appareil de manutention » décrit une fonction différente de celle du transport des colis entre les établissements de Purolator et ceux de ses clients. En fait, l’article 14.2 du règlement exclut les véhicules automobiles utilisés sur la voie publique, établissant donc une nette distinction entre les véhicules routiers et les « appareils de manutention ». L’utilisation qui est faite d'un véhicule routier devrait suffire à le distinguer d'un appareil de manutention.

L'article 14.7 du règlement nous fournit un exemple de la distinction existant entre les véhicules routiers et les appareils de manutention :

14.7 L'appareil de manutention motorisé doit être muni de ceintures de sécurité de type sous-abdominal ou baudrier dans les cas où les conditions d'utilisation sont telles que l'usage de ces ceintures accroîtra vraisemblablement la sécurité de l'opérateur ou des passagers.

Les camions de livraison de Purolator doivent déjà, aux termes de la loi, être munis de ceintures de sécurité. Compte tenu de ce qui précède, l'article 14.7, s'il s'avère superflu, ne peut viser les véhicules routiers – régis par d'autres dispositions législatives et réglementaires exigeant l'installation de ceintures de sécurité – et concerne donc d'autres types d'équipement.

De plus, l'alinéa 125(1)k) du Code canadien du travail établit une nette distinction entre les véhicules et les appareils mobiles :

125. (1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
[…]
k) de veiller à ce que les véhicules et l'équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires;

Il semble que l'intention du législateur, en adoptant ce Code, était d'appliquer aux véhicules des règles différentes de celles qui régissent les appareils mobiles.

En outre, la section III du règlement, « Manutention manuelle des matériaux », qui traite de la manutention manuelle des matériaux par opposition à leur manutention motorisée, facilite l'interprétation de l’expression « manutention des matériaux ». Les articles 14.46 à 14.49 de la section III portent sur l'obligation de l'employeur de veiller à ce que la manutention manuelle des matériaux n'entraîne pas de blessures. Dans ces articles, le concept de manutention manuelle des matériaux correspond à l'idée de « soulever » et de « déplacer » les matériaux d'un endroit à l'autre dans un même lieu de travail. Purolator est d’avis que cette interprétation s'applique aussi à la manutention des matériaux à l'aide d'appareils, motorisés ou non.

Les risques reliés à l'utilisation des appareils décrits à la partie XIV du Règlement, Manutention des matériaux, visent le déplacement de charges lourdes ou encombrantes d'une façon susceptible d’excéder les limites de sécurité des appareils. Ainsi, le paragraphe 14.4(1) traite des risques associés à la chute d’objets ou aux charges en mouvement et l’article 14.40, au déchargement par l’arrière. Ce ne sont pas là des risques liés à l’utilisation des véhicules routiers.

Dans le même ordre d'idées, nombre de procédures et de mesures de protection exigées par le règlement sont liées à l'instabilité inhérente d'appareils qui ne sont pas conçus pour le transport et qui peuvent devenir instables s'ils sont mal utilisés. Ainsi, l'article 14.6 traite des risques de capotage, l'article 14.233, des risques liés à une forte inclinaison et l'article 14.40, des risques associés au déchargement par l'arrière. Là encore, ces risques n'ont généralement rien à voir avec l'utilisation d'une camionnette de livraison.

3. Note de l’agent d’appel : c’est l’article 14.28, non l’article 14.23, qui traite des inclinaisons.

L’article 14.30 interdit spécifiquement l'utilisation des appareils de manutention pour transporter des employés. L'habitacle des camionnettes de livraison de Purolator est précisément conçu pour le transport d’employés. C’est là une autre indication que ces camionnettes ne sont pas des « appareils de manutention » tel que l’entend la partie XIV du Règlement.

Outre ce qui précède, le règlement met l'accent sur le type d'appareils conçus pour être utilisés dans le lieu de travail même. Ainsi, les articles 14.44 et 14.45 concernent la conception de l'espace intérieur en fonction du dégagement requis dans les allées, les passages et les espaces libres. En fait, les rédacteurs du règlement ont jugé nécessaire de traiter spécifiquement, à l'article 14.9, de la protection des opérateurs contre les intempéries quand ils utilisent les appareils de manutention à l'extérieur. Les fourgonnettes de Purolator sont conçues pour un usage extérieur. En outre, nombre des caractéristiques exigées pour les appareils de manutention font partie de l’équipement que l’on retrouve dans les camionnettes de transport routier, comme les vitres incassables, les systèmes d’éclairage, les rétroviseurs pour la marche arrière, les réservoir d'essence munis de protecteurs.

Le paragraphe 14.37(2) établit une distinction incontestable entre les véhicules et les appareils de manutention :

14.37(2) Lorsque l'appareil de manutention motorisé ou manuel doit entrer dans un véhicule autre qu'un wagon ferroviaire ou en sortir pour le chargement ou le déchargement de matériaux, de marchandises ou d'objets, le véhicule doit être immobilisé et protégé contre tout déplacement accidentel à l'aide de son système de freinage et d'un autre moyen.

[c'est nous qui soulignons]

Ce paragraphe présente une situation identique à celle qui a provoqué la formulation des instructions. Cette disposition établit une distinction claire et évidente entre un véhicule routier et un appareil de manutention (comme un chariot élévateur à fourche). En fait, les camionnettes de livraison de Purolator ne pénètrent dans un lieu de travail que pour y être chargées et déchargées.

Par conséquent, si le législateur avait voulu que le règlement s’applique à des véhicules comme les fourgonnettes de livraison, il l'aurait clairement indiqué en les incluant dans la définition d’« appareil de manutention » stipulée au règlement. Comme ces véhicules n'y figurent pas et compte tenu des distinctions établies par diverses dispositions entre les véhicules et les appareils de manutention motorisés, le règlement ne s'applique pas aux camionnettes de livraison.

De plus, Harry Philips, maintenant gestionnaire principal, Sécurité et Environnement, à la Société Radio-Canada, était le président du comité des Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF) qui a participé à l’élaboration du règlement. Or, M. Philips affirme qu'il allait de soi pour les membres du comité que le règlement ne visait pas les véhicules routiers et ne s’y appliquait pas. Il nous a confirmé que c’était également ce que pensait les officiels de Travail Canada qui ont collaboré avec l'ETCOF à l’élaboration du règlement. Voilà pourquoi l'instruction repose sur une interprétation erronée de l'intention du règlement.

Nous signalons à l'agent d'appel que Purolator a pris certaines mesures préventives que doivent suivre ses chauffeurs quand ils conduisent en marche arrière. Avant d’engager leur véhicule en marche arrière, ils doivent regarder autour et utiliser l'avertisseur sonore de leur véhicule tout en reculant. Purolator a également tracé dans l’aire de manutention un passage désigné pour les piétons, pour que ses employés demeurent à l'écart de la zone immédiate de chargement. Grâce à ces mesures et à la diligence de Purolator pour les faire appliquer, il n'y a jamais eu d'accident causé par un véhicule en marche arrière dans un de ses établissements.

En résumé, le règlement semble viser des appareils de conception très différente, qui ont des usages et qui présentent des risques tout aussi différents. Fait d'une égale importance, les dispositions sur les appareils de manutention mentionnent des fonctions comme soulever, déplacer ou placer des objets et des matériaux dans le lieu de travail. Cela n’a fondamentalement rien à voir avec l'utilisation d'une fourgonnette à l’intérieur ou à l’extérieur d’une zone de chargement. La fonction d'une camionnette de livraison est de transporter ou de cueillir des colis chez les clients, non de déplacer les matériaux d’une camionnette de livraison à l’autre.

**********


[23]  Me Pollack et Me Gilbert ont tous les deux déclaré dans leur présentation écrite et à l’audience que la seule question à trancher, et cette question est fondamentale, est de savoir si une camionnette de livraison est un appareil de manutention et, de ce fait, si elle est assujettie au paragraphe 14.16(1) du RCSST. Je suis d'accord avec eux.

[24]  L'agent de santé et de sécurité Maltais a livré un témoignage détaillé, sérieux et très clair pour justifier les instructions qu'il a données à Fédéral Express et à Courrier Purolator pour qu'ils installent sur leurs fourgonnettes de livraison un avertisseur sonore automatique de marche arrière.

[25]  Il a également établi sans l'ombre d'un doute qu'il a fondé sa décision de donner des instructions aux deux employeurs sur la note de service que le gestionnaire intérimaire, Conformité et Opérations en SST, avait fait parvenir au conseiller technique en SST du Québec sur la question de savoir si un camion était considéré comme un appareil de manutention et devait, par conséquent, être muni d'un avertisseur sonore de marche arrière.

[26]  Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que l'agent de santé et de sécurité Maltais a faite du RCSST à ce sujet. Par conséquent, j'annule les instructions qu'il a données à Fédéral Express et à Courrier Purolator, pour les raisons suivantes.

[27]  En premier lieu, il me semble, après une analyse attentive de la note de service du gestionnaire intérimaire, Conformité et Opérations en SST, que sa conclusion que les camions, et tous les véhicules motorisés, sont indubitablement des appareils de manutention repose sur ce seul paragraphe :

II n'y a aucun doute que tout camion (et tout véhicule motorisé) est un « appareil mobile »1, étant donné qu’il se déplace à l'aide d'un moteur. En conséquence, étant donné qu'un « appareil de manutention motorisé » est un appareil mû par un moteur à propulsion et possédant les caractéristiques d'un « appareil de manutention motorisé », les camions (et les autres véhicules à moteur) doivent être considérés comme des appareils de manutention motorisés. Without a doubt, trucks (and all motor vehicles) are considered "mobile equipment"2, since they are provided with a motor for propulsion. Therefore, since "motorized materials handling equipment" consists of equipment, equipped with a motor for propulsion, having the characteristics of "materials handling equipment, a truck (and all motor vehicles) would be considered motorized material handling equipment.

[28]  Le gestionnaire intérimaire ajoute à sa conclusion la note explicative suivante, en bas de page :

1. Pour votre information, l'article 14.16 du RCSST de 1986 ne comprenait pas le terme « appareil de manutention motorisé », mais plutôt le terme « appareil mobile ». À cette époque, « appareil mobile » était interprété comme incluant tous les véhicules motorisés. En 1996, la notion d’« appareil de manutention motorisé » a été introduite pour distinguer les appareils de manutention motorisés de ceux qui ne le sont pas.
2. For your information, section 14.16 of the 1986 COSH Regulations did not use the phrase "motorized materials handling equipment" but was using instead the phrase "mobile equipment. At the time, "mobile equipment" was interpreted as including all motor vehicles. In 1996 the new concept of "motorized materials handling equipment was introduced to differentiate between motorized and non motorized materials handling equipment.

[29]  En d’autres termes, selon la note de service, un camion, et tout véhicule motorisé, est un appareil de manutention du seul fait que :

  • c’est un « appareil mobile, étant donné qu’il se déplace à l’aide d’un moteur »,
  • un appareil de manutention motorisé est un « appareil mû par un moteur à propulsion et possédant les caractéristiques d’un appareil de manutention motorisé », et
  • en 1986, il était entendu qu’un « appareil mobile » s’entendait de tous les véhicules motorisés – et, ajouterai-je, la note de service reste muette sur l’origine de cette affirmation.

[30]  Les définitions française et anglaise d’« appareil de manutention », telles qu’elles apparaissent à l’article 14.1 du RCSST, étayent-elles cette explication et cette conclusion plutôt « tautologiques »? Je ne le crois pas.

[31]  Ces définitions se lisent comme suit :

« Appareil de manutention » Dispositif, y compris les structures d'appui, le matériel auxiliaire et le gréement utilisé pour transporter, lever, déplacer ou placer des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets. La présente définition exclut les appareils élévateurs installés en permanence dans un bâtiment, mais comprend les appareils mobiles utilisés pour lever, hisser ou placer les personnes. "materials handling equipment" means equipment, including its supporting structures, auxiliary equipment and rigging devices, used to transport, lift, move or position persons, materials, goods or things and includes mobile equipment used to lift, hoist or position persons, but does not include an elevating device that is permanently installed in a building.

[32]  Si je décompose ces définitions, il en ressort qu’un « appareil de manutention »

  • est (de toute évidence) un appareil,
  • comprend les structures d’appui, le matériel auxiliaire et le gréement,
  • comprend aussi les appareils mobiles, mais
  • exclut les appareils élévateurs permanents.

[33]  Ces définitions laissent entendre que :

  • le terme « appareil » – et l’équivalent anglais « equipment » – désigne une machine, un dispositif, un mécanisme, une pièce d’équipement, un engin ou quelque chose de similaire;
  • dans cette appellation distinctive, l’utilisation du terme « manutention » – et l’équivalent anglais « handling » – renvoie directement à la fonction, au rôle et à l’objet uniques de l’appareil;
  • cette fonction, ce rôle, cet objet de l’appareil de manutention est décrit comme étant de « transporter, lever, déplacer ou placer des personnes, des matériaux, des marchandises ou des objets » ou de « lever, hisser ou placer les personnes »;
  • en d’autres termes, la fonction de « manutention » – et l’équivalent anglais « handling » – s’entend du maniement des personnes et de la manipulation des matériaux, des marchandises ou des objets, de leur transfert, de la modification de leur emplacement.

[34]  Selon moi, ces définitions impliquent en outre que :

  • l’« appareil de manutention » sert à déplacer des objets trop lourds ou trop volumineux pour être déplacés manuellement;
  • la manutention des matériaux représente l’une des étapes d’un processus plus vaste, qu’il faut exécuter pour mener le processus à bonne fin;
  • la manutention des matériaux se déroule dans un espace « fermé » du lieu de travail, comme un entrepôt, un terminal, une aire de trafic, par opposition à un espace « ouvert » comme une voie publique.

[35]  Enfin, j’ajouterai que ce que l’on appelle communément et typiquement un « appareil » – et l’équivalent anglais « equipment » – ne s’entend pas de ce que l’on appelle communément et typiquement un « véhicule automobile » – et l’équivalent anglais « motor vehicle ».

[36]  Les définitions de l’article 14.1 du RCSST reflètent réellement et effectivement l’objet, le rôle, l’usage, la fonction des appareils visés par les dispositions de la partie XIV. Et cet objet est intimement lié à l’intention de la partie XIV.

[37]  Voilà pourquoi je suis d’avis que ces définitions n’étayent pas l’allégation selon laquelle les camionnettes de livraison seraient vraiment des « appareils de manutention », car leur fonction n’est pas de manutentionner des matériaux dans les limites d’un seul lieu de travail, mais de les transporter d’un lieu de travail à un autre.

[38]  Je base également ma décision sur l’article 14.2 du RCSST, qui traite des exceptions à l'application de la partie XIV. L’exception pertinente aux présents cas figure à l'alinéa 14.2a), qui renvoie au paragraphe 14.4(4).

[39]  L’alinéa 14.2a) se lit comme suit :

14.2 La présente partie ne s’applique pas :
  1. sous réserve du paragraphe 14.4(4), à la mise en service et à l’utilisation de véhicules automobiles sur les voies publiques[.]
14.2 This Part does not apply in respect of:
  1. subject to subsection 14.4(4), the use and operation of motor vehicles on public roads[.]

[40]  Le paragraphe 14.4(4) du RCSST est le suivant :

14.4(4) Lorsqu’il y a un risque que des matériaux, des marchandises ou des objets se déplacent et mettent les employés en danger dans un véhicule automobile acquis après le 1er juillet 1995 et ayant un poids brut inférieur à 4 500 kg, l’employeur doit installer une cloison ou tout autre dispositif pour protéger les employés. 14.4(4) Where there is a likelihood that materials or things will shift and endanger employees in a motor vehicle acquired after July 1, 1995 and having a gross vehicle weight of less than 4,500 kg, the employer shall install a bulkead or other means to protect the employees.

[41]  Il est indéniable que les fourgonnettes et camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator sont des véhicules automobiles. Après tout, ils utilisent un moteur pour se déplacer.

[42]  Il est tout aussi indiscutable que ces fourgonnettes et camions n’ont qu’une seule fonction fondamentale, soit de déplacer, de transporter, de véhiculer des matériaux, des personnes, des objets ou des marchandises d’un endroit à un autre.

[43]  En outre, il est irréfutable que les fourgonnettes et les camions de Fédéral Express et de Courrier Purolator exécutent cette fonction sur un type spécifique de voies. Ces véhicules sont en effet « mis en service et utilisés » sur les « voies publiques », c’est-à-dire des voies empruntées par le public et entretenues à l'aide des fonds publics.

[44]  Donc, en règle générale, ces fourgonnettes et camions ne servent pas à déplacer, à transporter, à véhiculer des matériaux, des personnes, des objets ou des marchandises sur des routes « privées », c’est-à-dire des routes qui sont la propriété de personnes ou d’entreprises. Le seul moment où ils se déplacent ailleurs que sur une voie publique est lorsqu’ils entrent dans une aire « privée » pour y être conduits jusqu’à un terminal ou un quai de chargement ou de déchargement.

[45]  Comme les fourgonnettes ou les camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator sont mis en service et utilisés sur les voies publiques, ils sont, entre autres choses, assujettis aux prescriptions de la Loi sur les véhicules à moteur de la province où ils sont exploités. Par exemple, ils doivent en tout temps être certifiés et enregistrés conformément à la Loi sur les véhicules à moteur de la province et seul un opérateur détenant un permis délivré par la province peut les manoeuvrer, contrairement à ce qui est requis dans le cas d’un appareil de manutention.

[46]  L’alinéa 14.2a) du RCSST signifie-t-il que les fourgonnettes et camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator sont toujours assujettis à la partie XIV, sauf lorsqu’ils sont mis en service et utilisés sur les voies publiques?

[47]  Inversement, se peut-il que l’alinéa 14.2a) du RCSST puisse vouloir dire que, dès le moment où les fourgonnettes et camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator entrent dans un terminal pour être chargés ou déchargés, ils deviennent automatiquement des appareils de manutention et tombent, de ce fait, sous la partie XIV?

[48]  Selon moi, ni l’une ni l’autre de ces hypothèses n’est valide. L'intention de l'alinéa 14.2a) du RCSST est précisément de spécifier qu'à l’exception du paragraphe 14.4(4), la partie XIV ne s'applique pas aux véhicules automobiles dont le seul objet et l’unique fonction est d’être mis en service et utilisés sur les voies publiques.

[49]  En outre, le renvoi que l’alinéa 14.2a) fait au paragraphe 14.4(4) vient à mon avis renforcer l’exception énoncée dans cet alinéa. L’intention de tout l’article 14.4 est de prescrire le genre de mesures protectrices à prendre contre la chute d’objets.

[50]  Toutefois,

  • seuls les paragraphes 14.4(1) et (3) précisent quel dispositif protecteur doit être installé sur un appareil de manutention motorisé;
  • le paragraphe 14.4(2) exclut les chariots à conducteur porté ou accompagnant de l’application du paragraphe 14.4(1); et
  • le paragraphe 14.4(4) exige l’installation d’une cloison sur les véhicules automobiles achetés après le 1er juillet 1995 et ayant un poids brut inférieur à 4 500 kg.

[51]  Le fait que le législateur ait, au paragraphe 14.4(4), exigé pour les véhicules automobiles un dispositif de protection contre la chute d’objets différent de ce qu’il a stipulé aux paragraphes 14.4(1) et (3) pour les appareils de manutention motorisés témoigne encore une fois que la partie XIV du RCSST ne s’applique pas aux fourgonnettes et camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator.

[52]  Ma décision repose aussi sur l’alinéa 125(1)k) du Code, qui établit une nette distinction entre les véhicules et l’équipement mobile. C’est cet alinéa qui autorise l’adoption des normes réglementaires applicables aux véhicules et à l’équipement mobile.

[53]  Il se lit comme suit :

125. (1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
[…]
k) de veiller à ce que les véhicules et l'équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires;

[54]  Le législateur aurait-il utilisé deux termes différents, soit « véhicules » et « équipement mobile », s’il avait eu l’intention de considérer que l’un et l’autre sont des « appareils de manutention » assujettis à la partie XIV du RCSST? Permettez-moi d’en douter fortement.

[55]  La partie XIV vise l’équipement utilisé pour manutentionner les matériaux à l’intérieur d’un lieu de travail, non l’équipement qui transporte les matériaux du lieu de travail de l’employeur au lieu de travail de son client. Voilà pourquoi la définition d’un appareil de manutention fait appel à des termes comme « lever, déplacer, placer ou hisser ».

[56]  C'est ce qui explique aussi pourquoi la partie XIV spécifie les différents dispositifs protecteurs dont doivent être munis les appareils de manutention. On y trouve par exemple des dispositions sur la protection contre la chute d'objets (14.4) et le capotage (14.6), les ceintures de sécurité (14.7), les réservoirs de carburant (14.8), la protection contre les intempéries (14.9), les vibrations (14.10), la conception et de la disposition des indicateurs et des commandes (14.11), les extincteurs d’incendie (14.12), les moyens d'accès et de sortie (14.13), l'éclairage (14.14), les mécanismes de freinage et de direction (14.15).

[57]  Les lois provinciales qui régissent la conception, la construction et l’utilisation sécuritaire des véhicules automobiles traitent elles aussi de ces questions. À mon avis, le législateur fédéral n’avait pas l’intention de reproduire dans la partie XIV des dispositions de même ordre, applicables elles aussi aux véhicules automobiles.

[58]  Je me permettrai d’ajouter qu’un examen même sommaire de la documentation ou d’autres lois sur la question des appareils de manutention vient à nouveau confirmer que la partie XIV du RCSST ne vise pas les véhicules automobiles comme les fourgonnettes et les camions de livraison. Il n’y a pas de doute que l’expression « équipement de manutention » s’entend de ce que l’on appelle couramment les « chariots de manutention motorisés », c’est-à-dire des véhicules motorisés servant à transporter, à pousser, à soulever, à empiler et à placer des matériaux. Ce sont, par exemple, les chariots élévateurs, les transpalettes électriques, les platesformes élévatrices, les chariots à plate-forme à petite levée, les chariots de chargement en porte-à-faux, les chariots élévateurs frontaux et latéraux et les chariots à conduite latérale.

[59]  À mon avis, affirmer que les fourgonnettes et les camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator sont automatiquement assujettis à la partie XIV du RCSST parce que, pendant un certain temps, ils se trouvent dans un terminal pour y être chargés ou déchargés alors que des employés y travaillent, c’est dénaturer et mal interpréter l’intention de la partie XIV du RCSST.

[60]  Je suis persuadée que si le législateur fédéral avait voulu que les véhicules automobiles comme les fourgonnettes et camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator soient assujettis à la partie XIV du RCSST,

  • il l’aurait fort probablement stipulé dans la définition d’« appareil de manutention » donnée à l’article 14.1, Définitions;
  • l’article 14.2, Application, ne créerait pas une exclusion à l’application de la partie XIV du RCSST pour les véhicules automobiles mis en service et utilisés sur les voies publiques; et
  • l’alinéa 14.2a) n’aurait pas fait de renvoi au paragraphe 14.4(4) pour imposer l’installation d’un dispositif protecteur différent contre la chute d’objets.

[61]  Pour terminer, même si les deux employeurs en ont appelé de l’instruction de l’agent de santé et de sécurité, ils s’y sont néanmoins conformés, tel que le requiert la partie II du Code canadien du travail. Fédéral Express a installé des avertisseurs sonores de marche arrière sur les fourgonnettes utilisées au terminal de Saint-Hubert. Pour sa part, Courrier Purolator a instauré des mesures de sécurité à l’intention de ses chauffeurs lorsqu’ils reculent leur véhicule et a aménagé dans les aires de chargement des passages réservés à l’usage exclusif des piétons pour que ses employés ne soient pas à proximité des véhicules qui se déplacent en marche arrière.

[62]  Je conclus que les fourgonnettes et camions de livraison de Fédéral Express et Courrier Purolator ne sont pas des appareils de manutention au sens de l’article 14.1 de la partie XIV du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

[63]  Par conséquent, pour les raisons susmentionnées, j'annule les instructions que l'agent de santé et de sécurité Jacques Maltais a émises à Courrier Purolator le 12 juin 2002 et à Fédéral Express le 17 juillet 2002.




Michèle Beauchamp
Agent d’appel



Dans l’affaire du Code canadien du travail
Partie II – Santé et sécurité au travail

Instruction à l’employeur en
vertudu paragraphe 145(1)


Le 12 juin 2002, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une inspection dans le lieu de travail exploité par Purolator Courier Ltée, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail et sis au 9201, le l’Innovation, Anjou, Québec, H1J 2X9, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Purolator Courrier Ltée.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante du Code canadien du travail est enfreinte;

  1. Alinéa 125(1)k) de la partie II du Code canadien du travail, alinéa 14.16(1)b) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

Pendant que l’aire de travail est occupé par des employés, il y a un camion : no 1 : 89567 qui se déplace en marche arrière, et qui n’est pas muni d’un Klaxon ou autre avertisseur sonore du même genre qui fonctionne automatiquement.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail de cesser toute contravention au plus tard le 26 juin 2002.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail de prendre, dans les délais précisés par l’agent de santé et de sécurité au travail, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Fait à Montréal ce 12ième jour de juin 2002.




Jacques Maltais
Agent de santé et de sécurité

À : Purolator Courier Ltée
9201, De l’Innovation
Anjou, Québec
H1J 2X9

Dans l'affaire du Code canadien du travail
Partie II - Santé et sécurité au travail

Instruction en vertu du paragraphe 145(1)


Le 17 juillet 2002, l'agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une inspection des lieux de travail dans le lieu de travail exploité par Fedex Express Canada Ltée, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 3225, 1ère rue à St-Hubert ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Fedex Express.

Ledit agent de santé et de sécurité est d'avis que la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail est enfreinte :

  1. de la partie II :
    Alinéa 125 (1)k)
  2. du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail :

    Alinéa 14.16 - Pendant que l'aire de travail est occupé par des employés, il y a des camions qui se déplacent en marche arrière et qui ne sont pas munis d'un klaxon ou autre avertisseur sonore du même genre qui fonctionne automatiquement.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail de cesser toute contravention au plus tard le 31 juillet 2002.

Fait à Montréal ce 12ième jour de juin 2002.




Jacques Maltais
Agent de santé et de sécurité

À : Fedex Express
3225 1ère rue
St-Hubert (Qc)
J3Y 8Y8

Résumé de la décision de l’agent d’appel


Décisions : 03-022 et 03-023
Demandeurs : Fédéral Express
Courrier Purolator
Mots clés : Appareil de manutention
Camionnettes de messagerie
Dispositions :  
Code canadien du travail : alinéa 125(1)k): paragraph 125(1)k)
Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail : articles 14.1, 14.2, 14.16
Résumé

Un agent de santé et de sécurité a émis à Courrier Purolator et Fédéral Express respectivement une instruction portant que les deux employeurs contrevenaient à l’alinéa 125(1)k) de la partie II du Code canadien du travail et à l’article 14.16 du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (RCSST), parce que leurs camionnettes de messagerie se déplaçaient en marche arrière dans une aire de travail, pendant que des employés s’y trouvaient, alors qu’elles n’étaient pas munies d’un klaxon ou autre avertisseur sonore du même genre fonctionnant automatiquement en marche arrière. Les deux employeurs en ont appelé de l’instruction.

L’agent d’appel a tenu une seule audience pour les deux causes. Elle a jugé que les camionnettes de messagerie ne sont pas des « appareils de manutention » au sens de l’article 14.1 du RCSST et elle a par conséquent annulé les deux instructions.

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